51. Mais en même temps il trouve dans sa propre chair une volonté hostile qui aime le monde et ne voudrait servir que lui. L'esprit ne peut tolérer cette volonté misérable ; il s'applique à la soumettre et à la réduire. «Je prends plaisir à la loi de Dieu selon l'homme intérieur ; mais je vois une autre loi dans mes membres, qui combat contre la loi de l'esprit et qui me rend captif sous la loi du péché.» — Je traite durement mon corps et le réduis en servitude, de peur qu'après avoir prêché aux autres je ne sois moi-même réprouvé. — Ceux qui sont à Christ ont crucifié la chair avec ses convoitises.» 52. Si nous faisons des oeuvres, ce n'est certes pas avec la pensée que les oeuvres nous justifient devant Dieu, puisqu'il n'y a pas d'autre justice que celle de la foi. Nous n'avons, en les accomplissant, d'autre but que de soumettre le corps et de le purifier de ses convoitises mauvaises. L'àme sanctifiée par la foi et pleine de l'amour de Dieu veut aussi sanctifier son corps et amener tout ce qui lui appartient à bénir et à aimer Dieu. Loin de rester oisive, elle agit, elle accomplit dans cette intention toutes sortes de bonnes oeuvres, mais l'amour de Dieu est l'unique mobile de son activité : elle fait tout pour lui plaire et pour le servir. 53. Chacun peut apprendre par là dans quelle mesure il doit s'adonner aux jeûnes et aux veilles. Ces oeuvres sont nécessaires dans la limite où elles servent à éteindre les mauvaises convoitises. Ceux qui en attendent autre chose, s'y confient pour obtenir le salut, et espèrent que plus elles seront éclatantes, plus grande sera leur justice, n'arrivent souvent qu'à se troubler l'esprit et à ruiner vaine— ment leur santé. C'est certes une insigne folie et Une grande ignorance de la vie chrétienne que d'espérer le salut des oeuvres sans la foi. 54. Rendons ces vérités plus saisissantes encore par quelques exemples. Nous pouvons comparer les oeuvres du chrétien qui se voit justifié par l'infinie miséricorde de Dieu à celles qu'Adam et Ève accomplissaient dans le Paradis, et qu'auraient accomplies tous leurs enfants si le péché n'était intervenu. "Dieu, dit la Genèse, plaça l'homme au jardin du Paradis pour le cultiver et le garder." Or, Adam avait été créé juste et sans péché. Ce travail et ces soins n'étaient nullement nécessaires à son salut, mais Dieu les lui imposa pour qu'il ne fût point oisif. Il travaillait ainsi librement, non dans le but d'obtenir une justice qu'il possédait pleinement et qu'il devait transmettre à ses enfants, mais uniquement pour plaire à Dieu. 55. Ainsi, le croyant est un homme né de nouveau, et comme Adam il est placé dans le Paradis. Sa justice n'a besoin d'aucune oeuvre, mais il s'y adonne librement, travaille, dompte les passions de son corps, ne recherchant autre chose que la bonne volonté de Dieu. Il s'efforce, en un mot, d'arriver à cette foi parfaite, à cet amour pur qu'il n'a point encore atteint, mais qui grandissent en lui à mesure qu'il s'y adonne. 56. Servons-nous encore d'une autre comparaison : L'évêque qui consacre un temple, qui confirme les enfants, qui exerce une charge quelconque de son ministère, ne devient point évêque par cela même qu'il s'acquitte de ces fonctions. Les œuvres qu'il opère n'auraient, au contraire, aucune valeur et ne seraient que de vaines et puériles cérémonies, s'il n'avait lui-mê:me tout d'abord été consacré à son ministère. Ainsi, le chrétien consacrë à Dieu par sa foi s'adonne aux bonnes oeuvres ; mais ce ne sont point ces bonnes oeuvres qui l'ont fait ce qu'il est. Celles-ci n'auraient aucune vertu, elles ne seraient qu'oeuvres impies et péchés mortels, si lui-même n'était déjà un homme croyant. 57. Ce ne sont point les bonnes oeuvres qui font l'homme bon : c'est l'homme bon qui fait les bonnes œuvres. Ce ne sont point les mauvaises oeuvres qui font l'homme mauvais : c'est l'homme mauvais qui fait les oeuvres mauvaises. Telle est la personne, telles sont les oeuvres. Un mauvais arbre, dit Jésus-Christ, ne porte point de bons fruits; un bon arbre n'en donne pas de mauvais. Il est évident que ce n'est pas le fruit qui porte l'arbre; c'est, au contraire, l'arbre qui produit le fruit. 58. S'il est vrai que selon la nature de l'arbre les fruits sont bons ou mauvais, selon la nature de l'homme les œuvres seront aussi bonnes ou mauvaises. Bon, ses oeuvres seront bonnes; mauvais, ses oeuvres seront mauvaises. 59. Il en est ainsi dans tous les arts : ce n'est point l'édifice qui fait l'habile ou l'inhabile architecte ; c'est l'architecte qui, selon sa science, fait l'édifice bon ou mauvais. Tel est le maitre, telle est l'oeuvre. Nulle oeuvre ne rend donc un homme juste ou injuste, mais l'homme juste fait le bien, et l'injuste fait le mal. C'est ainsi que la foi, en rendant l'âme fidèle, est la source d'où toutes les bonnes oeuvres découlent. 60. Puisque les oeuvres ne donnent point le salut et qu'il faut que déjà l'homme soit juste avant que de les accomplir, il est hors de doute que la foi seule, ce don pur de la miséricorde de Dieu, nous justifie et nous sauve sans qu'aucune oeuvre nous soit nécessaire. Le chrétien élevé au-dessus de toute loi, dans une liberté parfaite, ne cherche dans les oeuvres qu'il accomplit que la bonne volonté de Dieu, et jamais le bonheur ni le salut que Dieu, dans sa grâce, a déjà accordé à sa foi.