[34,0] XXXIV. DU DISCOURS POLITIQUE composé pour être prononcé dans Athènes. Contre le décret de Phormisius. <1> Nous avions lieu de croire, ô Athéniens, que nos malheurs nous avaient donné des leçons assez frappantes, pour empêcher ceux qui viendront après nous de désirer une autre forme de gouvernement; cependant nous voyons des orateurs mal intentionnés chercher encore à tromper, par leurs décrets nuisibles, ceux que de tristes révolutions et une expérience fatale, n'ont déjà que trop instruits. <2> Aussi ce sont moins les orateurs qui m'étonnent, que vous qui les écoutez ; je suis surpris de vous voir oublier le passé, de vous voir prêts à tout souffrir de la part de gens qui se trouvèrent par hasard au Pirée, et qui étaient de cœur avec les tyrans d'Athènes. Mais était-il donc besoin de revenir de votre exil, si par vos suffrages vous vous réduisez vous-mêmes en servitude ? <3> Pour moi, que ni mon âge ni ma naissance n'excluent de la tribune, qui l'emporte par l'un et l'autre sur ceux qui combattent mon avis, je pense qu'il n'y a de salut pour l'état, qu'en rendant l'administration commune entre tous les citoyens. Car enfin, lorsque nous avions des murs, de l'argent et des alliés, non contents d'accorder le droit de cité à quelques-uns, nous accordions même aux Eubéens le droit de mariage ; et l'on nous verrait aujourd'hui nous priver de nos propres citoyens! <4> Non, certes, et si du moins on veut m'en croire, nous craindrons de nous porter à une extrémité semblable, et après avoir perdu nos murs, nous ne nous ôterons pas encore à nous-mêmes une multitude d'archers, de soldats d'infanterie et de cavalerie, qui nous serviront à affermir le gouvernement populaire, à nous rendre utiles à nos alliés, et à triompher sans peine de nos ennemis. Vous savez, en effet, que sous la domination oligarchique établie de nos jours, les possesseurs mêmes de fonds, n'ont pu vivre en sûreté dans la ville, que plusieurs y ont trouvé la mort, ou en ont été chassés ; <5> le peuple a ramené les riches exilés, il vous a rétablis dans vos possessions, sans entreprendre de s'en saisir lui-même. Si donc vous voulez m'écouter, loin de songer à priver de leur patrie vos propres bienfaiteurs, loin de regarder les discours comme plus sûrs que les faits, et l'avenir comme plus certain que le passé, vous aurez soin de vous rappeler que les partisans de l'oligarchie en veulent au peuple en apparence, mais qu'en effet leur cupidité n'ambitionne que vos fortunes, dont ils ne tarderont pas à s'emparer, s'ils vous trouvent sans défense. <6> Il faut, je crois, répondre à ceux qui envient nos possessions, et qui nous demandent quelle ressource il restera à notre république, si nous refusons de nous prêter à ce qu'exige de nous Lacédémone; il faut, dis-je, leur répondre et leur demander ce qu'il restera à la ville d'Athènes, si nous souscrivons aux ordres de sa rivale. D'ailleurs, il est bien plus beau de mourir sur un champ de bataille, que de nous condamner ouvertement nous-mêmes à la mort. <7> Si mes conseils ne sont pas suivis, je vois que ceux qui possèdent des terres, comme ceux qui en sont dépourvus, auront également à craindre. Les Argiens et les Mantinéens sont animés des sentiments que je voudrais vous inspirer. Les uns, qui sont voisins de Lacédémone, ne sont pas en plus grand nombre que nous ; les autres, qui sont sur les cousins de son territoire, ne comptent guère plus de 3000 hommes.<8> Les Lacédémoniens cependant craignent de les attaquer, parce qu'ils savent que toutes les fois qu'ils chercheront à se jeter dans leur pays, ceux-ci prendront les armes et viendront à leur rencontre. Il leur paraîtrait peu honorable de manquer à les subjuguer s'ils étaient vainqueurs, ou de se voir ravir leurs propres avantages s'ils étaient vaincus. Ainsi donc plus ils jouissent d'une prospérité brillante, plus ils craignent de la commettre dans une action décisive. <9> Nous étions animés des mêmes sentiments que les peuples d'Argos et de Mantinée, lorsque nous commandions aux Grecs : nous nous faisions gloire alors de laisser ravager nos campagnes et de nous embarrasser peu de les défendre, parce qu'il était à propos de négliger des parties pour conserver le tout. Aujourd'hui que par notre défaite nous nous voyons dépouillés de tous les privilèges attachés au commandement, et que notre ville seule nous reste, pourrions-nous ignorer que nous n'avons de ressource que dans le hasard des combats ? [34,10] <10> Rappelons-nous que par le passé volant au secours des autres, nous remportâmes, plus d'une fois, en pays étranger d'éclatantes victoires ; rappelons-nous ces triomphes, et que ce souvenir nous inspire du courage pour nous-mêmes et pour la patrie. Comptons sur les dieux, osons espérer que le ciel se déclarera enfin pour la justice, et viendra au secours des malheureux qu'on opprime. <11> Nous qui, dans notre exil, avons combattu courageusement contre les Lacédémoniens pour revenir à Athènes, pourrions-nous, sans rougir, maintenant que nous sommes de retour, nous condamner nous-mêmes à l'exil, dans la crainte de combattre ? Quelle honte enfin, si l'on vous voyait redouter la guerre pour le soutien de votre propre liberté, tandis que vos ancêtres s'exposaient généreusement pour la liberté des autres Grecs? ---.