au plus bas. » Là-dessus, je m'en allai en me disant : « Si l'un des dieux m'avait fait tout à coup maître de ce vaisseau, quelle vie heureuse j'aurais menée! J'aurais fait du bien à mes amis. Quelquefois je m'embarquerais moi-même, d'autres fois j'enverrais mes serviteurs à ma place. Avec ces douze talents je m'étais déjà fait bâtir une maison en belle place un peu au-dessus du Pécile, et j'avais quitté celle de mon père au bord de l'Ilissos : j'avais acheté des esclaves, des habits, des voitures et des chevaux. A votre arrivée, je naviguais, regardé comme un homme heureux par tous les passagers, craint des matelots, traité presque comme un monarque. J'étais encore occupé à régler ce qui regardait ma cargaison et je tournais de loin mes regards vers le port, quand tu es survenu, Lykinos. A l'instant tu as coulé à fond ma richesse et fait chavirer mon bateau emporté par le souffle favorable de mes voeux. LYKINOS 14. Eh bien, mon brave, prends-moi et emmène-moi devant le préteur, comme un pirate, comme un corsaire qui t'a causé un si gros naufrage, et cela sur terre, dans le trajet du Pirée à la ville. Mais vois comme je vais te consoler de ton accident. Possède, si tu veux, cinq navires plus beaux et plus grands que le bateau égyptien, et, chose capitale, insubmersibles; je veux même qu'ils te transportent chaque année cinq charges de blé, bien que je prévoie, ô le meilleur des armateurs, combien tu seras alors insupportable à nous autres; car lorsque tu ne pos- sédais encore que cet unique navire, tu étais sourd à nos cris. Si, avec celui-là, tu en as cinq autres, tous à trois mâts et impérissables, il est certain que tu ne regar- deras plus tes amis. Malgré tout, je te souhaite, excellent homme, une bonne navigation. Pour nous, nous resterons en repos au Pirée et nous demanderons aux navigateurs qui viendront d'Égypte ou d'Italie si quelqu'un d'eux a vu quelque part le grand vaisseau d'Adeimantos, l' Isis. ADEIMANTOS 15. Vous le voyez : voilà pourquoi j'hésitais à dire à quoi je pensais; j'étais sûr que vous ririez et vous moque- riez de mon souhait. Cela étant, je vais m'arrêter un peu, jusqu'à ce que vous ayez pris les devants : puis je repren- drai la mer sur mon vaisseau; car j'aime beaucoup mieux causer avec des matelots que d'être raillé par vous. LYKINOS Ne fais pas cela, autrement, nous nous arrêterons, nous aussi, pour nous embarquer avec toi. ADEIMANTOS Alors, je retirerai l'échelle, une fois monté. LYKINOS En ce cas, nous irons te rejoindre à la nage. Peux-tu croire en effet qu'il te sera facile de posséder de si gros vaisseaux sans les avoir achetés ni fait construire, et que nous, de notre côté, nous ne demanderons pas aux dieux la force de nager sans fatigue pendant plusieurs stades? Tu sais pourtant bien que dernièrement, pour aller à Égine à la fête de la déesse des carrefours, nous avons, nous, tes amis, fait tous ensemble la traversée dans une petite embarcation pour le prix de quatre oboles chacun. Tu n'étais pas du tout fâché de nous voir naviguer avec toi. Mais aujourd'hui tu t'indignes à la pensée de nous prendre sur ton bateau et tu veux retirer l'échelle, une fois monté. Tu es bouffi d'orgueil, Adei- mantos, et tu ne craches pas dans ton sein 231, et tu oublies qui tu es, depuis que tu possèdes un vaisseau. C'est ta maison bâtie dans un beau quartier de la ville, ce sont tes nombreux valets qui t'ont rendu si fier. Eh bien, mon bon, au nom d'Isis, n'oublie pas de nous rap- porter d'Égypte ne fût-ce que ces petits poissons salés du Nil ou des parfums de Canope, ou un ibis de Memphis et, si ton vaisseau peut la porter, une des pyramides.