[9,0] SATIRE IX : Les protecteurs et les protégés obscènes. 1-26. J'aimerais savoir pourquoi je te rencontre si souvent l'air triste, Névolus, le front sombre, pareil à Marsyas vaincu. Où as-tu pris ce visage qui fait penser à celui de Ravola surpris la barbe humide, en train de pomper Rhodopès ? Pour avoir léché des gâteaux, un esclave reçoit des gifles. Je n'ai pas vu tête plus lamentable à Crépéréius Pollion qui circule partout en offrant triple intérêt pour un emprunt sans pouvoir trouver une dupe. D'où soudain tant de rides ? Ah, certes, content de peu, spirituel chevalier, joyeux convive, tu racontais des histoires salées, tu éclatais de saillies de la meilleure tradition nationale. Et maintenant, tout l'opposé ! Visage morne, cheveux secs et en broussailles et, sur ta peau, rien de cet éclat que tu obtenais avec des cataplasmes à la poix de Bruttium ; enfin, à tes jambes malpropres, une forêt de poils. Pourquoi cette maigreur de vieux malade, que brûlerait depuis longtemps une fièvre quarte bien installée ? Un corps malade laisse deviner la tristesse cachée de l'âme, comme un corps sain les joies ; car ce sont les deux sentiments dont le visage tire ses expressions. J'ai donc idée que tu as changé d'occupations et que tu vis ta vie sens dessus dessous. Car naguère, je m'en souviens, on te voyait dans le temple d'Isis, près de la statue de Ganymède, au sanctuaire de la Paix, au Palatin, dans l'asile secret de la Bonne Déesse, chez Cérès (car en quel temple les femmes ne se prostituent-elles pas ?) hein, adultère plus fameux qu'Aufidius ? Et tu ne te gênais pas pour profaner ces lieux saints ; même, sans t'en vanter, tu faisais plier aussi les maris. 27-91. - Ce genre de vie a profité à bien d'autres, mais moi je n'en ai rien tiré. Quelques manteaux à passer sur la toge, d'étoffe rude et grossière, mal foulée par le tisserand gaulois, voilà mes cadeaux, avec quelques pièces d'argenterie mince et de second titre. Les destinées mènent les hommes, et elles étendent leurs empires jusqu'à ces parties que dissimule la toge. Car si les astres ne te favorisent pas, tu ne feras rien d'un membre serait-il de longueur privilégiée, quand bien même Virron, à te voir tout nu, en aurait bavé et t'aurait poursuivi de billets passionnés : car le mignon, c'est plus fort que lui, appelle le mâle. Mais quel monstre pire qu'un mignon avare ? " Je t'ai donné tant, puis tant, et puis plus encore. " Il fait ces calculs et me caresse en se tortillant le derrière. Esclaves, des jetons et la table à compter ! Voici l'addition : cinq mille sesterces. Tu crois peut-être facile de pousser dans les entrailles une verge de bonne longueur et d'aller ainsi au devant du dîner de la veille ? Il est moins dur pour l'esclave de fouir la terre que de fouir son maître. Mais peut-être te voyais tu, tendre éphèbe, beau et digne de devenir échanson au ciel ? Ah ! que voudrez-vous jamais donner à un humble parasite, à un client, si déjà vous ne donnez rien pour votre vice ? [9,50] Voilà le gaillard qui reçoit parasol vert et grosses perles d'ambre à tous ses anniversaires et qui, à chaque premier jour de l'humide printemps, aux calendes célébrées des femmes, passe en revue les cadeaux, étendu sur sa chaise longue. Dis-moi, passereau lascif, pour qui tant de coteaux, tant de domaines en Apulie, tant de vastes pâturages qui lasseraient le vol d'un milan ? La terre de Trifolium te comble de vins, et aussi le mont qui domine Cumes, et encore les flancs caverneux du Gaurus (qui donc en effet a plus de fûts à préparer pour y mettre un moût à vieillir ?) T'aurait-il coûté beaucoup d'offrir quelques arpents à un client dont tu fatigues les reins ? Je songe à une paysanne et à sa cabane, à son enfant et au chien qui joue avec lui : trouves-tu mieux de léguer cela à un prêtre de Cybèle ? - " C'est vilain de demander comme tu fais ", dit mon homme. Mais c'est mon terme qui crie : " Demande " ; c'est mon esclave qui réclame, mon esclave aussi unique que l'oeil immense de Polyphème, lequel permit à Ulysse le stratagème de sa fuite ; j'aurai à en acheter un autre, car celui-là ne suffit plus, et il faudra nourrir les deux. Que faire, quand la bise soufflera ? Que dire, je te prie, aux épaules de mes esclaves pendant le froid de décembre, et que dire à leurs pieds ? Ceci peut-être : " Patientez, attendez les cigales ? " Enfin tu ne tiens pas compte, tu te moques, de tous mes autres services : à combien mets-tu le dévouement d'un client sans qui tu aurais une épouse toujours vierge ? Tu sais très bien ce qui s'est passé, tes prières incessantes, et tes promesses. Souvent ta femme voulut s'enfuir, mon étreinte l'a retenue ; elle avait rompu votre contrat, elle en signait déjà un autre ; il m'a fallu toute une nuit pour rétablir à grand'peine la situation, pendant que tu pleurais à la porte. J'ai le témoignage du lit, tu l'as aussi, car tu l'entendais craquer et les soupirs de la dame t'arrivaient à l'oreille. On a vu sous bien des toits de ces liens mal noués et près de se défaire resserrés par un amant. Quel faux-fuyant cherches-tu ? Par où vas-tu commencer et par où finir ? Il ne me revient rien, ingrat et perfide, pas un as, quand un petit garçon ou une petite fille te naît de moi ? Tu les élèves, tu es heureux de semer dans les actes publics les preuves de ta capacité virile. Couronne ta porte de guirlandes ; tu es père, nous t'avons donné de quoi répondre à la médisance. Tu jouis des droits de la paternité ; grâce à moi, tu pourras hériter et recevoir des legs, tu auras même l'agrément de ne pas perdre la portion caduque. Et combien d'autres avantages s'ajouteront aux biens caducs, si je complète la petite famille, si je vais jusqu'à trois ! - Juste indignation, Névolus. Mais Virron, que réplique-t-il ? 92-101. - Il fait la sourde oreille et s'est mis à la recherche d'un autre âne à deux pieds. Mais je ne me confie qu'à toi, sois discret. Motus sur mes plaintes, tiens-les bien cachées, car c'est péril de mort, la rancune d'un homme poli à la pierre ponce. A peine ai-je son secret qu'il brûle de haine, comme si je l'avais déjà livré. Saisir un poignard, m'ouvrir la tête à coups de bâton, mettre le feu à ma porte, il n'hésiterait pas. Le péril à mépriser et braver le moins, [9,100] c'est que pour pareil richard le poison n'est jamais trop cher. Donc, enferme mes confidences, comme on fait à l'Aréopage d'Athènes. 102-123. O Corydon, Corydon ! le riche être sûr d'un secret ! peux-tu le penser ? Quand ses esclaves se tairaient, ses chevaux parlent et son chien et sa porte et ses marbres. Ferme les fenêtres, voile toutes les fentes, bouche les serrures, éteins les lumières, fais sortir tout le monde, ne laisse personne coucher dans les pièces voisines ; eh bien tout de même, ce que le maître fait au second chant du coq, le cabaretier du coin le saura avant le jour, il apprendra en outre ce qu'ont inventé comme un seul homme le pâtissier, les chefs de cuisine et les écuyers tranchants. Qu'hésitent-ils, ces gens là, à raconter sur leurs maîtres ? Par combien de médisances ne se vengent-ils pas des étrivières ? Il n'en manque pas qui te poursuivront à travers les carrefours, malgré toi, et, pris de vin, te le souffleront dans ta pauvre oreille. Fais-leur donc ta recommandation, va leur demander d'être discrets. Mais voyons ! Ils ont plus de joie à trahir un secret qu'à s'abreuver de Falerne volé en faisant la pige à Sauféia quand il sacrifiait pour le peuple romain. Il faut vivre en homme de bien, pour de multiples raisons, mais dont la meilleure est qu'il faut pouvoir mépriser la langue d'un serviteur. Arrange-toi de façon à mépriser les langues de ton personnel. Et dis-toi bien qu'il n'y a pas pire que la langue chez un méchant esclave ; un être vaut moins encore cependant ; c'est le maître qui n'a pas son indépendance vis-à-vis de ceux qu'il entretient de son blé et de son argent. 124-129.- Bon avis, mais à l'adresse de tous. J'en veux un pour moi : que faire après ce temps perdu et mes espérances ruinées ? Car elle tombe avec rapidité, la fleur de l'âge, cette période si brève d'une vie limitée misérablement. On boit, on veut des couronnes, des parfums, des filles, et pendant ce temps voilà la vieillesse qu'on n'attendait pas. 130-134+(134a). Ne t'inquiète pas, un complice de plaisir jamais ne te manquera, tant que seront debout les sept Collines ; il nous en arrivera de partout, en voiture, en bateau, de ces débauchés qui se grattent la tête d'un seul doigt. L'espoir d'un avenir meilleur te reste : mâche seulement de la roquette. 135-150. - Garde ces promesses pour les veinards. Mais j'ai ma Clotho, ma Lachésis qui sont bien contentes, quand mon membre me donne le moyen de me remplir la panse. O humbles Lares, les miens, que j'ai l'habitude d'apaiser avec un grain d'encens, des gâteaux, une mince couronne, quand mettrai-je le grappin sur une chance qui puisse garantir ma vieillesse du grabat et de la béquille ? Vingt mille sesterces de rente bien gagée, des vases d'argent unis mais que le censeur Fabricus aurait notés, deux robustes garçons de la troupe mésienne qui me loueraient leurs épaules pour gagner ma place dans le cirque hurlant, et puis un ciseleur toujours sur sa tâche et un agile peintre de figures : voilà ce que je souhaite. Quand serai-je un pauvre ? Voeu pitoyable et que je ne fais même pas avec espoir ; car lorsque j'évoque pour moi la Fortune, elle se met dans les oreilles de cette cire empruntée au fameux navire dont les rameurs s'étaient rendus sourds pour échapper au chant des Sirènes.