[26,0] LIVRE XXVI. [26,1] Après la mort de Pyrrhus, des guerres sanglantes éclatèrent non seulement en Macédoine, mais dans la Grèce et l’Asie. La trahison livra le Péloponnèse à Antigone, et l'on vit de toutes parts les cités, selon qu'elles avaient redouté lés coups ou espéré l'appui de Pyrrhus, selon que la mort de ce prince leur inspirait la joie ou la douleur, s'allier à Antigone, ou s'attaquer et se combattre. Au milieu de ces désordres, Aristotime, le plus puissant citoyen d'Epie, usurpe la tyrannie dans cette ville : il fait massacrer beaucoup de principaux habitants ; il en bannit un plus grand nombre encore. Les Étoliens le supplient de rendre aux exilés leurs enfants et leurs femmes ; ils refusent d'abord ; puis, feignant d'y consentir, il permet à toutes les femmes de quitter la ville, et fixe le jour de leur départ. Celles-ci, se croyant à jamais exilées avec leurs époux, rassemblent toutes leurs richesses : réunies aux portes pour partir ensemble, elles sont saisies, dépouillées, jetées dans les fers ; les vierges sont déshonorées, les jeunes enfants égorgés sur le sein des mères. La ville consternée se taisait sous le joug de fer du tyran. Hellanicus le premier, citoyen vieux et sans enfants, n'ayant à craindre ni pour lui-même ni pour les siens, rassemble ses plus fidèles amis, et les exhorte à venger la patrie. Ils hésitent à exposer leurs jours pour le salut commun : ils demandent du temps pour délibérer. Alors le vieillard appelle ses esclaves, fait fermer ses portes, et ordonne d'instruire le tyran qu’'il peut envoyer saisir les conjurés rassemblés chez lui, leur disant à tous que puisqu’il les a vainement engagés à venger la patrie, il les punira de l'avoir abandonnée. Alors ceux-ci, menacés d'un double péril, préfèrent le plus glorieux parti, et jurent la mort du tyran. Ainsi périt Aristotime, après une domination de cinq mois. [26,2] Cependant Antigone, à la fois menacé par Ptolémée et par les Spartiates, et voyant sortir de la Gallo-Grèce un nouvel ennemi, lasse un faible corps de troupes pour contenir les premiers par l'image d'un camp, et marche avec toutes ses forces contre les Gaulois. Les barbares, instruits de son approche, se préparent au combat, immolent des victimes, et, consultant leurs entrailles, y trouvent le présage d'une affreuse défaite et de leur ruine entière. Remplis alors, non de crainte, mais de fureur, ils veulent, par le sang de leurs proches, apaiser la colère des dieux ; ils égorgent leurs enfants et leurs femmes, et préludent au combat par des parricides. Dans leur aveugle fureur, ils n’épargnèrent point cet âge que respectent même des mains ennemies ; et, faisant une guerre mortelle à ceux qui voient ordinairement entreprendre des guerres pour leur défense, ils massacrent sans pitié leurs enfants et les mères de leurs enfants. Comme si ce crime eût racheté leur vie et garanti leur victoire, tout couverts du sang des leurs, ils marchent au combat ; le succès répondit à de si affreux présages : Dans la bataille, ils sont assaillis par les furies vengeresses avant de l'être par l'ennemi ; les mânes de leurs victimes viennent épouvanter leurs regards, et ils périssent tous jusqu'au dernier. Dans ce vaste carnage, les dieux mêmes semblaient s'unir aux hommes pour exterminer ces parricides. Après ce combat, Ptolémée et les Spartiates, pour éviter l'armée victorieuse d'Antigone, se retirèrent dans de fortes positions. Antigone, témoin de leur retraite, et voulant profiter de l'ardeur qu'une victoire récente inspirait à ses troupes, tourne ses armes contre Athènes. Pendant qu'il poursuit cette guerre, Alexandre, roi d'Épire, voulant venger la mort de son père Pyrrhus, vient ravager la Macédoine ; et Antigone, forcé de quitter la Grèce pour aller le combattre, est abandonné de ses soldats, qui passent à l'ennemi ; il perd à la fois son royaume et son armée. Son fils Demetrius, encore fort jeune, lève des troupes en l'absence de son père, recouvre la Macédoine, et enlève même l'Épire à Alexandre. Tel était à cette époque le caprice de la fortune, ou l'infidélité des soldats, que les rois se voyaient tour-à-tour dans l'exil ou sur le trône. [26,3] Alexandre, qui s'était réfugié dans l'Acarnanie, fut rétabli sur le trône d'Épire, autant par le voeu de ses peuples, que par l'appui de ses alliés. Vers le même temps, mourut Magas, roi de Cyrène. Avant sa maladie, il avait fiancé Bérénice, sa fille unique, au fils de Ptolémée, son frère, pour terminer avec lui ses débats. Mais à la mort du roi, Arsinoé, mère de la princesse, voulant rompre un mariage conclu malgré elle, fit offrir à Demetrius, frère du roi Antigone, et né lui-même d'une fille de Ptolémée, la main de Bérénice et le trône de Cyrène. Demetrius part à la hâte, et, secondé par les vents, il arrive à Cyrène. Mais, fier de sa beauté, qui avait déjà séduit la reine, il se rendit bientôt, par son orgueil, odieux à la maison royale et aux soldats. Plus empressé de plaire à la mère qu'à la fille, il excita d'abord les soupçons de Bérénice, et souleva bientôt le peuple et les soldats. Tous se déclarent pour le fils de Ptolémée, et conspirent contre Demetrius : on envoie des assassins qui le frappent dans le lit de sa belle-mère. Arsinoé, entendant la voix de sa fille, qui criait à la porte qu'on épargnât sa mère, fit un instant de son corps un rempart à son complice. Enfin, il fut tué, et Bérénice, ayant, sans violer ses devoirs, vengé les désordres de sa mère, donna sa main à l'époux que son père lui avait destiné.