[2,1] CHAPITRE Ia. Licogène crut avoir remporté une grande victoire sur Méléandre, par la sortie de Poliarque hors de la Sicile. Ce jeune homme vif et capable de conseil, avait relevé le parti du roi par la grandeur de son génie et les factieux se flattèrent que sa mort ou du moins son absence rendrait leurs criminels desseins plus faciles a exécuter. Le bruit de sa mort ne dura pas longtemps, il n'était fondé que sur de simples soupçons ou sur ce qu'en avaient publié ceux qui y avaient intérêt. On disait hautement qu'Arsidas lui avait facilité les moyens de sortir de la Sicile pour plaire à Méléandre, et ce fut la première accusation que Licogène forma contre le roi. Des hommes subornés par ce rebelle répandirent parmi le peuple que Méléandre avait trahi sa foi d'une manière indigne d'un prince ; que, par son ordre, Poliarque avait tué ses députés; qu'il avait sauvé du supplice ce coupable, qui était passé en Italie, où il était en sûreté et où peut-être il méditait quelque entreprise pareille. Licogène semait ces bruits avec modération et seulement parmi ceux qu'il savait être ennemis de Méléandre. Ceux de sa faction prenaient un ton plus hardi et accusaient ouvertement Méléandre de perfidie. On cherchait matière à de nouveaux troubles. Méléandre ne manquait pas de gens, qui lui rapportaient les nouvelles de ces premières révoltes, il feignit de n'y pas faire attention afin que, sous ces dehors tranquilles, il put plus aisément tromper l'ennemi. En effet les extrémités où Licogène s'était porté contre lui, et la perte de ses états, qu'il voyait presque certaine, lui faisaient assez connaître l'unique parti qu'il avait à prendre. Il ne doutait point qu'Argénis n'y donnât son consentement ; il avait déjà eu des preuves de sa fermeté car, lorsque voulant lui faire des reproches sur l'interruption du sacrifice, il lui avait représenté que cette fatale circonstance servait peut-être de prétexte à Licogène pour rompre la paix qui y avait été jurée; il répondit d'un air assuré, "si dans cette occasion il y a eu quelque faute, c'est aux Dieux seuls que votre majesté doit l'imputer, il ne m'a pas été libre de rejeter ni même de contraindre l'inspiration violente dont je me suis agité. Au reste vous trouverez plus de personnes, qui seront surprises de la paix que vous venez de conclure, que vous n'en trouverez qui le soient de la manière dont les Dieux et moi nous y sommes opposés. Pardonnez-moi une liberté que votre seule bonté me fait prendre, il serait plus glorieux de mourir les armes à la main que de demeurer toujours exposé à l'insulte de vos sujets". Le roi excité par Argénis qui faisait voir un courage au-dessus de son sexe se détermina enfin à suivre le parti qu'il s'était proposé depuis longtemps. Il résolut de se retirer à Epeircté, lieu avantageux, soit qu'on eût une guerre à soutenir ou qu'on voulût ménager une fuite secrète. Il avait eu soin, sous différents prétextes, d'y faire transporter tout ce qui pouvait être nécessaire pour l'un ou pour l'autre.