[10,0] LETTRE X. A PAUL, VIEILLARD DE LA VILLE DE CONCORDIA. ÉLOGE DE SA VIEILLESSE. [10,1] La brièveté de la vie est la peine du péché et tant de personnes qu'une mort précipitée enlève souvent dès le berceau font assez voir que dans la suite des siècles, les hommes de jour en jour deviennent plus méchants et plus corrompus. Après que le premier homme, séduit par les artifices du serpent, eut été chassé du paradis terrestre, d'immortel qu'il était il devint sujet à la mort. Cependant, comme les hommes vivaient encore quelquefois plus de neuf cents ans, une vie si longue, qui pouvait presque passer pour une seconde immortalité, suspendit l'effet de la sentence qui les avait condamnés à mort. La corruption du siècle augmentant de jour en jour, l'impiété des géants attira sur la terre un déluge universel; depuis cette inondation générale, qui fut comme une espèce de baptême dont Dieu se servit pour purifier le monde de la corruption du péché, la vie des hommes fut bornée à un petit nombre d'années; mais peu s'en faut que nous n'ayons encore perdu, par notre désobéissance aux ordres du ciel, cette courte durée de notre vie. En effet, où trouver des hommes qui vivent plus de cent ans, ou à qui la vie ne soit à charge quand ils sont arrivés à ce grand âge, comme l'Écriture le remarque dans ces paroles du Psalmiste: « Les jours de notre vie sont bornés à soixante-dix ans ou à quatre-vingts tout au plus. Si on va au-delà, le reste de la vie se passe dans les peines et dans la langueur.» [10,2] A quoi bon, me direz-vous, prendre les choses de si haut, et pourquoi commencer par des récits si éloignés, qui pourraient donner occasion à des railleries piquantes où l'on appliquerait les paroles d'Horace : « il commence le récit de la guerre de Troye en parlant des oeufs de Léda? » (Horace, Art poétique, v. 145) Mais si je parle ainsi avec vous, c'est parce que j'ai dessein de faire l'éloge de vos cheveux blancs qui ressemblent à ceux que les prophètes ont donnés à Jésus-Christ dans leurs révélations. On vous voit arriver à l'âge de cent ans, et toujours exact à garder les commandements du Seigneur; vous goûtez par avance, dans une heureuse vieillesse, le bonheur de la vie future. Vous avez encore la vue bonne, la démarche ferme, l'ouïe subtile, les dents blanches, la voix éclatante, le corps sain et robuste, un visage vermeil qui ne s'accorde point avec vos cheveux blancs, une vigueur qui dément votre âge. Vos longues années n'ont point diminué, comme chez beaucoup d'autres, la fidélité de la mémoire ; et la froideur du sang ne vous a rien fait perdre de la vivacité de l'esprit. Les rides n'ont point flétri votre visage; votre front paraît tout uni; quand vous écrivez sur des tablettes cirées, vous le faites d'une main ferme, sans qu'on y voie des lignes de travers. Le Seigneur a voulu nous montrer en votre personne une image de la résurrection future, pour nous apprendre que les incommodités que souffrent les autres vieillards dans un corps tout usé et à demi mort sont la punition du péché; et qu'au contraire, cette fleur de jeunesse que vous conservez dans un âge si avancé est la récompense de la vertu. Il est vrai qu'on voit quelquefois des pécheurs qui jouissent dans leur vieillesse d'une parfaite santé; mais c'est le démon qui la leur procure pour les entretenir dans leurs désordres; au lieu que c'est le Seigneur qui vous accorde celle dont vous jouissez, afin de vous faire passer cette vie avec joie. [10,3] Les plus habiles orateurs, parmi les Grecs (dont Cicéron, dans son plaidoyer pour Flavius, a remarqué "la légèreté naturelle de l'esprit et la vanité de la science"), se faisaient payer pour des louanges qu'ils accordaient à leurs rois et à leurs princes; c'est ce que je fais aujourd'hui; car je prétends que vous me récompensiez aussi pour celles que je viens de vous donner. Et ne pensez pas que je me borne à peu de chose; je ne vous demande pas moins que la parole de l'Évangile, je veux dire les paroles du Seigneur, qui sont des paroles chastes et pures ... {passage qui n'a pas été traduit}.