[145,0] A EXUPERANTIUS. HOMME DE GUERRE. IL L'EXHORTE A MÉPRISER LES RICHESSES. En 372. [145,1] De tous les avantages que j'ai retirés de l'amitié qu'a pour moi notre saint frère Quintilien, le plus grand, à mon gré, est l'union de coeur et d'esprit qu'il m'a fait contracter avec vous sans vous avoir jamais vu. Qui pourrait en effet se défendre d'aimer un homme qui mène sous un habit de soldat la vie d'un prophète; et qui, malgré les engagements de « l'homme extérieur » tout occupé, ce semble, des choses du monde, conserve toute l'innocence de « l'homme intérieur créé à l'image de Dieu? » Aussi ai-je désiré entretenir une correspondance avec vous; et je vous prie de me procurer l'occasion de vous écrire plus souvent, afin que je puisse le faire avec plus de liberté. [145,2] Je me contente aujourd'hui de vous rappeler ces paroles de l'apôtre saint Paul : « Êtes-vous lié avec une femme, ne cherchez point à vous délier; êtes-vous libre, ne cherchez point de femme.» C'est-à-dire, ne vous engagez point dans un état qui vous prive de votre liberté ; ce qui fait voir que les engagements du mariage sont de véritables liens. Or être lié, c'est être esclave; être délié, c'est être libre. [145,3] Pour vous, qui jouissez de la liberté de Jésus-Christ; qui, sous les dehors d'une vie toute mondaine , remplissez tous les devoirs d'un véritable chrétien; qui êtes presque arrivé « au haut du toit, n'en descendez point pour prendre vos habits, ne regardez point derrière vous et ne quittez point la charrue après y avoir mis la main. » Suivez plutôt l'exemple de Joseph, et abandonnez comme lui votre manteau à une femme égyptienne, pour suivre tout nu le Sauveur qui dit dans l'Évangile : « Quiconque ne renonce pas à tout et ne me suit pas en portant sa croix, ne peut être mon disciple.» Déchargez-vous du pesant fardeau des biens de la terre, et ne cherchez point des richesses que l'Évangile compare à la bosse des chameaux. Élevez-vous au ciel dans un dépouillement et un dégagement parfait de toutes les choses du monde, de peur qu'accablé par le poids des richesses, vous ne puissiez arriver au comble de la perfection. [145,4] Si je vous parle de la sorte, ce n'est pas qu'on m'ait dit que vous soyez avare, mais c'est que je suis persuadé que vous ne continuez à porter les armes qu'afin d'amasser des biens dont Jésus-Christ nous ordonne de nous défaire. Vous savez. qu'il commande aux riches de vendre tout ce qu'ils, possèdent, d'en donner le prix aux pauvres et après cela de le suivre. Si vous avez du bien, vous devez vous soumettre à cette loi; si vous n'en avez pas, pourquoi chercher ce que vous serez obligé de distribuer aux pauvres ? Il est certain que Jésus-Christ nous tient compte de tout, quand il voit en nous un sincère désir de lui plaire. Jamais personne n'a été plus pauvre que les Apôtres, et cependant jamais personne n'a tant quitté qu'eux pour l'amour du Sauveur. Le Fils de Dieu préféra à tous les riches cette pauvre veuve de l'Évangile qui ne mit dans le tronc que deux petites pièces de monnaie, parce qu'elle donnait tout ce qu'elle avait. N'amassez donc point des biens que vous serez contraint de donner, mais donnez ceux que vous avez déjà amassés, afin que Jésus-Christ reconnaisse par là le courage et le zèle de son nouveau soldat. Que ce Père transporté de joie aille au-devant de vous lorsque vous reviendrez à lui d'un pays éloigné; qu'il ordonne qu'on vous habille, qu'on vous mette un anneau au doigt, qu'on tue pour vous le veau gras; et qu'il permette que, dégagé de l'amour du monde et des embarras du siècle, vous veniez bientôt nous voir avec notre saint frère Quintilien. Je vous écris cette lettre pour vous demander votre amitié; si vous voulez bien me l'accorder, je goûterai souvent avec vous le plaisir qu'il y a de s'entretenir avec ses amis.