[3,3] CHAPITRE III. Que la superbe est la racine des maux, et la concupiscence une lèpre universelle. L'orgueil est la racine de tous les maux, et la semence de la mort ; et partant de même que les petits ruisseaux se tarissent lorsque l'on en bouche la source, et que les branches flétrissent quand la racine est coupée, ainsi les vices mourront si l'on coupe la gorge à l'orgueil ; mais si l'on engraisse la racine les rameaux se provignent, et leur stérilité toute flétrie commence à reverdir. Si vous versez de l'eau dans la fontaine, ses ruisseaux grossiront, si vous jetez du bois dans le fourneau, l'embrasement s'accroîtra et le feu deviendra plus ardent. Ainsi si vous entretenez le venin de l'orgueil, qui est engendré de la corruption de la nature, vous ne pourrez pas empêcher quand vous le voudriez, qu'il ne s'attaque bientôt aux parties nobles. L'amour propre, qui n'est pas tant né avec tous les hommes que dans eux-mêmes, devient coupable dès aussitôt qu'il tombe dans l'excès, et s'oppose à la vertu, qui est bornée de certaines limites qui la tiennent dans la modération. Si vous les outrepassez vous êtes égaré, si cet amour prend force et accroissement n'espérez pas d'en guérir: c'est une lèpre plus incurable que la corporelle. Savez-vous pas que la corruption est une lèpre ? Demandez-le à Giezi : s'il a honte de vous en dire son sentiment, vous le convaincrez par les tâches qui difforment son corps. Mais pourquoi vous envoyer plutôt à Giezi qu'aux autres, comme s'il était seul atteint de cette maladie ; regardez tout l'univers il en est infecté. Je suis moi-même (si vous me le demandez) un de ces misérables. Certes la concupiscence est une malheureuse et pitoyable lèpre. Vous ne m'entendez peut-être pas, et n'ayant point d'infirmité, vous ignorez quelle est cette peste de concupiscence; vous êtes homme et n'êtes point infecté de cette contagion, il faut donc avouer que vous êtes au-dessus de l'ordinaire condition des hommes. Mais j'ai un témoin irréprochable dans le ciel avec lequel j'assure : "Que tous sont corrompus, ils ont été fait abominables ; il n'y en a point qui fasse le bien, il n'y en a qu'un seul"; êtes-vous celui-là, à votre avis. Je sais bien que ce n'est pas S. Paul, qui se voyant attaqué de cette peste, soupire s'écrie : "Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de la prison de cette mort". Je sais bien que ce n'est pas celui qui s'est abreuvé du torrent de la vérité dans le sein de la sagesse, puis qu'il assure "que tout le monde est infecté de ce poison et que tout ici-bas n'est que concupiscence des yeux, ou de la chair, ou que superbe de la vie". Qui lâchera la bride à cet amour doit craindre la lèpre et l'aveuglement dont elle le menace. S'il est donc vrai que ceux qui ne répriment point leur concupiscence, qui est la fontaine et la nourrice de tous les maux, souffriront la perte de leur salut, que deviendront ceux qui attisent ce brasier par la complaisance des flatteurs, et qui amassent des allumettes pour les vices? Que seront, ou plutôt que souffriront ceux qui détournent leurs oreilles de la vérité, qui ne ferment pas les yeux aux choses qui sont corruptibles, et qui les corrompent: mais, étendant leurs mains pour Ies recevoir, et pour en repaître tous leurs sens? En après, comme si chaque jour ne devait pas être content de sa malice, la tromperie de l'un attire la tromperie de l'autre (je me sers volontiers du mot de Terence) cependant que les flatteurs, les rapporteurs, les détracteurs, les ennuyeux, les ambitieux, les orgueilleux, les factieux, les superstitieux, les scélérats, les gâte-métiers, et gens de semblable étoffe, qu'il est plus aisé de raconter que de conter ; parce que tout le monde en est plein, s'assemblent d'un commun accord pour allumer les flammes de la concupiscence. Toutes les lois en veulent à ces boutefeux, tous les droits sont conjurés contre eux, et toutes les créatures s'armeront quelque jour pour leur faire la guerre, comme aux ennemis du salut public.