[1,13] CHAPITRE XIII. Des divers présages. Un consul Romain ne pouvant avoir aucun bon présage fit porter dans le chemin par où il devait passer des pigeons affamés et commanda qu'on semât des grains de froment devant eux, afin que par cet auspice il put se consoler de tous les mauvais qu'il avait eus. Mais après qu'on eût observé longtemps qu'ils ne touchaient point au grain, il les fit jeter dans la rivière, afin pour le moins qu'ils bussent, puisqu'ils ne voulaient pas manger ; ainsi ayant été noyés, ils furent un signe que le consul devait être noyé avec toute son armée par la rapidité du fleuve et de fait tel en fut l'événement. Les abeilles apporteront du miel sur les lèvres de Platon, pour présage de la douceur de son éloquence future. Hiéron, souverain de la Sicile, qu'il acquit par son mérite, ayant été exposé par son père, qui était homme de grande condition, parce qu'il était né d'une servante et qu'il lui semblait être une tache à la noblesse de sa maison, les abeilles au défaut du secours humain, amassèrent du miel autour de ses petites lèvres, dont ils le nourrirent plusieurs jours en suite de quoi il fut repris et soigneusement élevé par son père, conseillé par les Aruspices, qui l'assurèrent que ce présage promettait le royaume à son fils. Les fourmis apportaient de tous côtés des grains de froment dans le berceau du petit Midas ; ce qui lui fut un auspice des richesses qu'il posséderait, qui furent si grandes que les poètes ont feint que son attouchement changeait tout en or. La mitre qui tomba de dessus la tête de SuIpice, lui signifia la perte du Sacerdoce. Et, si vous croyez tous les contes, le cri d'une souris présagea à Fabius la perte de sa préfecture. Si dans le commencement de votre entreprise, vous trouvez vos habits rongés des souris, ne passez pas plus avant ; si en sortant vous marchez sur le seuil, ou si vous bronchez en chemin arrêtez-vous. Si sur le point de faire quelque chose vous recevez du dommage, différez ce que vous avez commencé, de peur que vous ne soyez frustré de toute votre intention ou qu'elle ne vous serve de rien quand elle s'accomplirait; attendez qu'un meilleur présage vous presente un temps plus heureux. Car toutes choses sont considérables si vous marchez, les oiseaux qu'ils appellent "Ominaux" vous prononceront quelque secret de l'avenir. Voulez-vous savoir quels ils sont ? ceux que les poètes disent avoir perdu la forme humaine pour prendre celle d'oiseau. Écoutez soigneusement la voix de la corneille, ne méprisez pas son assiette, soit qu'elle vole, soit qu'elle se repose. Il importe beaucoup si elle est du côté droit ou du gauche; considérez comme elle est posée au regard du coude de celui qui marche. Si elle est parleuse ou criarde ou du tout muette, si elle suit ou si elle précède ; si elle attend ou si elle fuit, et où elle s'envole. Virgile en parle : "Si la corneille gauche assise sur yeuse Ne m'eût fait terminer tous ces nouveaux procès Meris et Menalcas sans en voir le succès Auraient eu de leurs jours une fin malheureuse". {Virgile, Églogue, IX, 15-16} En quoi il semble avoir manqué contre les lois de l'art : car la corneille dont il parle, comme d'un oiseau qui conserve la vie, ne sert pas aux grands auspices. Si par une aventure extraordinaire il ne se faisait un signe en cet oiseau contre sa nature, tel que fut celui que donna la corneille du rocher Tarpeien sur la prochaine mort d'un méchant empereur, qui était si nécessaire et si souhaitée, lorsque marchant par la ville elle dit en Grec, tout ira bien; ce que l'augure interpréta ainsi : "La Corneille parlant du rocher Tarpeien, N'a pu dire tout va, mais tout ira fort bien". {Suétone, Vie de Domitien, XII, 23} Mais vous pardonnerez à un si savant homme, qui a voulu exprimer la simplicité rustique, ou qui peut-être l'a fait exprès, par cette raison que la vie des pauvres semble de peu de conséquence aux riches. Le corbeau que vous devez aussi considérer attentivement donne des auspices pour de plus grandes choses, et est toujours plus important que la corneille. Ensuite "Le Cygne aux Mariniers esi d'un heureux auspice". Comme un oiseau qui ayant grande familiarité avec les eaux, doit connaître leurs secrets. Savez-vous pas que dans Virgile six cygnes s'égayant dans l'air {Virgile, L'Énéide, I, 393} annoncèrent à Enée le retour de sa flotte, selon l'interprétation de Venus. Car leur gaieté ne présage seulement pas aux matelots, mais encore à tous les voyageurs la faveur d'un bon événement, s'ils ne sont battus par la rencontre de quelque oiseau plus fort. Car l'aigle, comme il est le roi des oiseaux, si vous en exceptez l'Alérion, qui est la plus puissante espèce d'aigle, annule par son autorité royale la créance qu'on doit à tous les autres. Ainsi dans Stace l'armée des Grecs eût pu s'assurer sur l'auspice d'une bande d'oiseaux, si une autre plus forte venant de la mer, comme leur explique Amphiaraus, n'eût préfiguré leur ruine. {Stace, La Thébaide, III, 500 sqq.} Car quoique l'aigle cède en force à quelque autre, il ne cède pourtant à pas un dans la certitude de la divination, parce qu'il a le vol meilleur que tous les autres, et que Jupiter l'admet dans sa confidence. Davantage, il a la vue si forte, que d'auprès des nues il aperçoit des petits poissons dans le fonds de la mer et peut arrêter son regard sur le Soleil, ce qui n'est permis a pas un autre animal; c'est pourquoi par la subtilité de sa vue et par la faveur de Jupiter, il a obtenu la préscience des choses cachées et mystérieuses. Car qui oserait accuser de fausse interprétation celui qui entre dans le conseil de Jupiter ? Un aigle survenant au milieu de la bataille donna la victoire aux Locriens contre les Crotoniates, là où une petite poignée de gens défit une grande armée. Ce présage fut renforcé par un plus grand, car deux jeunes hommes en habit blanc, de belle taille et d'une rare beauté, marchèrent devant les Locriens des deux côtés de leur armée. La commune opinion crut que c'étaient Castor et Pollux. {Justin, L'Histoire universelle, XX,3} Tous les auspices quand ils sont doubles sont plus puissants. Un Aigle s'assit à l'improviste sur le bouclier d'Hiéron durant ses premières guerres ; ce qui dénota qu'iI serait homme d'exécution et qu'il monterait sur le trône. Le jour de la naissance d'Alexandre deux aigles se perchèrent un jour tout entier sur le faîte de la maison de Philippe, ce qui lui promettait un double empire de l'Asie et de l'Europe. Les vautours signifient peines et rapacité, comme vous le voyez dans l'origine de Rome. Le Phoenix promet une grande félicité; ainsi la nouvelle Rome fut bâtie sous de bons auspices, parce qu'on vit un Phoenix. L'oiseau Picta donna le nom à la ville de Poitiers, qui préfigurait par sa couleur et par sa voix la légèreté de cette nation. Le héron en latin Ardea est auspice des choses ardues, difficiles. La cigogne qui est oiseau de paix, rencontre la concorde ou la promet. La grue apporte toujours ce qui est utile : d'ail vient le vieux mot latin "gruere", qui a pour composés "congruere" convenir et "ingruere" nuire, comme vous le voyez par ce vers, "Bis uitibus ingruit imber". "Deux fois leur ombrage menace les vignes". {Virgile, Les Géorgiques, II, 410} Ne méprisez pas aussi les plus petits; car la pie babillarde vous doit rendre plus avisé et circonspect en plusieurs choses, principalement en la réception des hôtes. Si l'oiseau qu'on appelle Albanellus traverse votre chemin de gauche à droit, ne doutez pas qu'on ne vous fasse bonne réception ; s'il passe de droit à gauche, attendez tout le contraire. Les oiseaux domestiques ne sont pas rejetés de cette divination : le chant du coq doit confirmer l'espérance de ceux qui commencent quelque ouvrage en quelque voyage. Livie étant grosse de Tibère prit un oeuf de dessous une poule, qu'elle échauffa si longtemps dans ses mains et dans celles de ses suivantes, qu'il en sortit un coq avec une fort belle crête. D'où les augures promirent l'empire à l'enfant dont elle était grosse. Le hibou, la frefaye et le chathuan n'ont jamais que de malheureux auspices. Le chathuan pourtant, parce que les ténèbres de la nuit ne l'aveuglent pas, signifie diligence et vigilance; comme on le vit dans l'augure de celui, qui s'assit sur le javelot d'Hiéron, pour montrer qu'il serait fort diligent. Didon dans les embrassements d'Énée reconnut son malheur par l'hurlement d'un hibou. Si un épervier, ou quelque oiseau de proie fait quelque prise à la vue d'un voyageur, il est menacé de voleurs dans son chemin. Ovide fait allusion à cela en se moquant : "Nous fuyons l'épervier qui vit toujours en guerre". {Ovide, L'art d'aimer, II, 147} Le Roitelet ne laisse pas quelquefois d'annoncer des vérités et les oisillons par leur fuite ou par leur approche présagent l'accroissement ou la diminution d'une famille. Pour le vol de tous oiseaux, tant plus il est paisible et serein, tant plus il est louable. Voilà pourquoi cet augure ci-dessus nommé se plaint â Mélampe et conjecture la déroute des Grecs. "Vois qu'aucun des oiseaux ne tient son vol paisible". {Stace, La Thébaïde, III, 503-504} Vous considérerez aussi les bêtes touchant votre voyage. La rencontre d'un lièvre s'il vous échappe est à craindre, car assurément il est meilleur dans un plat que dans un chemin. Faites fête à un loup si vous le rencontrez, car il porte bonnes nouvelles ; encore que sa vue soit nuisible à celui qu'il regarde le premier et qu'il hume la voix par son haleine : "Méris n'a plus de voix, C'est que le loup l'a vu le premier dans le bois". {Virgile, Églogue IX, 53} Hiéron de Sicile était â l'école qui écrivait avec son stylet parmi ses compagnons, lorsqu'un loup parut au milieu de tous ces enfants qui lui ôta ses tablettes, lui donnant par cette espèce de prodige inouï des assurances de bonheur. Outre cela l'on ne doutera point de la vertu du loup, si l'on se souvient que les Romains ont été nourris du lait d'une louve. D'où vient que la plus grande douceur qui soit parmi ce peuple tient encore de l'humeur de loup, et que les premiers d'entre-eux s'entregardèrent la foi qu'ils avaient sucée d'une telle mère et la transmirent à leurs descendants par droit de nature. Vous irez au devant des brebis avec joie mais évitez les chèvres. A quoi Virgile fait allusion : "Gardez-vous de ce bouc, sa corne est dangereuse". {Virgile, Églogue IX, 25} La rencontre des boeufs qui tournent la meule est agréable, mais encore plus de ceux qui labourent et ne vous fâchez pas s'ils rompent le chemin, car le retardement que cela signifie sera récompensé par le bon traitement qu'on vous fera. Le mulet dl de mauvais augure. L'âne est inutile, quoique d'ailleurs il serve beaucoup au moulin. Le cheval est quelquefois bon, mais pour moi je n'y trouve rien de meilleur que les services qu'il rend dans les commodités de la vie, il signifie querelles et combats, ce qui est adouci quelquefois par le poids qu'il a, ou par l'usage dans lequel on le trouve. Anchise voyant des chevaux blancs aussitôt qu'il eut découvert l'Italie, s'écria : "Tu prépares, ô Terre, aux pauvres Phrygiens une sanglante guerre". {Virgile, L'Énéide, III, 539} J'aime mieux qu'on serve sur la table un cerf, un chevreuil, un sanglier, ou un âne sauvage, que non pas qu'on l'oppose dans le chemin. Énée, ayant terrassé autant de cerfs qu'il avait de navires, convertit à son profit le danger de ce présage qui lui semblait contraire. Un chien suivant est fort commode ; l'ange de Tobie, si la tradition des Hébreux en est crue, n'en eut pas la compagnie désagréable. Que dirais-je de ce que Cyrus, exposé par sou pere, fut élevé par une chienne pour parvenir un jour l'empire des Perses. La sauterelle, quoiqu'elle n'ait pas grand pouuoir, traverse pourtant les desseins de ceux qui cheminent, appelée peut-être "locusta", parce qu'elle les fait "loco stare", c'est-à-dire, arrêter ceux qui marchent. La cigale au contraire doit avancer le pas du voyageur, et rendre 1'événement plus joyeux. L'araignée qui tire son fil de haut en bas apporte espérance d'argent. Le crapaud présage bonne issue; mais pour moi je n'en saurais seulement supporter la vue. Mais il n'y a rien de plus puissant, rien de plus efficace, rien qui assure mieux la verité pour les présages que l'homme. Si vous exercez donc cet art exactement, remarquez attentivement la condition de celui que vous rencontrez, les dons qu'il a de nature, sa posture, son geste, son mouvement et le sens de ses paroles. Ils disent que c'est malheur de rencontrer un prêtre ou un moine. Et je crois qu'il est dangereux d'aller non seulement contre un ecclésiastique, mais encore contre un homme sage. Il est encore meilleur de rencontrer des gens de basse condition comme des valets, que des seigneurs et des gens de marque. Prenez aussi pour malheur une femme qui va nue tête, si, comme dit Pline, elle n'est publique ou prostituée à plusieurs, car en effet, il n'est pas bon de trouver une femme qui "ôtant sa coiffure n'a point de honte de déshonorer son chef". Vous connaîtrez quelle sera la suite de l'affaire que vous entreprenez par les paroles que vous entendrez au commencement de votre entreprise. "Le Dieu dont le savoir guérit le genre humain, Courbé sur un bâton qu'il tenait en sa main : Toute chose, dit-il, quand elle est bien conçue Dans son commencement présage son issue Sa voix nous étonna, l'augure qui l'entendit, Par le premier oiseau le succès nous prédit". {Ovide, Les fastes, I, 177-179} Tels sont les pronostics du futur. Petilius, consul Romain assiégeant un château en Sicile, qui s'appelait "Letum", qui signifie mort, dit à ses soldats : "Aujourd'hui je prendrai Letum", ce qui arriva par hasard, car il fut tué le même jour. Un autre consul, destiné du Sénat pour la guerre contre Persès, demanda à sa petite fille qu'il trouva pleurant à l'entrée de sa porte le sujet de son affliction ; elle lui répondit que Persès était mort, c'était un petit chien. {cfr. Cicéron, De la divination, I, 46} Il partit pour aller en Macédoine, où le présage de sa petite fille fut véritable, car il vainquit le roi Persès duquel il triompha. On tire aussi des auspices de la disposition du temps et des éléments. Une douce rosée ou un peu de pluie amollit la dureté d'une mauvaise fortune. Un temps qui se prépare à la pluie et un air un peu humide félicite le succès d'un ouvrage, s'il en accompagne le commencement. Quand la fortune, qui durant un long temps avait regardé les Troyens d'un oeil d'ennui, jeta sur eux comme d'une échauguette des rayons de pitié, "Un brouillard s'éleva sur la tête d'Énée", {Virgile, L'Énéide,III, 133} Venus préparant à son fils une réception chez la reine de Carthage, l'enveloppa dans le voile d'une nuée avec son confident Achates, pour l'introduire dans le Palais et dans l'esprit de Didon. Les t6nnerres ont aussi diverses significations, car s'ils apportent dommage ils sont malheureux. Virgile : "Nos chênes par l'éclat du foudre renversés Si je l'eusse entendu le prédisaient assez". {Virgile, Églogue, I, 16-17} Il faut aussi encore remarquer, s'il est descendu tout droit ou en tournoyant, s'il a fendu l'air en beaucoup d'endroits et s'il a jeté du feu par plusieurs côtés. Car cela est un triste présage quand César prépara la guerre contre sa patrie. Les histoires ne peuvent assez raconter combien l'air fut troublé de tonnerres et de tourbillons de feu; combien y parurent de lances et de poutres embrasées. On vit : "Des astres inconnus dans des nuits plus obscures". {Lucain, La guerre civile, I, 526} Si le foudre n'est point mêlé avec la tempête, et s'il éclate à côté gauche, il annonce l'assistance des Dieux. Énée ayant entendu tonner Jupiter à gauche espère qu'il le favorisera, après qu'il lui aura offert des sacrifices. Mais de quelque sorte que ces choses aillent, la crainte naturelle qu'en ont les hommes doit être amoindrie, s'ils considèrent que personne n'est frappé du tonnerre s'il en a entendu le choc, ou vu l'éclair auparavant. Tibère qui tremblait de peur au moindre éclat du tonnerre, se couvrait la tête d'une couronne de laurier, quand l'air commençait à se troubler parce qu'on dit que les branches de cet arbre ne sont jamais touchées du foudre. Il y a bien un autre remède pour s'assurer contre ce danger, il faut que nous portions la foi de la croix dans notre cœur, la justice de la foi sur notre tête et que notre main innocente et pure nous marque sur le front le signe de la passion de Jésus-Christ, ayant toujours devant les yeux ce qu'il dit à ses fidèles pour leur ôter toute crainte: "N'ayez nullement peur des signes du ciel qui font trembler les gentils car je suis avec vous, moi le seigneur votre dieu". Ces paroles prononcées ou écoutées durant le tonnerre, ont empêché, comme on dit, que quelques-uns n'en fussent blessés. Mais rien n'ébranle si fort un homme durant cette épouvante qu'une conscience blessée et qui croit qu'à chaque moment le ciel lui demande le paiement de ses crimes : ce sont ces scélérats "Qui pensent que le ciel leur déclare la guerre, Et qu'il doit a tous coups leur lancer le tonnerre". {Juvénal, Les Satires, XIII, 223} Au contraire le juste demeure assuré comme un lion et rien ne le peut ébranler. Une lueur de feu qui ne fait point de dommage présage une gloire célèbre, et quoiqu'elle ne brûle pas, elle n'est pas moins de feu si l'on en croit Platon. Car il y a, ce dit-il, deux espèces de feu, l'une qui dévore et qui consume, l'autre qui lèche avec une lumière innocente. Il croit que la dernière est celle qui agit dans les corps supérieurs. Un feu du ciel éclaira Ascanius, compagnon de la fortune de son père, comme s'il eût eu la tête embrasée; ce qui lui présagea un grand bonheur dans sou bannissement et lui promit une lignée qui devait prospérer. La gloire d'Alexandre et d'Auguste fut présagée par le feu qui parut à leur naissance. Le vent qui souffle derrière ceux qui vont à une expédition, rend l'événement bien fortuné car il témoigne en poussant les enseignes contre les ennemis qu'elles triompheront mais s'il les repousse du côté de la patrie, elles doivent être le sujet d'une juste crainte. La terre n'est pas exempte de ces mystères mais elle ne donne que des signes de grands poids, parce que, étant fondée sur sa fermeté, elle aime mieux se reposer que se remuer; lorsqu'elle pousse des mugissements, elle lamente quelques fâcheuses aventures et proteste par la tristesse de sa voix avec combien de peine elle compatit aux malheurs de ses enfants car elle est la grande et charitable mère de tous les humains. Elle avait voulu dissuader Didon des embrassements d'Énée, mais parce que Venus, qui l'avait disposée à le recevoir, s'était saisie de son esprit, la terre témoigna par son mugissement l'amertume de son coeur, car c'est ainsi qu'elle soupire. Cette bonne mère toutes les fois qu'elle tremble avertit ses fils de quelque accident sinistre, si ce n'est peut-être qu'elle soit à cette heure là en travail d'enfant, et pour lors elle avorte ou produit un fruit inutile, parce que le plus souvent "La grossesse des monts produit une souris". {Horace, L'art poétique, 139} Voilà les belles observations que plusieurs étudient exactement; au reste, il y a tant de ces bagatelles, "Que le plus grand parleur enfin s'en lasserait". {Horace, Les Satires, I, 1, 14} et si quelque famille s'y arrête, je ne pense pas que le salut même la puisse sauver.