[1,7,0] CHAPITRE VII. De la dissemblance d'Augustin et de Néron pour la musique. [1,7,1] Comme Auguste un jour jouait du tabourin en un banquet, un soldat dit par reproche : "Voyez-vous que cette main qui doit régir l'univers remue bien les doigts sur cet instrument". Auguste frappé de ce brocard défendit dès lors un si vain passe-temps à ses yeux, à ses mains et à sa bouche, et depuis on sut toujours bon gré à ce soldat. Mais Néron le plus abominable non pas des empereurs mais des hommes, se plut tellement à la douceur de sa voix, qu'il s'abstenait des fruits et des viandes qui la pouvaient gâter et se purgeait souvent par lavements et par vomitoire et tenait, par l'avis de ses médecins, une plaque de plomb sur son ventre quand il était couché. [1,7,2] Il était si ravi de son chant, qu'une fois un tremblement de terre ayant ébranlé le Théâtre, il n'en voulut point sortir qu'il n'eût achevé. Il n'était permis à qui que ce fût, de sortir durant qu'il chantait; ce qui causa que plusieurs, ennuyés de l'écouter, firent les morts pour se faire emporter. Il n'appelait jamais ses soldats que par la voix d'un autre, et ne faisait rien ni par jeu ni sérieusement, qu'il n'eut à ses côtés un chantre, qui l'avertissait d'épargner ses artères. [1,7,3] Il était au reste si curieux d'instruments, qu'il portait envie à ceux qui les savaient toucher et faisait gloire d'être appelé joueur de harpe, sur quoi Juvénal a dit : "Né sous un Empereur qui fut bon violon, Il doit assurément danser le Pantalon". {Juvénal, Satires, VIII, 198-199} Dans cette grande charge il se rendit ennemi mortel de toute gravité, [1,7,4] il persécuta la Philosophie, comme ennemie de la Majesté de l'Empire, et craignit si fort les esprits sérieux, qu'il se rangea sous la tutelle des Bateleurs, dont il exerça le métier infâme : c'est ce que lui reproche le poète : "Un farceur donnera ce que les Grands ne peuvent". {Juvénal, Satires, VII, 90} Mais étant le plus avare des mortels, jamais il ne donnait de charge qu'il n'ajoutât : "sais-tutu de quoi j'ai besoin", ou cette autre : "qui gouverne tout a besoin de tout"; et cependant il jetait à pleines mains à ses Bateleurs des sommes excessives, des charges et des honneurs plus ou moins, selon l'estime qu'il en faisait, honorant les uns du nom de Patrice, les autres de celui de Sénateur, [1,7,5] ou de quelque autre titre remarquable.