[4,7] CHAPITRE VII. Qu'il doit apprendre à craindre Dieu, à être humble, de sorte qu'il ne soit pas objet au préjudice de l'autorité publique, que des préceptes les uns se peuvent lever, et les autres non. Le texte continue "afin qu'il apprenne à craindre le Seigneur son Dieu et à garder ses paroles qui sont commandées dans la loi". Voilà la raison pourquoi les rois doivent lire la loi chaque jour, afin qu'ils apprennent; car un homme qui la lit soigneusement et avec respect, en est le disciple, et non pas le maître. Il ne la violente pas pour la ployer à sa fantaisie mais accommode ses propres sentiments au vrai sens, et à l'intention qu'elle lui fait connaitre. Qu'apprend donc ce disciple: à craindre le Seigneur son Dieu, il apprend une belle science parce que la sagesse, dont la crainte du Seigneur est le commencement, fonde et affermit la principauté. Et par ainsi celui qui n'est pas encore parvenu à ce premier degré de la crainte, aspire en vain à la grandeur de la principauté légitime, je dis légitime, d'autant que Dieu a dit, parlant de quelques- uns, qui s'élevant à cette dignité sont rejetés, et le doivent encore être plus malheureusement après leur malheureux règne, "Ceux-là ont régné, mais non pas de ma part. Ils ont été princes, et je l'ai ignoré". Une autre fois il se plaint que ceux qui tiennent la loi ont ignoré la sagesse. Que le prince donc craigne le Seigneur, et que par une prompte humilité d'esprit, et par une pieuse offrande de bonnes oeuvres il se porte pour son serviteur, il doit vivre en cette qualité, puisque le Seigneur est Seigneur du serviteur, il le fera s'il emploie ses services pour la conservation de ses sujets, qui sont ses confrères. Il faut qu'il connaisse que son Seigneur est Dieu, dont la majesté demande autant de crainte aux hommes, que sa bonté leur demande d'amour. Il est père, quelle créature à cause de ses infinies obligations lui peut denier de l'amour. Si, dit-il, je suis Seigneur, où est le respect qu'on me porte, si je suis père, où est l'amour qu'on me doit. Il est obligé outre cela de garder les paroles de la loi, qui monte heureusement à la perfection par le premier degré de la crainte comme par l'escalier des vertus. La crainte de Dieu est la plus sûre garde des lois, a cause qu'elle contient toute la sagesse. Mais le serviteur qui craint son seigneur sans doute se comportera sagement : "Qui aime la justice l'appréhendera, et pour lors elle viendra au devant d lui comme ferait une mère qu'on aurait honorée. Mais quelles paroles gardera-il si étroitement? Sans doute celles qui sont portées dans la loi de telle sorte que le juge n'en doit pas laisser tomber a terre un seul iota, ni un seul point sans le recevoir dans ses mains, ou dans celles de ses sujets. Or entre les lois quelques-unes de toute éternité portent obligation et sont d'égale nécessité chez tous les peuples sans pouvoir être impunément contredites pour quelque occasion que ce soit. Par exemple, devant la loi, sous la loi, et dans la grâce, tous les hommes sont astreints à ce commandement: "Ne fais point à autrui ce que tu ne voudrais point qu'on te fît, et fais aux autres ce que tu voudrais qu'ils te fissent". Paressez un peu ici pernicieux esprits qui ne pouvez assez donner à la grandeur des princes, murmurez, ou si vous aimez mieux, prêchez hautement que le prince n'est point sujet à la loi mais que tout ce qui lui plaît soit, que le droit et les formes de l'équité l'approuvent ou non, doit passer pour une loi inviolable. Pour les faire rois rendez les hommes dérèglés en les voulant tirer de dessous la règle de la loi; pour moi quelque effort que fassent les flatteurs eussent-ils bondé tout le monde contre moi, j'assure que cette loi oblige les princes, et je sais bien que c'est un arrêt de celui, qui ne trompe ny n'est trompé jamais, que vous serez jugés du même jugement que vous jugerez les autres. Et sans doute on jugera rigoureusement ceux qui auront commandé, "la mesure étant trop pleine et trop pressée, jusqu'à s'écouler par dessus les bords, sera renversée dans leur sein". Je n'ôte pas pour cela aux puissances souveraines le pouvoir de dispenser des lois, mais je dis qu'il ne faut pas soumettre à leur discrétion les choses qui sont défendues ou commandées pour toujours. Il est vrai que celles qui peuvent être remuées admettent une interprétation, mais il faut qu'elle soit telle que l'intention de la loi soit conservée en son entier par la compensation de quelque honnêteté, ou de quelque notable profit. "Et que son coeur", continue l'écriture, "ne s'élève pas en orgueil sur l'es frères". Elle répète souvent ce point conme le plus nécessaire. Il sernble qu'on ne saurait assez recommander l'humilité aux princes, il est bien difficile- qu'un si grand honneur ne donne de l'orgueil à un esprit s'il ne s'en défend pas. "Dieu résiste aux superbes et fait grâce aux humbles". Et partant un saint prince à bon droit fait prière à Dieu que "le pied de la superbe ne s'approche pas de lui, parce qu'il a fait tomber ceux qui commettent des iniquités, ils ont été poussés et n'ont pu se tenir debout". Que le Souverain ne s'enorgueillisse donc pas sur ses frères, mais quand il se souviendra qu'ils sont véritablement tels, qu'il leur distribue à tous une affection fraternelle. Et certes l'écriture a sagement ordonné: aux princes l'humilité avec la charité et la discrétion, parce que les vertus sont les arcboutants de la principauté. Et par ainsi, quiconque affecte sa propre grandeur, doit chérir l'humilité dans ses actions, comme au contraire ceux, qui s'éloignent de l'humilité, sont poussés en bas du plus haut de leur grandeur par le poids insupportable de l'orgueil : il sera toujours vrai que "celui qui s'abaisse sera élevé et que celui qui s'élève sera abaissé" La superbe fit que Tarquin fut le dernier roi de Rome et l'humilité lui substitua des magistrats plus nécessaires. Dites-moi quel prince superbe a régné longtemps, pour moi je vois que les histoires sont pleines de ceux que l'orgueil à précipités. Mais d'autre côte qu'il prenne garde en évitant l’orgueil, de ne pas tomber en mépris et qu'il connaisse que l'abaissement dans un prince est presque aussi dangereux que la superbe. Le droit Romain y a mis ordre en commandant à celui qui rend la justice de se montrer de facile abord, mais de ne souffrir pas qu'on le méprise. On lit aussi dans les ordonnances des empereurs "Que les gouverneurs des provinces n'admettent pas en trop grande familiarité les sujets de leur gouvernement, parce que d'une conversation égale procède bien souvent le mépris de la dignité". Que le prince fasse donc en public honneur à la majesté du peuple et que chez soi il mesure l'état de sa condition privée. Les anciens philosophes nous l'ont enseigné en cette sorte, comme vous le verrez par cet exemple. Le gouverneur de l'île de Crète et son père, homme privé, allèrent un jour à Athènes pour voir le philosophe Taurus et conférer avec lui. Il se leva tout doucement à leur entrée et fit apporter un siège qui était là, pendant qu'on allait en quérir d'autres. Le philosophe donc pria le père du gouverneur de s'assoir, mais le père s'en excusa disant que celui-ci, (il montrait son fils), qui est magistrat du peuple Romain, prenne place le premier. Non, non, dit Taurus, asseyez-vous toujours en attendant que nous examinerons cette difficulté de préséance, et que nous regarderons s'il faut que vous soyez assis le premier vous qui êtes son père, ou lui qui est votre fils et magistrat du peuple Romain. Comme le père se fut assis et qu'on eut apporté un autre siège au fils, Taurus commença d'entretenir la compagnie sur ce sujet, balançant judicieusement le bon, l'équitable, les honneurs et les devoirs. Le contenu de son discours était tel : Que les droits des pères se reposent parfois et cessent, dans les lieux et dans les charges publiques, auprès de ceux de leurs fils qui sont en charge; mais que hors l'exercice de leur emploi dans les actions de la maison et de la vie privée, pour le siège, pour la promenade dans un souper ordinaire, les honneurs publics n'ont point de lieu entre le père et le fils et pour lors que les droits de la nature reprennent leur première force. Mais cette visite, ajouta le philosophe, dont vous m'avez honoré et la conférence que nous faisons des devoirs ne sont qu'une action privée. Et par conséquent vous qui êtes père jouissez le premier de ces honneurs desquels vous devez jouir en votre rnaison. J'estime donc que les magistrats doivent tenir pour maxime générale que dans la splendeur de la dignité publique, ils se doivent souvenir de leur propre condition, et la considérer néanmoins tellement qu`elle ne rabatte rien de leur autorité, et d'autre part, conserver l'honneur de leur charge, en telle façon qu'ils n'ôtent rien de celui des autres, et qu'enfin chacun tienne le rang- de sa condition privée sans faire tort à la puissance publique.