[[3,15] CHAPITRE XV. Qu'il est permis de flatter celui qu'il est permis de tuer. Que l'usurpateur est un ennemi public. 1. Néanmoins à qui doit-on cette huile du pécheur que l'exemple des rois fidèles abhorre si fort et que la parabole évangélique envoie acheter aux vierges folles qui sont excluses du banquet ? à celui sans doute qui s'est plongé dans les boues et qui par le juste jugement de Dieu s'y enfonce encore davantage, cherchant de l'éclat dans l'opinion du vulgaire, plutôt que du feu dans l'ardeur de la charité et des oeuvres qu'elle produit. Les lettres profanes nous enseignent qu'il faut observer une autre précaution avec un tyran qu'avec un ami. 2. Et véritablement il n'est pas permis de flatter un ami mais il est bien permis de chatouiller les oreilles d'un tyran, puisqu'il ne doit pas être défendu de flatter celui qu'il est permis de tuer mais il n'est pas seulement permis mais encore équitable et juste de tuer un usurpateur, vu que celui qui prend l'épée est digne de périr par l'épée. Mais qui la prend ? celui qui s'en saisit par sa propre témérité, sans avoir reçu de Dieu la puissance de s'en servir. 3. Certes quiconque reçoit la puissance de Dieu, se soumet aux lois et devient serviteur de la justice et du droit, mais au contraire celui qui l'usurpe foule le droit aux pieds et rend les lois esclaves de sa volonté. Le droit prend donc justement les armes contre celui qui désarme les lois et la puissance publique s'élève contre un homme qui veut ravir tous les droits à la main publique. S'il est vrai que de tous les crimes de lèse-majesté il n'en est point de plus grand que celui qui se commet contre le corps de la justice, par conséquent le tyran n'est pas seulement un crime public, mais s'il se peut dire plus que public. 4. Car si le crime de lèse-majesté peut être justement poursuivi par toutes sortes de personnes, à combien plus forte raison le doit être celui qui opprime les lois, qui doivent régner sur les rois mêmes. Il n'est point de bon citoyen qui ne doive prendre vengeance d'un ennemi public, et quiconque ne lui fait pas la guerre s'offense soi-même et tout le corps de la république humaine.