[2,22] CHAPITRE XXII. Que du possible ne suit point l'impossible, et que le souverain qui voit toutes choses connaît ce qui suit nécessairement et de quoi il suit. Vous me presserez peut-être ainsi, si quelque chose qu'il a prévue n'advient pas, l'ayant déclarée par quelque signification certaine, comme que la pierre retombera en terre, sa disposition est trompée donc, puisque la pierre peut ne pas retomber. Vous me donnez à choisir l'un des deux, dont pas un communément n'est approuvé. Ou que j'avoue que la providence se trompe, ce que la foi ne souffrira point, ou que l'impossible adviendra du possible par une vraie conséquence, ce qui est ridicule. Voilà de l'embarras de tous les côtés : d'une part il ne faut pas rabaisser la grandeur divine, de l'autre les crieries et l'opinion de tant de monde si communément reçue me font bien de la peine mais puis qu'il vaut mieux tomber dans la censure des hommes que dans l'impiété, si je ne puis éviter l'un et l'autre, j'aime beaucoup mieux être estimé ridicule qu'infidèle ; car tous encore ne croient pas que l'impossible ne suit point du possible: parce que quelques-uns l'admettent, je leur laisse à examiner s'ils le font avec raison. Mais personne bien sensée ne recevra que le faux suive du vrai; car le vrai suit du vrai et du faux, mais du vrai il ne suit que le vrai. Semblablement le possible suit du possible et de l'impossible, non pas toutefois de tout impossible tous impossibles, si vous n'êtes autrement persuadé par ceux desquels, si toutes les propositions sont vraies, d'un impossible s'ensuivent tous les impossibles et d'un faux tous les faux. Que si vous aviez tiré d'un vrai un faux je me plaindrais à bon droit, et selon le sentiment de tous les philosophes qu'on m'aurait éloigné du chemin de la vérité. Je ne suis pourtant pas si fort empêtré de toutes ces objections, que je veuille défendre par ma seule témérité ce qui n'a point de probabilité, quoique peut-êre je ne manquerais pas de compagnons dans mon erreur. J'aime mieux avec les Académiciens, si je n'ai point d'autre chemin de m'évader, douter de tout que de prononcer par une pernicieuse simulation de science ce qui est caché et inconnu principalement en une chose où j'aurais tout le monde bandé contre moi. Je me range d'autant plus volontiers du côté des Académiciens, qu'ils ne m'ôtent rien te ce que je sais, et me rendent plus avisé en beaucoup de points : leur parti est appuyé de l'autorité de plusieurs grands hommes, vu que celui dans lequel seul la langue latine a trouvé de quoi combattre et vaincre même la vanité des Grecs, passa dans leur secte étant déjà vieil, je veux dire Cicéron le père de l'éloquence Romaine, qui sur la fin de sa carrière se rangea de leur côté, ainsi que sou livre de la Nature des Dieux nous l'enseigne. Que les Stoïciens fassent étalage de leurs paradoxes, qui sont des opinions peu probables, qu'ils veulent rendre néanmoins admirables et spécieuses, nous autres, suivant comme on dit le grand chemin, n'approuvons aucune de ces propositions qui semblent être fausses à tous les sages, ou à plusieurs des plus fameux dans leur profession. Quand Cicéron et Aristote même déduiraient l'impossible du possible, je ne les croirais pas, j'aurais plutôt une vraisemblable opinion que l'on m'aurait embrouillée par quelque sophisme. C'est donc par là que je me dépêtre de vos filets, disant que la providence ne peut être trompée, et que la chose qui a été prévue peut ne pas advenir, je vois bien ce que vous avez de coutume d'inférer de là. Donc il est possible qu'elle n'ait pas été prévue, je le concède, où me voulez-vous mener? Donc, poursuivez-vous, il est possible contre toute bonne philosophie que ce qui est ne soit pas et que ce qui a été n'ait pas été, et que ce qui est passé soit révoqué, de sorte qu'il ne soit point passé. Mais je vous réponds premièrement que je ne resserre point dans de si étroites limites que ceux de ma petite science et de ma faible raison l'infinie puissance de Dieu, je ne lui assigne point de fin puisqu'elle n'en a point, je sais bien qu'elIe peut tout mais je vois bien que vous inférez défectueusement. Premièrement parce que vous enfermez l'immensité de la grandeur divine dans l'étroit espace de la petitesse humaine et que vous distinguez par la variété des temps qui se succèdent et par l'image des objets qui s'écoulent l'immuable état de l'éternité à qui les mouvements ne touchent point, mais il va tout autrement des choses de l'éternité que de celles d'ici bas, vu que l'état de l'éternité n'en sujet à aucun mouvement, et que la créature ess mue par les accidents qui vont et viennent. L'homme par exemple, s'il prévoit quelque chose de l'avenir, son esprit se remue aussitôt, afin que l'âme s'appliquant à quelque chose hors d'elle se fasse une peinture du futur événement qu'elle donne en garde tantôt aux archives de la mémoire, tantôt la tourne et la repasse dans le miroir de sa pureté naturelle par le moyen de l'imagination: car il est plus aisé que ce mouvement cesse dans l'âme que d'y être continuellement attaché par une contemplation assidue. Et certainement si ce mouvement n'est providence, il engendre la providence ou lui est conjointe par quelque sorte d'alliance. Mais quand ce mouvement et I'espèce du futur par lui conçue est frustrée de l'issue, c'est une vaine agitation de l'esprit qui s'évanouit comme l'ombre d'un songe qui n'a point de corps de la vérité. Le mouvement toutefois qui réellement a été dans l'âme, ne peut pas n'y avoir point été. La condition de la divine simplicité est bien différente; car elle contemple d'un seul, simple et indivisible regard (comme j'ai déjà dit) le présent, le passé et le futur, et ne se remue point par l'écoulement des choses muables, mais demeurant invariable elle regarde tout d'un coup en soi-même toutes choses, et fait tout remuer demeurant immobile. Et combien qu'on lui accommode quelquefois les verbes du temps passé et du futur, il ne faut pas inférer delà que le temps lui ait soustrait ou lui doive amener quelque chose, si on en peut colliger seulement la mutabilité des objets. Donc quand nous entendons qu'il a préconnu quelque chose, nous n'entendons pas que.sa science ait passé avec le temps. Mais si nous suivons la nature des verbes que le temps a précédé, dans lequel on doit véritablement croire qu'il a eu la connaissance de ce qui devait arriver. Ainsi il est certain que dès l'éternité il a prévu toutes choses, non pas que le temps dérobe par son mouvement quelque objet à sa vue, mais parce que son aspect qui est premier par nature que tous les temps comprend toujours toute chose. Sa providence donc ne se trompe jamais en sa disposition, qui est toujours accompagnée de la suite de l'effet, mais encore elle ne peut être trompée, parce que ni la mutabilité des choses, ny la suite du temps, ni la variabilité ne peuvent rien cacher à sa vue. Au contraire la disposition de l'homme se peut tromper et se trompe souvent, parce que la chose dont il s'était portrait l'idée par suite de temps, ou n'advient point du tout, ou se produit sous une autre forme et néanmoins ne mettez au rang du passé tout ce qu'on exprime par des prétérits. Car quoique je confesse que j'ai vécu du temps du Péripatéticien Palatin, je ne confesse pas pour cela que ma vie s`est écoulée et passée. Ou lorsque je dis qu'Eugène, présidant au Concile, je ne suivis pas le parti des Arriens, je n'ai pas à cause du temps passé quitté mon ancienne et véritable confession de foi. Au reste parce que d'autrefois il a été véritable de dire, je vis maintenant et je sens: je confesse justement et véritablement par les paroles suivantes que j'ai vécu et senti. Non pas toutefois que ma vie et mon sentiment s'en soient allés. Je sais pourtant bien qu'un grand personnage a dit : "Nous nous trompons, en ce que nous regardons la mort comme une chose future, bien qu'en effet la plus grande partie en soit passée et qu'elle se soit déjà saisie de tout ce que nous avons laissé d'âge derrière nous". {Sénèque, Lettres à Lucilius, I, 1} Mais si sa vie se fuit une fois écoulée, ou il ne dirait point ces paroles, ou il les dirait après avoir été ressuscité. Il n'est donc pas nécessaire que tout ce qui est exprimé par le prétérit, soit passé. Et quoique plusieurs sont prédestinés, parce qu'ils ont été préélus, la prédestination pour cela n'est pas passée? Et bien qu'ils puissent n'être pas prédestinés, quelque chose passée se pourra révoquer, de sorte qu'elle ne soit pas passée, car la marque de la prédestination, de quelque temps du verbe que vous vous serviez, signifie toujours, en tant qu'il est en lui, le futur plutôt que le passé, puis qu'il signifie que celui dont il est question sera sauvé. Car c'est, comme l'on dit, un verbe fécond, qui enferme toujours en soi la signification d'un autre verbe, il ne donne donc aucun mouvement au prédestinant, mais affirme seulement que par la primitive grâce de Dieu, qui le dispose ainsi, le chemin du salut est ouvert à celui qui doit être sauvé, par lequel avec le temps il se peut sauver, et en effet sera sauvé quoiqu'il puisse ne le pas être. Ne m'objectez pas là-dessus ce que dit Aristote : "Il est nécessaire que ce qui a été ait été, et que ce qui est soit quand il est"; pour colliger de là que les énonciations qui ont la copule du temps passé, sont précisément véritables ou précisément et de nécessité fausses. Cette objection ne vous servira de rien, vu que ce sont ces paroles d'Aristote qui font la question, et n'apportent pas un grand éclaircissement pour le doute de cet article. Car les énonciations qui adjoignent aux prétérits la force d'un futur contingent ruinent la règle. Par exemple, il fut hier vrai que vous liriez demain, ou Platon a su que vous dormiriez quelquefois, dans lesquelles propositions la foi du temps passé chancelle par l'adjonction du futur, car pendant que vous pourrez ne pas dormir, Platon pourra ne le pas savoir ; non pas parce que le mouvement qui a été dans son âme puisse n'y avoir point été, mais parce que ce qui a été science peut devenir opinion par la mutabilité des choses et par la suite du temps. Si toutefois il peut y avoir aucune science des futurs contingents, quoique ce soit une opinion assurée qui probablement imite la science. De même, ce que nous prédîmes hier avoir été véritable, pourra n'avoir pas été vrai, non pas qu'une chose passée se puisse révoquer, laquelle en cela n'a point passé, mais parce que l'on attend la future qui dépend de la fortune pour être. Encore vous pouvez avoir prévu quelque chosc bonne, qui peut-être sera bonne et peut-être ne le sera pas et vous-même pouvez ne l'avoir pas prévue bonne, non pas que vous puissiez n'avoir pas prévu ce que vous avez prévu mais parce que vous avez prévu peut-être non bon. Encore vous pouvez avoir promis et stipulé quelque chose utilement, et vous pouvez n'avoir pas promis ou stipulé utilement ; ce que vous avez pourtant promis, vous ne pouvez pas ne l'avoir pas promis ou stipulé. Davantage, vous avez précédé dans le champ de Sempronius celui qui vous a suivi et si vous en avez précédé un autre, un autre vous a suivi, vous suit, ou vous suivra. Donc puisque l'événement du conséquent peut être frustré et que la vérité de l'antécédent peut être infirmée de telle sorte que vous, qui avez précédé, pouvez n'avoir pas précédé: Vous ne pouvez pourtant pas n'être point entré où vous êtes entré et ce qui a été fait n'est point du nombre des choses non faites ; et ce qui s'est passé ne peut être révoqué qu'il n'ait été. Car toutes ces choses, qui étant conçues par l'esprit ou exprimées par les paroles ou accomplies par l'effet, sont passées, ne peuvent ni ne pourront désormais n'avoir point été, bien qu'elles pussent n'avoir pas été comme elles devaient être auparavant qu'un événement certain les eût déterminées. Telles sont toutes les choses que l'on met dans le genre des imminentes et qui seraient mieux rangées sous la quantité, sous l'action, ou sous quelque autre accident. Que trouvez-vous de merveilleux si celui qui peut tout, peut aussi n'avoir pas prévu ce qu'il a prévu, vu que c'est un article de foi que les choses prévues peuuent ne pas advenir, et que celles qui ne sont pas prévues peuvent advenir, et toutefois elles ne peuvent arriver sans être aperçues de la divine providence. Car Isaïe dit : "Si vous voulez marcher dans mes commandements, si vous m'écoutez vous mangerez les biens de la terre, que si vous ne le voulez pas et me mettez en colère le glaive vous dévorera, parce que la bouche du Seigneur a parlé". {Isaïe I, 19-20} Vous voyez qu'il conserve le franc arbitre, par ces paroles. "Si vous voulez, si vous ne voulez pas". De l'un et de l'autre côté il met la peine et la récompense d'un chacun, non pas par un jugement irrétractable, ni par une destinée, mais par le mérite et le démérite d'un chacun. La condition qu'il laisse de mériter serait inutile à la volonté si elle était empêtrée par la nécessité de faire ou de ne pas faire. Que si cela ne suffit pas aux sophistes, le Fils de Dieu dans sa passion ne pouvait-il pas demander au Père douze légions d'anges? Bien que néanmoins on voie par ce qui fut fait après que cela n'avait pas été prévu, mais plutôt l'opposé de cela. Qu'un esprit plus fort ne soit pas touché si nous manquons d'exemple et de raisons pour expliquer une si grande majesté. Vu que la raison ôterait l'admiration et l'induction des exemples détruirait la singularité. Mais cette majesté admirable dans sa singularité et singulière dans son admirable immensité surpasse le sens des hommes et des anges. J'ai bien appris des saintes écritures que celui qui la mesurera sera accablé de sa gloire et je sais encore que Dieu commanda expressément, quand la loi écrite fut publiée, qu'on eût à lapider les bêtes qui toucheraient la montagne de Sinaï. C'est pourquoi je vous supplie de croire que les doutes qu'on propose en telle matière procèdent plutôt d'une volonté de bien faire, qui ne prétend point fermer la bouche à ceux qui trouveront quelque chose de meilleur, que d'une intention d'établir par une subtilité téméraire des maximes contraires à la vérité. J'avoue encore que je ne sais pas pourquoi Dieu rebute celui-ci et pourquoi il choisit cet autre, sinon qu'avec les saints pères je reconnais qu'en ce rebut il faut adorer la justice de Dieu qui nous est cachée et dans cette élection embrasser sa miséricorde et sa grâce qui paraît à découvert. Celui même, qui dans le troisième ciel entendit des secrets, qu'il n'est pas permis à l'homme de révéler, n'épluchant pas tant cette difficulté que l'admirant, s'abaisse dans une profonde vénération des richesses de la sagesse et de la science de Dieu et prononce que ses jugements ne peuvent être compris, non plus que les voies par lesquelles il les exécute ne sauraient être découvertes. Celui qui se réjouit d'avoir vu clairement toutes les difficultés qui se lisent dans la science de Dieu, nous assure que ses oeuvres sont plus hautes que notre portée et reconnaît avec sa sonde quel les pensées du très haut sont trop profondes pour être mesurées. Salomon prêchant la même chose dans son Ecclésiaste, s'accorde bien avec ce passage : "Il y a un homme qui ne ferme ses paupières ni jour ni nuit, et j'ai reconnu qu'il ne saurait trouver aucune raison de toutes les oeuvres de Dieu qui sont sous le soleil, et qu'il les trouve moins, plus il travaille à les rechercher : quoique le sage se vante de les connaître, il ne les pourra trouver" {Ecclésiaste, VIII, 16-17}. Que si l'on ne peut rencontrer la raison des choses qui sont au-dessous du soleil, qui me pourra pleinement satisfaire sur celles qui sont au-dessus? Qui d'entre nous connaît les desseins de notre souverain seigneur, ou qui a été de son conseil. Il faut donc rechercher la raison pour l'amour de la vérité seulement: en telle sorte que notre pieuse intention reconnaisse son infirmité et profite de cette recherche, pourvu qu'elle soit persuadée qu'il faut toujiours honorer la divine majesté par la foi, et chérir l'abîme infini de sa miséricorde inépuisable. Enfin en bonne philosophie il est ordonné que les prédicats demeurent tels que les sujets le permettent et que toute la force et la propriété des prédicamentaux, étant bornée des limites des choses naturelles, est altérée et changée comme qui l'aurait destituée de sa couleur naturelle et de sa force, lorsqu'elle veut monter jusqu'à la théologie: les paroles manquent et l'entendement mortel succombe, quand il faut fonder l'immensité de cette grandeur. Il est bien vrai dans les choses naturelles, savoir dans celles qui augmentent ou diminuent le nombre des êtres, que ce qui a été ne puisse n'avoir pas été, ou n'avoir pas passé ce qui est passé, pourvu toutefois que ce qui a été véritable que peut-être un aveugle lirait, puisse n'avoir pas été véritable. Ce qui est donc passé ne peut être révoqué qu'il n'ait été, et par ainsi nulle nécessité d'advenir ne soumet à ses lois ce qui dépend des embûches de la fortune, cependant que par la possibilité de sa nature il attend l'un ou l'autre événement. Ainsi peut-être pendant que l'effet de la providence n'est pas accompli, ce qui est à advenir et qui peut ne pas advenir, peut aussi n'avoir pas été prévu. Je ne prétends pas néanmoins par une trop curieuse recherche mesurer l'entendement: tout puissant ni donner des bornes à son immensité, mais je suis l'opinion de plusieurs qui disent que si Dieu a prévu quelque chose qu'il arriverait et s'il n'arrivait pas qu'il ne l'aurait pas prévu. D'où vous pouvez au moins probablement colliger que s'il peut ne pas advenir, il peut aussi n'avoir pas été prévu. Car cette primitive vérité connaît ce qui suit et de quoi il suit; et l'entendement divin sait parfaitement la conjoncture de toutes les raisons. Et de peur que vous ne pensiez que je m'abandonne tout seul à ma propre opinion, je me mets à couvert d'un grand auteur, c'est S. Augustin, qui dit sur le texte de l'évangile qui fait mention des diverses demeures du ciel: "S'il n'eût pas été ainsi, je vous eusse dit que je m'en vais vous préparer un lieu, c'est-à-dire, s'il n'y avait point de prédestinés, j'eusse dit, j'irai et je prédestinerai, car il ajuste la diversité des demeures qui sont préparées pour les élus, dans la maison de son père à la prédestination divine, qui confère diverses onctions de grâces et de bienfaits selon son bon plaisir à ceux qui doivent être sauvés". Puisque donc un si grand docteur a interprété ce passage de cette sorte s'il n'y avait point de prédestinés, je vous eusse dit j'irai et je prédestinerai. Il est croyable que cependant que l'événement même des choses est encore pendant, s'il plaît au tout puissant ceux qui ne sont pas encore prédestinés ... être pour la vie. C'est peut-être en ce sens qu'il faut comprendre ... "Qu'ils soient effacés du livre des vivants, et qu'ils ne soient point écrits avec les justes". Et cet autre: "ou remettez leur cette offense, ou m'effacez du livre que vous avez écrit. Celui qui est né de Dieu", dit l'évangéliste, "ne pèche point, car la génération céleste l'on empêche. Cette génération céleste est sans doute la prédestination, dont tous les enfants sont admis dans la vie, bien qu'iI soit possible qu'ils s'égarent de la justice qui est le vrai chemin de la vie. Si je n'en suis pas croyable, écoutez celui qu'un ange du ciel n'oserait dédire sans être frappé d'anathème. "Mon père je n'en ai perdu pas un de ceux que vous m'avez donnés, mais gardez les" N'avait-il pas je vous prie déjà perdu ceux qui s'étaient reculés en arrière? N'avait-il pas en quelque façon déjà perdu Judas, mais assurément le fils ne l'avait pas admis dans ion cabinet, et le père ne l'avait pas donné à garder à son fils parmi ceux qu'il avait enrôlés, si les autres étaient préordonnés, s'ils ne pouvaient tomber, pourquoi est-ce que le fils intercède pour eux avec tant d'ardeur? Il est vrai qu'ils se devaient sauver, mais durant leur pélerinage de ce monde ils pouvaient mériter la mort, n'étant point attachés â la vie par aucune nécessité de la prédestination. Saint Paul se glorifie que rien ne le séparera de ... son corps et le réduit en esclavage, de peur qu'ayant prêché aux autres, il ne devienne lui-même reprouvé. On lit encore dans l'apocalypse que les anges des églises sont avertis maintenant de faire pénitence et de faire les premières oeuvres, de peur que leurs chandeliers ne soient remués et maintenant de tenir leur place de peur qu'ils ne la cèdent à un autre. A quoi servent ces avertissements, si les choses qui devaient être ne pouvaient être changées. Les philosophes gentils n'ont pas ignoré cette vérité, puisqu'ils appellent l'ordre des destins immuable, non pas parce qu'il ne se peut remuer, mais parce qu'il ne se remue pas actuellement : "Pharsale eut pu sortir du milieu des destins". {Lucain, La Pharsale, VI, 313} Un vieillard de Chartres dans ses disgrâces se consolait souvent par cette sentence de Virgile : "Les Destins à la fin trouveront une issue". {Virgile, L'Énéide, III, 395} Pour les choses passées et accomplies, selon la disposition féconde de Dieu, elles ne peuvent naturellement n'avoir point été, quoique dans l'un ni l'autre ne n'oserais rien affirmer au préjudice du souverain dispositeur. Saint Jérôme très grand docteur dit néanmoins, je parlerai hardiment, quoique Dieu soit tout puissant, il ne saurait relever une vierge de sa chute, il peut toutefois couronner une déflorée. Et véritablement selon son interprétation. L'apôtre définit une vierge celle qui est sainte de corps et d'esprit ; mais sans doute Dieu peut sanctifier une âme par ses vertus, et réintégrer une chair corrompue, si bien qu'elle semblera entièrement réparée, même après sa chute. Que si ce docteur se servant d'une figure d'orateur a voulu dire que les choses qui ont été ne peuvent pas n'avoir point été, il n'était pas besoin de recourir à une vierge corrompue, vu qu'il pouvoit facilement rencontrer un semblable exemple dans toutes les actions passées. Mais peut-être que la virginité a quelque degré qui ne peut en aucune façon appartenir à une personne qui a été corrompue. Or une chose est appelée possible, quelquefois par la facilité qui se trouve dans toutes choses, soit par le hasard, ou par sa disposition qui l'a rend telle, quelquefois par la nature et d'autrefois par regard à la majesté divine, source de toutes choies, de laquelle procèdent non seulement Ies potentats des princes, mais encore la puissance de tout ce qu'on saurait voir ou s'imaginer. C'est pourquoi Salomon disait : "Toute puissance est du seigneur", je ne m'élèverai jamais opiniâtrement contre elle, car je suis assuré qu'elle seule peut envoyer le corps et l'âme â la gêne.