[8,0] DISCOURS CONTRE LES JUIFS. HUITIÈME DISCOURS. [8,1] Le jeûne des Juifs est passé, ou plutôt leur ivresse. On peut, en effet, s'enivrer même sans vin, on peut même à jeun, se livrer à toutes les extravagances de l'ivresse et de l'orgie. Si l'on ne pouvait s'enivrer qu'avec du vin, le Prophète n'aurait pas dit : Malheur à ceux qui sont ivres, non de vin. (Is. XXIX, 9.) Si l'on ne pouvait s'enivrer qu'avec du vin, saint Paul n'aurait pas dit : Ne vous enivrez pas de vin. (Thess. V, 18.) L'on peut, oui, l'on peut aussi être ivre de colère, ivre d'une concupiscence déraisonnable, ivre d'avarice, ivre d'amour pour la vaine gloire, ivre d'une infinité d'autres passions. Car l'ivresse n'est rien autre chose que le trouble de la raison, le délire et la privation de la santé de l'âme. On peut donc l'affirmer sans crainte, ce n'est pas seulement le vin pur pris en grande quantité qui enivre, c'est encore toute mauvaise passion que l'âme nourrit intérieurement. Ainsi il est ivre celui qui convoite une femme qui n'est pas la sienne et se livre aux prostituées; comme celui qui, ayant bu trop de vin pur, s'en va chancelant de droite et de gauche, proférant des paroles grossières et prenant une chose pour l'autre : ainsi l'impudique, rempli de cette concupiscence déréglée comme d'une sorte de vin pur, ne tient aucun propos sensé, ne prononce que des paroles honteuses, perverses, ignobles et ridicules; il prend aussi une chose pour une autre, et il est aveugle en face même de ce qu'il voit; il se représente partout à l'imagination celle qu'il convoite de déshonorer et, semblable à un homme qui délire et qui divague, il ne sort jamais de sa torpeur; dans les réunions, dans les festins, en tout temps et en tout lieu, nonobstant toutes les conversations possibles, il est comme dans un désert, il ne voit et n'entend rien. Tout entier à cette femme, il ne rêve que du péché; il se défie de tout, il craint tout, semblable à une brute stupide et endurcie aux coups de fouet. Celui que la colère domine est ivre aussi; son visage se gonfle, sa voix est rude, ses yeux s'enflamment, son esprit s'obscurcit et sa raison fait naufrage; sa langue tremble, ses yeux regardent de travers et ses oreilles entendent une chose pour l'autre, parce que, plus fortement qu'aucune espèce de vin pur, la colère frappe le cerveau, soulève une tempête et produit une agitation qui ne se peut calmer. Que si celui qui est dominé par la concupiscence et la colère est ivre, à bien plus forte raison l'est-il aussi, l'homme qui se livre à l'impiété, blasphème contre Dieu, se révolte contre ses lois, et ne veut jamais se désister de son obstination coupable; il est ivre, il est fou et dans une position plus misérable que ceux qui se livrent à l'orgie et n'ont pas la tête à eux, bien que lui-même ne paraisse pas s'en apercevoir. C'est le propre surtout de l'ivresse, de blesser la bienséance, sans en avoir le sentiment; ce qu'il y a de plus terrible dans la démence, c'est que ceux qui ont cette maladie ne savent pas même qu'ils sont malades : c'est l'état actuel des Juifs, ils sont ivres maintenant et ne s'en aperçoivent pas. Leur jeûne, il est vrai, est passé, ce jeûne plus honteux qu'aucune ivresse ; mais nous, ne cessons pas d'exercer notre sollicitude sur nos frères, et ne considérons pas comme une chose inopportune le soin que nous en prendrons désormais; imitons les soldats : lorsque, dans le combat, ils ont mis en fuite les ennemis, et reviennent de la poursuite, ils ne courent pas aussitôt à leurs tentes, mais ils vont d'abord sur le champ de bataille, enlèvent ceux des leurs qui sont tombés, mettent en terre ceux qui ont été tués, et s'ils en aperçoivent parmi les morts qui respirent encore et n'ont pas de blessure mortelle, ils les portent dans leurs tentes, leur prodiguent les remèdes, retirent le trait, appellent des médecins, lavent le sang, appliquent les médicaments, en un mot prennent tous les soins que l'on peut prendre en pareil cas et ramènent ainsi ces blessés à la santé ; nous donc, de même, puisque par la grâce de Dieu nous avons poursuivi les Juifs en armant contre eux les prophètes, revenus de tous côtés voyons maintenant si quelques-uns de nos frères ne sont pas tombés, si quelques-uns n'ont pas été détournés du droit chemin par le jeûne judaïque, si quelques-uns n'ont pas communiqué avec les ennemis du nom chrétien, en célébrant leur fête; et ne jetons personne au tombeau, mais enlevons tous nos blessés, et guérissons-les. Dans les guerres proprement dites, quand quelqu'un est une fois tombé et a rendu l'âme il est impossible à ses amis de le rétablir et de le rappeler à la vie ; mais dans les guerres et les combats spirituels, quand quelqu'un a reçu une blessure même mortelle, nous pouvons, si nous le voulons, avec l'aide de la grâce de Dieu, le ramener à la vie. Cette mort, en effet, n'est pas comme la première, une mort de la nature, mais une mort de la volonté et du libre arbitre. Or, une volonté morte se ressuscite: on persuade à l'âme qui a cessé de vivre de revenir à sa vie propre et de reconnaître son Maître. [8,2] Mais ne nous lassons pas, mes frères, ne nous relâchons pas, ne nous décourageons pas; et que personne ne vienne me dire ces paroles: il convenait, avant le jeûne des Juifs, de ne rien négliger pour prémunir contre cette tentation la faiblesse de nos frères, mais maintenant que ce jeûne est passé, que le péché a été commis, que l'iniquité a été consommée, quelle utilité y a-t-il encore à s'occuper de ceux qui sont tombés? Si vous saviez mieux ce que c'est que de veiller au salut de vos frères, vous sauriez aussi que c'est maintenant surtout qu'il vous faut mettre la main à l'oeuvre, et déployer tout le zèle dont vous êtes capables. Il ne suffit pas de prémunir avant le péché, il faut encore tendre la main après la chute. Si Dieu, dès le commencement, avait fait ce que l'on nous conseille, s'il avait seulement prémuni l'homme avant le péché, mais qu'après le péché, il l'eût rejeté et laissé pour toujours abîmé dans sa chute, c'en était fait de tout le genre humain, et personne n'aurait été sauvé. Mais telle n'est pas la conduite de Dieu, il aime trop les hommes, il a trop de bonté et désire trop notre salut, pour ne pas s'occuper de nous-mêmes après que nous sommes tombés. Il avait en effet prémuni Adam avant le péché, et lui avait dit: Vous mangerez pour vous nourrir des fruits de tout arbre qui est dans le paradis, mais pour les fruits de l'arbre de la science du bien et du mal, vous n'en mangerez pas, et le jour où vous en aurez mangé vous mourrez de mort. (Gen. II,16,17) Ainsi, commandement facile à garder, larges concessions, châtiment sévère et châtiment prompt, car Dieu ne dit pas après un, ou deux, ou trois jours, mais : le jour même où vous aurez mangé vous mourrez de mort; enfin, tous les moyens qui pouvaient servir à prémunir l'homme contre la chute, Dieu les avait employés. Néanmoins quand, après tant de sollicitude, après des enseignements, des avertissements et des bienfaits si nombreux, l'homme est tombé et a violé le commandement de Dieu, Dieu ne dit pas : A quoi bon désormais s'occuper de l'homme ? L'homme a mangé le fruit défendu, il est tombé, il a transgressé la loi, il a suivi le conseil du démon, il a méprisé mon commandement, il a reçu la blessure, il est mort, il s'est livré au trépas, il s'est placé sous le coup de la loi, que reste-t-il encore à lui dire? Dieu ne tint pas un pareil langage; loin d'abandonner Adam, pécheur, il lui parla, le consola, et, pour le mieux guérir, il le soumit à la dure nécessité du travail. (Ibid. III) Et que n'a-t-il pas fait pour régénérer la nature humaine déchue, pour l'arracher à la mort et la conduire au ciel, pour lui restituer de plus grands biens que ceux qu'elle avait perdus, et pour montrer au démon qu'il n'avait rien gagné à ses artifices, mais qu'après avoir chassé les hommes du paradis, il les verrait peu après aux cieux dans la société des anges? Dieu a tenu la même conduite envers Caïn il l'avait prémuni, lui aussi, avant son péché, et prévenu en lui disant: Tu as péché, sois en repos; il cherchera un asile auprès de toi, et tu domineras sur lui. (Ibid. IV, 7) Voyez la sagesse et la prudence de Dieu. Tu crains, lui dit-il, qu'il ne te dépouille de la prérogative des premiers-nés à cause de l'honneur que je lui ai accordé, et qu'il ne s'empare de la principauté qui t'appartient (il fallait que les premiers-nés fussent plus honorés que les puînés) ; rassure-toi, ne crains pas, et sois sans inquiétude à ce sujet : Il cherchera un asile auprès de toi, et tu domineras sur lui. Voici ce qu'il veut dire : Sois pour ton frère un refuge, un abri, une défense, commande-lui et sois son seigneur; seulement évite de commettre un meurtre, garde-toi d'un attentat tel que l'homicide. Caïn fut sourd à ces paroles, il ne resta pas en repos, mais il commit l'homicide, et plongea sa main dans la gorge de son frère. Quoi donc? Est-ce que Dieu dit laissons-le désormais? Quelle utilité y a-t-il encore à nous occuper de lui? Il a commis le meurtre, il a tué son frère, il a méprisé mon avertissement, il s'est souillé par un attentat inexpiable, irrémissible, malgré la sollicitude, les enseignements et les conseils si pressants et si nombreux qui lui ont été prodigués; il a banni tout cela de sa pensée, et rien ne l'a converti. Il convient de l'abandonner, de le rejeter désormais, il n'est plus digne d'aucun égard de ma part. Dieu ne dit rien, ne fait rien de semblable; il s'adresse de nouveau à Caïn, il le reprend et lui dit : Où est Abel ton frère? Caïn nie son crime, et Dieu ne l'abandonne pas encore, il le pousse à la confession de son péché, et quand Caïn répond : Je ne sais pas, le Seigneur reprend: La voix du sang de ton frère crie vers moi (Genès. IV, 9, 10); le meurtre trahit le meurtrier. Que répond donc celui-ci? Mon péché est trop grand pour que j'en sois absous, et si vous me rejetez de la terre, je me cacherai aussi de votre face. (Ibid. V, 13, 14) Ce qu'il veut dire, le voici : J'ai commis un trop grand péché pour que je puisse compter sur le pardon, sur la justification, sur la rémission; mais, si vous voulez tirer vengeance de ce qui est arrivé, privé de votre secours je serai à la merci de tous. Que lui répond Dieu? Il n'en sera pas ainsi: quiconque aura tué Caïn subira sept vengeances. (Ibid. V, 15.) C'est-à-dire : Ne crains rien, tu vivras une longue vie, et si quelqu'un te met à mort, il en répondra par de nombreux supplices : le mot sept, en effet, signifie dans l'Ecriture un nombre indéfini. Caïn était en proie à de nombreux supplices : l'inquiétude et la crainte le rongeaient, il sanglotait continuellement, son âme était livrée au découragement, son corps à la prostration et à l'abattement; c'est pourquoi Dieu lui dit : celui qui t'aura mis à mort, et délivré de ces châtiments, attirera sur lui-même le supplice et la vengeance. Cette parole, il est vrai, paraît sévère, accablante, mais elle est la marque d'une grande bienveillance. La punition que Dieu choisit est de nature tout ensemble à contenir dans le devoir les hommes à venir et à faire expier au coupable son crime pour en obtenir la rémission. Un arrêt de mort porté immédiatement contre Caïn, eût enseveli un crime avec lui dans un oubli éternel; la postérité eût ignoré son péché et l'enseignement qui en découle. En le laissant vivre longtemps dans la frayeur et avec un tremblement convulsif, Dieu a fait de Caïn pour tous ceux qui le virent un exemple instructif et salutaire; son aspect et l'agitation de ses membres étaient une prédication vivante, par laquelle il exhortait tout le monde à ne pas oser commettre de semblables crimes pour ne pas subir de semblables supplices. Caïn lui-même en devint meilleur : la crainte, la frayeur, la vie inquiète, la défaillance du corps le retinrent comme dans un lien, et l'empêchèrent de se souiller par un autre forfait, et en lui rappelant continuellement le passé, modérèrent les élans impétueux de son âme portée au crime. [8,3] Mais, pendant que je parle, il me vient à la pensée de rechercher et d'exposer pourquoi ayant confessé son péché, condamné ce qu'il avait fait, dit qu'il avait commis un crime trop grand pour en obtenir le pardon, et qu'il était sans excuse, pourquoi, dis-je, il ne put se purifier de ses fautes, malgré cette parole du Prophète : Confesse le premier tes iniquités pour être justifié (Is. XLIII, 26), pourquoi il fut condamné ? C'est parce qu'il ne les confessa point comme le Prophète l'ordonne. Le Prophète, en effet, ne dit pas simplement : confesse tes iniquités; mais: confesse le premier tes iniquités. Voici donc la solution cherchée : il ne faut pas simplement confesser, mais le faire de son propre mouvement sans attendre le blâme et les accusations. Or Caïn n'en n'usa pas de la sorte, mais il attendit qu'il fût réprimandé de Dieu, ou plutôt il nia, même après qu'il eût été réprimandé. Il n'avoua son péché qu'après que Dieu le lui eut reproché d'une manière claire et explicite, ce qui n'était plus une confession. Vous aussi, mes bien-aimés, quand vous avez péché, n'attendez pas qu'un autre vous accuse, mais avant que l'on vous défère au juge, condamnez vous-mêmes vos actes : Si vous attendez qu'un autre vous réprimande, la correction ne sera plus le fruit de votre confession, mais celui de l'accusation et de la réprimande. C'est pourquoi un autre écrivain sacré a dit : Le juste est son accusateur en premier lieu. (Prov. XVIII, 17.) En résumé, la chose essentielle, ce n'est pas tant de s'accuser soi-même, que de s'accuser soi-même le premier, et ne pas attendre la réprimande des autres. Après son reniement, Pierre se ressouvint aussitôt de son péché, et sans que personne l'accusât, confessa sa faute et la pleura amèrement, c'est pourquoi il en obtint l'absolution au point de devenir le premier des apôtres et de recevoir le gouvernement du monde entier. Mais ce que nous disions (car il faut revenir à notre sujet) se trouve par là suffisamment prouvé; concluons donc, qu'on ne doit pas négliger les frères tombés ni les mépriser, mais qu'il faut les prémunir avant le péché, et après le péché leur prodiguer les soins. Les médecins n'agissent pas autrement tant que les hommes sont encore bien portants, ils leur présentent ce qui peut leur conserver la santé et éloigner la maladie, mais qui quelques-uns ont négligé leurs ordonnances et sont tombés malades, ils ne les délaissent pas pour cela; au contraire, ils montrent surtout alors beaucoup de sollicitude pour les délivrer de leurs maladies. Paul tient la même conduite à l'égard de l'incestueux de Corinthe ; après un tel péché, après une prévarication qu'on ne trouvait pas même chez les Gentils, il ne l'abandonna pas : cet homme eut même beau secouer le frein, refuser le remède, regimber, se cabrer pour ainsi dire, Paul, en habile médecin des âmes, le soigna et lui rendit la santé, et il l'y ramena jusqu'à le réunir plus tard au corps de l'Eglise. (I Cor. V) Il ne dit pas en lui-même : à quoi bon ? que reste-t-il à faire pour le salut de cet homme? c'est un incestueux, il a commis un péché énorme, il ne veut pas renoncer au dérèglement, iI s'est enflé, il a une haute opinion de lui-même, il rend sa blessure incurable : laissons-le donc, et abandonnons-le. Bien loin d'en user ainsi, saint Paul déploya tout son zèle pour sauver ce malheureux, le crime hideux qu'il avait commis, au lieu de ralentir la charité de l'Apôtre ne fit que l'exciter davantage; et il ne cessa de l'effrayer, de le menacer, de le punir, mettant tout en oeuvre par lui-même et par d'autres, jusqu'à ce qu'il l'eût amené à reconnaître son péché, à sentir son iniquité, et enfin jusqu'à ce qu'il l'eût lavé de toute souillure. Faites de même: imitez le Samaritain de l'Evangile, si compatissant, si plein de charité envers le blessé qu'il rencontra. Un lévite, un pharisien étaient passés par là, et ni l'un ni l'autre ne s'étaient détournés vers cet homme qui gisait par terre; mais le laissant là impitoyablement et inhumainement, ils avaient continué leur chemin. Un Samaritain, un étranger ne passa pas ainsi en courant et sans tourner les yeux, mais il s'arrêta et, touché de compassion, il répandit l'huile et le vin sur les plaies du blessé, il mit cet homme sur son âne, le conduisit à une hôtellerie, donna de l'argent pour le faire soigner, promit d'en donner encore pour la guérison d'un homme qui lui était tout à fait étranger. (Luc. X, 30 et s.). Il ne se dit pas en lui-même qu'ai-je à m'occuper de celui-ci ? Je suis samaritain, je n'ai rien de commun avec lui; nous sommes loin de la ville et il ne peut pas même marcher. Mais, s'il ne peut supporter la longueur du voyage, qu'ai-je à faire d'apporter un mort, de me faire arrêter comme assassin et d'avoir à répondre de l'homicide qui a été commis par un autre? Il en est, en effet, dont cette dernière raison ralentit l'humanité; lorsqu’ils voient sur leur chemin des hommes blessés et respirant à peine, ils passent auprès d'eux encourant, non pour s'épargner la peine de les emporter ou pour éviter une dépense d'argent, mais parce qu'ils redoutent d'être traînés eux-mêmes au tribunal et d'avoir à porter la responsabilité du meurtre. L'humanité du Samaritain ne fut pas arrêtée par ces considérations. Il mit le blessé sur son âne et le conduisit à une hôtellerie, au mépris de toutes les appréhensions de péril personnel et de dépense d'argent. Quoi ! un Samaritain a été si humain et si doux envers un homme inconnu, et nous pourrions espérer que notre négligence envers nos propres frères dans des maux plus grands nous sera pardonnée. Certes, ceux qui jeûnent maintenant sont aussi tombés entre les mains des brigands, des Juifs, plus cruels encore que les brigands, et qui font plus de mal à ceux qui tombent entre leurs mains. Sans doute, les Juifs ne dépouillent pas leurs victimes, ils ne blessent pas leurs corps comme firent les brigands dont il est parlé dans l'Evangile, mais ce sont les âmes qu'ils assassinent ; et après les avoir percées de mille coups, ils s'en vont, les laissant étendues dans la fosse de l'impiété. [8,4] C'est un accident assez grave, assez tragique pour mériter d'attirer votre attention ; ne passons donc pas inhumainement sans nous arrêter devant un spectacle si lamentable ; mais, si d'autres le font, ne le faites pas, vous ; ne dites pas en vous-mêmes : Je suis un homme du monde, j'ai femme et enfants ; c'est là l'affaire des prêtres, c'est l'affaire des moines. Le Samaritain ne dit pas: Où sont les prêtres? où sont les pharisiens? où sont les docteurs des Juifs? Ravi de rencontrer une si belle occasion d'exercer sa charité, il la saisit comme une riche épave. Suivez cet exemple; voyez-vous quelqu'un avoir besoin d'un secours corporel ou spirituel, ne dites pas en vous-mêmes pourquoi un tel et un tel ne l'ont-ils pas traité ? Mais délivrez-le de la maladie, et ne demandez pas compte aux autres de leur négligence. Dites-moi, si vous trouviez à terre une pièce d'or, est-ce que vous diriez en vous-mêmes : pourquoi un tel et un tel ne l'ont-ils pas prise? Ne vous empresseriez-vous pas de vous en saisir avant les autres ? Raisonnez de même sur vos frères tombés, et pensez que prendre soin d'eux, c'est avoir trouvé un trésor. Si vous répandez sur eux la doctrine, ou l'huile de la parole, si vous les attachez par la mansuétude et si vous les soignez par la patience, ils vous rendront plus riches que la possession de tous les trésors possibles. Car, est-il dit : Celui qui tire ce qui est précieux de ce qui est vil sera comme la bouche de Dieu. (Jérém. XV, 19) Que peut-il y avoir de comparable? Ce que ni le jeûne, ni le coucher sur la dure, ni les veilles, ni aucune autre austérité ne peuvent faire, le salut que l'on procure au prochain le fait. Rappelez-vous combien votre bouche a commis de péchés, combien elle a proféré de paroles déshonnêtes, combien d'injures, combien de blasphèmes elle a vomis; en compensation, prenez soin de relever celui qui est tombé ; cette occupation charitable est le seul moyen que vous ayez de vous purifier de toutes ces souillures. Et que dis-je : purifier? Vous ferez que votre bouche soit comme la bouche de Dieu. Que peut-il y avoir de pareil à cet honneur? Ce n'est pas moi qui fais cette promesse, c'est Dieu lui-même qui dit : Si vous tirez quelqu'un de l'erreur, votre bouche sera pure, sainte comme ma bouche. Ne négligeons donc pas nos frères, ne nous contentons pas d'aller de maison en maison pour savoir combien il y en a qui ont jeûné, combien ont succombé à la perversion. Ayons pour nos frères plus qu'une vaine curiosité, occupons-nous activement de leur salut. S'il y en a beaucoup qui jeûnent, ne le divulguez pas, mes bien-aimés, et ne donnez pas en spectacle le malheur de l'Eglise. Et si quelqu'un vous dit qu'il y en a beaucoup qui jeûnent, fermez-lui la bouche, afin que ce bruit ne devienne pas public, et dites-lui : Je n'en connais aucun; vous êtes dans l'erreur, ô homme, et vous ne dites pas la vérité. Si vous en voyez deux ou trois qui soient pervertis, vous dites qu'il y en a beaucoup. Fermez ainsi la bouche au délateur, et prenez soin de ceux qui sont pervertis, afin de rendre des deux côtés à l'Eglise une grande sécurité, et en empêchant le bruit de se répandre, et en ramenant au saint troupeau ceux mêmes qui sont pervertis. N'allez donc pas dire çà et là : Lesquels ont péché? mais empressez-vous seulement de corriger ceux qui ont péché. C'est une mauvaise habitude de ne penser qu'à accuser méchamment ses frères et de ne pas en prendre soin; de divulguer les maux de ceux qui sont malades et de ne pas travailler à les guérir. Détruisons donc cette habitude perverse, mes bien-aimés, car elle produit de grands maux; comment? je vais le dire. Quelqu'un de vous entend dire que beaucoup ont jeûné avec les Juifs, et sans aucun examen il rapporte cette parole à un autre; celui-ci, à son tour, sans s'informer avec plus de soin, la redit à un autre; puis, ce mauvais bruit qui se propage peu à peu répand sur l'Eglise un grand opprobre, et n'est d'aucune utilité pour ceux qui sont perdus, mais au contraire leur fait tort ainsi qu'à beaucoup d'autres. Encore qu'ils soient en petit nombre, nous en faisons une multitude par des bruits souvent répétés; ainsi nous ébranlons ceux qui sont debout, et nous jetons à bas ceux qui sont sur le point de tomber. Le frère le mieux affermi dans la foi chrétienne, en apprenant que beaucoup ont jeûné, sera lui-même plus négligent, et celui qui est déjà faible, en l'entendant dire aussi, courra se joindre à la foule de ceux qui sont tombés. Ne vous réjouissez pas ensemble de cette méchante action ni d'aucune autre; quand même les prévaricateurs seraient nombreux, fermons la bouche à ceux qui en parlent et retenons-les. Ne me dites pas qu'un grand nombre ont jeûné, mais faites que ce grand nombre diminue. Je n'ai pas fait de si longs discours pour vous faire dire que beaucoup de vous se sont rendus coupables : j'ai voulu vous persuader de travailler à diminuer ce grand nombre, ou même à le supprimer complètement par la conversion des victimes de l'erreur. Ne révélez donc pas les péchés, mais guérissez-les. Ceux qui les révèlent, et font de cela leur unique occupation, font croire que les pécheurs sont nombreux bien que leur nombre soit petit. Au contraire, ceux qui répriment l'indiscrétion des révélateurs, leur ferment la bouche et prennent soin de leurs frères tombés, viendront facilement à bout de les corriger tous, fussent-ils nombreux, et en outre empêcheront que leur exemple ne nuise à aucun autre. N'avez-vous pas lu ce que David disait en pleurant la mort de Saül : Comment sont tombés les puissants? Ne l'annoncez pas dans Geth, et n'en publiez pas la nouvelle sur les chemins d'Ascalon, de peur que les filles des étrangers ne s'en réjouissent, et que les filles des incirconcis n'en tirent vanité. (II Rois I, 19, 20) Si David ne voulait pas que l'on publiât la mort de Saül, de peur de causer de la joie aux ennemis, combien plus faut-il éviter de porter aux oreilles des étrangers ni même aux oreilles des chrétiens, les fautes de nos malheureux frères, de peur qu'en les entendant, les ennemis ne s'en réjouissent, et que les chrétiens ne s'en scandalisent? Avec quelle précaution faut-il réprimer, et retenir dans les bornes de la prudence et de la discrétion ces trop nombreux propagateurs de fâcheuses nouvelles ! Ne me dites pas : Je n'en ai parlé qu'à celui-ci. Gardez pour vous ce que vous savez, vous n'avez pas eu le courage de vous taire, un autre ne l'aura pas non plus. [8,5] Je ne dis pas seulement ces choses pour le jeûne actuel, mais encore pour une infinité d'autres péchés. Quant à nos frères pervertis par les Juifs, il ne faut pas tant nous occuper de savoir leur nombre, que de trouver le moyen de les ramener à nous. N'exaltons pas les succès de nos ennemis, ne rabaissons pas les nôtres; ne publions pas que leur état est florissant, et que nos affaires tombent en décadence, mais faisons tout le contraire. La renommée elle-même est capable d'abattre comme de relever une âme, d'inspirer une ardeur que l'on n'avait pas, et de détruire celle que l'on avait. C'est pourquoi je vous exhorte à accroître les bruits favorables à la prospérité de notre religion, et à sa grandeur, et à combattre ceux qui répandent l'opprobre sur le nom chrétien. Si nous entendons dire quelque chose de bien, répétons-le à tout le monde ; mais si c'est quelque chose de mauvais, cachons-le, et faisons tout pour anéantir un bruit fâcheux. Et maintenant donc allons de tous côtés, cherchons avec soin, voyons ceux qui sont tombés; quand même il faudrait entrer dans les maisons, ne balançons pas. Si celui qu'il s'agit de relever est un inconnu, quelqu'un qui vous soit tout à fait étranger, prenez partout des renseignements sur son compte, et tâchez de savoir s'il n'aurait pas quelque ami intime, dont l'influence vous serait d'un grand secours dans l'oeuvre de persuasion et de conversion que vous vous proposez ; prenez cet utile auxiliaire avec vous, et entrez dans la maison, n'ayez pas peur, ne rougissez pas. Si vous entriez pour demander de l'argent ou pour obtenir quelque faveur, la honte aurait sa raison d'être; mais puisque vous venez apporter le salut, l'objet de votre visite écarte tous les griefs et tous les soupçons. Vous voilà en présence de votre homme, asseyez-vous à ses côtés et parlez-lui, en commençant par un autre sujet, pour ensuite amener adroitement et sans qu'on devine à l'avance vos intentions, l'occasion d'instruire votre frère et de redresser ses opinions erronées.— Dites-moi, approuvez-vous les Juifs de ce qu'ils ont crucifié Jésus-Christ, de ce qu'ils blasphèment maintenant contre lui et l'appellent prévaricateur? Il n'osera pas, s'il est chrétien, quelque zélé qu'on le suppose pour le judaïsme, il n'osera pas dire : Je les approuve; mais il se bouchera les oreilles et dira: A Dieu ne plaise ! ne blasphémons pas ! Alors, partant de ce point sur lequel vous êtes d'accord avec lui, reprenez et dites : Comment donc communiquez-vous avec eux, dites-moi ? comment participez-vous à leurs fêtes? comment jeûnez-vous avec eux? Puis, accusez-les d'ingratitude, et exposez-lui toute cette prévarication des Juifs dont j'ai entretenu votre charité les jours précédents, prévarication prouvée par des arguments tirés du lieu, du temps, du temple et des prédictions des prophètes ; montrez-lui que tout ce qu'ils font est inutile et hors de propos, qu'ils ne reviendront jamais à leurs premières institutions, et qu'il ne leur est permis de célébrer aucune cérémonie religieuse hors de Jérusalem. En outre, rappelez-lui l'enfer, le redoutable tribunal du Seigneur, les supplices des damnés; qu'il sache aussi que nous rendrons raison de nos intelligences avec les ennemis du Seigneur, et qu'un châtiment, qui ne sera pas petit, est réservé aux auteurs de tels attentats; rappelez-lui encore cette parole de Paul : Qui que vous soyez, vous qui cherchez votre justification dans la Loi, vous êtes déchus de la Grâce (Gal. V, 4), et la menace qu'il fait ensuite: Si vous vous faites circoncire, Jésus-Christ ne vous sert de rien. (Ibid. V, 2.) Dites-lui que le jeûne judaïque, comme la circoncision, exclut le jeûneur des cieux, quand même il aurait fait une infinité de bonnes oeuvres; dites-lui qu'on nous appelle chrétiens et que nous le sommes pour obéir à Jésus-Christ, non pour aller figurer dans les conciliabules de ses ennemis. S'il vous allègue pour excuse certaines guérisons, et vous dit : Ils promettent de guérir, c'est pourquoi j'ai recours à eux ; découvrez-lui leurs prestiges, leurs enchantements, leurs amulettes, leurs poisons. Car ils ne guérissent pas par d'autres moyens ou plutôt ne guérissent pas en réalité; Dieu nous en garde ! Mais je vais beaucoup plus loin, et je dis que quand même ils guériraient réellement, il vaut mieux mourir que d'avoir recours aux ennemis de Dieu, et d'être guéri de la sorte. A quoi sert, en effet, de guérir le corps si on perd l'âme? Est-ce un profit d'obtenir en cette vie quelque soulagement passager, si l'on doit tomber bientôt dans le feu éternel? Dès longtemps ces artifices ont été dénoncés et condamnés, écoutez ce que dit Dieu : S'il s'élève parmi vous un prophète ou quelqu'un ayant un songe, et qu'il donne un signe ou un prodige, et que le signe ou le prodige annoncé arrive, et que cet homme prenne la parole pour vous dire : Allons, et adorons d'autres dieux, vous n'écouterez pas ce prophète, parce que le Seigneur Dieu vous tente pour montrer si vous aimez le Seigneur votre Dieu, de tout votre coeur et de toute votre âme. (Deut. XIII, 1-3.) Voici ce qu'il veut dire : Si quelque prophète dit : Je puis ressusciter un mort ou guérir un aveugle, mais croyez-moi, adorons les démons, sacrifions aux idoles; quand même l'homme qui tiendrait ce langage aurait le pouvoir de guérir un aveugle ou de ressusciter un mort, ne le croyez pas pour cela, pourquoi ? parce que Dieu lui aura donné ce pouvoir pour vous tenter, non que Dieu ignore vos sentiments, mais il veut vous éprouver et vous fournir l'occasion de montrer si vous aimez réellement le Seigneur votre Dieu. C'est le propre de celui qui aime, de ne pas renoncer à l'objet aimé, même quand ceux qui s'efforcent de l'y faire renoncer présenteraient des morts ressuscités. Si Dieu a adressé ces paroles aux Juifs, à bien plus forte raison nous conviennent-elles à nous qui avons été appelés à une sagesse plus haute, à qui Jésus-Christ a ouvert la porte de la résurrection, et prescrit de négliger les choses présentes, pour tourner toutes nos espérances vers la vie future. [8,6] Direz-vous que la maladie vous afflige et vous tourmente? Cependant vous êtes loin d'avoir autant souffert que le bienheureux Job ; comparées à celles de ce patriarche ; on peut le dire, vos souffrances ne sont rien. Après avoir perdu à la fois ses troupeaux de brebis et de boeufs et tout le reste de sa fortune, il se vit encore enlever la brillante couronne d'enfants qui ornait son existence ; et tous les maux fondirent sur sa tête en un jour, afin que, non seulement la nature des épreuves, mais aussi leur arrivée coup sur coup abattît ce généreux athlète du Seigneur. Ce n'est pas tout : frappé d'une horrible maladie, il vit les vers sortir de toutes les parties de son corps, et il s'assit nu sur un fumier, spectacle public de malheur pour ceux qui étaient présents, lui le juste, le simple, le pieux, et qui s'abstenait de toute action mauvaise. Et ses maux ne s'arrêtèrent pas là, mais les douleurs qu'il ressentait ne lui laissèrent aucun repos ni le jour, ni la nuit, et il fut pressé par une faim étrange, extraordinaire. Je vois, dit-il, la puanteur devenue mon pain, la puanteur, c'est-à-dire les opprobres journaliers, les railleries, les sarcasmes, la dérision. (Job, VI, 7.) Mes domestiques et les fils de mes concubines se sont révoltés contre moi; jusque dans mes songes, je suis en proie à des terreurs inexprimables, exposé à une tempête continuelle de pensées effrayantes. Cependant, sa femme lui conseillait de se délivrer de tous ces maux, en lui parlant ainsi: Dis une parole contre Dieu, et finis-en. (Ib. II, 9.) Blasphème, et délivre-toi des maux que tu endures. Quoi donc? ce mauvais conseil fit-il succomber ce saint homme? — Non, il produisit même l’effet contraire : plus fort à ce moment que jamais Job réprimanda sa femme. Il préférait endurer les plus grandes douleurs et souffrir une infinité de maux, plutôt que d'obtenir par le blasphème d'être délivré de tant de malheurs. Considérez encore ce malade de l'Evangile qui demeura trente-huit ans dans son infirmité; il se rendait tous les ans à la piscine, et tous les ans il se retirait sans être guéri. Chaque année il voyait d'autres malades qui, grâce à l'assistance que leur prêtaient leurs parents, leurs amis, obtenaient leur guérison, tandis que lui, dénué de tout secours, restait toujours dans sa paralysie. (Jean, V.) Cependant, il n'eut pas recours aux démons, aux enchanteurs, il n'attacha pas d'amulettes, mais il attendit le secours divin; c'est pourquoi il obtint enfin une guérison étonnante et miraculeuse. Lazare, lutta constamment contre la faim, la maladie et l'isolement; il ne demeura pas seulement trente-huit ans dans cet état, mais toute sa vie : il expira même dans la situation où il est représenté dans l'Evangile, couché à la porte du riche, méprisé, tourné en dérision, affamé et exposé à servir de pâture aux chiens. (Luc, XXI) Son corps était réduit à ce point qu'il n'avait pas la force de repousser les chiens qui venaient lécher ses plaies. Néanmoins, il ne demanda rien aux enchanteurs, il ne suspendit point d'amulettes à son cou, il ne recourut point aux prestiges, il n'appela point de magiciens, il n'eut recours à aucun moyen illicite, il préféra mourir dans tous ces maux plutôt que de trahir en quelque point, même le moins important, son devoir envers Dieu. Quel pardon avons-nous à espérer, nous qui, loin de tout souffrir, à l'exemple de ces hommes, plutôt que d'offenser Dieu, courons aux synagogues pour une fièvre, une blessure, et appelons dans nos propres maisons des empoisonneurs et des magiciens. N'avez-vous pas entendu ce que dit l'Ecriture : Mon fils, lorsque tu entreras au service du Seigneur, prépare ton âme à la tentation, rends droit ton coeur et ne te laisse pas abattre; dans la maladie et la pauvreté, confie-toi en lui; car, de même que l'or est éprouvé dans le feu, ainsi l'homme est apprécié dans le creuset de l'humiliation. (Eccli. II, 1-5) Je suppose que vous fustigiez votre serviteur, et que celui-ci, pour avoir reçu une trentaine de coups, pousse le cri de la liberté, se dérobe à votre domination, se réfugie chez vos ennemis et les excite contre vous, lui pardonnerez-vous, dites-moi ? quelqu'un pourra-t-il prendre sa défense? Point du tout. Pourquoi? Parce qu'il appartient au maître de châtier son serviteur; parce que si le vôtre avait à chercher un refuge, ce n'était pas auprès de vos ennemis et de ceux qui vous haïssent, mais auprès de vos amis et de vos parents qu'il lui fallait se rendre. De même vous, serviteurs de Dieu, quand vous voyez que Dieu vous châtie, ne vous réfugiez pas auprès des Juifs, ses ennemis, de peur de l'irriter davantage, mais auprès de ses amis, les martyrs, les saints, et de ceux qui lui ont plu et qui jouissent d'un grand crédit auprès de lui. Mais que parlé je de serviteurs et de maîtres? Un fils, eût-il été frappé par son père, ne devrait pas agir de la sorte, ni renier l'auteur de ses jours. Les lois de la nature, en effet, et celles que les hommes ont établies lui ordonnent de tout supporter généreusement, quand même il serait fustigé, exclu de la table, jeté hors de la maison et corrigé de toute autre manière; et personne ne l'excusera s'il n'obéit et n'endure patiemment sa peine. Lors même qu'un enfant frappé par son père, cédant à la douleur pousse des gémissements, tout le monde lui dira : Celui qui vous a châtié est votre père et votre seigneur, il a tout pouvoir sur vous, et de sa part votre devoir est de tout endurer patiemment. Les domestiques supportent ou doivent supporter leurs maîtres, et les fils, leurs pères qui les châtient même souvent mal à propos, et vous-même vous ne supporteriez pas Dieu qui vous corrige, Dieu qui est plus Seigneur que tous les maîtres mortels, qui aime plus que n'aiment les pères, et qui ne fait rien par colère, mais tout pour votre utilité? Et s'il vous survient quelque légère maladie, aussitôt vous quittez la domination de votre père céleste, vous avez recours aux démons, et vous allez en déserteur aux synagogues? Sur quel pardon pouvez-vous compter? Comment pourrez-vous encore implorer le secours de Dieu? Bien plus, quel intercesseur, quand même il posséderait le crédit d'un Moïse, pourra prier pour vous? Aucun. N'entendez-vous pas ce que Dieu dit des Juifs à Jérémie : Ne prie pas pour ce peuple; quand même Moïse et Samuel se présenteraient, je ne les exaucerais pas. (Jérém. VII, 16 et XV, 1) Ainsi certaines fautes surpassent tout pardon et ne peuvent admettre d'excuse. N'attirons donc pas sur nous-mêmes la colère formidable du Seigneur. Quand même les Juifs calmeraient la fièvre par leurs enchantements, et ils ne la calment certainement pas, mais supposé que cela soit, on y gagnerait peu, car ils jettent dans la conscience une autre fièvre beaucoup plus fâcheuse; je veux parler du remords, cet aiguillon d'une impitoyable raison, ce fouet d'une conscience vengeresse, du remords qui ne vous quitte plus un seul instant, répétant sans jamais se lasser : tu es un impie, tu as commis l'iniquité, tu as détruit le traité d'alliance qui t'unissait avec Jésus-Christ; pour une légère infirmité, tu as trahi ton devoir. Cette infirmité, es-tu le seul qui l'ait éprouvée? D'autres n'ont-ils pas eu à souffrir des maladies beaucoup plus graves? Pas un d'eux cependant n'a osé rien de semblable à ce que tu as osé; mou et lâche, tu as tué ton âme. Comment te justifieras-tu auprès de Jésus-Christ ? Comment l'invoqueras-tu dans tes prières? Avec quelle conscience désormais entreras-tu à l'église? De quels yeux désormais verras-tu le prêtre? De quelle main toucheras-tu au banquet sacré? De quelles oreilles entendras-tu les Ecritures qu'on lit dans l'église? [8,7] Voilà ce que, chaque jour, disent et la raison qui aiguillonne et la conscience qui flagelle. Qu'est-ce donc que cette santé que vous achetez au prix de la paix de votre conscience troublée par tant de voix accusatrices? Essayez cependant de résister à l'entraînement, repoussez ces charlatans avec leurs enchantements et les amulettes qu'ils veulent attacher sur votre corps, mettez-les à la porte de votre maison ignominieusement, et vous éprouverez le même soulagement intérieur que si une rosée spirituelle, tombant de votre conscience, rafraîchissait tout votre être. Fussiez-vous dévoré de tous les feux de la fièvre la plus intense il n'y a pas de rosée, pas de fraîcheur qui puisse procurer un adoucissement comparable à celui qu'éprouverait votre âme. Ce criminel enchantement, à peine y aviez-vous consenti, qu'il vous a rendu, quoique bien portant, plus malheureux qu'un homme tourmenté de la fièvre, par le souvenir de votre péché et le remords de votre conscience; au contraire, chassez ces misérables séducteurs, et fussiez-vous en proie à la fièvre la plus violente et aux maladies les plus incurables, vous éprouverez plus de bonheur que ne peut en donner la santé la plus parfaite, votre raison sera satisfaite, votre coeur bondira de joie et d'allégresse, votre conscience, contente de vous, vous applaudira et vous dira : Bien ! Courage ! mortel généreux, serviteur de Jésus-Christ, homme fidèle, athlète de la piété, vous avez préféré mourir dans la douleur, plutôt que de trahir la piété due au Seigneur; c'est pourquoi vous serez placé avec les martyrs au grand jour des récompenses. Les martyrs se sont livrés à la flagellation et aux tortures pour être élevés en gloire : et vous, de même, vous avez mieux aimé souffrir tous les supplices et tous les tourments de votre fièvre et de vos plaies que de vous prêter à des enchantements criminels, à des artifices coupables, et, soutenu, fortifié par les mêmes espérances éternelles que les martyrs, vous ne sentirez même pas vos douleurs passagères. Si votre fièvre d'aujourd'hui ne vous enlève pas, une autre vous enlèvera bon gré mal gré, et si nous ne mourons pas maintenant, nous mourrons plus tard. Nous avons reçu en partage ce corps périssable, non pour que nous devenions impies à l'occasion de ses souffrances, mais au contraire, pour que nous usions de ses souffrances en faveur de la piété et de la vertu. Cette corruptibilité et cette mortalité même du corps, si nous sommes vigilants, sera pour nous une matière de gloire et nous donnera une grande assurance au jour du jugement et même dans la vie présente. Car, si vous fermez aux enchanteurs la porte de votre maison, tous ceux qui l'apprendront vous loueront, vous admireront et se diront les uns aux autres : Un tel, malgré les infirmités et les douleurs dont il était accablé, n'a pas consenti à user d'enchantements magiques, il a résisté à toutes les instances de ceux qui l'y portaient par une infinité d'exhortations, d'avis et de conseils, il a répondu: mieux vaut mourir en cet état que de trahir ma religion. Et ceux qui entendront raconter ce trait de courage éclateront en nombreux applaudissements, ils seront tous frappés d'admiration et glorifieront Dieu. Quelles statues seraient aussi honorables pour vous que ces éloges? quelles images aussi glorieuses ? quels honneurs aussi éclatants ! Tous vous loueront, tous vous proclameront bienheureux et vous couronneront; eux-mêmes à votre exemple deviendront meilleurs, ils se feront, à leur tour, les émules et les imitateurs de votre courage; et chaque fois que votre conduite sera imitée par quelqu'un de vos frères, vous en recevrez la récompense, vous qui aurez provoqué et stimulé son zèle et son émulation. Non seulement on vous louera de vos bonnes actions, mais vous obtiendrez encore la prompte guérison de votre maladie, parce que votre résolution généreuse elle-même vous attirera de plus en plus la bienveillance de Dieu, et que tous les saints, dans la joie unanime que leur inspirera votre courage, adresseront du fond de leurs coeurs d'ardentes prières au Seigneur. Si tels sont, dès ici-bas, les prix accordés à ce courage, quelles couronnes recevrez-vous là-haut, lorsqu'en présence des anges et des archanges, Jésus-Christ viendra, et vous prenant par la main, vous présentera à la cour céleste, en prononçant ces paroles que tous entendront : Cet homme était consumé par la fièvre, beaucoup l'engageaient à demander sa guérison à mes ennemis, mais par respect pour mon nom et dans la crainte de m'offenser, il a repoussé, il a rejeté avec indignation ces mauvais conseils, il n'a pas voulu devoir sa guérison à de tels moyens, et il a mieux aimé mourir de sa maladie, que de trahir son amour pour moi. Si, en effet, Jésus-Christ accueille avec tant de bienveillance ceux qui lui ont donné à boire, qui, l’ont revêtu et qui l'ont nourri, à bien plus forte raison en usera-t-il de même à l'égard de ceux qui ont supporté courageusement la fièvre à cause de lui. Donner du pain ou un vêtement n'est pas une action aussi difficile que de supporter une longue maladie ; or, plus grande est la peine, plus éclatante aussi sera la couronne. Méditez cette exhortation, que vous soyez malades ou en bonne santé, faites-en le sujet de vos conversations; et si, quelque jour, vous êtes tourmentés par une fièvre qui vous paraisse insupportable, dites-vous à vous-mêmes : Mais quoi ? si une accusation était portée contre nous, que l'on nous conduisît au tribunal, pour nous suspendre au chevalet et nous déchirer les côtés, ne serions-nous pas obligés d'endurer ce supplice bon gré mal gré, et cela sans profit et sans récompense ? Raisonnons aussi maintenant de la sorte; ayons devant les yeux la récompense réservée à la patience, cette récompense assez grande pour relever le courage abattu.— Mais la fièvre est désagréable.— Eh bien ! opposez lui le feu de l'enfer que vous éviterez certainement, si vous voulez supporter cette fièvre avec patience. Rappelez-vous combien ont souffert les apôtres; rappelez-vous les justes constamment plongés dans les afflictions; rappelez-vous le bienheureux Timothée, que ses infirmités ne laissèrent pas respirer un instant, mais qui eut la maladie pour compagne inséparable. C'est ce que Paul nous apprend, quand il dit : Use d'un peu de vin, à cause de ton estomac et de tes fréquentes défaillances. (I Tim. V, 23.) Si ce juste, ce saint, ce grand évêque, qui ressuscitait les morts et chassait les démons, qui guérissait dans les autres une infinité de maladies, a souffert de si grands maux, quelle excuse aurez-vous à présenter, vous qui vous troublez et vous affligez pour une maladie passagère? N'avez-vous pas entendu ce que dit l'Ecriture : Le Seigneur châtie celui qu'il aime, et il flagelle tous ceux qu'il reçoit parmi ses enfants? (Héb. XII, 6.) Combien ont désiré la couronne du martyre ! La couronne parfaite du martyre est là. Recevoir l'ordre de sacrifier aux faux dieux, puis préférer mourir plutôt que de sacrifier, ce n'est pas là seulement ce qui fait le martyr, ce qui donne encore droit à ce rang, c'est d'accepter volontairement pour Jésus-Christ un état quel qu'il soit, pouvant conduire à la mort. [8,8] Et pour vous convaincre de cette vérité, rappelez-vous les circonstances et les motifs de la mort de saint Jean-Baptiste; représentez-vous aussi la mort d'Abel. Ni l'un ni l'autre n'ont vu le feu sur l'autel ou une statue dressée, ni reçu l'ordre de sacrifier ; mais le premier eut la tête tranchée, pour avoir repris Hérode; et le second fut égorgé, pour avoir honoré Dieu par un sacrifice plus agréable que celui de son frère. Ont-ils donc été privés de la couronne du martyre? Qui oserait le dire? qui doute même que ce genre de mort ne les ait élevés au premier rang du martyre ? Voulez-vous connaître le jugement de Dieu sur eux, écoutez ce que dit Paul, l'Esprit-Saint parle par sa bouche : Je crois, en effet, dit-il, avoir, moi aussi, l'Esprit de Dieu. (I Cor. VII, 40.) Que dit-il donc sur ces deux hommes? Il commence par Abel, et dit qu'il offrit à Dieu un sacrifice plus agréable que celui de Caïn, et qu'étant mort pour cela, ce juste parle encore après sa mort; il descend ensuite aux prophètes, arrive à Jean-Baptiste et dit : Ils sont morts par le tranchant du glaive; d'autres ont été torturés (Héb. XI, 37) ; il énumère aussi de nombreux et différents genres de mort, puis il ajoute : C'est pourquoi, nous qui sommes environnés d'une si grande nuée de martyrs, dégageons-nous de tout ce qui nous appesantit, et armés de patience, courons où Dieu nous appelle. (Ibid. XII, 1.) Vous le voyez, saint Paul, dans son Epître aux Hébreux, donne le nom de martyrs à Abel, à Noé et à Abraham, à Isaac et à Jacob, qui, en effet, sont morts pour Dieu de la manière que saint Paul l'entendait lorsqu'il disait: Chaque jour je meurs (I Cor. XV, 31), quoiqu'il ne souffrît pas la mort, mais fût seulement résolu à l'endurer. Et vous aussi, mes Frères, si vous repoussez les enchantements, et les maléfices, et les prestiges, et que vous mouriez de votre maladie, vous êtes des martyrs accomplis, parce que, méprisant les promesses de guérison, qui vous étaient faites par l'impiété, vous avez mieux aimé mourir que de manquer à ce que vous devez à Dieu. Voilà ce qu'on peut dire contre ceux qui font grand bruit des guérisons opérées par les démons; mais je vais plus loin, et je soutiens que les démons ne guérissent pas. Ecoutez ce que Jésus-Christ dit du diable : Celui-là était homicide dès le commencement. (Jean, VIII, 44) Dieu l'appelle homicide, et vous courez à lui comme à un médecin? Et quelle raison apporterez-vous pour votre défense, quand vous aurez à répondre à l'accusation d'avoir tenu les impostures du démon pour plus dignes de foi que la parole de Jésus-Christ? Dieu dit qu'il est homicide, et, contrairement à l'arrêt divin, les Juifs assurent qu'il guérit les maladies, dès lors que faites-vous en vous prêtant aux prestiges et aux enchantements des Juifs ? vous déclarez par vos actes, sinon par vos paroles, que vous croyez les Juifs plus dignes de foi que Dieu lui-même. Que si le diable est homicide, il est clair que les démons qui le servent le sont également. C'est ce que Jésus-Christ vous apprend par un fait rapporté dans l'Evangile : quand il eut permis aux démons de fondre sur le troupeau de pourceaux, ils précipitèrent aussitôt ce troupeau tout entier dans la mer; ce qui vous montre assez qu'ils en eussent fait autant aux hommes, et qu'ils les eussent suffoqués sur-le-champ, si Jésus-Christ le leur eût permis; c'est cet ami des hommes qui retint la fureur de ces démons et les empêcha de se porter à cet excès. Ce qu'ils firent de ces animaux sur lesquels le Sauveur leur avait donné toute puissance, indique suffisamment ce qu'ils feraient des hommes s'ils pouvaient disposer d'eux à leur gré. S'ils n'ont pas épargné des pourceaux, combien épargneraient-ils moins les hommes ! Ne vous laissez donc pas égarer, mes bien-aimés, par leurs fourberies, mais soyez inébranlablement affermis dans la crainte de Dieu. Comment pouvez-vous seulement entrer dans la synagogue? si vous marquez en y entrant votre front du signe des chrétiens, aussitôt s'enfuit la puissance perverse qui habite la synagogue, mais si vous évitez de faire ce signe, si vous jetez ainsi votre arme dès la porte, le démon vous saisissant nus et désarmés, vous affligera d'une infinité de maux. Mais, qu'avons-nous besoin, nous, de parler ? Que vous soyez vous-mêmes persuadés qu'il y a un très grand péché à courir vers ce lieu mauvais, c'est ce qui est évident par la manière dont vous y arrivez. Vous faites tout ce que vous pouvez pour vous cacher en y entrant, vous recommandez à vos domestiques, à vos amis et à vos voisins de ne pas vous dénoncer aux prêtres, et si quelqu'un fait courir le bruit que vous y allez, vous entrez en colère. Quelle folie ! vous fuyez les regards, et sans vous inquiéter si Dieu vous voit, lui qui est présent partout, vous commettez effrontément l'iniquité sous ses yeux. Vous ne craignez pas Dieu ! Soit, alors craignez du moins les Juifs. De quels yeux les regarderez-vous, de quelle bouche leur parlerez-vous, vous qui confessez que vous êtes chrétiens, et qui courez cependant à leurs synagogues, et implorez leur secours et leur assistance; vous ne songez donc pas quel ridicule, quels sarcasmes, quelles railleries, quelle honte, quels opprobres vous attirez sur vous de la part de ces Juifs qui ne vous épargneront pas dans leur conscience s'ils le font extérieurement. [8,9] Est-ce donc là, dites-moi, quelque chose qui se puisse tolérer et souffrir? Quand il faudrait mourir mille fois, cela ne vaudrait-il pas mieux que de provoquer la risée et les sarcasmes de ces misérables Juifs, et de s'exposer par surcroît aux reproches de sa conscience? Je vous dis ces choses, non seulement pour que vous les entendiez vous-mêmes, mais pour que vous en fassiez profiter vos frères, les chrétiens judaïsants. A ceux-ci nous reprochons d'être faibles dans la foi ; à vous, de manquer de charité pour venir en aide à ceux qui sont faibles. Croyez-vous, mes bien-aimés, que vous avez fait tout ce que l'on demande de vous, lorsque vous êtes venus ici et que vous avez prêté l'oreille à la prédication? Ne vous y trompez pas, ce sera certainement un sujet de condamnation d'entendre la parole et de n'y pas répondre par les oeuvres ! Vous êtes chrétiens pour imiter Jésus-Christ et obéir à ses lois. Voyez donc ce qu'a fait ce divin modèle ? Il ne restait pas assis à Jérusalem, appelant à lui tous les malades; mais il parcourait les villes et les bourgades, guérissant les infirmités de l'âme et du corps. Il pouvait cependant, sans se déranger, attirer à lui tout le monde; mais il ne l'a pas fait, pour nous apprendre, par son exemple, à aller de tous côtés chercher ceux qui périssent. C'est encore ce qu'il nous fait entendre par la parabole du bon pasteur. Le bon pasteur, en effet, avec ses quatre-vingt-dix-neuf brebis, ne s'assied pas tranquillement pour attendre que celle qui est égarée revienne d'elle-même à lui; il va la chercher, et l'ayant trouvée il la prend sur ses épaules pour la rapporter au bercail. Ne voyez-vous pas les médecins agir aussi de la sorte? Ils ne font pas apporter dans leurs maisons les malades couchés dans des litières, mais ils vont eux-mêmes les trouver avec empressement. Agissez de même, mes bien-aimés, n'oubliez pas que la vie présente est courte, et que si nous négligeons de gagner des âmes à Dieu nous n'aurons pas de salut à espérer. Une seule âme gagnée peut souvent effacer d'innombrables péchés, et devenir la rançon de notre âme au jour du jugement. Pourquoi les prophètes, pourquoi les apôtres, pourquoi les anges ont-ils été fréquemment envoyés ici-bas, pourquoi le Fils unique de Dieu lui-même est-il venu : n'est-ce pas pour sauver les hommes? n'est-ce pas pour ramener les égarés? Faites de même, selon votre pouvoir, et montrez toute espèce de soin et de sollicitude pour procurer le retour des égarés. Cette exhortation, je vous la répète à satiété dans chacune de nos réunions, et que vous soyez attentifs ou non, je ne cesserai pas de vous tenir le même langage. Dieu nous fait une loi de remplir ce ministère, soit que vous écoutiez, soit que vous n'écoutiez pas. Ce devoir, nous l'accomplirons avec joie, si vous mettez en pratique les conseils qui vous sont donnés, avec peine et découragement, si vous vous montrez indociles et négligents. A la vérité, votre refus d'écouter ne nous fera encourir aucune responsabilité dangereuse, puisque nous aurons fait tout ce qui dépendait de nous; toutefois, bien que le soin que nous avons pris d'accomplir notre devoir dans toute son étendue nous mette hors de tout danger, nous sommes affligé de l'accusation qui sera portée contre vous, au grand jour des justices. Il ne sera pas sans péril pour vous, en effet, d'avoir entendu la parole si vous n'y répondez par les oeuvres. Jésus-Christ, en accusant les docteurs qui tiennent la parole cachée, a aussi des menaces pour ceux qui reçoivent mal l'enseignement. Ecoutez, après avoir dit : Tu devais déposer mon argent chez des banquiers, il ajoute : Et moi, à mon arrivée, je l'aurais redemandé avec les intérêts. (Matth. XXV, 27) Il fait voir par là, qu'après avoir entendu (c'est ce que signifie le dépôt de l'argent), il faut que ceux qui ont reçu l'enseignement le fassent fructifier. Or, faire fructifier l'enseignement, qu'est-ce autre chose, sinon y répondre par les oeuvres ? Puis donc que nous avons déposé l'argent de la parole sainte dans vos oreilles, c'est une nécessité désormais que vous en rendiez au Maître les fruits, en procurant le salut de vos frères. C'est pourquoi, si vous vous contentez de retenir nos paroles sans leur faire rien produire, je crains que vous ne subissiez la même peine que celui qui avait enfoui son talent. Celui-ci fut jeté, pieds et mains liés, dans les ténèbres extérieures, parce qu'il n'avait pas rapporté aux autres ce qu'il avait entendu. Si nous ne voulons pas éprouver le même malheur, imitons celui qui avait reçu les cinq talents et celui qui en avait reçu deux; et quand il faudrait employer des discours, de l'argent, des travaux corporels, des prières et faire n'importe quel sacrifice pour le salut du prochain, n'hésitons pas un instant, afin que chacun de nous faisant fructifier, en proportion de ce qu'il a reçu, le talent que Dieu lui a donné, nous puissions entendre cette bienheureuse parole : Bien! serviteur bon et fidèle, tu as été fidèle en de petites choses, je t'en confierai de grandes, entre dans la joie de ton Seigneur. (Matth. XXV, 21) Plaise à Dieu que nous ayons tous le bonheur de nous entendre adresser cette parole par la grâce et la charité de Notre Seigneur Jésus-Christ, par qui et avec qui soient au Père gloire et puissance, ensemble avec le Saint-Esprit, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.