[4,0] LETTRE IV. AU RECTEUR DE L'UNIVERSITÉ DE PRAGUE. Vénérable Recteur, j'ai reçu une grande consolation de votre lettre, dans laquelle vous écrivez entre autres choses : "Le juste ne sera point contristé, quelque chose qui lui arrive"; d'où vous inférez que les tribulations temporelles et l'éloignement où je suis de mes amis ne doivent ni me briser, ni m'attrister, ni m'abattre, mais doivent au contraire me fortifier et me réjouir. J'accepte avec reconnaissance cette consolation. Je m'attache aux paroles de l'Écriture, et je me dis que, si je suis juste, aucun mal, quel qu'il soit, ne pourra me contrister jusqu'à me détourner du chemin de la vérité. Si je vis et veux vivre saintement en Christ, il est nécessaire que je souffre la persécution au nom de Christ; car s'il a fallu que le Christ souffrît afin d'entrer dans la gloire, il faut aussi que nous portions notre croix, malheureux que nous sommes, et que nous l'imitions dans sa passion. Je proteste donc, vénérable Recteur, que je n'ai jamais été accablé par la persécution : je ne le suis que par mes péchés et par l'égarement du peuple chrétien. Que sont en effet pour moi les richesses du siècle? Quelle affliction peut me causer leur perte? Qu'est-ce pour moi que la perte de la faveur du monde, qui détourne de la voie de Christ? Qu'est-ce que l'infamie qui, humblement soufferte, éprouve, purifie, illumine les enfants de Dieu, de manière qu'ils brillent et rayonnent comme le soleil dans le royaume de leur père ? Qu'est-ce enfin que la mort, si l'on m'arrache cette misérable vie? Celui qui la perd ici-bas triomphe de la mort même et trouve la vie véritable. Mais les hommes, aveuglés par le luxe, la vaine gloire, l'ambition, ne comprennent pas ces choses; d'autres sont détournés de la vérité par la crainte et languissent dépourvus de patience, de charité, de toute vertu, dans une étrange perplexité. D'une part ils sont pressés par la connaissance de la vérité, d'autre part par la crainte de perdre leur réputation, d'exposer leur corps misérable à la mort. Pour moi, j'y exposerai le mien (je l'espère avec le secours de notre seigneur Jésus) si sa miséricorde me vient en aide; car je ne désire point vivre dans ce siècle corrompu, à moins que je ne puisse conduire à la repentance et moi-même et les autres, selon la volonté de Dieu. Voilà ce que je souhaite ardemment pour vous, et je vous exhorte, ainsi que tous ceux qui vous sont unis, à vous tenir prêts à combattre, car voici déjà les préludes de l'Antéchrist, et le embat est proche, et il faut que la pauvre oie agite ses ailes contre les ailes de Béhémot et contre cette queue de l'Antéchrist, qui enfante toujours l'abomination. Le prophète nous l'a montré lorsqu'il a dit "Celui qui enseigne le mensonge est la queue de l’Antéchrist, et un grave vieillard en est la tête". Le Seigneur les confondra l'un et l'autre; il confondra le pape et ses prédicateurs, ses officiers et ses docteurs, qui, sous un faux nom de sainteté, enfantent l'abomination. Quelle abomination plus grande que celle de la prostituée qui s'abandonne publiquement à tout venant.? Et pourtant elle est plus grande encore l'abomination de celui qui, assis en haut lieu, s'offre comme s'il était Dieu aux adorations de tous, trafique des choses spirituelles et vend tout ce qu'il ne possède pas. Malheur donc à moi, si je ne prêche contre une semblable abomination ! Malheur à moi, si je ne pleure, si je n'écris! verrez-vous un seul homme pour qui de telles choses ne soient une calamité? Déjà le grand aigle prend son vol et nous crie : Malheur ! malheur aux habitants de la terre!