[2,2] La princesse partit pour Epeircté comme elle en avait l'ordre. Iburrane, arrivé depuis peu à la cour, eût l'honneur de l'accompagner. Le roi qui avait résolu de s'y rendre peu de jours après, il fut sur le point de perdre la vie dans ce voyage, soit que ce fut une trahison de la part de ses ennemis, ou que les destins voulurent faire naître cette occasion pour l'avantage et l'honneur d'Arcombrote. On rencontrait un lac d'environ mille pas de tour, le rivage en était praticable, mais pour peu qu'on avançât, il y avait du risque. Le cocher du roi détourna pour prendre le chemin le plus beau et le plus commode; en effet il était trop frayé pour laisser aucun sujet de craindre ; quand les chevaux, soit par une ardeur imprévue, soit par l'imprudence ou la malice du cocher qui les conduisait se cabrèrent cent tout à coup, prirent le mors aux dents, et allèrent se précipiter dans le lac. Plusieurs de la suite du roi jetaient de grands cris, mais aucun ne se disposait à le tirer du danger. Les uns craignaient de trop se hasarder, les autres, dans l'envie qu'ils avaient de le secourir, se trouvaient sans mouvement, par la frayeur que leur avait causé un péril subit. Parmi quelques-uns cependant qui témoignèrent plus de fidélité, en suivant le char du roi, personne n'égala l'ardeur ni le zèle d'Arcombrote. Il le joignit d'assez près pour se faire entendre, il avertissait le cocher de tenir ferme les guides : il criait au roi de se jeter à l'eau qui n'était pas encore bien profonde. Le char avançait et l'eau couvrait déjà une partie des roues, Arcombrote fit dans ce moment une action digne de lui. Sentant que son cheval empêché par les flots ne répondait point à son impatience, il se jette dans le lac et va droit au roi, qu'il saisit si à propos par ses habits, que presque dans l'instant on perdit de vue les chevaux et le char, que ce lac engloutit dans tes gouffres. Arcombrote avait senti toute la pesanteur du roi qui était tombé sur lui. Le fond qui ne laissait sous pied, et l'agitation continuelle de l'eau qui lui couvrait déjà les épaules, lui firent enfin connaître la grandeur du péril où il s'était engagé. Le roi de son côté, à qui un âge avancé laissait beaucoup moins de forces, n'était plus en état de résister à la rapidité des eaux ; Arcombrote et lui se serraient étroitement comme deux personnes qui luttent. Il n'y avait presque plus d'espérance d'échapper aux vagues qui les entrainaient, quand par le secours de quelques amis diligents, ils furent délivrés du danger. 2. Méléandre étant sorti de l'eau, l'idée péril qu'il venait d'éviter, se présenta à lui et à ceux qui l'avaient accompagné, dans toute son étendue. Cette même frayeur augmentait encore, quand on faisait attention que le roi qui ne savait point nager, eût infailliblement perdu la vie, si Arcombrote en exposant la sienne, ne l'eût promptement secouru. Mais quand on sût qu'Arcombrote lui-même ne savait point nager, chacun fut saisi d'étonnement, qu'un jeune homme, un étranger qui n'était attaché au roi par aucune obligation particulière, eût fait une action, que des sujets comblés de bienfaits n'avaient osé entreprendre. Méléandre fut sensible, comme il le devait, à un service si essentiel. Il embrassa tendrement Arcombrote, et donna à cette action généreuse toutes les louanges qu'elle méritait. Il se sentait porté a aimer cet étranger, il fut ravi de trouver une occasion aussi favorable, pour lui donner des preuves de son amitié, sans que personne en dût prendre ombrage. Le cocher cependant, échappé au danger, venait à bord, le visage pâle et les yeux presque éteints, quand Éristhène animé contre ce malheureux, tira son épée et fit tomber mort à ses pieds. Les jeunes courtisans prenaient trop de part au risque que le roi avait couru, pour ne pas donner des applaudissements à ce premier transport ; mais ceux qui avaient plus d'expérience, en raisonnaient différemment. Si ce n'est pas la faute du cocher, disaient-ils, pourquoi cette cruauté? S'il était coupable n'est-ce pas une mort trop douce ? et ne fallait-il pas découvrir auparavant les complices d'une si noire trahison ? N'y avait-il qu'Éristhène qui fut fidèle au roi, pour usurper sur tout autre le droit de venger une pareille perfidie ? Plusieurs encore se persuadèrent que le cocher gagné par Licogène, avait de dessein prémédité engagé le roi dans ce danger, mais qu'Éristhène d'intelligence avec Licogène, voyant que les destins s'étaient déclarés contre son crime, avait voulu, par la mort de ce traître, ôter tous les moyens de découvrir la conspiration. Le grand crédit d'Éristhène et le temps qui ne permettait point encore d'éclairer, obligèrent Méléandre à dissimuler. Il parut avec un visage si tranquille qu'Éristhène lui-même ne put croire qu'on le soupçonnait.