1. Première partie : les principes généraux de la poésie (1 - 152) 1a. [1-37] L'oeuvre d'art, tableau ou poème, ne saurait être faite de membres incohérents; elle est soumise à la grande loi de l'unité du sujet et de l'harmonie des parties. C'est violer cette loi que de parer une épopée de hors-d'oeuvre descriptifs; et rien, ni la crainte de la monotonie ni le soin donné aux détails ne doit nous la faire perdre de vue. 1b. [38-41] D'autre part, il faut que la matière choisie soit en rapport avec les forces du poète : alors les mots viendront facilement, le plan sera clair. 1c. [42-45] La grande règle de la disposition est de dire ce qu'il faut, au moment où il faut. 1d. [46-72] L'élocution s'éloignera de la banalité si elle renouvelle les mots de tout le monde en les rapprochant d'une manière qui ne soit pas courante. Elle créera, au besoin, sur des types grecs, des termes nouveaux; elle laissera tomber les mots vieillis, comme les feuilles emportées par le vent d'automne : aucune oeuvre humaine n'est impérissable. Mais il peut y avoir des renaissances amenées par les besoins du langage. 1e. [73-85] La succession métrique des mots devra se conformer au type de vers que la tradition assigne à chaque genre. 1f. [86-98] Chaque genre a un ton particulier qu'il faut observer, mais qui doit varier, cependant, avec les sentiments que l'on veut traduire. 1g. [99-113] Il ne suffit pas de plaire à l'esprit par la beauté de la forme, il faut encore toucher le coeur et, pour cela, éveiller la sympathie du lecteur ou du spectateur. 1h. [114-118] En même temps qu'aux passions, le style répondra aux caractères, tels que les déterminent le rang, l'âge, le métier, etc.. 1i. [119-127] Les personnages fournis par la tradition doivent garder les traits qu'elle leur a donnés; quant aux personnages créés par le poète, ils doivent être, d'un bout à l'autre, conformes à eux-mêmes. 1j. [128-135] Au lieu de chercher à individualiser des types généraux, il est plus sûr de puiser à la source homérique; seulement l'imitation ne doit être ni banale ni servile. 1k. [136-152] L'imitation ne devra point tomber dans le ridicule des poètes cycliques qui ouvrent par de magnifiques promesses leurs plates narrations; quelle différence avec Homère ! 2. Deuxième partie : les règles de la poésie dramatique (153 - 294) 2a. [153-155] Horace annonce qu'il va donner les règles de la poésie dramatique. 2b. [156-178] D'abord, les règles qui concernent les caractères. Un seul exemple est longuement développé : les variations que l'âge apporte dans la physionomie morale des hommes. 2c. [179-188] En ce qui concerne l'action, il est des choses qu'on doit mettre sous les yeux des spectateurs; d'autres, qui paraîtraient invraisemblables ou trop odieuses, seront simplement racontées. 2d. [189-193] Quelques règles : le nombre d'actes; les interventions divines; le nombre des personnages. 2e. [193-201] Le choeur sera mêlé à l'action; ses chants ne seront pas de simples intermèdes; son rôle est de faire entendre le langage de la morale et de la piété. 2f. [202-219] La flûte, autrefois, ne faisait qu'accompagner les chants du choeur; aujourd'hui, elle couvre le bruit qui monte de la foule des spectateurs; de même s'est renforcé le son de la cithare. Et les paroles ont pris une emphase en rapport avec la musique. 2g. [220-250] En ce qui concerne le drame satyrique, il ne faut pas trop y abaisser le ton; on laissera une certaine dignité aux personnages tragiques qui y figurent et on adoptera un style d'un genre moyen, aussi éloigné de la pompe que de la platitude ou de la trivialité et dissimulant beaucoup d'art sous l'emploi d'expressions en apparence peu recherchées. 2h. [251-274] Dans les trois genres dramatiques, le vers du dialogue est le trimètre iambique. Les vieux poètes latins, les Ennius, les Accius, l'ont alourdi, en admettant le spondée partout, même aux pieds pairs; il faut lui rendre son agilité propre en revenant aux modèles grecs : les Romains ont pu jadis louer Plaute comme un modèle de versification et de fine plaisanterie; ils doivent aujourd'hui avoir l'oreille et le goût plus difficiles. 2i. [275-284] Les Grecs ont créé les genres dramatiques, la tragédie d'abord, puis la comédie ancienne. 2j. [285-294] Les poètes latins ont imité les Grecs. Ils ont risqué aussi, avec les praetextae et les togatae, des sujets nationaux; mais ils n'ont pas donné au style assez de soin : la nouveauté du sujet est peu de chose; l'essentiel, c'est de s'approprier la matière par les qualités de la forme. 3. Troisième partie : les règles personnelles que le poète doit s'imposer. (295 - 476) 3a. [295-309] Si la poésie n'est qu'un délire, pas besoin de parler de règles. Mais la poésie est, pour une part, fruit de l'étude, du travail, du bon sens. 3b. [310-322] Il faut une préparation philosophique générale pour former l'esprit et le nourrir de connaissances précises sur l'homme et la vie; pour bien écrire, il faut avoir quelque chose à dire. 3c. [323-332] Suivons l'exemple des Grecs, avides de gloire, chez qui l'éducation n'était pas utilitaire, comme chez les Romains. 3d. [333-346] Certes, il faut de l'utile, mais il faut aussi de l'agréable. Si vous vous proposez d'instruire par des préceptes directement formulés, qu'ils soient brefs, et si vous cherchez simplement à amuser l'imagination, demeurez dans la vraisemblance. Au reste, l'oeuvre qui emporte tous les suffrages est celle où l'utilité du fond s'enveloppe de l'agrément de la forme. 3e. [347-360] On peut pardonner, surtout en un long poème, quelques menues défaillances. 3f. [361-365] Il y a, d'ailleurs, pour les poèmes comme pour les tableaux, une question de perspective : les uns doivent être vus, en quelque sorte, à distance; les autres ne redoutent pas un examen minutieux. 3g. [366-385] Mais ce qu'on ne saurait permettre au poète, c'est d'être médiocre : la poésie est un objet de luxe, non un travail de manoeuvre ou un amusement d'amateur. 3h. [386-390] Si nous ne sommes pas sûrs de la qualité de notre oeuvre, soumettons-la à quelque sage ou attendons longtemps avant de la publier. 3i. [391-407] Mais, si nous avons des dons, ne rougissons pas d'écrire des vers : quelle plus belle mission que celle du poète ? Avec les Orphée, les Amphion, les Homère, les Tyrtée, la poésie a civilisé l'humanité. 3j. [408-418] Ne croyons pas cependant que les dons suffisent : si l'art ne fait rien de grand sans le génie, le génie ne crée rien de parfait sans l'art. Or, l'art s'apprend par un lent apprentissage dans lequel le poète doit se donner comme modèle de patience l'athlète qui se forme et s'entraîne pour les concours gymniques; il ne suffit pas de proclamer soi-même son génie, comme le font aujourd'hui tant de gens. 3k. [419-433] Les applaudissements qu'un client famélique donne à l'amateur riche ne font illusion qu'à celui-ci. 3l. [434-452] Ne nous fions qu'aux suffrages d'amis sincères dont la critique clairvoyante, comparable à celle de Quintilius Varus, nous signalera tous les endroits faibles ou défectueux. 3m. [453-476] Portrait comique du poète maniaque qui va récitant ses vers à tout le monde et qui met tout le monde en fuite.