[0] Ici commence l’abrégé de la vie du pieux roi Robert. PRÉFACE. LE maître du céleste empire, à qui l’esprit de superbe voulut s’égaler en puissance, a choisi sur la terre des princes pour tenir les sceptres puissants du siècle; et comme la sainte Église, notre mère, en a obtenu, pour gouverner le peuple de Dieu, des évêques, des abbés et autres ministres revêtus des Ordres sacrés, de même il a fait choix en ce monde d’empereurs, rois et princes pour châtier les malfaiteurs et réprimer l’audace des méchants, afin que Dieu soit loué dans les siècles des siècles. Et puisque ce discours a commencé par les Pères du monastère de Saint-Aignan, il est nécessaire et utile de reconnaître celui qui a été le père commun de tous, afin que tout le monde reçoive consolation de ce que la miséricorde de notre Seigneur Jésus-Christ a choisi ce bon prince, et de ce que la majesté divine l’a établi souverain de ses enfants. Nous dirons à qui ceci se rapporte. Ainsi donc, par l’ordre de la toute-puissance du Dieu Tout-Puissant, et le secours de saint Aignan, nous avons fait mémoire de monseigneur et révérend Leudebod, abbé du susdit monastère de Saint-Aignan, lequel, par testament, a transporté ce qui lui appartenait en propre à Saint-Pierre d’Orléans, à Sainte-Marie, et à Saint-Pierre de Fleury. Maintenant, nous voulons ajouter à cet écrit que le très bon et très pieux Robert, roi des Français, fils de Hugues, dont la piété et la bonté ont retenti par tout le monde, a de tout son pouvoir enrichi, chéri et honoré ce saint, par la permission duquel nous avons voulu écrire la vie de ce très excellent roi, digne d’être imité par les âges présents et futurs; afin que les âmes tièdes y apprennent ce que valent les œuvres de charité, d’humilité et de miséricorde, sans lesquelles nul ne pourra parvenir au royaume céleste, et qui ont tellement éclaté en lui, qu’après le très saint roi-prophète David, nul en ceci ne lui peut être égalé, particulièrement dans la sainte humilité qui, se tenant toujours en présence de Dieu, unit à Dieu de corps et d’esprit ceux qui l’aiment. Nous commencerons par décrire, ainsi que nous l’avons vu, les traits de son visage et la beauté de son corps, aidés en ceci du secours de notre Seigneur Jésus-Christ qui, par sa naturelle bonté, inspire qui il veut, comme il veut, et quand il veut. [1] VIE DU ROI ROBERT. DANS le temps où Dieu jeta les yeux sur les fils des hommes, pour voir s’il en était un qui le connût et le cherchât, le roi des Français fut Robert, d’une très noble origine, fils de l’illustre Hugues, et d’Adélaïde, pour qui l’honneur d’être sa mère paraît un éloge suffisant. Son auguste famille, comme lui-même l’affirmait en saintes et humbles paroles, avait sa souche en Ausonie. Quant à lui, illustre par des actions vertueuses, il augmentait chaque jour l’éclat de son mérite, déjà remarquable par la connaissance parfaite de toutes les sciences. Il avait la taille élevée, la chevelure lisse et bien arrangée, les yeux modestes, la bouche agréable et douce pour donner le saint baiser de paix; la barbe assez fournie, et les épaules hautes. La couronne placée sur sa tête indiquait qu’il sortait d’une race qui fut royale dans son aïeul et son bisaïeul. Lorsqu’il montait son cheval royal, (chose admirable) les doigts de ses pieds rejoignaient presque le talon, ce qui dans ce siècle fut regardé comme un miracle par ceux qui le voyaient. Il priait Dieu fréquemment et continuellement, fléchissait le genou une innombrable quantité de fois, et pour me servir des termes d’Aurelius Victor, et parler le langage humain, c’était un homme parvenu au plus haut rang par ses mérites en tout genre. Lorsqu’il siégeait dans le consistoire, il se disait volontiers client des évêques. Jamais une injure reçue ne le porta à la vengeance; il aimait la simplicité, et se livrait à la conversation , aux promenades et aux repas en commun; il était tellement appliqué aux saintes lettres, qu’il ne se passait pas de jours qu’il ne lût le psautier, et ne priât le Dieu très haut avec saint David. Il fut doux, reconnaissant, d’un caractère civil et agréable, et plus bienfaisant que caressant. [2] Ce même roi, au très sage cœur, auquel étaient naturels les dons de la science parfaite, qu’il avait reçus de Dieu même, fut très savant dans les lettres humaines. Sa pieuse mère l’envoya aux écoles de Reims, et le confia au maître Gerbert, pour être élevé par lui, et instruit suffisamment dans les doctrines libérales, et de manière à plaire en tout, par ses hautes vertus, au Dieu tout-puissant. Ainsi fut fait. Ce même Gerbert, à cause de son mérite qui brillait dans tout le monde, reçut du roi Hugues l’archevêché de Reims; en peu d’années il le pourvut splendidement des choses nécessaires à une église sainte. En quittant ce diocèse il fut mis à la tète de celui de Ravenne, par Othon III; de là, bientôt élevé au siège du très saint apôtre Pierre, il montra dans cette dignité de très grandes vertus, et fut surtout remarquable par de saintes aumônes dans lesquelles il persista fortement tant que dura sa fidèle vie. Entre autres choses, gai et de bonne humeur, il plaisante ainsi de lui sur la lettre R. "Scandit ab R. Girbertus in R. post papa viget R". « Gerbert est monté de Reims à Ravenne, et depuis pape règne à Rome. » Il montrait clairement par là que les trois évêchés que lui Gerbert, fait moine par la profession de la vie régulière sous la règle de son père saint Benoît, avait reçus, gouvernés et possédés, étaient désignés par le signe de la lettre R, qui se trouve au commencement de ces mots. Robert, cet humble serviteur de Dieu, eut pour compagnon dans son éducation maître Ingon, qui reçut de lui l’abbaye de Saint-Martin et celle de Saint-Germain de Paris, rendant ainsi au siècle ce personnage remarquable, ainsi qu’il convenait à un tel homme. Nous aurons soin de dire brièvement et en peu de paroles, comment les semences des vertus prospérèrent en Robert. [3] Dans un certain temps, cet homme de miséricorde et de piété se trouva au palais de Compiègne, et y fit une action qui fut connue de tout le monde, et donna un exemple de piété et de miséricorde. Cet aimable roi se disposait à célébrer la sainte Pâque en ce lieu, le jour de la Cène du Seigneur, lorsqu’une inique conspiration fut tramée par douze personnes qui jurèrent sa mort, et voulaient lui ôter la vie et la couronne. Le roi ordonna de les prendre et de les lui amener. Il les interrogea, commanda de les garder dans la demeure de Charles le Chauve, de les nourrir magnifiquement des viandes royales, et au jour de la sainte Résurrection, de les fortifier par la réception du corps et du sang de Jésus-Christ. Ensuite leur cause fut exposée; ils furent jugés, condamnés, et il y eut contre eux autant de sentences de mort qu’ils étaient d’hommes. Ce prince de Dieu, pieux, prudent, savant et intelligent, les entendit, et leur pardonna pour l’amour du doux Jésus, disant qu’il ne pouvait faire exécuter ceux qui avaient été repus de la viande et du breuvage céleste; et, afin qu’ils ne retombassent pas dans le même crime, il les exhorta par ses saints discours, et les renvoya chez eux impunis. [4] Quant aux larcins des pauvres, clercs ou laïques, faits contre lui, et qui portaient sur de l’or, de l’argent, ou de très précieux ornements, il en était pleinement consentant. Lorsqu’on voulait les poursuivre, il feignait qu’il n’y eût point de crime dans leur action, et jurait, par la foi du Seigneur, qu’ils ne perdraient point ce qu’ils avaient emporté. La reine Constance avait fait construire un beau palais et un oratoire au château d’Etampes. Le roi, gai et content de cela, s’y rendit avec les siens pour dîner, et ordonna que la maison fût ouverte aux pauvres de Dieu. Un d’eux s’étant placé à ses pieds, fut nourri par lui, sous la table; mais ne perdant point l’esprit, le pauvre aperçut un ornement de six onces d’or qui pendait aux genoux du roi, de ceux qu’en langue vulgaire nous nommons franges ou falbalas; il le coupa avec son couteau, et s’éloigna rapidement. Lorsqu’on voulut délivrer la chambre de la foule des pauvres, le roi commanda qu’on éloignât ceux qui avaient été rassasiés de chair, d’aliments et de boisson, et comme ils se retiraient de la table, la reine remarqua que son seigneur était dépouillé de sa glorieuse parure; troublée, elle se récria contre le saint de Dieu avec ces paroles peu calmes: « Eh! mon bon seigneur, quel ennemi de Dieu vous a enlevé votre beau vêtement d’or? — Moi? dit-il; personne ne me l’a ravi; mais, Dieu aidant, il servira plus utilement à celui qui l’a emporté qu’à nous. » Ayant dit ces paroles, le roi entra dans son oratoire, qui était un don de Dieu, souriant de sa perte et du discours de son épouse. Là étaient présents maître Guillaume, abbé de Dijon, le comte Eudes et plusieurs Français des plus considérables. [5] Il faut encore raconter des actions non moins pieuses. Un certain évêque n’ayant point une saine foi sur le Seigneur, et cherchant, pour plusieurs causes, des preuves sur la nature corporelle de Jésus-Christ, le roi, ami de la vérité, ne supporta pas cela et lui écrivit en ces termes: « Tandis que tu portes un nom de science, la lumière de la sagesse ne luit pas en toi, et je cherche par quelle audace, soit à cause de tes iniques volontés, soit à cause de cette haine invétérée que tu portes aux serviteurs de Dieu , tu oses élever des doutes sur le corps et le sang du Seigneur; et lorsqu’il est dit par le prêtre qui le distribue; Que le corps de Jésus-Christ te serve au salut du corps et de l’âme, comment tu ne crains pas de dire d’une bouche téméraire et souillée: Si tu en es digne, reçois-le? tandis que personne n’en est digne. Pourquoi attribues-tu à la Divinité les fatigues du corps, et joins-tu à la divine nature l’infirmité des douleurs humaines? » Et ce prince de Dieu, jurant alors par la foi du Seigneur, continua en disant: « Tu seras privé des honneurs du pontificat, si tu ne renonces pas à ces erreurs; et tu seras condamné avec ceux qui ont dit à Dieu: Éloignez-vous de nous, et tu n’auras pas de communication avec ceux à qui il est dit: Approchez de Dieu, il se rapprochera de vous. » L’évêque, mal instruit, mais sagement repris par le bon roi, ayant ouï ces paroles, se tint tranquille, se tut, s’éloigna de ce dogme pervers, contraire à tout bien, et qui déjà croissait dans ce siècle. [6] Ce roi, serviteur de Dieu, placé dans le sein de l’Église sa mère, fut un zélé gardien du corps et du sang du Seigneur et de ses vases sacrés; il ordonnait tout aussi parfaitement que s’il eût vu Dieu, non seulement descendu sur l’autel , mais dans la propre gloire de sa sainte majesté; sa dévotion à cet égard veillait surtout à ce que le Seigneur fût immolé, pour l’expiation des péchés de tout le monde, par un prêtre dont le cœur fût pur et le vêtement blanc; par son assiduité à ce service, déjà destiné pour le ciel, il était heureux sur la terre; il se plaisait à orner les reliques des saints d’or et d’argent, à donner des vêtements blancs, des ornements sacerdotaux, des croix précieuses, des calices fabriqués en or pur, des encensoirs exhalant un parfum choisi, et des vases d’argent pour les mains des prêtres qui se tenaient à toute heure devant Dieu, priant pour les péchés de tout le peuple. Que dirai-je? Un vase pour le vin, fait en argent, et qu’on nomme cantare, fut volé par un de ses clercs, ce qui rendit le roi triste de toute manière, mais pas au point de faire inquiéter ce clerc, qui depuis lui fut très cher; il menaça seulement de faire poursuivre le vol, et, bon gré, malgré, l’ecclésiastique auteur de cette mauvaise action fit faire la recherche du vase, le racheta, et le remit en son lieu. Le roi, ami de Dieu, plaisantant là-dessus, dit au clerc: « Il vaut mieux porter dans la maison ses propres effets qu’en emporter, de peur d’être semblable à Judas, qui était voleur, gardait la bourse et dérobait ce qui lui était confié. » Le roi eut ensuite ce clerc près de sa personne pour son service, et celui-ci devint digne de ses bons conseils, car cet homme très pieux savait par sa vertu soigner les plaies d’autrui, et, selon les commandements du père Benoît, ne les point découvrir ni publier. Nous prions donc Dieu que, par sa clémence, il efface pour une telle action ses péchés, et que par l’intercession de tous les saints, le roi possède les joies promises aux justes. [7] Il m’est très agréable de communiquer aux oreilles des fidèles ce qui est si digne d’être raconté : la mémoire de ce roi doux et libéral nous appellera, nous tous qui aimons Dieu, dans ce jour où la trompette sonnera, non celle qui est d’airain, mais celle qui procède du céleste trésor, et qui, ouvrant sa bouche, dit: « Verse l’aumône dans le sein du pauvre, et elle priera pour toi (Eccli. XXIX, 15). » Réfléchissant sur un tel homme, il se présente à nous mille choses, par la pensée, l’ouïe ou le discours, qui ne peuvent être écrites à cause de leur grand nombre, car Dieu seul connaît, par Son immense sagesse et science, ce qui ne peut être compris par l’esprit d’hommes misérables. Et parce que nous nous intéressons au monde, nous nous réjouissons des actions de cet excellent roi; car, à ce que nous croyons, Dieu, ce roi glorieux, est loué par ses œuvres; Dieu, du royaume duquel sera pour l’éternité celui qui aura été grand par une entière pureté de cœur et de corps. Et que l’univers croie bien que le monde serait encore plein de joie par sa bonne et agréable vie, si le Fils de Dieu, mort pour les pécheurs, l’avait voulu. [8] Un jour étant allé à l’église, et prosterné devant Dieu en oraison, ce roi, doux et humble de cœur, fit rougir de sa faute un certain homme, à l’occasion d’un ornement en fourrure qui lui descendait du cou; tandis qu’il épanchait ses prières devant le Seigneur, Rapaton, voleur (non ce fameux chef de brigands qui occupe le commencement de la leçon du livre des Rois) s’approcha de lui, et prit la moitié de la frange du manteau du roi; mais il reçut de sa bouche cet ordre indulgent et plus doux que le miel: « Retire-toi, ce que tu as pris te suffira, et le reste peut être nécessaire à quelque autre. » Le voleur confus obéit au commandement du saint homme, qui, pour l’amour de Dieu, compatissait ainsi d’habitude aux pauvres, et à ceux qui étaient en faute, afin de les avoir pour intercesseurs auprès de Dieu, car il savait qu’ils étaient déjà citoyens du ciel. [9] Poissy, résidence royale, placée sur la Seine, est très avantageuse aux rois des Français; trois monastères y ont été bâtis par de saint personnages, un en l’honneur de sainte Marie, un en celui de saint Jean, et le dernier, en celui de saint Martin, confesseur. Le bon roi adopta le monastère érigé en l’honneur de la sainte Mère de Dieu, le bâtit de nouveau, et le rendit très beau pour les ornements, les prêtres, l’or et l’argent. La louange de Dieu n’y était pas interrompue, là il s’unissait continuellement au Seigneur par ses oraisons. Un jour il arriva au lieu de repos de son humble corps, après avoir répandu devant Dieu et dans la prière ses torrents de larmes accoutumés, il trouva sa lance bien ornée d’argent par sa glorieuse épouse; il regarde aussitôt à la porte pour voir s’il se trouverait quelqu’un à qui cet argent fût nécessaire; il aperçoit un pauvre, et lui demande avec adresse s’il aurait quel que ferrement au moyen duquel on pût enlever l’argent de dessus le bois. Ce serviteur de Dieu ordonne ensuite au pauvre, qui ne savait pas ce qu’il en voulait faire, d’aller lui en chercher un tout de suite. Pendant cet intervalle il vaquait à l’oraison. L’envoyé revenant, lui apporta un fer assez propre à une telle destination; les portes se fermèrent, le roi bienfaisant, avec l’aide du pauvre, ôta l’argent de la lance, le donna au pauvre, le mit dans son sac de ses saintes mains, et lui recommanda, comme à l’ordinaire, de prendre garde en sortant que sa femme ne le vit. Le pauvre obéit aux ordres du roi. Tout étant fini, la reine arriva, demanda ce qu’était devenue cette lance, et s’étonna de voir ainsi détruit ce bel ornement par lequel elle avait espéré réjouir son seigneur. Le roi par plaisanterie lui répondit, en jurant la foi du Seigneur, qu’il ignorait le fait; il s’éleva entre eux une dispute amicale. Tant de libéralité en aumônes leur profita à tous deux, et, avec l’aide de Dieu, elle était de grand bénéfice à ceux qui voulaient mourir au monde et vivre en lui. Il y a encore à raconter plusieurs traits d’une piété non moins grande dont nous avons déjà parlé. [10] Un certain pauvre clerc, venant du royaume de Lorraine, fut présenté au roi serviteur de Dieu, et reçu par lui. Ce clerc s’appelait Oger; le roi le traitant avec trop de bonté, l’associa à son collège de saints prêtres, l’enrichit suffisamment de toutes sortes de manières, espérant habiter avec lui un grand nombre de jours et d’années. Mais ce fourbe fut découvert d’une manière qu’il n’avait pas prévue, car le prophète David avait bien dit de lui: « Les paroles de sa bouche sont iniquité et ruse; il n’a pas voulu comprendre pour bien agir; il a médité le crime dans son lit; il ne s’est pas appliqué à la bonne voie, et n’a pas haï la malice. (Psal. XXXV, 4, 5) » Car on voyait revivre en lui la conduite de Judas qui trahit le Seigneur, et qui gardait la bourse et dérobait ce qui lui était confié: en effet, un certain jour, sur le soir, au moment où la nuit approchait, le roi ayant soupé avec les siens se disposait à accomplir ses devoirs envers Dieu, et à lui rendre l’hommage qui lui appartenait. Il marcha, selon sa coutume, vers l’église, précédé par des clercs qui portaient devant lui des chandeliers d’un grand prix. Lorsqu’ils furent arrivés, l’humble roi fit signe de ne point approcher du sanctuaire, et se plaçant dans l’angle, il offrit ses vœux à son doux Seigneur. Tandis qu’il méditait en la présence de Dieu, il vit Oger mettant à terre la cire, et cachant dans son sein, le chandelier. Les clerc qui devaient être gardiens de ces effets, furent troublés de ce vol, et en parlèrent au roi, qui dit n’en rien savoir. Ce fait parvint aux oreilles de la reine Constance sa femme, dont quelqu’un avait dit, en plaisantant sur son nom: « Constans et fortis quæ non Constantia ludit. » « Constance, constante et forte, qui ne plaisante pas. » Enflammée de fureur, elle jura par l’âme de son père Guillaume, qu’elle infligerait des peines aux gardiens, les priverait des yeux, et leur ferait d’autres maux, si ce qui avait été enlevé du trésor du saint et du juste ne se retrouvait pas. Le roi, qui avait le calme de la piété, appela le voleur, dès qu’il eut entendu ces paroles, et lui parla ainsi: Ami Oger, va-t’en d’ici de peur que ma femme irritée ne t’anéantisse bientôt; ce que tu as te suffira jusqu’à ce que tu sois dans ton pays natal; que le Seigneur t’accompagne partout où tu iras. » Lorsque l’auteur du vol entendit ces paroles, il tomba aux pieds du pieux roi, et se roula par terre, en criant: « Secourez-moi, seigneur; secourez-moi! » Mais le roi voulant le sauver, lui dit: « Va-t’en, va-t’en, ne demeure pas ici. » Et il ajouta plusieurs choses à celles qu’Oger emportait afin qu’il ne manquât de rien en route. Quelques jours après, le roi, serviteur de Dieu, supposant qu’Oger devait avoir atteint le lieu de sa naissance, et conversant avec les siens, dit, doucement et agréablement: « Mon cher Theudon (car ce Theudon était très familier avec lui) , pourquoi te fatigues-tu à chercher ce candélabre que le Dieu tout-puissant a donné à un de ses pauvres? Sachez, toi et les tiens, qu’il lui est plus nécessaire qu’à nous pécheurs, à qui le Seigneur a donné toutes les richesses de la terre, afin que nous vinssions au secours des pauvres, des orphelins, et de tout le peuple de Dieu. »