[21] Je juge convenable de rapporter ici un trait digne d’un père, fait par ce grand roi et cet élu de Dieu. En effet, les vrais prêtres, les abbés, les moines qui n’ignorent pas la sainte loi, y trouveront un exemple de vertu, qu’ils doivent non seulement imiter, mais admirer; avant tout, ces œuvres de piété et de miséricorde doivent être louées par toutes les louanges possibles. En un certain temps Robert célébra solennellement la sainte Pâque à Paris, et plein de joie, le second jour du sabbat, il retourna à sa maison de Saint-Denis, et y passa les grands jours; le troisième jour du sabbat, l’heure approchant où il devait rendre les laudes, hommage à Dieu de tous les siècles, il quitta son lit, et se disposa à aller à l’église: en regardant, il aperçut deux personnes couchées dans l’angle vis-à-vis de lui, et commettant une œuvre coupable. Plaignant leur fragilité, il ôta de son cou un vêtement de fourrure très précieux, et d’un cœur compatissant le jeta sur les pécheurs; ayant fait cela, il entra dans l’église des saints pour y prier le Dieu tout-puissant et l’implorer pour ces mêmes pécheurs, afin qu’ils ne périssent pas. Après avoir prolongé son oraison, et espérant que ces personnes, mortes à la grâce, se seraient retirées du péché, et ne vivraient plus que pour la pénitence, il appela un de ses gardes du corps, lui ordonna avec de douces paroles d’aller lui chercher un vêtement semblable, et lui défendit avec d’impérieuses menaces de le faire connaître à sa glorieuse épouse, ou à quelque autre. Oh! quel homme parfait, qui couvre de son manteau les pécheurs! A combien de saints prêtres, de pieux abbés, de religieux moines, ne peut-il pas, s’ils le désirent, donner l’exemple de la justice et la droite règle de la vertu? Ainsi le père et le chef des moines ordonne que les péchés soient confessés, mais que celui qui sait soigner ses plaies et celles des autres ne les publie ni ne les découvre. Heureuse piété et, miséricorde qui ont fleuri dans ces deux hommes, par la bonté de Dieu! Notre Robert a possédé ces vertus, comme un droit héréditaire venu de son père. [22] Ingon, homme d’une grande bonté et candeur, abbé du monastère de Saint-Germain, bâti à Paris, envoya à ce serviteur de Dieu, pour son utilité et celle de ses frères d’Orléans, deux frères de bon renom. Lorsqu’il les eut vus, il les honora , selon la coutume, du baiser de paix, et les interrogea avec douceur sur la cause de leur voyage. Ils étaient nommés, l’un Herbert, l’autre Geoffroi et n’étaient pas les derniers des moines; il leur ordonna, selon son pieux usage, de se rendre en sa présence après les hymnes de matines, et qu’alors il les entendrait sur leur affaire. Ils obéirent à ses ordres, et il arriva que dans l’église où ils étaient assis, le cierge s’éteignit à leurs yeux. Alors le roi prend en main le cierge, fait sortir de son lit le saint homme Theudon, prêtre, et son parent, et le lui remettant, lui dit d’aller au plus vite chercher de la lumière. Cependant ce roi dévot continue ses psaumes et ses oraisons; et son messager, à son retour, voit ce prince, serviteur du Seigneur, tenir dans ses mains un cierge allumé. Le roi admirant cela, et désirant louer Dieu par le chant des hymnes, défendit de divulguer ce fait, afin de ne pas tomber dans l’orgueil d’un cœur superbe. Il loua en toutes choses la vertu de Dieu, et dit avec David: « Je suis un ver et non un homme, l’opprobre des hommes, et l’abjection du peuple. (Psal. XXI, 7) » Et encore: « Seigneur, je me suis humilié; vivifiez-moi selon votre parole. (Psal. CXVIII, 107)» [23] Nous avons lu dans les livres divins que « servir Dieu, c’est régner. » Certes, il connu cette sentence, celui qui dit: « Servez Dieu avec crainte » (Psal. II, 11), et il n’y a aucun doute que notre bienheureux roi accomplit, d’intention et de fait, ces deux maximes; et de même que Moïse, serviteur du Seigneur, abattit Amalech par ses humbles prières et ses bras étendus, ainsi Robert, ce véritable ami de Dieu, vainquit tous ses ennemis par la vertu du Saint-Esprit, et eut toujours pour aide Dieu qui est le salut de tous. La douceur qui brillait en lui, lui gagnait les cœurs de tous les hommes; il possédait une science salutaire par laquelle il se réjouissait avec les siens; il instruisait l’un par des lectures, l’autre par des hymnes et des louanges de Dieu, et ainsi que l’Apôtre, il se faisait tout à tous pour les gagner tous (I Cor. IX, 22). Ce véritable ami de Dieu faisait avec zèle ce que diffèrent souvent les abbés et les évêques, savoir le soin de corriger les pécheurs, et d’exhorter par son exemple les justes à une plus grande perfection. Une voix de salut et de louange sortait du trésor de son cœur, et comme l’Apôtre, il crucifiait sa chair avec ses vices et les concupiscences du monde (Gal. V, 24), et préparait en lui-même un temple agréable au Seigneur. Il était toujours le premier aux divins offices, et le plus assidu à louer le Seigneur; à quelque endroit qu’il dût se rendre, on préparait un chariot pour porter une tente pour les ministres saints, et dès qu’il était fixé dans un lieu, on y déposait les choses sacrées, afin que, suivant l’expression du Psalmiste, « la terre et tout ce qu’elle enferme est au Seigneur; le globe de la terre et tous ses habitants sont à lui, (Psal. XXIII, 1)» il pût partout se montrer serviteur de Dieu et chanter en tout lieu ses louanges. Ce roi doux, et aimant Dieu, portait gravées dans son cœur les paroles du bienheureux Antoine: « Désirez toujours Jésus-Christ, parce que le royaume des cieux est à préférer à toutes les choses de la terre. » Il passait sans dormir jusqu’au matin les saintes nuits de Noël, Pâques, la Pentecôte, et ni couché ni assis, il ne prenait aucun repos jusqu’à ce qu’il eût reçu le secours salutaire du corps et du sang de notre Seigneur Jésus-Christ, qu’il attendait et désirait. Que sa conduite fût telle, c’est ce qui est manifeste et connu de tout le monde. A la solennité de la naissance de saint Jean, il avait l’habitude, après avoir loué le Seigneur par l’hymne Te Deum laudamus, de faire, comme au jour de Noël, célébrer la messe qui est notée dans les livres saints, pour le point du jour. L’autorité de Grégoire le Grand et de plusieurs autres a établi cette sainte coutume pour les messes; la doctrine d’Amalaire, tirée des ouvrages des saints Pères, y est aussi conforme. [24] Nous ne négligerons pas de conter ici combien il faisait d’aumônes dans les villes de son royaume, savoir Paris, Senlis, Orléans, Dijon, Auxerre, Avalon, Melun, Étampes; dans chacune, on distribuait abondamment du pain et du vin à trois cents, ou plutôt à mille pauvres, et surtout l’année de sa mort, qui fut la 1032e de l’Incarnation du Seigneur ; sans compter que dans le carême, en quelque lieu qu’il fût, il faisait donner à cent ou deux cents pauvres du pain, des poissons et du vin. De plus, le jour de la cène du Seigneur, il assemblait avec soin au moins trois cents pauvres, et lui-même, à la troisième heure du jour, servait à genoux, de sa sainte main, des légumes, des poissons, du pain à chacun d’eux, et leur mettait un denier dans la main. Ce fait admirable pour ceux qui le virent dans un tel office ne sera pas cru par ceux qui ne l’ont pas vu. A la sixième heure, il réunissait cent pauvres clercs, leur accordait une ration de pain, de poissons et de vin, gratifiait d’un denier douze d’entre, eux, et chantait pendant ce temps, de cœur et de bouche, les psaumes de David; après cela, cet humble roi préparait la table pour le service de Dieu, déposait ses vêtements, couvrait sa chair d’un cilice, et s’adjoignait le collège des clercs, au nombre de cent soixante, ou plus encore; il lavait, à l’exemple du Seigneur, les pieds de ces douze pauvres, les essuyait avec ses cheveux, les faisait manger avec lui; et au mandatum Domini, donnait à chacun d’eux deux sous. La cérémonie se faisait en présence d’un clerc et d’un diacre qui lisait le chapitre de l’évangile de saint Jean, où est rapporté ce qui s’est dit et fait dans la cène du Seigneur. Ce roi, plein de mérites, s’occupait à des actions de même genre, et passait dans le lieu saint tout le jour du vendredi saint; il adorait la croix sainte jusqu’à la veille de la Résurrection, où il offrait aussitôt le saint sacrifice de louanges, auquel sa bouche n’a jamais manqué. C’est ainsi que le roi Robert, couvert de gloire par le mérite de ses vertus, et par la manifestation de ses bonnes œuvres, se montra au monde comme un objet à admirer, et laissa un modèle à imiter aux siècles à venir. [25] Ce roi, après Dieu, la gloire des rois, aima toujours d’un cœur dévoué les saints apôtres, dont il prévenait les fêtes par un jeûne auquel il s’était engagé, et pour suivre leurs exemples, et en l’honneur de leur sacré nombre, il menait avec lui partout douze pauvres, qu’il aimait particulièrement, il leur était un vrai repos après leurs travaux, car achetant pour ces saints pauvres de forts ânons, il les faisait marcher devant lui partout où il allait, louant Dieu, pleins de joie, et le bénissant; pour les secourir, eux et un nombre infini d’autres pauvres, il ne manquait jamais de volonté, et était toujours bien disposé. Il avait toujours une provision de pauvres pour que, lorsqu’un mourait, le nombre ne diminuât pas. Les vivants succédaient aux morts, et l’oblation de ce grand roi à Dieu continuait. Son étude fut toujours de faire la volonté du Seigneur, auquel il fut toujours uni, en pratiquant le souverain bien, vraie bonté qu’un illustre versificateur {Prudence} s’est plu à décrire dans ces vers: « Le grand soin de l’homme bon est de soulager ses frères dans leurs travaux, de prêter à ceux qui sont tristes le secours qu’ils demandent, de nourrir ceux qui ont faim, de vêtir ceux qui sont nus, de délivrer ceux qui sont captifs, et de se concilier ceux qui sont irrités; d’accorder autant qu’il est possible, d’un cœur compatissant, aux hommes malheureux toutes les consolations qu’ils recherchent, de telle sorte que, désirant vraiment le bien, et vraiment bon, il fuie tout ce qui est mal, et pratique tout ce qui est bon. » [26] De plus, le roi Robert construisit de nouveau, dans la ville d’Orléans, un monastère à saint Aignan, son avocat spécial auprès de Dieu. On n’a pas besoin de dire qu’il conserva toujours pour lui le pieux amour d’une tendre dévotion, car il le voulut toujours, après Dieu, pour son protecteur spécial, pour secours et défenseur, en quelque lieu qu’il portât ses pas. Un jour en effet, interpellé par un de ses meilleurs amis pourquoi il exaltait par ses louanges ce grand évêque plutôt que les autres saints, il répondit avec humilité: « Tu demandes ce qu’est Aignan? Aignan est la sûre consolation de ceux qui sont tristes, la force de ceux qui travaillent, la protection des rois, la défense des princes, la joie des évêques, et le doux et ineffable secours des clercs, moines, orphelins et veuves. » Alors plaisantant, il dit aux enfants qui l’entouraient: « Et vous, enfants, n’avez-vous pas vraiment éprouvé qu’Aignan, de qui nous parlons, vous a souvent délivrés de la peine des verges? » [27] Ce roi, la fleur embaumée de son pays, et l’honneur de la sainte Église, dévoré de zèle pour la gloire d’un si grand évêque, voulut par un saint désir placer son corps en lieu plus honorable; il commença à bâtir sur le lieu une église; et par l’aide de Dieu et le secours du saint, il la conduisit à sa fin. Elle eut quarante toises dans sa longueur, douze en largeur, dix en hauteur, et cent vingt-trois fenêtres; il fit dans ce même monastère dix-neuf autels en l’honneur des saints que nous allons nommer ici avec soin. Le principal était dédié à l’apôtre saint Pierre, auquel le roi associa Paul, son co-apôtre. Auparavant Saint Pierre seul était vénéré dans ce lieu. Un de ces autels était à la tête de saint Aignan, l’autre à ses pieds, un autre était consacré à saint Benoît; les autres sont dédiés à saint Evurce, saint Laurent, saint George, tous les saints, saint Martin, saint Maurice, saint Étienne, saint Antonin, saint Vincent, sainte Marie, saint Jean, saint Sauveur, saint Mamert, saint Nicolas et saint Michel. Le roi fit la façade de cette maison d’une admirable manière, et semblable au couvent de Sainte Marie, mère de Dieu, et de Saint Vital et Saint-Agricole, bâti à Clermont; il fit faire la chasse de saint Aignan en or, en argent, et en pierres précieuses par devant; il fit couvrir entièrement d’or la table de l’autel de saint Pierre, à qui ce lieu est consacré; sur cet or, la noble reine Constance, sa glorieuse épouse, après la mort de son mari, donna au Dieu très saint, et à saint Aignan, la somme de sept livres, pour réparer les toits qu’elle avait fait bâtir dans le monastère, et qui étant ouverts depuis le bas jusqu’en haut, laissaient voir le ciel plus que la terre. Il en resta quinze livres d’or éprouvé; la reine les distribua à ceux à qui elle devait les donner, car elle était occupée des églises de Dieu, selon la sage volonté de son seigneur. Tout cela fait, le glorieux roi Robert, avide de la bénédiction céleste, en l’année trente-six de son ordination, bénédiction et élévation au trône, convoqua par un ordre exprès les archevêque Gosselin de Bourges, abbé de Fleury, Leuteric de Sens et Arnoul de Tours. Ils étaient suivis des évêques, Odolric d’Orléans, Thierri de Chartres, Bernier de Meaux, Guarin de Beauvais, et Rodolphe de Senlis. On ne fut point privé de la présence du vénérable maître Odilon, abbé de Cluny, et d’autres hommes vertueux de non moindre mérite, avec lesquels le roi désirait avoir une entrevue; le précieux corps du serviteur de Dieu, saint Aignan fut levé du sépulcre par eux et d’autres ministres de Dieu, ainsi que ceux des saints confesseurs Euspice, Moniteur et Floscule; des martyrs Baudel et Scubile, et d’Agie, mère du confesseur saint Loup. Le glorieux roi et ceux que nous avons déjà nommés, et qui étaient venus pour cette œuvre, demeurèrent près de ces saints corps, louant Dieu et chantant des hymnes et des cantiques dans l’église de Saint-Martin, tandis qu’on préparait les choses nécessaires à la sainte cérémonie. Tout étant prêt, le lieu fut consacré et béni solennellement par les prêtres sacrés, l’année de l’incarnation du Seigneur 1029; le saint corps fut mis sur les épaules de ce grand roi et du peuple, aussi joyeux les uns que les autres, et on le transporta en chantant dans le nouveau temple qu’avait fait bâtir le grand Robert. Tous louèrent Dieu et saint Aignan avec des timbales, des chœurs de musique, des instruments à vent et d’autres à cordes, et ils placèrent les reliques dans le lieu saint, à l’honneur, la gloire et la louange de notre Seigneur Jésus-Christ et de son serviteur Aignan, honoré d’une gloire spéciale. [28] Lorsque la bénédiction solennelle fut achevée, ainsi que toutes les cérémonies usitées pour la dédicace d’une église, Robert, qui a vraiment mérité le nom de père de la patrie, alla avec respect devant l’autel de saint Pierre et de son patron chéri, Aignan, se dépouilla d’un vêtement de pourpre, vulgairement appelé roquet, fléchit les deux genoux, et offrit à Dieu de tout son cœur une prière suppliante, en disant: « Je te remercie, Dieu bon, de ce que par les mérites de saint Aignan, tu as conduit en ce jour ma volonté à sa fin, de ce que tu as réjoui mon âme par le triomphe des corps des saints qui s’effectue aujourd’hui; accorde Seigneur, par l’intercession de tes saints, aux vivants le pardon de leurs péchés, et à tous les morts le repos éternel et la vie bienheureuse; regarde avec bonté notre siècle; gouverne, règle le royaume que tu nous a donné par ta générosité, ta miséricorde et ta bonté; et garde-le à la louange et à la gloire de ton nom, par les admirables mérites de saint Aignan, père de la patrie, miraculeusement délivrée de ses ennemis. » Ayant fini sa prière, il revint plein de joie en son logis, et combla en ce jour ce lieu de ses dons, savoir, quatre manteaux très précieux, une cruche d’argent, et sa chapelle, qu’il légua au Dieu tout-puissant et au saint confesseur Aignan. La chapelle de ce très pieux, très prudent et très puissant roi Robert était ainsi composée: dix-huit bonnes chappes très belles et bien travaillées; des livres d’évangiles, deux en or, deux en argent; deux autres petits; un missel d’outre mer, bleu fait, en ivoire et en argent; douze tablettes en or; un autel admirablement orné en or et argent, où était au milieu une pierre très rare nommée onyx; trois croix d’or, dont la plus grande contenait sept livres d’or pur; cinq cloches, dont une superbe, et qui pesait deux mille six cents livres. Robert ordonna de lui imprimer le signe du baptême avec l’huile et le saint chrême, et le Saint-Esprit lui assigna le nom de Robert. Le roi dédia aussi à saint Aignan deux églises, une à Gentilly, et l’autre à Rouen, avec les maisons et toutes les terres qui en dépendent. Il confirma ce don par un édit royal; il obtint du vénérable Thierri, évêque d’Orléans, pour les autels de ces églises, la concession des privilèges épiscopaux, et l’évêque les offrit à saint Aignan et au roi immortel, qu’il aima toujours d’un cœur d’un dévoué, et dont il chanta les louanges. [29] Le roi rendit illustre à jamais le château de Crépy, bâti superbement sur le territoire de Soissons, par le puissant Gautier et combla d’honneurs l’abbaye qu’il y avait instituée en l’honneur de saint Arnoul. Il y établit pour abbé en notre siècle un certain Lescelin, homme de bonne réputation, moine par la profession de la vie régulière, et qui tous les ans venait visiter Robert, l’homme de Dieu; il en était reçu comme un serviteur du Seigneur, ils conféraient ensemble des choses du ciel; et lorsque l’abbé était près de s’en retourner, le roi le comblait de dons honorables qui, par la vertu d’une charité parfaite, se rapportaient à ceux du ciel. Un certain jour de carême, Lescelin vint, selon sa coutume, trouver le roi, alors à Poissy; et ayant accompli l’objet de son voyage, ils prirent la nourriture spirituelle et corporelle: ces deux hommes étaient lié ensemble par leurs anciennes vertus. Le bon abbé proposa au roi l’indulgence de Dieu, et l’engagea à soulager son humble corps, et à lui donner quelque nourriture, afin de pouvoir ensuite par ses prières frapper à la porte des cieux, et être fait concitoyen des saints. Le pieux roi le refusa, et, se prosternant par terre, le supplia de l’y point contraindre, car, disait-il, s’il obéissait, il n’offrirait donc point à Dieu le sacrifice du jeûne. L’abbé alors, garda le silence, réfléchit à quelle perfection Robert était arrivé pour l’exacte observance du jeûne, et offrit pour lui plusieurs messes basses, afin que Dieu lui accordât de persévérer dans cette vertu. Le roi, content de ces dons du saint homme, rendit grâces à Dieu, et célébra sans interruption le saint jeûne jusqu’à la Passion et la Résurrection de notre Seigneur Jésus-Christ. Ce roi, qui recherchait tous les bienfaits de la religion pour l’expiation de ses fautes, avait l’usage, depuis la Septuagésime jusqu’à Pâques, de ne se point servir de matelas, et toujours tendant au ciel, de coucher fréquemment sur la terre; enfin que la courte oraison que voici serve pour toutes ses fautes: « Que Dieu passe l’éponge sur ses premiers péchés, qu’il les livre à un oubli perpétuel, qu’enfin Jésus-Christ qui vit et règne dans les siècles des siècles, lui accorde une part dans la première résurrection! » [30] Qu’y a-t-il de plus doux pour mon cœur, que puis-je faire de mieux que de louer mon maître, mon protecteur, en toutes ses actions? Je reprends la suite de mon récit, et comme j’avais coutume dans ces jours que nous passions ensemble, je retrace son aimable et chère bonté pour moi; je me plais à me la rappeler et à songer combien elle m’a été utile; et en la repassant dans ma mémoire, je ne connais, je n’éprouve aucuns sentiments qui ne soient ceux d’un fils pour un père, d’un ami pour son ami, d’un bien aimé pour son bien-aimé. Je rougis cependant lorsque je conte les œuvres admirables d’un tel homme, et que je pense que nous avons vu fleurir en lui les vertus qui sont couronnées au plus haut des cieux, et assurent le salut du corps et de l’âme. S’il voyait quelqu’un se lasser dans le Service de Dieu, il l’exhortait de paroles, le soulageait par un don secret, qui était toujours peu de chose lorsqu’il le promettait, et très considérable quand il le donnait. Je reçus l’ordre paternel de mon respectable abbé Gosselin, de bâtir une église dans un lieu du monastère de Fleury. Je commençai à exécuter son commandement, et à la construire: elle était petite, mais agréable; les peuples y accouraient en foule, et elle devait à leur piété de se voir en état d’être consacrée par les saintes bénédictions. Quoiqu’elle fût en bois, et pas encore achevée, le roi, cet homme de pieux désirs, plein d’envie de la voir de ses saints regards, quitta son château de Vitry. Par l’ordre du vénérable et aimable pontife Odolric, Gosselin, archevêque de Bourges, a béni cette église; il lui donna généreusement la terre environnante qui était très fertile. Lorsque le roi y entra, il pria et posa un manteau du prix de quatre livres sur l’autel consacré à saint Denis, saint Rustique et saint Éleuthère; et ce fut sans doute en ce moment que, portant partout ses pieux regards, il lui vint dans l’idée, lorsque je me rendrais à Paris après lui, d’orner magnifiquement ce lieu par des reliques de saint Denis, saint Rustique et saint Éleuthère, et de l’enrichir de leur intercession. Les dons qui nous assurent leur protection sont des fragments de la chasuble de saint Denis, de la dalmatique de saint Rustique, de la chasuble de saint Eleuthère, des vêtements arrosés de leur sang, de la poussière de leur chair, et un morceau de la triple corde dont fut lié saint Denis, précieux martyr du Seigneur. Ce roi, qui aimait Dieu, combla de bienfaits ce lieu, en lui donnant ces précieux gages et d’autres encore Ces mêmes saintes reliques des saints déjà nommés furent reçues dans le monastère de Fleury par le vénérable abbé Gosselin, comme des choses qui devaient être données et reçues par un homme considérable. Cela se passa le jour des calendes d’octobre, où tombe toujours la fête des saints Germain, Remi, et la solennité des confesseurs de Saint-Vaast. Cette même église a été depuis détruite par le feu, sans doute à cause des péchés des hommes; la première fois elle était de bois, et la seconde, par l’aide du Dieu tout-puissant, par les mérites de Marie, sainte mère de Dieu, de saint Benoît et de tous les saints, elle fut rebâtie en pierres par moi, misérable pécheur; et le glorieux Odolric, évêque, plein de bonté, voulut, avec le secours de Dieu et de ses saints, la dédier et consacrer de même qu’auparavant; il se conduisit comme il convenait à un tel homme. Tant que vécut ce pontife, il m’honora de son affection, et, par la bonté du Seigneur, jamais je ne le trouvai contraire à mes désirs, mais il voulut toujours ce qui était bon et utile; aussi nous prions le Dieu souverain, et notre Seigneur Jésus-Christ, d’accorder à ce prêtre, digne de l’épiscopat, l’héritage des saints, qu’il a toujours travaillé à acquérir; que Jésus-Christ, qui est rédempteur, sauveur et doux libérateur des âmes saintes, lave ses péchés, le place dans les cieux et le joigne aux célestes citoyens! Ceux qui entreront dans l’église, auront les yeux frappés des vers ici écrits, qui retracent la mémoire de saint Denis et du fondateur de ce temple, ils verront les autels consacrés à ce saint divisés en deux parties. Les vers placés à la gauche de l’autel de saint Denis sont ainsi: « Vous qui passez ces portes, que saint Denis vous unisse au Seigneur par ses saints secours. Qui que vous soyez et quoique vous désiriez, suppliez le Seigneur tout-puissant de vouloir bien, par sa bonté, protéger Helgaud; Helgaud dont la piété a bâti à notre Seigneur Jésus-Christ et à saint Denis, ce vénérable temple. » Les vers à la droite étaient: « C’est ici la maison consacrée pour toujours au Dieu suprême, par la volonté et les soins du bon Helgaud. D’ici l’on frappe à la porte du royaume des cieux; ici un, peuple pieux se réjouit dans le Seigneur. Vous tous fidèles qui y entrez, demandez ensemble que le Seigneur Jésus-Christ nous conserve pour l’éternité. Qu’il en soit ainsi, ainsi soit-il , ainsi soit-il, ainsi soit-il! »