[4,0] DE LA GÉNÉRATION. DE LA NATURE DE L'ENFANT. DES MALADIES, LIVRE QUATRIÈME. [4,1] La loi gouverne tout. Le sperme de l'homme vient de tout l'humide qui est dans le corps, et c'en est la partie la plus active qui se sépare. En voici la preuve : après le coït, l'évacuation d'une si petite quantité nous rend faibles. La disposition est telle : des veines et des nerfs vont de tout le corps aux parties génitales ; frottées; échauffées et remplies, il survient comme une démangeaison, d'où, pour tout le corps, plaisir et chaleur. Dans le frottement des génitoires et dans le mouvement qu'on se donne, l'humide s'échauffe dans le corps, se dilate, s'agite par le mouvement et devient écumeux, comme tous les liquides deviennent écumeux par l'agitation. De cette façon, dans l'homme, se sépare, de l'humide devenu écumeux, la partie la plus active et la plus grasse, qui va dans la moelle dorsale; en effet, des afférents y arrivent de tout le corps, et le cerveau verse dans les lombes, dans tout le corps et dans la moelle, qui, à son tour, est munie d'efférents, de sorte que le liquide y afflue et en sort. Le sperme, une fois arrivé dans cette moelle, passe le long des reins; car là est la voie par les veines ; et, en cas d'ulcération des reins, il advient parfois que du sang est évacué en même temps. Des reins, il se rend par le milieu des testicules au membre génital, non par la voie de l'urine, mais par une autre voie particulière (conduits éjaculateurs) qui est attenante. Quant aux pollutions nocturnes, elles se produisent ainsi : l'humide du corps étant dilaté et échauffé, soit par la fatigue, soit par toute autre cause, devient écumeux ; l'excrétion s'en faisant, on a des visions comme dans le coït, car ce liquide se comporte comme dans l'acte de la génération ; mais je n'ai pas à parler des pollutions nocturnes, ni de toute cette maladie, ni à dire ce qu'elle est, quels effets elle produit, ni pourquoi elle survient avant l'époque du coït. Voilà sur ce point ce qu'ici j'ai à dire (IIe Livre des Mal., § 51.). [4,2] Les eunuques n'ont pas le coït, parce que chez eux la voie du sperme est détruite; en effet, cette voie est par les testicules mêmes, et, des testicules, il part, se rendant au membre génital, des nerfs minces et nombreux, qui le dressent et l'abaissent, et qui sont coupés dans la castration, ce qui fait que les eunuques sont impuissants. Ces nerfs étant froissés, la voie du sperme est interrompue ; car les testicules s'obstruent ; et les nerfs, étant devenus durs et inertes par l'obstruction, ne peuvent tendre et relâcher. Ceux qui ont subi des incisions à côté des oreilles usent, il est vrai, du coït, et éjaculent, mais leur éjaculation est peu abondante, inactive et inféconde ; car la plus grande partie du sperme descend de la tête, le long des oreilles, à la moelle épinière; or, cette voie est fermée par la cicatrice qui suit l'incision. Chez les enfants, les veines, étant ténues et remplies, empêchent le sperme de cheminer, et le prurit ne se fait pas non plus sentir; aussi l'humide du corps ne s'agite pas pour l'excrétion du sperme. Par la même cause, chez les filles, tant qu'elles sont jeunes, les règles ne viennent pas. Mais, quand garçon et fille grandissent, les veines allant à la verge du garçon et aux matrices de la fille deviennent coulantes par la croissance, elles s'ouvrent, un va-et-vient se fait en lieu étroit, et alors l'humide a de l'agitation, car c'est alors que de l'espace lui est donné où s'agiter. Ainsi, lors de la puberté, viennent au garçon le sperme, à la fille les menstrues. Telle est mon explication. [4,3] Je dis que le sperme provient de tout le corps, des parties solides comme des parties molles et de tout l'humide qui est dans le corps. Il y a quatre sortes d'humide : le sang, la bile, l'eau et le phlegme. En effet, l'homme a ce nombre d'humeurs innées en lui, humeurs d'où proviennent les maladies. J'ai traité aussi de ces humeurs, pourquoi en naissent les maladies et leurs crises. Voilà ce que j'avais à dire sur le sperme, d'où il vient, comment et pourquoi, chez qui il ne vient pas, et pourquoi, aussi bien que les menstrues des jeunes filles. [4,4] Chez la femme, les parties génitales étant frottées et les matrices agitées, il y survient comme un prurit, et le reste du corps en reçoit plaisir et chaleur. La femme a aussi une éjaculation fournie par le corps et se faisant tantôt dans les matrices (alors les matrices deviennent humides), tantôt au dehors, quand les matrices sont, plus béantes qu'il ne convient. Elle éprouve du plaisir depuis le commencement du coït, durant tout le temps, jusqu'à ce que l'homme la lâche; si elle ressent l'orgasme vénérien, elle éjacule avant l'homme, et n'a plus la même jouissance ; si elle ne ressent point d'orgasme, son plaisir cesse avec celui de l'homme. C'est comme si on jetait de l'eau froide sur de l'eau bouillante, l'ébullition cesse aussitôt ; de même le sperme, tombant dans les matrices, éteint la chaleur et le plaisir de la femme. Le plaisir et la chaleur jettent un éclat au moment où le sperme tombe dans les matrices, puis tout prend fin. Si sur de la flamme on verse du vin, d'abord la flamme jette un éclat et s'accroît un moment par cette affusion, puis elle s'amortit; de même la chaleur devient plus vive au contact du sperme masculin, pour s'amollir ensuite. La femme a, dans le coït, beaucoup moins de plaisir que l'homme, mais elle en a plus longtemps. Si l'homme jouit plus, c'est que l'excrétion fournie par le liquide s'opère brusquement par l'effet d'un trouble plus grand que chez les femmes. Autre point à considérer pour celles-ci : si elles ont des rapports avec les hommes, leur santé est meilleure; moins bonne si elles n'en ont pas. En effet, d'un côté, dans le coït, les matrices s'humectent et cessent d'être sèches ; or, quand elles sont trop sèches, elles se contractent fortement, et cette forte contraction cause de la douleur au corps. D'un autre coté, le coït, échauffant le sang et l'humectant, rend la voie plus facile aux menstrues ; or, si les menstrues ne cheminent pas, les femmes deviennent maladives; pourquoi, c'est ce que j'expliquerai dans les maladies féminines. Voilà ce que j'avais à dire là-dessus. [4,5] Après le coït, si la femme ne doit pas concevoir, elle fait d'habitude tomber au dehors, quand elle veut, la semence provenue des deux individus; si, au contraire, elle doit concevoir, la semence ne tombe pas au dehors, mais demeure dans les matrices. En effet, les matrices, ayant reçu et s'étant fermées, la gardent à l'intérieur, l'orifice se serrant vermiculairement par l'effet du liquide ; et le mélange s'opère de ce qui provient de l'homme et de ce qui provient de la femme. La femme a-t-elle eu déjà des enfants, et remarque-t-elle quand la semence, ne sortant pas, est restée, alors elle sait le jour où elle a conçu. [4,6] Ceci est encore à noter : la semence de la femme est tantôt plus forte, tantôt plus faible; de même pour l'homme. Chez l'homme est la semence femelle et la semence mâle; semblablement chez la femme. La semence mâle est plus forte que la semence femelle. C'est de la plus forte semence que naîtra le produit. Voici ce qui en est : si la semence plus forte vient des deux côtés, le produit est mâle; si c'est la semence plus faible, le produit est femelle. Celle des deux qui l'emporte en quantité prédomine aussi dans le produit : si en effet la semence faible est beaucoup plus abondante que la forte, la forte est vaincue, et, mêlée à la faible, se transforme en femelle ; si la forte est plus abondante que la faible, la faible est vaincue et se transforme en mâle. De même si, mêlant ensemble de la cire et de la graisse, et mettant plus de graisse, on fait fondre le mélange au feu, tant qu'il sera liquide, on ne distinguera pas quelle est la substance qui l'emporte ; mais, après coagulation, on reconnaît que la graisse est plus abondante que la cire. Il en est ainsi pour la semence mâle et pour la semence femelle. [4,7] Des faits apparents permettent de conclure que dans l'homme et dans la femme est semence et mâle et femelle : beaucoup de femmes qui avaient des filles avec leurs maris ont eu des garçons avec d'autres hommes; et les mêmes hommes qui avaient des filles avec ces femmes ont eu des garçons avec d'autres femmes ; et, au rebours, des hommes engendrant des garçons ont, avec d'autres femmes, engendré des filles. Ce discours témoigne que l'homme, comme la femme, a la semence femelle et la semence mâle : chez ceux qui engendraient des filles, la plus forte a été vaincue par la surabondance de la plus faible, et le produit fut femelle; chez ceux qui engendraient des garçons, la plus forte l'a emporté, et le produit a été mâle. Le même homme ne fournit pas constamment ni une semence forte ni une semence faible, mais il y a de perpétuelles variations. Il en est de même de la femme. On ne s'étonnera donc pas que les mêmes femmes et les mêmes hommes engendrent et des garçons et des filles. La génération des mâles et des femelles se comporte semblablement chez les bêtes. [4,8] Dans la semence même et de la femme et de l'homme, tout le corps fournit ; elle vient faible des parties faibles, et forte des parties fortes. Nécessairement l'enfant y correspond. Quelle que soit la partie où il vient dans la semence plus du côté de l'homme que de la femme, cette partie ressemble davantage au père; quelle que soit la partie où il vient plus du côté de la femme, cette partie ressemble davantage à la mère. Il est impossible que tout ressemble à la mère et rien au père, ou tout au père et rien à la mère, ou rien ni à l'un ni à l'autre. Mais nécessairement l'enfant ressemble à l'un et à l'autre en quelque chose, s'il est vrai que la semence vient des deux corps à l'enfant. A celui qui contribue le plus et de plus de parties à la ressemblance, l'enfant ressemble le plus. Il arrive parfois que la fille ressemble plus au père qu'à la mère, et le garçon plus à la mère qu'au père. Telles sont mes preuves à l'appui de ce que j'ai précédemment avancé, savoir qu'il est tant dans la femme que dans l'homme, et procréation mâle et procréation femelle. [4,9] Il arrive encore ceci : parfois des enfants naissent minces et faibles de parents vigoureux et en bon point; si c'est après plusieurs autres enfants, manifestement le fœtus a été malade dans les matrices, et il l'a été par la mère, si une portion de la nutrition a passé au dehors, les matrices étant plus béantes qu'il ne faut, ce qui l'a rendu faible; tout animal est malade en proportion de sa force. Si tous les enfants qui naissent sont faibles, les matrices en sont cause, étant plus étroites qu'il ne convient; car, si le fœtus n'a pas l'espace où se développer, nécessairement il sera mince, manquant d'une place proportionnée à sa croissance ; mais, s'il a delà place, et qu'il n'éprouve pas de maladie, sans doute l'enfant de parents de grande taille sera grand.. C'est comme si on mettait dans un vase étroit une courge déjà défleurie, mais formée et tenant à la couche où elle a été produite; elle sera égale et semblable à la cavité du vase ; mais, si on la met dans un grand vase, capable de la contenir sans beaucoup dépasser le volume qu'elle doit acquérir, la courge sera égale et semblable à la cavité du vase; car elle rivalise, dans la croissance, avec le récipient où elle est placée, Et en général toutes les productions végétales prennent la forme qu'on leur impose. Il en est de même de l'enfant; s'il a de la place pour la croissance, il devient plus grand ; s'il n'en a pas, il est plus petit. [4,10] Quant à l'enfant estropié dans les matrices, je dis qu'il est estropié à la suite d'une contusion, la mère ayant été frappée sur le lieu répondant au fœtus, ou ayant fait une chute, ou ayant essuyé quelque autre violence. Si l'enfant éprouve une contusion, il devient estropié en la partie contuse ; si la contusion est plus forte, la membrane qui l'enveloppe se rompt et la femme avorte. Ou bien encore les enfants deviennent estropiés de cette manière-ci : quand dans les matrices il y a étroitesse à la partie où en effet s'est produit l'estropiement, il est inévitable que le corps, se mouvant en lieu étroit, soit estropié en cette partie. C'est ainsi que les arbres qui dans la terre n'ont pas assez d'espace, et sont gênés par une pierre ou par toute autre chose, deviennent tortus en grandissant, ou bien gros en un point et petits en un autre. L'enfant en éprouve autant lorsque dans les matrices une portion est relativement trop étroite pour la partie correspondante de l'enfant. [4,11] Quant aux enfants des individus estropiés, ils naissent sains la plupart du temps; en effet, la partie mutilée a exactement la même constitution que la partie saine : mais, s'il survient au parent quelque maladie, et si les quatre espèces naturellement existantes de l'humide qui fournit le sperme, ne donnent pas une génération complète, mais que ce qui vient de la partie estropiée soit plus faible, il ne faut pas s'étonner, ce me semble, si l'enfant est estropié comme le parent. Voilà ce que j'avais à dire là-dessus ; je reviens au sujet qui m'occupe.