[1,41] XLI. L’élection de Lothaire. Après ces événements, le César Henri mourut à Utrecht en l'an 1126 du Verbe Incarné, et Lothaire, duc des Saxons, monta sur le trône du royaume. Mais les Francs furent indignés qu'un Saxon fut élevé au trône, ils essayèrent de faire valoir un autre roi, à savoir Conrad, un cousin du César Henri. Mais le parti de Lothaire l’emporta et il alla à Rome où il fut élevé à la tête de l'Empire par les mains du pape Innocent. Grâce à sa médiation, aussi, Conrad alla même jusqu’à se soumettre au pouvoir de Luder, également appelé Lothaire, qui d’abord son ennemi, devint son meilleur ami. À l'époque de l'empereur Lothaire une nouvelle lumière se fit jour, non seulement en terre de Saxe, mais dans tout le royaume : les temps étaient calmes, il y avait abondance de choses, la paix régnait entre le pouvoir et le clergé. Même les peuples slaves se comportaient pacifiquement parce que Henri, maître des Slaves, dirigeait le comte Adolphe et les peuples Nordalbingiens voisins dans les limites de la bonne volonté. A cette époque il n'y avait ni église ni prêtre parmi tous les peuples des Lutici, Obodrites, et Wagiri, sauf dans le bastion maintenant appelé Vieux-Lubeck car Henri y séjourna très souvent. Et à cette époque il y eut un certain prêtre nommé Vicelin qui vint voir le « roi » des Slaves dans Lubeck et demanda à pouvoir prêcher la parole de Dieu sur sa terre. Beaucoup, en effet, sont encore vivants et savent qui était cet homme et combien sa renommée fut grande. Afin que cette connaissance ne soit pas être oubliée, je pense devoir à la postérité un compte rendu sur lui devrait être introduit dans ce récit parce qu'il fut amené pour le salut de ce peuple, afin d’ouvrir une route pour notre Dieu dans une génération fausse et perverse. [1,42] XLII. Vicelin. Vicelin naquit dans le diocèse de Minden sur un domaine impérial appelé Hameln, situé sur les rives de la Weser. Il fut issu de parents distingués par droiture de leur mode de vie plutôt que par la noblesse de leur sang et de leur naissance. Il fut instruit aux rudiments de lettres par les chanoines de ce lieu. Pourtant, il fut négligé jusqu'à ce qu'il ait presque l'âge d’un homme. Comme il perdit ses parents, il passa ses années d’adolescence, comme d'habitude à cet âge, dans la futilité et l'insouciance. Quand enfin il perdit la maison de son père, il alla se loger dans un château appelé Everstein, situé à proximité. Là, une noble dame, la mère du comte Conrad, eut pitié de ce jeune dépourvu d’amis. Pendant quelque temps, elle le garda et le chérit tendrement, si bien que le prêtre du château s’en aperçut et, jaloux, il chercha une occasion de le chasser du château. Un jour, donc, en présence de nombreux visiteurs, il demanda à Vicelin ce qu'il avait lu à l'école. Lorsque ce dernier lui répondit qu'il avait lu l'Achilléide du Stace, le prêtre enchaîna une question : « Quel est le thème de Stace? » Quand Vicelin dit qu'il ne le savait pas, le prêtre se tourna vers les invités avec des paroles démesurément acerbes: « Hélas, dit-il, je pensais que ce jeune homme, tout juste sorti de ses études, vaudrait quelque chose, mais je me suis trompé. Cet adolescent ne vaut absolument rien. » Mais cependant, il est écrit : « Les paroles des sages sont comme des aiguillons, et comme des clous profondément enfoncés, » le jeune timide fut profondément affecté par l'énoncé d'un tel mépris. Il quitta en hâte le château, sans même dire adieu, débordant de tant de larmes et souffrant de telles piqûres de honte qu'on a peine à l’imaginer. Je l'ai entendu dire à maintes reprises que la miséricorde divine s’était souvenue de lui par la remarque de ce prêtre. Il alla, par conséquent, à Paderborn, où l'étude des lettres florissait alors sous un noble maître, Hartmann. A sa table et dans sa maison, Vicelin trouva sa place, et pendant plusieurs années étudia avec tant d'ardeur et, en effet, avec un sérieux qu’on ne peut pas décrire aisément. Car souvent: "Comme tous ceux qui luttent à fatiguer leur esprit, Il maîtrisa entièrement son intelligence par les arts". Ni jeux, ni fêtes ne le distrayaient de la tâche commencée, si ce n’est la lecture, la composition ou du moins la recopie. D'ailleurs, il fut le plus diligent dans son attention envers la chorale, car il ressentit que considérer le service de Dieu comme un devoir doux et pieux est l'un des premiers fruits d'une fructueuse vie religieuse. Toutefois, lorsque le distingué maître vit son disciple et compagnon de maisonnée dépasser ses forces, il lui dit souvent: " ... O Vicelin, Tu fonces la tête la première. Modère tes études. Car il reste encore assez maintenant Pour que tu puisses en découvrir beaucoup. Peu ému par ces propos, ce dernier répondait: Mais vois, trop tardivement, je pense aux livres Sur lesquels j’ai posé la main. Il faut s’empresser Lorsque le temps et l'âge le permettent encore. Le Seigneur, en outre, donna à cet homme la compréhension et un esprit agile pour devancer ses camarades et il devint en peu de temps l’adjoint du maître dans la direction de l'école. Il géra ses camarades avec diligence, instituant tant la doctrine que l’exemple. Pendant ce temps aussi, quand il était libre de prier, il implorait l'intervention de tous les saints, en particulier celle de Saint Nicolas au service duquel il s’était notamment engagé. Et il arriva une fois que Vicelin eut à célébrer le jour de Noël l'office divin dans la chapelle de Ste Brigitte, où tous ses compagnons se réunirent. Lorsque les offices des vêpres et des matines furent solennellement terminés, certains d'entre eux entendirent des voix angéliques chanter le répons à la manière des clercs : « Bienheureux Nicholas, maintenant ton triomphe est total. » Vicelin déborda de joie à ce miracle et son dévouement se renforça suite à cette allégresse. [1,43] XLIII. La mort du prêtre Ludolf. En outre, le caractère spécifique de son oncle Ludolf, curé de Fuhlen, incita Vicelin à la noble vertu et l’inspira pour le service divin. Homme de sainteté et grand confesseur, les gens de la région confessant leurs péchés et faisant pénitence, désireux de conjurer la colère à venir, rendaient visite à ce prêtre. Il attira également Vicelin. Il allait souvent, priant pour l'anéantissement de ses péchés dans la confession, et il vit dans le prêtre une simplicité naturelle, une vie sans tâche, et surtout une charité débordante et une façon de vivre inébranlable devant le futile. Puis, quand ce vénérable prêtre, faible du fait de l'âge, mais fort par la vigueur de son esprit, tomba malade d'une maladie mortelle, il convoqua tous les prêtres et religieux qu’il put trouver. Après l’administration de l'extrême-onction, il se plaignit de l’absence de son très cher Rotholph, canon d’Hildesheim, et de celle de Vicelin. Sa prière était à peine prononcée quand chacun arriva à l'improviste pour trouver cet homme aimé de Dieu attendant avec une grande résignation l'heure de sa mort. Il les reconnut encore et les reçut par des actions de grâces. Il passa sa dernière nuit communiant avec Dieu par la prière. Comme le jour commençait à poindre, il ordonna de lui lire la passion du Seigneur. Après avoir écouté attentivement, il se tourna brusquement vers le diacre et lui dit: « Apportez-moi vite le saint viatique car l'heure de ma fin est proche. » Partageant immédiatement les vivifiants mystères, il dit à ceux qui se trouvaient là: « Ecoutez, ceux qui doivent m’emmener viennent; voyez, les messagers de mon Seigneur sont arrivés; levez-moi de mon lit. » Comme ils étaient pétrifiés par ses paroles, il leur dit: « Pourquoi tremblez-vous, ô hommes? Ne voyez-vous pas que les messagers de mon Seigneur sont tous ici? » Et aussitôt son âme fut libérée de sa chair. Quand, à la lumière du jour, donc, nombreux se réunirent pour l'enterrement du grand homme, un différend se créa à propos de sa sépulture. D'un côté, le peuple voulait qu’il fût enterré dans l'église; de l’autre, ses amis souhaitaient le voir enterré au cimetière comme il l'avait demandé. Entretemps l’Eucharistie fut offerte pour son âme, tandis qu'un certain Théodoric, toujours en vie, assoupi, pris de somnolence à cause de ses veillées au lit du mort, vit un homme debout d’apparence respectable à côté de lui disant: « Combien de temps peux-tu dormir? Lève-toi et fait que le prêtre soit enterré là où son peuple l’a voulu. » Grâce à la bonne volonté de Dieu, donc, le désir du peuple l’emporta. Et on l'enterra dans les murs de l'église qu’il avait pendant de nombreuses années fidèlement servi. [1,44] XLIV. Le préposé Thietmar. Après la mort de son oncle, Vicelin séjourna dans l'église de Paderborn jusqu'à ce qu'on l’appelle à Brême pour être placé comme maître en charge de l'école. C'était un homme très adapté à la conduite d'une école, pour s'occuper de la chorale, pour former des jeunes dans la voie de la droiture. Il réussit en fin de compte à faire revenir ses élèves, qui plus tôt affichaient des mœurs dissolues, à l'amour des sciences, au service de Dieu et à l’assiduité aux offices du chœur. Sur ce point l'évêque Frédéric et d’autres, occupant une position éminente ou ayant une réputation établie dans l'Eglise l'estimaient. Il n’apparut détestable qu’à ceux dont l'habitude avait été de boire dans les tripots, de traîner dans les maisons et sur les places publiques, pour se livrer à des frivolités — aux dépens du service de Dieu et de la discipline cléricale. C'est pourquoi ils avaient souvent l'habitude de l'attaquer, en l'injuriant et en lui reprochant sa dureté. Mais, cependant, il n'en était rien, rien dans sa manière de vivre qui s'écartait de la perfection ou donnait prétexte aux envieux pour les calomnies. Et il ne reconnut d'aucune façon avoir corrigé les jeunes à la baguette. C'est pourquoi, après que plusieurs de ses élèves se fussent enfuis, il passa pour une personne cruelle. Tous ceux qui purent soutenir cette discipline de l’âme en tirèrent grand profit, car ils réussirent de hautes études dans le domaine du savoir, et atteignirent des postes et des titres d’honneur. À cette époque-là se trouvait chez lui un adolescent très capable, du nom de Thietmar. Sa mère respectable eut, la nuit où il fut conçu, un rêve ; elle vit soi-disant la croix d’or et de pierreries reçue en son sein. Sur cette affaire ce fut un présage admirable que son futur enfant commencerait à briller par l'éclat de la sainteté. Après la naissance de son fils, donc, la mère n'oublia pas la prophétie ; elle le consacra au service de Dieu et l'instruisit dans les saintes écritures. Il fut d'abord négligé parce que l'éducation se relâchait à Brême jusqu'à ce qu’heureusement, maître Vicelin vint prendre en charge l'école. Attaché à son service, le garçon Thietmar devint son disciple et son compagnon de maisonnée. [1,45] XLV. Vicelin en France. Plusieurs années s'étant écoulées, Vicelin vit comment ses disciples avaient amélioré leur compétence et leur nombre, il décida de partir pour la France pour acquérir des connaissances supérieures, et il commença à supplier Dieu de diriger ses pensées. Après avoir réfléchi à cela, le doyen de l'église principale Adalbert vint le voir et lui dit : « Pourquoi as-tu caché à l'ami et au parent ce que tu avais au fond de ton cœur ? » Quand il {Vicelin} s’inquiéta, et lui demanda la raison de cette question, celui-ci répondit : « Je sais que tu prépares ton départ pour la France et je veux que personne ne le sache. Ainsi oui, tu sais que ta voie t’est prescrite par Dieu lui-même. Cette nuit j’ai rêvé que je me trouvai devant l'autel de Dieu priant avec ferveur. Et soudain l'image de la bienheureuse mère de Dieu se plaça sur l'autel, et s'adressa à moi par ces mots : Lève-toi et vas dire à l’homme qui se trouve près de la porte qu'il lui est permis de partir là où il veut. J'ai obéi à cet ordre impératif et, en allant vers la porte, je t'ai vu, allongé en train de prier. Je t'ai annoncé ce que l’on m’avait enseigné, tu m’as écouté et tu t’es réjoui. Maintenant, que tu as reçu cette permission, pars où tu le souhaites ». Enthousiasmé par la protection divine et l’âme renforcée, Vicelin démissionna de son école ; ce ne fut pas cependant sans le chagrin des prêtres et des aînés de l'église ni la peine de perdre la présence d'un tel homme. Emmenant avec lui le très estimable adolescent Thietmar, il partit pour la France et arriva à l'école des vénérables maîtres Raoul et Anselme, célèbres à cette époque pour leur habileté à expliquer l'Ecriture sainte. Auprès d’eux son attitude déjà s’adapta facilement en raison de son fervent désir d’acquérir des connaissances et du mérite de sa vie digne. Evitant toutes les questions superflues et les logomachies vides, qui ne créent rien, mais bouleversent plus encore, il {Vicelin} aspira uniquement à ce que l'éducation produisit un esprit sobre et un perfectionnement moral. Enfin, rassasié du grain de la parole de Dieu, il s'affermit tellement par l'esprit qu'il décida de mener au nom de Dieu une vie austère, à savoir refuser la nourriture carnée, couvrir son corps du cilice et se consacrer avec encore plus de zèle à la vénération divine. Jusqu'ici il n’était qu’acolyte et s'abstenait d’un grade plus élevé, craignant les écueils de la jeunesse. Quand la maturité et la pratique de la longue abstinence ajoutèrent à cet homme la fermeté, il décida, après l'expiration de trois ans d’étude, de retourner au pays natal et de se faire ordonner prêtre. Et il arriva qu’à ce moment que son élève bien-aimé, Thietmar, tomba malade. Craignant une issue fatale, il pleurait et Ezéchias versa d’abondantes larmes, en implorant Dieu de prolonger sa vie en raison du mérite de son maître. Quand il eut fini d’implorer, gloire à Dieu ! la maladie disparut. Après cela tous deux revinrent au pays natal et là ils se séparèrent l'un l'autre. Le vénérable Thietmar fut nommé chanoine de l'église de Brême. Mais maître Vicelin, destiné par l'ordonnance de Dieu à une autre tâche, refusa le poste offert. [1,46] XLVI. L’arrivée de Vicelin en Slavie. L'année où Vicelin revint de France il alla voir le très révérend Norbert, évêque de Magdebourg, afin de profiter de sa notoriété, et là il obtint la consécration de la prêtrise. Aussitôt, avec un zèle ardent, il se mit à réfléchir, dans quels endroits il voudrait s'installer ou à quelle affaire se consacrer pour que l'église en tirât le plus grand profit ; il entendit des rumeurs selon lesquelles Henri, prince des Slaves, après avoir soumis les peuples païens, avait l'intention de répandre le christianisme parmi eux. Déterminé donc par l’appel de Dieu à répandre l'œuvre de l'évangile, il alla voir le vénérable Adalbert, archevêque de Hambourg, qui se trouvait par hasard à Brême, lui confiant les intentions de son cœur. Celui-ci, s’en réjouit énormément, approuva sa décision et le chargea de prêcher à sa place parmi le peuple slave la parole de Dieu et d’éradiquer l'idolâtrie. Et aussitôt il se dirigea vers la terre des Slaves accompagné du vénérable prêtre Rodolf d’Hildesheim et du chanoine Ludolf de Verden, qui s’étaient consacrés à ce ministère. Ils arrivèrent chez le prince Henri, qui se trouvait alors dans la ville de Lubeck, et lui demandèrent la permission de prêcher le nom de Dieu. Celui-là, pas du tout hésitant, accueillit ces hommes très estimables avec les plus grands honneurs et leur donna une église à Lubeck pour qu'ils puissent s'y installer avec toutes leurs affaires et y travailler à la gloire de Dieu. Ayant arrangé tout cela selon l’usage, ils revinrent en Saxe afin de mettre en ordre leurs affaires domestiques et se préparer au voyage en Slavie. Mais ici une grande douleur inattendue frappa leurs cœurs. Soudain se répandit la nouvelle qu’Henri, roi des Slaves, avait quitté ce monde. Aussi, l'exécution de leurs pieuses intentions fut à ce moment retardée. Car les fils d’Henri, Sviatopolk et Knut, qui lui succédèrent sur cette région, la perturbèrent tant par des guerres intestines que le calme de cette époque et les tributs des terres, que le père avait acquis par la valeur des armes, furent perdus. [1,47] XLVII. Le repentir des Nordalbingiens. A peu près à cette époque, l'archevêque Adalbert traversa l’Elbe, souhaitant visiter Hambourg et la terre des Nordalbingiens ; il arriva à la ville de Meldorf, accompagné du vénérable prêtre Vicelin. Les Nordalbingiens se répartissent en trois tribus : Sturmariens, Holzatiens et Dietmarschiens. Ils ne se différencient pas beaucoup entre eux par l'apparence, ou par la langue, tous respectant le droit saxon et la foi chrétienne, mais proches des païens, ils ont l'habitude se livrer aux pillages et aux brigandages. La coutume de l'hospitalité est toujours active chez eux. Car voler et être généreux sont des motifs d'orgueil parmi les Holzatiens. En effet celui qui ne sait pas voler est stupide et sans gloire. Quand l'archevêque se trouva à Meldorf, les citadins de Faldera vinrent le voir et lui demandèrent la nomination d’un prêtre. La circonscription de Faldera est située dans cette partie de terre Holzatienne qui touche aux terres Slaves. Aussitôt l'archevêque se tourna vers le prêtre Vicelin et lui dit : « Si ton but est de travailler en Slavie, pars avec ces hommes et prend en charge leur église, parce qu'elle est située à la frontière des deux provinces et cela constituera un lieu de séjour pour tes allers retours en Slavie ». Quand celui-ci répondit qu'il obéirait à ce conseil, l'archevêque dit aux citadins de Faldera: « Voulez-vous un prêtre raisonnable et digne ? » Quand ils eurent dit que c'était ce qu'ils voulaient et recherchaient de toute manière, il prit le prêtre Vicelin par la main, et le mit en relation avec un certain Markrad, personne très importante, pour qui les autres habitants de Faldera demandèrent de témoigner une attention digne de sa personne. Et quand il arriva sur le lieu prévu et l'embrassa d'un regard, il vit les plaines brutes désertes couvertes de bois stériles, d’habitants sauvages et incultes, que rien ne reliaient à la religion, bien que portant le nom de chrétiens, car chez eux on répandait de nombreuses erreurs : respect des bois sacrés, des sources et autres superstitions. Ainsi, ayant commencé à habiter « parmi une génération dévoyée et pervertie », « dans un désert vaste et affreux », il se confia avec encore plus d’ardeur à la protection divine, puisqu’une grande part d’humanité faisait défaut. Dieu lui fit gagner les bonnes grâces de ce peuple. Car, dès qu'il commença à prêcher la gloire de Dieu, et la résurrection de la chair dans les siècles futurs, ce peuple sauvage, comme par un grand miracle, fut ébranlé par la nouveauté de cette foi inconnue jusqu'alors, et se mit à fuir les ténèbres du péché grâce au rayonnement de la splendeur éclatante de Dieu. En un mot, il est difficile de croire, qu’à cette époque, une telle multitude de gens adopta le remède de la confession, et que la voix de son prêche retentit dans toute la terre des Nordalbingiens. Il commença avec une pieuse sollicitude à rendre visite aux églises avoisinantes, prédisant aux gens le salut, ramenant les égarés, réconciliant les dissidents, détruisant ensuite les bois sacrés et tous les rites sacrilèges. Comme sa réputation se répandit rapidement, de nombreux clercs et laïcs le rejoignirent. Parmi les premiers se trouvèrent avant tout les vénérables prêtres Ludolf, Eppo, Luthmund, Volkward et de très nombreux autres, certains déjà endormis du sommeil éternel, certains autres encore vivants. Ayant conclu entre eux un pacte sacré, ils décidèrent de mener une vie de célibat, de demeurer longtemps en prière et en jeûne, de faire des actes de piété, de rendre visite aux infirmes, de soutenir les indigents, et de se soucier tant de leur propre salut que de celui de leurs proches. Plus que tous préoccupés de la conversion des Slaves, ils supplièrent Dieu de leur ouvrir dès que possible la porte de la foi. Mais Dieu différa longtemps l'exécution de leur requête, « car l’iniquité des Amorites n’est pas encore à son comble » et « le temps de la grâce n’est pas venu » pour eux. [1,48] XLVIII. Sviatopolk. Le conflit interne provoqué par les fils d’Henri fut l’occasion de nouvelles épreuves pour les peuples Nordalbingiens. Dans son désir d'être le seul maître l'aîné Sviatopolk, infligea à son frère Knut de nombreux dommages ; il l’assiégea finalement, avec l'aide des Holzatiens, dans la forteresse de Plon. Knut ne laissa pas ses alliés lancer des traits sur les assiégeants, et monté sur les remparts, il s’adressa à toute l'armée: « Écoutez mes paroles, je vous en prie, excellents hommes qui êtes venus d’Holzatie. Pour quelle raison, je vous le demande, vous êtes-vous soulevés contre votre ami? Ne suis-je pas le frère de Sviatopolk, issu du même père, Henri, et cohéritier de droit au domaine paternel? Pourquoi donc, mon frère essaye-t-il de me dépouiller de mon héritage? Ne soyez pas, je vous en prie, trompés sans raison contre moi, mais revenez à un jugement et intercédez pour moi auprès de mon frère pour qu'il cède la partie qui m’est due à juste titre. » Le cœur des assiégeants s’adoucit en entendant ces paroles et ils décidèrent que les justes exigences de cet homme devaient être entendues. Ils s’appliquèrent sur ce sujet et réconcilièrent les frères ennemis: la province fut partagée entre eux. Mais comme Knut fut tué peu de temps après dans la forteresse de Lütjenburg, Sviatopolk obtint le pouvoir pour lui seul. Et, convoquant le comte Adolf, les Holzatiens et les Strurmariens, il fit une expédition au pays des Obodrites et assiégea un bastion appelé Werla. Après l’avoir maîtrisé, il alla plus loin à la forteresse des Kiciniens et l'assiégea pendant cinq semaines. Quand enfin cette forteresse fut soumise et des otages donnés, Sviatopolk retourna à Lubeck. Les Nordalbingiens alors rentrèrent chez eux. Lorsque le prêtre Vicelin vit que le prince des Slaves était favorablement disposé envers les disciples du Christ, il alla le voir et lui présenta à nouveau l'engagement qu'il avait proposé à son père. Obtenant la faveur du prince, Vicelin envoya les vénérables prêtres, Ludolf et Volkward, dans la forteresse de Lubeck pour s'occuper du salut du peuple. Ils furent bien reçus par les marchands dont une colonie pas petite s'était rassemblée là en raison de la probité et de la piété du prince Henri. Les prêtres habitaient dans une église située sur une colline qui se trouve face à la ville quand on traverse la rivière. Peu de temps après, donc, les Rugiens attaquèrent la ville quand elle fut dépourvue de navires, et ils détruisirent la ville et sa forteresse. Comme les barbares se précipitaient par une porte de l'église, les prêtres illustres se glissèrent par une autre et se sauvèrent, allant se réfugier dans les bois voisins, puis s'enfuirent vers le havre de Faldera. Sviatopolk fut tué peu de temps après par la ruse d'un certain Holzatien très riche, Dazo. Il laissa un fils appelé Zuinike, mais, mais, lui aussi, fut tué à Artlenburg, un bastion transelbien. Et la descendance d’Henri dans le principat des Slaves s’acheva là, car son fils et les fils de ses fils moururent. Ce prince, informé d’un signe dont je ne sais rien, avait prédit que sa souche s’éteindrait très bientôt. [1,49] XLIX. Knut. Le principat des Slaves fut ensuite transféré au très noble prince Knut, fils d'Erik, roi des Danois. Lorsque le très puissant roi Erik fit vœu d'aller en croisade à Jérusalem, son frère Nicolas régna avec son fils Knut, et par serment il s'engagea à ce que, s'il ne revenait pas, le royaume fut remis à son fils Knut dès qu’il aurait atteint sa majorité. Lorsque la mort surprit le roi en revenant de Jérusalem, Nicolas, bien que né d'une concubine, reçut le royaume des Danois parce que Knut était encore un enfant. Mais Nicolas avait aussi un fils, du nom de Magnus. Les deux garçons furent élevés ensemble de manière royale, avec magnificence, pour les guerres futures, pour le malheur de nombreux Danois. Quand Knut commença à grandir, craignant que son oncle ne le perde par ses intrigues, il partit chez l'empereur Lothaire. Knut passa de nombreux jours, pour ne pas dire des années, bien portant, à la cour de l’empereur Lothaire, habitué au respect dû à la grandeur royale. Revenu dans sa patrie, il fut accueilli avec bienveillance par son oncle et reçut de lui la gestion de tout le Danemark. Cet homme paisible commença à pacifier le pays, en expulsant les mécréants. Avant tout, Knut fut bien disposé envers les habitants du Schleswig. Il arriva aussi qu’on appréhendât un jour des brigands dans la lande située entre la Schlei et l’Eider, et on les amena devant Knut. Quand il les condamna à la pendaison, l’un d'eux, pour sauver sa vie, annonça à Knut qu’il était son parent et de la génération royale des Danois. Alors Knut répondit : « Il est honteux que nous nous adressions à notre parent d’une façon si ordinaire. Rendons-lui l’honneur qui lui est dû ». Et il ordonna de le suspendre solennellement au mât d’un navire. Cependant il vint à l'esprit de Knut qu'en raison de la mort d’Henri et de ses fils, le trône était vacant dans la principauté slave. Il alla alors chez l'empereur Lothaire et, pour une grosse somme d'argent, il acheta le domaine des Obodrites, c'est-à-dire tout le pouvoir que possédait Henri. L'empereur lui déposa la couronne sur sa tête, (ce qui signifiait) qu'il devait être le roi des Obodrites, et il l’accepta comme vassal. Après cela Knut alla sur la terre des Wagriens et occupa la montagne, qui s'appelait anciennement Alberg, et il établit là de petites maisons, entendant y construire une forteresse. Et, il s’associa aussi tout homme combattant des terres d’Holzatie, puis fit des incursions sur la terre des Slaves, tuant et abattant tous ceux qui lui opposaient de la résistance. Et il fit prisonniers le neveu d’Henri, Pribislav, et Niclot, l'aîné de la terre des Obodrites, qu’il emmena en captivité pour les incarcérer dans le Schleswig, leur ayant enchaînées les mains, et qui ne se seraient libérés qu’après avoir payé leur caution et reconnu son pouvoir. Knut venait souvent sur la terre des Wagriens et usait de l'hospitalité de Faldera. Il se rapprocha de Vicelin et d'autres habitants de là-bas et leur promit à tous des biens, si Dieu pouvait régler ses affaires en Slavie. Arrivé à Lubeck, il y fit consacrer une église, construite par Henri, en présence du vénérable prêtre Ludolf et d’autres, venus de Faldera. A cette époque mourut le comte Adolf qui avait deux fils. L'aîné d'entre eux, Hartung, homme de guerre, devait hériter du comté ; le cadet, Adolf, se consacra aux études littéraires. Mais alors l'empereur Lothaire entreprit une grande expédition en Bohême. Hartung et plusieurs nobles y périrent ; Adolf hérita de la terre des Nordalbingiens ; c’était un homme mesuré, expérimenté dans les affaires spirituelles et temporelles. Car outre le fait qu'il s'exprimât librement en latin et en allemand, il lui était tout aussi possible de parler la langue slave. [1,50] L. Nicolas. Durant cette période, Knut vint à Schleswig pour tenir une réunion avec son oncle Nicolas. Quand les gens étaient venus à la conférence et que l'ancien roi, revêtu des vêtements royaux, s'assit sur le trône, Knut s'assit en face de lui, coiffé de même d'une couronne, celle du royaume des Obodrites, et très entouré d’une escorte de gardes. Mais quand son oncle, le roi, vit son neveu fier comme un roi qui ne se levait pas devant lui, ni ne lui donnait le baiser coutumier, il feignit de ne pas remarquer l’offense et alla l’accueillir par un baiser. Ce dernier se joignit à lui à mi-parcours et se conduisit pendant tout ce temps comme l'égal de son oncle aussi bien en rang qu’en dignité. Ce comportement attira sur Knut une haine mortelle. Car Magnus, fils de Nicolas, qui assistait avec sa mère à ce spectacle, brûla d’une rage incroyable quand elle lui dit: « Avez-vous vu comment votre cousin a pris le sceptre et règne déjà ? Il faut le considérer, par conséquent, comme un ennemi public qui n'a pas craint de s'arroger le titre de roi bien que votre père soit toujours vivant. Si vous négligez très longtemps cela et ne le tuez pas, vous pouvez être sûr qu'il vous privera tant de la vie que du royaume. » Poussé par ces mots Magnus commença à concevoir des embuscades pour tuer Knut. Lorsque le roi Nicolas fut informé de ces desseins, il convoqua tous les princes du royaume et s’efforça de réconcilier les jeunes divisés. Comme leurs dissensions, alors, inclinèrent à la paix, les deux parties contractèrent un pacte. Mais cet accord, qui considéré comme solide par Knut, fut oublié par la ruse de Magnus. Dès qu'il eut avec une feinte amitié sondé la disposition de Knut et pensé qu'il n’avait plus aucun soupçon de malice, Magnus demanda à Knut de le rencontrer lors d'une conférence privée. La femme de Knut lui conseilla de ne pas y aller parce qu'elle craignait qu'il soit pris au piège, elle était en même temps aussi troublée par ce qu'elle avait vu en songe la nuit précédente. Néanmoins, on ne peut retenir un homme confiant. Comme il était renommé, il alla à l'endroit agréé, accompagné seulement de quatre hommes. Magnus était là avec le même nombre d'hommes et par une accolade il embrassa son cousin, après quoi ils s’assirent pour effectuer leurs transactions. Sans retard, des gens surgirent de leur cachette d’embuscade et, frappant Knut, le tuèrent et démembrèrent son corps, impatients de rassasier leur férocité, même sur son cadavre. Et à partir de ce jour, tumultes et guerres intestines se multiplièrent au Danemark. Les conséquences méritent qu’on s’en souvienne car elles concernèrent énormément le pays des Nordalbingiens. En apprenant cette sinistre nouvelle, l'empereur Lothaire et son épouse, Richenza, furent très attristés car disparaissait un homme intimement lié par amitié à l'Empire. Avec une armée formidable, Lothaire arriva à cette fameuse muraille, le Dinewerk, près de la forteresse de Schleswig, pour venger la mort funeste de l’excellent homme qu’était Knut. Magnus avait pris position, face à lui, avec une immense armée de Danois, pour défendre son pays. Mais, terrifié par la valeur de la chevalerie allemande, il acheta au César son immunité contre une immense somme d'or et son vasselage. [1,51] LI. Erik. Voyant la colère de César refroidie, Erik, frère de Knut né d'une concubine, commença à prendre les armes pour venger son frère de sang. Se hâtant sur terre et sur mer, il rassembla un grand nombre de Danois qui exécraient la mort impie de Knut. Il prit le titre de roi et attaqua fréquemment Magnus, bataille après bataille, mais il fut vaincu et mis en fuite. A cause de cela, Erik fut aussi appelé Hasenvoth, c'est-à-sire pied-de-lièvre à cause de ces fuites continuelles. Expulsé enfin du Danemark, il se réfugia dans la ville de Schleswig. Les habitants, n’ayant pas oublié les faveurs que Knut leur avait attribuées, le reçurent et furent prêts à supporter pour lui la mort et la destruction. Là-dessus, Nicolas et son fils Magnus ordonnèrent à tous les Danois de faire la guerre avec Schleswig, et le siège devint interminable. Lorsque le lac jouxtant la ville fut gelé et donc franchissable, ils prirent d'assaut la ville par terre et par mer. Alors les gens de Schleswig envoyèrent des messagers au comte Adolphe, lui offrant cent marks s'il venait avec le peuple Nordalbingien au secours de la ville. Mais Magnus lui offrit tout autant pour qu’il s’abstienne. Incertain, le comte consulta les anciens de la province. Ils lui dirent qu'il devait aller au secours de la ville car il avait souvent obtenu d’elle des marchandises. Donc quand le comte Adolphe eut rassemblé une armée, il traversa la rivière Eider, mais il lui parut qu'il devait attendre un peu jusqu'à ce que l'armée entière ait pu se regrouper et qu'il devait alors procéder avec prudence dans une terre considérée comme ennemie. Mais il ne put retenir le peuple, avide de butin. Ils allèrent de l'avant avec une telle vitesse que lorsque le premier entra dans les bois de Thievel, le dernier avait à peine atteint la rivière Eider. Dès que Magnus entendit parler de l'approche du comte, il choisit dans ses troupes un groupe de mille hommes équipés et alla à la rencontre de l'armée qui venait de Holzace ; il engagea le combat avec eux. Le comte fut mis en fuite et le peuple Nordalbingien subit un choc très important. Toutefois, le comte et tous ceux qui avaient fui du combat se retirèrent en traversant l'Eider en sûreté. Après avoir ainsi obtenu la victoire, Magnus retourna à son siège, mais il fut frustré de tels efforts, car il ne devint maître ni de la ville, ni de l'ennemi. Une fois l'hiver achevé le siège s’acheva, et Erik s'éclipsa vers les régions côtières de la Scanie, se plaignant partout de la mort de son frère innocent et de ses propres malheurs. En apprenant qu’Erik était dans les environs, Magnus à l'approche de l'été, mena une expédition en Scanie avec une multitude de navires. Bien que suivie que par un petit nombre d’habitants, Erik prit position en face de lui. Les Scaniens résistèrent seuls à tous les Danois. Comme Magnus voulait lancer ses forces le saint jour de la Pentecôte, les vénérables évêques lui dirent: Laissez cette grande fête au Dieu des cieux. Reposez-vous aujourd'hui, vous combattrez demain. Mais il méprisa leurs admonestations et engagea la bataille. Erik fit aussi sortir son armée et le combattit avec une importante force. Ce jour-là Magnus fut abattu et toute la force des Danois fut vaincue et détruite par les hommes de la Scanie. Par cette victoire, Erik se rendit célèbre et on inventa un nouveau nom pour lui: on l’appela Emun, c'est-à-dire le Mémorable. Nicolas, l’ancien roi, s’échappa par bateau et vint à Schleswig, où il fut massacré par les citoyens de la ville en l’honneur du vainqueur. Ainsi l'Éternel vengea le sang de Knut assassiné par Magnus, qui avait violé le serment prêté. Ensuite, Erik régna au Danemark et eut d'une concubine Thunna, un fils nommé Svein. Knut eut également un fils, le noble Waldemar, et Magnus, lui aussi engendra un fils nommé Knut. Cette descendance royale fut laissée au peuple Danois afin qu’elle put exercer le pouvoir, sans rien perdre de son habileté à la guerre et parfois de son arrogance. Les Danois ne se distinguent que par leurs guerres civiles. [1,52] LII. Du rite des Slaves. Or donc ce fut ainsi que mourut Kanut, surnommé Laward, Roy des Obodrites et sa principauté fut partagée entre Prybyslas et Niclot ; l’un gouverna la province des Wagriens et Polabes et l’autre celle des Obodrites. Ce furent deux véritables bêtes féroces avides du sang chrétien et de leurs temps on vit fleurir dans la Slavie le culte de toutes sortes d’idoles, d’erreurs et de superstitions. Car outre les bois sacrés et les pénates qui remplissaient les champs et les bourgs, ils avaient des dieux Principaux tels que Prowe dieu de la terre d’Aldenbourg, Siwa déesse des Polabes, Radegast dieu de la terre des Obodrites ; tous ces dieux avaient leurs prêtres leurs sacrifices et leur culte particulier ; le prêtre consulte les sorts et d’après leur décision fixe les jours de solennités où se rassemblent les hommes les femmes et les enfants, chacun y sacrifie des bœufs, des brebis et quelquefois des chrétiens, parce qu’ils croient que leur sang est très agréable aux dieux. Le prêtre, après avoir frappé la victime, fait des libations de son sang afin de se mettre en état de rendre des oracles, car beaucoup de gens sont dans l’opinion que le sang attire les démons. Lorsque les sacrifices sont finis, le peuple se livre à la joie des festins, car les Slaves ont une singulière erreur lorsqu’ils boivent ensemble : ils font passer à la ronde une patère dans laquelle ils portent des paroles ; je ne dirai pas de consécration mais d’exécration au nom de leurs dieux du bien et du mal disant que toute la bonne fortune vient du dieu bon et la mauvaise du mauvais dieu. Ils appellent celui-ci Diabol ou Czerneboch, c'est à dire le Dieu noir. Parmi les dieux multiformes des Slaves, le plus illustre est Zwanthevit, dieu de la terre des Rugiens, ils le croient le plus efficace dans ses réponses et ne regardent les autres dieux que comme des demi-dieux, en comparaison de lui. Aussi pour lui rendre un honneur particulier, ils tirent tous les ans un chrétien au sort et le lui sacrifient ; toutes les provinces Slaves contribuent aux dépenses de ces sacrifices, les peuples ont pour ce temple un singulier respect, ils ne permettent point que l'on y jure et ne souffrent point que l'on en viole le circuit, même à l'égard d'un ennemi. Au reste, les Slaves sont un peuple d'une insigne cruauté, ne pouvant vivre en paix et ne cessant de vexer ses voisins tant par terre que par mer. L'on ne saurait imaginer tous les genres de mort qu'ils ont inventé pour faire périr les chrétiens. Quelquefois ils attachaient un bout de leurs boyaux à un arbre et les dévidaient en les faisant marcher autour de l'arbre. Quelquefois ils les mettaient en croix, pour se moquer par là du signe de notre salut. Car ils croient qu'il n'y a que les plus scélérats que l'on doive crucifier. Ceux qu'ils destinent à être rançonnés, ils les affligent de tourments et les chargent de liens, d'une manière incroyable. [1,53] LIII. La construction de Segeberg. Blason de Segeberg. Puisque l'illustre César Lothaire et sa très digne épouse Richenza s’étaient énormément dévoués avec sollicitude au service divin, le prêtre du Christ, Vicelin, alla le voir quand il s'arrêta à Bardowiek et lui suggéra de fournir aux slaves certains moyens pour leur salut en accord avec le pouvoir que le Ciel lui avait été accordé. Vicelin, par ailleurs, lui fit savoir qu’il existait, dans la province de Wagrie, une montagne propice à la construction d'un château royal pour la protection de la terre. Knut, roi des Obodrites, avait déjà occupé cette montagne, mais les soldats qu'il y avait postés avaient été faits prisonniers par des voleurs menés par la trahison du vieil Adolf qui craignait contre lui une facile oppression si Knut se renforçait. L'empereur suivit le prudent conseil du prêtre et envoya des hommes compétents pour déterminer les propriétés de la montagne. Conforté par les rapports de messagers, il traversa la rivière et entra sur la terre des Slaves à l'endroit désigné. Il ordonna à tous les Nordalbingiens de se regrouper pour construire le château. Par obéissance envers l'empereur, les princes des Slaves étaient également présents, prenant part à l'entreprise, mais avec une grande affliction, car ils sentaient au fond d’eux-mêmes qu’il était bâti pour les soumettre. L’un des princes Slaves dit alors à un autre: « Vois-tu cette structure solide et proéminente? Eh bien, je te prédis que ce château se révélera un joug pour toute la terre; pour sortir de là, ils briseront d'abord Plon puis Oldenbourg et Lubeck, puis ils traverseront la rivière Trave et soumettront Ratzeburg et toutes les terres des Polabes. Et le pays des Obodrites n'échappera pas à cette emprise. » L'autre lui répondit: « Qui a préparé notre malheur en parlant de cette montagne au roi? » Le prince lui répondit: « Regarde ce chauve aux côtés du roi, c’est lui qui nous a fait tout ce mal? ». Le château fut terminé et doté d’une nombreuse soldatesque et on l’appela Segeberg. Le César nomma Hermann, l’un de ses sbires, responsable du château. Peu satisfait de ces arrangements, il ordonna la fondation d'une nouvelle église au pied de cette même montagne, réservée au soutien du culte divin et, pour les tributs aux frères qui allaient se rassembler là, six villages ou plus, confirmant ce privilège par des chartes selon coutume. En outre, il confia l'intendance de cette basilique à maître Vicelin, qui serait le plus apte à faire avancer la construction de logements et à amener des clercs. Il fit également un arrangement semblable pour l'église de Lübeck, prévenant Pribislav, qu'il devrait la favoriser, avec toute la diligence vigilante du prêtre, lui ou qui que ce soit agissant en son nom. Son but était, comme il l’attesta lui-même, de contraindre toute la populace slave à {adopter} la religion divine et de faire un grand évêque du ministre du Christ. [1,54] LIV. La mort de l’empereur Lothaire. L’empereur ayant fait cela et mis en ordre ses affaires chez les Slaves comme chez les Saxons, remit le duché de Saxe à son gendre Henri, duc de Bavière, et après qu’il en eut pris possession, ils partirent ensemble vers l'Italie. Cependant maître Vicelin, curateur habile de l'affaire qu’on lui avait confiée, recueillit des personnes adéquates pour le sermon de l'évangile et pour le service de Dieu. Parmi eux il établit à Lubeck les prêtres vénérables Ludolf, Herman et Bruno, et il confia Segeberg à Luthmund et à d’autres. Ainsi s’accomplit la miséricorde de Dieu, et grâce aux mérites de l'empereur Lothaire, on créa une nouvelle pépinière de la foi en terre slave. Mais, au service de Dieu, les tentations ne manquèrent pas : ainsi, les pères de la nouvelle église eurent à faire de grands sacrifices. Car l'empereur bienveillant, dont les mérites à l'appel des païens sont reconnus de tous, après avoir pris possession de Rome et de l'Italie et avoir expulsé d’Apulie Roger de Sicile, se préparait déjà à revenir, lorsqu’une mort prématurée l’en empêcha soudainement. Cette nouvelle jeta le trouble parmi tous les puissants de l'empire; le mérite saxon, rendu si célèbre par ce souverain, donna l’impression d’une complète décadence. Et alors les affaires de l'Eglise chancelèrent en terre slave. Car dès que le corps de l'empereur défunt fut transporté en Saxe au tombeau de Königslutter, les conflits commencèrent entre Henri, gendre du roi, et le margrave Albert, qui se disputaient le pouvoir ducal en Saxe. Quand le roi Conrad fut élevé au trône, il essaya d’installer Albert dans le duché, estimant injuste que tout prince puisse détenir deux duchés. Henri revendiqua pour lui-même les deux duchés, la Bavière et la Saxe. Par conséquent, ces deux princes, les fils de deux sœurs, amenèrent la guerre civile, et toute la Saxe fut dans la tourmente. Albert, en effet, s’empara rapidement la forteresse de Lüneburg et des villes de Bardowiek et Brême, se rendant maître de la Saxe occidentale. Le territoire des Nordalbingiens fut également ajouté à ses possessions. En conséquence, le comte Adolphe fut chassé de sa province, ne voulant pas rompre le serment de fidélité prêté à l'impératrice Richenza et à son gendre. Albert attribua par faveur son comté, ses forteresses et ses droits féodaux à Henri de Badwide. Il reçut aussi le château de Segeberg sous sa protection, car Hermann était mort, et les autres que l'empereur y avait installés, furent expulsés. [1,55] LV. La persécution de Pribislav. Pendant que ces troubles éclataient partout en Saxe, Pribislav de Lubeck avec la bande de voleurs qu'il avait rassemblée, saisit l'occasion pour détruire les faubourgs de Segeberg et tous les hameaux environnants où demeuraient les Saxons. Le nouvel oratoire et le monastère récemment construits furent ensuite consumés par le feu, et Volker, un frère d'une grande simplicité, fut percé par le glaive. Les autres frères, qui s’échappèrent, purent se réfugier dans le havre de Faldera. Le prêtre Ludolf, cependant, et ceux qui vivaient avec lui à Lübeck ne furent pas dispersés par ce ravage, car ils vivaient dans la forteresse et sous la protection de Pribislav. Néanmoins, ils occupèrent une position difficile à un moment difficile, craignant une mort complète. Non content d'être dans la misère et en danger quotidien pour leur vie, on les contraignit à regarder les chaînes et les différentes tortures infligées aux fidèles du Christ, que la bande de voleurs avait coutume de prendre ici ou là. Peu de temps après, un certain Race, de la famille de Kruto, croyant trouver son ennemi Pribislav à Lübeck, vint avec une flotte de navires. Car ces deux proches de Kruto et d’Henri se disputaient le principat. Comme cependant, Pribislav resta encore absent, Race et ses hommes démolirent la forteresse et ses environs. Les prêtres se sauvèrent en se cachant dans les roseaux jusqu'à ce qu'ils trouvent refuge à Faldera. Le vénérable prêtre Vicelin et les autres prédicateurs du Verbe furent, par conséquent, remplis d’une sombre tristesse parce que la nouvelle plantation {de la foi} se flétrissait, bien qu’à son début. Mais ils restèrent dans l'église de Faldera, appliqués aux prières et au jeûne. On ne peut rendre en réalité exactement ce que furent l’austérité, la tempérance de nourriture et la perfection de conduite de ce groupe qui se distingua particulièrement à Faldera. Le Seigneur, pour cela, leur accorda la grâce de la guérison, puisqu’Il l'avait promis pour guérir les malades et chasser les démons. Que dirai-je de ceux qui furent saisis du démon? La maison était si pleine de possédés qui avaient été amenés de loin, que les frères ne pouvaient se reposer, et qu’ils réclamaient la présence des saints pour embraser leurs feux. Mais qui parmi eux vint sans obtenir la grâce de Dieu? En ces jours, il arriva qu’une vierge, nommée Ymme fut tourmentée par un démon et on l’amena au prêtre Vicelin. Lorsque ce dernier posa des questions au démon, où vas-tu intact, toi l’auteur qu’on présume profaner par la dépravation ? il répondit d'une voix claire: « Parce qu'elle m'a trois fois offensé. » « Comment a-t-elle pu t’offenser, demanda Vicelin ? « Parce que, répondit le démon, elle a contrarié mes affaires. Par deux fois j’ai envoyé des voleurs s'introduire dans une maison, mais, assise près du foyer, elle les a effrayé par ses cris. Maintenant encore, comme j’étais sur le point d'accomplir une mission pour notre prince au Danemark, je l'ai rencontrée sur mon chemin, et pour me venger d'avoir été une troisième fois contrarié, j’en ai pris possession. » Mais quand l'homme de Dieu prononça contre lui les paroles de conjuration, le démon dit: « Pourquoi penses-tu me chasser, moi qui suis prêt à partir de mon propre chef ? Maintenant, je dois partir pour un village voisin rendre visite à mes camarades qui s’y cachent. En effet, j’ai reçu cette mission avant mon départ pour le Danemark. » « Quel est ton nom ? » demanda Vicelin, « qui sont tes alliés et avec qui vivent-ils? » « On m’appelle Rufin, » répondit-il. « En outre, mes camarades sur lesquels tu me questionnes sont au nombre de deux: l’un est avec Rothest, l'autre avec une certaine femme de la même ville. Je vais leur rendre visite aujourd'hui. Demain, avant que la cloche de l'église ait sonné la première heure, je reviendrai ici te dire adieu, et alors seulement, j’irai au Danemark. » Lorsque le démon eut prononcé ces paroles, il sortit, et la vierge fut libérée des souffrances de son tourment. Alors le prêtre lui ordonna de se purifier et de revenir à l'église le lendemain avant l'heure de prime. Le lendemain matin lorsque ses parents l'amenèrent à l'église, la première heure commençait à sonner et avant qu'ils en aient franchi le seuil, la vierge commença à être troublée. Néanmoins, l’empressement du bon pasteur ne cessa pas jusqu'à ce que l'esprit l’ait quittée, vaincu par la puissance dominante de Dieu. Les événements prouvèrent en outre la juste prédiction du démon concernant Rothest, car il s’étrangla lui-même avec une corde, peu de temps après avoir été violemment pris à parti par l'esprit malin. Au Danemark, également, on vit éclater des troubles si graves après qu’Erik fut assassiné, qu'il apparut clairement que le diable s’était approché de lui pour le malheur de ces gens. Qui ne sait que les guerres, les ouragans, les pestes, tous les maux, en vérité qui s’abattent sur le genre humain, arrivent par le ministère des démons ? [1,56] LVI. La mort du duc Henri. Au Danemark ainsi qu’en Saxe faisaient rage les tempêtes larvées de la guerre; à savoir, les conflits intestins entre les grands princes, Henri le Lion et Albert {l’Ours}, qui se disputaient le duché de Saxe. Mais surtout, la fureur des Slaves, qui fit rage, comme si les rênes avaient été déchirés à cause de la préoccupation des Saxons, perturba tant la terre des Holzatiens que le pays de Faldera fut pratiquement réduit à un désert par les meurtres et les déprédations des villages qui avaient lieu chaque jour. En cette époque de détresse et de tribulation, le prêtre Vicelin exhorta le peuple à placer sa confiance {en Dieu}, à réciter les litanies dans le jeûne et l'attrition du cœur parce que les mauvais jours s’instauraient. Alors, Henri, qui gouvernait le comté, homme vigoureux impatient, actif à prendre les armes, réunit secrètement une armée d’Holzatiens et de Sturmariens puis envahit la Slavie en hiver. En attaquant ceux qui étaient à portée de la main et qui étaient comme des épines plantées dans les yeux des Saxons ; il fit un grand carnage sur l'ensemble du territoire, à savoir, Plon, Lütjenburg, Oldenbourg, et l'ensemble du pays qui commence à la rivière Schwale et est enfermé par la mer Baltique et la rivière Trave. En une incursion de pillage et d'incendie, ils dévastèrent tout ce que les régions sauf les villes protégées par les murs et les barres des fortifications et qui auraient nécessité un effort plus coûteux en cas de siège. L'été suivant, les Holzatiens, s’encourageant les uns les autres, allèrent jusqu'à la forteresse de Plon, même sans le comte. Avec l'aide de la Divine Providence et contrairement à toute attente, ils prirent cette forteresse, qui était plus solide que les autres, et passèrent tous les Slaves qui s'y trouvaient au fil de l'épée. Cette année, ils menèrent une guerre très utile et par de fréquentes incursions ils dévastèrent le pays des Slaves. Ils firent aux Slaves ce que ces derniers leur avaient fait auparavant : toutes leurs terres furent transformées en déserts. Les Holzatiens considérèrent cette guerre Transalbienne des Saxons comme un événement heureux en ce qu'il leur avait donné l'occasion de se venger des Slaves, sans ingérence de quiconque. Les princes avaient l'habitude de surveiller les Slaves dans le but d'augmenter leurs revenus. Après qu’Henri, gendre du roi Lothaire, eut avec l'aide de sa belle-mère, l'impératrice Richenza, obtenu le duché et chassé de Saxe Albert, son neveu, le comte Adolf retrouva son comté. Lorsqu’Henri de Badwide vit qu'il ne pouvait pas tenir, il mit le feu à la forteresse de Segeberg et à la très forte citadelle d’Hambourg où la mère du comte Adolf avait fait construire des murailles afin que la ville fût renforcée en cas d’attaques des barbares. La cathédrale, ainsi que toute l’architecture estimables qu’Adolf l'aîné avait construite, furent détruites par Henri quand il projeta de s’enfuir. Henri le Lion commença ensuite à s'armer contre le roi Conrad, et conduisit une armée contre lui en Thuringe en un lieu appelé Kreuzburg. Toutefois, comme la guerre fut ajournée par des trêves, le duc revint en Saxe et y mourut peu de jours après. Son fils Henri le Lion, qui était encore un petit garçon, hérita du duché. A cette époque, Dame Gertrude, la mère du garçon, donna la province de Wagrie à Henri de Badwide pour une somme d'argent, voulant créer des boulets au comte Adolf qu'elle n'aimait pas. Mais comme la même dame épousa Henri, le frère du roi Conrad, et se retira des affaires du duché, le comte Adolf alla voir le jeune duc et ses conseillers pour plaider sa cause sur la province de Wagrie. Il obtint gain de cause, tant par la justesse de sa cause que par l’abondance de l'argent. Les dissensions qui existaient entre Adolf et Henri s’atténuèrent donc ainsi: Adolf prit possession de Segeberg et de toute la province des Wagriens; Henri reçut en compensation Ratzeburg et la terre des Polabes. [1,57] LVII. La construction de la ville de Lubeck. Ayant réglé les problèmes de cette façon, Adolf commença à reconstruire la forteresse de Segeberg et à la ceindre d'un mur. Parce que la terre était peu peuplée, le comte Adolf envoya des messagers dans toutes les régions alentour, même en Flandre et en Hollande, à Utrecht, en Westphalie et en Frise pour proclamer que tous ceux qui voulaient posséder de la terre pouvaient venir avec leur famille et recevraient le meilleur terroir, une vaste contrée riche en moissons, abondante en poissons et viandes, et dotée de pâturages excessivement rentables. Il dit aux Holzatiens et aux Sturmariens: N'avez-vous pas soumis la terre des Slaves et acheté du sang de vos frères et de vos pères? Pourquoi, alors, êtes-vous les derniers à entrer en prendre possession ? Soyez les premiers à entrer dans un pays agréable, à l'habiter et à partager ses plaisirs, pour le meilleur de lui est dû, vous qui l'avez arraché des mains de l'ennemi. » Et quand il eut dit cela une multitude innombrable arriva de nombreuses régions, avec leurs familles et tous leurs biens, et ils vinrent sur le territoire des Wagriens voir le comte Adolf pour recevoir les terres promises. Les Holzatiens obtinrent l’endroit le moins exposé aux attaques de l’ennemi situé à l’ouest de Segeberg et de la Trave ; ils eurent de plus le Zwentinefeld et le territoire qui s’étend entre le ruisseau de Sualen jusqu’à Agrimesou et au lac de Plon. Les Westphaliens allèrent habiter le district de Dargun ; les Hollandais occupèrent Eutin et les environs ; les Frisons colonisèrent le canton de Süssel. Enfin les Slaves restés fidèles à Adolf, reçurent en récompense Oldenbourg, Lutkenburg et le reste de la plaine maritime sous l’obligation d’une simple redevance Le comte Adolf vint plus tard dans un endroit appelé Bucu et y trouva le mur d'une forteresse abandonnée que Kruto, le tyran de Dieu, avait construit et une très grande île entourée par deux rivières. La Trave coulait d’un côté, la Wakenitz de l'autre. Chacun de ces cours d'eau a des bancs marécageux et impraticables. Du même côté, cependant, là où la voie passe par la terre, se trouve une petite colline surmontée par le mur d’un fort. Quand donc, l'homme actif vit les avantages de l'emplacement et l’excellent port, il commença à y construire une ville. Il l'appela Lubeck, car elle n'était pas loin du vieux port et de la ville que le prince Henri avait construit autrefois. Il envoya des messagers à Niclot, prince des Obodrites, pour se concilier son amitié, et par des dons attira à lui tous les notables, qui en fin de compte cherchèrent tous à le satisfaire et à maintenir la paix sur sa terre. Ainsi, les lieux déserts de la terre de Wagrie commencèrent à se peupler et le nombre des habitants se multiplia. Le prêtre Vicelin, lui aussi, sur invitation ainsi qu’avec l'aide du comte, récupéra les biens jouxtant la forteresse de Segeberg que l'empereur Lothaire lui avait donné dans le passé afin de construire un monastère et de soutenir les serviteurs de Dieu. [1,58] LVIII. Le transfert du monastère de Segeberg à Cuzelina. Mais il leur sembla que pour le monastère, à cause des inconvénients engendrés par les marchés et les désordres des camps, une fondation serait de loin préférable dans le proche village, appelé en slave Cuzelina, et en allemand Hagerestrop. Et il {Vicelin} envoya là-bas le vénérable prêtre Volkward accompagné d’hommes actifs, qui se mirent au travail pour construire un oratoire et des officines fermées. En outre, l’église de la ville au soin de la paroisse fut positionnée au pied de la montagne. A cette époque, le très noble Thietmar, élève de Vicelin et son compagnon d’études en France, ayant quitté la prébende et la décania de Brême, se consacra entièrement au soutien de Faldera. C'était un homme méprisant le monde, disciple de la pauvreté volontaire, homme qui atteignit une haute perfection dans les relations spirituelles. Sa sainteté élevée était tellement basée sur l’humilité profonde et la vigueur de sa bienveillance qu’il semblait qu’on vit un ange parmi les hommes, qui, en sachant avec indulgence se rapporter aux faiblesses des autres, était soutenu sous tous rapports. Fixé avec d'autres frères à Hagerestrop, autrement dit Cuzelina, il devint une grande source d’apaisement lors de ce nouveau déménagement. Et maître Vicelin, curateur avisé de la nouvelle église qu’on lui avait confiée, s’efforça par tous les moyens que les églises soient érigées dans les endroits les plus propices, en y envoyant de Faldera des prêtres, ainsi que les moyens d’existence nécessaires aux autels. [1,59] LIX. Le bienheureux Bernard, abbé de Clairvaux. En ces jours-là eurent lieu d’étranges événements qui étonnèrent le monde entier. Quand sa Sainteté le Pape Eugène fut au pouvoir, et que Conrad III tint les rênes du pouvoir, l’abbé Bernard de Clairvaux apparut. Il était si célèbre pour ses merveilles que les gens venaient du monde entier pour voir les miracles qu’il avait faits. Ainsi, il partit en terre allemande et arriva à la fameuse diète de Francfort, où par hasard l’aimable roi Conrad vint à sa rencontre avec un grand nombre de tous les princes. Et quand le saint homme se trouva dans le temple en présence du roi et des hauts dignitaires, il continua assidûment à guérir les malades au nom de Dieu, et, parmi une telle foule de peuples, il était difficile de comprendre qui pourrait en voir plus ou à qui par hasard serait fourni de l'aide. Notre comte Adolphe, était présent lors de l'événement, afin de s'assurer de la vertu de l'homme par qui le travail divin s’accomplissait. Entre autres on amena à Bernard un jeune garçon aveugle et boiteux, dont l’infirmité ne laissait aucun doute. Alors, Adolphe, homme très perspicace, demanda habilement au saint homme s’il pouvait exercer sa sainteté sur le cas de ce garçon. Devinant l’incrédulité, le saint homme utilisa son pouvoir et, contrairement à la coutume, donna ordre à l'enfant de se prendre en charge, tandis qu’il traitait les autres suppliants uniquement par des paroles. En posant sa main sur les yeux du jeune garçon, Bernard lui rendit la vue, puis corrigea son genou, lui ordonna de courir vers les marches, manifeste évident de sa vue retrouvée ainsi que de sa capacité à marcher. Ce saint homme commença à exhorter, je ne sais par quelles paroles, les princes et les autres croyants dans leur devoir d’aller à Jérusalem, afin de soumettre les nations barbares de l'Orient et de les placer sous les lois Chrétiennes, en disant que le temps était proche, où la multitude des peuples viendrait {dans le royaume de Dieu}, et qu’ainsi tout Israël serait sauvé. Sur ces mots du prédicateur, une multitude incroyable de personnes promit de participer à cette expédition même, au nombre desquels furent le roi lui-même, puis le duc Frédéric de Souabe qui gouverna plus tard, le duc Welf de Spolète, ainsi que des évêques et des princes, l'armée des nobles et de la petite noblesse et les gens du commun en un nombre impossible à calculer. Et pourquoi ne parler que de l'armée des Allemands, quand le roi Louis des Parisiens et tous les Francs firent la même chose. On n’avait jamais vu, ni à cette époque, ni depuis le début des temps, le rassemblement d’une armée aussi immense. Puis on mit le signe de la croix sur ses vêtements et ses armes. Mais les dirigeants de cette guerre jugèrent opportun d'envoyer une partie de l'armée dans les régions orientales, une autre partie en Espagne et la troisième partie chez les Slaves, qui vivent près de nous. [1,60] LX. Les rois Conrad et Louis. La première armée, qui était également la plus importante, partit alors par voie de terre avec Conrad, roi d'Allemagne, et Louis, roi de France, et les princes les plus importants des deux royaumes. Ils traversèrent le royaume de Hongrie jusqu'à ce qu'ils arrivent près de la limite de la Grèce. Et ils envoyèrent des ambassadeurs au roi de Grèce, lui demandant de leur octroyer un droit de libre passage et un droit d'achat de marchandises, car ils voulaient traverser ses terres. Celui-ci très inquiet, décida cependant d'accepter, s’ils venaient en paix. Ils répondirent qu’ils ne projetaient pas de causer la moindre inquiétude en entreprenant ce pèlerinage volontaire qui n’était destinée qu’à l'élargissement des limites de la paix. Et alors le roi de Grèce leur accorda ce qu’ils désiraient, le droit de libre passage et le droit d'acheter librement en abondance des marchandises, où que s'installerait leur camp. Ces jours-là, l’armée reçut de nombreux signes précurseurs des désastres à venir. Le plus extraordinaire d’entre eux fut celui-ci. Un soir, tout le camp fut enveloppé d’un épais brouillard. Quand il se leva, des nuages de papillons tombèrent sur le camp ou voltigèrent dans les airs. Ils étaient à tel point gorgés de sang que tout ce qui avait été à l’air libre sembla être arrosé d’une pluie sanglante. En voyant cela, le roi et les autres princes comprirent, quelles grandes difficultés et quels dangers mortels étaient évoqués. La supposition ne les trompa pas. Après un certain temps ils arrivèrent dans un pays montagneux, où ils entrèrent dans une vallée très agréable grâce à ses prairies, et une rivière courante ; ils y dressèrent leur camp à flanc de montagne en pente. Les bêtes de somme et les chariots à deux et quatre attelages de chevaux, transportant les vivres et les bagages des chevaliers, ainsi qu’une très grande partie du bétail de trait destiné à la nourriture, furent installées au milieu de la vallée, tout près de l'eau et des pâturages agréables. A l'approche de la nuit des roulements de tonnerre et un bruit de tempête se firent entendre au sommet de la montagne ; puis à minuit, je ne sais si ce fut parce que les nuages éclatèrent, ou pour quelque autre raison, cette rivière grossit fortement parmi ceux qui se trouvaient au plus bas de la vallée, hommes et bêtes, les envahit en un instant pour les emporter vers la mer. Ce fut ainsi la première perte de l’armée durant cette croisade. Les autres, qui survécurent, continuèrent la route prise et, en passant par la Grèce, parvinrent à la ville royale de Constantinople. Après l’armée se renforça là pendant quelques jours. Les forces, elles, vinrent par le canal de la mer, en langage populaire nommé le bras de saint Georges. Là, le roi de la Grèce leur fournit des navires pour le transport des troupes, ayant appelé des secrétaires qui lui présentèrent le nombre de combattants. Ayant lu la {liste}, il poussa un triste soupir et dit : « Pourquoi, mon Dieu, as-tu retiré tant de gens de leurs places ? Réellement ils ont besoin du soutien de ton bras pour de nouveau voir la terre de leur désir, je veux dire, la terre de sa nativité ». Louis, roi des Francs, traversa la mer et dirigea sa marche vers Jérusalem, mais il perdit toute son armée à combattre les Barbares. Que dirai-je du roi des Allemands et de ceux qui allèrent avec lui ? Ils périrent ensemble de faim et de soif. L'envoyé perfide du roi des Grecs, à qui on avait confié de les conduire aux frontières de la Perse, leur fit traverser au lieu de cela dans des régions désertes. Là ils dépérirent par manque de vivres et par la soif jusqu’à donner volontairement leurs têtes aux coups des barbares qui les attaquèrent. Le roi et les hauts dignitaires, qui réussissent survivre, se réfugièrent en Grèce. O justice des cieux ! Le désastre de l'armée fut si grand, son malheur si inexplicable, que ceux qui furent dans l’intervalle, la pleurent encore à ce jour.