[6,1301] Desirant, autant qu'il me sera accordé ou permis d'en-haut, continuer d'une manière abrégée l'utile chronique composée, avec une studieuse application et une grande élégance de style, par notre vénérable confrère Guillaume de Nangis, et qui s'étend depuis le commencement du monde jusqu'à l'an 1300 du Seigneur inclusivement, je me suis appliqué à noter et intituler les règnes et le cours des années du Seigneur d'après le plan et la disposition observés dans l'ouvrage dudit frère. Mais comme les jours des hommes sont peu nombreux et bornés dans leur durée; que notre vie, fragile, mortelle et misérable, remplie et hérissée de peines, paraissant comme une vapeur pour un court moment, s'évanouit promptement ainsi qu'une fumée, et que son tissu est soudainement tranché ou subitement arrêté par le Seigneur, lorsqu'elle paraissait encore à son commencement et à ses premiers pas, je prie, au nom de la charité, nos frères présents et à venir, de corriger charitablement tout ce que j'aurai pu écrire d'inexact ou de défectueux; et lorsque, prévenu par la mort ou retenu par quelque légitime empêchement, je serai forcé d'interrompre mon travail, ils y ajouteront, s'il leur plaît, les événements dignes de mémoire survenus plus tard et de leur temps. Nous croyons que nous obtiendrons ce bienfait d'une fraternelle société, cette consolation mutuelle d'une véritable amitié, d'après cette sentence de Salomon, qui dit que «si l'un paraît sur le point de tomber il sera soutenu par l'autre, et que s'il tombe, il en sera relevé.» (1301) En ce temps-là brillaient en France d'illustres et honorables veuves, à savoir: Blanche, fille de feu saint Louis roi de France, qui s'était consacrée à Dieu dans une société de nonnes à Saint-Marceau, près de Paris, et Marguerite, reine de Sicile, seconde femme de Charles Ier, roi de Sicile, remplissant par une pieuse compassion pour les pauvres ses devoirs de soumission et d'humilité dans un hôpital des pauvres, fondé par elle à Tonnerre, en Bourgogne. Louis, comte d'Evreux, frère du roi de France, prit en mariage Marguerite, fille de Philippe, fils de Robert comte d'Artois. Charles, comte de Valois, frère du roi de France, se rendit à Rome accompagné d'une noble suite dans l'intention, si le pape le lui conseillait, d'attaquer l'empire de Constantinople, qui revenait à sa femme par droit de succession. Honorablement reçu du pape et des cardinaux, et établi par eux vicaire et défenseur de l'Eglise, il soumit en Toscane beaucoup de leurs ennemis. Philippe, roi de France, alla visiter le comté de Flandre, et ayant reçu foi et hommage de la part des citadins et des nobles, confia au chevalier Jacques de Saint-Paul la garde de tout son pays. Henri, comte de Bar, voyant que Philippe, roi des Français, se préparait à ravager sa terre à main armée, se rendit humblement auprès de lui, et obtint enfin le pardon de ses méfaits, après l'avoir sollicité avec de grandes supplications. Au mois de septembre, il apparut vers le crépuscule de la nuit une comète qui lançait principalement vers l'orient ses rayons ou sa queue enflammée. Edouard, roi d'Angleterre, marcha contre l'Ecosse; mais n'ayant eu que peu ou point de succès, il s'en retourna chez lui. Le Soudan de Babylone ayant rassemblé de nouvelles forces, chassa de Jérusalem et de Syrie les Tartares, les Arméniens et les autres Chrétiens, et soumit la Terre-Sainte à sa domination. Au mois de janvier il y eut une éclipse de lune totale, qui fut grandement effrayante à voir. Le pape Boniface ayant légitimé les fils de feu Sanche, roi d'Espagne, Fernand l'aîné prit possession du royaume de son père; mais Alphonse et Fernand son frère, petits-fils de saint Louis par sa fille Blanche, revendiquant les droits qu'ils avaient sur ce royaume, s'opposèrent de toutes leurs forces au fils de Sanche. Le premier évêque de Pamiers, ayant, dit-on, proféré dans la cour du roi de France des paroles outrageuses contre la majesté royale, fut, après avoir été détenu quelque temps au nom de l'archevêque de Narbonne, rendu au pape par un ordre du roi, qui lui enjoignit de sortir du royaume aussi promptement qu'il devait et était obligé de le faire. Le roi Philippe, pour plus grande sûreté de son royaume, défendit par un édit royal, sous peine de certaines punitions, de transporter hors du royaume de France ni or, ni argent, ni marchandises quelconques, et fit à cet effet garder avec de grandes précautions toutes les entrées, sorties et routes du royaume. [6,1302] Charles, comte de Valois, passa par l'ordre du roi de Toscane en Sicile, et se hâta d'assiéger Terme, château de Sicile, qui se rendit à lui vers l'Ascension du Seigneur. Il s'éleva à Bruges, ville de Flandre, une grave dissension à cause des injustes exactions et de l'inique oppression dont le peuple se vit, dit-on, accablé par les gens du roi de France, et surtout par Jacques de Saint-Paul, à qui était confiée, comme nous l'avons dit plus haut, la garde de ce pays. La révolte n'éclata d'abord que parmi le commun peuple, mais ensuite les grands se soulevèrent aussi, et de part et d'autre il fut répandu beaucoup de sang. Comme à la nouvelle de cette sédition le roi avait aussitôt envoyé environ mille hommes d'armes pour la réprimer sans beaucoup de carnage, s'il se pouvait, voilà qu'aussitôt il parvint aux oreilles des gens de Bruges que ledit gouverneur s'était vanté de faire bientôt pendre un grand nombre d'entre eux. A cette nouvelle, transportés d'une farouche fureur, ils se précipitèrent impétueusement et à l'improviste pendant la nuit sur les gens du roi de France, endormis et sans armes, et tuèrent avec la plus grande cruauté tous ceux qu'ils trouvèrent. Ledit chevalier s'échappa à grand' peine par une fuite secrète. Cependant les gens de Bruges s'étant ainsi jetés dans la rébellion ouverte, aidés par Gui de Namur, fils de Gui, comte de Flandre, et par ses gens, s'emparèrent d'un certain port de mer. Favorisés et soutenus aussitôt par beaucoup d'autres, ils se préparèrent à une vigoureuse défense, et cherchèrent partout des auxiliaires. Voilà que l'illustre Robert, comte d'Artois, envoyé par le roi en Flandre avec une nombreuse multitude de chevaliers forts et vaillants et d'hommes de pied, campa entre Bruges et Courtrai pour livrer bataille aux gens de Bruges. Un jour du mois de juillet, comme les deux partis étaient sur le point d'en venir aux mains dans un combat à jour fixé d'avance, les gens de Bruges, dans un esprit d'énergique résistance, se rassemblèrent en bataillons serrés, et vinrent presque tous à pied et en très bon ordre. Nos chevaliers ayant en leur force une présomptueuse et excessive confiance, et regardant leurs ennemis comme de méprisables paysans, forcèrent bientôt les hommes de pied qui marchaient à la tête de l'armée de reculer de leur rang, de peur qu'on n'attribuât à ces hommes de pied et non aux chevaliers la victoire qu'ils s'imaginaient devoir remporter aussitôt. Remplis d'orgueil, ils se précipitèrent donc sur les ennemis sans observer de précaution ni aucun ordre de guerre; mais les gens de Bruges les attaquant vigoureusement avec des lances d'une excellente qualité, et qu'ils appellent vulgairement "gothendar" {godendard}, tuèrent tout ce qui s'opposa à leur impétuosité. Le comte d'Artois, illustre et fameux homme de guerre, se hâta d'accourir au secours des siens; pendant qu'il fondait sur les ennemis comme un lion rugissant, et combattait avec acharnement, atteint de plus de trente blessures, comme l'assurèrent ceux qui le virent ensuite, il succomba, ô douleur! par une lamentable mort, par une mort dont gémit tout le royaume, et que nous ne rapportons qu'avec tristesse. Avec lui périt sa noble suite, à savoir: Geoffroi de Brabant, son parent; le seigneur de Vierzon, fils de ce même Geoffroi; le comte d'Eu, le comte d'Aumale, le fils du comte de Hainaut; Raoul, seigneur de Nesle, connétable de France; Gui, son frère, maréchal de France; Tancarville, chambellan; Renaud de Trie, fameux chevalier; Pierre Flote, Jacques de Saint-Paul; et à peu près deux cents autres chevaliers, ainsi qu'un grand nombre d'hommes d'armes renommés par leur vaillance. La très grande partie du reste de notre armée, tant nobles que gens du commun, tournèrent honteusement le dos et se mirent à fuir d'une course rapide. Environ trois jours après, le gardien des frères Mineurs d'Arras enleva le corps de Robert, et l'enterra dans une chapelle de moines, non encore consacrée, célébrant comme il put l'office des morts. Une comète apparue dans le mois de septembre précédent, et une éclipse de lune arrivée dans le mois de janvier, présageaient avec véracité, selon l'opinion de quelques-uns, l'approche de cette calamité. Gui de Namur, joyeux de cette victoire, s'efforça de diriger vers de plus hautes entreprises l'esprit des siens, enflammés de l'ambition de s'emparer de toute la Flandre; peu de temps après, attaquant les gens de Lille, tantôt par la ruse, tantôt par les armes, il les força à se rendre, et soumit aussi ou attira dans son parti les gens d'Ypres, de Gand et d'autres villes de la Flandre. Quinze jours après l'Assomption de la sainte Vierge Marie, Philippe, roi de France, rassembla à Arras une si grande armée qu'il n'eût pas eu grand'peine à détruire toute la Flandre et ses habitants; mais ayant dressé son camp à environ deux lieues de ladite ville, trompé, dit-on, par les mauvais conseils de quelques personnes, il ne permit pas d'attaquer les ennemis campés non loin de lui ni aucune de leurs villes; il passa dans l'inaction tout le mois de septembre, et licenciant enfin une si puissante armée, il revint en France sans gloire et sans avoir rien fait; ce que voyant, les ennemis incendièrent aussitôt les villages et les villes situés près du comté d'Arras; mais les chevaliers et les serviteurs et hommes d'armes laissés en ce pays par le roi avec les préparatifs de guerre, réprimèrent souvent les entreprises et les excursions fréquentes des Flamands sur la terre d'Arras, et en étant venus aux mains avec eux la veille de la Saint-Nicolas auprès d'Aire, ils en tuèrent environ huit cents dans le combat. Charles, comte de Valois, ayant appris la mort de ses chers nobles en Flandre, touché des malheurs du roi et du royaume, conclut, par le conseil de ses gens, avec Frédéric et les Siciliens, un traité qui portait que Frédéric épouserait Eléonore, fille du roi de Sicile, et posséderait en paix et tranquillité pendant toute sa vie l'île entière de Sicile, sans porter le nom de roi. Charles et Robert, duc de Calabre, fils du roi de Sicile, qui était présent au traité, devaient faire tous leurs efforts pour engager le roi d'Aragon et le comte de Brienne à céder tranquillement à Frédéric leurs prétentions sur les royaumes de Chypre et de Sardaigne, qu'ils disaient leur appartenir; et, avec le consentement du pape, Frédéric devait tâcher de conquérir lesdits royaumes à ses propres frais; autrement ils devaient sur leurs Etats lui fournir un équivalent de ceux de Chypre et de Sardaigne. Si la chose ne pouvait se faire sans de grandes difficultés, Charles, roi de Sicile, devait être tenu, après la mort de Frédéric, de donner cent mille onces d'or pour acheter des domaines et des revenus aux enfants qu'il aurait eus d'Eléonore, fille du roi. Frédéric et son frère, roi d'Aragon, cédaient alors au roi de Sicile tout ce qu'ils avaient conquis depuis long-temps dans la Pouille ou la Calabre. Toute injure, rancune, offense de part et d'autre, devait être oubliée, et les prisonniers retenus en Sicile ou ailleurs, délivrés sans rançon. La paix ayant été ainsi conclue et le serment prêté sur les saints Evangiles de Dieu, que Frédéric toucha de sa main, comme firent les grands de Sicile et les principaux du peuple, ils confirmèrent leurs promesses. Charles, comte de Valois, fit absoudre les Siciliens par son chapelain à qui le pape avait confié cette mission, et retourna à Rome où, après avoir rapporté au pape et aux cardinaux ce qu'il avait fait en Sicile, il prit congé d'eux vers la Purification de la sainte Vierge, et s'en revint en France. En ce temps mourut Othelin, comte de Bourgogne, investi récemment par le roi de la seigneurie du comté d'Artois, au titre de sa femme Mathilde, fille du feu comte Robert, sauf les droits cependant que pouvaient avoir et réclamer sur ledit comté les fils de feu Philippe, frère de ladite Mathilde. Les Bordelais, qui jusqu'alors avaient été soumis au pouvoir du roi de France, ayant appris qu'il avait quitté la Flandre sans y avoir rien fait, et craignant, comme l'affirmaient un grand nombre, à moins que les rois de France et d'Angleterre ne fissent la paix, de retomber sous la domination du roi d'Angleterre, et d'en recevoir ensuite un châtiment pareil à celui qu'ils se rappelaient avoir été infligé, il y avait longtemps, à la cité de Londres, expulsèrent les Français de Bordeaux, et usurpèrent pour leur propre compte la souveraineté de la ville. Le jour de la Cène du Seigneur, les troupes du roi de France tuèrent environ quinze mille Flamands à Saint-Omer en Flandre. A la nouvelle de cette défaite, les autres troupes flamandes qui ravageaient la terre de Jean, comte du Hainaut, qu'il tenait en fief du roi de France, et avaient déjà rasé un château très fortifié appelé Bouchain, conclurent une trève avec les gens du Hainaut, et revinrent défendre leurs frontières. [6,1303] A Paris, dans la semaine de Pâques, vinrent vers le roi de France des envoyés des Tartares, qui promirent que, si le roi et les barons envoyaient leurs gens au secours de la Terre-Sainte, leur seigneur le roi des Tartares attaquerait avec toutes ses forces les Sarrasins, et que lui et son peuple embrasseraient très volontiers la religion chrétienne. A Lille, ville de Flandre, le jeudi d'après l'octave de la Résurrection du Seigneur, deux cents chevaliers et trois cents hommes de pied armés furent pris et tués par les gens de Tournai, sous les ordres de Foucault de Melle, sénéchal du roi de France. Philippe, roi de France, rendit à Edouard, roi d'Angleterre, la terre de Gascogne qu'il avait prise et longtemps retenue, en sorte que la paix fut rétablie entre eux. Philippe, roi de France, ayant appris par plusieurs hommes de haut rang et dignes de foi, que le pape Boniface était souillé de crimes abominables, et engagé en diverses hérésies, avait jusqu'alors fermé volontiers l'oreille à ces discours; mais dans un parlement publiquement tenu à Paris, et où assistèrent les prélats, les barons, les chapitres, les couvents, les colléges, les communautés et les universités des villes de son royaume, ainsi que des maîtres en théologie, des professeurs du droit canon et du droit civil, et d'autres sages et importants personnages des divers pays et royaumes, il se vit pressé par les importunes clameurs et les instances réitérées des dénonciateurs, particulièrement de Louis, comte d'Evreux, de Gui, comte de Saint-Paul, et de Jean, comte de Dreux, qui, prêtant serment sur les saints évangiles de Dieu, touchés par eux corporellement, affirmaient qu'ils croyaient réelles et pouvaient légitimement prouver lesdites accusations, et priaient instamment le roi, comme principal défenseur de la foi chrétienne, de faire convoquer un concile général pour y délibérer sur lesdites accusations. Alors sa conscience ne lui permettant plus de dissimuler davantage, après une mûre délibération, le roi, appuyé par les barons et prélats, et autres susdits, à l'exception du seul abbé de Cîteaux, fit des appels pour la convocation par le Siège apostolique d'un concile général, supérieur en ce cas au souverain pontife, et fit lire publiquement ses appels le jour de la Nativité de saint Jean-Baptiste, dans le jardin du Palais-Royal à Paris, en présence de tout le clergé et le peuple. Ensuite il le fit savoir au pape Boniface, par des lettres royales que lui porta le chevalier Guillaume de Nogaret, lui demandant la convocation d'un concile, sous la protection duquel il se mettait. Edouard, roi d'Angleterre, triomphant des Ecossais, qui lui faisaient la guerre, soumit à sa domination une grande partie de l'Ecosse. Philippe, fils du comte de Flandre, revint de la Pouille, où il était longtemps resté avec le roi de Sicile, et débarqua en Flandre avec une grandesuite de stipendiés. Le peuple de Flandre, joyeux et enorgueilli de son arrivée, commença à faire sur la terre du roi de France de plus violentes incursions. Ayant assiégé le château de Saint-Omer, cette place se trouva si forte qu'ils ne purent l'emporter, et se dirigèrent vers Morin, ville du roi de France, qu'ils assiégèrent au mois de juillet, et finirent par livrer à un désastreux incendie. Vers le commencement de septembre, Philippe, roi de France, voulant de nouveau prendre les armes contre les Flamands, rassembla un grand nombre de troupes, et fit de grands préparatifs de guerre à Péronne, ville du Vermandois, et dans le voisinage. Mais là, trompé, dit-on, par les malins conseils du comte de Savoie, il conclut avec les ennemis une trève jusqu'à la fête suivante de Pâques, et quitta de nouveau la Flandre sans y avoir acquis aucune gloire. Le pape Boniface ayant totalement et expressément refusé ledit appel du roi de France, que lui portait le chevalier Guillaume de Nogaret, envoyé vers lui par le roi pour ce sujet, et la sommation et demande qu'on lui faisait d'un concile général, fit annoncer son refus par des lettres qu'on attacha aux portes des églises. Mais enfin il fut violemment arraché de sa maison à Anagni, où il était né, et retenu prisonnier, avec les communautés et ceux qui le secoururent, par quelques citoyens, chevaliers et autres gens de la ville, excités par ledit chevalier, qui, selon l'opinion publique, avait à cet effet armé une multitude de gens. Le chevalier agit ainsi de peur que le pape n'entreprît quelque chose au préjudice du roi et du royaume de France, sans que lesdits appels y pussent mettre d'empêchement. Le pape fut ainsi conduit à Rome; mais succombant tant au chagrin intérieur de son esprit qu'à une maladie du corps, il termina ses jours. Benoît XI, Italien de nation, de l'ordre des frères Prêcheurs, lui succéda au pontificat. Après la mort de Hugues de la Marche, comte d'Angoulême, son comté fut dévolu à Philippe, roi de France. Ledit Philippe parcourut pendant tout l'hiver les provinces d'Aquitaine, de l'Albigeois et de Toulouse, et attira admirablement à lui et maintint dans son parti par sa bonté et sa munificence les cœurs de tous les nobles et gens de basse naissance, dont quelques-uns, disait-on, excités par de mauvais conseils, voulaient déjà se soulever. Vers le même temps, de très fortes plaintes furent faites contre quelques frères de l'ordre des frères Prêcheurs envoyés dans le pays de Toulouse par les inquisiteurs de la perversité hérétique, parce que quelquefois, disait-on, poussés plutôt par la cupidité que par le zèle de la foi, ils accusaient et faisaient renfermer dans diverses prisons plusieurs hommes, tant nobles que du commun, et mettaient en liberté, sans leur infliger aucune punition, ceux qui leur donnaient de l'argent ou des présents; c'est pourquoi il arriva que le vidame de Pecquigni, chevalier sage, expérimenté et catholique selon la foi, envoyé dans ce pays en qualité de sénéchal par le roi, aux oreilles duquel étaient déjà parvenues ces plaintes, et qui s'acquittait alors de sa mission, prit, dit-on, de soigneuses informations, et, trouvant dans les prisons quelques gens innocents de la peste hérétique, les délivra malgré les frères. Déclaré ensuite excommunié ouvertement et publiquement à Paris par lesdits inquisiteurs, irrités de ce qu'il avait fait, il en appela aussitôt au Siége apostolique, et, poursuivant enfin son appel, il mourut à Pérouse, où résidait alors la cour de Rome. Vers la Purification de la sainte Vierge, mourut la fille de Gui, comte de Flandre, gardée honorablement à Paris avec les enfants du roi. Gui, comte de Flandre, et Guillaume son fils, délivrés pour un temps du lieu où ils étaient retenus pour essayer de pacifier le peuple de Flandre, revinrent au lieu où on les gardait sans avoir réussi. Guillaume, fils de Jean comte du Hainaut, et Gui, évêque d'Utrecht, oncle dudit Guillaume, marchant contre les Flamands, qui s'étaient emparés d'une grande partie de la Hollande, furent vaincus dans un combat; l'évêque fut pris; mais Guillaume se sauva dans une ville. La veille de la Saint-Grégoire, Renaud, de bonne mémoire, abbé de Saint-Denis, étant mort, Gilles, grand-prieur du cloître, lui succéda. [6,1304] Guillaume de Hainaut ayant rassemblé de nouvelles forces contre les Flamands, leur livra bataille, les défit plusieurs fois dans la terre de Hollande, et en tua un grand nombre. Une certaine femme, originaire, dit-on, de Metz, feignait la sainteté sous l'habit de béguine, qu'on appelait pauvreté. On dit que par de fausses et feintes révélations, et par des paroles mensongères, elle trompa le roi de France, la reine et les grands, au moment surtout où le roi se préparait à attaquer les Flamands, chez lesquels elle habitait alors, et qu'elle voulut, d'après les suggestions des Flamands, faire périr Charles, père du roi, à son retour de Sicile, au moyen de ses maléfices et d'un poison mortel qu'elle lui fit donner par un jeune garçon. Mais prise par l'ordre dudit Charles, on lui brûla la plante des pieds, et on la mit à la question; en sorte qu'au milieu du supplice, elle avoua ses mensongers maléfices. Renfermée ensuite à Crépy, château de Charles, après être restée quelque temps dans cette prison, elle eut enfin la permission de se retirer en liberté. Jean de Pontoise, abbé de Cîteaux, résigna de lui-même le gouvernement de son couvent et de son ordre: ce fut, dit-on, parce que, n'ayant pas voulu consentir aux appels faits à Paris contre le pape Boniface, il soupçonnait avec assez de vraisemblance que le roi de France ou ses adhérents étaient près de causer alors de grands dommages aux frères de son ordre, s'il ne prenait le parti de se retirer. Henri, abbé de Jouy, lui succéda. Le dimanche de la Nativité de saint Jean-Baptiste, on mit des sœurs de l'ordre des frères Prêcheurs à Poissy, monastère du diocèse de Chartres, nouvellement construit par Philippe, roi de France, en l'honneur du glorieux confesseur feu Louis, roi de France. Une dissension s'étant élevée à Paris entre l'université et le prévôt du roi, parce que celui-ci avait fait saisir et pendre avec précipitation un clerc de l'école, les leçons furent longtemps suspendues dans toutes les facultés jusqu'à ce que, par l'ordre du roi, le prévôt fil réparation à l'université, et se rendît vers le juge apostolique pour obtenir la grâce de son absolution; en sorte que vers la fête de la Toussaint, on reprit enfin les leçons. Simon, évêque de Paris, mourut, et eut pour successeur Guillaume d'Aurillac, médecin du roi de France, homme d'une vie louable, et expert dans la médecine. La veille de la fête des apôtres Pierre et Paul, on lut dans l'église cathédrale de Paris, par l'ordre du roi de France, en présence des prélats et du clergé, convoqués à cet effet, une lettre contenant entre autres choses que le pape Benoît, quoiqu'on ne lui eût fait aucune réquisition à ce sujet, déliait entièrement par prudence de l'excommunication et des sentences d'interdiction lancées contre eux par le pape Boniface, le roi, la reine, leurs enfants, leurs grands, leur royaume et tous leurs adhérents, accordait au roi de France, pour l'aider dans sa guerre, les dîmes ecclésiastiques pour deux ans et les annates pour trois ans, et rétablissait le chancelier de Paris dans son pouvoir accoutumé de licencier les docteurs en droit et en théologie, que s'était réservé le pape Boniface. Le pape Benoît mourut à Pérouse, aux nones de juillet. Comme les cardinaux retardaient l'élection d'un pape, renfermés, selon le réglement de Grégoire, ils se procurèrent cependant des vivres par des artifices très subtils, et différèrent pendant près d'un an l'élection d'un souverain pontife. Vers la fête de la Madeleine, après la révolte des gens de Bruges, Philippe, roi de France, marcha pour la troisième fois en Flandre avec ses frères Charles et Louis, et beaucoup d'autres grands, à la tête d'une très forte armée. Ayant enfin rencontré les Flamands à Mons, dit "in Pabula", il campa en cet endroit avec son armée. Le mardi après l'Assomption de la sainte Vierge, comme les nôtres, croyant à une prochaine bataille avec les ennemis, s'étaient dès le matin préparés au combat, voyant ensuite cependant que le temps se prolongeait en pourparlers de paix, et qu'on envoyait souvent de part et d'autre des messagers pour tâcher de conclure un accommodement, ils se reposèrent pour se refaire un peu eux et leurs chevaux, afin, lorsque viendrait le moment du combat, de se trouver plus frais et plus forts; car ils avaient été inutilement accablés du poids de leurs armes pendant tout le jour, et grandement épuisés et abattus par l'ardeur du soleil de midi, et ils croyaient d'ailleurs avec vraisemblance que la paix était faite ou allait bientôt l'être. Ce que voyant, les Flamands, comme le jour baissait déjà, se précipitèrent tout d'un coup hors de leurs tentes, et s'avançant, ils fondirent d'une course rapide sur l'armée du roi, prise alors au dépourvu, sans laisser à aucun chevalier le temps de se faire convenablement armer par les siens. Mais, par le secours de Dieu, qui avait entrepris ce jour-là surtout de défendre l'illustre couronne du royaume de France et de la maintenir sur la tête du roi, le seigneur roi montra un si inébranlable courage que, sautant sur son cheval, il soutint ainsi le choc du combat. Cependant il courut de si grands dangers, qu'il vit tuer devant lui Hugues de Bouillé, chevalier de sa troupe, et deux citoyens de Paris, les frères Pierre et Jacques Genin, qui se tenaient toujours à ses côtés, à cause de leur fidélité et de leur bravoure. Mais alors, par la faveur de Dieu, de toutes parts bientôt ses hommes de guerre accourant à l'envi à son secours, il remporta une glorieuse victoire. Dans ce combat, Guillaume, comte d'Auxerre, et Anselme, seigneur comte de Chevreuse, chevalier fidèle et d'une bravoure éprouvée, qui portait la bannière du roi appelée oriflamme, étouffés,dit-on, par le feu ou par l'excessive chaleur, succombèrent, ainsi qu'un grand nombre des nôtres qui furent tués dans le combat. Mais il périt beaucoup plus de Flamands, et entre autres fut tué Guillaume de Juliers, fils de la fille du comte de Flandre, principal commandant et capitaine de toute l'armée. Après cette victoire, le roi ayant soumis assez promptement à sa domination toute la terre de Flandre aux environs de la Lys, à cause de l'approche de l'hiver, conclut une trève jusqu'à Pâques avec ceux qui habitent au-delà de cette rivière, et s'en retourna enfin en France avec honneur et gloire. Cependant, afin de ne point montrer d'ingratitude et d'oubli envers Dieu pour la victoire que le Ciel lui avait accordée, il prit soin de donner et assigner de perpétuels et sûrs revenus, avec la munificence qui convient à un roi, à l'église de Sainte-Marie à Paris, et à celle de Saint-Denis en France, patron spécial du royaume, dont la protection, comme il l'avouait, l'avait surtout défendu, et auxquels il devait cette victoire. Il usa de la même munificence envers beaucoup d'autres églises de son royaume. Dans le même temps, Gui, fils du comte de Flandre, fut pris dans un combat naval par les gens du roi chargés de la garde des routes et des ports de mer, et par Guillaume, fils du comte de Hainaut. En outre les Flamands furent chassés de la terre de Hollande dont ils s'étaient emparés. Au mois de décembre, les os de feu Robert, comte d'Artois, tué près de Courtrai, furent portés en France, et enterrés dans un couvent de nonnes, appelé vulgairement Maubuisson, près de Pontoise. Dans un parlement du roi, tenu à Paris après la Nativité du Seigneur, on traita, dit-on, de la paix avec les Flamands; cependant on ne termina rien à cet égard. Au mois de février mourut Gui, comte de Flandre, retenu prisonnier en France. Par la permission du roi, son corps fut porté en Flandre, et enseveli à Margate avec ses ancêtres. Blanche, duchesse d'Autriche, sœur du roi de France par son père, termina son dernier jour au mois de mars, empoisonnée, dit-on, avec son fils unique, qu'elle avait eu du duc son mari. Dans le même temps, la cherté fut telle, à Paris surtout et aux environs, que le boisseau de froment se vendait alors à Paris cent sous, et à la fin six livres. Le roi ayant fait proclamer publiquement un édit qui défendait de le vendre plus de quarante sous, la cherté n'en diminua pas pour cela; elle augmenta au contraire, au point qu'à Paris les boulangers, qui ne pouvaient avoir assez de pain à vendre, furent forcés de fermer leurs fenêtres et leurs portes, de peur qu'il ne leur fût enlevé de force par la foule du commun du peuple. Cependant l'édit ayant ensuite été révoqué, les greniers des riches ayant été fouillés, et les propriétaires forcés de vendre au juste prix, cette cherté commença à diminuer, et cessa ensuite tout-à-fait, quoiqu'elle eût été fort augmentée par les calamités des temps qui précédaient. Jeanne, reine de France et de Navarre, comtesse de Brie et de Champagne, mourut au mois d'avril à Vincennes, et fut enterrée dans l'église des frères Minimes où elle repose; ce qu'elle voulut par admonition, ou parce qu'elle y fut poussée plutôt que de son propre mouvement. Frère Jean de Paris, de l'ordre des frères Prêcheurs, docteur en théologie, homme trèslettré et d'un esprit éminent, s'efforca d'introduire un nouveau mode de foi relativement à la véritable existence du corps du Christ dans le sacrement de l'autel, disant que la chose était possible, non seulement par la commutation de la substance du pain dans le corps du Christ, supposé présent en son corps qui est en lui la portion d'humanité, mais que cela se pouvait faire aussi par l'adoption de la substance du pain ou panification du Christ; et il ne croyait pas que le premier mode, tel que le tient l'opinion commune des docteurs, fût un article de foi assez nécessaire et déterminé par l'Eglise, pour que le second ne pût être adopté par les peuples; peut-être même, disait ce docteur, cette opinion-ci était-elle plus raisonnable et plus conforme à la réalité du sacrement, en ce qu'elle expliquait mieux les apparences conservées dans les espèces sensibles. D'autres docteurs en théologie soutenaient au contraire que le premier mode de croyance avait été décrété par l'Eglise comme nécessaire, particulièrement dans la décrétale du pape concernant la suprême Trinité et la foi catholique, et commençant par ces mots: "Firmiter credimus", et que par conséquent l'autre devait être réprouvée comme opposée à la vérité de la foi du sacrement. Cette opinion ayant été soumise à l'examen, comme Jean ne voulut pas la rétracter, mais parut au contraire la soutenir avec plus d'opiniâtreté, il fut suspendu de ses leçons et prédications par Guillaume, évêque de Paris, d'après les conseils de frère Gilles, archevêque de Bourges, parfait théologien; de maître Bertrand de Saint-Denis, docteur d'un mérite éminent; de Guillaume, évêque d'Amiens, et des docteurs en droit canon, ainsi que des seigneurs appelés à cet effet; et un silence perpétuel lui fut imposé à ce sujet, sous peine d'excommunication. En ayant appelé au Siége apostolique, il lui fut donné des auditeurs en cour de Rome; mais il fut enlevé au monde avant d'avoir terminé son affaire. [6,1305] Philippe, roi de France, pacifia et apaisa, dit-on, vers l'Ascension du Seigneur, une grande dissension élevée entre le duc de Brabant et le comte de Luxembourg, au sujet de la terre de Louvain. Les cardinaux, après avoir différé pendant près d'un an l'élection d'un souverain pontife, élurent enfin, la veille de la Pentecôte, Bertrand, archevêque de Bordeaux, qui fut le deux cent unième pape sous le nom de Clément V. Paix entre le roi de France et les Flamands. Il s'éleva à Beauvais, ville de France, entre l'évêque Simon et le peuple de la ville, une si violente dissension, que l'évêque ne pouvait plus entrer en sûreté dans la ville; c'est pourquoi étant de noble race, il appela à son aide plusieurs nobles et hommes puissants, prit quelques citoyens, et mit le feu au faubourg de la ville. Mais enfin, appelés en présence du roi, les deux partis furent forcés de mettre fin à leurs dissensions, et ne se retirèrent pas impunis, car ils avaient des deux côtés commis de graves excès. Il y eut en France au temps de l'été une très grande sécheresse. Le jeudi après la fête de saint Matthieu l'apôtre, Louis, fils aîné du roi des Français, prit en mariage, avec une dispense du pape, Marguerite, fille aînée du duc de Bourgogne, son alliée par le sang. Le dimanche après la Saint-Martin d'hiver, le pape Clément fut consacré à Lyon dans l'église du château royal, appelée l'église de Saint-Just, en présence des cardinaux et prélats, et d'une foule de grands, et il revint à sa maison dans la ville portant, selon la coutume, les insignes de son couronnement. Pendant qu'il traversait la cour de ce château, le roi de France le conduisit avec grand honneur, marchant à pied près de lui, par une pieuse humilité, et tenant la bride de son cheval. A la sortie de la cour, Clément fut reçu par Charles et Louis, frères du roi, et par Jean, duc de Bretagne, et conduit de la même manière jusqu'à sa maison. Cependant une si innombrable multitude de peuple étant accourue et s'étant amassée à ce spectacle, un mur, près duquel passaient le pape et sa suite, ébranlé par le poids de la foule qu'il portait, s'écroula avec fracas et si soudainement que le duc de Bretagne en fut atteint, comme sa mort le prouva bientôt, et que Charles, frère du roi, fut grièvement blessé. Le pape eut sa mitre pontificale brisée ainsi que beaucoup d'autres ornements, et un grand nombre d'autres furent tués ou blessés dangereusement. Ainsi ce jour qui, au premier aspect, n'annonçait que magnificence, joie et transports, amena la confusion de la douleur et des lamentations. Avant que le roi de France ne quittât Lyon, le pape Clément lui donna la permission de faire transporter du monastère de Saint-Denis en sa chapelle à Paris la tête et une des côtes de saint Louis, son aïeul, et à sa prière il rétablit dans leur première dignité les frères Pierre et Jacques Colonne, dégradés depuis longtemps par le pape Boniface du rang de cardinaux. En outre, pour dédommagement des dépenses faites en Flandre, il accorda au roi pour trois ans la dîme des églises et des annates, et investit d'avance ses chapelains et clercs, et ceux de ses frères, des premières prébendes qui viendraient à vaquer dans presque toutes les églises de son royaume. Il engagea, dit-on, le roi à améliorer une petite monnaie qu'il avait faite, et à payer promptement ses dettes. Le pape Clément créa dix-huit cardinaux de plus, et en envoya deux à Rome pour lui conserver la dignité de senateur. ll nomma deux évêques, un à Arras, et un autre à Poitiers. Il accorda à l'évêque de Durham le patriarcat de Jérusalem, fit beaucoup de dons aux pauvres clercs, et les pourvut de bénéfices selon leurs besoins et leurs mérites personnels. Après la Nativité du Seigneur, le roi Philippe revint de Lyon en France. Vers la Purification de la sainte Vierge, le pape Clément, quittant Lyon, se retira à Bordeaux, et, dans son passage par Macon, Brioude, Bourges et Limoges, ravagea lui-même ou par ses satellites les églises et les monastères des religieux ou séculiers, et leur causa de nombreux et graves dommages; car il arriva que frère Gilles, archevêque de Bourges, fut réduit par ces pillages à une telle indigence qu'il fut forcé, comme un de ses simples chanoines, de fréquenter les heures ecclésiastiques pour recevoir les distributions quotidiennes des choses nécessaires à la vie. Le duc de Bourgogne Robert, d'heureuse mémoire, mourut au mois de mars; son corps fut porté en Bourgogne, comme il l'avait ordonné de son vivant, et enterre dans le monastère de Cîteaux. [6,1306] Edouard, fils d'Edouard roi d'Angleterre, ayant marché avec un grand nombre d'hommes d'armes contre les Ecossais, qui avaient mis à leur tête Robert Bruce, fut défait; beaucoup des siens périrent dans le combat, et lui-même, blessé, ne dut son salut qu'à la fuite. Le mardi après l'Ascension du Seigneur, Philippe, roi de France, fit porter à Paris, au milieu des vifs transports de joie du peuple et du clergé, la tête de saint Louis, moins le menton et la mâchoire inférieure, et une de ses côtes. Il laissa ladite côte à l'église cathédrale de Sainte-Marie, et fit placer avec honneur et dévotion la glorieuse tête dans la chapelle du palais royal, que le très saint roi avait lui-même fait construire. Il ordonna et établit que ce jour serait à jamais fêté tous les ans dans le diocèse de Paris. Il y eut au printemps et en été une excessive sécheresse. Le jour de la sainte Trinité, mourut Pierre de Mornay, évêque d'Auxerre, auquel succéda maître Pierre de Belleperche, très fameux en droit. Le roi Philippe voulut tout-à-coup rendre plus forte une faible monnaie qu'il avait fait frapper, et qui avait cours dans le royaume depuis environ onze ans, surtout parce qu'elle avait peu à peu tellement diminué qu'au contraire le petit florin de Florence valait trente-six sous parisis de cette monnaie courante. Vers la fête de saint Jean-Baptiste, il fit proclamer publiquement par le royaume un édit du palais, pour qu'à compter de la fête suivante de la sainte Vierge toutes les recettes de revenus et remboursements de dettes se fissent désormais au prix de la monnaie forte qui avait cours du temps de saint Louis, ce qui jeta un grand trouble parmi le peuple. Vers le même temps, le roi de France accueillit favorablement la requête des archevêques de Rheims, de Sens, de Rouen et de Tours, qui avaient éprouvé et souffraient encore, ainsi que leurs suffragants et les peuples soumis à leur autorité, un grand nombre de maux de la part du pape, de quelques-uns de ses cardinaux, ou de leurs satellites et gens, et il s'appliqua à les secourir en partie, s'il ne le put faire tout-à-fait. Au mois d'août, le roi Philippe fit chasser entièrerement du royaume de France tous les Juifs, et leur ordonna sous peine de mort d'en sortir à un jour fixé. Il y eut au temps d'hiver une grande inondation des eaux des rivières; et les eaux, avant de décroître, gelèrent si fortement, qu'elles ocasionnèrent ensuite beaucoup de dommages dans plusieurs endroits; le choc et l'entraînement rapide des glaçons après leur débâcle renversèrent des maisons, des ponts et beaucoup de moulins. A Paris, sur le port de la Grêve, un grand nombre de barques chargées de diverses marchandises furent brisées et détruites avec tous ceux qui étaient dedans. A l'occasion du changement de l'élévation du cours de la monnaie, et surtout à cause des loyers des maisons, il s'éleva à Paris une funeste sédition. Les habitants de cette ville s'efforçaient de louer leurs maisons et de recevoir le prix de leur location en forte monnaie, selon l'ordonnance royale; la multitude du commun peuple trouvait très onéreux qu'on eût triplé par là le prix accoutumé. Enfin quelques hommes du peuple s'étant réunis avec beaucoup d'autres contre le roi et contre les bourgeois, marchèrent en grande hâte vers la maison du Temple à Paris, où ils savaient qu'était le roi; mais n'ayant pu arriver jusqu'à lui, ils s'emparèrent aussitôt, autant qu'ils le purent, des entrées et issues de la maison du Temple pour qu'on n'apportât pas de nourriture au roi. Ayant appris ensuite qu'Etienne Barbette, riche et puissant citoyen de Paris, directeur de la monnaie et des chemins de la ville, avait été le principal conseiller de l'ordonnance au sujet du loyer des maisons et transportés contre lui d'une rage cruelle, ils coururent d'abord avec une fureur unanime dévaster une maison remplie de richesses qu'il avait hors des portes de la ville, dans le faubourg, près de Saint-Martin-des-Champs. Le roi, l'ayant appris, ne put souffrir davantage que de tels outrages commis envers lui et ledit citoyen demeurassent impunis, et ordonna de livrer sur-le-champ à la mort tous ceux qu'on trouverait les auteurs ou excitateurs de ces crimes. Plusieurs des plus coupables furent par son ordre pendus hors les portes de la ville, aux arbres les plus voisins ou à des gibets nouvellement construits à cet effet, et surtout aux portes les plus grandes et les plus remarquables, afin que leur supplice effrayât les autres et réprimât leur révolte. Philippe, second fils de Philippe roi de France, épousa à Corbeil, au mois de janvier, Jeanne, fille aînée de feu Eudes comte de Bourgogne, et de la fille de Robert comte d'Artois. Vers le mois de mars, le pape Clément et les cardinaux allèrent à Poitiers où ils résidèrent environ six mois. Alors parut un certain imposteur, nommé Dulcin, qui prétendait par des formes débonnaires se donner une apparence de sainteté, et n'en était pas moins un détestable hérétique. Cet hérétique frère Dulcin fut pris sur une montagne à Verceil, où il croyait avoir trouvé un refuge assuré, par l'évêque de la ville et d'autres fidèles, et renfermé pour être puni par le jugement du pape. Environ deux cents de ses complices furent tués en cette occasion. Il soutenait entre autres erreurs hérétiques que, de même qu'au temps de la loi de nature ou loi mosaïque la religion et la justice régnaient par le Père, dont elles sont l'essence, et que le Fils avait régné par la sapience depuis le temps de l'arrivée du Christ jusqu'à l'arrivée du Saint-Esprit le jour de la Pentecôte, de même, depuis son arrivée jusqu'à la fin du monde, le Saint-Esprit, qui est amour, devait régner par la clémence. Ainsi la première loi avait été une loi de religion et de justice, la seconde une loi de sapience, et la troisième, qui est la loi actuelle, devait être une loi d'amour, de clémence et de charité; en sorte que tout ce qui était demandé au nom de la charité, même l'acte de la fornication charnelle, pouvait être accordé sans péché, et que, bien plus, il n'était pas permis de le refuser sans pécher; ce qui parait une abominable hérésie à tout catholique ou fidèle. Ces erreurs furent dans le temps de Philippe, en 1312, renouvelées par Amaury de Lèves, près de Montfort, mentionné dans la décrétale "Damnamus". Edouard, roi d'Angleterre, prince habile et rusé, et heureux dans les combats, mourut dans un âge avancé, la trente-cinquième année de son règne. Il eut pour successeur au trône d'Angleterre et à la domination de l'Irlande Edouard son fils, qu'il avait eu de la comtesse de Ponthieu. Il laissait trois autres fils, dont l'aîné, Thibaut, eut en possession le comté de Cornouailles. Il les avait eus de Marguerite, sa femme, sœur du roi de France, qui survécut à Edouard. [6,1307] Vers la Pentecôte, le roi de France Philippe se rendit à Poitiers pour avoir une entrevue avec le pape. Il y fut, dit-on, délibéré et statué par lui et les cardinaux sur plusieurs affaires importantes, et notamment sur l'emprisonnement des Templiers, comme le fera voir l'événement qui suivit. Alors le pape manda expressément aux grands-maîtres de l'Hôpital et du Temple, qui étaient dans le pays d'outre-mer, de laisser tout pour venir à Poitiers, dans un espace de temps fixé, comparaître en personne devant lui. Le grand-maître du Temple obéit sans délai à cet ordre; mais le grand-maître de l'Hôpital, arrêté dans son chemin à Rhodes par les Sarrasins qui s'étaient emparés de cette île, ne put venir à l'époque fixée, et s'excusa légitimement par des envoyés. Enfin, au bout de quelques mois, ayant recouvré et reconquis cette île à main armée, il se hâta de se rendre auprès du pape à Poitiers. Bernard de Saint-Denis, fameux docteur en théologie, évêque d'Orléans, mourut, et eut pour successeur maître Raoul, doyen de l'église de ladite ville, et savant en droit. Louis, roi de Navarre, fils aîné du roi de France, ayant appris qu'un certain chevalier, nommé Fortune, à qui il avait confié la garde et le gouvernement de son royaume, s'efforcait par d'astucieux artifices de s'en emparer, et avait beaucoup de complices et adhérents nobles et puissants, notamment le comte de Boulogne, et Gautier de Châtillon, connétable de France, puissant par le nombre de gens qu'il avait à sa suite, partit au mois de juillet pour la Navarre, et, soumettant à main armée ledit Fortune et ses complices, parcourut et pacifia son royaume, et se fit couronner roi dans la ville de Pampelune. Pierre de Belleperche, évêque d'Auxerre, mourut et eut pour successeur Pierre de Gressey, chantre de Paris et chancelier du roi de Navarre. Le jeudi après la fête de saint Denis martyr, Catherine, héritière de l'empire de Constantinople, seconde femme de Charles frère du roi, qui était morte le lundi précédent, dans le village de Saint-Ouen, reçut la sépulture ecclésiastique chez les frères Prêcheurs de Paris, en présence du roi, des grands, des prélats de France, et du grand-maître du Temple, venu d'outre-mer, qui porta son corps avec d'autres vers le lieu de la sépulture. Le vendredi après la fête de saint Denis, le 13 octobre, vers le point du jour, tous les Templiers qu'on trouva dans le royaume de France furent tout-à-coup, et en un seul moment, saisis et renfermés dans différentes prisons, d'après un ordre et décret du roi. Parmi eux fut pris, dans la maison du Temple à Paris, et retenu prisonnier le grand-maître de l'ordre. Depuis longtemps déjà le bruit était parvenu aux oreilles du roi, par le témoignage et le rapport de plusieurs, dont quelques-uns avaient auparavant professé l'ordre des Templiers, que cet ordre et ceux qui le professaient étaient souillés et infectés d'abominables crimes, ce qui pouvait être légitimement prouvé, même quand ils l'eussent nié. D'abord, chose abominable à raconter, dans leur profession, qu'ils faisaient par précaution dans le silence de la nuit, sur l'ordre du maître (chose infâme à nommer), ils le baisaient aux parties postérieures. En outre, ils crachaient sur l'image du crucifix, la foulaient aux pieds, et, comme des idolâtres, adoraient en secret une tête avec la plus grande vénération. Leurs prêtres, lorsqu'ils devaient célébrer la messe, ne proféraient aucunement les paroles de consécration, et quoiqu'ils fissent vœu de s'abstenir de femmes, il leur était permis cependant d'avoir commerce entre eux à la manière des sodomites. Le roi de France, le dimanche suivant, dansune salle du palais royal, fit proclamer ouvertement et publiquement, en présence du clergé et du peuple, tous ces crimes dont on les soupçonnait violemment. Ces crimes, qui paraissent incroyables, à cause de l'horreur qu'ils impriment dans le cœur des fidèles, cependant le grand-maître de l'ordre, conduit au Temple en présence des docteurs de l'Université, les avoua, dit-on, expressément dans la semaine suivante, si ce n'est qu'il assura ne s'être aucunement souillé de la dépravation sodomique, et n'avait pas, dans sa profession de foi, craché sur l'image du crucifix, mais par terre, à côté. On assure qu'il fit savoir à tous ses frères, par un écrit de sa main, que le repentir l'avait conduit à cette confession, et qu'il les exhortait à en faire autant. Il arriva que quelques-uns avouèrent d'eux-mêmes en pleurant une grande partie ou la totalité de ces crimes. Les uns conduits, à ce qu'il parut, par le repentir, les autres mis à la question par différents supplices, ou effrayés par les menaces ou l'aspect des tourments, d'autres entraînés ou attirés par des promesses engageantes, d'autres enfin tourmentés et forcés par la disette qui les pressait dans leur prison, ou contraints de beaucoup d'autres manières, avouèrent la vérité des accusations. Mais un grand nombre nièrent absolument tout, et plusieurs, qui avaient d'abord avoué, nièrent ensuite, et persistèrent jusqu'à la fin dans leurs dénégations; quelques-uns d'entre eux périrent au milieu des tortures. Le roi fit renfermer à Corbeil le grand-maître de l'ordre, et fit retenir les autres à Paris et dans différentes prisons, jusqu'à ce qu'il eût délibéré, avec le Siège apostolique et les prélats, de quelle manière il devait agir en cette affaire contre l'ordre et les personnes des Templiers, pour procéder selon Dieu et la justice. Il fit saisir partout leurs biens, et les fit retenir en son pouvoir par des gens sûrs, qu'il envoya pour en prendre possession et les garder. Un certain Juif nommé Prote, converti à la foi catholique, déclara devant l'inquisiteur de la perversité hérétique, que, par les exhortations de son frère nommé Monsset, il était revenu au judaïsme, que d'abord on l'avait baigné dans de l'eau chaude, et ensuite circoncis selon la coutume des Juifs dans ces circonstances. Quelque temps après, examiné et interrogé définitivement sur cette déclaration, il dit qu'il avait menti sur tout, et qu'il n'avait fait ce mensonge qu'en haine de son frère qui ne voulait point lui payer ce qu'il lui devait. Comme on ne savait à quel parti s'arrêter, d'après le conseil des doctes et par le consentement de l'évêque, il fut réglé qu'on s'en tiendrait à la première confession plutôt qu'à la seconde, et qu'il devait être puni comme relaps par un emprisonnement perpétuel; ce qui fut exécuté. Mais ensuite il reconnut, devant ledit inquisiteur, qu'il avait dit dans la prison qu'il n'était pas chrétien, mais juif et appelé Samuel, et que les Chrétiens mangent leur Dieu, priant avec instance que, s'il venait à mourir, on fit de lui comme d'un Juif. C'est pourquoi, par le commun conseil des doctes, il fut jugé qu'il serait aussitôt, sans autre forme de procès, livré au bras séculier. Vers le même temps un autre homme nommé Jean, converti à la foi catholique, avoua devant le susdit inquisiteur qu'il avait dit ouvertement et publiquement devant le Châtelet, à Paris, qu'il n'était pas chrétien, mais juif, nommé Mulot, et qu'il voulait purger par le feu le péché qu'il avait commis par l'eau en recevant le baptême. Ensuite cependant, comme il montra un vif repentir pour ce qu'il avait fait, et supplia qu'on le traitât à ce sujet avec une miséricordieuse indulgence, disant que c'était une mélancolie et une légèreté de tête qui l'avaient poussé à de telles choses, par le conseil des doctes, on lui imposa une salutaire pénitence. Au mois de janvier Edouard, roi d'Angleterre, prit en mariage à Boulogne-sur-Mer, en présence du roi de France, de ses fils et des grands de son royaume, la fille unique dudit roi de France Philippe, nommée Isabelle, âgée d'environ douze ans. Accompagnée en Angleterre par les grands du royaume, elle y fut couronnée reine avec tous les honneurs convenables. Edouard, fils du comte de Savoie, prit en mariage la sœur de la reine de Navarre, seconde femme du duc de Bourgogne. Charles, troisième fils du roi de France, prit en mariage Blanche, seconde fille de feu Othelin, duc de Bourgogne. L'illustre et honorable dame et honnête princesse Marguerite, reine de Sicile, veuve de Charles Ier, roi de Sicile et frère de saint Louis, passa, ainsi qu'on le croit, pieusement vers le Christ. Jean de Namur, fils de Gui comte de Flandre, prit en mariage la fille de Robert, comte de Clermont. [6,1308] Le roi de France Philippe, sur le point de se rendre, pour l'affaire des Templiers principalement, à Poitiers, où résidait encore le pape et la cour ecclésiastique, convoqua à cet effet à Pâques, dans la ville de Tours, un grand nombre de gens de presque toutes les villes ou châteaux du royaume, et mena avec lui à Poitiers une nombreuse troupe de nobles et d'hommes du commun. Après que le roi et le pape eurent traité de différentes affaires, par l'ordre du pape on amena le grand-maître de l'ordre des Templiers avec quelques-uns qu'il avait faits les premiers de son ordre, à cause de la supériorité de leur rang et de leur mérite. Il fut délibéré en leur présence et réglé d'un commun accord que le roi, à compter de ce moment et désormais, garderait au nom de l'Eglise et en la main du Siège apostolique tous les frères de cet ordre, dans quelques prisons qu'ils eussent été renfermés, et ne procéderait pas à leur procès, jugement ou punition, sans un ordre et commandement du Siège apostolique, et que le roi leur fournirait de la manière convenable les choses nécessaires à la vie sur leurs biens, dont l'administration ou la garde lui serait laissée, sous la charge de les administrer fidèlement jusqu'au concile général qui devait être célébré bientôt après. Le pape Clément étant à Poitiers ordonna le Ier octobre, par le conseil des cardinaux, qu'un concile général serait tenu à Vienne, deux ans après, le 1er du même mois d'octobre, pour procurer des secours à la Terre-Sainte, pour la réformation de l'état de l'Eglise universelle, et surtout pour l'affaire qui s'était élevée au sujet de l'ordre et des frères du Temple, dont le pape déclara, en présence du roi et des cardinaux, que soixante environ avaient reconnu la vérité des accusations dont on les chargeait. Le pape manda donc partout par ses lettres aux archevêques et évêques, et surtout à ceux du royaume de France, et ordonna aux inquisiteurs de la perversité hérétique qu'ils s'appliquassent soigneusement à l'affaire des Templiers, et qu'autant qu'ils en pourraient prendre ils se hâtassent de les juger d'après leurs mérites, et de conduire par le conseil des doctes leur affaire à bonne fin. Le grand-maître et un petit nombre d'autres des principaux de cet ordre furent pour un temps et par une sentence positive du Siège apostolique, réservés à l'excommunication ou au supplice. Vers le même temps vinrent en France quelques hommes de Flandre, d'un extérieur simple, mais imposteurs, comme l'événement le prouva. Par l'effet de leurs astucieux artifices, il se répandit aussitôt parmi le peuple le bruit frivole, mais général, que le seigneur Geoffroi de Brabant, comte d'Eu, Jean de Brabant, son fils, le seigneur de Vierzon, et un grand nombre d'autres tués depuis long-temps à la bataille de Courtrai avec Robert, comte d'Artois, s'étaient comme par miracle échappés vivants, et, à cause du bienfait de leur délivrance, avaient entrepris et juré entre eux de mendier par le royaume de France sous l'humble habit de pauvreté, et de se tenir cachés au milieu des leurs pendant sept ans, et qu'au bout de ce terme ils devaient paraître ensemble le même jour en un certain lieu, à savoir à Boulogne-sur-Mer, et révéler publiquement qui ils étaient. Il arriva qu'à quelques légers signes observés sur les Flamands, plusieurs gens des deux sexes les accueillirent avec empressement et s'infatuèrent d'eux, en sorte que les prenant pour lesdit seigneurs, ils les reçurent avec honneur, tandis que les imposteurs, parlant à peine et rarement, affirmaient, par un artifice sûr de son effet, qu'ils n'étaient pas ceux dont on rapportait communément ces bruits frivoles. Quelques nobles matrones admirent plusieurs d'entre eux en qualité d'époux à la couche conjugale, ce qui leur attira ensuite des moqueries de la part des autres, surtout à la principale d'entre elles. Charles, comte de Valois, prit en troisièmes noces la fille de Gui comte de Saint-Paul. Robert, fils de Philippe d'Artois, prit pour femme Blanche, une des filles du feu duc de Bourgogne. La même année Gui, fils aîné du feu comte de Blois, prit en mariage la fille de Charles de Valois et de sa femme Catherine, d'un âge encore tendre. Le samedi après l'Ascension du Seigneur, vers le soir, il y eut dans le diocèse de Paris un terrible orage dans lequel il tomba une neige abondante et très dangereuse, dont la violence était augmentée tant par de grandes et grosses pierres qui tombèrent en même temps, que par le souffle du vent. Les moissons périrent avec les grains, et les vignes avec les grappes; plusieurs arbres furent arrachés de leurs racines, et la force du vent fit tomber ce jour-là une cloche de l'église paroissiale de Chevreuse. Après les chaleurs de l'été, le pape et tous les cardinaux, rompant les réunions de la cour ecclésiastique, quittèrent pour un temps la ville de Poitiers. Le pape se rendit vers sa terre natale, ne gardant avec lui qu'un petit nombre de cardinaux, et y résida ensuite, dit-on, après avoir donné congé pour un temps aux autres cardinaux, et les avoir laissés aller chacun de son côté. Guichard, évêque de Troyes, était grandement soupçonné d'avoir fait périr, par sortiléges ou poisons, feu Jeanne, reine de France et de Navarre; c'est pourquoi, après la déposition sur ce sujet de quelques faux témoins, comme il fut prouvé dans la suite, quoique longtemps après, il fut pris et renfermé sous une étroite garde, le souverain pontife y ayant consenti, surtout lorsque la déposition des témoins fut parvenue à sa connaissance. Une dissension s'étant élevée entre les nobles et puissants jeunes hommes Everard de Saint-Veran et Oudard de Montaigu, bourguignon de nation, beaucoup de nobles des deux partis se rassemblèrent le jour de la fête de saint Denis, dans le comté de Nevers, pour combattre comme on était convenu mutuellement, à savoir: du parti dudit Everard, Dreux de Meulant, comte de Sancerre; le seigneur Milon de Noiries, et beaucoup d'autres: du parti dudit Oudard, Dauphin, seigneur d'Auvergne; Beraud de Marcueil, fils du comte de Boulogne; trois frères appelés communément de Vienne, et beaucoup d'autres. Il se livra bientôt entre eux un combat fort animé. Everard remporta une victoire éclatante; Beraud de Marcueil et beaucoup d'autres du parti d'Oudard furent pris. C'est pourquoi Oudard se rendit au comte de Sancerre; ensuite cependant le roi de France fit prendre et renfermer dans différentes prisons ledit Everard et plusieurs autres. Albert, roi des Romains, fut tué, dit-on, par le fils de sa sœur. Henri, comte de Luxembourg, chevalier valeureux, sage et fidèle, lui succéda au trône. Vers la Purification de la sainte Vierge, mourut et fut ensevelie à Paris la fille de Robert comte de Clermont, femme de Jean de Namur. Un an après, Jean épousa la fille de la dame Blanche de Bretagne. On publia dans le royaume de France une indulgence plénière accordée l'année précédente par le pape Clément, pendant son séjour à Poitiers, à ceux qui s'embarqueraient ou fourniraient de l'argent pour secourir la Terre-Sainte, et dont il avait confié la recette et l'emploi au grand-maître de l'Hôpital. Il arriva que dans l'église de Sainte-Marie à Paris et dans presque toutes les autres églises du royaume, on établit des trésors pour mettre l'argent que la dévotion du peuple y porta tant que dura l'indulgence, c'est-à-dire pendant cinq ans. Au commencement de la publication surtout, on dit qu'un grand nombre y mirent beaucoup d'argent. Un nommé Etienne de Verberie, du diocèse de Soissons, accusé devant l'inquisiteur de la perversité hérétique d'avoir proféré des paroles blasphématoires, surtout au sujet du corps de Jésus-Christ, avoua qu'il les avait dites, mais qu'alors il ne jouissait pas de sa raison, parce qu'il avait trop bu dans une taverne, et qu'il ne les avait pas proférées pour outrager ni mépriser le Créateur, mais sans songer à ce qu'il faisait. Il assura qu'il se repentait, et demanda qu'on le traitât avec une miséricordieuse indulgence, ce que l'on fit aussi, d'après le conseil des doctes, lui ordonnant cependant auparavant une salutaire pénitence. [6,1309] Vers la fête de la Pentecôte, le fils du roi des Aragonais, ayant livré bataille au roi sarrasin de Grenade, tua un grand nombre de Sarrasins, et remporta une glorieuse victoire. Au mois de juin, Henri, récemment élu sans contestation roi des Romains, envoya à Avignon une députation et ambassade solennelle, avec le décret de son élection, pour recevoir du souverain pontife la bénédiction, la consécration et la couronne impériale, et les faveurs et grâces accoutumées de l'église romaine. Le pape satisfit pleinement à tous ses vœux et demandes, et, après avoir tenu conseil à ce sujet, approuva solennellement, vers la fin du mois de juillet, son élection à la dignité impériale. Il lui permit de se faire consacrer et de recevoir la couronne de l'Empire dans la basilique des princes apôtres de la ville. Il lui permit de proroger le terme du concile général qui devait avoir lieu, jusqu'à la fête de la Purification de la sainte Vierge à deux ans de là, à compter du jour de la Purification prochaine, sauf ce que ledit souverain pontife pourrait, sans accusation d'inconstance, décider autrement sur le moment et la manière de la convocation dudit concile, selon qu'il le jugerait avantageux à la circonstance. Le pape Clément fit publier dans son palais d'Avignon une annonce portant que tous et chacun de ceux qui, suffisamment instruits d'une manière quelconque de quelques faits relatifs à l'affaire de la dénonciation, accusation, et de l'appel contre le pape Boniface, voudraient témoigner pour ou contre lui, eussent à se présenter devant le pape, s'ils croyaient leur déposition utile, dans l'espace du dimanche où se chante Oculi; qu'autrement ils ne seraient plus aucunement admis pour cette affaire, et que même après ce terme on n'écouterait aucun rapport, et on imposerait un éternel silence à ce sujet. Parmi ceux que regardait cette annonce, était particulièrement et expressément rangé le chevalier Guillaume de Nogaret, qui, dit-on, fut assigné et appelé à comparaître personnellement au jour marqué. Au dimanche fixé, il se présenta à Avignon, accompagné et soutenu par Guillaume du Plessis, chevalier rusé et prudent. Il renouvela l'appel contre le pape Boniface, s'offrit de prouver légitimement les accusations dirigées contre lui, demanda avec instance qu'on exhumât ses ossements comme ceux d'un hérétique, et qu'on les livrât aux flammes. Néanmoins la partie adverse, à savoir quelques cardinaux et beaucoup d'autres qui défendaient la cause du pape Boniface, soutint fermement le contraire, et tourna l'accusation contre saint Sébastien et ledit Guillaume, auxquels lesdits cardinaux imputèrent beaucoup de crimes et d'atrocités. C'est pourquoi cette affaire fut suspendue jusqu'à plus ample délibération. Le trentième jour d'octobre, il souffla pendant plus d'une heure, du couchant d'hiver, un vent si violent, que son impétuosité renversa un grand nombre d'arbres et d'édifices, ainsi que le pinacle de l'église de Saint-Machut de Pontoise. Quoique ce terrible ouragan n'ait pas fait écrouler les grands arcs de pierre du côté oriental de l'église de Saint-Denis en France, cependant, d'après le témoignage de ceux qui le virent, ils chancelèrent et furent ébranlés, en sorte qu'on les croyait près de tomber à terre. Le dernier jour du mois de janvier, à une heure vingt-quatre minutes après midi, on vit une éclipse de soleil occupant le milieu de cet astre; de telle sorte que le centre de la lune correspondait à celui du soleil, et qu'il y eut alors conjonction de soleil et de lune au vingtième degré du Verseau. Cette éclipse dura en tout plus de deux heures, pendant lesquelles l'air parut de couleur rouge ou de safran. Les astronomes expliquaient la chose en disant qu'au moment de l'éclipse Jupiter colora l'air d'une lueur de safran ou d'or. Il s'éleva une grave et âpre dissension entre le roi d'Angleterre et ses barons, à l'occasion d'un certain chevalier nommé Pierre de Gravaeston, Gascon de nation, banni depuis longtemps, disait-on, du royaume d'Angleterre, mais que le roi avait admis à une si grande intimité, qu'il lui avait accordé, pour être possédé par ses héritiers, le comté de Lincoln, et avait par ses conseils établi beaucoup de nouveaux réglements contraires à la volonté de tous et aux coutumes du pays, et préjudiciables au royaume et à ses statuts. Les grands, tant à cette occasion que par conviction de la simplicité d'esprit et du peu de sens du roi, animés de haine contre lui, lui eussent, non seulement suscité quelques troubles, mais même, comme l'affirmait l'opinion générale, l'eussent privé de toute l'administration du royaume, s'ils n'eussent été retenus par la bonté du roi de France et de sa fille, reine d'Angleterre, qui s'était montrée gracieuse et aimable envers les barons. Les frères Hospitaliers passèrent, dit-on, avec une grande multitude de peuple chrétien, dans l'île de Rhodes, d'où les fidèles avaient été chassés par les Sarrasins, et s'y conduisirent d'une manière digne d'éloges. [6,1310] Le pape Clément résolut de proroger jusqu'aux calendes du mois d'octobre de l'année suivante le concile général qu'il avait indiqué pour les calendes du prochain mois d'octobre. Le concile de la province de Sens fut tenu à Paris depuis le onzième jour jusqu'au vingt-sixième pour l'affaire des Templiers, avec la permission de son président Philippe, alors archevêque de Paris. Après qu'on eut soigneusement examiné les actions de chaque Templier et tout ce qui s'y rapportait, et pesé avec beaucoup de vérité la nature et les circonstances de leurs crimes, afin que le degré de punition fût proportionné aux délits, d'après le conseil des doctes en droit divin et en droit canon, et de l'approbation du saint concile, il fut ordonné définitivement que quelques-uns des Templiers seraient simplement déliés des vœux de l'ordre, d'autres renvoyés libres, sains et saufs après l'accomplissement d'une pénitence qui leur serait ordonnée, d'autres renfermés étroitement, un grand nombre emprisonnés à perpétuité, et quelques-uns enfin, comme relaps, livrés au bras séculier, ainsi que l'ordonnent les lois canoniques au sujet de semblables relaps, soit qu'ils fassent partie d'un ordre religieux militaire, ou qu'ils aient été admis dans les ordres sacrés; ce qui fut fait après que, selon les décrets, ils eurent été dégradés par l'évêque. C'est pourquoi alors cinquante-neuf Templiers furent brûlés hors de Paris dans un champ peu éloigné d'une abbaye de nonnes appelée Saint-Antoine. Tous cependant, sans en excepter un seul, refusèrent d'avouer enfin les crimes dont on les accusait, et persistèrent avec constance et fermeté dans une dénégation générale, ne cessant de déclarer que c'était sans motif et injustement qu'ils étaient livrés à la mort; ce qu'un grand nombre de gens ne purent voir sans un grand étonnement et une excessive stupeur. Vers le même temps on convoqua à Senlis, dans la province de Rheims, un concile, et en cette occasion, comme au concile de la province de Sens, tenu à Paris pour l'affaire des Templiers, on fit le procès à neuf d'entre eux, qui furent ensuite brûlés. Louis, fils de Robert de Clermont, épousa la sœur du comte de Hainaut, et son frère, nommé Jean, prit en mariage la comtesse de Soissons. Le pape Clément fit, dit-on, en plein consistoire annuler comme fausse une bulle présentée par le cardinal Jacques Gaetan et d'autres partisans du pape Boniface, en opposition à la partie adverse, et qui contenait surtout et expressément que le pape, par le conseil et l'assentiment unanime des frères, jugeant vains et frivoles tout appel et procès intenté au pape Boniface, et protégeant infiniment son parti, le regardait comme innocent et non coupable des crimes dont il était accusé. Vers la fête de la Pentecôte, il arriva à Paris qu'une certaine Marguerite de Hainaut, dite Porrette, femme pleine d'impostures, avait publié un livre dans lequel, au jugement de tous les théologiens qui l'avaient examiné avec soin, étaient contenues beaucoup d'erreurs et d'hérésies, entre autres celle-ci: que l'ame anéantie dans l'amour du Créateur peut et doit accorder à la nature tout ce qu'elle desire et demande, sans reproche ni remords de conscience, ce qui sent évidemment l'hérésie. Elle ne voulut pas abjurer ce livre ni les erreurs qu'il contenait, et méprisa même la sentence d'excommunication portée contre elle par l'inquisiteur de la perversité hérétique. N'ayant pas voulu, après les sommations nécessaires, comparaître devant l'évêque, et ayant persisté pendant plus d'un an avec un opiniâtre endurcisssement et jusqu'à la fin dans sa perversité, elle fut, en présence du clergé et du peuple rassemblés à ce sujet, exposée sur la place publique de Grève, et livrée au bras séculier. Le prévôt de Paris, s'en étant aussitôt emparé, la fit brûler le lendemain sur cette même place. Cependant, à ses derniers moments, d'après le témoignage de ceux qui la virent, elle donna beaucoup de nobles et religieuses marques de pénitence, qui touchèrent d'une pieuse compassion le cœur de beaucoup d'assistants, et leur firent répandre des larmes. Le même jour, un homme converti depuis longtemps du judaïsme à la foi catholique, qui était retourné comme un chien à son vomissement, et s'était efforcé de cracher sur les images de la sainte Vierge, par mépris pour elle, fut livré aux flammes sur cette place, et passa ainsi du feu temporel aux feux éternels. Alors aussi un imposteur, nommé Guiard de Cressonessart, se prétendant un ange envoyé immédiatement de Dieu à Philadelphie pour ranimer les partisans du Christ, dit qu'il n'était pas obligé de se dépouiller, aux ordres du pape, de la ceinture de peau dont il était entouré, ni de ses vêtements, et que même c'était un péché pour le pape que de le lui ordonner. Mais enfin, pressé par la crainte du bûcher, il déposa sa ceinture, et, reconnaissant son erreur, fut condamné à une perpétuelle réclusion. Les habitants de Lyon, enflammés de l'esprit de rébellion contre Philippe, roi de France, saccagèrent violemment un château de son royaume, appelé Saint-Just, et s'empressèrent de se fortifier, eux et leur ville, par de grands retranchements. Le roi de France résolut d'envoyer, vers la fête de saint Jean-Baptiste, pour dompter ces rebelles, son fils aîné, roi de Navarre, avec ses deux frères et leurs oncles, et une nombreuse armée. Le roi de Navarre, non encore chevalier, mit tant de soin et d'application à faire ses premières armes avec gloire et succès, qu'il se rendit aimable partout par sa bravoure et son habileté, et s'attacha d'une merveilleuse affection tous les cœurs des siens. Les ennemis se voyant sur le point d'être attaqués par les nôtres, frappés d'une terreur subite, se soumirent eux et leur ville au pouvoir du roi. L'archevêque de la ville, Pierre de Savoie, d'une haute et puissante noblesse, qui paraissait le principal chef et l'auteur de cette rébellion, fut livré et amené en France par le comte de Savoie, vers le roi Philippe, dont il implora et obtint enfin, par l'intervention des grands, le pardon de ses méfaits. Les os d'un Templier mort depuis long-temps, Jean de Thure, trésorier du Temple, à Paris, furent exhumés et brûlés comme ceux d'un hérétique, et parce que de plus on avait découvert qu'il était impliqué dans le procès déjà fait à l'ordre des Templiers. Henri, empereur des Romains, avec le duc d'Autriche, évêque de Liége, beaucoup d'autres grands et une nombreuse armée, entra en Italie par le comté de Savoie. Reçu d'abord avec honneur dans la ville d'Asti, et ensuite la veille de la Nativité du Seigneur, dans la ville de Milan, en cet endroit, il reçut honorablement, ainsi que sa femme, la couronne de fer, de la main de l'évêque de Milan, le jour de la fête de l'Epiphanie du Seigneur, dans l'église de Saint-Ambroise, en présence d'un grand nombre de prélats. Après quoi il livra un combat, dans cette ville même, au parti qui s'opposait à lui, et le soumit promptement par les armes, afin de frapper ses ennemis d'une juste terreur et épouvante. Cette même année, l'archevêque de Narbonne et l'archevêque de Rouen échangèrent mutuellement leurs siéges. L'archevêque de Rouen, nommé Bernard, neveu du pape Clément, ne pouvait rester en bon accord avec les nobles de la Normandie, que choquaient sa jeunesse et son insolence; c'est pourquoi le pape le transféra à l'archevêché de Narbonne, et éleva à la dignité d'archevêque de Rouen Gilles, alors archevêque de Narbonne, conseiller spécial du roi, homme prudent dans les affaires, et également savant sur le droit canon et sur le droit civil. Après des procédures contradictoires sur le sujet du pape Boniface, le pape Clément, suffisamment éclairé par les dépositions et affirmations du chevalier Guillaume de Nogaret, qu'on accusait de ce qui avait été fait contre le pape Boniface, et aussi par des recherches soigneuses faites par lui à ce sujet, sur l'innocence du roi de France dans l'affaire de l'attaque et de la prise dudit pape Boniface à Anagni, du pillage et de la ruine du trésor, et tous les faits qui avaient accompagné cette attaque, prononça, d'après l'avis des cardinaux, par l'autorité apostolique, et déclara et décréta que le roi n'avait été aucunement coupable dans tout ce qui avait été commis, et que ceux qui avaient dénoncé, déposé ou soutenu les dénonciations contre la personne du pape Boniface, n'avaient porté leurs dénonciations ou accusations par aucune haine ni aucun autre motif, mais par un zèle juste et sincère pour la foi catholique. Enfin, comme d'une part ceux qui défendaient la mémoire de Boniface, de l'autre le roi, tant pour lui-même que pour ses sujets, et ceux qui avaient dénoncé et déposé contre ledit pape, après avoir osé porter leurs mains sur lui, voyant que la poursuite de cette affaire était pleine de difficultés et de périls, d'après de louables conseils et d'instantes prières, en avaient abandonné l'entière décision au pouvoir et aux ordres du Siège apostolique. Le pape Clément, par la plénitude du pouvoir apostolique, déclara absous le roi, tous ses adhérents dans cette affaire, et le royaume, et tous ses habitants, de toute faute, offense ou injure faite au pape Boniface, des sentences portées et des peines infligées par lui pour ce sujet, de droit ou de sa propre autorité, publiquement ou secrètement, contre le roi ou son successeur, ses sujets ou l'un de ses sujets, et les délivra entièrement des imputations et punitions ou procès quelconques, qu'ils auraient pu ou pourraient subir à l'occasion de ce qui avait été commis contre le pape Boniface, ou de quelque fait relatif à cette affaire, quand même on supposerait et prétendrait que ladite attaque et quelque autre des violences commises contre ledit pape avaient été faites au nom dudit roi, ou de sesdits partisans ou adhérents. Il fit effacer et biffer entièrement du registre les sentences, excommunications et interdits, et toutes susdites procédures, défendant expressément que personne osât, d'une manière quelconque, garder en son pouvoir, cacher ou communiquer à d'autres lesdites sentences, excommunications, interdits ou procédures, en clause publique ou privée, et ordonnant de détruire et d'anéantir entièrement les lettres, cédules, parchemins et autres actes publics ou privés où il était fait mention desdites sentences et procédures. Il déclara que ceux qui, dans l'espace de trois mois après que cet ordre serait venu à leur connaissance, ne l'auraient pas accompli, ayant pu le faire, encourraient une sentence d'excommunication, dont ils ne pourraient être absous par le pontife romain qu'à l'article de la mort. Quoiqu'il eût, de science certaine, nommément excepté de cette absolution les chevaliers Guillaume de Nogaret et Renaud de Lupin, et environ dix citoyens d'Anagni, qu'on assurait avoir été les chefs de ladite attaque et du pillage du trésor, dans l'intention de les obliger à lui faire, par une autre voie, une juste réparation, cependant, par considération pour le roi et par égard pour ses prières, il délia Guillaume de Nogaret de toutes les sentences, lui enjoignant pour pénitence l'obligation de s'embarquer en propre personne avec ses armes et ses chevaux pour secourir la Terre-Sainte dans la première expédition gênérale qui s'y ferait, et d'y rester à perpétuité, à moins d'obtenir dans la suite, de la grâce du pape ou de ses successeurs, que cet exil fût abrégé. On lui enjoignit aussi d'accomplir pieusement certains pèlerinages qu'il s'était imposés. Ainsi le pape le déclara absous de toutes les violences faites au pape Boniface, à condition qu'il accomplît dévotement ces pénitences, tant qu'il vivrait, et, qu'à sa mort, il fît le pape son héritier. [6,1311] Henri, roi des Romains, passant par Crémone, ville d'Italie, n'éprouva aucune opposition, parce que les Guelfes, qui étaient les plus forts et les plus puissants dans le territoire de la ville de Crémone, saisis de crainte à l'approche de l'empereur, abandonnant les palais au petit nombre des Gibelins, s'étaient tous réfugiés avec leurs femmes et leurs enfants, et les biens qu'ils avaient pu commodément emporter avec eux, dans la ville de Brescia qui tenait pour leur parti, et qui leur paraissait une plus sûre retraite, à cause des montagnes escarpées qui dominaient la ville. Les Gibelins, apprenant que l'armée de l'empereur n'était plus éloignée d'eux que de deux milles, prirent les clefs de la ville, les offrirent à l'empereur en signe de paix, et, accueillis par lui avec bonté, lui livrèrent tranquillement l'entrée de la ville. Après son entrée, il détruisit entièrement toutes les maisons fortifiées et les tours de ceux qui s'étaient réfugiés à Brescia, renversa les superbes portes et les murs de la ville, et fit combler avec les démolitions les très larges fossés qui l'entouraient, en sorte que les murs et les fosses furent à rase terre. Ensuite, ayant reçu de ceux qui étaient restés dans la ville une rançon de beaucoup de milliers de florins, il marcha vers Brescia, et assiégea vigoureusement cette ville rebelle, depuis l'Ascension du Seigneur jusqu'à la Nativité de la sainte Vierge. Un combat ayant été livré, le commandant de la ville, nommé Thibaut Brisath, fut pris vivant et amené en la présence de l'empereur. Voyant qu'il ne pouvait se soustraire à la mort, il avoua publiquement que beaucoup de conspirations avaient été traîtreusement ourdies pour la ruine de l'empereur et des siens, et accusa de complicité les grands de la ville de Milan. Après l'avoir entendu, l'empereur le fit traîner au milieu de l'armée, et ensuite suspendre à un gibet pendant deux heures; après quoi, par son ordre on le retira du gibet et on lui trancha la tête, qui fut attachée au bout d'une lance, et exposée dans le lieu le plus haut de l'armée. Le tronc de son corps, coupé en, quatre morceaux, fut porté dans quatre endroits différents de l'armée. L'empereur lui fit subir un supplice si cruel afin que l'atrocité de sa mort fût désormais pour les traîtres et les conspirateurs un miroir et un exemple, et qu'ainsi au moins la rigueur des maux que souffraient les méchants réprimât ceux qu'une inclination naturelle ne poussait pas au bien. L'empereur soumit ladite ville, et détruisit les habitants et les murs auxquels ils se fiaient pour leur défense. A ce siége mourut son frère Galeran, ce qui fut pour le prince un bien juste sujet de douleur et d'affliction. Dans le temps de ce siège, toutes les villes de la partie de l'Italie appelée proprement Lombardie, offrirent à l'empereur la soumission et fidélité qu'elles lui devaient comme à leur seigneur. Vers la même époque, trois cardinaux, à savoir l'évêque d'Ostie, et deux autres envoyés par le seigneur pape pour son couronnement, se rendirent vers lui, et l'accompagnèrent par toute l'Italie jusqu'à Rome. Après la prise de Brescia, Henri, roi des Romains, passa pacifiquement par Tortone et par Gênes, où il fut reçu avec les plus grands honneurs. Pendant la courte résidence qu'il fit dans cette ville, sa femme, reine des Romains, entra dans la voie de toute chair. Vers le même temps se réveillèrent parmi le peuple de Flandre une révolte et une guerre quelque temps assoupies. Le comte de Flandre, fortement soupçonné à ce sujet, fut appelé par le roi de France à se justifier; ayant comparu dans le Nivarnais, son fils le comte Louis, qu'on reconnut coupable du crime de ce soulèvement, fut renfermé d'abord à Moret, et ensuite à Paris. Bientôt après il se sauva de cette prison, soit qu'il se connût coupable ou seulement par crainte. C'est pourquoi ensuite, d'après le conseil des grands du royaume, il fut à juste titre dépouillé de son comté par un arrêt proclamé en plein palais. Philippe, roi de France, fit faire une monnaie de simples et doubles deniers dits Bourgeois, qui devaient avoir la même valeur que les simples et doubles deniers parisis. Cette monnaie ne put avoir cours à cause de l'infériorité de sa valeur, de son poids et de sa nouveauté, et aussi parce que tous les gens sages disaient avec raison que c'était une exaction injuste et préjudiciable à l'État; ce que quelques nobles et grands à qui déplaisait cette monnaie représentèrent clairement au roi avec de graves plaintes. Le pape Clément accorda et envoya aux clercs étudiants d'Orléans le privilége de fonder une université, sous la condition cependant du consentement et du libre et volontaire assentiment du roi à ce sujet. Le roi n'y ayant pas consenti, les clercs, liés par de mutuels serments, s'éloignèrent de la ville et interrompirent les études. Cependant un an après, conduits par le repentir, et équitablement apaisés par le roi, ils retournèrent à leur ancienne demeure, et ainsi les études, interrompues pendant quelque temps, reprirent leur cours. Cent quatorze prélats mitrés, sans compter les prélats non mitrés et les procureurs des absents, se rassemblèrent le premier jour d'octobre à Vienne, ville de la Provence, au concile général que le pape Clément avait fait annoncer. Il y eut deux sessions, les patriarches d'Antioche et d'Alexandrie, siégeant dans le concile; avant qu'il fût ouvert, le pape ordonna aux prélats et aux autres qui étaient venus pour y assister, de célébrer des messes et des jeûnes pendant trois jours. Dans la première séance qui se tint le samedi dans l'octave de saint Denis, dans l'église cathédrale, le pape, après l'invocation du Saint-Esprit qu'on a coutume de faire dans ces circonstances, prit pour texte: « Seigneur, je vous louerai de tout mon cœur dans la société des justes et dans l'assemblée des peuples: les œuvres du Seigneur sont grandes et proportionnées à toutes ses volontés;» après quoi il prêcha et exposa le triple sujet de la convocation d'un concile général, à savoir: les crimes énormes des Templiers, les secours à porter à la Terre-Sainte, et l'utile réformation de l'état de l'Eglise: cela fait, il donna sa bénédiction au peuple, et chacun s'en retourna chez soi. Ensuite, après beaucoup d'assemblées et diverses négociations, il y eut entre le seigneur pape et ceux qu'il avait appelés, hommes d'une grande circonspection et sagesse, cardinaux, prélats, procureurs ou autres hommes importants, un grand nombre de délibérations sur lesdites causes de la convocation du concile jusqu'à l'arrivée du roi de France, qui, disait-on, par zèle pour la foi, avait été depuis le commencement le principal et le plus ardent promoteur des procès intentés à l'ordre et aux personnes des Templiers. Les affaires traitées dans ce concile étaient sujettes à des difficultés, en sorte qu'elles paraissaient être en doute et en suspens, et traîner en paroles. [6,1312] Le jour de la lune après la Quasimodo, on tint à Vienne, dans la grande église, la seconde session du concile général. Philippe, roi de France, arrivé vers le carême avec ses fils et ses frères, et accompagné d'une suite nombreuse, puissante et convenable, de prélats, de nobles et de grands, siégea à la droite du souverain pontife, qui dominait tous les autres, sur un siége un peu moins élevé, avec les cardinaux, les prélats, et d'autres appelés par le pape. Après quelques préliminaires observés ordinairement daas ces circonstances, le pape prit pour texte: «Les impies ne ressusciteront point dans le jugement des justes, ni les pécheurs dans l'assemblée des mêmes justes. » L'Ordre du Temple ayant été appelé de la manière usitée pour les Templiers, comme l'Ordre n'était pas encore convaincu en qualité d'Ordre, mais que cependant leur mode de réception, soupçonné depuis longtemps et que jusqu'alors ils n'avaient pas voulu avouer, avait été révélé par un nombre infini de frères, et des plus considérables, l'autorité apostolique, avec l'approbation du saint concile, abolit et anéantit, non définitivement mais provisoirement et par mesure de règle, tant le nom que l'habit de cet Ordre, puisqu'aucun homme de bien ne voulait désormais y entrer, et on agit ainsi pour éloigner et éviter d'autres maux et scandales. Aussitôt le pape fit lire le statut porté à ce sujet contre ceux qui à l'avenir garderaient l'habit de l'Ordre ou le prendraient de nouveau, ou recevraient la profession de quelques nouveaux frères, lançant une sentence d'excommunication aussi bien contre ceux qui recevraient que contre ceux qui seraient reçus. Quant aux personnes et aux biens de ceux qui restaient, il en réserva la disposition au Siège apostolique, pour y être par lui pourvu avant la dissolution dudit concile. Cependant, comme le second but principal du concile général était le secours à porter à la Terre-Sainte, le pape prit pour texte: «Les justes obtiendront ce qu'ils desirent,» et après des paroles d'amertume commença des paroles de douceur, et exposa à tout le concile comment les vœux formés par les justes pour le recouvrement de la Terre-Sainte, si desirable pour lui surtout, et en général pour tout fidèle catholique, et cependant si longtemps retardés, au grand chagrin du pape et de tout catholique, allaient bientôt être accomplis, puisque le roi de France Philippe, présent au concile, lui avait sincèrement promis par une lettre (qui fut lue sur-le-champ en plein concile) de prendre la croix dans l'espace d'un an avec ses enfants, ses frères, et un grand nombre de seigneurs de ses États et d'autres royaumes, et de se mettre en route aux calendes du mois de mai prochain pour aller au secours de la Terre-Sainte, où il resterait six ans. En cas que la mort ou quelqu'autre légitime obstacle empêchât le roi de faire ce voyage, son fils aîné s'obligeait à l'accomplir fidèlement; mais il n'en fit rien: c'est pourquoi les prélats, par une pieuse affection, accordèrent au roi les dîmes pour six ans. Le souverain pontife et le saint concile approuvèrent la dévotion du roi et la concession de la dîme, et ainsi se termina cette session. Avant la dissolution du concile, après diverses délibérations sur les biens des Templiers pour savoir l'usage qu'on en devait faire, les uns conseillant de fonder un nouvel ordre à qui on les donnerait, les autres émettant un avis différent, le Siège apostolique régla enfin, du consentement des rois et des prélats, que ces biens seraient dévolus entièrement aux frères de l'Hôpital, afin de leur donner plus de forces pour recouvrer ou secourir la Terre-Sainte; mais au contraire, comme il apparut dans la suite, ces biens les rendirent pires qu'auparavant. Quant aux personnes des Templiers encore vivants, on ne conclut rien à cet égard. On s'occupa quelque peu de plusieurs choses concernant l'état ou la réformation de l'Eglise universelle, troisième motif de la convocation du concile; mais quoique le pape eût demandé plusieurs fois avec instance, aux prélats et autres hommes importants, qu'on statuât, décidât et pourvût à ce sujet avant la dissolution du concile, et quoiqu'il eût lui-même, dit-on, publié quelques décrétales, réglements et statuts concernant cette affaire, cependant on n'en promulgua rien publiquement dans ce concile, et tout fut entièrement et pleinement remis et abandonné à la libre décision du Siège apostolique. Henri, roi des Romains, ayant paisiblement traversé, sans aucune opposition, Pise, Piombino, Viterbe et beaucoup d'autres villes d'Italie, marcha vers Rome à la fête de l'Ascension du Seigneur, pour y recevoir les insignes de son couronnement, et après avoir livré à l'entrée de la ville un violent combat aux gens du frère de Robert, roi de Sicile, et de la maison des Ursins, il entra par la porte de Sainte-Marie-du-Peuple, et fut reçu de tous avec honneur à Saint-Jean-de-Latran. Quoiqu'il eût eu en cette ville à soutenir, de la part de sesdits ennemis, de si terribles combats et assauts que l'évêque de Liége, l'évêque d'Albano, un de ses gens nommé Dietrich, le comte de Savoie et plusieurs autres des siens, y périrent, cependant, à la fête de saint Pierre et de saint Paul, dans ladite église, il fut, par un ordre du souverain pontife, dont lecture fut faite devant tout le peuple et le clergé, couronné du diadême impérial par lesdits cardinaux, monseigneur d'Ostie célébrant la messe, et en présence d'autres cardinaux, évêques, abbés, et de beaucoup d'autres placés sur deux rangs, ce qui fut un grand sujet de joie pour tes siens, et de tristesse pour ses ennemis. Après avoir reçu la couronne impériale, desirant, comme Auguste, étendre davantage la gloire de son nom, il se hâta d'assiéger avec courage et de soumettre par la force de ses armes les villes d'Italie rebelles à sa domination. Quittant la ville de Rome, il se rendit le 15 du mois de juillet à Todi, où il fut reçu avec honneur, et de là marcha vers Pérouse. Les Pérousiens n'ayant pas voulu le recevoir, il livra au fer et aux flammes un grand nombre de métairies et maisons du comté, arracha les fruits et les vignes, et força quelques châteaux. Il vint ainsi à Arezzo, à la distance de près de cent milles de la ville de Pérouse, et y fut reçu avec joie et honneur le vingtième jour du mois d'août. Ensuite, s'emparant de Mont-Garche et du château de Saint-Jean, dans le comté des Florentins, il prit encore un château appelé Ancise, après avoir livré un combat avec le podestat et cinq cents hommes d'armes. Enfin, au mois de septembre, abordant à Florence, il assiégea cette ville depuis Sainte-Croix jusqu'à l'hôpital Saint-Gai, et en détruisit et brûla toute une partie. Il livra un combat à la porte de Sainte-Candide, et, après avoir triomphé par sa valeur, passant l'Arno, il vint à une vallée appelée Héma, près Sainte-Marguerite. Quelques chevaliers de Lucques et de Sienne ayant attaqué ses gens, ils furent repoussés par un seigneur de Flandre, maréchal de son armée, jusqu'à la porte de Saint-Pierre, et dans cette affaire ils perdirent un grand n'ombre des leurs. Ensuite, lorsqu'après avoir campé à Saint-Cassien, il eut pris possession de tout le duché, à l'exception de Livari, et après de Poggibonzi et de Casoli, il y mit une garnison de ses gens, et s'en retourna au mois de mars. Il appela publiquement Robert, roi de Sicile, qui l'avait attaqué et s'était révolté contre lui dans la place de Sainte-Catherine, à comparaître en sa présence à Arezzo dans l'espace de trois mois, sous peine de perdre sa couronne et son royaume. Pierre de Gaveston, Gascon de nation, à qui le roi Edouard avait accordé le comté de Cornouailles, s'était, comme nous l'avons dit plus haut, rendu excessivement odieux aux barons d'Angleterre; ensuite, ayant été trouvé dans le château de Scarborough, il fut pris et retenu par le comte de Lancaster, et beaucoup d'autres de ses adhérents qui aidaient ce comte de leurs conseils, de leurs richesses et de leur crédit; et bientôt quelques Gallois, envoyés, dit-on, par lesdits grands pour le tuer, lui tranchèrent la tête et le privèrent honteusement de la vie. Quoiqu'au commencement le roi d'Angleterre, excessivement affligé de ce meurtre, eût été animé d'une grande colère contre ses auteurs, cependant à la fin, par l'entremise de deux cardinaux, le cardinal d'Albano, camérier du pape, et un autre cardinal, envoyés à cet effet, la paix et la concorde furent rétablies entre lui et les grands. Vers la Nativité du Seigneur, il naquit à Edouard roi d'Angleterre, de sa femme Isabelle, un fils nommé Edouard. Simon, d'abord évêque de Noyon, et ensuite évêque de Beauvais, entra dans la voie de toute chair; Jean de Marigny, frère d'Enguerrand, chantre de l'église de Paris, lui succéda dans l'épiscopat.