[5,1284] Le comte de Joigny, illustre Français, qui était resté au siége d'Urbin, livra à cette ville, contre les instructions de Gui de Montfort, un assaut dans lequel il fut tué. Philippe, fils aîné de Philippe, roi de France, fut fait chevalier à la fête de l'Assomption de la sainte Vierge, mère du Seigneur, et le lendemain il épousa à Paris Jeanne, fille de feu Henri, roi de Navarre et comte de Champagne. La nuit de la veille de la fête de sainte Catherine, vierge, il souffla un vent si violent, qu'il fit tomber dans le royaume de France un grand nombre de maisons, de clochers de monastère, et d'arbres forts et élevés. Le 7 du mois de janvier, mourut Charles, roi de Sicile. Le pape Martin ayant appris sa mort, dit pour lui, aussi bien qu'il le put avec ses cardinaux, les prières des morts. Comme le prince Charles, retenu prisonnier, succéda dans la suite au trône de son père, nous le regardons comme régnant pendant les années qui se sont écoulées jusqu'à son couronnement. Au mois de mars Philippe, roi de France, marcha contre les Aragonais excommuniés par le pape, pour conquérir, s'il pouvait, le royaume d'Aragon, donné à son fils par l'Eglise romaine. [5,1285] Le mercredi d'après le dimanche de la Résurrection, le pape Martin étant mort, Honoré IV, Romain de nation, cent quatre-vingt-quatorzième pape, gouverna l'Eglise de Rome. Aussitôt après son élection, il continua de verser au comte d'Artois, occupé dans la Pouille, et à quelques autres, que son prédécesseur le pape Martin avait pris à son service, et employés en divers lieux, la solde que leur avait donnée ledit pape Martin, les garda à son service, et les excita à poursuivre avec ardeur l'entreprise commencée. Des gens affligés de diverses souffrances et maladies étant venus vers le tombeau du pontife de Rome Martin, quatre y recouvrèrent la santé, à la vue de tout le monde. Pierre d'Aragon ayant appris que Philippe, roi de France, s'était mis à la tête d'une armée pour envahir le royaume d'Aragon, et craignant de perdre ce royaume, s'y transporta aussitôt. Comme les Messinais avaient transféré dans un certain château Charles, prince de Salerne, Pierre craignit leur infidélité, et le fit conduire de Sicile en Aragon et garder en ce royaume avec les plus grandes précautions. Vers la fête de la Saint-Jean-Baptiste, Philippe roi de France, attaquant les domaines du royaume d'Aragon, assaillit d'abord la ville d'Elna sur les frontières du Roussillon, qui lui était contraire, et l'eut bientôt détruite entièrement. Il traversa les Pyrénées par un chemin impraticable, auprès de la passe d'Ecluse, et conduisit son armée jusqu'à Gironne, ville très fortifiée. Ce que voyant les Aragonais qui se tenaient en armes au sommet de la passe d'Ecluse, qui était l'entrée de leur pays la plus fortifiée, et ne croyaient pas que le roi des Français passât par un autre endroit, ils furent grandement saisis d'admiration et d'épouvante, et se réfugièrent dans les villes et les châteaux. Le roi de France assiégeant Gironne, livra plusieurs assauts qui affaiblirent beaucoup les habitans; mais ceux-ci, faisant une vigoureuse résistance, tinrent pendant environ trois mois. Vers la fin du siége, à savoir le jour de l'Assomption de la Vierge sainte Marie, mère du Seigneur, le roi de France ayant envoyé vers le port de Roses, où était stationnée la flotte royale, pour apporter à l'armée les vivres qu'on y conservait, Pierre, roi d'Aragon, qui en fut informé, s'empara du chemin avec cinq cents cavaliers armés et trois mille hommes de pied, afin de pouvoir, au retour des Français, piller les vivres qu'ils amèneraient. Mais Raoul, seigneur de Nesle, connétable de France, le comte de la Marche, et Jean de Harcourt, maréchal, instruits de ces embûches, prirent sur-le-champ avec eux cent cinquante-six chevaliers armés, et marchèrent promptement à sa rencontre. A la vue des ennemis venant en si petit nombre en comparaison du leur, les Aragonais, qui ne connaissaient pas la bravoure des Français, les attaquèrent aussitôt. Mais les Français, résistant vigoureusement, tuèrent presque tous les Aragonais, et forcèrent leur roi, qui combattait avec eux, caché sous une armure ordinaire, de s'enfuir du champ de bataille. Mortellement blessé, il s'arrêta dans une abbaye, et expira peu de temps après à l'insu des Français. Quoique les plus vaillants et les plus nobles du royaume d'Aragon eussent assisté à ce combat, il y en eut peu cependant, dans un si grand nombre, qui s'en retournassent chez eux. A la suite de cette affaire, les habitants de Gironne, n'ayant plus aucun secours à attendre, rendirent leur ville au roi de France qui y mit une garnison. Le roi de France, ignorant la mort du roi Pierre, et attaqué de maladie, licencia une partie de sa flotte, et se retira vers Narbonne, à cause de l'approche de l'hiver. Les Aragonais ayant appris son départ, tuèrent un grand nombre de Français, et enlevèrent les vaisseaux qui étaient restés dans le port de Roses. Peu de temps après, assiégeant la ville de Gironne, ils forcèrent à se rendre les Français laissés pour la défendre. Le roi de France, qui était parti malade, étant arrivé à Perpignan, mourut en cette ville. Sa chair et ses entrailles furent ensevelis à Narbonne dans la grande église, et ses os, ainsi que son cœur, furent portés à Saint-Denis en France. Mais, avant qu'on ne les eût enterrés dans ce monastère, il s'éleva au sujet du cœur une grande dissension entre les moines dudit lieu et les frères Prêcheurs qui demeuraient à Paris; car lesdits frères voulaient, malgré les moines, obtenir ce cœur pour l'ensevelir à Paris dans leur église, parce que le jeune roi Philippe, héritier du trône, en avait fait la promesse à un certain frère de l'ordre des Jacobins. Mais enfin, le roi de France, ému par les instances des frères, et regardant comme honteux de se dédire, fit, contre les conseils de beaucoup de gens, ensevelir le cœur à Paris, dans l'église des frères Prêcheurs. Dans la suite, plusieurs docteurs en théologie décidèrent que le roi ni les moines n'avaient pu faire une telle concession, ni les frères en profiter, sans la permission du souverain pontife. Philippe, succédant au trône de son père, fut, le jour de la fête de l'Epiphanie, couronné roi de France avec sa femme, dans l'église de Rheims. Le feu roi Philippe laissait deux fils, Charles, comte de Valois, et ledit Philippe, roi de France, du lit de sa première femme la reine Isabelle; et trois autres enfants, à savoir: Louis, comte d'Evreux; Marguerite, reine d'Angleterre; et Blanche, duchesse d'Autriche, du lit de Marie de Brabant sa seconde femme. [5,1286] Alphonse, fils de Pierre roi d'Aragon, succéda au trône de son père et Jacques son frère, avec sa mère Constance, s'étant, malgré la défense et les ordres de l'Eglise romaine, emparé de la Sicile, s'en fit couronner roi. Le pape Honoré confirma par une bulle semblable et avec la même rigueur, contre Alphonse et Jacques, fils de Pierre, roi d'Aragon, et contre Constance, leur mère, la sentence portée contre ledit Pierre roi d'Aragon, par son prédécesseur Martin pontife de Rome. Edouard, roi d'Angleterre, appelé en France, fit hommage au roi de France pour le duché d'Aquitaine et tous les autres domaines qu'il possédait dans le royaume du roi de France. De là, s'étant rendu à Bordeaux, ville métropolitaine du pays de Gascogne, il y tint, le jour de la Nativité du Seigneur, un grand parlement. Ayant en cette ville reçu plusieurs envoyés du royaume d'Aragon, de Sicile et d'Espagne, on craignit qu'il ne méditât quelque entreprise contre le royaume et le roi de France. Cependant il s'efforça auprès d'Alphonse, roi d'Aragon, de faire délivrer le prince de Salerne son parent, pris par les Siciliens, que ledit Alphonse retenait en prison. Au mois de septembre, mourut Matthieu, abbé de Saint-Denis en France, conseiller principal du royaume de France. Il avait fait achever le monastère de sa maison, commencé depuis longtemps, et dont les merveilleux et somptueux travaux avaient été laissés presque à moitié. Il avait fait aussi réparer par de nouveaux murs et de belles constructions, et avait enrichi par une grande augmentation de revenus son abbaye, dont il avait trouvé les affaires et les bâtiments dans le dernier délabrement. Dans la suite, plusieurs moines de ce monastère, imbus de sa doctrine et de sa haute dévotion, furent établis abbés dans différents couvents. Le samedi, veille de Pâques, le pape Honoré étant mort, Nicolas IV, cent quatre-vingt-quinzième pape, gouverna l'Eglise de Rome. [5,1287] Le roi de Chypre se fit, au préjudice du roi de Sicile, couronner roi de Jérusalem à Acre, ville de Syrie. Comme les Templiers et les Hospitaliers l'avaient permis, le roi de Sicile s'empara des biens et des possessions qu'ils avaient dans la Pouille et le royaume de Sicile. Alphonse, roi d'Aragon, déclara la guerre à son oncle le roi de Majorque, qui l'avait offensé en embrassant le parti de l'Eglise, et s'empara de quelques terres qu'il possédait dans son royaume. Les Grecs, se séparant de l'unité de l'Eglise romaine, se créèrent, dit-on, un pape et des cardinaux. Robert, comte d'Artois, défenseur du royaume de Sicile, se préparant à la guerre contre les Siciliens, envoya le chevalier Gui de Montfort rassembler des vaisseaux à Venise et par toute la Toscane. Vers la Nativité du Seigneur, des envoyés d'Aragon et de Sicile étant venus à la cour de Rome dans le consistoire, en présence du pape et des cardinaux, tinrent beaucoup de discours faux et frivoles, qui furent accueillis par quelques-uns avec une haute faveur. D'abord les Aragonais excusaient leur roi Alphonse sur ce qu'il n'avait pas, après la mort de son père, envoyé des députés à la cour de Rome, en disant que ces députés n'avaient pu s'y rendre à cause des guerres dont le royaume était alors menacé. En second lieu, ils soutenaient l'innocence de leur maître, comme n'ayant participé en rien aux actions de son père. Troisièmement, ils disaient qu'il avait été, longtemps avant la mort de son père, en possession du royaume dont il demandait qu'on le laissât tranquillement continuer de jouir, et sur lequel il desirait que le pape ne permît pas que certaines gens l'inquiétassent injustement. Quatrièmement, il s'offrait à servir l'Eglise romaine, assurant qu'il s'appliquerait à imiter ceux de ses prédécesseurs qui avaient obéi avec soumission à ladite Eglise. Le pape dit qu'il ne mettait pas d'importance au premier point. Il répondit ainsi sur le second: «Il nous plairait beaucoup que le roi Alphonse fut innocent, mais il nous prouve le contraire, en ne cessant d'envoyer des troupes dans notre terre de Sicile, en rébellion contre nous et le roi de Sicile. En outre, il ne veut nullement permettre qu'on observe notre interdit dans la terre d'Aragon, et s'est emparé de la terre et des domaines de son oncle le roi de Majorque, défenseur de l'Eglise. De plus, il retient prisonnier Charles, prince de Salerne, qui est innocent; tant qu'il le retiendra, il ne trouvera jamais auprès de nous ni grâce ni faveur. Et quoiqu'il soit en possession du royaume d'Aragon, nous déclarons cependant qu'il n'a aucun droit sur ce royaume, qui appartient par le don de l'Eglise à Charles frère du roi de France. Que si cependant il veut lui-même discuter ses droits en notre présence, nous sommes prêts, s'il vient, à l'entendre et à lui rendre une justice complète.» Ensuite vinrent deux frères Mineurs, envoyés par les Siciliens, qui exposèrent comment ils avaient longtemps été opprimés par les Français, disant que, ne pouvant plus les supporter, ils avaient eu l'intention de les expulser légalement de leur terre, lorsque quelques hommes méchants leur avaient subitement couru sus avec une grande cruauté, ce qui avait déplu aux gens de bien. Ils excusaient de sa malice Constance, mère de Jacques, qui s'était emparée de la Sicile, disant qu'elle était venue en Sicile à cause de l'obéissance que doit une femme à son mari; et demandaient que le pontife romain confirmât l'élection de Jacques, son fils, que les Siciliens avaient choisi pour roi. Ayant entendu ces discours et beaucoup d'autres aussi frivoles, le pape ordonna aux envoyés de se retirer, leur disant de se charger à l'avenir de négociations plus sensées et meilleures. [5,1288] Un grand nombre de galères étant venues de tous les côtés se rassembler à Naples vers l'Ascension du Seigneur pour faire la guerre aux Siciliens, un certain chevalier, nommé Renauld d'Avellino, se mit en mer avec plusieurs galères armées, par le conseil et l'ordre du comte d'Artois, et s'empara facilement de Catane, ville de Sicile. Il y mit une garnison de ses gens, et fit retourner vides à Naples ses vaisseaux, sur lesquels plusieurs autres chevaliers devaient, selon leur promesse et convention, venir promptement à son secours. Tandis que ceux-ci se préparaient en effet à venir, les Siciliens assiégèrent ledit chevalier, qui, après une longue et vigoureuse résistance, fut enfin forcé de se rendre avec les siens, vie et bagues sauves. Gui de Montfort, comte de Brienne; Philippe, fils de Gui, comte de Flandre, et plusieurs autres hommes de guerre du royaume de France, venant à son secours, furent vaincus et pris dans un combat naval par Roger de Loria, amiral des Siciliens, et renfermés dans différentes prisons. Presque tous s'étant dans la suite rachetés par argent, Gui de Montfort seul, n'ayant pu se racheter par les prières ou offres qu'on fit en sa faveur, périt dans sa prison, où il demeura, dit-on, par les intrigues d'Edouard roi d'Angleterre. Jean, duc de Brabant, et le comte de Luxembourg, ayant rassemblé chacun une grande armée près de Liége, se livrèrent bataille au sujet du comté de Luxembourg. On combattit de part et d'autre avec un grand acharnement; le comte de Luxembourg fut tué avec ses trois fils; et l'archevêque de Cologne, ainsi que beaucoup d'autres qui étaient venus à son secours contre le duc, furent pris, et demeurèrent prisonniers du duc, à qui resta la victoire. Vers la Purification de la sainte Vierge, mère du Seigneur, Charles, prince de Salerne, fut délivré de la prison du roi des Aragonais, à condition qu'il lui remettrait une forte somme d'argent, et s'entremettrait, selon son pouvoir, pour faire obtenir aux Aragonais la paix avec l'Eglise romaine et le roi de France; que s'il ne pouvait y parvenir, il retournerait à sa prison dans l'espace de trois ans, conformément au serment qu'on l'obligea de prêter; et jusqu'à l'accomplissement de toutes ces conditions, il fut forcé de livrer en otage trois de ses fils et quarante nobles. Tripoli, ville du pays d'outre-mer, fut prise par le soudan de Babylone. Beaucoup de milliers de Chrétiens y furent tués, et les autres faits prisonniers. Les habitants d'Acre, effrayés par la prise de Tripoli, demandèrent aussitôt, et obtinrent du soudan une trève de deux ans. [5,1289] Quinze cents hommes stipendiés, envoyés à Acre par le pape Nicolas, pour le secours de la Terre-Sainte, sortirent d'Acre armés, malgré la volonté des Templiers et des Hospitaliers, et, rompant la trève conclue avec le soudan, firent une incursion sur les habitants et les villes des Sarrasins, et tuèrent sans miséricorde et sans distinction de sexe tout ce qu'ils rencontrèrent de Sarrasins, qui se croyaient en sûreté et en paix, à cause de la trève. Charles, prince de Salerne, délivré de prison, vint à Rome, où il fut le jour de la Pentecôte couronné roi de Sicile par le pape Nicolas et absous du serment qu'il avait fait au roi des Aragonais. Jacques, usurpateur de la Sicile, entra avec une grande armée sur le territoire de la Calabre, et assiégea la ville de Gaëte. Le roi Charles quitta promptement Rome pour venir à sa rencontre, et délivra aussitôt les assiégés; car comme on se préparait au combat de part et d'autre, survint un chevalier du roi d'Angleterre, qui, par l'intervention de son maître, fit conclure entre eux une trève de deux ans. Le soudan de Babylone, ayant appris la manière dont les Chrétiens avaient traité les siens aux environs d'Acre, manda aussitôt aux habitants de cette ville que, s'ils ne lui livraient ceux qui avaient fait périr les siens dans le cours de l'année, il exterminerait et ruinerait leur ville, comme il avait fait de Tripoli. Les gens d'Acre, n'ayant pu satisfaire à sa demande, l'irritèrent et offensèrent gravement. Louis, fils aîné de Philippe, roi de France, fut mis au monde par la reine Jeanne, le 4 d'octobre. [5,1290] Comme le terme où il avait menacé d'attaquer les gens d'Acre approchait, le soudan de Babylone sortit de cette ville, et marcha vers Acre avec une innombrable multitude d'Infidèles. Mais comme il était déjà à moitié chemin. il fut attaqué d'une grave maladie, et, couché sur son lit de mort, il n'oublia pas d'envoyer à Acre sept émirs, dont chacun commandait quatre mille cavaliers et vingt mille hommes de pied armés. Ces émirs abordèrent à Acre vers le milieu du mois de mars, et tourmentèrent la ville par différents assauts jusqu'à la moitié du mois suivant; mais ils ne firent rien qui soit digne de mémoire. Cependant le soudan, voyant que sa mort était proche, appela ses amis et les émirs de toute l'armée, fit élever en sa place, au gouvernement et à la dignité souveraine de soudan, son fils, présent à ses derniers moments, et peu de temps après il expira. Le nouveau soudan, après les obsèques de son père, se mit en marche vers Acre avec une armée innombrable, et, s'en étant approché, campa à la distance d'un mille de la ville; et les machines et autres instruments de guerre ayant été préparés et dressés contre la ville, les Sarrasins assiégèrent les Chrétiens pendant dix jours consécutifs, depuis le 4 du mois de mai, et, lançant à la main de grosses pierres dans la ville, ils y firent beaucoup de dégât, et ne laissèrent pas aux citoyens un instant de repos; c'est pourquoi les habitants effrayés firent transporter à Chypre par des vaisseau les vieillards, les malades, les femmes, les enfants et tous ceux qui ne pouvaient servir à la défense, avec les trésors, les marchandises et les saintes reliques. Beaucoup de chevaliers et d'hommes de pied, voyant que des discordes s'élevaient entre les citoyens, se retirèrent également avec tous leurs biens; en sorte qu'il ne resta à Acre que douze mille hommes environ, cinq cents chevaliers, et le reste en hommes de pied, tous vaillants hommes de guerre. Le 15 du mois de mai, les perfides Sarrasins assaillirent si vigoureusement les gardes des remparts, que la garde du roi de Chypre fut sur le point de céder, et que, sans le secours de l'épaisse obscurité de la nuit et de quelques gardes qui vinrent d'un autre côté et arrêtèrent l'impétuosité des ennemis, ceux-ci fussent entrés dans la ville. La nuit suivante, le roi de Chypre, ayant remis à un commandant des troupes allemandes la défense du lieu qu'il était chargé de garder, disant qu'il viendrait la reprendre le lendemain matin, s'enfuit honteusement par mer pendant cette nuit avec tous les siens et près de trois mille autres hommes d'armes. Le lendemain, les Sarrasins étant venus pour combattre, et voyant peu de défenseurs sur les remparts confiés à la garde du roi de Chypre, accoururent de toutes parts vers cet endroit, comblèrent le fossé de morceaux de bois et plusieurs autres choses, et percèrent aussitôt le mur. Se précipitant impétueusement dans l'intérieur, ils repoussèrent vigoureusement les Chrétiens presque jusqu'à la moitié de la ville, non sans un grand carnage de part et d'autre. Vers le soir de ce jour, et le jour suivant, ils furent repoussés de la ville par le maréchal et maître des chevaliers de l'Hôpital. Mais le troisième jour, les Sarrasins, accourant de toutes parts au combat, entrèrent par la porte de Saint-Antoine, en vinrent aux mains avec les Templiers et les Hospitaliers, et les défirent entièrement. Enfin, s'emparant de la ville, ils la détruisirent de fond en comble; remparts, tours, maisons, églises, tout fut démoli. Le patriarche et le grand maître de l'Hôpital, blessés à mort, furent entraînés par les leurs dans un dromon et périrent sur mer. Ainsi, en punition de nos péchés, Acre, seul asile de la chrétienté dans ce pays, fut détruite par les ennemis de la foi, faute d'un seul roi, parmi les Chrétiens, qui lui portât secours dans sa détresse. Charles, comte de Valois, frère du roi de France Philippe, cédant aux prières de Charles, roi de Sicile, lui abandonna ses droits sur les royaumes d'Aragon et de Valence, et, le lendemain de la fête de l'Assomption de la sainte Vierge Marie, épousa à Corbeil une de ses filles. Le roi de Sicile avait donné audit Charles les comtés d'Anjou et du Maine pour l'engager à conclure ce mariage et à lui céder ses droits sur lesdits royaumes. [5,1291] Les gens d'un château appelé Valenciennes, situé dans le pays de Flandre et de Hainaut, se soulevèrent contre Jean, comte de Hainaut, leur seigneur, qui les opprimait avec une excessive injustice. S'étant longtemps maintenus contre ledit comte, ils chassèrent honteusement ses gens de leur ville, et appelèrent à leur défense, pour être leur comte, Guillaume, fils du comte de Flandre. Rodolphe, roi des Romains, étant mort, Adolphe, comte de Nassau, homme peu riche, mais vaillant à la guerre, fut pacifiquement élu et couronné roi. Le pape Nicolas ayant appris la ruine d'Acre, ville du pays d'outre-mer, consulta par lettres les prélats du royaume de France, pour qu'ils lui fissent voir ce qu'il y avait de plus utile à faire pour secourir et recouvrer la Terre-Sainte, et les pria humblement d'inviter à lui porter secours le roi de France, les barons, les chevaliers, le clergé et le commun du peuple du royaume. Les prélats, accueillant avec le plus grand zèle ses ordres et ses prières, chaque métropolitain rassembla dans son diocèse les évêques, les abbés et prieurs, et les sages du clergé. Des conciles furent tenus de tous côtés. Les prélats mandèrent au pape ce qu'ils avaient fait, et lui conseillèrent de commencer par ramener à la paix et à la concorde les princes et barons de toute la chrétienté divisés entre eux, et surtout d'apaiser les Grecs, les Siciliens et les Aragonais. Ils promirent qu'après cette pacification, si le souverain pontife y consentait, ou le jugeait nécessaire, la croisade serait par son autorité prêchée par tout l'empire de la chrétienté. Jean, duc de Brabant, s'étant réconcilié avec le fils du comte de Luxembourg, dont il avait tué le père dans un combat, lui donna sa fille en mariage, pour comfirmer leur amitié. Jeanne, comtesse de Blois, étant morte, ses parents, Hugues, comte de Saint-Paul, et ses frères, et Gautier, seigneur de Châtillon, se partagèrent sa succession. Hugues, abandonnant son comté de Saint-Paul à Gui son frère, devint comte de Blois. Le pape Nicolas étant mort, l'Eglise romaine fut privée de pontife pendant plus de deux ans. [5,1292] Edouard, roi d'Angleterre, mettant à exécution les projets d'iniquité qu'il avait conçus, dit-on, depuis longtemps, fit de grands préparatifs, sous le prétexte qu'il allait bientôt partir au secours de la Terre-Sainte. Ayant fait équiper des vaisseaux par ses hommes de Bayonne, ville de Gascogne, et beaucoup d'autres de son royaume, et fait faire d'immenses préparatifs de guerre, il fit méchamment attaquer par mer et par terre, dans la Normandie et autres pays, les gens et sujets du roi Philippe. Il en tua, prit et retint un nombre infini, détruisit la plupart de leurs vaisseaux, et emmena en Angleterre le reste, chargé de biens et de marchandises. Les hommes du roi d'Angleterre attaquèrent aussi traîtreusement une ville du roi de France, appelée La Rochelle. Livrant un grand nombre d'assauts, ils tuèrent quelques-uns de ses défenseurs, et lui firent éprouver beaucoup de dommages. Le roi de France en ayant été instruit, manda au roi d'Angleterre et à ses délégués dans la Gascogne qu'ils envoyassent dans sa prison, à Périgueux, un certain nombre desdits malfaiteurs, pour qu'il en fît ce que la raison conseillerait et ce qu'exigerait la justice. Mais ce messager fut rejeté avec mépris et orgueil; c'est pourquoi le roi de France fit saisir toute la Gascogne par le chevalier Raoul, connétable, seigneur de Nesle, comme lui appartenant en qualité de fief de son royaume, et fit citer à son parlement Edouard, roi d'Angleterre. Comme Jean, comte de Hainaut, opprimait les gens et sujets du roi de France qui habitaient auprès des limites de sa terre et les églises placées sous la protection dudit roi, et ne voulant point s'amender, malgré les prières ou les injonctions royales, Charles, comte de Valois, frère du roi, rassembla contre lui par l'ordre de Philippe une grande armée près du château de Saint-Quentin, dans le Vermandois. Comme il était sur le point de l'attaquer en propre personne, Jean, comte de Hainaut, redoutant le pouvoir du roi de France, se rendit sans armes auprès de Charles, alla humblement à Paris avec lui vers le roi Philippe, et répara, selon le bon plaisir du roi, les méfaits qu'il commettait depuis longtemps envers lui et ses sujets. Le bas peuple de Rouen se révolta, à cause des exactions appelées maltôte dont il était accablé, contre les maîtres de l'échiquier, serviteurs du roi de France. Les séditieux, détruisant la maison du collecteur, semèrent par les places les deniers du fisc, et assiégèrent dans le château de la ville les maîtres de l'échiquier. Ce soulèvement ayant ensuite été apaisé par le maire et les plus riches hommes de la ville, la plupart des mutins furent pendus, et beaucoup furent renfermés dans des prisons du roi de France. Gilles Cornu, archevêque de Sens, mourut, et eut pour successeur Etienne, doyen de la même église. [5,1293] Le comte d'Armagnac fut forcé de se battre en duel à Gisors, vers la Pentecôte, en présence du roi de France et de ses barons, contre Raimond Bernard, comte de Foix, qu'il avait appelé traître. Mais, à la prière de Robert, comte d'Artois, le roi prit sur lui leur affaire, et les fit retirer du combat qu'ils avaient déjà commencé. Edouard, roi d'Angleterre, cité plusieurs fois et solennellement à la cour du roi de France, au sujet des outrages et méfaits que ses gens avaient commis envers les sujets du roi de France, en Normandie et autres pays, dédaigna d'y comparaître. Son esprit artificieux conçut, pour combler ses iniquités, un dessein plus perfide; car il manda, dit-on, au roi de France qu'il lui abandonnait tout ce qu'il tenait en fief de lui, pensant qu'il le reconquerrait avec beaucoup d'autres terres par la force des armes, et le posséderait à l'avenir sans être tenu à aucun hommage envers personne. Au mois de juillet, Noyon, ville de France, fut entièrement consumée par le feu, à l'exception des abbayes de Saint-Gilles et de Saint-Barthélemy. Guillaume, évêque d'Auxerre, mourut, et eut pour successeur Pierre, évêque d'Orléans, auquel succéda dans l'église de cette ville Ferric, fils du duc de Lorraine, qui avait été élu en opposition avec lui à l'évêché d'Auxerre. Henri d'Espagne, que les rois de Sicile avaient retenu prisonnier pendant l'espace de vingt-six ans, s'échappa de prison, et se retira auprès de son neveu Sanche, roi d'Espagne. [5,1294] A Bar, château de Lorraine, Jean, duc de Brabant, invité aux noces d'une fille du roi d'Angleterre, fut tué dans un tournois par un chevalier. Après être restée vacante pendant deux ans, trois mois et deux jours, l'Eglise romaine fut gouvernée par Célestin V, cent quatre-vingt-seizième pape. Il était né dans la Pouille, et appelé auparavant frère Pierre de Moron; il avait été moine et père d'un petit couvent par lui fondé, et appelé Saint-Benoît-des-Monts, et avait vécu en ermite à Sulmone dans les Abruzzes. C'était un homme d'une grande humilité, de sainte condition et de glorieuse renommée. Agé, à ce que l'on croit, de plus de soixante-douze ans, il était cependant robuste et bien portant de corps, médiocrement lettré, suffisant en sagesse, et de quelque expérience. Les cardinaux paraissaient obstinés et affermis dans leur discorde sur l'élection d'un pape. Ils s'étaient rassemblés, mais non pour traiter de ladite élection, et n'avaient jamais entendu proposer pour être élu ledit Pierre, lorsqu'un cardinal dit par hasard quelque chose dans le commun consistoire de sa renommée et de sa sainteté. Inspirés, comme l'on croit, de Dieu, ils l'élurent souverain pontife par un choix unanime, et avec une grande effusion de larmes. Edouard, roi d'Angleterre, déclarant ouvertement et vigoureusement la guerre au roi de France, envoya vers la Gascogne une très forte flotte munie de ses gens, qui ravagea et consuma en entier par le feu une île appelée l'île de Rhé, du côté de La Rochelle, dans le Poitou, qui tenait pour le roi de France. De là les Anglais faisant voile vers Bordeaux, s'emparèrent du château de Blaye et de trois villages ou villes situés sur les bords de la mer, tuèrent traîtreusement plusieurs Gascons, et chassèrent honteusement les gens de Philippe. Ils s'approchèrent de Bordeaux; mais n'ayant pu faire aucune tentative contre cette ville à cause de Raoul de Nesle, connétable de France, qui la défendait, ils se dirigèrent promptement vers Bayonne. La trahison des citoyens leur ayant aussitôt livré cette ville, ils assiégèrent longtemps les Français dans le château, et enfin les en chassèrent. Le pape Célestin augmenta de douze le nombre des cardinaux, et confirma une décrétale sur l'élection des souverains pontifes, laissée en suspens par le pape Nicolas son prédécesseur Le comte d'Acerra, dans la Pouille, à qui Charles, roi de Sicile, avait confié la garde de son comté de Provence, ayant été trouvé et convaincu exécrable sodomite, et traître envers son seigneur, fut, par l'ordre du roi lui-même, traversé d'un dard de fer brûlant, depuis le fondement jusqu'à la bouche, et ensuite livré aux flammes. Il avoua au milieu de ce supplice qu'il avait traîtreusement détourné du siége de Messine, feu Charles, roi de Sicile, et que se laissant prendre ensuite avec Charles, prince de Salerne, fils dudit roi, il avait fait échouer les projets des Siciliens qui voulaient revêtir de la dignité royale le prince prisonnier et expulser les Aragonnais de leur terre. Vers la fête de l'Avent du Seigneur, le pape Célestin, conduit par je ne sais quel motif, déposa en plein consistoire, en présence de tous, l'anneau, la mitre et les sandales, et résigna entièrement tout office et bénéfice papal. Après lui, Boniface VIII, né dans la Campanie, cent quatre-vingt-dix-septième pape, gouverna l'Eglise de Rome. Il ne laissa pas Célestin, pape naguère, s'en retourner vers le lieu d'où il avait été tiré, mais il le fit garder avec honneur dans un lieu très sûr par une garde attentive. Raoul de Grandville, frère de l'ordre des Prêcheurs, qni par l'ordre du pape Célestin avait été consacré à Paris patriarche de Jérusalem, vint à Rome, et fut dégradé par le pape Boniface. Adolphe, roi des Romains, s'étant, à prix d'argent, ligué avec Edouard, roi d'Angleterre, contre le roi de France, fit déclarer la guerre de sa part audit roi de France, après l'octave de la Nativité du Seigneur; mais ses alliés l'ayant abandonné, il ne put accomplir ce qu'il desirait. Gui, comte de Flandre, s'étant secrètement allié au roi d'Angleterre contre son seigneur le roi de France, comme il était venu à Paris avec une de ses filles qu'il voulait envoyer en Angleterre pour épouser le roi de ce pays, fut, par l'ordre du roi de France, retenu et gardé avec elle; mais ensuite le comte fut, peu de temps après, remis en liberté, et sa fille resta pour être élevée avec les enfants du roi. Charles, comte de Valois, frère de Philippe roi de France, envoyé avec une grande armée à La Réole, château très fortifié dont les Anglais avaient été mis en possession par la trahison des Gascons, en forma le siége. Dans ce château étaient renfermés Jean de Saint-Jean, Jean de Bretagne, et d'autres vaillants hommes de guerre du parti d'Edouard roi d'Angleterre. [5,1295] Raoul, seigneur de Nesle, connétable de France, qui venait de Bordeaux vers La Réole au secours de Charles, frère du roi de France, reçut à composition, le jour de la Résurrection du Seigneur, une certaine forteresse appelée Pondency, située sur son chemin et qu'il avait assiégée huit jours, laissant la vie sauve aux Anglais qui la défendaient avec les Gascons. Ayant renvoyé les Anglais, il amena vers Charles à La Réole soixante Gascons qu'il fit, le jeudi de Pâques, attacher à des gibets devant les portes de La Réole. A la vue de ce spectacle, et à la nouvelle que les Anglais avaient trahi ces Gascons à Pondency, les gens du château de La Réole furent saisis d'une terrible indignation contre les gens du roi d'Angleterre qui étaient avec eux; c'est pourquoi Jean de Saint-Jean et Jean de Bretagne s'enfuirent, pendant la nuit, de la ville avec les autres Anglais vers les rivages de l'Océan, et, montant sur leurs vaisseaux, s'échappèrent à grand' peine. Un grand nombre d'entre eux, poursuivis par les Gascons, furent tués avant d'avoir atteint les vaisseaux. Le matin du vendredi suivant les Français, s'apercevant que pendant cette nuit la discorde avait régné dans la ville, livrèrent l'assaut, et, n'ayant éprouvé de résistance que de la part d'un petit nombre, pénétrèrent aussitôt dans le château, prirent et tuèrent beaucoup de Gascons, et soumirent la ville et le château à la domination du roi de France. Simon, évêque de Préneste, et Bérard, évêque d'Albano, cardinaux de l'Eglise romaine, envoyés en France par le pape Boniface pour rétablir la paix entre le roi de France et le roi d'Angleterre, arrivèrent au mois de mai à Paris. Après la prise du château de La Réole, Charles, comte de Valois, assiégea la ville de Saint-Sever, et après l'avoir fatiguée d'assauts durant tout l'été, la força enfin de se rendre; mais ensuite, lorsqu'il fut retourné en France, ces perfides habitants reprenant l'esprit de rebellion, manquèrent à la foi qu'ils avaient promise au roi de France. Sanche, roi de Castille, mourut, et Henri, son oncle, dont nous avons rapporté ci-dessus l'évasion de la prison du roi de Sicile, garda sous sa tutelle et protection deux enfants en bas âge, qu'il avait eus d'une nonne liée à lui par le mariage. Après la nomination de Simon de Beaulieu à l'évêché de Préneste, frère Gilles Augustin fut créé par le pape Boniface archevêque de Bourges. De l'ordre des ermites de Saint-Augustin il fut élevé au pontificat, et composa beaucoup de livres sur le sujet des saintes Ecritures et de la philosophie. Une grande flotte du roi de France étant débarquée à Douvres, port d'Angleterre, enleva et brûla tout ce qu'elle trouva hors des murs; et tandis qu'une si grande armée aurait pu facilement s'emparer de toute l'Angleterre, empêchée par l'autorité de Matthieu de Montmorency et de Jean de Harcourt, elle fut forcée de s'en revenir sans avoir rien fait. Marguerite, reine de France, femme du très saint roi de France Louis, mourut à Paris, et fut ensevelie avec honneur auprès du très saint roi Louis son mari, dans l'église de Saint-Denis en France. Avant sa mort elle avait établi et fondé à Paris, près de Saint-Marceau, un monastère de sœurs Mineures, où elle avait longtemps vécu en grande pureté. Alphonse, roi d'Aragon, étant mort, Jacques son frère, usurpateur du royaume de Sicile, se transporta en Aragon et fut élevé à la dignité royale. Ayant fait la paix avec Charles, roi de Sicile, il lui donna en mariage une de ses filles, et mit en liberté les otages que feu le roi Alphonse, son frère, avait reçus dudit roi de Sicile; l'autre frère d'Alphonse, Frédéric, posséda après lui la Sicile. [5,1296] Le pape Célestin, déposé, termina son dernier jour. Les Ecossais ayant fait alliance avec le roi de France, entrèrent dans le royaume d'Angleterre, qu'ils ravagèrent; mais comme ils revenaient de cette expédition, Jean, leur roi, trahi par quelques-uns, fut pris et envoyé au roi d'Angleterre; Pierre et Jacques de Colonne, cardinaux de l'Eglise romaine, qui affirmaient que la déposition du pape Célestin avait été injuste, ainsi que l'élévation de Boniface, s'efforçant par là de troubler l'Eglise romaine par un schisme, furent déclarés par le pape Boniface déchus de leur dignité de cardinaux et privés de tous leurs biens et bénéfices ecclésiastiques. Alphonse et Fernand, fils de Blanche, fille de saint Louis roi de France, et de feu Fernand, fils aîné du roi de Castille, qui avaient été dépouillés totalement par Alphonse, leur aïeul, de leurs droits légitimes sur la souveraineté et dignité royale, et vivaient en exil dans le royaume de France, ayant appris la mort du roi Sanche leur oncle, marchèrent à grandes journées vers l'Espagne, et, concluant un traité avec Jacques, roi d'Aragon, soutenu par le secours de son frère et de son fils Jean Nuñez, baron d'Espagne, soumirent totalement à leur pouvoir le royaume de Léon. Alphonse, l'aîné des frères, conféra et donna aussitôt ce royaume, pour être tenu de lui en fief, à Jean, son oncle, qui était venu à leur secours, et par là attira admirablement à lui les cœurs de sa nation. Une exaction extraordinaire, appelée "maltôte", fut, à cause de la guerre qui régnait entre les rois de France et d'Angleterre, levée dans le royaume de France; elle ne fut d'abord imposée que sur les marchands; mais ensuite on exigea la centième, puis la cinquantième partie des biens de tous, tant clercs que laïcs; c'est pourquoi le pape Boniface rendit un décret portant que si les rois ou princes, ou barons de toute la chrétienté, exerçaient à l'avenir de telles exactions sur les prélats, les abbés et le clergé sans consulter l'Eglise de Rome, ou si les évêques, les abbés et le clergé consentaient à les recevoir, ils encourraient par ce fait une sentence d'excommunication dont ils ne pourraient être absous par personne, si ce n'est à l'article de la mort, excepté par le pontife romain, ou par un ordre spécial de lui. La ville de Pamiers fut dans ce temps déclarée indépendante de l'évêché de Toulouse, et obtint du pape Boniface un évêque particulier; mais aussitôt Louis, fils du roi de Sicile, frère Mineur, obtint entièrement du pape Boniface les deux évêchés. Edmond, frère du roi d'Angleterre, envoyé en Gascogne contre les gens du roi de France, mourut à Bayonne. Après sa mort, comme les gens du roi d'Angleterre se préparaient à munir de vivres les villes et châteaux qui tenaient pour leur parti, Robert, comte d'Artois, vaillant chevalier arrivé peu de temps auparavant dans ce pays, fut instruit de ce projet par ses espions, et le prévint aussitôt, car il défit tellement leur armée, composée de sept cents chevaliers et de cinq mille hommes de pied, et mit si bien en fuite les Gascons et les seigneurs anglais, qu'il en tua cinq cents, et en fit prisonniers à peu près cent. Dans ce combat furent pris, avec d'autres nobles anglais, et envoyés en France, Jean de Saint-Jean et le jeune Guillaume de Mortemar; le comte de Lincoln et Jean de Bretagne, fuyant du champ de bataille, perdirent entièrement la troupe qu'ils conduisaient, avec toutes ses machines de guerre; et sans la nuit, qui mit fin au combat, et le voisinage des bois, il ne se serait échappé personne d'une si grande multitude. Les ennemis du roi de France ayant été battus en Gascogne, il n'y eut plus personne ensuite qui osât faire la guerre au comte d'Artois ou aux Français. Florent, comte de Hollande, et peu de temps après son fils unique, furent tués en trahison par un certain chevalier. Jean, comte de Hainaut, vengea leur mort, et obtint par droit de parenté la Frise et la Hollande. Gui, comte de Flandre, trompé, dit-on, par son fils Robert, se prépara à se soulever ouvertement contre son seigneur Philippe, roi de France, et lui manda par lettres à Paris qu'il ne reconnaissait tenir rien de lui en fief ni d'aucune autre manière. Au mois de décembre à Paris, la veille de saint Thomas l'apôtre, le fleuve de la Seine s'accrut tellement qu'on ne se souvient pas, et qu'on ne trouve écrit nulle part, qu'il y eût jamais eu à Paris une si forte inondation, car toute la ville fut remplie et entourée d'eau; en sorte qu'on ne pouvait y entrer d'aucun côté, ni passer dans presque aucune rue sans le secours d'un bateau. La masse des eaux et la rapidité du fleuve firent crouler entièrement deux ponts de pierre, des moulins et les maisons bâties dessus, et le Châtelet du Petit-Pont. Il fallut pendant près de huit jours fournir les habitants de vivres apportés du dehors au moyen de barques et de bateaux. [5,1297] Alphonse et Fernand, combattant vaillamment en Espagne, imprimèrent à tous la terreur de leur nom et de leur approche. Don Juan, leur oncle, s'étant rendu vers eux, augmenta beaucoup leurs forces, car il leur fit rendre un grand nombre de châteaux et de villes. Don Juan s'étant précipité témérairement sur les ennemis, et ayant été pris, l'illustre Alphonse, son neveu, ne put le ravoir autrement qu'en rendant toutes ses conquêtes; c'est pourquoi, entraîné par l'extrême générosité de son cœur, il rendit tout pour lui, s'estimant plus riche de la possession de ses amis que de celle d'une opulence périssable. Se montrant bientôt ingrat pour un si grand bienfait, son oncle se joignit aux ennemis, auxquels il rendit le royaume de Léon, qu'il avait reçu du don de son neveu. Ayant donc tout perdu, Alphonse, au dessus de l'adversité par la magnanimité de son âme, se rappela sa haute origine, car il descendait des rois de France, et ne sachant où se diriger, malgré l'avis des siens qui lui conseillaient de retourner en France ou en Aragon, il alla camper devant une certaine ville, aimant mieux mourir pour la défense de ses droits et la cause de la justice, que de revenir sans gloire et sans honneur. Le seigneur de ce château, témoin de son habileté et ému d'affection, l'introduisit avec ses gens dans la ville; et dans la suite, par son secours, Alphonse causa beaucoup de dommages à ses ennemis. Pendant ce temps, Fernand, son frère, allant demander du secours en France, livra combat aux ennemis, et ensuite se rendit de France à la cour de Rome; mais il rapporta peu d'avantages de ces deux voyages. Henri, comte de Bar, qui avait pris en mariage la fille d'Edouard roi d'Angleterre, entra en ennemi, avec une grande multitude d'hommes d'armes, dans le comté de Champagne, qui appartenait par droit de succession à Jeanne, reine des Français, tua un grand nombre d'hommes, et brûla une ville toute entière. Gautier de Crécy, seigneur de Châtillon, envoyé par le roi de France pour réprimer ses téméraires entreprises, et accompagné des Champenois, dévasta par le fer et le feu la terre du comte de Bar, et le forca ainsi de venir la défendre. Les cardinaux de Colonne, déposés, se rendirent à Nepi, ville de Toscane. Le pape, les condamnant comme schismatiques, et les déclarant excommuniés, envoya contre eux des croisés d'Italie avec une grande armée. Philippe, roi de France, ayant rassemblé une grande armée à Compiègne contre Gui, comte de Flandre, qui avait renoncé à la foi qu'il lui devait, fit chevalier en cette ville, à la fête de la Pentecôte, son frère Louis, comte d'Evreux, un autre Louis, fils aîné de Robert, comte de Clermont, et cent vingt autres. De là il marcha vers la Flandre, et, pénétrant sur cette terre malgré l'opposition des ennemis, assiégea, la veille de la fête de saint Jean-Baptiste, les habitants de Lille. Ayant détruit une abbaye de religieuses nommée Margate, les Français ravagèrent par le fer et la flamme tous les environs de Lille, jusqu'à la distance de quatre lieues. Gui, comte de Saint-Paul; Raoul, seigneur de Nesle, connétable de France; Gui, son frère, maréchal de l'armée, avec quelques autres, s'étant éloignés de l'armée de quatre lieues, livrèrent combat aux ennemis sur les bords de la rivière de la ville de Comines, en mirent plus de cinq cents en déroute, en tuèrent un grand nombre, et s'emparèrent de leurs tentes. Ils amenèrent prisonniers avec eux vers le roi de France beaucoup de stipendiés du roi d'Allemagne, d'hommes d'armes et des chevaliers de grand renom. Dans le même temps, le pape canonisa à Civita-Vecchia Louis, roi de France. Comme le roi de France était occupé au siége de Lille, Robert, comte d'Artois, abandonnant la défense de la Gascogne à des fidèles du roi des Français, se retira dans sa terre à Saint-Omer, et, appelant vers lui son fils Philippe, attaqua la Flandre de ce côté avec un grand nombre de nobles. Gui, comte de Flandre, envoya contre lui une grande multitude de chevaliers et d'hommes de pied armés, qui livrèrent combat au comte d'Artois, près d'un village appelé Furnes. On combattit âprement de part et d'autre; mais les Flamands, quoiqu'au nombre de six cents cavaliers et de seize mille hommes de pied, furent tués par les gens du comte, et beaucoup d'hommes d'armes et de chevaliers furent pris avec Guillaume de Juliers et Henri comte d'Aumont. Pendant qu'on les envoyait dans des chariots à Paris et ailleurs, et dans différentes prisons, ayant devant eux la bannière du comte d'Artois, au grand honneur et gloire de cet ancien chevalier, le comte d'Artois reçut la ville de Furnes à composition, et s'empara ensuite de Cassel et de toute cette vallée. Cependant les gens de Lille, fatigués par les assauts des troupes du roi de France, voyant les machines briser souvent les remparts, comme Robert, fils aîné du comte de Flandre, qui était avec eux dans la ville, n'osait pas faire une sortie contre les Français, se rendirent eux et leur ville au roi de France, à condition qu'on leur laisserait leurs biens et la vie. Robert, sortant de la ville avec un petit nombre de chevaliers, se retira promptement à Bruges où était son père. Edouard, roi d'Angleterre, était venu peu de temps auparavant dans cette ville avec peu de gens, trompé, dit-on, par le comte de Flandre, qui lui avait mandé pour certain qu'il ferait prisonniers à Bruges le comte d'Artois, et Charles, frère du roi de France, ou plutôt probablement pour secourir le comte de Flandre contre le roi de France. Le roi de France ayant appris l'arrivée du roi d'Angleterre, mit une garnison à Lille, et se dirigeant vers la ville de Courtrai, qui se rendit aussitôt à lui, se hâta ensuite d'aller assiéger Bruges. Mais pendant ce temps, le roi d'Angleterre et le comte de Flandre, quittant Bruges, se retirèrent promptement avec leurs troupes à Gand, à cause des fortifications de ce lieu. Les gens de Bruges effrayés vinrent faire leurs soumissions et humilités au roi de France, et se remirent eux et leur ville en son pouvoir. Dès que son armée eut pris un peu de repos; le roi marcha vers Gand, mais ayant reçu dans un certain village des envoyés du roi d'Angleterre qui demandaient une trève, il accorda, quoiqu'à grand'peine, au comte de Flandre une trève de deux ans, à cause de l'approche de l'hiver, et pour l'amour du roi de Sicile venu en France à ce sujet, et s'en retourna en France vers la fête de la Toussaint. L'armée du pape Boniface s'étant emparée de Nepi, ville de Toscane, en chassa les cardinaux Colonne, qui se rendirent à Colonna, où ils furent de nouveau assiégés. Les prélats du royaume de France s'étant rassemblés à Paris, le roi leur produisit une lettre dont le contenu était que le pape Boniface lui avait permis, à lui et à son prochain héritier, de percevoir la dixième partie des revenus des églises, toutes les fois qu'ils le croiraient nécessaire et le jugeraient à propos, d'après le témoignage de leur conscience; qu'en outre ledit pape lui avait accordé, pour aider aux dépenses de la guerre, tous les revenus, profits et échéances d'une année des prébendes, prieurés, archidiaconats, doyennés, bénéfices des églises, et autres dignités ecclésiastiques quelconques, devenus vacants pendant la durée de la guerre dans le royaume de France, à l'exception des évêchés, des archevêchés et des monastères et abbayes. Le pape Boniface lut, le 3 mai, en plein consistoire, en présence de tous les assistants, quelques nouveaux statuts, que, dans son zèle et ses soins pour l'état et les avantages de l'Eglise universelle, il avait fait compléter et rédiger par des hommes habiles dans le droit canon et le droit civil. Après plusieurs lectures, ils furent approuvés avec un grand empressement par les cardinaux, et le souverain pontife régla qu'on les ajouterait à la suite du cinquième livre des décrétales dont ils feraient le sixième livre. [5,1298] Le privilége de confesser, donné aux frères Prêcheurs et Mineurs, fut annulé par le pape Boniface, qui décréta que ceux qui se seraient confessés à un frère de l'un des deux ordres, se confesseraient de nouveau au prêtre de leur paroisse. Simon, évêque de Chartres, étant mort, Jean de Gallende, sous-doyen de l'église de Chartres, lui succéda. Albert duc d'Autriche tua dans un combat Adolphe roi des Romains, et fut ensuite, après sa mort, fait roi des Romains. L'armée du pape Boniface ayant détruit le château de Colonna, et ensuite Sagarolle, les Colonne se réfugièrent à Préneste. Assiégés de nouveau, la détresse où ils se trouvaient leur ouvrit l'esprit, en sorte qu'aux ides d'octobre ils se rendirent à Rieti, auprès du pape, et implorèrent humblement sa miséricorde plutôt que sa justice. Ils en furent reçus avec bienveillance et miséricorde, mais ne furent plus jamais rétablis dans leur ancien état. Louis, évêque de Toulouse, étant mort, Pamiers devint indépendant de Toulouse, et reçut un évêque particulier. Feu saint Louis, glorieux roi de France, qui, l'année précédente, avait été mis au rang des saints, fut, le lendemain de la fête de saint Barthélemy apôtre, vingt-huit ans après qu'il s'était endormi dans le Seigneur, sous les murs de Carthage, dans le royaume de Tunis, levé de terre avec de grands transports de joie, par Philippe roi de France, et les grands et prélats de tout le royaume, rassemblés à Saint-Denis en France. Les miracles opérés auparavant avaient prouvé quels mérites avait auprès de Dieu le glorieux confesseur du Seigneur, le saint roi Louis. Mais ce miracle fut bien plus particulièrement démontré dans les diverses parties du monde, après que son corps eut été levé de terre; car il augmenta tellement en vertu pour les guérisons, que personne ne lui demandait avec foi et confiance la santé ou son aide, qu'il ne vît aussitôt l'accomplissement de ses desirs. Le fils de Jean Nunès, illustre baron d'Espagne, qui peu de temps auparavant était venu en France demander du secours pour Alphonse et Ferrnand, entouré à son retour par ses ennemis, fut blessé et pris dans un combat, et renfermé dans une prison jusqu'à ce qu'il eût juré sur sa foi de ne plus désormais apporter de secours à Alphonse et à Fernand, ni adhérer davantage à leur parti. Philippe, fils unique de Robert comte d'Artois, mourut, et fut enseveli dans la maison des frères Prêcheurs à Paris. Il laissa deux fils et deux filles, qu'il avait eus de sa femme Blanche, fille de Jean, duc de Bretagne. Une de ses filles fut mariée dans la suite à Louis, comte d'Evreux, frère du roi de France, et l'autre à Gaston, fils de Raimond Bernard, comte de Foix. A la fête de saint André apôtre, il y eut à Rieti, ville d'Italie, où résidaient alors le pape et la cour de Rome, un si grand et si terrible tremblement de terre, que les murs et les maisons menaçant ruine, tous s'enfuirent hors de la ville dans les champs. Vers la fin de janvier, une comète apparut pendant plusieurs jours au crépuscule de la nuit. Robert, comte d'Artois, prit pour troisième femme la fille de Jean de Hainaut. [5,1299] Robert, duc de Calabre, fils du roi de Sicile, aborda en Sicile avec quelques vaisseaux armés, et s'empara de plusieurs châteaux, dans lesquels il mit aussitôt une garnison de ses gens. Son frère, le fameux Philippe, prince de Tarente, apprenant ces heureux succès, le suivit inconsidérément, et fut pris sur mer avec ses gens par les Siciliens. La paix ayant été conclue à certaines conditions entre Philippe, roi de France, et Edouard, roi d'Angleterre, celui-ci épousa à Cantorbéry Marguerite, sœur dudit roi de France, dont il eut un an après un fils, nommé Thomas. Cassaham, roi des Tartares, appelé aussi le Grand Chien, converti, dit-on, miraculeusement à la foi chrétienne avec une nombreuse multitude de ses sujets, par la fille du roi d'Arménie, chrétienne qu'il avait épousée, rassembla contre les Sarrasins une armée innombrable de laquelle il fit maréchal le roi d'Arménie, Chrétien, et leur livrant d'abord bataille à Alep, et ensuite à Camela, remporta la victoire, mais non sans un grand carnage des siens. Ensuite ayant réparé ses forces, il poursuivit les Sarrasins jusqu'à Damas, où le soudan avait rassemblé une grande armée, et leur livra un combat acharné dans lequel plus de cent mille Sarrasins furent tués. Le soudan échappé du combat se sauva à Babylone avec un petit nombre de gens. Ainsi, par la volonté de Dieu, les Sarrasins furent chassés du royaume de Syrie et de Jérusalem; cette terre fut soumise à la domination des Tartares, et au temps de Pâques suivant, dit-on, les Chrétiens célébrèrent dans Jérusalem l'office divin avec des transports de joie. Les Colonne, qui attendaient la miséricorde du pape Boniface, voyant qu'ils n'en avaient pas à espérer, s'enfuirent secrètement, et beaucoup de gens ignorèrent dans quels lieux ils se tinrent cachés jusqu'à la mort du pape. Albert roi des Romains et Philippe roi de France se réunirent à Vaucouleurs vers l'Avent du Seigneur, et confirmèrent mutuellement l'antique et naturelle alliance des deux royaumes. Il fut, dit-on, convenu, du consentement du roi Albert et des barons et prélats du royaume d'Allemagne, que le royaume de France, qui de ce côté ne s'étendait que jusqu'à la Meuse, porterait désormais jusqu'au Rhin les limites de sa domination. Dans cette même conférence, le roi de France accorda à Henri, comte de Bar, une trève d'un an seulement. Le terme de la trève conclue entre le roi de France et le comte de Flandre étant expiré, Charles, comte de Valois, fut envoyé par le roi en Flandre, après la Nativité du Seigneur, avec une grande armée. Douay et Béthune se rendirent aussitôt à lui, et se retirant ensuite à Bruges, il livra dans un port de mer, contre Robert fils du comte de Flandre, un combat opiniâtre. Beaucoup de gens ayant été blessés de part et d'autre, les Flamands s'éloignèrent du champ de bataille, et se retirèrent promptement à Gand. Ferrie, évêque d'Orléans, fut tué par un chevalier, dont il avait, dit-on, corrompu la fille. Il eut pour successeur maître Bertaud de Saint-Denis, archidiacre de Rheims, qui brillait comme le plus fameux des théologiens de son temps. [5,1300] Charles, comte de Valois, s'étant emparé de Dam, port de Flandre, et se disposant à assiéger Gand, Gui, comte de Flandre, aperçut alors la folie de sa présomption, l'alla trouver humblement avec ses deux fils Robert et Guillaume, et se rendit à Charles, à certaines conditions, lui, ses fils, et le reste de sa terre. Conduits à Paris auprès du roi de France, ils n'obtinrent pas le pardon qu'ils lui demandaient, mais on les fit garder en divers lieux jusqu'au temps où on jugerait à propos de leur pardonner. Le pape Boniface fit un induit, et accorda pour cette année et pour tous les cent ans une indulgence plénière de tous leurs péchés à tous ceux qui, après s'être confessés et avoir fait pénitence, se rendraient, dans un vœu humble et pieux de pélerinage, aux basiliques des saints apôtres Pierre et Paul à Rome. Rodolphe duc d'Autriche, fils d'Albert roi des Romains, épousa à Paris Blanche, sœur du roi de France. Roger de Loria, qui avait long-temps combattu pour les Siciliens contre le roi de Sicile et ses gens, absous maintenant par le pape et créé amiral de la flotte du roi de Sicile, battit sur mer vingt galères des Siciliens, dont il tua plus de cinq cents. Thibaut, évêque de Beauvais, principal soutien des pauvres, mourut, et eut pour successeur Simon, évêque de Noyon, qui fut remplacé en l'église de cette ville par Pierre, auquel succéda André. Charles, comte de Valois, après la mort de sa première femme, épousa en secondes noces Catherine, fille de Philippe, fils de Baudouin, empereur de Grèce, qui avait été renversé du trône, et à laquelle revenait de droit l'Empire. Les Sarrasins de Nocera, ville de Pouille, qui, rassemblés tous en cette ville du temps de l'empereur Frédéric, vivaient tributaires des rois de Sicile, et se gouvernaient d'après leurs lois, furent pris par Charles, roi de Sicile, et tous ceux qui ne voulurent point se faire chrétiens furent mis à mort. Le Soudan de Babylone ayant rassemblé de nouvelles forces, vainquit et chassa du royaume de Jérusalem et de Syrie les Tartares et les Chrétiens ou Arméniens, et soumit ces pays à sa domination.