LIVRE QUATRIÈME. CHAPITRE Ier. De l'épiscopat de Foulques et des lettres qu'il a écrites à plusieurs pontifes romains. Quand l'homme de Dieu dont nous venons de parler eut été déposé auprès de ses pères, Foulques, homme très noble et depuis longtemps accoutumé aux offices du palais, lui succéda au siège de Reims; lequel envoya sa profession de foi au pape Marin, et en reçut le pallium, suivant la coutume de ses prédécesseurs. Il écrivit aussi au même pape, pour se faire octroyer le privilège dû à l'église de Reims, et pour recommander le roi Carloman ; il rappelle au pontife qu'il a été connu de lui bien auparavant, du temps du pape Jean, quand il alla à Rome avec l'empereur Charles. Il lui écrivit encore pour un monastère que son frère, nommé Rampon, l'avait chargé par son testament de faire bâtir avec les biens de sa succession et depuis, ces biens ont été envahis par un certain Hermenfroi qui s'était uni à la veuve de Rampon, sur quoi le même pape adressa des lettres à Évrard, archevêque de Sens, dans le diocèse duquel le monastère avait été élevé: et aussi à Jean, archevêque de Rouen, dans le diocèse duquel demeurait Hermenfroi, lui ordonnant qu'il l'avertisse de ne pas persister plus longtemps dans l'usurpation des choses saintes, car s'il ne voulait pas obéir, il encourrait les vengeances canoniques. Foulques s'empressa aussi d'adresser des lettres de félicitation au pape Adrien, successeur de Marin au commencement de son pontificat; il se réjouit avec lui de son élévation, et lui exprime le désir de faire un voyage à Rome, s'il plaît à Dieu d'accorder la paix; il le prie de lui renouveler, maintenir, confirmer et augmenter les chartes des privilèges accordés au siège de Reims par les papes Léon, Benoît et Nicolas; et aussi touchant le susdit monastère dont Hermenfroi avait usurpé les biens, il lui suggère d'adresser aux archevêques Évrard et Jean des lettres de son Autorité en lesquelles il leur prescrive ce qui doit être fait, etc., etc. Au même, en faveur du roi Carloman, dont nous avons parlé plus haut; et pour la défense de Frotaire, archevêque de Bourges, qu'un moine de son diocèse accusait de s'être, après la destruction de sa ville par les païens, témérairement emparé du siège d'un autre, il fait voir qu'il a été demandé et élu par tout le clergé et le peuple de la ville; que son prédécesseur Marin avait donné sa sainte approbation à leur demande, avait en outre honoré ce prélat du pallium, et enfin avait confirmé par ses lettres, sa promotion en l'église de Bourges, etc., etc. Écrivant à Étienne, successeur d'Adrien, il lui rend grâces de ce qu'il a daigné le visiter, lui et son église, par lettres de son Apostolat, le consoler au milieu des diverses tribulations du monde, et l'honorer du nom de frère et d'ami auquel pourtant il est loin de prendre se reconnaissant bien plutôt son serviteur et sujet; il y dit qu'il serait allé à Rome pour le voir, s'il n'était assiégé et enfermé par les païens; mais qu'ils ne sont qu'à dix milles de sa ville, qu'ils assiègent Paris; que depuis huit ans déjà ce fléau désole le pays, et ne permet à personne de faire un pas hors des châteaux; il ajoute enfin qu'il a appris que des scélérats impies tendaient des embûches à ce saint Père, qu'il en est vivement affligé ; qu'il voudrait, s'il pouvait, lui porter secours, que du moins il l'assiste de ses prières, la seule chose qui est en son pouvoir; il lui parle aussi de Gui son parent, que ce pontife avait adopté pour fils, et lui témoigne que lui et tous ses parents auxquels il en a fait part demeureront ses serviteurs et l'honoreront comme il le mérite; quant à ce que sa Sainteté lui a mandé, qu'elle est prête à confirmer et approuver tout ce qu'il lui indiquerait comme utile au bien de l'Église de Dieu, il lui répond que sa bonté l'attache de plus en plus à la fidélité qu'il lui doit, qu'il persévérera, lui et ses coévêques suffragants, dans le culte dû au Saint-Siège de Rome; et que s'il s'élevait jamais contre lui quelque prétention contraire à la vraie foi ; il est prêt, Dieu aidant, à la combattre et réfuter de toutes manières; mais aussi que sa Sainteté considère que le siège de Reims a toujours été honoré par ses prédécesseurs par dessus toutes les églises des Gaules; que le premier des apôtres, le bienheureux saint Pierre, a envoyé pour premier évêque en cette ville saint Sixte, et lui a donné le rang de primat de toute la religion gallicane; que le pape Hormisdas a institué saint Rémi son vicaire dans les contrées des Gaules; qu'il lui rappelle ces choses pour qu'il ne souffre pas que de ses jours le siège de Reims tombe en déshonneur, insistant sur l'exemple de ses prédécesseurs Marin et Adrien, qui lui ont toujours accordé privilège en tout ce qu'il a demandé ; — item touchant les biens de Rampon et celui qui les avait usurpés; il remontre au pape que ses prédécesseurs avaient ordonné aux archevêques de Sens et de Rouen de l'excommunier, et que, faute par ceux-ci d'avoir fait diligence, l'usurpateur possède encore ce qu'il a ravi; c'est pourquoi il prie le pape de le frapper d'une sentence apostolique et de donner ordre aux archevêques de ne plus apporter aucun délai à son excommunication ; — en outre, touchant plusieurs biens de l'église de Reims que des usurpateurs avaient envahis, il prie le pape qu'il lui plaise écrire à l'empereur Charles qui en avait déjà restitué une grande partie, l'engager à continuer et achever la bonne œuvre qu'il a commencée, et le remercier lui-même de ce qu'il a fait, etc., etc. Sur quoi le pape, en réponse, lui témoigne qu'il est charmé de le voir ainsi plein de zèle pour l'honneur du Saint-Siège, et l'engage à brûler toujours plus ardemment de cette sainte affection qu'il a eu pour très agréable ce qu'il lui a dit du duc Gui, qu'il tient et regarde toujours comme son fils unique; qu'il est affligé comme pour lui-même de la désolation que les Normands causent dans le royaume, et qu'il prie Dieu pour la défense du peuple par l'intercession des premiers apôtres, afin que l'archevêque puisse arriver sans danger jusqu'au seuil de Rome, et que lui, pape, puisse l'embrasser de ses bras corporels et conférer avec lui des privilèges dont il lui a écrit. Il a écrit, dit-il, comme Foulques le lui demandait aux deux archevêques de Sens et de Rouen, et aussi à l'empereur Charles pour le prier de faire justice à l'église de Reims, et le remercier de sa bienveillance pour elle. — Dans une autre lettre adressée au même pontife, Foulques se félicite et se réjouit de sa prospérité, au milieu des tribulations et des extrémités qu'il souffre des païens il recommande de nouveau à sa laveur le duc Gui, dont nous avons déjà parlé il se plaint derechef d'Hermenfroi qui n'a tenu compte de l'avertissement des archevêques ; il insiste pour que le pape somme une seconde fois les archevêques de le réprimander plus sévèrement et que s'il ne restitue pas les biens usurpés, il soit frappé d'un jugement ecclésiastique ; il lui demande, et le prie de lui répondre si l'ordination d'un évêque peut être dûment célébrée le jour de la fête d'un saint, excepté toutefois le dimanche, etc. etc. — Sur quoi le pape en lui répondant, le remercie de sa charité et de sa sollicitude pour le Siège apostolique, compatissant à son affliction lui promettant de répandre ses prières devant Dieu pour son soulagement; et il l'engage à se confier dans la protection du Seigneur. Le même pontife écrit encore à Foulques pour un certain Dominique opprimé et chassé de ses biens par ses fils et ses propres parents, l'exhortant à faire des recherches actives contre ces violences, et à lui servir de protecteur; — item pour qu'il reçoive quelques Anglais en son diocèse; — item au même, ainsi qu'à Aurélien de Lyon Adelgaire, Geilon, Emmenon, et autres évêques établis en France, au sujet des plaintes élevées par l'église de Bourges contre l'usurpation de Frotaire, évêque de Bordeaux, qui avait occupé quelque temps le siège de Poitiers, et auquel plus tard celui de Bourges avait été concédé à cause des incursions et ravages des barbares, mais à condition que, la nécessité cessant, cesserait aussi ce que la nécessité avait commandé; c'est pourquoi le souverain pontife ordonne aux archevêques ci-dessus dénommés de sommer Frotaire de revenir à son propre siège; que s'il refuse d'obéir aux avertissements apostoliques, ils sachent que par le jugement du Saint-Esprit il est lié des liens perpétuels de l'excommunication ; — item en faveur de Theutbold, évêque de Langres, disant qu'il a reçu les doléances de l'église de Langres, laquelle se plaint qu'après la mort de l'évêque Isaac, sans consulter le clergé ni le peuple, Aurélien de Lyon avait ordonné évêque un certain moine Égilon tout récemment sorti du siècle, et le leur avait par violence imposé malgré eux ; que ce moine étant décédé de ce monde et appelé en l'autre par la volonté de Dieu, pour ne pas être de nouveau exposés aux mêmes violences, le clergé et le peuple d'un consentement unanime avaient élu Theutbold diacre de leur église, et suppliaient le saint Père de le consacrer évêque; mais que le pape voulant conserver intact le privilège de chaque église, avait différé de le sacrer, et l'avait adressé à Aurélien en lui écrivant que si les vœux du clergé et du peuple se réunissaient sur lui, et si les sacrés canons ne s'y opposaient pas, il lui imposât les mains sans délai ; que s'il y avait quelque motif d'empêchement, il le lui fît savoir; que cependant il se gardât d'en ordonner un autre, sans l'avoir consulté et qu'en même temps il lui avait envoyé comme légat a latere Oeran, évêque de Senez, pour faire exécuter ses ordres duquel Aurélien se jouant, l'avait envoyé devant à Langres, lui promettant de le suivre très promptement ; et après s'être fait attendre longtemps, non seulement il n'était pas venu mais n'avait pas même eu l'attention de faire connaître la cause de ce retard, ni d'en informer le pape; que voyant cela, le clergé et le peuple de Langres avaient de nouveau renvoyé leur élu à Rome avec un second décret signé de la main de tous, sollicitant avec instance sa consécration; que voulant toujours conserver intact le privilège de l'église de Lyon, le pape n'avait pas encore acquiescé à leur demande; mais avait derechef écrit à Aurélien, pour lui ordonner, puisque les vœux du clergé et du peuple demandaient le diacre Theutbold, ou de le consacrer, ou de lui faire connaître ce qu'il trouvait de répréhensible en lui; mais que celui-ci ajoutant l'obstination à sa première désobéissance non seulement n'avait pas voulu ordonner Theutbold, ni faire connaître ce qu'il trouvait en lui de répréhensible mais encore, malgré les défenses que le pape lui avait faites, et contre les statuts des sacrés canons, il avait eu l'audace de vouloir leur imposer bon gré mal gré un étranger, inconnu à leur église, et ordonné dans un coin; mais les gens de Langres, résolus à tout souffrir plutôt que de se soumettre à un inconnu, étaient revenus auprès de lui le suppliant de ne pas souffrir que les lois ecclésiastiques fussent ainsi violées. En conséquence, ajoute le pontife, nous qui dans la personne du bienheureux saint Pierre, prince des apôtres, avons reçu le soin de toutes les églises, sachant que celui-là ne peut être compté parmi les évêques, qui n'est ni élu par le clergé, ni demandé par le peuple, cédant aux prières lamentables de ceux de Langres nous avons ordonné et ordonnons évêque de leur église le vénérable diacre Theutbold, portant en même temps une juste et terrible sentence contre les prévaricateurs déjà liés et chargés d'autres prévarications. C'est pourquoi nous enjoignons à ta sainteté, au reçu de nos présentes lettres apostoliques de te rendre sans aucun délai à l'église de Langres de donner l'investiture audit Theutbold, solennellement consacré évêque par nous, et de faire savoir à tous les évêques et archevêques qu'en punition d'une si grande rébellion, nous nous sommes chargé du soin spécial de cette église, afin de la consoler des douleurs d'une si cruelle affliction et alléger l'oppression qu'elle a soufferte; te prions de plus d'ajouter foi à tout ce que le vénérable Theutbold te rapportera de notre part, et de ne faire aucune difficulté de l'effectuer. Ce que nous nous promettons de toi ne doutant pas de ta dévote révérence en vers nous. A cette lettre, Foulques répond en remerciant le pontife de la consolation qu'il lui donne par ses lettres, et en lui assurant qu'il est prêt à accomplir tout ce qui lui sera enjoint par sa Sublimité; qu'il était dans l'intention d'exécuter sans délai ce qu'il lui ordonne au sujet de l'évêque Theutbold mais qu'il y a sursis par respect pour son roi Eudes, jusqu'à ce que ce prince ait envoyé ses députés à Rome, et pu apprendre par eux d'une manière certaine ce qu'il ordonnait; qu'à l'égard de ce que le pape témoignait dans ses lettres, qu'il voulait maintenir à toutes les églises leurs privilèges entiers et sans confusion de préséance, cette assurance avait comblé de joie tous les évêques, en présence desquels il en avait fait donner lecture; il consulte ensuite son Autorité, et la prie de lui répondre s'il est permis aux évêques suffragants de son diocèse de sacrer un roi ou toute autre personne, sans sa permission son consentement et son autorisation ou de se permettre quelque autre chose que ce soit, sans consulter leur métropolitain, ou contre la défense de leur primat. Le même pape octroya et envoya par écrit à Foulques le privilège qu'il avait demandé au Siège de Rome, et par lequel il était enjoint que nul ne se permit d'usurper ou détenir les biens résultant de donations faites ou à faire au siège de Reims; qu'après sa mort, nul ne tentât de s'emparer illicitement de son siège ni des biens de son évêché sous peine d'encourir les censures du Siège apostolique. Le pape lui écrivit encore au sujet de la contestation élevée entre Hermann, évêque de Cologne et Adelgaire, évêque d'Hambourg et de Brême; car Hermann avait adressé sa plainte au Saint-Siège, Adelgaire aussi, et de plus il était venu en personne protestant que ses privilèges étaient violés par Hermann ; en conséquence le pape les avait cités à comparaître tous les deux devant lui ; mais comme Adelgaire seul s'était présenté, le pape avait différé de prononcer de peur de paraître agir avec trop de précipitation, ce qui pourrait un jour faire revivre la querelle. C'est pourquoi il enjoint à notre prélat de convoquer en son nom et à Worms. un synode composé de tous les suffragants voisins et des évêques limitrophes, et il ordonne à Hermann de Cologne, à Sonderold de Mayence avec tous ses suffragants, et à Adelgaire, d'y comparaître et plaider leur cause, afin qu'un examen attentif décide de ce qui appartient à chacun ; il invite aussi la fraternité du seigneur Foulques à faire tout son possible pour venir lui-même à Rome avec les contendants, parce qu'il a à traiter avec lui, outre ce différend, de beaucoup d'autres affaires ecclésiastiques qu'il veut régler et terminer d'après son avis ; rien, dit-il, ne saurait lui être plus agréable que sa présence; que s'il ne peut faire le voyage, il lui fasse au moins connaître par le témoignage véridique d'un évêque ferme et habile envoyé avec eux, quelle est la vérité en cette affaire que si les contendants ne peuvent venir, qu'ils envoient leurs légats avec l'évêque choisi par Foulques, avec pouvoir de discuter et délibérer, afin qu'une sentence définitive une fois portée, il ne soit plus désormais question de cette querelle. Le seigneur Foulques, écrivant au sujet de la même affaire au pape Formose, successeur d'Etienne, lui fait connaître ce qui lui avait été enjoint par ce pape, et lui demande de lui envoyer des lettres de son Autorité pour en poursuivre l'exécution, ce qui fait que dans une seconde lettre, il dit qu'il est étonné, si ses lettres sont parvenues, que le saint Père ne lui ait pas répondu et qu'il cherche les motifs de son silence ; cependant il le remercie d'avoir daigné avoir mémoire de lui, et de lui avoir envoyé des paroles de sainte consolation par l'abbesse Berthe, et fait exprimer le désir de le voir et d'avoir une conférence avec lui ; il l'assure que cette assurance lui a causé une joie si vive qu'elle a redoublé le désir qu'il a de le voir ; qu'il veuille donc bien lui indiquer le temps et le lieu où il pourra le rencontrer, et qu'il s'empressera d'obtempérer à ses ordres ; il lui demande en outre de lui accorder la rénovation et confirmation des privilèges de l'église de Reims, comme ont fait tous ses prédécesseurs, et d'assurer ainsi à cette église une garantie perpétuelle des biens que son humilité lui a acquis ; il lui raconte comment le marquis Evrard avait autrefois obtenu du siège de Rome le corps de saint Calixte, pape et martyr, et fait construire un monastère en son honneur dans un de ses domaines; qu'après sa mort, ce domaine est échu en héritage à son fils l'abbé Rodolphe, lequel de son vivant l'a possédé, sans contradiction aucune, avec les biens et le champ du saint martyr; qu'en mourant Rodolphe a légué les biens, le monastère et le corps du martyr à la sainte église de Reims, et l'a instituée héritière de tous ses biens ; que maintenant un certain Hucbold, mari de la sœur de Rodolphe, attaque la donation de l'abbé, et cherche à enlever ces biens au domaine de l'église de la Mère de Dieu. Il le prie donc de l'instruire par ses sacrées et saintes lettres de ce qu'il doit faire en une telle circonstance, de ratifier à perpétuité la donation de ces biens, et de frapper les contradicteurs d'excommunication. Enfin il dit qu'il est dans l'angoisse et dans les sanglots, parce qu'il a appris que la sainte Église romaine était troublée par quelques gens; qu'il est prêt à combattre de toutes ses forces pour son honneur, et à seconder en tout le souverain pontife. Il fait aussi mention de quelques évêques des Gaules qui demandaient indûment le pallium, méprisant par cette prétention leurs métropolitains; il ajoute que cet abus, si on ne le prévient par une prudente sollicitude, engendrera une grande confusion dans l'Église, et portera un coup funeste à la charité. C'est pourquoi il supplie le saint Père, tant en son nom qu'au nom de toute l'Église, de ne pas consentir avec précipitation à ces demandes téméraires, ni sans avoir pris l'assentiment général et consulté par lettres, de peur que l'honneur de la dignité ecclésiastique ne commence à s'avilir, si des distinctions illégitimes, témérairement briguées, sont témérairement accordées. CHAPITRE II. Des lettres du pape Formose à Foulques, au roi Charles et au roi Eudes. LE pape Formose répondant aux lettres de Foulques, lui mande qu'il doit compatir aux maux de l'Église romaine, subvenir à sa ruine imminente, et ne pas lui refuser plus longtemps sa présence ; il ajoute que les schismes et les hérésies pullulent de toutes parts, et que personne ne se montre pour leur résister; que depuis longues années, des hérésies pernicieuses mettent la confusion dans l'Orient; que des schismes nuisibles troublent Constantinople ; que des légats d'Afrique sont à Rome sollicitant une décision sur un schisme depuis longtemps élevé entre les évêques de ces contrées; qu'enfin de tous les pays affluent des députations qui demandent des décisions sur mille points divers. C'est pourquoi il a résolu d'assembler un concile général le premier jour de mars; il invite Foulques à s'y rendre en toute hâte et sans délai, afin que, conférant ensemble, ils puissent traiter toutes ces choses plus largement, et résoudre plus pleinement les diverses questions. Quant à ces affreuses tempêtes dont Foulques se plaint d'être battu par les Normands, le pape dit qu'il en est vivement affligé et qu'il demande à Dieu, par l'intercession du prince des apôtres, que sa main toute-puissante les arrête ; il ajoute que les lettres dont Foulques lui avait annoncé l'envoi par certaines personnes, ne lui sont point parvenues. Déjà, auparavant, Formose avait parlé à notre prélat, dans d'autres lettres, de ce concile qu'il voulait, dit-il, convoquer à la mi-mai. Dans ces mêmes lettres il déplorait le sort de l'Italie, deux fois ravagée par une guerre terrible, et presque ruinée, et gémissait sur la folle et téméraire hérésie de l'Orient, qui blasphème notre Seigneur Jésus-Christ; il lui envoie en outre le privilège que Foulques lui avait demandé sur plusieurs précaires, et lui rappelle que le bienheureux saint Rémi a été, par l'autorité du siège de Rome, et avec la grâce de Dieu, constitué apôtre de la nation des Francs. Il confirme la restitution du village de Berne, qui depuis longtemps avait été soustrait à l'église de Reims; celle de Douzy, et en même temps tout ce que le seigneur Foulques avait obtenu à titre de précaires, savoir Riom, Maroilles, Vertus, l'abbaye de Champeaux, Atties, et d'autres biens qui, depuis longtemps enlevés à l'église de Reims, venaient de lui être rendus; dans cette confirmation, défenses sont faites à qui que ce soit d'y oser attenter ou porter la main, ainsi que sur aucune autre possession de cette église il défend en outre, de l'autorité du bienheureux saint Pierre, qu'aucun chrétien, au décès de l'évêque de Reims, applique à son bénéfice et usage ou l'évêché, ou les biens de cette église, et s'en attribue la possession, hormis l'évêque de la cité de Reims; que personne ne force cette métropole à rester, contre les institutions canoniques, sans un pasteur ayant toutes les qualités requises par les règles ecclésiastiques; que nul soit ordonné évêque si ce n'est selon les constitutions canoniques ; il déclare en outre et ordonne que tout ce dont le vénérable évêque Foulques a disposé sur les revenus des villes et villages appartenant à cette église, pour l'ornement des églises, pour les luminaires, l'entretien des chanoines, moines, religieuses, hospices et pauvres du diocèse, soit maintenu et inviolablement observé et enfin il confirme et sanctionne ce décret de son autorité, en chargeant des liens de l'anathème quiconque l'osera violer; — item il mande que Gui a été couronné empereur en la présente année ; — item à la demande du seigneur Foulques, il lui envoie un autre privilège par lequel il confirme à l'église de Reims la possession du monastère que l'abbé Rodolphe avait fait construire en l'honneur de saint Calixte, pape et martyr, sur sa propriété et en vertu de ses droits héréditaires, et qu'il avait ensuite légué à l'église de Reims ; il confirme non seulement la donation de ce couvent, mais encore celle de tous les biens conférés à l'église de Reims par la libéralité royale, ou la munificence des autres chrétiens, comme aussi de tous ceux que Foulques avait acquis ou viendrait à acquérir par la suite; il lui mande encore que Lambert, fils de Gui a été désigné empereur la seconde année de l'empire de son père; — item touchant les évêques diocésains de la province de Reims, sur ce qu'il avait appris que quelques-uns d'entre eux refusaient d'obéir aux mandements de leur archevêque, le pape enjoint à Foulques de se réunir à ses coévêques, et de convoquer tels autres évêques qu'il lui plaira, afin qu'ils informent ensemble, par une enquête synodale, sur une si grande et coupable négligence, et que munis de l'autorité canonique et apostolique, ils ordonnent ce qu'il appartiendra recommandant que personne ne se dérobe à cette œuvre tant digne de Dieu, sous peine d'être exclu de la communion apostolique ; — item sur l'élévation de Charles au gouvernement du royaume lequel le seigneur Foulques avait sacré encore enfant, et sur les mesures à prendre contre les crimes d'Eudes, et pour sa punition, répondant ainsi aux lettres que Foulques lui avait écrites pour lui demander ses conseils et son assistance c'est pourquoi le même pape écrivit à Eudes, pour l'engager à renoncer à ses prétentions illicites, à ne troubler ni inquiéter le roi Charles ni aucun des siens; enfin à accorder une trêve pendant que l'évêque Foulques se rendrait à Rome devant le Saint-Siège apostolique. CHAPITRE III. Des lettres adressées par le pape Formose à plusieurs prélats de France. LE même pape Formose écrivit aux archevêques et évêques de France, pour leur ordonner de se rassembler, et d'exhorter le roi Eudes à se désister de ses prétentions illégitimes, et à ne pas usurper le bien d'autrui, tâchant d'éteindre la guerre et de faire cesser toute hostilité, ou au moins d'obtenir une trêve pendant que Foulques ferait le voyage de Rome; il leur recommande de profiter de cet intervalle pour tout calmer, et ramener la paix et le bon ordre ; au roi Charles, pour le féliciter de son élévation, et en même temps de la dévotion que ce roi a témoigné porter au Siège apostolique, il lui expose en peu de mots de quelle manière il doit se comporter en l'administration de son royaume, lui envoie en symbole et gage d'amitié le pain béni qu'il lui avait demandé, et lui parle du voyage de notre évêque à Rome; il écrit aussi au seigneur Foulques, pour lui faire savoir que, selon les conseils qu'il lui en a donnés, il a écrit aux diverses personnes dont nous venons de parler touchant la paix ou la trêve à conclure entre Eudes et Charles ; — item pour le charger d'apaiser la querelle qu'il a appris s'être élevée au sujet du meurtre de Manigaud par Alberic ; — item pour lui recommander un prêtre nommé Grim laïc, qu'il aime tendrement, et le prier de lui donner un évêché quand l'occasion s'en présenterait. — Outre les lettres dont nous avons parlé, Foulques en écrivit encore quelques autres à ce pontife, tant pour l'invitation et l'appel qu'il lui faisait de venir a Rome, que pour la querelle qui divisait les rois Eudes et Charles; comme aussi sur l'oppression qu'endurait l'église de Reims; il prie le pape qu'il écrive aux deux rois, et leur commande la paix; qu'il ordonne aussi, au nom de l'autorité apostolique, à Arnoul de Germanie de ne pas inquiéter le royaume de Charles, et au contraire de lui porter secours, comme il convient entre parents qu'il mande à Eudes de ne pas se permettre d'envahir ni piller ce royaume; et que s'il l'ose, il craigne la sentence du Saint-Siège apostolique; — item pour lui mander que, malgré son admonition Arnoul n'a prêté aucun secours au jeune et malheureux Charles, abandonné et orphelin ; qu'Eudes n'a cessé ni ses invasions, ni les pillages et dévastations qu'il exerce sur le royaume; que bien au contraire, Arnoul a même envahi et usurpé tous les biens de l'église de Reims, tant ceux qu'il avait autrefois restitués, que ceux qui n'avaient jamais été enlevés à cette église, sans autre motif sinon que Foulques n'a pas voulu approuver sa téméraire et coupable usurpation; que le roi Eudes a assiégé la ville de Reims, porté partout le meurtre et le ravage, donné à ses satellites les biens de l'église, et enfin n'a cessé de dévaster l'évêché que lorsque Charles, arrivant avec une puissante armée, l'a forcé de lever le siège et de se retirer ; il lui mande aussi que Robert, un des hommes d’Arnoul, du diocèse d'Hermann, évêque de Cologne, a envahi et pillé les biens de l'église de Reims, jusqu'à ce qu'on l'en ait chassé et poursuivi comme un chien enragé ; il demande que, si ce pervers ne consent pas à reconnaître son crime, il soit frappé d'excommunication il fait observer au pape qu'au milieu de ces troubles affreux du royaume, il lui serait impossible de se rendre devant son autorité apostolique, puisque l'on n'attend que la guerre, et qu'il semble qu'en effet les affaires du royaume ne se peuvent arranger autrement ; quant à lui, dit-il, il a toujours cherché à éloigner la guerre, non qu'ils fussent inférieurs ou trop faibles, ou qu'il doutât de la justice de la cause de Charles, mais de peur que les forces du royaume, une fois usées par la guerre, il ne fût ensuite livré sans défense à l'invasion des païens; c'est pourquoi un traité a été conclu entre les deux partis, et ils se sont mutuellement promis sécurité et repos, jusqu'à un terme fixé, etc. etc. Item, au sujet du roi Charles et de l'empereur Lambert; il remercie le pape de ce qu'il lui a mandé sur Lambert; qu'il a pour lui la tendresse d'un père et l'aime comme le fils le plus chéri et qu'il désire toujours conserver avec lui une concorde inviolable; il lui assure que de sa part il aime Lambert, moins parce qu'il lui est uni par les liens du sang que pour l'affection et le respect qu'il porte au saint Père; il le prie de ménager au roi Charles amitié avec Lambert et qu'il écrive à Eudes et aux grands du royaume pour procurer la paix, afin que Charles jouisse enfin paisiblement du royaume qui lui appartient par droit d'hérédité et que, s'il ne peut le posséder tout entier, au moins ils lui en conservent une partie digne de son rang et de sa naissance, faisant un juste et paisible partage ; il promet au pontife qu'il exécutera ce qu'il lui a commandé sur les sacrilèges violateurs des choses saintes, Richard, Manassès et Rampon, aussitôt qu'il lui sera possible de rassembler ses co-évêques ; que seulement le pape veuille bien lui dire si comme il les a liés du lien éternel de l'excommunication, il lui serait permis, au cas où ils viendraient à se convertir, de leur accorder miséricorde, ou de les recevoir à pénitence ; enfin quelle doit être la mesure de la pénitence elle-même ; quant à Rampon, il assure qu'il n'est coupable qu'envers l'évêque Theutbold, mais qu'il n'a commis aucune faute contre Walther de Sens, à l'arrestation duquel il n'avait pris aucune part ni par sa présence, ni même par son consentement ; — item pour Hériland, évêque de Térouane ; qu'après la ruine et le sac de son évêché par les Normands, il avait accueilli dans son malheur avec tous les égards dus à sa dignité, et qu'il avait ensuite établi comme visiteur d'une église vacante, pour lui procurer les moyens de vivre en attendant qu'il en fût ordonné évêque. Comme les habitants du diocèse de Térouane paraissent tout à fait barbares de langage et de caractère il le supplie de lui répondre s'il peut confier à Hériland ce peuple, veuf de son pasteur, et mettre à sa place en son siège de Térouane quelque autre qui, à cause de la parenté et de la langue, puisse être mieux reçu et se maintenir en ce pays. Dans sa réponse, le pape le comble de louanges, et le félicite de sa dilection et de sa sollicitude envers l'empereur Lambert, auquel il le prie de rester toujours fidèle et invariablement attaché, comme à son parent, lui assurant qu'il est avec lui en si parfait accord de paix et bonne amitié, qu'aucune intrigue ou malice ne les pourra désormais séparer; il lui notifie qu’il a excommunié Richard, Manassès et Rampon et les a liés du lien perpétuel de l'anathème pour avoir porté l'abomination jusqu'à crever les yeux à Theutbold, évêque de Langres, et à tenir en prison Walther de Sens, après l'avoir expulsé de son siège ; il lui mande de soutenir les mesures qu'il prend contre eux, de convoquer tous ses évêques suffragants, et de faire pareillement approuver par eux le jugement qu'il a porté. Le pape Formose écrit encore à notre archevêque pour un prêtre nommé Berthaire qui prétendait avoir été élu canoniquement à l'épiscopal par le clergé et le peuple de l'église de Châlons, du consentement du roi Eudes; il lui reproche d'avoir refusé de l'instituer malgré la légitimité de son élection, et d'avoir, au décès de l'ancien évêque confié cette église à Hériland, évêque de Térouane comme à titre de bénéfice, et ensuite ordonné comme évêque un nommé Mancion, chargé de plusieurs crimes ; enfin, comme Berthaire voulait se rendre à Rome de l'avoir fait arrêter par un de ses vassaux nommé Conrad, de l'avoir arraché de son église, et tenu en exil pendant un mois. C'est pourquoi il mande expressément et fraternellement à notre seigneur Foulques de se rendre à Rome au temps qu'il lui fixe et d'amener avec lui Mancion, Conrad et quelques évêques ci-dessus dénommés etc. CHAPITRE IV. Des lettres du pape Etienne à l'archevêque Foulques, et de celles que Foulques lui a écrites en réponse. LE seigneur Foulques, écrivant au pape Etienne, successeur de Formose, s'efforce de lui faire connaître la dévotion qu'il porte au siège de Rome, le désir qu'il ressent depuis longtemps d'aller visiter le seuil des apôtres mais que divers motifs de périls et de craintes l'ont empêché d'accomplir son vœu ; dans la même lettre, il lui annonce que les rois Eudes et Charles sont, grâce à ses efforts, réconciliés et en paix. Le pape, dans sa lettre en réponse, non seulement n'admet pas son excuse, mais lui fait même des reproches de ne pas venir à Rome, quand tant d'autres y viennent. Il lui annonce qu'il a résolu de célébrer un synode au mois de septembre prochain, et lui enjoint expressément de s'y rendre et de s'y présenter sans délai et sans aucune excuse, au temps fixé sous peine, s'il y manque, d'encourir la censure canonique. Foulques lui répond qu'il a toujours eu la plus sincère dévotion envers le glorieux Siège du prince des apôtres et de ses saints pontifes; lui renouvelle l'assurance qu'accablé de mille oppressions diverses, et retenu par les troubles qui agitent le royaume, il lui a été impossible de se rendre en personne à Rome comme il l'aurait désiré; mais qu'il lui a envoyé les fils les plus chéris de son église, pour lui présenter ses excuses de vive voix, et lui exposer les difficultés du voyage; qu'il lui a même adressé un de ses co-évêques mais qu'il n'a pas osé lui écrire davantage, parce qu'il s'est trouvé assez rudement et sévèrement traité dans les lettres du saint Père; et qu'il n'a pas été médiocrement surpris de se voir ainsi tout à coup repris avec rigueur et dureté lorsqu'il n'avait reçu jusque là du Saint-Siège et de ses prédécesseurs, que des témoignages d'affection et de bienveillance ; il impute cependant ce traitement à ses péchés, et si d'un côté il est contristé de sa faute de l'autre il se réjouit d'être corrigé par son Autorité; toutefois il se pourrait, comme quelques bruits lui en reviennent, que le saint Père eût été mal instruit par des personnes peu remplies de charité envers lui; il le prie donc de ne pas prêter trop facilement l'oreille à ces personnes, jusqu'à ce que, comme il est écrit, il ait pris les plus exactes informations sur des choses qu'il ignore ; il lui remontre avec franchise que, presque dès le berceau, il a été élevé sous la discipline canonique, jusqu'au moment où le glorieux roi Charles, fils de l'empereur Louis l'appela auprès de lui et l'attacha aux affaires de son palais et de sa maison; il est resté employé à ce service jusqu'au temps du roi Carloman, fils du roi Louis le Jeune, et petit-fils de Charles; il a été élu et ordonné évêque de Reims par le peuple, le clergé et les saints évêques de cette province. Il supplie le saint Père de demander à son envoyé, ou à qui il lui plaira, dans quel affreux état il a trouvé cette église, gémissant sous la persécution des barbares, et quelles peines il s'est données pour lui procurer paix et repos; protestant que ce n'est point par arrogance qu'il lui dit toutes ces choses, mais pour lui faire comprendre qu'un homme qui a été élevé comme lui, et qui a exercé de pareils emplois avant son épiscopat, a plutôt pris un fardeau qu'un honneur en acceptant ce siège, et que sa promotion a moins été pour lui une cause ou occasion d'orgueil qu'un acte d'humilité. Il ajoute que dès que quelque repos sera donné au royaume, et qu'il pourra en obtenir la permission du roi Eudes, il s'empressera de se rendre aux pieds de sa Béatitude, pourvu que les chemins soient libres, et ne soient pas comme aujourd'hui interceptés par Zwentibold, fils du roi Arnoul, qui afflige l'église de Reims de beaucoup de maux et injures, partageant les biens de cette église à ses vassaux, et dont il prie sa Sainteté de réprimer la tyrannie par l'autorité apostolique, disant que dans un temps si plein de périls et de troubles, il serait dangereux d'abandonner son église. CHAPITRE V. Des lettres de Foulques à quelques rois. Chargé du soin et de l'administration de tout le royaume, Foulques a souvent eu occasion d'écrire à plusieurs rois; ainsi à l'empereur Charles le Gros, fils de Louis le Germanique, pour l'engager à protéger et défendre le royaume de France qui de ces côtés était ravagé et affligé par les Normands, il lui représente, qu'avec l'aide de Dieu, il a toujours été jusqu'ici protégé et préservé, tant qu'ont régné son oncle du même nom que lui et ses enfants; mais que depuis leur heureux passage en l'autre monde, et depuis que les grands du royaume se sont mis sous la protection impériale, ils sont de toutes parts accablés de mille maux ; il lui mande que la ville de Paris, qu'il regarde comme la ville capitale de la France, et la clef des royaumes de Neustrie et de Bourgogne, ne tardera pas à tomber au pouvoir des Normands, à moins qu'il ne plaise à la clémence de Dieu de venir à son secours; que si elle est prise, c'en est fait de tout le royaume: que déjà le mal est si grand et que le péril s'accroît tellement de jour en jour, que de Paris à Reims il n'y a plus aucun lieu sûr; et que, s'il y a encore quelques habitations à l'abri des barbares, ce sont celles de chrétiens pervers qui sont d'accord avec eux, abandonnent la religion chrétienne, font alliance et société avec les païens et se mettent sous leur protection. Il écrivit aussi au même empereur, pour le prier d'obtenir pour lui le pallium du siège de Rome, et de faire confirmer les privilèges accordés à l'église de Reims par les souverains pontifes. A Arnoul, roi de Germanie, au sujet du roi Charles qu'il avait sacré en bas âge, il lui expose les motifs qui l'ont décidé à élever ce jeune roi sur le trône, afin de dissiper les préventions qu'il sait lui avoir été inspirées contre lui pour cette action il lui rappelle qu'à la mort de l'empereur Charles son oncle, il partit pour aller lui offrir ses services, plein du désir de se soumettre à sa domination et à son gouvernement; mais Arnoul le renvoya sans lui donner aucun conseil ni consolation. Se voyant alors sans espérance de ce côté il fut obligé de se soumettre à la domination d'Eudes, qui, étranger au sang royal, a abusé tyranniquement de sa puissance royale, et qu'il a été forcé de souffrir malgré lui jusqu'ici ; cependant son premier désir était de voir le gouvernement entre les mains d'Arnoul puisque c'était à lui qu'il était allé s'offrir le premier; ne trouvant aucun appui en lui il avait fait ce qui lui restait à faire, en choisissant pour roi le seul qui, après lui, restât encore du sang royal, et dont les prédécesseurs et les frères avaient été rois; quant au reproche que lui faisait Arnoul de n'avoir pas sacré d'abord le jeune Charles, il lui fait observer, que lorsque l'empereur Charles mourut, et lorsqu’Arnoul refusa de prendre l'administration du royaume, Charles n'était encore qu'un enfant trop faible de corps et d'esprit, incapable d'être mis à la tête de l'État, et qu'il eût été très dangereux de l'élire roi dans un moment où les Normands menaçaient le royaume des plus terribles persécutions; mais quand ils l'ont vu parvenir à l'âge ou l'on est capable de distinguer un bon conseil et de le suivre, ils l'ont choisi selon Dieu, pour donner ordre aux affaires du royaume, et en même temps servir les intérêts d'Arnoul; quant à ce qu'ils avaient osé agir ainsi sans le consulter, il répond qu'ils ont en cela suivi la coutume de la nation des Francs qui a toujours eu pour usage, à la mort d'un roi, d'en élire un autre de la même famille ou appelé par succession, sans jamais prendre l'avis d'aucun roi, même du plus grand ou du plus puissant; qu'en faisant Charles roi, ils avaient entendu le soumettre à son autorité et à ses conseils, afin qu'il fût aidé en toutes choses de ses avis et de son assistance, et qu'ainsi le roi et le royaume fussent absolument gouvernés par ses commandements et ordonnances ; comme Foulques avait entendu dire que l'on avait insinué au roi Arnoul qu'il avait agi ainsi contre la fidélité qu'il lui devait, et seulement dans son intérêt privé, il lui répond qu'Ascheric lui-même, qui semblait être l'auteur de ces insinuations, était venu auprès de lui avant qu'il eût encore pris aucune résolution sur le sacre de Charles ; et qu'en présence des comtes Héribert et Ecfried, il lui avait demandé conseil et avis sur ce qu'il devait faire au sujet de certains ordres d'Eudes qui lui commandait des choses intolérables; qu'il lui avait également demandé conseil, de la part des fils de Godefroi, sur quelques peines et embarras qu'Eudes leur suscitait; ils avaient alors demandé que l'on prît en commun un parti qui pût enfin donner sécurité aux sujets; les vues s'étaient portées sur Gui et sur Charles, comme issus de la famille royale et tous ceux qui étaient présents, considérant quel était celui qu'ils devaient choisir de préférence, ils avaient jugé que, pour l'utilité du royaume, pour éviter de blesser Arnoul, enfin pour conserver les droits et la légitime souveraineté du sang royal, ils devaient s'arrêter à Charles, persuadés qu'Arnoul verrait avec plaisir leur choix tomber sur son parent, et qu'il protégerait à la fois le roi et le royaume; quant à ce qu'on disait qu'il n'avait agi ainsi que dans l'intérêt de Gui, afin de l'introduire secrètement dans le royaume, et ensuite se déclarer pour lui, après avoir abandonné le jeune Charles, il répond que l'envie seule a sciemment répandu ces calomnies contre lui; que ceux qui les accréditaient le jugeaient d'après eux-mêmes, mais que pour lui, il ne se reconnaissait point à ces traits, et n'était pas né d'une famille habituée à se déshonorer ; que les rois ancêtres de Charles n'avaient jamais eu à reprocher pareille trahison à ses prédécesseurs, qu'ils les avaient au contraire toujours trouvés d'une fidélité à toute épreuve, et que c'était pour cela qu'ils les avaient avancés et élevés en honneurs ; qu'ainsi Arnoul aurait dû rougir d'avoir sur lui de tels soupçons, et de lui supposer une telle infamie; enfin, comme il lui était revenu que certains disaient à Arnoul que Charles n'était pas le fils du roi Louis, il lui affirme qu'il ne peut croire que quiconque aura connu ses parents, et verra le jeune prince, ne le reconnaisse pas aussitôt comme le véritable rejeton de la famille royale ; que d'ailleurs il porte quelques signes du roi Louis, qui ne permettent pas de douter qu'il ne soit son fils ; il supplie donc la majesté royale d'Arnoul de croire à la vérité de ses paroles, et de ne se laisser émouvoir à aucun sentiment défavorable contre un jeune roi innocent, qui est son parent; qu'il fasse examiner en sa présence, et en présence de ses fidèles, si les choses sont comme il le lui affirme, et termine ainsi toute cette affaire comme il convient ; qu'il rappelle en sa pensée comment les rois ses prédécesseurs ont gouverné l'État et comment l'ordre de succession au trône a toujours été sévèrement observé jusqu'à ce jour; que de toute la famille royale, il ne reste plus que lui et le jeune Charles son parent; qu'il songe à ce qui pourrait arriver s'il venait à payer la dette commune de l'humanité ; quand il existe déjà tant de rois qui ne sont point du sang royal et que tant d'autres affectent le nom de roi, qui protégera son fils après sa mort, et l'aidera à monter sur le trône de son père, si lui-même laisse tomber du sien Charles, le seul parent qu'il ait? il ajoute que Charles est reconnu chez presque toutes les nations, que c'est la coutume des Francs d'avoir des rois héréditaires et il cite à l'appui le témoignage du pape Grégoire ; il tire aussi des livres teutoniques l'exemple d'un roi Hermanric, qui avait, par les conseils impies d'un de ses conseillers, voué à la mort toute sa postérité il le conjure de ne pas écouter de pareils et horribles conseils, mais d'avoir pitié de cette malheureuse nation française et de tendre la main à la famille royale prête à tomber, assurant ainsi la dignité et la force de sa propre succession et empêchant que les rois étrangers au sang royal qui existent déjà ou ceux qui pourraient s'élever dans l'avenir, prévalent contre ceux à qui leur naissance donne droit à la couronne; il lui annonce qu'il a envoyé vers lui Aledran, et le prie de choisir, entre tous ceux qui ont pris part à l'élection et au couronnement de Charles, ceux qu'il lui plaira appeler devant lui pour exposer en présence de sa Sublimité les motifs qui les ont déterminés; il le supplie instamment de prendre en bonne part tout ce qui s'est fait de croire que telle est sa dévotion et sa fidélité à la soumission qu'il lui doit, qu'il inspirera toujours au roi Charles de se conduire en tout par ses conseils; qu'il compte donc sur son attachement, et que personne ne puisse le détourner d'accorder sa protection au royaume et à Charles. Dans une autre lettre encore, il proteste de sa fidélité et de sa dévotion envers Arnoul, et lui exprime le désir d'aller, au premier ordre, lui consacrer ses services ; il l'assure que les promesses que son roi Charles lui a faites, quand Arnoul lui a permis de rester maître du royaume, seront toujours inviolables pour le roi comme pour ses sujets ; enfin il lui annonce l'intention où est Charles de déclarer la guerre au roi Eudes, son ennemi, qui ne cesse de lui tendre des embûches. A l'empereur Gui; il lui exprime combien il se réjouit de sa gloire et de son exaltation, mais qu'il est étonné et inquiet de ce que depuis si longtemps il ne lui a donné aucune nouvelle de son état et de sa prospérité; il le prie d'accorder sa protection à son roi Charles, de se conduire envers lui comme un parent doit le faire, et de lui faire savoir au plus tôt quelles sont ses intentions ; il lui donne avis que le roi Arnoul n'est pas disposé à rester en paix avec lui; que Charles vient d'adresser un message au Siège apostolique pour se recommander aux prières du pape, lui demander sa bénédiction, et le prier de s'employer pour établir amitié entre lui et Gui ; il le prie aussi de faire assurer Charles de son amitié, soit par un envoyé, soit par lettres, et de compatir aux maux que son Église et lui souffrent à cause de la fidélité qu'ils lui gardent; enfin, il lui annonce que le roi lui a donné l'abbaye de Saint-Martin, et le prie de prendre sous sa protection les biens de ce monastère qui sont situés dans son royaume. Au roi Eudes; il lui demande d'accorder une élection libre à l'église de Laon qui vient de perdre son évêque, Didon, lui remontrant qu'il ne faut pas violemment contraindre les habitants de cette ville à recevoir un évêque dont ils ne voudraient pas ; il le prie de faire en sorte que cette église ne soit troublée ni inquiétée, et de ne pas permettre que ses biens soient pillés par des maraudeurs s'il ne veut pas participer aux peines que les coupables attirent sur eux. Au roi Charles, il lui témoigne son indignation de ce qu'il a appris que cédant à de mauvais conseils, il a conçu le dessein de faire alliance avec les Normands, afin que par leur assistance il pût s'assurer sur le trône Quel est, lui dit-il, le sujet fidèle comme il doit l'être, qui ne tremble à la pensée que vous voulez faire amitié avec les ennemis de Dieu et vous appuyer des armes païennes et d'une alliance abominable pour la ruine du nom chrétien? il n'y a pas de différence entre faire alliance avec les païens et adorer les idoles et si, comme dit l'Apôtre, les mauvaises paroles corrompent les bonnes mœurs, combien plus la chasteté d'une âme chrétienne est-elle corrompue par les conseils et la société des païens? il est impossible qu'elle n'imite pas ce qu'elle verra à tous les moments ; bien plus, elle s'y habituera insensiblement et sera entraînée dans le crime par les liens de la mauvaise habitude. Certes, si les rois vos aïeux ont régné heureusement et ont transmis l'héritage de leur trône à leur postérité, c'est parce que, renonçant à leurs erreurs, ils se sont soumis noblement au culte du vrai Dieu, et ont toujours cherché en lui leur force ; et vous, au contraire, maintenant vous abandonnez Dieu; car, je dois le dire, quoiqu'à mon grand regret, c'est abandonner Dieu que faire alliance avec ses ennemis, et je puis avec raison vous adresser ces paroles que le Prophète adressait autrefois à un roi d'Israël commettant la même faute : Vous prêtez secours à l'impie et vous vous unissez d'amitié à ceux qui haïssent le Seigneur; quand vous devriez mettre un terme à vos iniquités, renoncer à vos rapines, à vos déprédations sur les pauvres, et faire pénitence, vous allez au contraire, pour provoquer davantage la colère de Dieu, vous unir à ceux qui l'ignorent, et n'ont de foi qu'en leur férocité. Croyez-moi, ce n'est pas ainsi que vous parviendrez à vous assurer votre royaume ; bien au contraire vous hâtez votre perte ; le Dieu que vous irritez, vous frappera plus promptement ; jusqu'ici j'avais mieux espéré de vous ; maintenant je vois que vous allez périr avec tous les vôtres si vous persistez dans vos desseins, et à écouter de mauvais conseils; certes, ceux qui vous en donnent de pareils ne vous sont pas fidèles, mais bien infidèles de tout point; si vous voulez les écouter, vous perdrez à la fois le royaume terrestre et le royaume céleste. Je vous supplie donc, au nom de Dieu, de renoncer à un si pernicieux dessein ; de ne pas vous précipiter dans la mort éternelle, et de ne pas coûter, à moi et à tous ceux qui vous sont fidèles selon Dieu, des larmes intarissables; mieux vaudrait pour vous n'être jamais venu au monde que de vouloir régner par le secours du diable et prêter assistance à ceux que vous devriez attaquer et ruiner par tous les moyens possibles. Sachez donc que, si vous le faites, vous ne me devez plus compter comme fidèle, que je détournerai de votre foi tous ceux que je pourrai conseiller, et qu'avec mes co-évêques, vous excommuniant vous et les vôtres, je vous frapperai d'un éternel anathème. Si je vous écris ainsi ce n'est qu'avec larmes et gémissements, à cause de la fidélité que je vous garde, et parce que je désire vous voir toujours honoré selon Dieu et selon le siècle, et que vous parveniez au trône qui vous appartient par l'aide de Jésus-Christ et non par celle de Satan; car le royaume que Dieu donne a de solides fondements; mais celui qui est acquis par injustice et rapine est fragile et caduc et ne peut subsister longuement. A l'empereur Lambert; il lui adresse une lettre de félicitations, et lui fait part de ce que le pape Formose lui a mandé dans ses lettres; savoir, qu'il porte la plus vive affection à l'empereur, qu'il veillera toujours à ses intérêts comme à ceux d'un fils bien-aimé et qu'il veut entretenir avec lui une concorde indissoluble. En conséquence Foulques exhorte ce prince à se montrer reconnaissant envers le pape de tant de bonté, à l'aimer comme le père le plus tendre, à lui garder en tout fidélité et obéissance; enfin à obtempérer en vrai fils à ses avertissements et à l'autorité du saint siège de Rome, avec la vénération qui leur est due. C'est ainsi, lui dit-il, que votre empire s'établira sur des fondements d'une solidité éternelle; la main de Dieu vous soutiendra contre vos ennemis du dedans et du dehors, et avec l'assistance divine, vous serez toujours vainqueur et supérieur à tous vos adversaires. Rappelez, je vous prie, en votre mémoire votre très glorieux oncle Lambert du même nom que vous, quelle a été sa conduite envers le Saint Siège, quel en a été aussi le prix; et craignez de servir comme lui d'exemple, si vous tentez jamais quelque entreprise pareille à la sienne. Suppliez le seigneur apostolique de daigner l'absoudre, et d'intercéder pour lui auprès de Dieu. Je vous demande aussi en grâce de me ménager sa bienveillance, afin qu'il ait mémoire de moi et du siège de Reims; qu'il daigne nous maintenir nos privilèges, tels que nous les ont accordés et maintenus tous ses saints prédécesseurs que si quelqu'un essaie de troubler les oreilles de sa Clémence, et de lui porter quelque plainte de nous, il ne croie pas d'abord à nos accusateurs jusqu'à ce qu'il ait pu reconnaître, soit par moi, soit par un de ses messagers, ou par un des miens, ce qui sera réellement vrai. Du reste, que votre dignité impériale sache que Rampon, votre parent et le mien, a été excommunié par le même seigneur apostolique, ainsi que ses lettres me le font connaître. C'est pourquoi je conjure votre Mansuétude de tâcher de fléchir le souverain pontife en sa faveur, afin qu'il ne lui ôte pas les moyens de se repentir, de réparer ses fautes, et qu'il ne le laisse pas mourir sous le poids de l'anathème perpétuel; mais qu'il lui inflige la pénitence qu'il croira proportionnée à l'offense; enfin qu'il écrive, à nous et à tous les évêques d'Italie et de France, auxquels il a écrit au sujet de la condamnation, pour nous instruire du pardon, et nous dire ce qu'il exige de Rampon, et de quelle manière il doit se comporter. A Alfred, roi d'outre mer il lui rend grâces d'avoir élevé à l'épiscopat de la ville de Cantorbéry un vertueux et digne prélat, tout-à-fait selon les règles ecclésiastiques; car il avait appris que ce roi s'efforçait de retrancher, par le glaive de la parole de Dieu une secte perverse née des erreurs païennes, et jusqu'à ce moment laissée parmi cette nation, laquelle s'efforçait d'établir que les évêques et les prêtres pouvaient avoir des femmes épousées en secret; que chacun pouvait, au gré de son caprice, s'unir à ses parentes consanguines, profaner les femmes consacrées au Seigneur, enfin prendre une concubine même en ayant une épouse. Foulques démontre combien toutes ces assertions sont contraires aux plus évidents préceptes de la vraie foi, et le prouve par de nombreuses autorités tirées des saints Pères. A Richilde, reine et impératrice, pour l'admonester et la réprimander : il lui déclare qu'il a été saisi d'une grande douleur, en apprenant les bruits fâcheux qui courent sur sa vie et sur sa conduite ; que le diable est sans doute partout où elle est plutôt que Dieu puisqu'on ne voit autour d'elle que choses qui militent contre le salut de l'âme, comme colères, querelles, dissensions, incendies, homicides, débauches, rapines exercées sur les pauvres, et pillage des églises ; il l'admoneste sur toutes ces fautes avec un zèle et une sollicitude toute pastorale, l'engage à se déporter de tant d'iniquités pour porter des fruits de salut éternel, et lui propose le droit sentier pour qu'elle y entre, et que s'efforçant de monter sur le char des vertus, elle puisse atteindre aux œuvres de sagesse, de sainteté et de salut éternel; qu'elle tâche de garder pur de toute souillure le voile de Jésus-Christ qu'elle a pris à cause de son veuvage, afin de pouvoir le représenter sans tache au Seigneur; qu'elle ne se précipite pas dans l'enfer, où elle trouvera le mal infini et irréparable de mille misères qu'il met sous ses yeux; qu'elle examine profondément si elle est bien l'amie ou la sœur de Dieu que si elle ne l'est pas, elle mette sans relâche tous ses soins à le devenir, sinon par la candeur de la virginité, ce qui ne lui est plus permis, au moins par l'observance fidèle d'une continence salutaire, par une foi droite et simple, par l'amour de Dieu et de son prochain par les œuvres de miséricorde, enfin par une vie sobre, juste et pieuse qu'elle s'applique à amender sa vie, tandis que la journée dure encore, de peur qu'il ne lui arrive de tomber dans le piège de la confusion éternelle, pendant qu'elle oublie avec quelle rapidité la journée présente passe ; qu'elle soigne son âme ; qu'elle s'efforce de s'approcher le plus possible du Seigneur, et de devenir une colombe de simplicité et d'innocence, afin qu'au moment où elle quittera ce corps mortel, elle mérite d'entendre Jésus-Christ lui dire : L'hiver est passé et s'est retiré viens, ma colombe, et repose avec moi, assise à la droite de mon Père. Le digne évêque s'excuse ensuite de la prolixité dont il use, sur l'inquiétude qu'il a de son salut, et son désir de la voir devenir véritablement reine en ornant son veuvage de vertus et ayant sans cesse devant les yeux le jour de sa mort et de sa résurrection, et qu'elle entende aussi sans cesse cette parole de l'Apôtre : Veillez, justes, et ne péchez point; qu'elle rende gloire à son Dieu, et opère son salut; qu'elle évite le mal et fasse le bien enfin il prie Dieu que cette réprimande et cette correction dont il a été obligé d'user envers elle, touche son cœur d'une componction salutaire, afin qu'elle se retire enfin des pièges du démon ; que la grâce de Dieu la ressuscite du sépulcre des vices, et que, la retirant de la fièvre du mal, il la rétablisse ferme et stable dans le bien afin que dès ce monde et dans la vie éternelle elle puisse se réjouir avec ses saints Que si, dit-il, vous écoutez nos conseils, nous serons envers vous ce que nous devons être, en toute fidélité, révérence et due obéissance, et, ce qui est bien au dessus de tout, Dieu vous sera propice, comme nous le souhaitons et l'en prions. Autrement, nous voulons que vous sachiez bien que nous ne voulons pas pour vous encourir la colère de Dieu, et que, selon notre ministère, nous ferons contre vous tout ce que nous ordonne l'autorité canonique: et Dieu nous est témoin avec quel regret et quelle douleur ! Mais nous ne pouvons nous séparer de l'Apôtre, qui dit : Tant que je serai l'apôtre des Gentils je travaillerai à rendre illustre mon ministère; et ailleurs : Nous sommes les coopérateurs de Dieu; et encore : C'est Dieu qui opère en nous; et enfin : Est-ce que vous voulez éprouver la puissance de Jésus-Christ qui parle par ma bouche? C'est pourquoi je prie Dieu de toutes mes forces pour que mes paroles se gravent dans votre cœur, et que celui qui parle par moi à vos oreilles vous parle lui-même en votre cœur puisse, à noire prière, le Dieu tout-puissant étendre vers vous sa main du haut des cieux, et vous retirer du bourbier profond et fangeux de ce siècle. CHAPITRE VI. Des lettres de Foulques à différents évêques. L'archevêque Foulques a aussi adressé à divers évêques diverses lettres pleines d'un sel pieux et remplies d'autorités et maximes des Écritures. Ainsi à l'archevêque Frothaire, pour lui recommander les biens de l'église de Reims situés dans son diocèse, lesquels souffraient de grands dommages de la part de quelques usurpateurs ; il l'avertit et le prie que, fidèle au ministère que Dieu lui a confié, et aux préceptes apostoliques, dont il lui cite plusieurs exemples, il défende à ces usurpateurs, au nom de l'autorité canonique de rien enlever désormais des biens de l'église de Reims, s'ils ne veulent encourir la colère du Seigneur et des saints. A Rostagne, évêque d'Arles, pour lui rendre grâces de sa sollicitude pour les biens de l'église qu'il avait remis à sa providence et sous sa protection ; cependant il a appris que quelques usurpateurs y exercent des ravages ou les envahissent ; c'est pourquoi il l'engage à frapper les coupables d'une sévère excommunication, s'ils ne veulent pas se corriger, à moins qu'il ne juge à propos de porter cette affaire devant le Siège apostolique. A Hermann, archevêque de Cologne; il lui exprime le désir d'avoir un entretien avec lui et les autres évêques de son diocèse, et de traiter avec lui des nécessités des églises, comme ce prélat le lui avait lui-même témoigné ; mais qu'il en est empêché par les nouvelles tempêtes dont les Normands menacent le royaume; que dès qu'une occasion se présentera il s'empressera de mettre ce projet à exécution ; il lui intime en outre que quelques biens de l'église de Reims, situés dans son diocèse, sont possédés sans titre par certains usurpateurs ; qu'il avait déjà quelque temps auparavant prié le roi Arnoul, à Worms de donner l'ordre à l'évêque Willebert, son prédécesseur, de procéder contre les coupables selon les règles et formes canoniques; et Hermann lui-même avait été chargé de cette mission par le roi; mais comme Willebert n'a pu accomplir cet ordre, il le prie de frapper d'une punition canonique, et les usurpateurs, et tous ceux qui commettront le moindre attentat sur ces biens, s'ils ne se hâtent de renoncer à leur coupable conduite; il adresse encore au même Hermann un décret du pape Symmaque, qui lui trace de la manière la plus expresse la conduite qu'il doit tenir en cette circonstance; — item pour quelques biens de l'église de Reims situés sur le Rhin, dans un lieu nommé Bothert, et qu'il avait confiés à Maingaud celui-ci étant mort, il prie Hermann de vouloir bien les prendre sous sa protection et d'avertir un certain Vibert qui tenait en sa possession d'autres biens de l'église de Reims, de les lui rendre amiablement; il lui recommande encore quelques biens appartenant à une abbaye qui lui avait été concédée par le roi, et qui était située dans le diocèse d'Hermann il le prie de la défendre contre les invasions des étrangers. A Walther, archevêque de Sens, au sujet de l'affaire de l'abbesse Hildegarde, pour laquelle il lui avait adressé plusieurs citations à comparaître. Walther avait négligé de répondre, partie par distraction d'affaires, partie par empêchement de maladie; c'est pourquoi Foulques lui prescrit de quelle manière cette affaire doit être amenée à une décision conforme aux règles, et il le prie de ne pas manquer de se rendre au plaid indiqué que s'il ne vient pas, il s'efforcera de faire seul avec la grâce de Dieu et sans blesser la charité, ce qui doit être fait; que s'il a différé jusque là ce n'est pas qu'il crût ne pas avoir le privilège et le droit d'en agir ainsi mais bien par égard pour l'affection qu'il lui porte, et qu'il veut conserver sans aucune atteinte ; il prie aussi Walther de faire avertir l'abbesse Hildegarde comme sa diocésaine, de ne pas prétexter cause d'ignorance pour manquer au plaid, et de s'empresser au contraire de se présenter au jour marqué; — item des lettres de consolation sur sa maladie, et touchant l'absolution qu'il lui avait demandée tant à lui qu'à ses frères ; il y parle aussi des mesures à prendre pour régler le temps et le lieu d'une entrevue qu'il veut avoir avec lui. A Pléonic, archevêque d'outre mer; il le félicite de ses saintes entreprises pour arracher et extirper les germes impurs de débauche et de libertinage dont il a déjà été fait mention dans les lettres de Foulques au roi Alfred et qui avaient pris racine parmi cette nation; il le munit de toutes les armes et autorités de la censure canonique, désirant, dit-il, de participer à ses pieux travaux. A un certain Jean, évêque romain, pour lui témoigner l'affection qu'il lui porte et qu'il dit si grande qu'il n'a jamais trouvé personne avec qui il ait été lié si étroitement par le sentiment d'une mutuelle charité; il lui appelle avec quelle bienveillance il en a été accueilli à Rome avec quelle généreuse et libérale urbanité il en a été traité, enfin de quels bienfaits il en a été comblé, et l'assure qu'aussitôt que la paix sera rétablie il s'empressera de prouver par ses services, sa reconnaissance et sa dévotion tant envers lui qu'envers le pape Etienne, il le prie de le protéger par sa faveur auprès du pape et de l'assister en tout ce qui lui paraîtra nécessaire, et qu'il s'en fie à lui comme à soi-même. A Dodilon, évêque de Cambrai qu'il avait plusieurs fois appelé à divers plaids sans qu'il en eût fait aucun cas, il l'avertit et le prie de ne pas manquer de se rendre au prochain plaid qui se tiendra au premier endroit, où le roi Eudes se trouvera avec les évêques afin de terminer l'affaire d'Hildegarde et d'Hermengarde, il lui enjoint de faire avertir et sommer canoniquement de se rendre à cette assemblée les accusateurs d'Hermengarde, ceux qui ont donné l'ordre de crever les yeux au prêtre, et de le pendre, ceux qui ont obéi à cet ordre criminel enfin tous ceux qui ont été complices ou fauteurs de ce crime; — item pour le même sujet; il lui rend grâces d'avoir reçu et exécuté dévotement son mandement, et de s'être présenté exactement au jour fixé; mais il le blâme de ce que dans une affaire toute ecclésiastique, il s'est servi pour messager d'un laïque au lieu d'un clerc : Foulques, retenu en partie par son service auprès du roi, en partie par une indisposition, n'avait pu lui-même se trouver à la réunion qu'il avait indiquée; il s'en excuse; ensuite il prie Dodilon de vouloir bien se ressouvenir de quelle manière il s'est conduit envers lui; avec quel zèle sans que le roi sans que personne s'intéressât à lui il s'est employé pour le faire parvenir à l'épiscopat, lorsque cependant il ne lui était pas encore bien connu; néanmoins il avait agi pour lui comme pour un frère bien-aimé, parce qu'il lui avait cru et lui croyait encore une prudence sans détour, une foi sincère et une fermeté inébranlable, et parce qu'il avait espéré trouver en lui un aide et un coopérateur empressé à le seconder en tout ; il le prie donc, au nom de cette affection sincère qu'il lui croit pour lui, de venir sans délai et toute occupation cessante, à la réunion épiscopale qu'il lui indique, et de n'y manquer pour aucune cause, si ce n'est pour maladie ; il lui mande de faire sommer canoniquement les personnes qu'il lui a désignées dans sa précédente lettre, de comparaître devant l'assemblée solennelle des évêques, et d'être prêtes au jour fixé ; — item de concert avec ses co-évêques Didon de Laon, Hétilon de Noyon, Riculfe de Soissons, Hermann de Térouane, pour lui annoncer qu'ils se sont réunis à Reims pour traiter de l'usurpation du comte Baudouin, au sujet duquel il lui avait déjà écrit à lui-même Dodilon, pour le prier de l'exhorter a se corriger de son orgueilleuse et insolente témérité mais comme Dodilon lui avait répondu qu'il ne pouvait aller se joindre à ces prélats, parce que l'épée des Normands lui coupait le chemin, Foulques compatit à ses peines, qui sont la peine commune. Au reste, il lui accorde ce qu'il lui a demandé au sujet de Baudouin, et l'engage à ne ménager pour le ramener ni les avertissements ni les exhortations, ni les réprimandes, lui proposant sans cesse les divines sentences des saints Pères; il lui donne aussi avis que des lettres sont adressées à Baudouin lui-même de la part des évêques et lui recommande, s'il est présent, de les lui lire; s'il est absent, de les lui faire remettre par son archidiacre, qui aura soin de les lui faire comprendre; que si l'archidiacre ne peut lui-même parvenir jusqu'à lui, il fasse lire publiquement devant lui ces lettres dans un des lieux où Baudouin a violé la religion et usurpé ses droits; qu'ensuite, s'il ne vient pas à résipiscence, aucun moine, ni chanoine ni chrétien quelconque ne reste auprès de lui, sous peine d'être lié des liens de l'excommunication; que si Hétilon vient a Arras, Dodilon l'aille trouver, afin qu'ils procèdent canoniquement de concerta tout ce qu'ils jugeront nécessaire et qu'ensuite il lui donne avis de ce qu'ils auront fait. A Hétilon, pour lui donner l'ordre de se rendre à Arras avec quelques fidèles du roi et d'y exécuter tout ce qu'il trouvera prescrit dans une instruction qui lui est donnée dans un autre écrit; — item pour se plaindre de la conduite que tient envers lui Dodilon, évêque de Cambrai, qui le paie de ses bienfaits par des outrages ; il prend Hétilon à témoin de la paternelle et franche affection avec laquelle il a procuré son avancement ; — item il lui raconte qu'un certain Rodolphe, homme très pieux, a légué à l'église de Reims un monastère situé dans son évêché, donnant en même temps le corps de saint Calixte pape et martyr, qu'il avait obtenu et rapporté de Rome; qu'il a prié amiablement Dodilon de se rendre au château d'Arras, d'y faire avec pompe et honneur la levée du corps du saint martyr, et de le conduire jusqu'au couvent de Saint-Quentin, que là, Hétilon lui-même, devait, ainsi qu'il l'en avait prié, se rencontrer, et accompagner le saint corps jusqu'à ce qu'enfin Foulques lui-même vînt le recevoir avec toute la pompe convenable, et le conduire jusqu'à Reims, où il serait conservé jusqu'à la paix, pour être ensuite restitué en son premier lieu dans le diocèse d'Hétilon; que Dodilon, au lieu de faire ce qu'on lui demandait, foulant aux pieds toute révérence filiale et fraternelle, est venu au milieu du chemin, et enlevant par force la sainte relique des mains de ceux qui la portaient, l'a déposée chez lui disant qu'il ne la rendrait qu'à Hétilon, à qui seul elle appartenait comme étant sise en son diocèse; mais que ce n'est là qu'une ruse et un prétexte de fraude, afin de pouvoir livrer ce saint corps au comte Hucbold. Il prie donc Hétilon d'envoyer un de ses messagers à Dodilon, pour le reprendre paternellement et fraternellement, et lui rappeler que c'est lui qui l'a placé sur le Siège épiscopal, sans autre motif que la religion et la foi qu'il lui croyait et sans aucune recommandation du roi ou de quelque seigneur ; qu'il l'exhorte à revenir d'une si coupable témérité et à ne pas forcer son archevêque de faire contre lui ce qu'il ne voudrait pas faire ; il prie ensuite instamment Hétilon de ne pas soutenir Dodilon en sa témérité mais de favoriser le parti de la justice de tout son pouvoir, et non seulement de consentir à ce que le céleste trésor confié par Rodolphe à l'église de Reims soit restitué à son église et à sa ville, mais encore de coopérer à cette restitution de tous ses moyens. A Didon, évêque de Laon, pour la réconciliation de l’âme d'un nommé Walther, qui, trouvé coupable de lèse-majesté, avait encouru la peine de mort; il lui est revenu qu'à l'article de la mort Walther a demandé le sacrement de pénitence par la confession, et le viatique de la sainte communion, mais que Didon le lui a refusé; que de plus il lui a refusé la sépulture et a défendu de prier pour lui ; il fait des reproches sévères à cet évêque, et s'indigne avec horreur qu'il ait pu agir ainsi lorsqu'il savait très bien qu'il est défendu de jamais refuser le sacrement de pénitence à un mourant ; il apporte à l'appui plusieurs témoignages des saints Pères, l'avertissant d'imiter la bonté du Maître commun et de faire miséricorde à ce pécheur qui avait demandé le remède de la pénitence à ses derniers moments ; il lui ordonne de faire prier pour lui, de le réconcilier et recommander son âme à Dieu selon la coutume des Chrétiens ; enfin de le transférer, du lieu où il avait été jeté sans sépulture, dans le cimetière des fidèles; pour le même sujet, il renouvelle sa demande, et cite l'exemple du bienheureux saint Grégoire envers un moine qu'il avait privé de la sépulture commune et du secours des prières, et auquel ensuite, après un certain temps, il ordonna d'accorder réconciliation ; il cite aussi cette parole de l'Évangile : Le fils de l'homme est venu pour chercher et pour sauver ce qui était perdu; enfin le concile de Nicée, qui ordonne d'accorder la grâce de la communion généralement à quiconque est près de mourir et demande le sacrement. A un certain Pierre, évêque romain, touchant les questions qu'il avait adressées au pape Formose au sujet d'Hermann, évêque de Térouane, auquel il se proposait de confier l'église de Châlons, veuve de son pasteur il le prie de parler au pape, afin de lui faire obtenir le plus promptement la réponse qu'il désire, l'avertissant de se rappeler ce qui avait eu lieu au sujet d'Actard, évêque de Nantes, que le souverain pontife Nicolas avait consenti à placer en attendant à la tête de l'église de Térouane et enfin avait fait installer archevêque de Tours; il insiste pour qu'il lui obtienne la même autorisation, et le prie, quand il l'aura obtenue, de la lui faire parvenir. A Honoré, évêque de Beauvais; il lui témoigne son étonnement de rencontrer en lui un esprit si ennemi et si contraire, quand il devrait se rappeler de quelle manière il s'est conduit envers lui comment il l'a toujours regardé comme un frère et comme un fils, et avec quel zèle il a travaillé à son élévation ; que malgré ses fautes cependant il ne doit pas désespérer, mais revenir au plus vite à la paix et à la concorde il l'avertit donc, comme le fils le plus cher, de revenir à lui, et de songer de quel ordre, de quelle profession il est de bien considérer qu'il n'a jamais été lésé en rien par lui; enfin de venir s'il lui est possible auprès de lui, afin qu'ils puissent conférer ensemble de vive voix; que, si cela est impossible, il lui envoie du moins un de ses familiers par lequel il puisse lui répondre et lui faire connaître ses intentions ; il lui donne avis qu'il court sur lui des bruits qu'il n'a pu croire légèrement; savoir, qu'il se livre à la rapine, envahit les possessions et pille l'argent d'autrui; il lui désigne nominativement un certain Robert qui s'est plaint auprès de lui qu'Honoré lui avait enlevé tous ses meubles. Pour moi, dit-il, je ne puis croire cela de vous, mais je pense qu'il y a quel qu'un qui, abusant de votre faveur et de votre autorité, s'est permis ces excès, et est ainsi cause qu'on vous attribue ce qui est le fait d'un autre ; si donc ces abus ont été commis par quelqu'un des vôtres, je vous conjure de réprimer, comme il le mérite, l'auteur ces maux, et de lui faire réparer tout le dommage; mais s'il était vrai que vous fussiez le coupable, je vous prie de changer de conduite, et de faire à celui qui a souffert dommage réparation pleine et entière. Au même; il lui fait des reproches sur plusieurs choses qu'il lui avait écrites avec peu de sincérité, donnant à entendre que le seigneur Foulques troublait la paix et la concorde par exemple, d'avoir dit qu'il avait prévenu l'archevêque que quelques pervers vexaient et opprimaient son église, et qu'il n'en avait obtenu aucune réponse. Foulques lui rappelle qu'il avait préféré employer la prière plutôt que l'autorité, pour obtenir de lui une trêve en faveur des accusés jusqu'à ce que les évêques pussent en conférer ensemble. Au sujet d'un certain Aledran qu'il menaçait d'excommunier, et contre lequel il semblait commander à son archevêque d'approuver et confirmer sa censure, Foulques lui fait observer que jamais il ne lui est entré dans l'esprit de ne pas avoir égard aux demandes et aux requêtes faites en commun par ses coévêques mais que l'Eglise ne saurait obéir à l'église de Beauvais toute seule; que d'ailleurs en cette excommunication on reconnaissait moins la vigueur de la censure ecclésiastique qu'on ne voyait prévaloir une animosité aveugle dont le principe était dans l'abandon du roi Eudes et l'établissement de Charles. Il ajoute ensuite quelques mots sur le veuvage des églises de Senlis et de Châlons, l'une desquelles, celle de Senlis, avait élu un certain Otfried, qu'ils avaient amené à l'archevêque de Reims, et qu'ils l'avaient prié de leur ordonner pontife ; il invite Honoré à venir sans délai, et sans prétexter d'excuse, pour l'assister en cette ordination ; il le prie cependant de ne pas prendre ces paroles comme s'il ne lui était plus permis d'espérer en son amitié, et dans l'intimité qui les avait unis et que de son côté il désire toujours conserver inviolable; c'est aussi, dit-il, pour l'honneur de son propre siège qu'il désire ennoblir et élever celui d'Honoré; mais se voyant déchiré à mots couverts dans ses lettres d'une censure mordante, il avait voulu se justifier de reproches si graves, de peur que son silence ne parût un aveu ; — item pour l'ordination de Mancion, co-évêque de Châlons, à laquelle Foulques l'avait invité; mais Honoré n'était pas venu et avait même été jusqu'à la censurer presque publiquement; cependant l'archevêque, supportant patiemment cette censure par zèle pour la charité, l'invite de nouveau à l'ordination d'Otfried; — item au sujet des lettres qu'Honoré lui avait écrites, et dans lesquelles il l'exhortait à prêter secours à l'État et à la religion de la sainte Église penchant vers sa ruine; l'archevêque lui dit qu'il rend grâces à Dieu de lui avoir inspiré la pensée de lui donner de si sages et affectueux conseils; ses premières lettres semblaient au contraire partir d'un cœur gonflé de rancune; que si vraiment Honoré a dans le cœur ce qu'expriment ses paroles, il est prêt à répondre à sa charité, et à tout faire pour la conserver inviolablement; mais, comme il ne voit pas que le moment soit favorable pour se réunir, aussitôt que, Dieu aidant, le temps sera propice, il aura soin de le prévenir, et de convoquer lui et les autres évêques, ses suffragants, pour lui transmettre un ordre du pape Etienne par lequel ce pontife accorde à Foulques la permission de rester, qu'il lui a demandée, mais lui enjoint d’envoyer à sa place les évêques Honoré et Rodolphe, de Laon, pour assister au synode qui doit se tenir à Ravenne. Foulques engage Honoré à obtempérer à l’ordre du souverain pontife. A Theutbold, évêque de Langres. Ses lettres à cet évêques sont pleines d'amitié et respirent la plus vive affection, d'ailleurs bien partagée; il s'y entretient avec lui d'affaires privées dont Theutbold lui avait fait parler par son messager; d’une entrevue qu'ils veulent avoir ensemble; de la parenté de Theutbold avec la famille royale, et de son amitié agréable au roi Charles; il le prie aussi de lui mander, sur Richard roi de Bourgogne et sur les Aquitains, tout ce qu'il aura pu apprendre. A Rodolphe, successeur de l'évêque Didon, dont nous avons parlé plus haut; il le félicite de son élévation et de son avancement dans le Seigneur ; — item pour un certain homme, son sujet, qu'il a rejeté et chassé ; il l'engage à prendre garde de faire tort à sa réputation épiscopale, et à ne pas donner occasion aux méchants de dire que ce qu'il fait dans un sentiment de justice n'est que l'effet de la vengeance; il lui remontre que l'église de Reims jouit de toute antiquité de ce privilège ; que tous les diocésains qui se sentent coupables de quelque offense envers leur évêque ont toujours recours à la sainte mère église métropolitaine pour obtenir grâce et pardon. Cependant, ajoute-t-il, je n'ai pas voulu en cette affaire user d'autorité, mais demander comme un ami à son ami, ou plutôt comme à un fils uniquement chéri, parce que j'étais sûr, je ne dis pas d'avoir quelque pouvoir, mais, pour ainsi dire, tout pouvoir sur votre affection. Il ajoute que miséricorde n'est pas vice, puisque Dieu lui-même tous les jours, après les plus terribles menaces de vengeance, ouvre son sein paternel aux pécheurs qui se convertissent à lui et que jamais nul homme n'est tellement tombé qu'on lui doive refuser la faculté de se relever, etc., etc. CHAPITRE VII. Des lettres de Foulques à quelques abbés et à plusieurs personnages illustres. A l'abbé Etienne, homme très noble et très vertueux, qui avait été sur le point d'être élu à l'épiscopat, mais qui venait d'être rejeté ; il lui écrit une lettre de consolation et l'assure qu'il lui gardera toujours l'amitié qu'il lui avait promise ; il s'afflige et gémit de voir déçu de ses espérances celui qu'il se réjouissait d'avance de voir porté par l'élection au gouvernement d'une église; il l'engage pourtant, quelque dure qu'ait été sa chute, à se relever avec courage, et lui exprime le désir de lui gagner et réconcilier ses proches, ses amis, et tous ceux qu'il pourra, etc., etc. A Baudouin, comte de Flandres, sur les actes coupables qu'il s'est permis, et dont il vient de s'occuper en assemblée avec les évêques de son diocèse; Baudouin, entre autres crimes, avait porté l'audace jusqu'à faire flageller un prêtre. Foulques lui remontre, par les témoignages tirés des saintes Écritures, l'énormité d'un pareil crime; il avait aussi enlevé plusieurs églises à des prêtres qui y avaient été ordonnés, et les avait données à d'autres, sans consulter leur évêque; il avait envahi et retenait par force un domaine que le roi avait donné à l'église de Noyon le seigneur Foulques lui cite les articles des canons et des lois civiles sur ces sortes de crimes; il lui reproche aussi d'avoir usurpé et gardé un couvent de moines, et de s'être soulevé contre le roi avec infidélité et parjure. Depuis longtemps déjà des avertissements avaient été adressés à Baudouin sur ces divers méfaits; mais après les longs délais qui lui avaient été accordés, malgré les appels qui lui avaient été faits par l'autorité épiscopale, il semblait, en changeant à tout moment de lieu, éviter de comparaître et rendre compte. C'est pourquoi Foulques lui adresse ces lettres et cette invitation paternelle pour l'engager à faire pénitence; s'il ne veut se soumettre, qu'il sache qu'il sera retranché de la communion des Chrétiens, etc., etc. il lui écrit, conjointement avec ses co-évêques du synode tenu à Reims l'an de l'incarnation de Notre-Seigneur 892 ; il lui reproche de fouler aux pieds les lois ecclésiastiques et civiles, d'usurper les biens de l'Église et des honneurs qui ne lui sont pas dus, rejetant loin de lui la crainte de Dieu, abjurant par ses œuvres la foi qu'il avait promise à Dieu dans le baptême, envahissant le lieu saint d'un ordre monastique et usurpant le titre d'abbé ; c'est pourquoi il a été décrété d'un commun accord, par tous les évêques réunis, de le frapper d'anathème ; néanmoins comme il peut rendre des services à l'Église et au royaume, la censure est suspendue ; on lui laisse le temps de réfléchir, de s'amender, et on le conjure par la miséricorde de Dieu de ne pas s'obstiner en sa coupable audace, de ne pas provoquer davantage la colère de Dieu, et lui mettre, pour ainsi dire le glaive à la main etc., etc. Suivent les témoignages des autorités divines produits pour sa correction et son amendement. Que, s'il persiste à ne pas vouloir se corriger, il sache qu'il sera séquestré de tout commerce avec l'Église, et frappé d'un éternel anathème. Il finit en lui mettant sous les yeux la sentence d'excommunication qu'il lancera au plus tôt contre lui. Au clergé et au peuple de l'église de Sens, au sujet du choix qu'ils ont à faire d'un évêque ; il leur reproche d'avoir différé de venir auprès de lui, et d'avoir préféré l'entretenir par lettres plutôt que de vive voix et leur ordonne de choisir entre eux, et de lui envoyer au plus tôt des personnes mûries par l'âge et la sagesse, habiles et incapables de se laisser entraîner hors du droit chemin par esprit de haine, faveur ou avarice. Aux desservants de l'église de Laon, sur ce qu'il a entendu dire qu'il existe entre eux des rivalités et des querelles, et qu'ils se séparent en conventicules ; c'est pourquoi il les avertit, comme des fils, que s'il en est ainsi, il faut se hâter de couper court au mal ; que la modération, la paix doivent régner dans leurs assemblées, et que chacun doit y parler, selon son âge, et selon les vertus qu'il a reçues de Dieu, mais sans orgueil aucun ni affectation de hauteur, etc. Afin de rétablir et conserver entre eux la concorde et la vraie charité, il leur envoie copie de la lettre qu'il a écrite au roi Eudes, pour leur obtenir une élection canonique, et il les exhorte, afin que rassemblés et réunis dans une même volonté, avec l'aide du Saint-Esprit, ils travaillent avec ardeur, et implorent avec ferveur la clémence de Dieu, pour qu'il daigne les bénir et diriger dans l'élection de leur pasteur. Aux frères de l'abbaye de Corbie, il leur adresse une lettre de correction et de réprimande sur leur conduite envers leur abbé, qu'ils s'étaient permis de déposer ; il leur reproche de l'avoir cruellement et témérairement chassé au moment où il était en proie à une maladie très grave; de ne l'avoir pas même reçu comme un étranger quand il était venu vers eux; de ne lui avoir pas témoigné la moindre humanité, mais au contraire de l'avoir chassé de l'habitation commune, et relégué hors de l'enceinte du monastère dans le lieu le plus sale et le plus vil ; enfin, d'avoir défendu, par une résolution commune, que personne allât le visiter ou consoler, et de l'avoir même en cas de mort, déclaré indigne de la sépulture commune. Il s'étonne qu'une telle méchanceté ait pu se glisser dans leurs cœurs et leur mettant sons les yeux les ordonnances et statuts apostoliques sur l'obéissance envers les supérieurs ; il leur montre qu'ils n'avaient pas le droit de priver de sa dignité, contre toute justice, un abbé régulièrement élu et établi dans les formes par l'ordination de l'archevêque, ni de détruire et fouler aux pieds à son égard tous les droits et toutes les lois, puisqu'il n'était en leur discrétion ni puissance de déposer un abbé et d'en établir un autre au gré de leur caprice ; il leur rappelle aussi la malédiction tombée sur Cham, pour s'être moqué de la nudité de son père, et leur montre qu'ils ont mérité le même sort. En conséquence, après leur avoir fait sentir à quels périls ils exposent leur Ordre, il les somme en vertu de l'autorité et du ministère dont Dieu l'a revêtu, de mettre fin à leur coupable révolte et de révérer et aimer leur abbé comme leur père, jusqu'au rétablissement de sa santé; et qu'alors, s'il ne peut plus soutenir un tel fardeau, il viendra lui-même se démettre devant le roi, afin que sur l'ordre de Sa Majesté, et de l'autorité de l'archevêque, un autre soit institué abbé à sa place. CHAPITRE VIII. Des acquisitions dont Foulques a enrichi l'évêché et de tout le bien qu'il y a fait. ENFIN ce prélat a fait beaucoup de bien au siège de Reims, car c'est à lui que l'évêché doit le monastère d'Avenay et plusieurs propriétés obtenues, soit des rois, soit de différentes personnes; comme aussi l'église de Reims a été par lui décorée et enrichie d'une foule de présents et d'ornements; il entoura la ville d'un nouveau mur, Ebbon ayant détruit l'ancien pour bâtir la basilique de Notre-Dame; il fit construire aussi plusieurs châteaux, par exemple Aumont, et un autre auprès d'Épernay, que le roi Eudes détruisit parce qu'il s'était détaché de lui pour élever le roi Charles sur le trône; il fit rapporter le vénérable corps du bienheureux saint Rémi, du monastère d'Orbay dans la ville de Reims et cette translation fut signalée par de grands et nombreux miracles que nous avons en partie rapportés plus haut. Comme en ces temps-là les Normands infestaient le pays des Francs et portaient partout le ravage, ce pontife accueillit et traita avec une bonté paternelle les prêtres, clercs et moines qui venaient de toutes parts chercher un asile auprès de lui; et entre autres les moines de Saint-Denis, qu'il reçut avec le précieux corps du martyr et les reliques de quelques autres saints, et qu'il entretint. Il fit aussi amener à Reims le corps du bienheureux Calixte, dont l'abbaye lui avait été donnée à lui et à son église, et il le fit déposer avec pompe et respect derrière l'autel de la Sainte-Vierge, et à côté de lui les reliques de saint Nicaise et de sa sainte sœur Eutrope, qu'il avait fait enlever et transférer solennellement de l'église de Saint-Agricole. CHAPITRE IX. De saint Gibrian et de ses frères. EN ce même temps on transporta aussi dans l'église de Saint-Rémi les restes de saint Gibrian du pays de Châlons où il était allé en voyage et où il était mort; car il était arrivé en cette province sept frères, savoir, Gibrian, Hélan, Trésan, Germain, Véran, Atran et Pétran, avec leurs trois sœurs, Fracie, Promptie, et Possenne, venus d'Hibernie en pèlerinage pour l'amour de notre Seigneur Jésus-Christ; et ils s'étaient établis chacun en divers endroits sur la rivière de Marne; or Gibrian, qui était prêtre, choisit pour sa demeure le village de Cosse où il vécut longues années sobrement, justement et pieusement, s'appliquant jusqu'à la fin de sa vie à combattre pour le salut. On dit que son corps fut d'abord enseveli sur le bord de la grande route publique, et qu'ensuite sur sa tombe fut construit un petit oratoire, à cause de quelques miracles qui y avaient été opérés ; une grande foule de peuple y venait en pèlerinage, surtout à la fête de l'anniversaire de son inhumation car il s'y opérait beaucoup de guérisons, dont quelques-unes nous ont été conservées par écrit, mais dont le plus grand nombre est demeuré inconnu ; cependant on y voit écrits les noms de trois femmes qui recouvrèrent la vue; et une autre, appelée Grimoare, y recouvra aussi l'usage d'une main; enfin, du temps du roi Eudes, quand la cruauté des Normands portait partout le ravage dans le royaume des Francs, cette chapelle fut réduite en cendres ainsi que plusieurs autres du même pays; et depuis l'incendie, on dit qu'on entendait souvent des voix qui chantaient des psaumes, sans qu'on vît personne; et pendant la nuit on y voyait briller des lumières. Le bruit de ces miracles s'étant répandu bien loin à la ronde, le religieux comte Haderic, conduit par l'amour de Dieu et la révérence qu'il portait à saint Gibrian, alla trouver Rodoard, évêque de l'église de Châlons, le suppliant instamment, puisque la chapelle où reposait le saint corps avait été entièrement détruite, et qu'il restait maintenant exposé aux injures de l'air, de lui accorder la permission de le transférer en un autre lieu où il put être plus dévotement et plus honorablement conservé et gardé; ce qu'il obtint enfin à force de prières lors faisant prix avec un batelier pour passer la rivière, ils convinrent ensemble qu'il se trouverait de nuit, avant le chant du coq, sur la rive, et l'attendrait avec son bateau ; à l'heure convenue, trois hommes et un prêtre envoyés par le comte se trouvèrent sur le bord; mais le batelier ne parut pas. et sa nacelle était attachée de l'autre côté de l'eau; ceux-ci attendirent longtemps et l'appelaient chacun à leur tour; mais voyant que personne ne leur répondait, saisis de douleur, ils se prosternent en terre, priant avec dévotion que si la volonté de Dieu était que le saint corps fût transféré de ce lieu, il daignât la leur faire connaître par quelques signes; aussitôt, rompant merveilleusement le lien qui la retenait de l'autre côté, la barque se détache et vient surgir en la rive où elle était attendue; ce que ceux-ci admirant avec dévotion et rendant grâces à Dieu ils montent sur la barque assurés de la volonté du Seigneur; et abordant à l'endroit où était le sépulcre, ils ouvrent le cercueil de pierre qui renfermait le sacré corps, l'enlèvent avec révérence, et le remettent dans un coffre tout neuf et préparé exprès; ensuite, transportés de joie, ils reviennent au bateau, repassent promptement la rivière, et transportent les reliques en les accompagnant de louanges au village de Balbi où il est constant qu'elles furent conservées avec grand honneur pendant trois ans; de là elles furent transportées en pompe dans l'église de Saint-Rémi, confiées à la dévotion du gardien, et déposées honorablement auprès du sépulcre du très saint père Rémi ; deux ans après, le comte Haderic et sa femme Hérisinde supplièrent humblement le seigneur évêque Foulques de leur accorder un lieu pour la sépulture du saint, du côté droit de l'église, à l'entrée de la grotte, ce qu'il leur accorda; alors ils firent bâtir un autel, qu'ils couvrirent d'argent, et où les sacrées reliques furent déposées avec respect; enfin quelque temps après que le corps saint avait été enlevé de sa première sépulture, une femme aveugle, nommée Erentrude, y vint en pèlerinage apportant un cierge et demandant guérison; mais quand elle eut appris que le corps n'y était plus, saisie de douleur, elle se prit à pleurer et à se plaindre, demandant au saint du Seigneur pourquoi il avait souffert qu'on l'enlevât de ce lieu, et pourquoi il avait abandonné ses voisins, qu'il comblait de tant de grâces; pendant qu'elle l'appelait à son secours avec gémissements, il lui sembla qu'elle devait aller au village de Maroug, où reposait le saint frère de Gibrian, Véran; là déposant son cierge sur le sépulcre, et se prosternant en oraison, elle se mit à invoquer en pleurant les deux frères, et tandis qu'elle répétait souvent le nom de Gibrian, la taie qui couvrait ses yeux se déchira, et par la grâce de Dieu elle recouvra la lumière qu'elle avait perdue. Enfin l'honorable pontife Foulques, toujours plein de sollicitude pour le culte de Dieu et l'ordre ecclésiastique, et embrasé de l'amour de la sagesse, rétablit à Reims deux écoles presque tombées en ruines, celle des chanoines du lieu, et celle des clercs de la campagne ; il appela maître Rémi d'Auxerre, pour y enseigner et exercer les clercs à l'étude des arts libéraux et lui-même s'appliqua avec eux à la lecture et à la méditation de la sagesse; il appela encore Hucbald, moine de Saint-Amand, homme fort versé dans les sciences de la philosophie; enfin il éclaira l'église de Reims de toutes les belles doctrines. CHAPITRE X. Du meurtre de l'archevêque Foulques. IL advint que pour punir le comte Baudouin de son infidélité, le roi Charles lui enleva l'abbaye de Saint-Vaast, qu'il possédait, avec le château d'Arras et la donna à Foulques ; or, le comte Altmar tenait en ce temps l'abbaye de Saint-Médard, qui lui convenait mieux, et Foulques lui proposa l'échange en conséquence il en reçut l'abbaye de Saint-Médard, et lui donna l'abbaye de Saint-Vaast, après avoir assiégé et repris de force à Baudouin le château d'Arras. Irrités de cette perte, Baudouin et tous les siens ne cherchent plus qu'a se venger; pour cela d'abord ils feignent de renouer amitié avec le prélat; et bientôt cherchant l'occasion, ils se mettent à épier avec quelle suite il se rendait ordinairement de sa demeure à la cour du roi. Un jour donc qu'il allait trouver le roi, n'étant accompagné que de très peu de monde, ils le surprennent en chemin, ayant à leur tête un certain Winemar ; au premier abord ils font semblant de lui parler de l'amitié de Baudouin et de leur réconciliation, puis fondant sur lui à l'improviste et à coups de lances, ils le terrassent et le tuent. Quelques-uns des siens cherchant par dévouement à le couvrir de leurs corps, furent percés de coups et tués avec lui, les autres, parvenus à s'échapper, allèrent porter cette triste et accablante nouvelle à ceux qui étaient restés au logis. Étonnés, transportés de colère à la vue d'un si horrible attentat, ceux-ci prennent les armes, et se mettent à la poursuite des assassins, brûlant de venger leur évêque; mais n'ayant pu les rencontrer, ils enlèvent le corps en poussant de grands cris et le rapportent à Reims au milieu du deuil et de la désolation de tous les siens. Là, après avoir lavé le corps, et lui avoir rendu les derniers devoirs avec pompe ils le déposèrent dans une sépulture digne de lui. Winemar, son assassin excommunié et anathématisé avec ses complices par tous les évêques du royaume de France, fut en outre frappé par Dieu d'une plaie incurable ; toutes ses chairs tombaient en pourriture, un sang corrompu s'échappait de toutes les parties de son corps, et les vers le rongeaient tout vivant; personne ne pouvant approcher de lui à cause de l'infection insupportable qu'il exhalait, il termina sa misérable vie par une mort misérable. CHAPITRE XI. De l'épiscopat d'Hérivée. Foulques eut pour successeur le seigneur Hérivée, lequel fut pris aussi à la cour du roi pour être promu à l'épiscopat. Noble de naissance, neveu du comte Hucbald par sa mère, quoique très jeune encore quand il fut élevé à cette dignité, il fut ordonné par Riculfe, évêque de Soissons, Dodilon de Cambrai, Otgaire d'Amiens, Mancion de Châlons, Rodolphe de Laon, Otfried de Senlis et tous les autres évêques diocésains y donnèrent leur consentement et confirmèrent le décret de son ordination. Hérivée s'appliqua de suite à paraître digne du haut rang où il était placé, se montrant aimable à tous les gens de bien, offrant un modèle aux vieillards eux-mêmes, aimant les pauvres et les traitant avec bonté, consolant et soulageant les religieux avec générosité, très miséricordieux et bienfaisant envers les affligés, très instruit aux chants de l'église, excellant dans la psalmodie et habile jusqu'à la perfection dans cet exercice, doué de tous les agréments de l'esprit et de la figure, doux, modeste, plein de bonté, père de son clergé et patron zélé du peuple, lent à s'irriter, prompt à s'apitoyer, ami zélé des églises de Dieu, courageux défenseur du troupeau qui lui était confié. Il fit rentrer au domaine de l'église grand nombre de biens et de villages que son prédécesseur avait concédés à différentes personnes a titre de précaires et de fiefs. Quoique tout occupé à la poursuite des biens spirituels, les temporels lui affluaient de toutes parts, et il en disposait avec prudence et sagesse; et s'il vaquait incessamment à la prière, c'est parce qu'il ne confiait l'administration du diocèse qu'à des ministres capables et habiles aussi pendant son pontificat, les greniers et les caves de l'église furent toujours remplis les domaines furent gouvernés avec sagesse et miséricorde un grand nombre de bourgs et colonies furent réparés et d'autres fondés. CHAPITRE XII. De la translation du corps de saint Rémi en son monastère. CE prélat conçut le projet de faire rapporter dans la basilique où il avait été enterré d'abord le corps du bienheureux saint Rémi, depuis longtemps déposé et gardé derrière l'autel de la grande église de Notre-Dame, dans la Cité. Or on était alors en hiver, et le roi Charles et plusieurs seigneurs de la cour s'étaient réunis en la ville de Reims pour célébrer la fête de la Nativité de Notre-Seigneur ; comme la pluie ne cessait de tomber, il y avait beaucoup de boue par toute la ville et dans tous les environs, et plusieurs commençaient à se plaindre, demandant comment il serait possible par un pareil temps de reporter le saint corps en son lieu; mais il advint que la nuit qui suivit la fête des saints Innocents, et qui précédait le jour où devait avoir lieu la cérémonie, un vent du nord se leva tout-à-coup sur le minuit, et gela soudainement toute cette immense et affreuse quantité de boue, en sorte que l'humidité étant desséchée, on put marcher à pied sûr et d'un pas ferme sur la superficie glacée, et transporter librement les restes du saint pontife. Quand on fut arrivé hors de la ville, à l'endroit où la route se dirige de droit fil au monastère de Saint-Rémi, un boiteux dont nous avons déjà parlé plus haut, fut redressé par la vertu divine, et complètement guéri. Comme il y avait grande foule le peuple accourant de toutes parts, quelqu'un dans la presse coupa à Richard, duc de Bourgogne, le fourreau orné d'or et magnifiquement incrusté de pierreries qui pendait à sa ceinture. Pendant plus d'une année le marchand qui l'avait acheté le porta à toutes les foires et marchés sans pouvoir trouver à le vendre, jusqu'à ce qu'enfin il le rapportât au duc de Bourgogne, qui le reçut en remerciant et bénissant saint Rémi. CHAPITRE XIII. De la réparation du château de Mouzon et de quelques autres forts ou églises. CE pontife fit réparer et fortifier les murs du château de Mouzon, et y fit rebâtir à neuf une église depuis longtemps ruinée, qu'il consacra à la sainte Mère de Dieu, à qui elle avait été primitivement dédiée il y fit transporter les reliques de saint Victor qu'on avait trouvées non loin de ce château. Il fit aussi bâtir un fort en lieu sûr au village de Coucy, et un autre à Épernay sur la rivière de Marne. Il fit rebâtir plusieurs églises qui avaient été détruites durant la persécution des Normands, et il en fit la dédicace. Dans les Vosges il construisit une église dans le domaine du bienheureux saint Rémi; et, avec le consentement de l'évêque de Mayence il en fit la dédicace, y ayant déposé quelques reliques de ce grand saint ; à Reims, il fit aussi la dédicace d'une église bâtie hors des murs par les chanoines de la ville, en l'honneur de saint Denis, dans laquelle il déposa, pour y être conservés, les restes du bienheureux saint Rigobert, évêque, et de saint Théodulphe, abbé; il fit déblayer et nettoyer une chapelle placée sous la grande église, qui était depuis longtemps demeurée encombrée de terres, et où l'on dit que le bienheureux saint Rémi avait coutume de répandre en secret ses prières devant Dieu et il la consacra en l'honneur de ce saint évêque; il orna en outre l'église de Reims de beaucoup de dons, l'embellit de couronnes d'argent, de lampes d'argent et d'or, et l'enrichit de vases faits de ces deux précieux métaux, ou même en pierreries il éleva et consacra, en l'honneur de la Sainte-Trinité un autel au milieu du chœur, et l'entoura de tables revêtues d'argent il couvrit d'or la grande croix, et orna magnifiquement de pierreries et de saintes reliques; il décora la grande nef d'un grand nombre de tapisseries de soie. Enfin je ne puis non plus oublier les bienfaits dont il m'a comblé moi et tous les autres clercs et chanoines, moines et religieux; en un mot tous ceux qui ont eu recours à lui en leurs besoins. CHAPITRE XIV. Des assemblées synodales tenues par Hérivée, de la conversion des Normands, et de l'expédition contre les Hongrois. Il tint souvent des assemblées synodales avec les coévêques de sa province, dans lesquelles il prit grand nombre de mesures sages et salutaires pour la religion et la paix de l'Église de Dieu et du royaume ; il travailla beaucoup aussi à adoucir et convertir les Normands, tant qu'enfin, après la guerre que leur fit Robert, comte de Chartres, ils consentirent à recevoir la foi chrétienne, à condition qu'on leur concéderait quelques contrées maritimes, avec la ville de Rouen qu'ils avaient presque détruite, et toutes ses dépendances. A la demande de Gui, alors évêque de Rouen, Hérivée lui envoya vingt trois articles extraits des diverses autorités des saints Pères, sur la manière dont il devait traiter les Normands; en outre, il voulut consulter à ce sujet le pontife romain, et ne manqua jamais, tout en prenant son avis, de lui insinuer le sien sur les mesures à suivre dans la conversion de cette nation païenne. Quand les Hongrois vinrent ravager le royaume de Lorraine, et que le roi Charles appela tous les grands de France à son secours, seul entre tous les primats du royaume, Hérivée répondit à son appel, et vint trouver le roi, seulement pour la défense de l'Église de Dieu, ayant avec lui, comme on le rapporte, quinze cents hommes armés. CHAPITRE XV. Du secours donné par Hérivée au roi Charles abandonné des siens. L'année suivante, quand presque tous les grands du royaume de France abandonnèrent leur roi Charles à Soissons, en haine d'Haganon, son conseiller, qu'il avait choisi dans un rang inférieur, et qu'il écoulait et honorait par dessus tous les grands seigneurs, ce pontife, pieux et fidèle, et toujours ferme au milieu du péril, sut intrépidement tirer le roi de Soissons, l’emmena dans ses terres, et de là à Reims, et pendant près de sept mois, il l'accompagna et le suivit partout, jusqu’à ce qu'enfin il lui ramena les seigneurs, et le remit en son royaume. CHAPITRE XVI. De l'excommunication et absolution du comte Erlebald. CE prélat avait excommunié Erlebald, comte du Portian, à cause d'une terre de l'église de Reims qu'il avait envahie, et sur laquelle il avait fait bâtir un fort sur la Meuse, d'où il causait de fréquents dommages aux serfs ecclésiastiques; joint aussi qu'il avait surpris le château d'Aumont mais voyant que l'excommunication ne produisait rien sur lui, l'archevêque s'avança en armes avec ses gens, et vint assiéger ce fort qu'il avait construit et qu'il nommait Mézières. Après un siège d'environ quatre semaines, Erlebald fut forcé de céder, et le pontife y entra, et y mit garnison; après quoi il revint à Reims. Erlebald en se rendant auprès du roi, qui était alors dans le pays de Worms en présence de Henri de Germanie, fut surpris en route et tué par un parti ennemi. Plus tard, à la requête et sollicitation du roi Charles, Hérivée délia le défunt de l'excommunication, dans un synode qu'il tint avec ses coévêques à Troli, près de Soissons. CHAPITRE XVII. De la mort d'Hérivée. ENFIN, la discorde croissant toujours entre le roi Charles et Robert, lorsque presque tous les grands du royaume étaient rassemblés au monastère de Saint-Rémi de Reims pour donner la couronne à Robert, l'archevêque, succombant à la maladie mourut le troisième jour après que Robert avait été fait roi, et quatre jours avant la fin de la vingt-deuxième année de son épiscopat. Il advint que le jour même de sa mort plusieurs évêques arrivèrent à Reims célébrèrent ses funérailles, et le déposèrent avec pompe dans la tombe, au milieu du deuil et des larmes des siens et de tous les étrangers. CHAPITRE XVIII. Séulphe succède à Hérivée. Hérivée eut pour successeur Séulphe, qui remplissait alors à Reims les fonctions d'archidiacre, homme suffisamment instruit dans les sciences ecclésiastiques et séculières, et qui avait étudié les arts libéraux à l'école de Rémi d'Auxerre. Son élection ayant été approuvée par le roi Robert, il fut par son ordre ordonné par Abbon de Soissons et les autres évêques de la province de Reims. Presque aussitôt après, on lui dénonça Eudes, frère du défunt archevêque Hérivée, et Hérivée son neveu, comme lui refusant la foi qu'ils lui avaient promise. Comme ils ne voulurent ni venir rendre compte de leur conduite à leur évêque, ni combattre en combat singulier contre leurs accusateurs, on leur enleva les terres de l'église, qu'ils possédaient en grand nombre, et ils furent conduits par le comte Héribert au roi Robert, qui les fit tenir prisonniers jusqu'à sa mort, Eudes, sous la garde d'Héribert, et Hérivée à Paris. On raconte qu'en récompense de leur expulsion l'archevêque Séulphe et ses conseillers s'engagèrent à assurer le siège de Reims au fils d'Héribert. Séulphe envoya ses messagers à Rome requérir le pape Jean de vouloir bien approuver son ordination ce qui lui fut accordé par le souverain pontife, qui aussi lui envoya le pallium, avec des lettres de confirmation des privilèges de l'église de Reims. CHAPITRE XIX. Du synode tenu par Séulphe, de ses actes et de sa mort. Séulphe tint un synode en la ville de Troli avec tous les évêques de la province de Reims, où se trouvèrent aussi plusieurs comtes. Dans ce synode, Isaac vint donner satisfaction pour les crimes qu'il avait commis contre l'église de Cambrai, en brûlant un château d'Étienne, évêque de cette ville, dont il s'était emparé par ruse. Cité à comparaître, il fit sa paix avec Étienne moyennant cent livres d'argent, grâces à l'entremise d'Héribert et de quelques autres comtes présents au synode. Séulphe fit entourer d'un mur le monastère de Saint-Rémi avec les églises et les maisons adjacentes, et y établit un château fort. Il fit réparer et repeindre les appartenons du palais épiscopal. Il fit faire en l'honneur de la Mère de Dieu un grand calice d'or avec des pierreries, du poids de dix livres, et une foule d'autres ornements pour la même église. Il avait entrepris de faire couvrir d'or un ciboire pour l'autel de Notre-Dame, mais la mort le surprit avant qu'il eût pu terminer cet ouvrage. On raconte qu'il mourut empoisonné par les domestiques et familiers du comte Héribert. CHAPITRE XX. De l'élection d’Hugues, fils d'Héribert. Aussitôt après la mort de Séulphe, le comte Héribert se rendit Reims, y appela Abbon, évêque de Soissons et Bovon, évêque de Châlons; et avec leur appui, il se mit à préparer l'élection et parvint à faire entrer dans ses projets le clergé et le peuple. En effet, ils suivirent son conseil; et, dans la crainte que l'évêché ne fût divisé entre des étrangers, ils élurent son fils Hugues, encore enfant, et qui n'avait pas encore cinq ans accomplis. L'élection terminée, ils s'adressent au roi pour en obtenir la confirmation, et le roi Raoul[1] sur l'avis des évêques de la province, confia l'évêché de Reims à Héribert pour être par lui administré et gouverné civilement selon justice. Celui-ci s'empressa aussitôt d'envoyer à Rome des députés de l'église avec l'évêque Abbon, pour porter au saint Père le décret d'élection et lui demander son assentiment. Le pape Jean, prévenu par Abbon, donna son consentement, et en même temps délégua l'évêché aux soins d'Abbon lui-même, avec le droit d'y régler et décider tout ce qui concernerait le ministère épiscopal. Alors Héribert maître du diocèse, me priva, moi et quelques autres clercs qui n'avions pas pris part à l'élection, de tous les bénéfices et biens ecclésiastiques dont nous avions été gratifiés par les évêques précédents pour nos bons services et les distribua, au gré de son caprice, à qui bon lui sembla. Peu de temps après, une querelle s'étant élevée, dans le cloître des chanoines, entre les clercs, des soldats y entrèrent en armes et il y eut deux clercs de tués, dont l'un était diacre et l'autre sous-diacre. CHAPITRE XXI. Des incursions des Hongrois et des querelles du roi Raoul et du comte Héribert. Cependant les Hongrois ayant passé le Rhin, et portant partout le ravage et l'incendie, s'avancèrent jusqu'au pays de Vouzi ce qui fut cause que l'on tira des lieux de leur sépulture, pour les transférer à Reims le corps de saint Rémi et les reliques de quelques autres saints. L'année suivante, une contestation s'éleva entre le roi Raoul et le comte Héribert, au sujet du comté de Laon, que le comte demandait pour son fils Eudes, et que le roi donna à Rotgaire, fils du comte Rotgaire. En la même année un dimanche du mois de mars, on vit à Reims des armées de feu se battre dans le ciel, et bientôt après s'ensuivit une peste terrible c'était une espèce de fièvre et de toux qui était suivie de la mort, et qui exerça ses ravages sur toutes les nations de la Germanie et des Gaules. Cependant Héribert s’était empressé d'envoyer ses messagers au-delà du Rhin vers Henri, qui lui manda par eux de venir le trouver pour parlementer. Héribert s'y rendit en diligence avec Hugues, fils de Robert; et s'étant ligués ensemble par un traité, ils s'honorèrent mutuellement de présents. Un synode des six évêques de la province de Reims se tint à Troli par l'ordre du comte Héribert, et malgré l'opposition du roi Raoul ; ensuite Héribert fit sortir Charles de la captivité où il le retenait, et le conduisit à Saint-Quentin; et de là, tous les deux, de concert, firent demander une conférence aux Normands. Dans cette entrevue, Guillaume, fils de Rollon, duc de Normandie, prêta hommage à Charles, et fit amitié avec Héribert après quoi Héribert vint à Reims avec Charles, et de là adressa des lettres au pape Jean, lui marquant qu'il faisait tous ses efforts pour rétablir Charles sur le trône comme ce pontife le lui avait enjoint sous peine d'excommunication. Mais l'envoyé qui avait porté ces lettres ne tarda pas à revenir, annonçant que le pape venait d'être jeté en prison par Gui, frère du roi Hugues. Héribert, après s'être emparé de Laon, alla au devant des Normands, selon l'invitation qu'il en avait reçue, et conclut amitié avec eux; cependant son fils Eudes, qui avait été remis en otage à Rollon, ne lui fut rendu qu'après qu'il eut fait soumission à Charles, avec quelques autres comtes et évêques de France. CHAPITRE XXII. Odalric, évêque d'Aix, est reçu à Reims; le roi Charles l'est remis on captivité. A peu près dans le même temps, Odalric, évêque d'Aix force d'abandonner son siège à cause de la persécution des Sarrasins vint chercher un asile à Reims, et y fut reçu par le comte Héribert, qui lui confia l'administration du diocèse à la place de son fils Hugues, qui était encore tout petit, et lui assigna pour revenu l'abbaye de Saint-Timothée, avec une prébende d'un seul chanoine. Hugues et Héribert se rendirent ensuite a une entrevue avec Henri; au retour, ils allèrent au devant du roi Raoul et Héribert se soumit de nouveau à lui, et remit Charles en captivité mais bientôt après Raoul, étant venu à Reims, où le malheureux Charles était gardé, fit sa paix avec lui, le reconnut et lui rendit hommage, lui restitua le fief d'Attigny et lui fit de grands présents. Héribert s'empara du château de Vitry, qui appartenait à Boson, frère du roi Raoul et ensuite, accompagné d’Hugues,[2] il alla mettre le siège devant Montreuil, forteresse assise sur les bords de la mer, et qui appartenait au comte Erluin; celui-ci ayant donné des otages, Héribert leva le siège et se retira. CHAPITRE XXIII. De la division qui éclata entre les comtes Hugues et Héribert et le roi Raoul. Bientôt la division éclata entre les comtes Hugues et Héribert, parce que Hugues avait reçu en foi et hommage Erluin et sa terre, qui dépendaient d'Héribert, et parce que de son côté Héribert en avait fait autant pour Hilduin et Arnold, qui dépendaient de Hugues. De là naquirent entre eux diverses émotions par la France. Pour la pacifier, Raoul, roi de Bourgogne, vint les trouver, et parvint enfin, après beaucoup de peine, à les accorder entre eux, ainsi qu'avec Boson, à qui Héribert rendit le château de Vitry. Après avoir gardé la paix pendant quelque temps, Héribert s'empara d'Anselme, sujet de Boson, qui commandait le château, et avec lui du château; et en retour, il donna à Boson le village de Couci, appartenant à saint Rémi, avec une autre terre. Peu de temps après ceux des habitants qui étaient restés fidèles à Boson reprirent Vitry par trahison, et surprirent Mouzon par ruse mais Héribert, appelé par quelques habitants de Mouzon survient à l'improviste, passe la Meuse par des gués dont on ne se doutait point, et, entrant dans la place par une porte qui lui fut livrée secrètement par les habitants, fait prisonniers tous les soldats que Boson avait laissés en garnison. Dans le même temps, avant Noël, on vit à Reims, au dedans et autour de l'église de Notre-Dame, une grande lumière qui, apparaissant un peu avant le jour du côté du nord et de l'orient, passa du côté du midi. L'année suivante, le comte Héribert abandonna le parti du roi Raoul, et ses soldats étant partis de la ville de Reims, prirent et détruisirent un château de Hugues, nommé Braine, et situé sur la Vesle, que Hugues avait lui-même enlevé à l'évêque de Rouen. CHAPITRE XXIV. De l'ordination du seigneur Artaud à l'épiscopat. LE roi Raoul manda par lettres au clergé et au peuple de Reims d'élire un évêque, mais ceux-ci lui répondirent qu'il leur était impossible de faire une élection, tant que leur élu vivrait, et que subsisterait ainsi leur première élection. Cependant le comte Héribert étant allé trouver Henri, et ayant fait alliance avec lui, les armées du roi et d’Hugues ravagèrent tout le pays de Reims et de Laon; le roi lui-même vint mettre le siège devant Reims, et y entra en maître la troisième semaine du siège, les portes lui ayant été ouvertes par les soldats de l'église ; là, réunissant quelques évêques de France et de Bourgogne, il fit ordonner évêque un moine de l'abbaye de Saint-Rémi nommé Artaud; ensuite marchant sur Laon, il y vint assiéger Héribert qui, après avoir tenu pendant quelque temps, demanda à sortir de la ville ce qui lui fut accordé. Il sortit en effet de Laon, mais il y laissa sa femme dans un château qu'il avait fait bâtir dans l'intérieur même de la place, et qui coûta au roi beaucoup de peine et de temps pour le prendre. L'évêque Artaud, un an après son ordination, reçut le pallium, qui lui fut remis par les envoyés de l'église du Reims, ou de la part du pape Jean, fils de Marie, dite aussi Marozie, ou de la part du patrice Albéric, frère du même pape, qui tenait son frère et sa mère en prison, et qui avait chassé de Rome le roi Hugues. Pendant que le roi Raoul tenait les gens d'Héribert assiégés dans Château-Thierry quelques évêques de France et de Bourgogne le vinrent trouver à ce siège, et il fut avisé entre eux de tenir un synode, auquel présidèrent Teutilon, évêque de Tours, et Artaud, de Reims; celui-ci y ordonna Hildegaire évêque de Beauvais; la même année encore, il consacra Fulbert au siège de Cambrai. CHAPITRE XXV Des signes qui furent vus à Reims, et des maladies qui s'ensuivirent. L'ANNÉE suivante on vit à Reims des armées de feu se battre dans le ciel et même quelques traits et javelots aussi en feu; mais surtout un serpent de feu, qui traversa rapidement les airs; et bientôt s'ensuivit une peste qui emporta les hommes par diverses maladies. L'année d'ensuite[3] un synode de sept évêques s'assembla à Sainte-Macre[4] sur la convocation de l'évêque Artaud, et auquel les pillards et usurpateurs des biens de l'église furent cités pour venir donner satisfaction. CHAPITRE XXVI. De la réception de Louis après la mort dit roi Raoul. L'année suivante,[5] le roi Raoul étant mort, le comte Hugues envoya outremer,[6] pour faire venir Louis, fils de Charles, que le roi Athelstan, son oncle maternel, élevait loin de la France, lequel ayant reçu le serment des ambassadeurs français, le renvoya en son pays. Hugues et les autres seigneurs du royaume vinrent au devant de lui, et aussitôt qu'il eut pris terre sur le rivage même de la mer, auprès de Boulogne, tous lui prêtèrent foi et hommage, et le reconnurent pour roi, ainsi qu'il avait été convenu des deux parts; de là, ils le conduisirent à Laon, où il reçut l'onction royale, et fut couronné des mains de l'archevêque Artaud, en présence des grands du royaume et de plus de vingt évêques. L'évêché de Laon fut donné à Raoul, prêtre de cette église, élu par le vœu unanime de ses concitoyens, lequel fut ordonné par le même archevêque; celui-ci ordonna aussi différents évêques dans les autres sièges de la province de Reims, excepté les sièges de Châlons et d'Amiens. Quand Héribert se fut de nouveau réconcilié avec Hugues, ses gens surprirent, par la trahison d'un certain Wicpert, un château de l'église de Reims, que l'archevêque Artaud avait fait construire sur la rivière de Marne; firent prisonnier Ragembert, cousin du prélat, lequel commandait en cette forteresse, et désolèrent par des incursions tout le pays environnant. Le roi Louis, appelé par l'archevêque, vint à Laon, assiégea un château nouvellement élevé par Héribert, et après plusieurs assauts et grands efforts de machines, parvint enfin à miner et ouvrir la muraille, et s'en rendit maître de vive force, non sans beaucoup de peines; il reprit aussi par les armes, sur les gens d'Héribert, le château de Corbeny, que le roi Charles, son père, avait donné à saint Rémi, et que les moines de l'abbaye avaient mis sous sa protection; toutefois, à la prière de l'évêque Artaud, il renvoya sains et saufs les hommes d'Héribert qu'il y avait faits prisonniers. CHAPITRE XXVII. De l'excommunication du comte Héribert. Enfin l'évêque Artaud, après avoir conféré avec plusieurs autres évêques, excommunia, en présence du roi, le comte Héribert qui avait usurpé et retenait plusieurs châteaux et villages de l'église de Reims; ensuite le roi Louis donna, par une charte de son commandement royal, à l'archevêque Artaud, et par lui à l'église de Reims, le droit à perpétuité de battre monnaie dans Reims; et il donna en outre à l'église tout le comté Rémois. Artaud alla mettre le siège devant le château qu'il avait perdu, et qui après cinq jours de siège, à l'arrivée du roi Louis, fut rendu et abandonné par ceux qui le défendaient; mais peu de temps après il fut rasé par ceux qui venaient de le reprendre. Des envoyés de Hugues vinrent trouver le roi, qui fit son possible avec eux pour ménager la paix entre Artaud et Héribert; ensuite il marcha avec Artaud contre un château que Hérivée, neveu de l'archevêque du même nom, occupait sur la Marne, et d'où il pillait les villages, des environs, appartenant à l'église de Reims; et bientôt, après avoir reçu des otages d'Hérivée, il revint à Reims, et dès le lendemain allant au monastère de Saint-Rémi, il se mit sous sa protection, avec promesse de lui donner chaque année un marc d'argent; il accorda aux religieux des lettres d'immunités pour leur château. CHAPITRE XXVIII. Comment Artaud fut expulsé de la ville de Reims. HUGUES, fils de Robert, s'étant ligué avec quelques évêques de France et de Bourgogne, vint assiéger la ville de Reims, avec le comte Héribert, et Guillaume, duc de Normandie. Après six jours de siège, presque tous les gens de guerre ayant abandonné Artaud et passé du côté d'Héribert, celui-ci entra dans la ville. Sommé par les évêques et les grands du royaume de se rendre à l'abbaye de Saint-Rémi, Artaud se laissa persuader, ou plutôt eut la faiblesse d'y aller et de se démettre de l'épiscopat l'abbaye de Saint-Basle lui fut donnée avec le monastère d'Avenay, et il s'alla retirer à Saint-Basle, après huit ans et demi passés dans l'épiscopat. Héribert et Hugues s'étant ménagé des intelligences avec quelques gens de Lorraine, allèrent assiéger Laon avec Guillaume, et laissèrent à Reims le jeune Hugues, depuis longtemps consacré évêque de cette ville, alors diacre, et qui fut ordonné prêtre par Gui, évêque de Soissons, trois mois après son retour, et quinze ans après son élection, lesquels il avait passés à Auxerre à l'étude des lettres, auprès de Gui, prélat de cette ville, qui l'avait ordonné diacre; car il avait reçu les ordres mineurs à Reims, des mains d'Abbon, évêque de Soissons. Mais bientôt le roi Louis revint de Bourgogne alors Artaud quitta le monastère de Saint-Basle, et alla trouver le roi avec quelques-uns de ses proches auxquels le comte Héribert avait enlevé les bénéfices ecclésiastiques qu'ils possédaient; et moi-même je fus privé par Héribert de l'église de Cormicy, avec la terre de bénéfice que j'avais alors; ensuite, comme je me disposais à aller visiter le tombeau de saint Martin, pour y prier, je fus retenu par lui prisonnier, quelques personnes m'accusant secrètement, auprès de lui, de partir à mauvais dessein contre lui et son fils, parce que je ne voulais pas le reconnaître pour évêque, ne sachant s'il plaisait véritablement à Dieu qu'il devînt notre prélat; et ainsi je fus, par l'ordre du comte, détenu cinq mois entiers chez nos frères, dans une captivité, en partie libre; mais il m'advint, par l'intercession de la bienheureuse Mère de Dieu, ma patronne et souveraine maîtresse, que je fus délivré le jour même de la conception et passion de notre Seigneur Jésus-Christ, et trois jours après, c'est-à-dire le 26 mars, le jour de la Résurrection de Notre-Seigneur, je sortis et allai avec notre évêque élu en la ville de Soissons, où les évêques de la province, réunis avec les comtes Hugues et Héribert, examinèrent ce qu'ils avaient à faire touchant l'ordination épiscopale du jeune Hugues, et décrétèrent, à la requête de plusieurs fils de l'église de Reims, tant clercs que laïques, qu'il serait ordonné, ses fauteurs disant qu'Artaud n'avait pas été élu, mais imposé par violence, que d'ailleurs il s'était démis. Là donc le seigneur Hugues me prenant par la main me présenta à son neveu, me recommandant à sa bienveillance; et celui-ci me donna l'église de Sainte-Marie, me rendit la terre qu'Héribert son père m'avait enlevée, et y en ajouta une autre située au même village. CHAPITRE XXIX Des malheurs qui survinrent ensuite. Aussitôt après cette assemblée les évêques se rendirent à Reims, et sacrèrent notre évêque élu en l'église de Saint-Rémi. Vers ce même temps, le monastère de Saint-Thierri fut illustré par plusieurs miracles dont nous avons déjà rapporté quelque chose plus haut quand nous avons dit l'histoire de ce bienheureux saint. A Reims, la grande croix que le seigneur Hérivée avait fait couvrir d'or et de pierreries fut enlevée de l'église de Notre-Dame pendant la nuit par des voleurs, gens, comme on sait, fort amis des ténèbres. On la chercha pendant longtemps en vain enfin, au bout d'un an on retrouva une partie de l'or et des pierreries, et les voleurs furent punis. Ajoutant à cet or et à ces pierreries quelques dons de sa munificence, l'évêque fit faire un calice en l'honneur de la sainte Mère de Dieu. Cependant, tandis que Hugues et Héribert tenaient assiégée la ville de Laon, le roi Louis, ayant assemblé ce qu'il put de gens de guerre, s'en vint au pays de Portian. Hugues et Héribert avertis levèrent le siège, vinrent à sa rencontre, et, tombant sur lui à l'improviste, tuèrent une grande partie de ses gens, et mirent les autres en fuite. Le roi lui-même, forcé de quitter le combat, et se tirant de la mêlée avec quelques-uns des siens, parvint à peine à s'échapper accompagné de l'évêque Artaud et du comte Rotgaire. Alors Artaud ayant perdu tout ce qu'il possédait, vint trouver Hugues et Héribert, conduit par ses amis ceux-ci lui rendirent les abbayes de Saint-Basic et d'Avenay, avec le village de Vandœuvre ; et après avoir fait sa paix avec l’évêque Hugues, il se retira de nouveau à Saint-Basic. L'année suivante, quelques traîtres furent découverts à Reims, les uns furent punis de mort, les autres furent privés de leurs biens ecclésiastiques et chassés de la ville. Des envoyés de l'église de Reims de retour de Rome rapportèrent à l'archevêque Hugues le pallium, de la part du pape Etienne avec eux vint pareillement une députation envoyée par le souverain pontife pour les engager à reconnaître le roi Louis, et à envoyer leurs messagers à Rome. CHAPITRE XXX. De l'occupation du château d'Aumont, de Mouzon, et de la mort d'Héribert. L'ANNÉE suivante,[7] l'évêque Artaud quittant de nouveau l'abbaye de Saint-Basle, se rendit auprès du roi, et celui-ci lui promit de lui rendre l'évêché de Reims. Alors Artaud menant avec lui ses frères et quelques autres qui avaient été chassés de l'évêché de Reims, s'empara du château d'Aumont. Le roi Louis fit aussi avec eux une tentative sur Mouzon où il fut repoussé et perdit quelques-uns des siens, Néanmoins il mit le feu à quelques maisons des faubourgs. Cependant le comte Héribert était mort, et de fréquents pourparlers avaient lieu entre le roi et le seigneur Hugues, pour décider le roi à recevoir les soumissions des fils d'Héribert. D'abord le roi consentit à admettre à foi et hommage l'archevêque Hugues, à la prière d'Othon, duc de Lorraine, de l’évêque Adalbéron et surtout sur les instances du comte Eudes, mais à condition que les abbayes qu'Artaud avait abandonnées pour venir auprès du roi lui seraient restituées, qu'on songerait à lui donner un autre évêché, et qu'on rendrait à ses frères et à ses proches les biens et dignités qu'ils avaient eus dans l'évêché de Reims. Les autres fils du comte Héribert furent ensuite reçus à soumission un peu plus tard. — Néanmoins l'archevêque Hugues prit et brûla le château d'Ambly, qu'occupaient Robert et son frère Raoul qui avaient été chassés de Reims, et d'où ils faisaient beaucoup de ravages sur les terres de l'évêché. Il alla aussi mettre le siège devant le château d'Aumont, tenu par Dodon, frère de l'évêque Artaud; mais, en ayant reçu pour otage son fils encore tout petit, il leva le siège et se retira, le roi d'ailleurs lui en ayant donné l'ordre. — L'année suivante,[8] l'armée royale ravagea l'évêché de Reims, et les fils d'Héribert l'abbaye de Saint-Crépin, Ragenold pilla aussi l'abbaye de Saint-Médard. Ainsi des deux côtés s'exerçaient avec fureur le pillage et la dévastation. CHAPITRE XXXI. Du siège de la ville de Reims par l'armée du roi Louis. L'année suivante,[9] qui est la cinquième de l'épiscopat d’Hugues, le roi Louis ayant rassemblé une armée de Normands, se mit à ravager le Vermandois. Prenant aussi avec lui Erluin et une partie des soldats d'Arnoul, l'évêque Artaud et tous ceux qui avaient été bannis de Reims, le comte Bernard et son neveu Théodoric, il vint mettre le siège devant Reims, ravager les moissons tout à l'entour piller et brûler les villages, ruiner les églises. Toutes les fois qu'on se battit aux portes et sous les murs, il y eut beaucoup de blessés des deux parts et assez grand nombre de tués. Le duc Eudes ayant livré combat aux Normands qui étaient entrés sur ses terres, en fit un grand carnage, et les chassa de ses domaines. Ensuite il envoya à Reims auprès du roi demander, en donnant des otages, que Ragenold vînt de la part du roi à un entretien avec lui. Ragenold étant venu il traita avec lui, et convint que le roi recevrait des otages de l'archevêque Hugues et lèverait le siège qu'ensuite, à un terme fixé le prélat irait le trouver pour rendre raison sur tout ce qu'il lui demanderait. Le traité ainsi conclu, le roi se retira de devant Reims après un siège de quinze jours, et peu de temps après fut pris par les Normands, et retenu captif en la ville de Rouen. Cependant Hugues alla assiéger le château d'Aumont, qui lui fut rendu après environ sept semaines de siège, par Dodon frère de l'archevêque Artaud, à condition que Hugues prendrait sous sa protection son fils et le fils de son frère et leur rendrait les terres de leurs pères. CHAPITRE XXXII. Du rétablissement de la règle au monastère de Saint-Rémi. Hincmar est nommé abbé. Hugues appela à Reims Archambaud abbé du monastère de Saint-Benoît et s'appliqua avec ses conseils à rétablir la discipline au monastère de Saint-Rémi, en établissant abbé Hincmar moine de cette communauté. Peu de temps auparavant[10] la reine Gerberge avait envoyé une députation au roi Othon,[11] son frère, pour lui demander du secours contre le prince Hugues, auquel elle avait rendu Laon pour obtenir la liberté du roi Louis, que celui-ci avait reçu des mains des Normands, et tenait en captivité. Othon rassembla une puissante armée de ses divers royaumes, entra en France, et avec lui, Conrad, roi de Bourgogne. Le roi Louis alla à leur rencontre, et en fut reçu avec honneur; et tous trois vinrent ensuite a Laon mais cette ville leur ayant paru trop forte pour qu'ils en fissent le siège ils tournèrent vers Reims, qu'ils cernèrent avec une nombreuse armée, et dont ils formèrent le siège. CHAPITRE XXXIII. De l'expulsion de l’archevêque Hugues L'ARCHEVÊQUE Hugues se voyant dans l'impossibilité de soutenir un siège et de résister à une si grande multitude conféra avec plusieurs seigneurs qui lui étaient attachés, savoir, Arnoul qui avait épousé sa sœur, Gui, qui avait épousé sa tante et Hermann, frère de Gui, et leur demanda conseil en cette extrémité. Ceux-ci l'engagèrent à sortir de la ville avec les siens, puisque les rois étaient obstinément résolus de le chasser par quelque moyen que ce fut, et que si la ville était prise de vive force, leur intervention ne pourrait peut-être pas l'empêcher d'avoir les yeux crevés. Déterminé à suivre ce conseil, et l'ayant communiqué aux siens, Hugues sortit après trois jours de siège avec presque tous les soldats qui défendaient la ville. Alors les rois entrèrent avec les évêques et les seigneurs et firent introniser de nouveau l'archevêque Artaud. Robert, archevêque de Trèves, et Frédéric de Mayence, prenant le prélat chacun d'une main, le rétablirent sur son siège. Cette expédition terminée, les rois laissèrent la reine Gerberge à Reims, et entrèrent avec leurs armées sur les terres d’Hugues, où ils firent de grands ravages. Parcourant aussi les terres des Normands, ils dévastèrent tout, et chacun d'eux ensuite se retira en son pays. L'année suivante,[12] le roi Louis assiégea Mouzon, où s'était réfugié l’évêque Hugues, après sa fuite de Reims; mais ne réussissant pas selon ses vœux, et les Lorrains qui étaient avec lui s'étant retirés au bout d'un mois il retourna à Reims. Pendant qu'il était auprès du roi Othon, pour célébrer la Pâque avec lui, le duc Hugues cédant à de présomptueux conseils, vint attaquer Reims avec l'archevêque déposé, se flattant de le prendre sans effort mais ils furent trompés dans leur espérance les soldats du roi et d'Artaud firent bonne défense, et les forcèrent à se retirer huit jours après leur arrivée. Dérald, évêque d'Amiens, étant mort, un certain Thibaut, archidiacre de l'église de Soissons fut ordonné évêque par Hugues. Enfin, dans une assemblée tenue par les rois Louis et Othon sur la rivière du Cher, le différend des deux évêques Hugues et Artaud fut soumis au conseil des évêques; mais comme ce n'était pas un synode régulier, la question ne put être décidée seulement un synode fut indiqué pour la mi-novembre; et en attendant, le siège de Reims fut laissé à Artaud, et Hugues obtint la permission de résider à Mouzon. Hérivée, neveu de l'archevêque Hérivée qui d'un château qu'il avait bâti sur la Marne, infestait tout le pays et ravageait les villages de l'évêché de Reims, fut excommunié par l'évêque Artaud, en punition de ses usurpations des biens de l'église. Le comte Ragenold et les frères de l'évêque sortirent un jour contre les maraudeurs d'Hérivée, les surprirent et les mirent en fuite. Hérivée en ayant eu avis, sortit aussi avec ses gens et vint livrer aux nôtres un combat où il périt avec bon nombre des siens ; le reste prit la fuite ; des deux parts il y eut beaucoup de blessés. Le corps d'Hérivée fut apporté à Reims par les vainqueurs. L'évêque Hugues, accompagné de Thibaut de Montaigu son beau-frère, et de quelques autres pillards et maraudeurs, vint au temps des vendanges parcourir les villages des environs de Reims d'où ils enlevèrent presque tout le vin, et l'emportèrent en d'autres lieux. CHAPITRE XXXIV. Du synode tenu à Verdun. LE synode indiqué fut tenu à Verdun, sous la présidence de Robert, archevêque de Trèves. A ce synode assistèrent Artaud de Reims, Odalric d'Aix, Adalbéron de Metz, Josselin de Toul, Hildebold de Germanie, Israël de Bretagne, et Brunon, abbé frère du roi Othon, avec les abbés Agenold Odilon et autres. Hugues y fut aussi appelé, et deux évêques furent délégués vers lui pour l'amener; mais il refusa de s'y rendre. En conséquence, le synode, à l'unanimité, adjugea à Artaud le gouvernement de l'église de Reims. On désigna un autre synode lequel se rassembla dans l'église de Saint-Pierre, vis-à-vis Mouzon[13] composé seulement des évêques des deux provinces de Trèves et de Reims. Hugues s'y rendit, et eut une conférence avec l'archevêque Robert, mais ne voulut pas entrer au synode. Il fit remettre par un de ses clercs aux évêques des lettres du pape Agapit, qui ne contenaient rien qui fût d'autorité canonique, mais qui ordonnaient qu'on le remit en possession du siège de Reims. Ces lettres furent lues mais les évêques répondirent qu'il n'était ni digne ni convenable que le mandement apostolique, qui avait été longtemps auparavant apporté par Frédéric, évêque de Mayence et reçu par l'archevêque Robert, en présence des rois et des évêques fût annulé par de simples lettres présentées par le rival et l'adversaire d'Artaud, et qu'ainsi il serait passé outre à ce qui avait été régulièrement et canoniquement commencé. On fit lire le chapitre XIXe du concile de Carthage sur les accusés et les accusateurs ensuite, selon le texte précis de ce chapitre, il fut jugé qu'Artaud demeurerait évêque de la province et en la communion de l'église de Reims; que Hugues, qui avait été cité à deux synodes et avait refusé de comparaître, serait interdit de la communion et de l'administration dit diocèse de Reims, jusqu'à ce qu'il comparût devant un synode général pour se justifier. Les évêques firent de suite écrire le chapitre du concile sur une charte ajoutant au dessous leur présent arrêt, et l'envoyèrent a Hugues qui, dès le lendemain, le renvoya à l'archevêque Robert, en lui faisant répondre de vive voix qu'il ne se soumettrait pointa leur jugement. Cependant des lettres de proclamation et d'appel de l'évêque Artaud furent adressées au Saint-Siège de Rome, et le pape Agapit envoya son vicaire, l'évêque Marin, au roi Othon, pour la convocation et la tenue d'un concile général. Le pontife envoya aussi des lettres à chacun des évêques en particulier, pour les convoquer; et quand enfin le synode fut rassemblé au palais d'Ingelheim, on y donna lecture de ce qui suit, en présence des rois et des évêques. CHAPITRE XXXV. Du concile tenu à Ingelheim de l'excommunication d’Hugues. Suite du procès entre les évêques Artaud et Hugues. Au seigneur Marin, vicaire du Saint-Siège apostolique romain, et à tout le saint concile rassemblé à Ingelheim, Artaud, par la grâce de Dieu, évêque de Reims. Notre seigneur, le pape Agapit, nous a adressé à nous et aux évêques de notre province, des lettres par lesquelles il nous a ordonné de vouloir bien nous rendre à ce concile de votre Sainteté, munis de toutes les preuves et instructions nécessaires pour vous manifester, et faire éclater aux yeux de votre Sainteté la vérité sur les misères qu'a souffertes notre siège et que nous soutirons nous-même c'est pourquoi nous avons jugé à propos d'exposer à votre Sagesse l'origine du procès qui s'agite maintenant encore si déplorablement entre Hugues et moi. Après la mort de l'archevêque Hérivée, nous élûmes à l’épiscopat de Reims Séulphe, qui remplissait l'office d'archidiacre en la même église; une fois ordonné, ce pontife animé de haine contre les proches de son prédécesseur, mais ne se trouvant pas assez fort pour les expulser par lui-même après avoir tenu conseil avec quelques laïques ses conseillers, rechercha l'amitié du comte Héribert, et l'obtint en promettant par serment, par l'organe de ses conseillers, qu'après sa mort, les hommes de l'Église ne seconderaient pas l'élection d'un évêque sans consulter Héribert, et qu'en retour, le comte éloignerait le frère de l'archevêque Hérivée et ses neveux de toute participation aux affaires de l'église de Reims. Ce traité conclu, les proches de l'évêque Hérivée furent faussement et méchamment accusés par les conseillers de Séulphe d'infidélité envers leur seigneur; et le comte Héribert ayant été appelé avec quelques-uns des siens, on les somma de comparaître et de rendre compte de leur conduite comme ils ne voulurent pas accepter le combat singulier contre leurs accusateurs, on leur enleva les biens qu'ils tenaient de l'évêché; ensuite ils furent arrêtés et conduits par le comte Héribert au roi Robert, qui les retint prisonniers jusqu'à sa mort; enfin, la troisième année de son épiscopat, Séulphe mourut empoisonné, ainsi que l’assurent plusieurs, par les familiers d'Héribert. Bientôt le comte vint à Reims, rappela aux soldats de l'Église et il quelques-uns des clercs le serment qu'ils lui avaient fait, touchant l'élection d'un évêque, et les entraîna à seconder ses desseins; de là il se rendit avec eux auprès du roi Raoul en Bourgogne, dont il obtint le gouvernement de l'évêché, à condition qu'il conserverait aux clercs comme aux laïques les honneurs dont ils étaient revêtus, ne ferait injustice à personne, et gouvernerait au contraire le diocèse avec équité, jusqu'à ce qu'il présentât au roi un clerc digne et capable d'être élevé all ministère épiscopal, et ordonné canoniquement. Revenu à Reims, le comte partagea, comme il l'entendit, les biens de l'évêché à ses partisans, enleva aux autres ce qu'ils possédaient, dépouilla et chassa qui il voulut, sans jugement, ni loi ayant donné asile à Odalric, évêque d'Aix, il le chargea des fonctions épiscopales. Pendant six ans et plus, il a ainsi disposé en maître de l'évêché, ne suivant d'autre loi que son caprice, et résidant lui et sa femme au siège même de l'évêque, jusqu'à ce qu'enfin dans la septième année, une guerre s'étant élevée entre lui, le roi Raoul et le comte Hugues, Raoul avec Hugues et Ttason, son frère, et plusieurs évêques et comtes, vint assiéger Reims, parce que les évêques importunaient le roi de leurs plaintes, et lui reprochaient d'avoir laissé si longtemps cette cité veuve de son pasteur, contre l'autorité des saints canons. Ému de leurs plaintes, le roi ordonna au peuple et au clergé dose préparer à une élection, leur laissant toute liberté d'agir pour la gloire de Dieu, et avec la fidélité qu'ils lui devaient à lui-même. Alors, d'un commun et unanime consentement, clercs et laïques, tous ceux qui étaient hors de la ville, et aussi quelques-uns de ceux qui s'y étaient renfermés, élurent notre Humilité à cette dignité, véritable fardeau plutôt qu'un honneur pour nous; cependant les soldats et les citoyens ayant de concert ouvert leurs, portes au roi Raoul, dix-huit évêques présents m'ayant donné la bénédiction épiscopale, et tout le clergé et le reste des citoyens m'ayant reçu avec bienveillance notre Humilité fut intronisée par les évêques du diocèse, et le ministère me fut imposé. Je l'ai rempli pendant huit ans comme il a plu au Seigneur; j'ai donne l'ordination à huit évêques dans le diocèse j'ai institué un grand nombre de clercs dans l'évêché, selon que la nécessité Ta exigé, jusqu'à ce qu'enfin, neuf ans après que, du consentement de Hugues et des autres grands du royaume, j'avais donné la bénédiction au roi Louis et à la reine Gerberge, et les avais oints du saint chrême, le comte Hugues, irrité contre moi parce que je n'avais pas voulu me joindre à lui pour trahir le roi, vint assiéger la ville de Reims, accompagné du comte Héribert et de Guillaume duc de Normandie; presque aussitôt, c'est à dire après six jours de siège, je fus abandonné par presque tous les gens de guerre laïques et, ainsi délaissé, je fus forcé de me remettre entre les mains de Hugues et d'Héribert, qui, m'arrêtant prisonnier et m'intimidant, nie contraignirent à me démettre de l'épiscopat, puis me chassèrent et reléguèrent au monastère de Saint-Basle, firent entrer dans Reims Hugues fils d'Héribert, qui avait été ordonné diacre à Auxerre, et se mirent en possession de la ville. Mais, à son retour de Bourgogne, le roi Louis me trouvant à Saint-Basle, et me prenant avec lui, moi et mes proches auxquels Héribert avait enlevé tout ce qu'ils possédaient, me conduisit à Laon, qui était assiégé par Héribert et Hugues à notre approche ceux-ci levèrent le siège, et nous entrâmes dans la ville, où on nous disposa une demeure. Cependant les clercs de notre lieu, et même quelques laïques étaient maltraités par Héribert; les uns jetés en prison, les autres privés de leurs biens; et le pillage s'exerçait librement dans toute la ville de Reims; alors les évêques de notre diocèse furent convoqués par Hugues et Héribert, pour préparer et assurer avec eux l'élection du jeune Hugues; l'assemblée se réunit à Soissons et l’évêque Hildegaire fut député vers moi à Laon avec quelques autres pour me mander de venir à l'assemblée, afin de donner mon consentement à cette détestable et illégitime ordination; je leur répondis que je ne pouvais me rendre en un lieu où mes ennemis siégeaient avec eux que s'ils avaient à conférer avec moi, ils vinssent en un endroit où je pusse aller en sûreté; en conséquence ils se rendirent en un lieu désigné par eux et je m'y trouvai. En arrivant, je me prosternai devant eux, les priant, pour l'amour et la gloire de Dieu, de me donner un conseil qui fût bon pour moi et pour eux. Lors ils commencèrent à m'importuner pour l'ordination de Hugues, et à me tourner en tous sens pour m'arracher mon consentement, me promettant qu'ils m'obtiendraient quelques biens de l'évêché mais moi, après avoir longtemps différé ma réponse, voyant qu'ils persévéraient tous dans la résolution qu'ils avaient prise, je me levai, et leur fis défense à haute voix et de manière à être entendu de tous, sous peine d'excommunication, au nom de Dieu le Père tout-puissant, du Fils et du Saint-Esprit, qu'aucun d'eux prêtât son ministère à cette ordination, et se permît, moi vivant, d'imposer les mains à qui que ce soit, ou de donner l'onction épiscopale; que s'ils agissaient autrement, j'en appelais devant le Siège apostolique. Comme ma résistance les mettait en fureur, pour pouvoir sortir du milieu d'eux et retourner à Laon, j'adoucis ma réponse, et leur demandai d'envoyer avec moi quelqu'un qui leur rapporterait la résolution que m'inspireraient ma reine et maîtresse, et ses fidèles, puisque le roi, mon seigneur, était absent. Ils envoyèrent à cet effet l'évêque Dérald, espérant que je changerais de résolution, lequel vint et m'interpella devant la reine et ses fidèles. Lors me levant, je lançai contre les évêques la même formule d'excommunication que j'avais déjà prononcée, et je n'oubliai pas de réitérer mon appel au Saint-Siège apostolique, excommuniant Dérald lui-même, s'il se taisait et ne rendait pas un compte fidèle de tout. Les choses s'étant ainsi passées, ceux-ci, méprisant notre excommunication, allèrent à Reims, où la plupart donnèrent la main à l'ordination d’Hugues, et quelques autres, qui me sont connus, s'y dérobèrent. Pour moi, restant avec le roi, j'ai souffert tout ce qu'il a souffert; et quand Hugues et Héribert lui déclarèrent la guerre, j'étais avec lui, et c'est à grand-peine que j'ai évité la mort. Échappé du milieu de mes ennemis par la grâce et la protection de Dieu, je m'en allai, errant deçà delà, cherchant les forêts et les lieux les plus inaccessibles, n'osant demeurer en place. Cependant les comtes Hugues et Héribert s'abouchant avec quelques-uns de mes amis leurs sujets, parvinrent à les décider d'aller à ma recherche, et de me ramener, promettant qu'ils me feraient du bien, et m'accorderaient tout ce que mes amis demanderaient pour moi. Mes amis vinrent donc me chercher, me trouvèrent errant deçà delà, et firent tant qu'ils me ramenèrent. Mais les comtes me voyant en leur puissance, commencèrent à me sommer de leur remettre le pallium que j'avais reçu de Rome, et de me démettre tout-à-fait du sacerdoce. Je protestai que je ne le ferais jamais, même quand il s'agirait de ma vie. Enfin pressé réduit à l'extrémité, je fus forcé de renoncer au temporel de l'épiscopat; et à ce prix je fus ramené à Saint-Basle, pour y faire ma demeure, comme si je n'eusse plus eu de charge, mais je n'y demeurai que peu de jours, parce que j'appris par des avis sûrs de quelques familiers du comte Héribert, qu'il songeait méchamment à me faire périr effrayé par ces avis, de moment en moment réitérés, je m'enfuis tout tremblant, et à travers les bois et les repaires des bêtes sauvages, dans le silence des nuits, et par des chemins détournés, je parvins à me rendre à Laon, où le roi me reçut, et où je résolus de rester près de lui. En effet j'y demeurai avec lui et avec ses fidèles, attendant et implorant la miséricorde de Dieu, jusqu'à ce qu'enfin il daigna inspirer au cœur du roi Othon de venir en France au secours du roi, mon seigneur, et au mien. Enfin quand la reine, notre maîtresse et souveraine, quitta Laon, pour obtenir la délivrance du roi, je sortis aussi et m'en allai avec le roi, mon seigneur, vers le roi Othon, et nous marchâmes ensemble vers Reims, qui fut aussitôt environnée et assiégée de toutes parts. Lors les évêques qui étaient présents furent d'avis qu'on me rétablît sur mon siège. En conséquence le roi Othon fit signifier à Hugues qu'il eût à sortir et rendre la ville qu'il avait usurpée. Hugues hésita quelque temps, et résista de tout son pouvoir; mais voyant qu'il n'était pas en force pour tenir, et qu'il ne lui venait pas de secours de ses amis, il se décida à sortir, demandant qu'il lui fût permis de se retirer librement, lui et ses yens. On lui permit donc de sortir sans aucun mal avec tous ceux qui voulurent l'accompagner, et il emporta sans contradiction tout ce qu'il voulut emporter. De cette façon, j'entrai dans la ville avec les rois, et ils ordonnèrent que je fusse réintégré dans ma dignité. En conséquence, Robert, archevêque de Trèves, et Frédéric, de Mayence, assistés d'autres évêques, me reçurent, et au milieu des applaudissements et félicitations du clergé et du peuple, je fus par eux rétabli dans la chaire épiscopale. Hugues, après sa sortie de Reims, s'empara de Mouzon, et fortifiant cette place contre les fidèles du roi, notre seigneur, parvint à s'y maintenir. Bientôt une entrevue fut arrêtée entre le roi, mon seigneur, et le roi Othon, sur la rivière du Cher. Hugues et moi y fumes appelés, et y comparûmes ainsi que les évêques qui l'avaient ordonné. Le différend fut soumis aux évêques il produisit des lettres adressées par moi au Siège de Rome, dans lesquelles je priais d'accepter ma démission et demandais à être déchargé du gouvernement de mon évêché; lesquelles je protestai et proteste encore n'avoir jamais dictées ni approuvées en aucune façon par ma signature. Comme il n'y avait pas de synode convoqué, les fauteurs d’Hugues s'armèrent de ce prétexte, et la querelle ne put être décidée. Mais un synode fut indiqué à Verdun pour la mi-novembre, du consentement des évêques de l'un et l'autre parti. En attendant je fus chargé provisoirement du gouvernement du siège de Reims, et l'on permit à Hugues de demeurer à Mouzon. Mais bientôt le temps des vendanges étant venu, mon compétiteur, accompagné et soutenu de Thibaut, ennemi de notre roi et de notre royaume ainsi que de plusieurs autres malfaiteurs, se jeta sur les villages voisins de Reims appartenant à l'évêché, et en enleva presque tout le vin qu'il fit transporter en différents lieux. Alors beaucoup de ravages furent commis les hommes de notre église emmenés en captivité, ou forces par mille tourments cruels à payer rançon. Cependant le synode indiqué à Verdun pour la mi-novembre s'assembla sous la présidence de Robert, archevêque de Trêves, sur le mandement de notre seigneur le pape de Rome, en présence du seigneur Brunon, avec quelques évêques et abbés. Hugues, cité à comparaître, et mandé par les deux évêques Adalbéron et Josselin, envoyés exprès vers lui, refusa de venir. Alors tout le synode, d'un commun accord, décréta que le gouvernement de l'évêché me serait laissé; et en même temps on désigna un autre synode pour le 13 janvier, lequel se rassembla en effet, comme il avait été indiqué dans l'église de Saint-Pierre, vis-à-vis du château de Mouzon; et y assistèrent Robert, archevêque de Trèves, avec tous les évêques de sa province, et quelques-uns de la province de Reims. Notre compétiteur Hugues y vint, eut un entretien avec l'archevêque Robert, mais ne voulut pas entrer au synode il fit remettre aux évêques, par un de ses clercs qui venait de Rome, de prétendues lettres du pape, qui ne contenaient rien qui fut d'autorité canonique, mais seulement qu'on le remît en possession de l'évêché de Reims. Après la lecture de ces lettres, les évêques délibérèrent avec les abbés et autres qui étaient présents, et répondirent qu'il n'était ni digne ni convenable que le mandement apostolique apporté par Frédéric, évêque de Mayence, que longtemps auparavant l’archevêque Robert avait reçu en présence des rois et des évêques de France et de Germanie, dont déjà même une partie avait reçu son exécution, fut annulé par des lettres que présentait notre ennemi bien plus, ils arrêtèrent à l'unanimité qu'il serait passé outre à ce qui avait été canoniquement commencé, et l'on fit donner lecture du XIXe chapitre du concile de Carthage sur les accusateurs et les accusés; lecture faite, il fut jugé, selon le texte précis du chapitre, que je demeurerais en communion et possession du diocèse de Reims; que Hugues, qui avait refusé de comparaître à deux synodes malgré invitation, serait interdit de la communion et administration de l'évêché, jusqu'à ce qu'il consentît à se présenter devant un concile général qui serait indiqué, pour se justifier et rendre compte de sa conduite. Les évêques firent copier devant eux le chapitre du concile, et ajoutant au dessous leur jugement, l'envoyèrent à Hugues. Celui-ci, dès le lendemain, envoya la même charte à l'évêque Robert, en lui faisant répondre de vive voix qu'il ne se soumettrait pas à leur jugement. Le concile s'étant ainsi terminé, Hugues garde depuis ce temps, contre les ordres des rois et des évêques, le château de Mouzon; et moi de retour à Reims, j'ai envoyé à Rome mon placet d'appel au Saint-Siège par les messagers du roi Othon, et me voici attendant les ordres de ce siège, prêt à obéir à ses décrets, et au jugement de votre saint concile universel. Après la lecture de ces lettres et leur traduction en langue tudesque pour l'intelligence des deux rois un certain Sigebaud clerc de Hugues, entra dans le concile, et présenta les prétendues lettres du pape qu'il avait apportées de Rome, et déjà fait connaître au synode de Mouzon, affirmant que ces lettres lui avaient été données à Rome par Marin lui-même, vicaire du souverain pontife, et actuellement président du concile. Marin, de son côté, produisit et fit lire devant tous les lettres que Sigebaud avait apportées à Rome, et cette lecture prouva ainsi que les lettres le disaient, que Gui, évêque de Soissons, Hildegaire de Beauvais Rodolphe de Laon., et tous les autres évêques de l'évêché de Reims sollicitaient du Saint-Siège le rétablissement de Hugues, et l'expulsion d'Artaud. Après cette lecture Artaud, et avec lui Rodolphe de Laon et Fulbert de Cambrai, qui étaient nommés dans les lettres, se levèrent et protestèrent qu'ils ne les avaient jamais vues, et n'avaient jamais donné leur consentement à l'envoi. Alors voyant que Sigebaud ne pouvait les contredire, quoiqu'il étourdit le concile de calomnies contre eux Marin prit la parole et proposa à tout le concile de prendre une résolution sévère contre un tel calomniateur, et porteur de calomnies contre des évêques. Le concile, après l'avoir d'abord publiquement convaincu de calomnie, et après avoir fait lire les chapitres des conciles sur les calomniateurs, jugea à l'unanimité qu'il devait être privé de la dignité dont il était revêtu, et, selon la teneur des articles, envoyé en exil. En conséquence Sigebaud fut dépouillé du diaconat dont il remplissait le ministère, et chassé avec réprobation du concile. Quant à Artaud, qui s'était présenté à tous les synodes, et soumis au jugement des évêques. Il fut décrété que, selon les règles des canons et les décrets des saints Pères, l'évêché de Reims serait par lui conservé et gouverné et lui fut sa dignité confirmée et de nouveau conférée. Le second jour de la session, après la lecture des saintes constitutions et de l'allocution du vicaire Marin, Robert, archevêque de Trêves proposa que, puisque selon les règles de la loi sacrée l'évêché de Reims avait été rendu et restitué à l’évêque Artaud, un jugement synodal fût porté contre l'usurpateur de son siège en conséquence il fut premièrement ordonné de lire les saints canons après la lecture, conformément aux sacrés canons, et aux décrets des saints Pères Sixte, Alexandre, Innocent, Zosime, Boniface, Célestin Léon Symmaque et autres saints docteurs de l'Église de Dieu Hugues fut excommunié et retranché du sein de l'Église, comme usurpateur du diocèse de Reims, jusqu'à ce qu'il revint à pénitence et à satisfaction. Les jours suivants on traita de plusieurs articles nécessaires touchant les mariages incestueux, et sur les églises que dans le pays de Germanie on donnait et même on vendait indûment aux prêtres, et qui leur étaient retirées illicitement. Il fut défendu que personne désormais se permît de pareils abus. On traita encore de diverses choses qui intéressaient l'Église de Dieu, et il fut pris plusieurs décisions. Cependant le roi Louis pria le roi Othon de lui prêter secours contre Hugues et ses autres ennemis. Othon lui accorda sa demande, et donna l'ordre à Conrad, duc de Lorraine de marcher à son secours avec une armée; en attendant que l'armée fut prête, il fut convenu que le roi demeurerait auprès de Conrad, et que les évêques Artaud et Rodolphe, qui étaient avec lui, demeureraient avec les évêques lorrains, dans la crainte qu'en s'en retournant il ne leur arrivât quelque malheur. En sorte duc Rodolphe de Laon, et Robert de Trèves et moi nous restâmes près d'un mois auprès d'Adalbéron de Metz. Quand l'armée fut rassemblée, les évêques de Lorraine marchèrent sur Mouzon, en formèrent le siège, forcèrent les soldats qui y étaient enfermes avec Hugues à se rendre, et en ayant reçu des otages, partirent de Mouzon pour aller à la rencontre du roi Louis et du duc Conrad, vers le pays de Laon là le duc et son armée assiégèrent un château construit en un lieu nomme Montaigu, et occupé par Thibaut, lequel tenait aussi Laon contre le roi. Ils s'en emparèrent, non toutefois sans quelque peine et retard; ensuite ils tournèrent vers Laon. Les évêques se rassemblèrent en l'église de Saint-Vincent, et donnèrent sentence d'excommunication contre Thibaut et en même temps ils mandèrent par lettres au comte Hugues, tant de la part du seigneur Marin, légat du Siège apostolique, comme aussi de leur part, qu'il eût à venir à amendement et repentance des maux qu'il avait faits au roi et aux évêques. Ensuite Gui évêque de Soissons, vint auprès du roi Louis, se soumit, et fit sa paix avec l'archevêque Artaud, lui donnant satisfaction pour l'ordination d’Hugues. Le duc Conrad[14] tint sur les fonts sacrés la fille du roi Louis, et après la prise et démolition du château de Mouzon, les Lorrains s'en retournèrent en leur pays. CHAPITRE XXXVI. Du siège et de l'incendie de la ville de Soissons par le comte Hugues. Hugues, ayant rassemblé en diligence bon nombre de ses gens et de Normands, marcha sur la ville de Soissons l'assaillit et tua quelques hommes, il fit jeter des feux artificiels et brûla l'église cathédrale le cloître des chanoines, et une partie de la ville, sans cependant pouvoir la prendre. Désespérant d'en venir à bout, il leva le siège, et se tourna vers un fort, que Ragenold, un des comtes de Louis, faisait bâtir en un lieu nommé Roucy, sur la rivière d'Aisne, et en forma le siège. Quoique ce fort ne fût pas achevé, il ne put s'en emparer, mais il dévasta tous les villages de l'église voisine de son camp. Ses maraudeurs tuèrent plusieurs des colons ecclésiastiques, pillèrent les élises, et enfin se portèrent à une telle fureur que, dans le bourg de Cormicy, ils tuèrent environ quarante hommes tant en dedans qu'autour de l'église, et dépouillèrent le temple de tous les ornements. Après tous ces excès et ces crimes, Hugues se retira avec ses pillards. Cependant ses soldats, qui jusque là étaient restés avec lui, quoique excommunié, vinrent faire soumission à l'évêque Artaud qui reçut les uns et leur rendit leurs biens, et rejeta les autres; ensuite il partit pour Trèves, afin d'assister à un synode avec les évêques Gui de Soissons Rodolphe de Laon et Winfried de Térouane. Là ils trouvèrent Marin qui les attendait avec l'archevêque Robert mais ils n'y rencontrèrent aucun des évêques de Lorraine ni de Germanie. Néanmoins ils se formèrent en synode; et le vicaire Marin leur demanda ce que depuis le dernier synode le comte Hugues avait fait contre eux et contre le roi Louis. Ils lui rendirent compte des maux affreux que nous venons de raconter, causés par lui à leurs églises et à eux-mêmes. Marin alors s'informa si les lettres d'assignation à comparaître qu'il lui avait adressées lui avaient été réellement remises. L'évêque Artaud lui répondit que quelques-unes avaient été remises que quelques autres n'avaient pu l'être parce que celui qui en était chargé avait été pris par les maraudeurs du comte; que cependant il avait été mandé et cité tant par lettres que par plusieurs messages. Alors on demanda s'il y avait quelque envoyé de sa part comme il ne s'en trouva aucun il fut décidé qu'on attendrait jusqu'au lendemain pour voir si personne ne viendrait. Personne n'étant venu, et tous ceux qui étaient présents, tant clercs que laïques s'écriant d'une commune voix qu'il fallait l'excommunier les évêques arrêtèrent que l'excommunication serait encore différée jusqu'au troisième jour du synode. En attendant on s'occupa des évêques qui avaient été convoqués et n'étaient pas venus, et de ceux qui avaient pris part a l'ordination de Hugues. Gui, évêque de Soissons, se prosternant devant le vicaire Marin et l'archevêque Artaud se reconnut coupable. Mais les archevêques Artaud et Robert, intercédant pour lui auprès de Marin, il obtint absolution. Winfried de Térouane fut trouvé innocent de cette ordination. Un prêtre, envoyé de Transmar, évêque de Noyon se présenta de la part de ce prélat, alléguant qu'il n'avait pu venir au synode, parce qu'il était grièvement malade ce qui fut aussi attesté par quelques-uns des évêques de notre province. CHAPITRE XXXVII. De l'excommunication du comte Hugues. Enfin, le troisième jour, sur les instances de Luidolf, légal et chapelain du roi Othon, parce que ce prince l'exigeait impérieusement, le comte Hugues fut excommunié comme ennemi du roi Louis, et pour tous les maux ci-dessus rapportés, toutefois jusqu'à ce qu'il vînt à résipiscence et fit satisfaction devant le vicaire Marin et les évêques auxquels il avait fait injure et dommage; que s'il refusait, il lui était libre d'aller a Rome pour se faire absoudre. Deux faux évêques, Thibaut et Ivon, ordonnés par Hugues, furent aussi excommuniés; le premier, établi par Hugues, après son expulsion, en la ville d'Amiens; le second, à Senlis, après sa condamnation. La même peine fut aussi portée contre un clerc de Laon, nommé Adélon, que son évêque Rodolphe accusa d'avoir reçu dans l'église l'excommunié Thibaut. Le vicaire Marin écri.vit à Hildegaire, évêque de Beauvais, de venir devant lui, ou d'aller à Rome, afin de rendre compte au pape de sa conduite au sujet de l'ordination des deux faux évêques susdits à laquelle il avait pris part il manda aussi à Héribert, fils du comte Héribert, de donner satisfaction pour les maux qu'il causait aux évêques. Toutes ces affaires ainsi réglées, les évêques se séparèrent mais Luitdolf, chapelain d'Othon, emmena avec lui le vicaire Marin vers son roi en Saxe, pour y faire la dédicace de l'église d'un certain monastère. Cette dédicace faite, et l'hiver passé, Marin s'en retourna à Rome. Le roi Louis eut un fils que l'archevêque Artaud tint sur les fonts sacrés, et auquel il donna le nom de son père. CHAPITRE XXXVIII. De quelques églises et monastères de la ville de Reims. IL a existé autrefois plusieurs basiliques de saints et plusieurs monastères au dedans et autour de la ville de Reims, qui maintenant ne sont plus; cependant il subsiste encore dans la ville deux couvents de filles, dont l'un s'appelle le monastère d'en-haut, à cause de sa situation et passe pour avoir été élevé en l'honneur de la sainte Vierge et de saint Pierre par saint Baudri et sa sœur Bove, qui depuis en fut abbesse. On dit qu'ils étaient tous deux du sang royal, enfants du roi Sigebert, et eurent pour nièce Dode, jeune fille très chaste, laquelle avait été promise en mariage à un grand de la maison du roi Sigebert. Mais Bove, sa tante, qui l'instruisait à servir Dieu et à lui garder sa virginité, la détourna de l'amour de son époux. Celui-ci, voyant la résistance de la jeune fille, voulut à toute force la ravir et avoir pour femme; mais il advint que pendant qu'il cherchait par tous les moyens à exécuter ses desseins le cheval qu'il montait s’étant emporté, il tomba et se rompit le cou et la bienheureuse Dode, persistant dans son bon propos de chasteté, succéda à sa tante dans le gouvernement du monastère; c'est elle qui obtint du roi Pépin pour cette abbaye une charte d'immunités que nous avons encore. Les corps de ces deux saintes abbesses reposèrent longtemps dans l'église située hors de la ville où avait d'abord été le monastère des filles, jusqu'à ce qu'enfin, ayant été exhumés par suite de plusieurs révélations et miracles, ils furent transférés en cette nouvelle église que nous voyons aujourd'hui, où ils furent déposés avec vénération, et sont continuellement honorés par la révérence et les hommages des vierges servantes du Seigneur. CHAPITRE XXXIX. De saint Baudri, abbé. APRÈS la construction du monastère dont nous venons de parler, saint Baudri, cherchant un lieu où il pût établir sa demeure, et réunir en même temps auprès de lui des hommes religieux pour servir Dieu dévotement et paisiblement, en trouva enfin un qui lui plut, et qu'on nomme Montfaucon. Ce lieu, alors inhabitable, était couvert d'épaisses forêts qu'il abattit, et du bois desquelles il se construisit lui-même son habitation. On dit qu'un oiseau, que nous nommons faucon qui le guidait et volait devant lui pendant qu'il cherchait un lieu où se fixer, s'arrêta enfin sur celui-ci et revint trois jours de suite se poser à l'endroit où est aujourd'hui l'autel de l'apôtre saint Pierre; et plusieurs estiment que c'est de là que vient le nom de Montfaucon. Dès que saint Baudri eut commencé à servir Dieu dévotement en ce lieu, plusieurs personnes dévotes et craignant le Seigneur lui donnèrent leurs biens. Alors, réunissant plusieurs moines avec lui, il établit une communauté sous la discipline régulière, et consacra son monastère en l'honneur de saint Germain. Ensuite il revint trouver sa sœur à Reims, y vécut jusqu'à son dernier jour, y fut enseveli et son corps y a longtemps reposé. CHAPITRE XL. Des miracles qui furent vus après sa mort. DEPUIS, par les soins des clercs qui habitaient le monastère de cet homme de Dieu, son corps fut enlevé secrètement de Reims et emporté à Montfaucon. Quelques citoyens qui avaient découvert la ruse suivirent les clercs de si près que déjà ils les atteignaient de la vue, et qu'en les apercevant le trouble se mettait parmi ceux qui portaient la sainte relique; mais une nuée épaisse les sépara tout-à-coup et ceux qui poursuivaient, se trouvant dans les ténèbres, s'égarèrent dans des chemins détournés, et ne purent suivre la trace des fugitifs. D'autre part une lumière céleste éclaira pendant la nuit ceux qui portaient le sacré corps, jusqu'à ce qu'ils fussent arrivés, sans aucune fatigue, à une propriété voisine du monastère, où dans la suite une église fut construite en l'honneur de saint Baudri, parce que les clercs y avaient reposé son corps. De là, ayant repris leur marche avec la sainte relique quand ils commencèrent à approcher du monastère, on dit que les cloches se mirent à sonner toutes seules et à ce signal les frères sortirent au devant, et vinrent recevoir le trésor qu'ils avaient si longtemps désiré. Mais quand ils voulurent l'entrer dans l'église de Saint Germain, ils trouvèrent la relique devenue si lourde qu'il fallut la laisser à l'entrée de l'église et qu'il n'y eut moyen de la soulever, quelque effort qu'ils y fissent pendant, trois jours entiers. On dit que le corps demeura trois ans fixé au même lieu, à l'abri sous un toit élevé exprès pour le préserver des injures de l'air. Au bout de ce temps, après un jeûne de trois jours, on le transporta dans l'église de Saint-Laurent, où Baudri de son vivant avait préparé sa sépulture ; il fut déposé avec révérence dans le sarcophage qui lui était destiné, et les reliques du saint ont été conservées en ce lieu avec honneur et vénération jusqu'au temps du roi Charles et de l'archevêque Hincmar, quand les Normands commencèrent à infester et dévaster le royaume. La terreur qu'ils inspiraient força les chanoines de ce lieu à enlever de son sépulcre le corps de leur patron, et à le placer sur l'autel de Saint-Laurent. Pendant que cela s'exécutait, trois gouttes de sang tombèrent de sa tête, aussi fraîches et aussi chaudes que s'il eût été vivant. Il fut porté à Verdun, d'où plus tard il fut rapporté, et enfin placé dans l'église de Saint Germain. Or, pendant qu'il était absent de son monastère, les Normands y arrivèrent; mais le Seigneur le protégea ils ne brûlèrent les églises, ni ne tuèrent les habitants, si ce n'est une seule femme en se retirant, et laissèrent les autels tout chargés de leurs offrandes. Quand les Normands revinrent une seconde fois, un chanoine nommé Ostrade, voyant que ses frères se dispersaient et prenaient la fuite sans songer à rien, prit le corps du saint, et se sauva avec, en grimpant sur un arbre. Les païens qui le poursuivaient vinrent jusqu'à cet arbre et regardèrent en haut mais lis ne purent s'apercevoir que quelqu'un y fût monté. Ostrade demeura neuf jours entiers sur cet arbre, n'ayant pour toute nourriture qu'un seul gland, et cependant il ne souffrit ni faim ni soif: cette seconde fois encore les mérites du saint confesseur préservèrent ces lieux du glaive et des flammes des païens. Plus tard, il arriva que quelques maraudeurs, infidèles au roi, vinrent en ce lieu, et, ne trouvant aucune force qui pût leur résister, se mirent à tout ravager; mais tout-à-coup les cloches de l'église Saint-Laurent se prirent à sonner d'elles-mêmes, sans que personne y touchât et deux cierges furent miraculeusement allumés par le feu du ciel. Frappés de terreur à cette vue, les pillards s'enfuirent, et l'un d'eux tomba à la porte du monastère et se tua dans sa chute, ainsi que son superbe cheval les outres dans lesquelles il emportait le vin qu'il avait volé crevèrent, et ses compagnons, effrayés de ce châtiment, firent des dons à l'église, et se retirèrent tout épouvantés. CHAPITRE XLI. Du village de Wallich. UN jour les chanoines de ce lieu vénérable, pressés par la famine, prirent une portion des reliques de leur saint patron, et s'en allèrent au village de Wallich sur le Rhin, qui leur était venu par donation d'Adalard, un des abbés de leur couvent. Comme les habitants du pays, pleins de vénération pour les saintes reliques, commençaient à apporter leurs dons, l'abbé d'un monastère voisin nommé Bonn, alla trouver Willebert, évêque de Cologne, et se mit à décrier cette dévotion, disant que ce n'étaient pas véritablement les reliques d'un saint; or les chanoines craignant d'être arrêtés et punis par l'évêque, parce qu'ils disaient avoir avec eux le corps du saint tout entier, n'eurent pas plus tôt appris ces nouvelles, qu'ils s'en allèrent en leur monastère, faisant en deux jours presque cent lieues de chemin puis, prenant le corps entier de leur patron, ils revinrent au village de Wallich en aussi peu de temps; comme ils approchaient, n'étant plus qu'à une lieue à peu près, les cloches de l'église se mirent à sonner d'elles-mêmes sans que personne y touchât les clercs qui étaient restés, connaissant par ce signal que leur patron arrivait, sortirent au devant avec les croix, et reçurent leur saint protecteur avec les honneurs qui lui étaient dus; tandis qu'ils célébraient la messe, il éclata trois miracles à la fois un paralytique recouvra l'usage de ses membres, un aveugle la lumière, et un muet la parole. Cependant l'abbé de Bonn ne cessait de blasphémer les miracles de Dieu, et de détourner ceux qu'il pouvait d'aller visiter le saint; mais, en punition, il fut tout à coup pris de la fièvre, et si violemment qu'il ne pouvait ni manger, ni boire, ni marcher; dévoré de souffrances, il reconnut enfin son péché, et se fit porter dans une chaise à bras jusqu'au Rhin, et delà en bateau à Wallich devant le corps saint. Là ayant confessé sa faute, il demanda d'être absous, et donna en offrande une quantité de cire égale au poids de son corps. Après être resté six jours en prières, et avoir fait vœu de revenir chaque année en pèlerinage, il recouvra pleinement la santé, et s'en retourna de son pied. Les chanoines demeurèrent en ce lieu pendant un an, durant lequel il ne se passa pas, dit-on, un jour où l'on ne vît quelque miracle. La veille de la fête de Saint-Jean-Baptiste, beaucoup de monde étant accouru de Saxe et de plusieurs contrées lointaines, il s'opéra dix-huit miracles insignes; si bien qu'il n'y eut guère de malades qui s'en retournassent sans obtenir guérison; et les offrandes furent si abondantes que non seulement les clercs en vécurent eux-mêmes, mais encore fournirent aux besoins de ceux qui étaient restés au monastère, et agrandirent et ornèrent l'église de Wallich. Il advint que depuis, dans une grande sécheresse, le corps de saint Baudri fut tiré de son monastère, et porté en procession au devant des reliques de saint Jovin, pour obtenir de la pluie; en effet les deux processions ne se furent pas plus tôt rencontrées, et les deux saints ne furent pas plus tôt réunis, que le ciel se chargea de nuages malgré la sécheresse, et que la pluie tomba en abondance et tandis que les vêtements de tous les assistants étaient trempés, les poêles et les tapis qui couvraient les chasses ne reçurent pas une goutte d'eau. En ce lieu, un borgne recouvra l'œil qu'il avait perdu, et se levant aussitôt transporté de joie, et tout ingrat, il s'en retourna sans glorifier Dieu. Mais à peine fut-il arrivé en sa maison, qu'il perdit une seconde fois l'œil qu'il avait recouvré. Enfin, quand on fut arrivé au monastère avec les deux corps saints, celui de saint Baudri devint tout-à-coup si pesant qu'il ne fut plus possible de le mouvoir excepté lorsqu'on eut fait passer devant et entrer le premier le corps de saint Jovin. Quand le seigneur Dadon, évêque de Verdun, obtint cette abbaye de la munificence du roi, et qu'il apprit tous ces miracles, il établit que chaque année les reliques de trois monastères seraient portées processionnellement en un lieu appelé Gaudiacum, situé à pareille distance de tous trois; savoir, du siège de Verdun, saint Victor et saint Ageric; saint Baudri, de son monastère; et saint Roduique, de Wasler; depuis, cette procession a été signalée par d'innombrables miracles, et jamais la réunion n'a eu lieu sans que quelque infirme ait recouvré la santé, mais surtout ceux qui avaient recours aux mérites de saint Baudri. Dans une de ces réunions, un muet recouvra la parole et ceux de Verdun l'emmenèrent avec eux, proclamant que c'était la vertu de leurs saints qui avait opéré le miracle. Mais au moment où l'on se séparait pour s'en retourner chacun chez soi, la châsse de saint Baudri devint si pesante qu'on fut obligé de la laisser en place, sans qu'il y eût moyen de la remuer. Beaucoup étant revenus pour voir cette immobilité miraculeuse tandis que ceux de Saint Baudri se plaignent et se demandent pourquoi leur patron veut rester en ce lieu et ce qu'il y voulait faire quelqu'un s'avisa de faire venir le muet qui venait d'être guéri on le rappela et à peine eut-il été conduit devant la châsse immobile, qu'aussitôt on la leva sans difficulté, et le corps saint fut reporté au monastère au milieu des actions de grâces. Lorsque Dadon obtint cette abbaye de Saint-Baudri il échangea quelques biens situés outre Rhin qui avaient été donnés à ce monastère par l'abbé Adalard, contre le village de Mont-Gerlain, sur la Moselle. Ayant donc donné l'ordre aux frères de l'abbaye de se rendre en ce village pour en prendre possession ceux-ci se mirent en devoir d'obéir, et partirent avec les reliques de leur saint patron. Mais arrivés au village, le corps devint tout-à-coup si pesant qu'il ne fut plus possible d'avancer lors les moines tenant conseil, avisèrent de le porter à l'église de ce village consacrée à saint Martin, et aussitôt il fut aisé de l'enlever. Quand leur prière fut finie en cette église, et qu'ils voulurent charger la relique pour partir, ils la trouvèrent de nouveau appesantie. Frappés d'admiration, et pressentant que Dieu voulait opérer quelques miracles en ce lieu pour la glorification de son saint, les moines alors demandèrent s'il y avait là quelqu'un de malade. Alors les uns venant, les autres se faisant apporter, la vertu du saint corps opéra; un boiteux fut redressé; une femme qui avait les bras paralysés depuis huit ans, en recouvra l'usage; deux autres femmes aveugles reçurent la vue; et un enfant de sept ans, muet de naissance, commença à parler. En reconnaissance de ces miracles les habitants firent élever en ce lieu une croix, où depuis deux femmes recouvrèrent la vue, où des cierges furent allumés miraculeusement, et où enfin grand nombre de malades affligés de diverses infirmités trouvèrent guérison. CHAPITRE XLII. De l'église de Saint-Romain et des miracles opérés à Mont-Gerlain. L'église de Saint-Romain, bâtie au village de Mont-Gerlain, avait depuis longtemps été enlevée aux moines de Saint Baudri par Milon, supérieur des chanoines du lieu; mais le comte Boson la leur ayant fait rendre, ils y portèrent le corps de leur saint patron et aussitôt que la nouvelle en fut répandue, on vint en foule se recommander à ses mérites. Parmi les fidèles qui se confiaient en lui, se trouvèrent deux femmes nobles, aveugles, et une pauvre femme paralysée de presque tous ses membres. La nuit des vigiles de saint Romain, comme on veillait en l'église, selon la coutume, tout-à-coup il se répandit miraculeusement une lumière si éclatante qu'elle fit pâlir tous les luminaires qui éclairaient l'église seulement l'autel sur lequel était déposé le corps était couvert d'un épais nuage, et la châsse qui contenait les saintes reliques semblait aller et venir dans la nuée. Tout-à-coup, une des femmes aveugles d'abord, et l'autre ensuite, s'écrient qu'elles voient; et la femme paralytique, qui était étendue à terre, ne se fut pas plus tôt mise à invoquer le secours de Dieu et de saint Baudri, que peu à peu elle sentit ses membres se détendre, ensuite ses jambes, et enfin se leva toute droite sur ses pieds. Depuis sa guérison, jusqu'à ce jour, ou elle vit encore, elle est nourrie des aumônes des clercs. Pendant que les clercs demeuraient en ce lieu avec leur pasteur, un soir qu'ils étaient assis ensemble a causer, il arriva qu'un homme de l'un des amis de Milon pris de vin et animé de colère se mit à leur demander ce qu'ils faisaient là, et pourquoi ils étaient venus dans le village de Milon. Ceux-ci lui répondirent que ce lieu appartenait à Saint-Baudri et non à Milon; lui au contraire soutenait que c'était à Milon A la fin, les clercs l'ayant menacé, il se retira; mais en gravissant un rocher fort élevé, voisin du village il se jeta du haut en bas, et fut si froissé de sa chute qu'on le crut mort, ou au moins presque mort. On le porta devant le corps de saint Baudri, où, ayant reconnu et confessé son péché, il fut subitement et inespérément guéri. Il n'y a pas longtemps, quand les reliques de saint Baudri eurent été apportées au village de Wallich, dont nous avons parlé plus haut, comme Godefroi comte du palais du prince Henri s'était emparé de ce village, quelques clercs de Saint-Baudri le vinrent trouver pour réclamer leur bien mais ils n'en purent tirer aucune réponse convenable, sinon qu'il ne ferait pas plus pour eux que pour son chien. Lors un des clercs lui répondit qu'il suerait une sueur chaude, et que son chien ne lui serait d'aucun secours. Furieux, le comte ordonna qu'on les chassât de sa présence mais à peine se furent-ils retirés, qu'aussitôt il fut frappé de la main de Dieu saisi d'une fièvre si violente et consumé de si vives ardeurs qu'il était baigné d'une sueur brûlante. En cette extrémité, il envoya quérir Wicfrid évêque de Cologne, et lui raconta son malheur. Celui-ci lui donna conseil d'envoyer vers les moines de Saint-Baudri pour les prier de venir le visiter, ensuite de reconnaître sa faute et leur demander conseil et secours. Godefroi suivit son conseil, et envoya; mais son messager, apparemment enivré des fumées de l'orgueil, leur ordonna d'un ton impérieux de venir sans retard visiter son maître. Ceux-ci le refusèrent, et seulement le prièrent de leur faire la charité, ce dont il ne tint compte; et comme au sortir du monastère il piquait son cheval sa bêle tomba et se rompit le cou. Humilié et repentant, il revint auprès des moines, leur fit la charité qu'il avait refusée avec mépris, et s'en retourna ainsi corrigé. Après une seconde, une troisième invitation, apprenant enfin les maux que souffrait le comte, les clercs se décidèrent à l'aller visiter, et en eurent compassion, de manière que le voyant confesser sa faute et promettre amendement ils se mirent en devoir de lui obtenir délivrance par leurs prières. A l'instant il dit qu'il se sentait mieux et à peine furent-ils sortis qu'il se trouva guéri, rendit ce qu'il avait usurpé et désormais s'abstint de faire aucun dommage à ces biens. Cependant on dit qu'une telle affliction se répandit sur sa famille, qu’à peine quelques-uns restèrent de ceux qui avaient pris part à son usurpation. Les chevaux même et les chiens périrent et lui-même, perdant les cheveux, la peau et les ongles, échappa à peine à la mort. CHAPITRE XLIII. D'un miracle advenu sur le Rhin. Lors de la première incursion des Hongrois en ce royaume, les chanoines de Saint-Baudri passèrent de l'autre côté du Rhin avec leur patron. Un soir qu'ils repassaient le fleuve pour revenir ils laissèrent leur navire à l'ancre au milieu avec quelques hommes seulement pour le garder, ainsi que les reliques; et montant sur une légère barque, ils se rendirent à leur village de Wallich. Pendant ce temps là, trois voleurs apprenant qu'il n'était resté que peu de monde sur le navire et croyant que les trésors et ornements du saint y étaient, montent une barque et cinglent vers le bâtiment; mais, avant de pouvoir y atteindre, ils furent tout-à-coup miraculeusement aveuglés; alors ne pouvant plus ramer, frappés de vertige, ils sont emportés par le courant leur petit bateau vient donner avec violence contre le navire qui portait les saintes reliques se brise, et les laisse au milieu des flots. Deux furent engloutis sur-le-champ le troisième, qui était un serf de Saint-Baudri, parvint à saisir le navire et à s'y attacher, et échappa ainsi à la mort. Conduit devant les clercs, il ne put rien leur dire du malheur qui venait de leur arriver et ce ne fut que le lendemain que, revenu de sa frayeur et maître de ses sens, il put raconter tout ce qui s'était passé. Enfin depuis que le corps de ce bienheureux saint a été reporté de Wallich en son monastère, d'éclatants miracles s'y opèrent tous les jours, et en si grand nombre qu'ils n'ont pas été conservés par écrit. Il n'y a pas longtemps qu'un pauvre homme ayant porté en offrande un cierge roulé en cercle, en forme de bougie, le déposa, un peu avant l'heure de vêpres, sur la chasse du saint, et s'en alla après avoir fait sa prière. Aussitôt sa bougie s'alluma d'elle-même, se prit à brûler, et continua ainsi jusqu'à ce que le gardien de l'église vînt pour sonner les vêpres, et sans que le poêle qui couvrait la châsse, et sur lequel elle était posée, eût souffert le moindre dommage. Chaque jour le Seigneur se plaît à y opérer des guérisons et à faire éclater par mille signes éclatants les mérites de son saint, pour l'honneur et la gloire de son nom, qui est béni dans tous les siècles. CHAPITRE XLIV. Des miracles opérés au monastère de Sainte-Bove et Sainte-Dode. QUELQUES miracles ont été aussi opérés au monastère de filles dont nous avons parlé, et où ont été déposés les corps de sainte Bove et sainte Dode. Des fiévreux et d'autres affligés de diverses maladies y viennent en pèlerinage et obtiennent guérison, surtout le jour de la fête des deux saintes. Tout récemment en ce saint jour, une jeune fille, depuis longtemps privée de l'ouïe, par une infirmité qui avait embarrassé les passages de ce sens, en a merveilleusement recouvré l'usage par l'intercession de ces saintes épouses de Jésus-Christ. CHAPITRE XLV. De la vision qui apparut à une religieuse. IL y a dans ce monastère une religieuse, nommée Ricwide, nièce de feu Gontmar, prêtre très religieux, à qui apparurent en vision le bienheureux apôtre saint Pierre et saint Rémi, lui annonçant qu'ils lui commanderaient de faire un voyage à nome quand ils reviendraient la visiter, et ils promirent de revenir à la mi-novembre, le jour de l'Exaltation de la sainte Croix. Quoique agitée d'attente, elle n'osa rien dire à personne, apparemment parce que les saints le lui avaient défendu. Le jour où ils avaient promis de revenir, ils lui apparurent en effet de nouveau, et lui ordonnèrent de faire venir son frère Frédéric, qui était prêtre, de l'exhorter à suivre les traces de son oncle Gontmar, et enfin de lui enjoindre en leur nom de faire avec elle le voyage de Rome, sans manger de viande, ni boire de vin l'un et l'autre, à partir de ce jour jusqu'à la fin de leur voyage; lui permettant toutefois à elle seule de boire ce qu'on pourrait acheter de vin avec l'argent qu'elle trouverait sur un autel qu'ils lui désignèrent: que pour être mieux crue, elle prit pour témoins trois des sœurs du monastère et ils lui indiquèrent par leurs noms celles qu'elle devait t. appeler. Saint Rémi lui recommanda encore de dire à son frère qu'il devait se souvenir qu'il lui était apparu un jour et lui avait parlé; ajoutant même, pour signe de reconnaissance, qu'il lui avait frappé la paume de la main avec un petit couteau. Celle-ci envoya aussitôt chercher son frère, et lui manda de venir en toute hâte; ce qu'il fit, et il la trouva à jeûn quoiqu'il fût l'heure de vêpres, et toute étonnée encore de sa vision. Lors elle fit appeler les trois sœurs qui lui avaient été désignées; et, après avoir chanté ensemble les sept psaumes de la pénitence, et ajouté en outre les litanies, elles s’approchèrent de l'autel, et, levant le tapis qui le couvrait, trouvèrent à l'un des coins une petite obole, la prirent avec actions de grâces, et la donnèrent pour un peu devin que but la religieuse, n'en devant désormais plus boire, jusqu'à ce que son frère et elle eussent accompli le voyage qui leur était commandé. S'acheminant donc avec confiance et piété, avec l'aide de Dieu, et l'appui de saint Pierre et de Saint-Rémi, qui le leur avaient ainsi promis, ils accomplirent heureusement leur voyage. Depuis ce temps, cette religieuse s'abstient de viande, hormis le dimanche, et trois jours par semaine elle ne fait rien jusqu'à ce que l'horloge sonne deux heures, si ce n'est de vaquer à la prière et psalmodier, ce qu'elle prétend lui avoir été prescrit d'observer pendant sept ans. Elle a aussi recommande à son frère, de la part des deux saints, de s'abstenir de viande quatre jours par semaine, et de ne jamais boire de vin, de toute sa vie, le jour du vendredi ce que l'un et l'autre observent fidèlement jusqu'à ce jour. CHAPITRE XLVI. De l'autre monastère de fille en la ville de Reims. Il y a à Reims un autre monastère de filles, situé près de la porte appelée autrefois Collatitia, sans doute à cause des marchandises que l'on apportait par là en ville, et maintenant Porte Basilicaire ou Baseille, parce qu'elle passe pour avoir eu autrefois dans ses environs plus de basiliques que toutes les autres portes, ou parce qu'elle mène aux basiliques qui sont dans le bourg de Saint-Rémi. C'est au dessus de cette porte que nous avons rapporte qu'était bâtie la cellule de saint Rigobert. Le seigneur Guntbert, homme illustre et pieux, est, dit-on, le fondateur de ce monastère, bâti en l'honneur de saint Pierre, et appelé Royal ou Fiscal, parce qu'il a toujours appartenu aux rois jusque de nos jours. L'empereur Louis le donna à sa fille Alpaïde, femme du comte Bégon, et accorda à ce saint lieu une charte d'immunités, comme l'avait fait autrefois l'empereur Charles son père. Il vint ensuite en la possession de l'église de Reims, par donation d'Alpaïde, laquelle toutefois s'en réserva la jouissance à elle et à ses fils leur vie durant. On dit qu'on y conserve une dent de l'apôtre saint André, dont les malades, qui obtiennent de la baiser, éprouvent souvent la vertu. Nous avons vu, dans l'église de ce couvent, un cierge allumé trois fois par le feu du ciel et ce cierge avait été fait de la cire que trois citoyens de Reims avaient donnée en offrande en partant pour aller à Rome visiter le temple des Saints Apôtres. Nous avons vu aussi dans ce monastère une religieuse qui suait du sang demeura immobile et comme morte pendant une semaine entière, et eut plusieurs visions. CHAPITRE XLVII. Du seigneur Guntbert et de sa femme Berthe. LE seigneur Guntbert dont nous venons de parler, et fondateur de ce monastère, quitta sa femme, et s'en alla du côté de la mer, où il fit bâtir, dit-on, un autre monastère, et fut décollé par les barbares. De son côté, sa femme Berthe, qu'il avait laissée, bâtit un couvent de femmes auprès d'Avenay, en un lieu que le Seigneur lui fit indiquer par un ange. Comme il n'y avait point d'eau en cet endroit, elle obtint des seigneurs à qui appartenait la forêt voisine, de lui céder pour une livre d'argent une fontaine, distante de son monastère d'environ deux milles, de laquelle jaillit incontinent un ruisseau qui la suivit jusqu'en son monastère où elle retournait, qui depuis continue toujours de couler avec abondance, et s'appelle de Livre du prix donné pour.la fontaine. Les beaux-fils de dame Berthe se soulevèrent contre elle et la mirent à mort; mais à l'instant même, en punition de leur crime, ils furent livrés à Satan, et moururent forcenés et dépouillés de tout sentiment humain, en tout semblables à des bêtes. On raconte qu'une nièce du seigneur Guntbert, nommée Montie, et qui avait été complice du meurtre de Berthe, une nuit qu'elle veillait, vit apparaître sa tante, laquelle lui ordonna de rapporter en ce lieu le corps de Guntbert, et de le déposer auprès du sien; et qu'à ce prix le Seigneur lui remettrait le péché qu'elle avait commis en se rendant complice de sa mort. Celle-ci lui ayant demandé à quel signe elle reconnaîtrait que son pardon lui était accordé, Berthe lui répondit qu'aussitôt qu'elle aurait exécuté ses ordres le sang lui partirait du nez et delà bouche; ce qui arriva en effet au moment où l’on déposait le corps de Guntbert auprès de celui de Berthe. Environ cent ans après sa sépulture, le corps de Berthe fut retrouvé sain et entier, et il sortit de ses blessures un sang aussi frais que si elle venait de les recevoir à l'instant. Enfin, pour démontrer l'honneur et les mérites de ces saints personnages, le Seigneur a daigné depuis opérer en ce lieu de nombreux miracles, qui n'ont pas été conservés par écrit, par négligence. Mais toutes les fois que dans ses tribulations, leur congrégation a imploré la miséricorde de Dieu par leur intercession, elle en a toujours obtenu grâce et consolation. Il n'y a pas longtemps qu'une femme se permit de dérober la nappe d'autel de ce monastère, et voulut l'emporter; mais il lui fut impossible de sortir, quelque effort qu'elle fit, avant d'avoir confessé son péché, et fait restitution. L’évêque Foulques obtint du roi Eudes une charte qui concédait cette abbaye à l'église de Reims, et du pape Formose, confirmation de cette concession, et privilège du Saint-Siège apostolique. CHAPITRE XLVIII. Des deux églises de Saint-Hilaire, à Reims. Il y a à Reims deux églises consacrées à saint Hilaire l'une dans la ville même, où naguère une jeune fille paralytique a été miraculeusement guérie; l'autre plus ancienne, située devant la porte de Mars, qui fut donnée par le saint pontife Rigobert aux chanoines nos prédécesseurs pour leur sépulture. Autrefois, c'est-à-dire avant le départ et l'expulsion de l'évêque Artaud, il s'y opérait de nombreux miracles. C'est pourquoi il la fit réparer, et y fit faire un toit et un plafond neuf, les habitants de la ville y contribuant aussi. Un aveugle nommé Paul, averti en songe d'aller en cette église, et qu'il y recouvrerait la vue, s'y rendit; et à peine y fut-il entré qu'en effet il jouit de la lumière. Un des serviteurs de l'évêque s'en allant à l'église, rencontra un jour devant la porte un pêcheur avec des poissons, et feignant de les marchander, il les emporta. Alors le pauvre pêcheur, tout désolé, invoquant saint Hilaire à son secours, éclata en plaintes et en imprécations mais le larron méprisant ses cris entra dans l'église comme pour entendre la messe. Mais là, étant debout, il tomba tout-à-coup par terre, fut emporté hors de l'église très grièvement blessé, et demeura longtemps malade. On avait autrefois enterré, dans le cimetière de cette église, un Écossais, fidèle serviteur de Dieu mais comme la mémoire de son nom et de sa sépulture semblait être abolie parmi les nôtres, il commença à se révéler par des signes manifestes. Ainsi, de nos jours, un citoyen, non pas des derniers rangs du peuple, mais pauvre en biens, étant mort, ses amis altèrent trouver Hildegaire, curé de cette église, et le prièrent de leur donner un endroit où ils pussent trouver un tombeau pour déposer leur ami, parce qu'il n'avait pas laissé de quoi pourvoir à sa sépulture. Leur demande leur ayant été accordée, ils se mirent en devoir d'ouvrir la sépulture du serviteur de Dieu dont nous venons de parler: mais ils ne purent y parvenir. Averti de ce qui arrivait, le curé vint, et essayant de lever le dessus de la bière, il l'entrouvrit légèrement, et aussitôt il s'en exhala une odeur d'une suavité si parfaite qu'il affirma n'avoir jamais respiré de parfum si délectable. Regardant dedans, il aperçut un corps bien conservé et revêtu des habits sacerdotaux et remettant la couverture en place, il n'osa passer outre. Cependant il permit aux amis du mort de placer une planche sur le cercueil et d'y déposer le cadavre. Or ce curé avait un oncle prêtre, défunt depuis longtemps, lequel lui apparut la nuit suivante, et lui dit qu'il avait grièvement offensé Dieu ce jour-là; mais que le péché eût été bien plus grand, s'il eût été jusqu'à violer le tombeau du saint. — Item le saint serviteur de Dieu apparut lui-même, à peu près en ces jours-là, à une autre personne, lui dit qu'il était grandement incommodé par la pesanteur et la puanteur du cadavre qu’on avait placé sur son cercueil, et lui ordonna de faire savoir au curé que, s'il ne se hâtait d'enlever ce corps fétide de sa sépulture, il ne tarderait pas à être frappé de la vengeance divine. Effrayé de ces avertissements, le prêtre fit retirer en hâte le cadavre, et lui fit ouvrir une autre tombe où on l'enferma. — Item Plus tard ce saint du Seigneur apparut encore à un paysan, et lui enjoignit d'aller trouver l'archevêque Artaud, et de lui dire de sa part de faire transporter dans l'église son corps qui gisait en dehors. Le paysan, n'ayant pas osé l'apporter ses paroles, négligea l'ordre qu'il avait reçu. Mais quelque temps après le saint lui apparut de nouveau pendant qu'il veillait, le réprimanda sévèrement pour n'avoir pas exécuté ses ordres, et pour correction lui donna un soufflet sur la joue. Aussitôt celui-ci devint sourd du côté où il avait reçu le soufflet, et souffrit d'un violent mal de tête, presque pendant une demi-année. Enfin le saint apparut la nuit d'un dimanche à un prêtre qui servait dans la même église sous le curé dont nous avons déjà parlé, et l'avertit de dire à l'évêque de transporter son corps dans l'église, lui désignant avec soin le lieu où il voulait être placé, lui faisant connaître sa mort, la cause de sa mort, et celle de sa venue en ce pays. Il lui raconta qu'il était d'Ecosse, qu'allant à Rome pour prier avec ses compagnons, il avait été surpris en route par des brigands, et assassiné sur le bord de la rivière d'Aisne, que de là son corps avait été apporté en ce lieu par ses compagnons qui l'y avaient enseveli. Il ajouta qu'on le nommait Merolilan, et lui ordonna de prendre son nom par écrit de peur de l'oublier; puis se baissant, et prenant un morceau de craie qui se trouvait par hasarda terre, il le lui donna, et lui commanda d'écrire son nom sur le coffre qui était auprès de son lit; alors il sembla au vicaire qu'il prenait la craie et écrivait: et comme il mettait un L pour un R, le saint l'avertit de corriger cette faute, et le lendemain le nom fut trouvé réellement écrit, et de telle manière que le prêtre affirma qu'il n'aurait jamais su si bien faire de jour et tout éveillé. Averti de ces diverses révélations, l'évêque fit restaurer l'église, mais n'y transporta point le corps. Aussi lui arriva-t-il assez tôt après qu'en cette même église, il fut forcé de se démettre devant le prince Hugues du gouvernement de l'évêché. CHAPITRE XLIX. Des églises bâties en l'honneur de saint Martin en divers lieux de l'évêché de Reims. DANS une foule d'endroits de notre évêché de Reims il y a des églises consacrées à saint Martin et qui sont fameuses par tant de miracles que personne ne suffirait à les raconter. Il existe entre autres dans le bourg de Saint-Rémi une église de ce bienheureux confesseur, en laquelle fut, dit-on, autrefois une congrégation de clercs, et où advint le miracle qui suit. Un homme de grande naissance qui venait de se marier fut obligé de partir presque aussitôt après ses noces, pour le service du roi, et de s'en aller à la guerre, où il demeura longtemps. Quand il revint dans sa maison, il reçut avis que sa femme s'était laissée corrompre en adultère. Comme il aimait tendrement sa femme, il voulut éprouver la vérité du rapport qui lui avait été fait, et convint avec elle que, si elle lui jurait sur les saints autels de toutes les églises du bourg qu'elle était innocente de ce crime, à ce prix il la tiendrait pour justifiée de toute faute. Celle-ci accepta avec empressement, et s'en alla avec son mari dans plusieurs églises où elle fit son serment. Enfin elle arriva à Saint-Martin mais au moment où elle approchait de l'autel et se parjurait avec impudence, le ventre lui creva tout-à-coup, et ses entrailles s'échappant et se répandant à terre elle tomba morte, prouvant ainsi la vérité des rapports qui avaient été faits contre elle à son mari. On raconte que celui-ci touché de la grâce de Dieu à la vue du miracle, fit vœu de ne plus se remarier; et donnant à l'église de Saint-Martin tous les serfs et colons qui appartenaient à sa femme, il les soumit à payer le cens à l'église, mais les exempta de toute autre charge et service. Cette colonie ainsi réglée, et ayant maintenu son privilège, s'éleva jusqu'à deux mille têtes et plus, au point qu'avant d'avoir été ravagée par les barbares elle payait à l'église douze livres d'argent. CHAPITRE L. Des miracles de saint Martin qui furent vus en la ville de Reims. Notre ville a été encore illustrée par beaucoup d'autres miracles de ce bienheureux père et confesseur; c'est pourquoi j'ai jugé à propos d'insérer ici ceux qui ont été rapportés par saint Grégoire de Tours en son livre des Miracles, afin que ceux qui ne les, connaîtraient pas et qui liront notre ouvrage les y puissent trouver. Il raconte donc qu'un jour, passant par le pays de Reims, un citoyen de notre ville lui rapporta qu'une prison en laquelle un de ses serviteurs était détenu avec d'autres, fut miraculeusement ouverte par la vertu du bienheureux saint Martin et que les prisonniers, délivrés de leurs fers, sortirent en liberté. Or cette prison était tellement construite que, sur les chevrons, au lieu de toit, des ais extrêmement solides et bien assemblés formaient un plancher très épais sur ce plancher, pour le rendre plus lourd et l'assurer mieux encore, étaient placées d'énormes pierres et néanmoins la porte était fermée par une forte serrure, et garnie de verrous de fer. Mais la vertu du bienheureux pontife fit sauter les pierres et le plancher, rompit les fers, brisa les entraves qui retenaient les pieds des prisonniers, et, sans ouvrir la porte, souleva les captifs en l'air et les fit sortir par le toit miraculeusement ouvert, en disant : Je suis Martin, soldat de Jésus Christ, qui vous délivre. Allez en paix, et retournez vous-en sans rien craindre. Et quand, ajoute saint Grégoire, nous fûmes arrivés auprès du roi, et que nous lui racontâmes ce miracle, il nous affirma que plusieurs de ces prisonniers étaient venus à lui, et qu'il leur avait fait remise de la composition qu'ils devaient au fisc, et qu'on nomme fredum. Le même saint Grégoire rapporte encore que, dans un voyage qu'il fit à Reims, et qu'un jour en causant avec le roi Sigebert dans la sacristie de l'église de Reims, celui-ci, qui était sourd d'une oreille, se trouva tout-à-coup guéri par la vertu du bienheureux saint Martin, dont il y avait quelques reliques en ladite sacristie. CHAPITRE LI. De sainte Macre, vierge. Sous le préfet Rictiovare, la bienheureuse vierge Macre souffrit le martyre au pays de Reims, toujours confessant Jésus-Christ, d'un courage invincible, au milieu des plus affreux tourments. Après avoir eu les mamelles coupées, et ensuite miraculeusement et soudainement guéries par un ange qui vint la visiter en sa prison, étendue toute nue sur des charbons et des fers ardents, rendant à Dieu son a me immaculée avec prières et actions de grâces triomphant de son persécuteur, elle monta joyeuse dans le ciel. Son corps fut inhume non loin du lieu où elle avait souffert le martyre. Bien longtemps après le lieu de sa sépulture, qui était tout près d'une église bâtie depuis en l'honneur de saint Martin, fut révélé à un bouvier, lequel eut une vision, et fut affermi en cette vision que le corps de cette sainte et bienheureuse vierge devait être déposé avec grand honneur dans l'église, afin qu'il fût plus manifestement reconnu et honoré par les habitants, ainsi qu'il convenait ce qui fut exécuté aussitôt avec la pompe convenable par des hommes aimant et craignant Dieu. Tant que ses reliques vénérables reposèrent en cette église, il y eut des miracles insignes opérés par son intercession les aveugles voyaient, les boiteux marchaient, les sourds entendaient, le Seigneur se plaisant à leur accorder ces grâces en faveur de la bienheureuse vierge. Dans la suite des temps un homme très religieux et zélé pour fonder des lieux saints et les honorer, nommé Dangulfe, lui éleva une église, où il fit transporter ses restes sacrés, sous le règne de l'empereur Charlemagne, et depuis Dieu ne cesse d'y opérer de grands et insignes miracles. Il n'y a pas longtemps encore, pendant la persécution des Hongrois, ces barbares voulant brûler cette église, mirent le feu à de grands tas de blé qui touchaient à ses murs; mais, quoique le feu dévorât la moisson et que la flamme enveloppât tout le toit, ils ne purent cependant parvenir à le faire prendre à l'église. CHAPITRE LII. De saint Rufin et de saint Valère, martyrs. Au même temps que cette bienheureuse vierge souffrit le martyre, son persécuteur Rictiovare, passant par la ville de Reims, et voulant forcer quelques chrétiens au culte des faux dieux, voyant qu'il ne pouvait vaincre leur résistance, les fit mettre à mort. Comme il sortait de Reims, il rencontra Rufin et Valère, deux hommes forts en la foi de Jésus-Christ, quoique gardiens des greniers de l'Empire. Les ayant fait arrêter, et les trouvant fermes et persévérants dans la confession et l'amour de Jésus-Christ, il les fit tourmenter et battre de verges, et ensuite jeter en prison pour les y exténuer de langueur. Mais les anges les vinrent visiter, les consolèrent et réconfortèrent; et enfin reconnus invincibles et inébranlables, le persécuteur leur fit subir la mort. Peu de temps après, comme on rapportait leurs corps à Reims dans des châsses, on raconte qu'a l'endroit où ils reposent maintenant les châsses devinrent si pesantes, qu'il ne fut pas possible de les lever de là et d'aller plus loin; ce qui advint ainsi par la volonté de Dieu, afin que leurs corps eussent un paisible et doux repos au lieu même où ils avaient tant de fois consolé les pauvres et distribué de charitables aumônes. Dernièrement quand la nation barbare des Normands se répandit dans les Gaules, et portait partout le ravage, pour les dérober à la tempête de cette persécution, les corps des deux saints martyrs furent transférés à Reims, et déposés dans l'église de Saint-Pierre, où ils furent longtemps gardés avec honneur. Lorsqu’enfin, les barbares se retirant, la tempête si long temps déchaînée contre nous s'apaisa, et que par l'ordre de Dieu le calme fut rétabli, le prêtre qui desservait l'église des deux saints, et qui désirait depuis longtemps retourner en son église, se hâta de les faire enlever, et reporter au lieu qui leur était consacré. Après la célébration de la messe, les précieuses reliques furent levées par les prêtres et emportées au milieu d'un grand concours de peuple. Or ce jour-là, qui était un dimanche, il faisait si grand vent que tous les luminaires qu'on portait en l'honneur des deux saints furent éteints par la violence de l'ouragan; mais au moment où l'on arrivait à une rivière qu'il y avait à passer, le cierge que l'on portait devant les reliques, et qui depuis longtemps était éteint, s'alluma tout-à-coup miraculeusement, à la grande admiration des assistants et cette lumière miraculeuse dura pendant près de quatre milles, au milieu des tourbillons de grêle et de vent. Depuis, le curé avisa de refaire le cierge sous une meilleure forme avec la même cire. Quand les prêtres qui lui étaient soumis se mirent à l'ouvrage, par un effet merveilleux, la cire amollie et travaillée commença à augmenter entre leurs mains, et en très grande quantité. Comme ceux-ci, frappés d'étonnement et d'admiration, faisaient grand bruit, le curé étant entré, et voyant la cire ainsi augmentée, crut d'abord qu'ils y avaient, sans son ordre, ajouté d'autre cire. Mais apprenant des prêtres ce qui venait de se passer, il rendit grâces à Dieu, et fit placer cette cire dans l'église en mémoire d'un si grand miracle. Riculphe, évêque de Soissons, en voulut avoir quelques reliques, et aussi les prêtres de plusieurs églises voisines en demandèrent par dévotion quelques parcelles, qui leur furent accordées, et qu'ils placèrent avec grande vénération dans leurs églises. Une autre fois, comme on rapportait les corps des deux martyrs en leur lieu propre, de l'église de Soissons où ils avaient été transférés, encore pour les soustraire à la persécution des Normands, un boiteux se traînait, comme il pouvait, avec le peuple qui accompagnait les deux saints avec grand respect et dévotion. Il n'était pas boiteux de naissance, mais cette déplorable infirmité lui était survenue. Comme on arrivait au village de Vasnes il se trouva tout à coup aussi droit qu'auparavant, et jetant ses béquilles, se mit à marcher de son pied, et alla en toute allégresse glorifier le Seigneur qui se montrait si admirable en ses saints. Enfin pour prouver combien la vengeance divine est prompte à frapper ceux qui violent la sainteté de ce lieu, et qui osent attenter aux biens donnés à ces bienheureux martyrs, je ne citerai que l'exemple qui suit. Au temps qu'il y avait dans le royaume de France de grandes discordes entre le roi Eudes et le roi Charles, toutes rapines, pillages et voleries s'exerçaient impunément et sans prétexte. Il n'y avait ni droit ni loi qui fût observée, aucune crainte de Dieu, ni des lois humaines, tout allait par force et violence. Un jour donc il arriva que des maraudeurs s'en vinrent à un certain village, et commencèrent à enlever à ces pauvres gens le peu qu'ils possédaient. Alors une pauvre bonne femme s'enfuyant avec ses effets courut de toutes ses forces vers l'église des saints martyrs. Un des pillards l'aperçoit, pique son cheval, et se met à la poursuivre à toute bride, espérant bientôt l'atteindre, et lui enlever ce qu'elle avait de plus précieux; quelqu'un qui était présent lui cria Malheureux! garde-toi de la poursuivre jusqu'au parvis des saints, mal t'en arrivera. Celui-ci poussait toujours, sans crainte ni respect aucun mais à peine son cheval eut-il mis le pied sur le parvis, qu'il tomba sur la tête et se rompit le cou. Le cavalier lui-même fut si grièvement blessé qu'il eut la jambe rompue depuis le genou jusqu'au pied, et que la chair, ouverte comme si on l'eût tranchée avec le fer, laissait voir à nu l'os tout dépouillé; et celui qui tout-à-l'heure était venu cavalier superbe, maintenant humilié et ne pouvant plus marcher sur ses pieds, fut porté hors du parvis de l'église par des mains étrangères. Comme on donna pour lui aux saints martyrs son cheval et tout ce qu'il possédait, il échappa a la mort; mais tout le reste de sa vie estropié et incapable d'aucun ouvrage, il vécut malheureux et inutile, portant partout en sa débilité témoignage de la vertu divine, et par l'exemple de la vengeance de Dieu exercée sur lui, détournant tous les autres de jamais tenter chose semblable, s'ils ne voulaient souffrir même peine. C'est aussi un fait bien connu et que personne n'ignore, qu'au tombeau de ces saints martyrs l'huile s'est quelquefois accrue. Le curé avait placé près de l'autel un vase de terre, où se gardait l'huile qui servait à entretenir la lampe qui brûlait sur le sépulcre. Il n'y restait plus que très peu d'huile, quand subitement elle commença à croître, et, sans que personne s'en aperçût, monta bientôt jusqu'au bord du vase; or, comme elle continuait toujours de monter, et que ne pouvant plus être contenue dans l'étroite capacité du vase, elle coulait par dessus les bords, le clerc chargé de la garde de l'église s'en aperçut, et, sans en rien dire à personne, mit un autre vase dessous; en très peu de jours il recueillit un setier d'huile, et le cacha furtivement, car le malheureux se flattait de faire tourner un miracle au profit de sa cupidité, et de parvenir à dérober pour lui seul ce qui devait profiter à tous. Mais le Christ, qui voulait glorifier ses saints devant tout le monde, ne permit pas que le crime honteux de ce misérable, et le don qu'il avait fait pour honorer ses martyrs, restassent plus longtemps cachés. Un jour le curé entra, je ne sais pour quelle cause, dans une maison attenante à l'église, et dans laquelle l'évêque de Soissons a coutume de demeurer quand il vient en ce lieu; il découvrit ce vase plein d'huile jusque par dessus les bords; ne comprenant pas d'où pouvait venir une si abondante provision, quand on avait tant de peine à en trouver, il s'avisa de demander au clerc qui avait commis un si grand crime, qui était cette huile, et qui l'avait déposée là. Et comme celui-ci dit qu'il n'en savait rien, les enfants qui venaient là pour apprendre les psaumes, et qui connaissaient toute l’affaire, racontèrent au curé le miracle et le vol du gardien. Aussitôt le curé court droit au vase qui était auprès de l'autel, et trouve le pavé encore tout mouillé de l'huile qui avait été répandue. Et pendant qu'il glorifiait le Seigneur, qui est infini dans ses saints, un autre gardien vint s'accuser à son tour d'avoir pris en cachette une grande partie de cette huile, et de l'avoir employée à ce qu'il avait voulu, et comme il avait voulu.