[30,0] XXX. LES MENDIANTS RICHES OU LES FRANCISCAINS. CONRAD, BERNARDIN, LE PASTEUR, L'AUBERGISTE ET SA FEMME. [30,1] (Conrad) Pourtant hospitalité sied au pasteur. [30,2] (Le Pasteur) Je suis pasteur de brebis, je n'aime pas les loups. [30,3] (Conrad) Vous ne haïssez peut-être pas autant les louves. Mais pourquoi nous en voulez-vous au point de ne pas daigner nous recevoir sous votre toît? Notre dînar ne vous coûtera rien. [30,4] (Le Pasteur) Je vais vous le dire : c'est que, si vous aperceviez dans ma maison une poulette avec de petits poussins, demain je serai diffamé en chaire devant le public. Voilà comment vous reconnaissez l'hospitalité que l'on vous offre. [30,5] (Conrad) Nous ne sommes pas tous commed cela. [30,6] (Le Pasteur) Soyez comme vous vaudrez. Je ne me fierais pas même à saint Pierre, s'il venait à moi sous votre accoutrement. [30,7] (Conrad) S'il en est ainsi, indiquez-nous du moins un autre endroit où loger [30,8] (Le Pasteur) Il y a dans ce village une auberge. [30,9] (Conrad) Quelle enseigne porte-t-elle? [30,10] (Le Pasteur) Vous verrez sur un tableau suspendu un chien qui met la gueule dans une marmite. Ceci se passe dans la cuisine. Au comptoir se tient un loup. [30,11] (Conrad) Cette enseigne est de mauvais augure. [30,12] (Le Pasteur) Usez-en. [30,13] (Bernardin) Quelle est cette espèce de pasteur? Il vous laisserait mourir de faim. [30,14] (Conrad) S'il ne nourrit pas mieux ses brebis que nous, elles ne doivent pas être bien grasses. [30,15] (Bernardin) Dans l'adversité il faut prendre une bonne résolution. Que faire? [30,16] (Conrad) S'armer d'audace. [30,17] (Bernardin) Oui, la honte est inutile quand la besoin est urgent. [30,18] (Conrad) Parfaitement. Saint François nous aidera. [30,19] (Bernardin) Il sera notre bonne fortune. [30,20] (Conrad) Nous n'attendrons pas à la porte la réponse de l'aubergiste, nous entrerons tout droit dans le poêle et nous ne nous laisserons pas chasser aisément. [30,21] (Bernardin) Quelle effronterie! [30,22] (Conrad) Cela vaut mieux que de passer la nuit en plein air et de mourir de froid. Maintenant, mets ta honte dans le sac; tu la reprendras demain si tu veux. [30,23] (Bernardin) Oui, c'est ce qu'il y a de mieux à faire. [30,24] (L'Aubergiste) Quelle espèce d'animaux aperçois-je là? [30,25] (Conrad) Des serviteurs de Dieu, des fils de saint François excellent messire. [30,26] (L'Aubergiste) Je ne sais pas si Dieu est enchanté de pareils serviteurs; pour moi, je ne voudrais pas en avoir beaucoup comme vous à mon service. [30,27] (Conrad) Pourquoi cela? [30,28] (L'Aubergiste) Parce que pour manger et boire vous êtes plus que des hommes, mais pour travailler vous n'avez ni mains ni pieds. Hé ! vous êtes fils de saint François? Vous dites partout qu'il a été vierge, et il a tant de fils ! [30,29] (Conrad) Nous sommes ses fils par l'esprit et non par la chair. [30,30] (L'Aubergiste) C'est un malheureux père, car ce qu'il y a de pire en vous c'est l'esprit; physiquement parlant, vous êtes très vigoureux, et sous ce rapport vous vous conduisez mieux qu'il ne faudrait pour nous, qui avons une femme et des filles. [30,31] (Conrad) Vous croyez peut-être que nous sommes de ceux qui dégénèrent de l'institut de notre père; nous sommes observantins. [30,32] (L'Aubergiste) Je vous observerai donc pour que vous ne fassiez pas de mal, car je déteste horriblement votre engeance. [30,33] (Conrad) Pourquoi cela, je vous prie? [30,34] (L'Aubergiste) Parce que vous portez vos dents partout et que vous ne portez d'argent nulle part. Des hôtes de ce genre me déplaisent souverainement. [30,35] (Conrad) Est-ce que nous ne travaillons-pas pour vous? [30,36] (L'Aubergiste) Voulez-vous que je vous montre comment vous travaillez? [30,37] (Conrad) Montrez. [30,38] (L'Aubergiste) Regardez ce tableau tout près de vous à gauche. Vous y voyez un renard qui prêche, mais derrière lui une oie sort la tête hors de son capuchon. Vous voyez ensuite un loup qui absout un pénitent, mais on voit paraître un quartier de mouton caché sous sa robe. Vous voyez un singe en habit de franciscain qui assiste un malade; d'une main il présente la croix, et de l'autre il fouille dans la bourse du malade. [30,39] (Conrad) Nous ne disconvenons point que cet habit ne cache quelquefois des loups, des renards et des singes; nous avouons même qu'il cache souvent des porcs, des chiens, des chevaux, des lions et des basilics; mais il recouvre aussi bien des honnêtes gens. Si l'habit ne rend pas meilleur, il ne rend pas plus mauvais. Il est donc injuste de juger des gens sur l'habit; autrement l'habit que vous mettez quelquefois serait exécrable, parce qu il est porté par des voleurs, des assassins, des empoisonneurs et des adultères. [30,40] (L'Aubergiste) Passe pour l'habit, si vous me payez. [30,41] (Conrad) Nous prierons Dieu pour vous. [30,42] (L'Aubergiste) Je le prierai pour vous à mon tour, et nous serons quittes. [30,43] (Conrad) Mais il ne faut pas recevoir de toutes mains. [30,44] (L'Aubergiste) Pourquoi vous faites-vous scrupule de toucher à l'argent? [30,45] (Conrad) Parce que cela répugne à notre profession. [30,46] (L'Aubergiste) Il répugne également à ma profession de recevoir un hôte gratuitement. [30,47] (Conrad) La règle nous défend de toucher à l'argent. [30,48] (L'Aubergiste) Ma règle m'ordonne tout le contraire. [30,49] (Conrad) Où est-elle, votre règle? [30,50] (L'Aubergiste) Lisez ces vers : Voyageur, à la table ayant rempli ta panse, Garde-toi de partir sans payer ta dépense. [30,51] (Conrad) Nous ne vous ferons point de dépense. [30,52] (L'Aubergiste) Ceux qui ne me font point de dépense ne me font point de profit. [30,53] (Conrad) Dieu vous dédommagera abondamment si vous nous faites la charité. [30,54] (L'Aubergiste) Avec ces mots là je ne nourris pas ma famille. [30,55] (Conrad) Nom nous cacherons dans un coin du poêle et nous ne gênerons personne. [30,56] (L'Aubergiste) Mon poêle ne reçoit pas des gens de votre espèce. [30,57] (Conrad) Est-ce ainsi que vous nous chassez, pour que les loups nous dévorent peut-être cette nuit? [30,58] (L'Aubergiste) Le loup ne mange pas le loup, de même que le chien ne mange pas le chien. [30,59] (Conrad) Il y aurait de la barbarie à traiter ainsi des Turcs; qui que nous soyons, nous sommes des hommes. [30,60] (L'Aubergiste) Vous chantez aux oreilles d'un sourd. [30,61] (Conrad) Vous prenez toutes vos aises, vous vous couchez tout nu derrière le poêle, et vous nous chassez dehors; au risque de nous faire mourir de froid pendant la nuit, quand même les loups nous épargneraient. [30,62] (L'Aubergiste) C'est ainsi qu'Adam vivait dans le paradis. [30,63] (Conrad) Oui, mais il était irréprochable. [30,64] (L'Aubergiste) Moi aussi, je suis irréprochable. [30,65] (Conrad) Peut-être en supprimant la première syllabe. Mais prenez garde, si vous nous chassez de votre paradis, que Dieu ne vous reçoive pas dans le sien. [30,66] (L'Aubergiste) Chansons. [30,67] (La Femme) Mon mari, rachète du moins tous tes péchés par cette bonne oeuvre; laisse-les passer cette nuit sous notre toit. Ce sont de bons hommes, tu verras que tu y gagneras plus tard. [30,68] (L'Aubergiste) Voilà une avocate ! Je soupçonne que vous êtes d'accord; d'ailleurs, je n'aime pas beaucoup à entendre dans la bouche d'une femme l'éloge de bons hommes. [30,69] (La Femme) Oh ! il ne s'agit pas de cela. Mais songe combien de fois tu as péché en jouant, en t'enivrant, en te querellant, en te battant. Rachète au moins tes péchés par cette aumône ; ne chasse pas ceux que tu seras heureux de trouver à ton lit de mort. Tu reçois très souvent des bouffons et des saltimbanques, et tu mets à la porte ces gens-là? [30,70] (L'Aubergiste) D'où nous vient cette sermonneuse ? Va t'en soigner ta cuisine. [30,71] (La Femme) On y va. [30,72] (Bernardin) Il s'adoucit et met une chemise. J'espère que cela ira bien. [30,73] (Conrad) Les garçons mettent le couvert. Par bonheur il n'est point venu d'hôtes; sans quoi il nous aurait fallu déguerpir. [30,74] (Bernardin) Heureusement que nous avons apporté avec nous de la ville voisina une bouteille de vin et un gigot d'agneau rôti, car, à ce qua je vois, ce gaillard-là ne nous aurait pas seulement donné du foin. [30,75] (Conrad) La garçons se sont mis à table. Plaçons-nous-y, de façon toutefois à n'incommoder personne. [30,76] (L'Aubergiste) C'est à vous que je dois m'en prendre si aujourd'hui je n'ai pas d'autres convives que mes domestiques et vous, qui ne m'êtes d'aucun profit. [30,77] (Conrad) Prenez-vous en à nous si cela n'arrive pas souvent. [30,78] (L'Aubergiste) Cela arrive plus souvent que je ne voudrais. [30,79] (Conrad) Ne vous tourmentez pas. Le Christ vit encore, et il n'abandonnera point les siens. [30,80] (L'Aubergiste) J'ai entendu dire qu'on vous appelait évangéliques. Or l'Évangile défend de porter en voyage ni besace ni pain; vous avez des manches qui vous servent de besace, à ce que je vois, et vous ne portez. pas seulement du pain, mais encore du vin et de la viande délicate. [30,81] (Conrad) Goûtez-en avec nous, si le coeur vous en dit. [30,82] (L'Aubergiste) Mon vin, comparé à celui-là est de la piquette. [30,83] (Conrad) Goûtez aussi de cette viande, car nous en avons de reste. [30,84] (L'Aubergiste) Quels heureux mendiants! Ma femme ne m'a fait cuire aujourd'hui que des légumes et du lard rance. [30,85] (Conrad) Mêlons nos mets, si vous voulez, car peu nous importe ce que nous mangeons. [30,86] (L'Aubergiste) Pourquoi ne portez-vous donc pas en route des légumes et de la piquette? [30,87] (Conrad) Parce que les personnes chez qui nous avons dîné aujourd'hui nous ont forcé d'accepter cela. [30,88] (L'Aubergiste) Elles vous ont fait dtner gratuitement? [30,89] (Conrad) Sans doute; elles nous ont même remerciés, et, en partent, elles nous ont chargés de ce dessert. [30,90] (L'Aubergiste) D'où venez-vous? [30,91] (Conrad) De Bâle. [30,92] (L'Aubergiste) Oh ! de si loin? [30,93] (Conrad) oui. [30,94] (L'Aubergiste) Quelle espèce d'hommes êtes-vous donc pour voyager ainsi sans monture, sans bourse, sans valets, sans armes, sans provisions? [30,95] (Conrad) Vous voyez une légère trace de la vie évangélique. [30,96] (L'Aubergiste) J'y vois une vie de vagabonds, qui courent le monde avec une besace. [30,97] (Conrad) Les apôtres et le Seigneur Jésus étaient de semblables vagabonds. - . [30,98] (L'Aubergiste) Connaissez-vous l'art de la chiromancie? [30,99] (Conrad) Du tout. [30,100] (L'Aubergiste) Qui vous fournit donc de quoi vivre ? [30,101] (Conrad) Celui qui l'a promis. [30,102] (L'Aubergiste) Quel est-il? [30,103] (Conrad) Celui qui a dit : "Ne soyez point en peine, tout cela vous sera donné par surcroît". [30,104] (L'Aubergiste) Il l'a promis, mais à ceux qui cherchent la royaume de Dieu. . [30,105] (Conrad) C'est ce que nous faisons autant qu'il est ennous. [30,106] (L'Aubergiste) Les apôtres se distinguaient par leurs miracles; ils guérissaient les malades : il n'est donc pas étonnant qu'ils aient trouvé partout de quoi vivre. Vous ne pouvez rien de semblable. [30,107] (Conrad) Nous le pourrions si nous ressemblions aux apôtres et si la circonstance exigeait un miracle. Les miracles ont été offerts pour un temps aux incrédules; aujourd'hui, il n'est besoin que de vivre saintement. Souvent il vaut mieux être malade qu'en bonne santé; souvent la mort est préférable à la vie. [30,108] (L'Aubergiste) Que faites-vous donc? [30,109] (Conrad) Ce que nous pouvons. Suivant le talent que Dieu nous a donné, nous consolons, nous exhortons, nous avertissons, nous reprenons, quand l'occasion s'en présente. Nous prêchons quelquefois lorsque nous rencontrons des pasteurs muets. S'il ne nous est pas donné d'être utiles, nous tâchons de ne scandaliser personne par nos moeurs et par notre langue. [30,110] (L'Aubergiste) Plût à Dieu que vous voulussiez demain nous faire un sermon! C'est chez nous jour de fête. [30,111] (Conrad) En l'honneur de quel saint? [30,112] (L'Aubergiste) De saint Antoine. [30,113] (Conrad) C'était assurément un homme de bien; mais d'où vient cette fête? [30,114] (L'Aubergiste) Je vais vous le dire. Ce village abonde en porchers, à cause d'une forêt de chênes qui est tout près. On leur a persuadé que saint Antoine était chargé de veiller sur leurs troupeaux, et ils l'honorent dans la crainte de s'attirer sa colère en le négligeant. [30,115] (Conrad) Plût à Dieu qu'ils l'honorassent véritablement ! [30,116] (L'Aubergiste) Comment cela? [30,117] (Conrad) La meilleure manière d'honorer les saints est de les imiter. [30,118] (L'Aubergiste) Tout ce village retentira demain d'orgies, de danses, de jeux, de querelles et de rixes. [30,119] (Conrad) C'est ainsi que les païens honoraient jadis leur Bacchus. Je m'étonne qu'en se voyant honoré de la sorte, saint Antoine ne sévisse pas contre des hommes plus stupides que leurs animaux. Quel pasteur avez-vous? est-il muet et mauvais? [30,120] (L'Aubergiste) Je ne sais pas ce qu'il est pour les autres; pour moi il est très bon. Il boit ici des jounées entières; personne ne m'amène plus de compagnons de bouteille ni de meilleurs, à mon grand profit. Je suis même étonné qu'il ne soit pas là. [30,121] (Conrad) Nous l'avons trouvé peu obligeant. [30,122] (L'Aubergiste) Qu'entens-je? Avez-vous été le voir? [30,123] (Conrad) Nous lui avons demandé l'hospitalité; il nous a chassés de sa porte comme des loups en nous disant de venir ici. [30,124] (L'Aubergiste) Ah ! ah ! je comprends maintenant. S'il n'a pas voulu venir ici, c'est qu'il savait que vous y viendriez. [30,125] (Conrad) Est-il muet? [30,126] (L'Aubergiste) Muet? Personne n'a une voix plus sonore que lui dans le poêle, et à l'église il beugle à plein gosier. Je ne l'ai jamais entendu prêcher. Mais à quoi bon tant d'explications? Vous avez vu sans doute par vous-mêmes qu'il n'est pas muet. [30,127] (Conrad) Est-il instruit dans les saintes Écritures? [30,128] (L'Aubergiste) Il prétend qu'il est fort instruit; mais tout ce qu'il sait à cet égard il l'a appris sous le sceau de la confession, et il lui est défendu d'en faire part aux autres. Bref, je vous dirai en un mot : Tel est le peuple, tel est le prêtre, et le pot a parfaitement trouvé son couvercle. [30,129] (Conrad) Il ne me permettra peut-être pas de prêcher. [30,130] (L'Aubergiste) Si fait, j'en réponds, mais à la condition que vous ne lui lancerez pas d'épigrammes, comme font la plupart de vos confrères. [30,131] (Conrad) Ceux qui font cela ont tort. Pour moi, j'avertis secrètement le pasteur s'ïl fait du scandale; le reste est du ressort des évêques. [30,132] (L'Aubergiste) Ces oiseaux-là volent rarement ici. Je vois, en vérité, que vous êtes de braves gens, mais que sigaze cette variété d'habits? Beaucoup de personnes vous prennent pour des mauvaises gens uniquement sur votre costume. [30,133] (Conrad) D'où vient cela? [30,134] (L'Aubergiste) Je n'en sais rien; seulement il y a une foule de gens qui pensent ainsi. [30,135] (Conrad) Beaucoup de personnes nous prennent pour des saints uniquement sur notre costume. Les unes et les autres se trompent, mais celles qui augurent bien de nous sur notre habit se trompent avec plus d'humanité que celles qui en augurent mal. [30,136] (L'Aubergiste) Admettons. Mais quelle est donc l'utilité de toutes ces différences? [30,137] (Conrad) Qu'en pensez-vous? [30,138] (L'Aubergiste) Elles me paraissent inutiles, excepté dans les processions et à la guerre. Dans les processions, on promène divers personnages, des saints, des juifs, des païens; la variété de leurs costumes nous aide à les reconnaître. A la guerre, cette différence dans la mise fait que chaque troupe suit son étendard et elle empêche la confusion des rangs. [30,139] (Conrad) Vous parlez à merveille. Cet habit que voilà est aussi un costume de guerre; nous obéissons chacun à notre général, mais nous combattons tous sous le même empereur, qui est le Christ. Ensuite, dans un habit il y a trois choses à considérer. [30,140] (L'Aubergiste) Lesquelles? [30,141] (Conrad) La nécessité, l'usage et la bienséance. Pourquoi mange-t-on ? [30,142] (L'Aubergiste) Pour ne pas mourir de faim. [30,143] (Conrad) De même que l'on s'habille quelquefois pour ne pas mourir de froid. [30,144] (L'Aubergiste) C'est vrai. [30,145] (Conrad) Pour cela, mon habit vaut mieux que le vôtre, car il couvre la tête, le cou et les épaules, qu'il importe le plus de garantir du froid. L'usage exige différentes sortes de vêtements. Pour aller à cheval, il faut que l'habit soit court, pour se reposer, long; en été, mince; en hiver, épais. Il y a des gens à Rome qui changent de vêtements trois fois par jour : le matin, ols en prennent un doublé de fourrures, à midi un simple, et vers le soir un plus épais. Mais tout le monde n'a pas des habits de rechange : on a donc imaginé celui-ci, qui à lui seul sert à plusieurs usages. [30,146] (L'Aubergiste) Comment cela? [30,147] (Conrad) Si la bise souffle ou si le soleil est ardent, nous mettons le capuchon; si la chaleur incommode, nous le rabattons sur le dos, pour nous reposer, nous laissons tomber la robe; pour marcher, nous la relevons et nous l'attachons même avec une ceinture. [30,148] (L'Aubergiste) Celui qui a inventé cela n'était pas trop bête. [30,149] (Conrad) Il est essentiel, pour bien vivre, que l`homme s'habitue à se contenter de peu, car si on se laisse aller à ses goûts et à ses penchants, il n'y a pas de fin. Or, on ne pouvait imaginer un vêtement qui à lui seul offrit autant de commodités. [30,150] (L'Aubergiste) Je suis de votre avis. [30,151] (Conrad) Considérons maintenant la bienséance. Dites-moi franchement, si vous mettiez la robe de votre femme, tout le monde ne dirait-il pas que vous agissez contre la bienséance? [30,152] (L'Aubergiste) On me prendrait pour un fou. [30,153] (Conrad) Que diriez-vous si votre femme mettait votre habit? [30,154] (L'Aubergiste) Je ne lui dirais peut-être pas de mal, mais je lui assènerais de bons coups de bâton. [30,155] (Conrad) Cependant l'habit importe peu. [30,156] (L'Aubergiste) Dans ce cas, il importe beaucoup. [30,157] (Conrad) C'est tout naturel, car les lois des païens punissent l'homme et la femme qui revêtent les habits d'un sexe différent. [30,158] (L'Aubergiste) Et avec raison. [30,159] (Conrad) Maintenant, si un vieillard octogénaire s'habillait comme un jeune homme de quinze ans, et si, au contraire, un jeune homme s'habillait comme un vieillard, tout le monde ne dirait-il pas que ce fait mériterait la bastonnade? Ou bien si une vieille femme se parait comme une jeune fille, et réciproquement? [30,160] (L'Aubergiste) Assurément. [30,161] (Conrad) Il en serait de même si un laïque prenait les habits d'un prêtre, et un prêtre ceux d'un laïque. [30,162] (L'Aubergiste) L'un et l'autre commettraient une inconvenance. [30,163] (Conrad) Si un particulier revêtait les ornements d'un prince, et un simple prêtre ceux d'un évêque, ne blesseraient-ils pas les convenances? [30,164] (L'Aubergiste) Oui. [30,165] (Conrad) Si un bourgeois s'habillait en soldat, avec le panache et les autres insignes de la folie de Thrason ? [30,166] (L'Aubergiste) On sa moquerait de lui. [30,167] (Conrad) Si, parmi les soldats, l'Anglais portait une croix blanche, le Suisse une rouge et le Français une noire? [30,168] (L'Aubergiste) Ce serait de l'impudence. [30,169] (Conrad) Pourquoi donc vous étonner de notre costume? [30,170] (L'Aubergiste) Je sais la différence qui existe entre un particulier et un prince, entre un homme et une femme; j'ignore en quoi un moine diffère de celui qui ne l'est pas. [30,171] (Conrad) Quelle différence y a-t-il entre le pauvre et le riche ? [30,172] (L'Aubergiste) La fortune. [30,173] (Conrad) Et cependant il serait inconvenant qu'un pauvre fût paré comme un riche. [30,174] (L'Aubergiste) Oui, avec les parures que la plupart des riches portent aujourd'hui. [30,175] (Conrad) Quelle différence y a-t-il entre un fou et un homme sensé? [30,176] (L'Aubergiste) Il y en a un peu plus qu'entre un riche et un pauvre. [30,177] (Conrad) Les bouffons ne sont-ils pas vêtus autrement que les gens sensés? [30,178] (L'Aubergiste) Je ne sais pas quel est le costume qui vous convient, mais le vôtre rassemblerait assez à celui des bouffons si l'on y ajoutait des oreilles d'âne et des grelots. [30,179] (Conrad) J'avoue que cela nous manque, car nous sommes les bouffons de ce monde si nous sommes réellement ce que nous voulons être. [30,180] (L'Aubergiste) Je ne sais pas ce que vous êtes; mais je sais qu'il y a bien des bouffons, portant oreilles d'âne et grelots, qui sont plus sensés que ceux qui portent des bonnets fourrés, des chaperons, et tous les emblèmes de la sagesse. Je trouve donc que c'est le comble de la folie d'afficher la sagesse sur son habit plutôt que dans sa conduite. J'ai connu un homme plus que bouffon, qui portait une robe retombant jusque sur ses talons et le chaperon de Notre Maître. On pouvait le prendre sur sa mine pour un grave théologien; il disputait devant tout le monde avec un certain air d'importance : or, il ne plaisait pas moins aux grands que le premier bouffon venu, attendu qu'illes surpassait tous par son genre de folie. [30,181] (Conrad) Que demandez-vous donc? que le prince qui se moque du bouffon change d'habit avec lui? [30,182] (L'Aubergiste) Cette bienséance dont vous parlez l'exigerait peut-être quelquefois, si l'on voulait représenter sur l'habit ce que l'on a dans l'esprit. [30,183] (Conrad) J'avoue que vous êtes pressant; cependant je crois que ce n'est pas sans raison que l'on a donné leur costume aux bouffons. [30,184] (L'Aubergiste) Pour quelle raison? [30,185] (Conrad) Pour qu'on ne leur fasse pas de mal s'ils disent ou commettent quelque impertinence. [30,186] (L'Aubergiste) Je ne dirai pas que cela excite plutôt les gens à les offenser au point que souvent de fous qu'ils étaient ils deviennent furieux. Ensuite je ne vois pas pourquoi, lorsqu'on condamne au supplice le boeuf qui a tué un homme d'un coup de corne, le chien ou le porc qui a tué un enfant, on laisserait vivre sous l'égide de la folie le bouffon qui a commis des crimes plus abominables. Ce que je désire savoir, c'est pourquoi vous vous distinguez des autres par l'habit. Car si le moindre prétexte suffisait pour établir une mise différente, il faudrait que le boulanger fût vêtu autrement que le pécheur, le cordonnier autrement que le tailleur, l'apohticaire autrement que le marchand de vin, le charretier autrement que le matelot. Vous, si vous êtes prêtres, pourquoi ne vous habillez-vous pas comme les autres prêtres? Si vous êtes laïques, pourquoi cette différence avec nous? [30,187] (Conrad) Autrefois, nous autres moines, nous n'étions que la partie la plus pure des laïques; il n'y avait entre un moine et un laïque d'autre différence que celle qui existe aujourd'hui entre un homme économe et probe, qui entretient sa famille par son travail, et un "schnaphan" qui se pavane en revenant de piller. Depuis, le pontife romain a fait rejaillir sur nous ses honneurs; notre habit a obtenu de nous une dignité qui n'est aujourd'hui ni celle des laïques ni celle des prêtres; d'ailleurs, quel qu'il soit, des cardinaux et des souverains pontifes n'ont pas rougi de le porter. [30,188] (L'Aubergiste) Mais enfin sur quoi se fonde cette bienséance? [30,189] (Conrad) Tantôt sur le nature même des choses, tantôt sur la coutume et l'opinion. Si quelqu'un s'habillait d'une peau de boeuf, en sorte que les cornes se dressassent sur sa tête et que la queue traînât par terre, tout le monde ne le prendrait-il pas pour un fou? [30,190] (L'Aubergiste) Ce serait tout à fait ridicule. [30,191] (Conrad) Et si quelqu'un avait un habit qui cachât la figura et let mains, et découvrit les parties honteuses? [30,192] (L'Aubergiste) Ce serait encore plus absurde. [30,193] (Conrad) C'est pour cela que les auteurs païens eux-mêmes ont blâmé ceux qui s'habillaient de tissus légers, indécents même pour des femmes. Car il est plus pudique d'être nu, comme nous vous avons trouvé dans le poêle, que d'avoir un habit transparent. [30,194] (L'Aubergiste) Pour moi, je crois que tout ce qui concerne l'habillement dépend de la coutume et de l'opinion. [30,195] (Conrad) Pourquoi cela? [30,196] (L'Aubergiste) Il n'y a pas longtemps que logèrent ici des voyageurs qui disaient avoir visité plusieurs pays nouvellement découverts et qui ne figurent pas sur les cartes des anciens cosmographes. Ils racontaient qu'ils étaient arrivés dans une île d'un climat très doux où rien n'était plus déshonorant que de se couvrir le corps. [30,197] (Conrad) Ces gens-là vivaient sans doute comme des bêtes. [30,198] (L'Aubergiste) Au contraire; au dire des voyageurs, ils étaient très civilisés. Ils vivaient sous un roi; ils l'accompagnaient le matin à l'ouvrage, qui ne durait pu plus d'une heure, et cela tous les jours. [30,199] (Conrad) Quel ouvrage faisaient-ils? [30,200] (L'Aubergiste) Ils arrachaient une espèce de racine qui leur sert de froment; mais qui est plus agréable et plus salubre. Cette tâche accomplie, chacun retourne à ses affaires et fait ce que bon lui semble. Ils élèvent saintement leurs enfants, évitent et punissent les crimes, mais l'adultère est celui de tous qu'ils châtient le plus sévèrement. . [30,201] (Conrad) Par quel supplice? [30,202] (L'Aubergiste) On pardonné au femmes, on fait grâce à leur sexe; mais les hommes convaincus d'adultère sont condamnés pendant toute leur vie à paraître eu public, en ayant les parties génitales couvertes d'un voile. [30,203] (Conrad) Quel affreux supplice! [30,204] (L'Aubergiste) Cependant la coutume leur a fait croire qu'il n'y en avait point de plus cruel. [30,205] (Conrad) Quand je songe à l'influence de l'opinion, je suis presque de votre avis. En effet, si on voulait infliger à un voleur ou à un assassin le châtiment le plus ignominieux, ni suffirait-il pas de rogner sa chemise au-dessus des fesses; de couvrir d'une peau de loup ses parties naturelles indécemment saillantes; de varier son haut-de-chausses de diverses couleurs; de taillader dans tous les sens son justaucorps, en faisant de cet habit une espèce de filet qui lui découvre les épaules et la poitrine; de raser une partie de sa barbe, de laisser pendre le reste et de friser sa moustache; de couper ses cheveux, de le coiffer d'un chapeau fendu avec un énorme panache, et de l'obliger à se montrer ainsi en public? Ne serait-ce pas l'exposer à la risée plus que si on lui mettait la casaque d'un fou avec de longues oreilles et des grelots? Cependant les soldats se parent volontairement de la sorte, et lis en sont fiers; et il se trouve des gens a qui cela paraît beau, quoiqu'on ne puisse rien voir de plus insensé! [30,206] (L'Aubergiste) Bien plus, il ne manque pas d'honnêtes bourgeois qui s'efforcent de les imiter. [30,207] (Conrad) Et si quelqu'un s'avisait d'imiter la parure des Indiens, qui se vêtent de plumes d'oiseaux, tous la enfants ne le prendraient-ils pas pour un insensé? [30,208] (L'Aubergiste) Assurément. [30,209] (Conrad) Pourtant ce que nous admirons est cent fois plus insensé que ne le serait cet homme-là. Or, s'il est vrai qu'il n'y a rien de si absurde que l'usage ne recommande, on ne peut nier non plus qu'il y a dans les habits une décence qui, pour les esprits raisonnables et intelligents, est toujours de la décence, et, par contre, une indécence que tous les gens sensés doivent reconnaître. Qui ne rit, en effet, en voyant des femmes chargées d'une longue robe traînante, et qui mesurent la noblesse de leur race à la longueur de leur queue? D'ailleurs, certains cardinaux ne rougissent pas de les imiter dans la forme de leurs manteaux. Et cependant la coutume est une chose si tyrannique qu'il n'est permis à personne de changer ce qui est reçu. [30,210] (L'Aubergiste) En voilà assez sur la coutume. Mais dites-moi votre avis : lequel préférez-vous, que les moines ne diffèrent point des autres par l'habit ou qu'ils en diffèrent? [30,211] (Conrad) J'avoue qu'il me semble plus naturel et plus chrétien d'estimer quelq'un non sur son habit, mais parce qu'il est honnête et vertueux. [30,212] (L'Aubergiste) Pourquoi ne quittez-vous donc pas vos frocs? [30,213] (Conrad) Pourquoi les apôtres ne mangeaient-ils pas d'abord de toute espèce d'aliments? [30,214] (L'Aubergiste) Je ne sais pas, dites-le-moi. [30,215] (Conrad) Parce qu'une coutume insurmontable s'y opposait. En effet, ce qui s'est profondément gravé dm l'esprit des hommes, ce qui s'est invétéré par un long usage et qui est devenu pour ainsi dire une seconde nature, ne peut être supprimé tout d'un coup sans nuire à la tranquillité humaine; il faut le faire disparaître petit à petit, comme a fait l'homme de la fable en arrachant les crins de la queue du cheval. [30,216] (L'Aubergiste) Passe encore si tous les moines avaient le même habit. Peut-on supporter tant de variétés? [30,217] (Conrad) Ce mal est venu de l'usage, d'où naissent tous les abus. Saint Benoît n'a point inventé un nouveau costume; l'habit qu'il portait avec ses frères était celui d'un laïque simple et honnête. Saint François n'a pas imaginé une nouvelle forme; son vêtement était celui des pauvres et des paysans. Leurs successeurs, en y ajoutant, ont changé la chose en superstition. Ne voyons-nous pas aujourd'hui encore de vieilles femmes conserver la mode de leur siècle, qui s'éloigne bien plus de celle de ce temps que mon habit ne s'écarte du vôtre? [30,218] (L'Aubergiste) Oui. [30,219] (Conrad) Et ainsi, quand vous voyez cette mode, vous voyez les restes du siècle passé. [30,220] (L'Aubergiste) Votre habit n'a donc pas d'autre sainteté? [30,221] (Conrad) Absolument pas d'autre. [30,222] (L'Aubergiste) Il y en a qui prétendent que ces costumes ont été désignés miraculeusement par la sainte Vierge mère. [30,223] (Conrad) Ce sont là des rêveries. [30,224] (L'Aubergiste) Il y en a qui désespéraient de leur guérison s'ils n'étaient vêtus de l'habit de saint Dominique; il y en a même qui ne veulent être ensevelis que dans la robe de saint François. [30,225] (Conrad) Ceux qui conseillent cela sont ou des captateurs ou des fous; ceux qui le croient sont des superstitieux. Dieu ne distingae pas moins le coquin sous l'habit de saint François que sous l'habit militaire. [30,226] (L'Aubergiste) Mais il y a moins de variété dans le plumage des oiseaux que dans votre habillement. [30,227] (Conrad) N'est-il donc pas beau d'imiter le nature? Il est encore plus beau de la vaincre. [30,228] (L'Aubergiste) Plût à Dieu que vous pussiez la vaincre également par la variété des becs! [30,229] (Conrad) Eh bien! si vous le voulez, je justifierai même cette variété. L'Espagnol, l'Italien, le Français, l'Allemand, le Grec, le Turc, le Sarrasin, ne s'habillent-ils pas tous d'une façon différente? [30,230] (L'Aubergiste) Oui. [30,231] (Conrad) Et dans un même pays, quelle variété de vêtements même entre gens du même sexe, du même âge et du même rang! quelle difference entre les costumes vénitien, florentin et romain! Et cela seulement en Italie. [30,232] (L'Aubergiste) C'est vrai. [30,233] (Conrad) C'est de là qu'est venue notre variété. Saint Dominique a emprunté son costume aux braves cultivateurs de cette partie de l'Espagne où il vivait; saint Benoît, aux paysans de cette partie de l'Italie où il vivait; saint François, aux campagnards d'un autre lieu; et ainsi des autres. [30,234] (L'Aubergiste) Par conséquent, à ce que je vois, vous n'êtes pas plus saints que nous, si vous ne vivez pas plus saintement. [30,235] (Conrad) Au contraire, nous sommes pires que vous si, en ne vivant pas d'une façon pieuse, nous causons un plus grand scandale aux âmes simples. [30,236] (L'Aubergiste) Nousne devons donc pas désespérer de notre salut, nous qui n'avons ni patron, ni habit, ni règle, ni profession? [30,237] (Conrad) Vous avez toot cela, mon bon ami; tâchez de le conserver. Demandez à vos parrain at marraine quel engagement vous avez pris au baptême, quelle robe vous y avez reçue. Vous vous plaignez de ne point avoir une règle humaine, quand vous avez embrassé la règle évangélique! Vous souhaitez le patronage d'un homme quand vous avez pour patron Jésus-Christ! En vous mariant, n'avez-vous contracté aucun engagement? Songez à ce que vous devez à votre femme, à vos enfants, à vos domestiques, et vous verrez que vous êtes chargé d'un plus lourd fardeau que si vous aviez embrassé la règle de saint François. [30,238] (L'Aubergiste) Croyez-vous qu'un aubergiste puisse entrer au ciel? [30,239] (Conrad) Pourquoi pas? [30,240] (L'Aubergiste) Dans une telle maison il se fait et il se dit bien des choses qui ne s'accordent guère avec l'Évangile. [30,241] (Conrad) Quoi? [30,242] (L'Aubergiste) L'un boit plus qu'il ne faut, l'autre tient des propos obscènes; quelques-uns se battent, d'autres médisent, enfin je ne sais pas jusqu'à quel point la chasteté y est observée. [30,243] (Conrad) Il faut empêcher cela autant que vous le pouvez. Si vous ne le pouvez pas, du moins n'entretenez point ces vices par intérêt, et ne les attirez pas. [30,244] (L'Aubergiste) Je ne suis pas toujours de bonne foi dans le vin. [30,245] (Conrad) Comment cela? [30,246] (L'Aubergiste) Quand je m'aperçois qu'il monte à la tête des buveurs, j'y mêle abondamment de l'eau. [30,247] (Conrad) C'est moins grave qui de vendre au public du vin empoisonné par des drogues dangereuses. [30,248] (L'Aubergiste) Dites-moi sérieusement : combien y a-t-il de jours que vous êtes en route? [30,249] (Conrad) Un mois environ. [30,250] (L'Aubergiste) Qui vous soigne? [30,251] (Conrad) N'est-on pas bien soigné lorsqu'on a une femme, des enfants, des parents et des proches? [30,252] (L'Aubergiste) Ordinairement. [30,253] (Conrad) Vous n'avez qu'une femme, nous en avons cent; vous n'avez qu'un père, nous en avons cent; vous n'avez qu'une maison, nous en avons cent; vous n'avez que quelques enfants, nous en avons une foule; vous n'avez qu'un petit nombre de proches, nous en avons une infinité. [30,254] (L'Aubergiste) Comment cela? [30,255] (Conrad) Parce que la parenté de l'esprit s'étend plus loin que celle de la chair. Le Christ nous l'a promis, et nous reconnaissons que sa promesse est vraie. [30,256] (L'Aubergiste) En vérité, vous avez été pour moi un convive fort agréable. Que je meure si je n'aime pas mieux votre conversation que les libations de mon pasteur! Demain vous daignerez dire quelque chose au peuple. Si plus tard il vous arrive de passer par ici, n'oubliez pas que vous avez chez moi un logement tout prêt. [30,257] (Conrad) Et s'il en vient d'autres? [30,258] (L'Aubergiste) Ils seront les bienvenus, pourvu qu'ils vous ressemblent. [30,259] (Conrad) Ils vaudront mieux que moi, je l'espère. [30,260] (L'Aubergiste) Mais, parmi tant de mauvais, comment distinguer les bons? [30,261] (Conrad) Je vais vous le dire en deux mots, mais à l'oreille. [30,262] (L'Aubergiste) Dites. [30,263] (Conrad) ---. [30,264] (L'Aubergiste) Je m'en souviendrai, et je le ferai.