Aux quatre coins. Jamais la compression du temps et de l'espace n'aura, à ce point, « réduit » le globe : à Manhattan, un Coran médiéval a foudroyé le troisième millénaire, et un fanatisme du désert a ébranlé, dans New York super-ville, les deux colonnes du temple occidental de la Technique et du Marché. Et nous voici, devant nos télévisions, zigzaguant, chaque soir, de l'Amérique jusqu'à l'Afghanistan, devenu le « quartier à risques » de notre village planétaire! Connàîtra-t-on, un jour, une communauté, une gouvernance digne de cette nouvelle « société-monde » dont l'Onu (et l'OMC) ne sont encore que régulateurs embryonnaires ? Sans rêver si loin, constatons que le choc, dans sa puissance symbolique, a catalysé des évolutions contenues. C'est ainsi que, face au terrorisme, les quatre grands géants de la «World Company » - Etats-Unis, Chine, Russie et Europe - abordent une nouvelle partie de quatre coins. Aux Etats-Unis, le président Bush, jusqu'à présent en bonne forme, ne fait rien de ce qu'on redoutait qu'il fit. Un réalisme à son crédit. L'événement l'embarque dans une mission planétaire et l'éloigne de toute rêverie isolationniste. En arbitrant en faveur du général noir Colin Powell, plus diplomate que militaire, il avance sans claironner, et avec le souci de ménager l'Islam. Tout juste s'il ne fait pas le ramadan ! Cette circonspection suffira-t-elle à plâtrer le guêpier afghan sous un gouvernement dit d'union nationale ? Pas sûr! Et même, l'extinction des talibans à Kaboul évitera-t-elle, plus tard, la « talibanisation» revancharde d'un Pakistan (nucléarisé) ? Pas sûr non plus ! Dans la longue traque du terrorisme islamiste et de ses diverses mouvances, en Asie comme en Europe, les mauvaises surprises sont probables : il y a trop de réseaux dormants. Les bonnes nouvelles ne peuvent venir, au fil du temps, que de l'assèchement des circuits financiers. Et d'abord, de ces subsides que l'intérêt pétrolier américain aura laissé filtrer depuis l'Arabie saoudite. Rien là-dessus n'apparaît donc plus important que le nouveau front anti-Opep, pour ôter au Moyen-Orient (Arabie saoudite, Irak, Iran) sa dangereuse prééminence pétrolière. Les Etats-Unis, enfin dessillés, réveillent leur Alaska, et l'Alberta canadien. Quant au pétrole russe, il fait déjà baisser les cours du brut. Plus généralement, on peut espérer de Washington une attitude moins arrogante, plus coopérative avec ses alliés, plus attentive, chez les autres peuples, à des ressorts qu'on ne débusque pas dans les seuls bilans économiques. Ainsi de la foi (ou de l'ardeur fanatique) qui soulève des montagnes, mais peut aussi les abattre! Le tsar Poutine, en tout cas, n'a pas raté le coche. Il a vite compris qu'entre le droit-de-l'hommisme pointilleux et la guerre totale au terrorisme l'Occident venait de faire son choix : on ne l'enquiquinera plus avec ses Tchétchènes. Mais il y a plus: en éteignant, chez lui, les vestiges de la guerre froide, en aidant les Américains dans les anciennes Républiques soviétiques d'Asie centrale, Poutine change toute la donne. Il fera payer à Bush un soutien anti-islamiste que la xénophobie russe ne marchandera certes pas. Ainsi empochera-t-il de nouveaux crédits avant de desserrer les liens occidentaux sur l'Ukraine et les pays Baltes. Et - ce n'est pas le moindre! - de passer à la naphtaline une Otan qui, sans la menace russe, taille trop large. Pas si mal ! Hélas, l'Europe communautaire sort de la vicissitude moins faraude. Sous l'onde de choc, l'équipage des Quinze a d'abord produit - c'était le moins! - une solidarité de façade et d'autant plus commode que l'Amérique demandait peu. Mais, aussitôt après, ce fut la débandade des « cavaliers seuls ». Celui de l'Angleterre caracolant aux avant-postes, puis de la France où Chirac se déploie à l'avant-scène quand Jospin renaude en coulisses. Quant à l'Allemagne, elle réactive une ambitieuse diplomatie solitaire comme si elle prenait son parti de l'impuissance européenne... Songez au vaudeville de ce dîner à trois (Angleterre, Allemagne, France) devenu en quelques heures, par récriminations successives, un dîner à 7, 8, 9, on ne sait plus... La leçon est si cruelle qu'elle peut accélérer l'édification d'une vraie défense européenne... à moins que le découragement ne l'enlise. Elle peut aussi inspirer à nos vulnérables pays du Sud (France, Italie, Espagne) le souci urgent d'une vraie politique méditerranéenne avec le Maghreb. La Chine, enfin, tire profit du remue-ménage mondial alors qu'elle entre, avec son 1,3 milliard d'hommes, dans l'Organisation mondiale du commerce. Elle n'a pas plus que la Russie de sympathie pour un Islam qui agite ses provinces de l'Ouest. Mais, surtout, elle se profile en nouveau « gérant » international, tandis que l'Amérique va s'échiner contre les risques de l'univers musulman. En somme, voici, dirait l'autre, pourquoi Allah est grand ... !