La guerre du XXIe siècle L'an 1 du nouveau millénaire commence par un acte de guerre de dimension planétaire. L'Occident est visé à la tête et au coeur, dans une Amérique chef de file de la communauté mondiale des nations libres. C'est New York, la moderne Rome de l'empire libéral, qui se trouve ainsi blessée. Et la poussière de cendres qui recouvre Manhattan envahit tout le ciel d'Occident. Pour qui sonne ce glas ? Pour nous tous, bien sûr, qui appartenons à cette vaste paroisse de la liberté ! Sur ses centaines de millions d'écrans télé le village planétaire ne s'y trompe pas : il voit frappé, dans un fracas de symboles, un ordre mondial où l'Occident tient le haut du pavé. Foudroyées les deux tours jumelles, dites du « commerce mondial », les deux géantes d'une ville debout soudain effondrées ! Foudroyé le Pentagone, où s'organise la gendarmerie d'un certain ordre mondial. Voici donc doublement ébréchée, à la face du monde, la pointe symbolique d'une pyramide de nations. Voici atteinte, jusque chez elle, une Amérique qui avait échappé à Hitler et à Staline! Pearl Harbor, dit-on. Oui, dans la soudaineté de l'assaut, dans l'hébétude du malabar d'Occident ainsi défié ! Mais non : car ce n'est pas - comme jadis le Japon - un pays déterminé qui se jette dans l'attaque, mais un ennemi inconnu venu d'une nébuleuse vague, et dont l'anonymat ajoute à la terreur. Non, enfin, car les victimes ne sont plus des militaires postés aux frontières océanes de l'Empire, mais une foule de civils ensevelis dans la ville phare d'Occident. Premier constat : une nouvelle guerre, une nouvelle variété de la guerre s'inaugure sous ces décombres, celle du terrorisme dont l'Occident n'aura cessé de sous-estimer les périls. Il élargit à la scène mondiale le principe qui est le sien : celui de l'attentat-suicide. Du Palestinien qui s'immole dans une pizzeria d'Israël jusqu'au pilote qui précipite un avion détourné sur une tour de New York, seule la dimension change. Mais la vulnérabilité du gibier est de même nature. La notion de sécurité s'en trouve fondamentalement changée. Aucun système militaire classique - et de même le fameux projet américain d'une défense antimissile - ne peut protéger un territoire contre des attentats perpétrés de l'intérieur, grâce à l'infiltration souterraine, à la perméabilité des frontières, à la liberté de circulation, d'expression et de culte qui fait l'honneur des pays libres. Considérez l'enragement des agresseurs et demandez-vous si, désormais, le risque bactériologique, voire nucléaire, peut être exclu de l'arsenal terroriste... Quel chemin parcouru, en deux siècles, depuis ces temps où la guerre avait ses lois, où les troupes manoeuvraient en carrés avec tambours et trompettes jusqu'aux carnages des civils de la nouvelle guerre sans loi! Second constat : le terrorisme le plus répandu dans le monde, celui du fanatisme islamique, aura été, lui aussi, sous-estimé. Non seulement par les services spéciaux, mais par tous les pouvoirs d'Occident. Un vieil optimisme croit pouvoir affronter une frénésie religieuse et irrationnelle comme un conflit d'intérêts que le compromis peut résoudre. On méconnaît la sourde puissance de la mouvance islamique : 1 milliard d'hommes dans le monde. Certes, elle ne soutient pas, dans sa majorité, ses enragés. Mais de silences complaisants en approbations secrètes, elle ne combat pas non plus l'engagement du djihad, la guerre sainte, «pilier essentiel de la religion ». Comment ne pas voir grouiller, dans l'immense vivier musulman, la dangerosité du fondamentalisme chiite ou sunnite ? Celui des croisés d'un ordre quasi monastique où se pêchent les commandos suicides. Comment négliger cet immense rabâchage de haines, ces délires de mort sanctifiés par le Prophète, ces frénésies d'ayatollahs ou de taliban avec leurs lapidations et mutilations médiévales culminant aujourd'hui dans cette apothéose : les tours du Grand Satan écrabouillant des milliers «d'infidèles » pour la plus grande gloire d'Allah ? C'est une grande faute que d'avoir négligé la capacité d'une paranoïa mystique à trouver dans le monde moderne des pilotes-suicides, à mettre des techniques sophistiquées au bout de sourates enflammées! Dans sa forme spectaculaire, le raid du 11septembre se présente comme le premier acte de guerre d'un conflit de civilisation. Mais dans sa forme seulement. Car l'extrême de ce terrorisme ne rallie ni des Etats ni même la majorité des opinions musulmanes retenues soit par une modération naturelle, soit par la crainte des futures sanctions. Toujours est-il que le devoir de nos nations d'Europe est de se placer, dans cette épreuve, auprès de l'Amérique. Cessons de la critiquer sans cesse, et en ingrats, tantôt parce qu'elle en fait trop et tantôt pas assez! Contemplant les ruines de Manhattan, la toute proche statue de la Liberté reste impassible. Notre place est à ses côtés.