[8,0] LIVRE HUITIÈME. [8,1] CHAPITRE 1er : EXORDE DE LA RÉPUBLIQUE THÉOCRATIQUE DE MOÏSE. Après avoir décrit dans le livre précédent la vie des anciens Hébreux qui justifiaient le surnom de théophiles (hommes aimés de Dieu) qui leur a été donné, et qui, avant que Moïse parût, avaient mérité la couronne de toutes les vertus ; après avoir exposé leurs dogmes et leurs enseignements pieux auxquels nous avons déclaré que nous adhérions par l'affection et par le désir, je passe maintenant, en suivant l'ordre méthodique que je me suis tracé, à l'examen de la république fondée par Moïse, pour le seul peuple des Juifs, qui est le second degré pour nous élever progressivement à la perfection de la piété. Je dis au seul peuple des Juifs, parce qu'en effet les institutions de Moïse n'avaient rien qui convînt aux autres nations du globe, situées loin de la Judée, soit les Grecs, soit les Barbares, qui ne pouvaient, comme nous le prouverons à sa place, en observer les rites. Et, pour parler de la manière de vivre suivant Moïse, je ne me servirai pas de mes propres paroles, et je ne citerai que les auteurs qui se sont rendus célèbres par la connaissance approfondie des lois de leur pays. J'ai cru, en effet, devoir persévérer dans la marche que j'ai suivie jusqu'alors, en prenant les preuves de mes expositions dans les auteurs indigènes. De même que je n'ai invoqué pour les Phéniciens, les Égyptiens et les Grecs, que les témoignages des hommes versés parmi eux dans la connaissance de tout ce qui intéressait leur patrie ; ainsi dans la circonstance présente, je crois devoir mettre en scène les auteurs de la Judée, et ne pas introduire des assertions d'origine étrangère. Cependant, avant d'aborder la question, je crois de première nécessite, de faire connaître aux lecteurs la manière dont les oracles saints des Juifs sont parvenue à la connaissance des Grecs ; comment s'est faite la traduction de ces livres réputés saints, par ceux qui ont cette foi par combien et par quelle espèce d'hommes elle a été faite ; par le zèle de quel roi la version grecque de ces livres a été complétée : cette exposition n'étant pas sans utilité pour le plan de la Préparation évangélique. Puisque la prédication salutaire de l'Évangile de notre Seigneur était sur le point de se répandre dans l'empire romain, pour briller aux yeux de tous les hommes; comme déjà un bruit qui avait de l'importance, mentionnait les prophéties qui le concernent, rappelait le genre dévie des anciens Hébreux et les enseignements de leur doctrine religieuse ; comme tout cela restait caché depuis des temps infinis dans l'idiome national des Juifs, il était temps que leurs livres fussent ouverts à toutes les nations qui étaient conviées, sans réserve, à connaître et à servir Dieu. Ce fut Dieu en effet, auteur de tout bien, qui, préludant par la prescience divine de ce qui devait arriver un jour, disposa tout pour que les prédictions, concernant le Sauveur qui devait bientôt apparaître et qui devait enseigner la véritable religion à tous les peuples qui sont sous le soleil, fussent révélées à tous les hommes, qu'elles fussent soigneusement translatées et déposées dans les bibliothèques publiques. Il inspira donc au roi Ptolémée l'idée de cette entreprise, dans la vue, à ce qu'il paraît, de préparer à l'avance la communication qui devait bientôt en être faite à toutes les nations. Sans le secours de cette traduction providentiellement suggérée par Dieu, et habilement exécutée par des hommes distingués par le jugement et l'instruction dans tout ce qui regardait leurs lois et leurs usages, nous eussions été constamment privés de ces oracles que les Juifs, par l'envie qu'ils nous portent, s'efforçaient de tenir cachés. Voici ce qu'Aristée, homme non seulement savant à d'autres égards, mais qui avait pris part à cet événement,-qui s'est passé sous le second Ptolémée, surnommé Philadelphe, en rapporte. Ce monarque, voulant placer les écrits des Juifs dans la bibliothèque d'Alexandrie, mit beaucoup de zèle à en faire faire la traduction. Il est à propos d'entendre les paroles de l'historien, sur la manière dont cela eut lieu. [8,2] CHAPITRE II : PORTRAIT D'ARISTÉE SUR LA TRADUCTION DES ÉCRITURES DES JUIFS. « Démétrius de Phalère, ayant été préposé à la bibliothèque du roi, l'enrichit d'une quantité d'ouvrages de différents genres. Ayant fait des acquisitions et des transcriptions, il amenait à son terme, autant qu'il lui était possible, le vœu formé par le roi de rassembler tous les livres qui sont dans l'univers. Interrogé en notre présence sur le nombre de livres qu'elle renfermait, il répondit : "Roi, elle contient deux cent mille volumes; je travaille à la porter dans peu de temps à 500 mille. On m'a annoncé que les institutions des Juifs sont dignes d'être transcrites et déposées dans votre bibliothèque. — Qui s'oppose, dit le roi, à ce que vous le fassiez ? On a mis à votre disposition tout ce qu'il faut pour cet usage. « Démétrius répliqua : Une traduction est indispensable ; car les habitants de la Judée se servent de caractères particuliers comme les Égyptiens dans la disposition de leurs lettres, d'autant qu'ils ont une langue à part. On suppose qu'ils se servent de la langue syriaque, ce qui n'est pas, et leur manière d'écrire est tout autre. «Le roi, ayant recueilli ces renseignements, dit qu'il fallait écrire au grand-prêtre des Juifs pour que ce qui venait d'être dit, s'exécutât.» Après autres choses, il ajoute : «Lorsque ces choses se furent ainsi passées, il ordonna à Démétrius de lui faire un mémoire sur la copie à faire des livres des Juifs ; car toute l'administration de ces rois se règle par injonction et avec la plus grande régularité, et rien ne se décide négligemment et comme au hasard. Ce qui m'a fourni le moyen de me procurer des doubles du mémoire et des lettres, de connaître le nombre des écrits envoyés, leur différente rédaction, et en quoi chacune d'elles se faisait remarquer par la grandeur et le fini du travail. Voici la copie du mémoire. » [8,3] CHAPITRE III : LETTRE DE DÉMÉTRIUS DE PHALÈRE AU ROI ÉGYPTIEN PTOLÉMÉE. « Au grand Roi, de la part de Démétrius. « Vous avez ordonné, Prince, que les livres qui manquent aux collections de votre bibliothèque fussent recherchés et rassemblés, et que ceux qui, par cas fortuit, ne seraient pas dans un état de conservation désirable fussent réparés, par l'importance et le soin que vous mettez a compléter cette réunion. « Je viens donc vous exposer qu'elle est encore dépourvue des livres de la loi des Juifs, ainsi que d'un petit nombre d'autres ouvrages, par la raison que ces livres sont écrits en lettres hébraïques et dans la langue hébraïque. Or, autant que j'ai pu m'en assurer auprès de ceux qui possèdent cette langue, les copies qui circulent sont faites sans soin, et non comme il convient à des livres qui ont mérité l'attention du roi. Il est à propos que ces livres soient placés parmi les vôtres, mais soigneusement écrits, par la raison que la législation qu'ils contiennent est empreinte d'une haute philosophie et d'une pureté qui tient à sa source divine. Par quelle cause, dira-t-on, les orateurs, les poètes, la multitude des historiens, n'ont-il s fait aucune mention des livres susdits, ni des hommes politiques qui ont gouverné d'après ces lois? C'est, dit Hécatée d'Abdère, parce que les notions théoriques qu'ils renferment sont trop pures et trop relevées. S'il vous paraît convenable, ô Prince, il faudrait écrire au grand-prêtre qui est à Jérusalem, pour lui demander d'envoyer des hommes d'une vie exemplaire, d'un âge avancé, parfaitement versés dans la connaissance de la loi de leur pays, au nombre de six, pris dans chaque tribu, afin que discutant la concordance des dîfférents textes, en faisant la traduction la plus fidèle, nous la déposions dans un lieu digne du mérite de l'ouvrage et de l'intérêt que vous lui accordez. « Soyez heureux à jamais. » « Ce mémoire ayant été remis, le roi ordonna d'écrire à ce sujet à Eléazar, en lui faisant connaître la liberté qui venait d'être rendue aux prisonniers. Il délivra de plus un lingot d'or du poids de 50 talents et un de 70 d'argent avec une quantité suffisante de pierres fines, pour en fabriquer des cratères, des lécythes, une table et des vases propres aux libations. Il ordonna aux gardes du trésor de donner aux ouvriers dont ils auraient fait choix, pour une valeur de 100 talents de monnaie, d'objets propres aux sacrifices et à d'autres usages. « Je vous en ferai la description, lorsque j'aurai fait donner les copies des lettres. « Celle du roi était en ces termes :» [8,4] CHAPITRE IV : LETTRE DU ROI PTOLÉMÉE A ELÉAZAR, GRAND-¨PRÊTRE DES JUIFS. « Le roi Ptolémée, au grand-prêtre Eléazar. Joie et santé. « Comme il est arrivé qu'un grand nombre de Juifs s'est fixé dans notre pays, depuis qu°ils ont été enlevés de Jérusalem par les Perses lorsqu'ils dominaient dans ces contrées, et aussi depuis que les prisonniers de votre nation ayant été transportés en Égypte par notre père, il forma de la plupart d'entre eux un corps de troupe régulière, en leur assignant une plus forte solde; et, comme il avait éprouvé la fidélité de ceux qui habitaient précédemment l'Égypte, il construisit des forts dont il leur remit la garde, afin de contenir la nation égyptienne par la crainte, nous avons résolu, en montant sur le trône, de faire aussi ressentir à tous nos sujets les effets de notre philanthropie, et principalement à vos concitoyens. En conséquence, nous avons mis en liberté plus de 100.000 esclaves, en ayant payé à leurs maîtres le juste prix de leur rançon, et réparé les désordres qui auraient pu résulter du rassemblement d'une aussi grande multitude. « Nous avons cru, en cela, faire une œuvre pieuse et offrir un hommage de notre reconnaissance au Dieu très grand qui a maintenu notre royaume dans la paix et en a répandu la gloire dans tout l'univers. Nous avons placé dans nos armées les hommes qui sont dans la fleur de l'âge. Quant à ceux que leur rang mettait en position de nous approcher, après nous être assurés de leur fidélité, nous les avons admis dans notre cour. Voulant de plus faire une chose qui vous soit agréable ainsi qu'à tous les Juifs répandus dans l'univers, même à ceux qui sont à naître, nous avons résolu de faire traduire votre loi en lettres grecques, des lettres hébraïques dans lesquelles elle est écrite, afin de la déposer dans notre bibliothèque au milieu de tous les livres royaux. Vous ferez donc bien et répondrez dignement au zèle dont nous sommes animés pour vous, en choisissant des hommes de bonnes mœurs, d'un âge avancé, ayant acquis une grande habitude de votre loi et en état de la translater, au nombre de six par chaque tribu, pour qu'on acquière une concordance d'autant plus parfaite des textes, que le nombre de ceux qui y auront apporté leur soin, sera plus considérable. Je crois tirer beaucoup d'honneur de l'accomplissement de ce dessein. Je vous envoie, à cet effet, André, l'un de mes gardes du corps, et Aristée qui jouissent de mon estime : ils vous entretiendront de mes projets et vous porteront en dons des consécrations destinées à votre temple pour les sacrifices et autres intentions, pour une valeur de 100 talents d'argent. Écrivez-nous donc sur ce que vous désirez; vous nous ferez un grand plaisir et mériterez en cela notre amitié. Soyez sûr que les désirs que vous nous aurez manifestés seront satisfaits le plus promptement possible, « Portez-vous bien. » Eléazar répondit avec la plus grande bienveillance à cette lettre, ainsi qu'il suit. [8,5] CHAPITRE V : LETTRE DU GRAND PRÊTRE ÉLÉAZAR AU ROI PTOLEMEE. « Eléazar, grand-prêtre, au roi Ptolémée, notre ami véritable, salut. «Si vous vous portez bien, ainsi que la reine Arsinoé, votre sœur, et vos enfants, mes vœux sont remplis. Je jouis également d'une bonne santé. Ayant reçu une lettre de vous, nous nous en sommes grandement réjouis à cause de votre bienveillance et votre noble résolution. Ayant donc convoqué l'assemblée du peuple, nous lui avons lu votre lettre, afin qu'il prit connaissance de votre dévotion pour notre Dieu ; nous leur avons montré les lécythes d'or au nombre de vingt, que vous nous avez envoyés ; les cratères d'argent qui se montent à trente-cinq, la table de proposition, c'est-à-dire pour l'usage des sacrifices et les autres vases appropriés au service du temple, du poids de cent talents d'argent, qui ont été apportés par André, un de vos grands officiers, et Aristée, hommes honorables, distingués par leur instruction, et dignes en tout point d'être les délégués de votre justice et de votre bienveillance envers nous ; lesquels nous ont communiqué les instructions qu'ils tenaient de vous, et ont reçu en échange de notre part des réponses conformes à vos désirs. Vous nous trouverez prêts à vous seconder dans tout ce qui pourra vous être utile, fut-ce même en contraignant les lois de la nature. C'est ainsi qu'on donne des preuves de son amitié et de sa satisfaction. Nous avons fait sur-le-champ des sacrifices pour votre conservation, celle de votre soeur, de vos enfants et de vos amis. Et tout le peuple a fait des prières, afin que tout s'accomplît comme vous le désiriez! que votre règne fût maintenu dans la paix et la gloire, par Dieu qui est le maître de toutes choses. En conséquence, pour que la traduction de notre sainte loi se fit avec le plus grand avantage et la plus grande sûreté, nous avons fait choix, en présence du peuple assemblé, d'hommes vertueux d'un âge mûr, au nombre de six dans chaque tribu, que nous vous envoyons avec notre loi. « Vous ferez donc une chose juste, ô Roi, en ordonnant qu'aussitôt après que la traduction des livres aura été terminée, les interprètes nous soient renvoyés en toute sûreté. « Portez vous bien » A la suite de cette lettre, ayant intercalé différentes choses concernant cette même traduction, il ajoute dans les termes que je vais transcrire. « Lorsque ces livres eurent été lus, les prêtres et les plus âgés des interprétes, et parmi les habitants de la ville les chefs du peuple, dirent : Puisque ces livres ont été exactement et pieusement interprétés, il est également juste de faire en sorte qu'ils demeurent tels qu'ils sont, et d'empêcher qu'on y retouche. Tous, approuvant par leurs acclamations ce qui venait de se passer, ordonnèrent que des imprécations fussent prononcées, comme c'est l'usage, contre quiconque entreprendrait d'y porter la main, soit en ajoutant quoi que ce soit à l'ensemble de ces écrits, soit en retranchant de son contenu. « Ayant accompli toutes ces choses convenablement pour qu'elles se conservassent à jamais dans l'avenir, on rendit compte au roi de la manière dont le tout s'était passé. Il s'en réjouit grandement, et crut qu'il avait terminé avec succès le projet qu'il avait conçu. On lui fit la lecture de la totalité, et il admira beaucoup le génie du législateur, et dit à Démétrius : Comment se fait-il que des événements d'une telle gravité aient eu lieu, sans qu'un seul historien et un seul poète en ait fait mention? Celui-ci lui répondit que cela tenait à la sublimité de la législation, donnée par Dieu lui même, et à ce que plusieurs de ceux qui y avaient porté une main téméraire, ayant reçu des châtiments célestes, s'étaient désistés de l'entreprise. Il dit qu'il avait appris de Théopompe, que se proposant de rapporter un passage de la loi qui avait été déjà traduit d'une manière qui offrait peu de sécurité, il fut frappé d'une aliénation mentale qui dura plus de trente jours. Puis ayant adressé des prières à Dieu pour être délivré de cette infirmité, il lui avait été évident par quelle cause ce malheur lui était arrivé, ayant eu un rêve qui lui révéla que c'était parce qu'il avait voulu dévoiler, par une curiosité téméraire, les mystères divins et les répandre parmi les hommes. Dès lors, s'en étant abstenu, il revint à la santé. Et j'ai su de Théodecte, le poète tragique, ce qu'il m'a communiqué lui-même, que s*étant proposé de transporter dans une de ses pièces un emprunt au livre saint, il avait éprouvé un obscurcissement de la vue ; et ayant conçu un soupçon sur ce qui pouvait en être la cause, il adressa des supplications à Dieu, et après quelques jours revint à son état naturel. « Le roi ayant, comme je l'ai dit, reçu ces communications de Démétrius, s'inclina respectueusement, et ordonna qu'on apportât la plus grande attention à ces livres en les conservant purs. » Bornons ici la citation de cet ouvrage. Maintenant examinons la constitution politique fondée sur la législation de Moïse d'après les autorités les plus respectables parmi les hommes. En premier lieu, je placerai ce que Philon dit de la sortie des Juifs de l'Égypte sous la conduite de Moïse. ce qui est tiré du premier livre qui porte pour titre : Des hypothétiques, dans lequel, prenant en main la cause des Juifs, il les défend contre leurs accusateurs. Il parle ainsi : [8,6] CHAPITRE VI : DE PHILON SUR LA SORTIE DES JUIFS DE L'ÉGYPTE. «Leur premier ancêtre sortait de la Chaldée; quant au peuple lui même, il est venu de l'Égypte, où, dans des temps très anciens, il avait émigré, quittant la Syrie ; s'étant multiplié au point de former d'innombrables myriades, la terre ne pouvait suffire à les contenir : de plus, excités vivement par l'élan de leur sentiment, et en même temps par les révélations particulières de Dieu dans les apparitions et dans les songes, ils résolurent de sortir de l'Égypte. (Dieu avait aussi éveillé en eux le regret de leur ancienne terre natale, d'où leur ancêtre était sorti pour venir s'établir en Égypte), soit par un dessein secret de Dieu, ou parce que la Providence qui voulait assurer leur prospérité au dessus de celle de tous les peuples, depuis ce temps jusqu'à ce jour, et pour que cette nation se conservât intacte et séparée des autres, l'a rendue prolifique au-delà de toutes les nations. » Après avoir ajouté peu de paroles, il continue : «L'homme qui présidait à leur sortie de l'Égypte et à leur marche dans le désert, ne différait en rien, si on le veut, des autres hommes ; mais on l'injuriait en le traitant de sorcier et d'imposteur. C'était certes une noble sorcellerie et une généreuse friponnerie que celle qui arrachait tout un peuple à la famine et à la disette d'eau, qui le dirigeait dans des chemins inconnus et les sauvait de toutes les privations qui les affligeaient, non seulement au point de les faire vivre, mais en les plaçant dans l'abondance de toutes choses et les faisant traverser sains et saufs les peuplades disséminées sur leur route. Il fit plus, il sut les maintenir dans l'accord entre eux, et surtout les rendre dociles à son autorité : et cela ne fut pas l'affaire de peu de temps, mais d'un espace assez prolongé, pour qu'on ne doive pas supposer que la bonne harmonie d'une seule famille puisse durer aussi longtemps. « Ni la soif, ni la faim, ni la contagion, ni la crainte de l'avenir, ni l'ignorance de ce qui arriverait ne purent soulever ces peuples abusés et décimés par le trépas, contre ce prétendu prestidigitateur. Que voulez-vous, dirons-nous à notre antagoniste? quel art profond, quelle puissance de paroles, quelle rare intelligence ne reconnaissez-vous pas en cet homme qui a conservé sa domination sur tous ses concitoyens au milieu d'obstacles si grands et si nombreux, qui les arrêtaient au sein des peuples ennemis, acharnés à leur destruction? Il fallait que cela fut dû ou au caractère d'hommes éloignés d'une grossière ignorance et de rudesse de mœurs, mais disposés à la soumission non sans préoccupation de leur avenir, on bien ce durent être des êtres de la plus grande perversité dont Dieu a su adoucir la violence au point de les gouverner pour le moment et pour le futur: quelle que soit, de ces deux opinions, celle que vous adoptiez, il me semble qu'elle ne peut tourner qu'à la louange, qu'à l'honneur et à l'estime de tous ces fugitifs. Voici ce qui concerne leur évasion de l'Égypte. Lorsqu'ils furent arrivés dans le pays qu'ils souhaitaient, leurs saintes annales nous apprennent comment ils s'y établirent et comment ils gouvernèrent cette terre. Cependant, je ne me propose pas de traiter la question historique; je ne veux que soumettre au raisonnement les conséquences présumables de cette entreprise. Prétendez-vous que ce soit par le nombre, quoique diminués par les souffrances multipliées qu'ils avaient endurées, et, les armes à la main, qu'ils ont triomphé de leurs ennemis, en occupant le pays de haute lutte, ayant battu et anéanti en quelque sorte les Syriens unis aux Phéniciens, dans leur propre patrie ? ou bien nous les représentez-vous comme des hommes sans courage, sans habitude des armes et d'un nombre très restreint, dépourvus de toutes les machines de guerre, qui ont eu le talent de fléchir des peuples guerriers qui leur ont cédé volontairement leur territoire ? Pensez-vous qu'aussitôt après, et sans différer, ils ont bâti un temple et fondé toutes leurs institution de piété et de sanctification? «Mais cela prouve, à ce qu'il me semble, que c'était un peuple très religieux, et ce témoignage leur est rendu par leurs plus grands ennemis, car ils avaient pour ennemis ceux dont ils sont venus envahir subitement le territoire. Si donc ils ont su les fléchir et se faire estimer d'eux, comment ne pas reconnaître que leur prospérité l'emporte sur celle de tous les autres? dans quel rang placerai-je ce qui me reste à en dire? Sera-ce d'abord leur parfaite législation et leur soumission aux lois, ou leur sainteté, leur Justice et leur piété? Ils admiraient à un tel point l'homme qui leur avait donné leurs lois, que tout ce qu'il avait trouvé bon, ils le trouvaient de même. Soit donc qu'il eût employé les formes du raisonnement ou qu'il leur eût parlé au nom de Dieu, qui s'était communiqué à lui, tout ce qu'il leur avait annoncé, ils le considéraient comme émané de Dieu ; en sorte qu'après un laps de plusieurs siècles, dont je ne peux dire au juste le nombre, mais qui excédait deux mille ans, pas un seul mot de ce qu'il avait écrit n'avait été déplacé, et qu'ils auraient souffert mille fois la mort plutôt que de faire un acte défendu par les lois et les usages qu'il avait fondés. » Après ce préambule, Philon donne une analyse succincte de la constitution politique des Juifs, fondée sur les lois de Moïse, en ces termes : [8,7] CHAPITRE VII : LE MÊME SUR LA CONSTITUTION THÉOCRATIQUE DONNÉE PAR MOÏSE. «Chez lequel de ces peuples trouver les mêmes coutumes ou des coutumes qui s'en rapprochent, cette douceur, cette docilité, cette prudence dans les formes d'instances judiciaires qui n'admettent point de chicanes, de moyens dilatoires, d'expertises, et de contre-expertises? tout y est simple et clair : si vous êtes pédéraste, adultère, si vous avez fait violence à un enfant, je ne dis pas seulement mâle, mais du sexe féminin, si vous avez souffert des choses indécentes pour votre âge, si vous en avez exprimé la pensée, si vous vous êtes proposé de les commettre, la mort en est le châtiment. Si vous avez montré de la violence envers des individus de condition libre ou envers des esclaves, si vous les avez retenus dans les fers, si vous les avez vendus en les emmenant au loin, si vous avez dérobé, soit comme simple vol, soit comme sacrilège, si vous avez été impie, non seulement en action, mais en paroles échappées non contre Dieu même (que Dieu me préserve d'avoir cette pensée, qu'on n'ose pas même énoncer), mais contre votre père, votre mère, votre bienfaiteur, la mort également, et non pas une mort ordinaire ou quelconque : non, on doit lapider celui qui a seulement parlé, la parole n'étant pas une moindre impiété que l'action. En voici encore d'autres : les femmes doivent être asservies à leurs maris, sans être traitées avec violence, mais en tout par la voie de la persuasion ; les pères doivent commander à leurs enfants, mais dans l'intérêt de leur salut et dans la prévoyance de leur avenir. Chacun est maître de ses biens, pourvu qu'il ne les ait pas sous le nom de Dieu ou qu'il n'en ait pas fait l'abandon à Dieu. S'il arrivait même qu'il ne considérât ce don que comme une promesse verbale, il lui serait également défendu d'y toucher le moins du monde, et sur le champ il serait exclus de la possession de ces objets, bien loin qu'il pût ravir ce qui est aux dieux et les dépouiller des offrandes faites par d'autres que lui. Mais, ainsi que je l'ai dit, une seule parole, échappée à son insu, suffirait pour être considérée comme une offrande; s'il a proféré qu'il donnait, il est privé du tout; s'il veut revenir sur ce qu'il a dit, en corrigeant ses expressions, il sera, de plus, privé de la vie. La même règle s'applique aux autres objets en sa possession. Si un mari consacre le fruit que porte sa femme, elle devient sacrée, il doit s'en abstenir. Également le père pour son fils, le maître pour son serviteur. La manière pour se délier de ces consécrations est de deux sortes : la plus parfaite et la plus grande est celle du prêtre qui refuse le don (car il a été constitué par Dieu avec le pouvoir d'accepter); après celle-là vient celle de ceux qui, par leur rang, ont qualité pour apaiser Dieu par des sacrifices; car l'acceptation n'est jamais forcée. Il y a outre ces choses une foule de règlements pris, parmi les usages non écrits et qui ont force de lois, et dans les lois elles-mêmes. Ce qu'on redoute d'éprouver, ne point le faire subir aux autres; ce qu'on n'a pas apporté, ne pas se permettre de l'enlever, soit du potager, soit du pressoir, soit du moulin ; ne rien prendre, soit peu, soit beaucoup dans un dépôt ; ne point refuser de feu à celui qui en a besoin ; lorsque des mendiants ou des hommes privés de leurs membres vous implorent pour leur nourriture, leur offrir saintement en vue de Dieu; ne point intercepter les cours d'eau; ne point priver les morts de sépulture, mais leur accorder la couverture de terre que réclame la sainteté des âmes; ne point troubler les cercueils ou les monuments des défunts ; ne point ajouter de chaînes ni aggraver les maux de ceux qui sont dans des nécessités pénibles; ne point retrancher aux hommes leur virilité, ni procurer d'avortements aux femmes par des breuvages ou de toute autre manière; ne point traiter les animaux autrement que Dieu ou le législateur ne l'a établi; ne point faire perdre la matière séminale ; ne point frauder l'engendrement ; ne pas imposer une charge trop forte ; ne point se servir de balance, d'aune infidèle, de fausse monnaie; ne point dévoiler méchamment les secrets d'un ami. Mais par Dieu où s'arrêteront toutes ces injonctions ? En voici encore de nouvelles : « Ne point séparer l'un de l'autre les enfants des parents, quand même votre domination sur eux procéderait d'une captivité, suite de guerres. Ne point désunir l'épouse de son époux, quand vous en séries devenu le maître à prix d'argent et d'après la loi. Certes, ce que nous avons jusqu'alors passé en revue nous paraîtra plus vénérable et plus grand que les petites obligations, en quelque sorte, fortuites qui vont suivre. Ne point enlever de leur nid les petits oiseaux, ne point repousser la prière des animaux qui viennent se réfugier près de vous, et d'autres encore plus petites ; vous direz qu'elles vous semblent indignes de votre attention ; mais à leurs yeux toute loi est grande et mérite leurs respects. Aussi c'est dans les formes les plus solennelles qu'elles sont annoncées. C'est sous les imprécations les plus terribles contre soi-même qu'on s'y soumet, et Dieu, qui en surveille l'observance, est le vengeur qui en punit les transgressions partout. » Après d'autres considérations très courtes il ajoute : « Pendant le jour entier et non pendant un seul, mais pendant plusieurs, lesquels ne se suivent pas immédiatement, mais qui sont séparés par des intervalles (car on conçoit que l'habitude contractée pendant les jours d'œuvres serviles doit prévaloir sur celle qui ne revient qu'après sept jours) ne pas trouver un seul transgresseur des commandements qui doivent être observés, cela ne vous semble-t-il pas tenir du prodige ? Ce n'est pas seulement la pratique qui peut leur donner cet empire sur eux-mêmes au moyen duquel ils peuvent également accomplir les travaux auxquels ils se livrent et s'abstenir de tout travail quand il le faut. « Or, ce n'était pas dans le simple but de leur faire contracter par l'exercice cet empire sur eux-mêmes qui fait qu'ils peuvent également se livrer aux travaux qu'ils se proposent d'exécuter et s'abstenir de tout travail, quand il le faut, que le législateur a institué le repos du sabbat. Il a eu une intention plus relevée et plus merveilleuse : celle non seulement de les rendre capables de faire et de ne pas faire indistinctement, mais de plus, de les instruire dans les lois et les usages qu'ils tiennent de leurs pères. Que fit-il donc ? Il trouva utile de les rassembler dans un même lieu chaque septième jour, de les faire asseoir l'un près de l'autre, avec décence et dans un ordre régulier, pour y entendre la lecture de la loi, afin que personne n'en pût prétexter l'ignorance. En effet ils se réunissent toujours et prennent séance l'un prés de l'autre ; le plus grand nombre y gardent le silence, à moins que l'un d'eux ne croie pouvoir ajouter quelques mots d'édification à ce qui est lu. Un prêtre ou un vieillard présent fait la lecture des saintes lois et leur explique, partie par partie, ce qu'ils ont entendu : ce qui se prolonge jusque dans la soirée très avancée; après quoi ils se séparent, remportant la science des saintes lois et pénétrés de sentiments toujours plus vifs de piété envers Dieu. « Est-ce que ces mesures vous semblent le fait d'hommes oisifs? ne vous paraissent-elles pas plutôt liées étroitement à une vie active? Ce n'est pas en allant consulter les oracles qu'ils apprennent ce qu'ils doivent faire ; ils ne se laissent pas non plus entraîner à des actions coupables par l'ignorance des lois; mais sur quelque objet que vous interrogiez l'un d'entre eux, concernant leurs lois, il est en état de vous répondre. Le mari est capable de les faire comprendre suffisamment à sa femme, le père à ses enfants, le maître à ses serviteurs. Il est aussi facile de rendre compte de ce qui a rapport à la septième année qui diffère du septième jour, en ce qu'ils ne s'abstiennent pas de toute espèce de travail pendant cette année comme ils le font chaque septième jour ; mais ils laissent la terre inculte pour la cultiver plus tard, dans l'espoir d'une plus grande fertilité : il est, en effet, d'une haute importance de lui accorder ce repos pour la labourer sur guéret, l'année suivante, afin que, par la continuité de la culture, elle ne perde pas toute son énergie productive. On voit que la même chose a lieu dans les corps pour assurer leur force, et ce ne sont pas seulement des faibles suspensions de fatigue qui assurent leur santé, mais les médecins prescrivent certaines cessations complètes de travail : la durée continue et l'uniformité surtout dans le travail étant préjudiciables. J'en vais donner la preuve. « Si quelqu'un leur proposait de cultiver cette terre pendant cette septième année avec plus de soin que les années précédentes, à la condition d'en partager les fruits avec eux, ils n'accepteraient pas ce marché ; car ce ne sont pas eux seuls qui doivent, dans leur opinion, s'abstenir de travail, quoiqu'il ne puisse y avoir rien de surprenant dans une semblable conduite; mais c'est la terre elle-même â laquelle ils veulent accorder du relâche et de l'inertie, pour recommencer ensuite avec un redoublement de zèle à la cultiver. Sans cela, qui eût empêché, pour ce qui concerne la divinité, qu'on eut concédé cette terre pendant la susdite année, et qu'on eût recueilli, de la part de ceux qui l'auraient cultivée, la contribution de leur jouissance d'une année? mais comme je l'ai dit, à aucun prix, ils ne consentiraient à céder cette terre, par le motif de prévoyance que j'ai exposé. « Quant à leur humanité, je vais en donner une preuve frappante, s'il en fût, c'est à savoir que lorsqu'ils se sont abstenus pendant cette année du travail des terres, ils ne croient pas devoir en récolter les fruits survenus spontanément, ni les mettre en réserve, comme n'étant pas le produit de leurs labeurs; mais comme ces fruits sont un don de Dieu, la terre les ayant fait éclore de son sein, ils veulent que ceux des voyageurs qui en ont la volonté ou le besoin, ou tous autres, puissent s'en saisir en toute libellé. Mais c'est assez en dire sur ce sujet : pour ce qui est de la consécration des septièmes jours dans leur lot, je crois qu'après avoir entendu souvent un grand nombre de médecins, de physiciens et de philosophes dissertant sur la vertu du nombre sept en général et principalement en ce qui a rapport à la nature humaine, il ne vous reste plus aucune question à m'adresser à cet égard. » « Ici se termine l'examen de l'observance du sabbat. » PhiIon ayant ainsi parlé, Josèphe nous présente dans le deuxième recueil qu'il a composé sur les antiquités judaïques, des observations entièrement semblables, en s'énonçant en ces termes : [8,8] CHAPITRE VIII : DE JOSÈPHE, SUR LA CIVILISATION INTRODUITE PAR MOÏSE. « On peut juger en comparant les lois de Moïse avec celles des autres législateurs, quel est celui qui a le mieux réussi dans leur rédaction et qui a donné une notion plus juste de Dieu. C'est ce dont il convient que nous parlions maintenant. «En ne considérant ces choses que d'une manière vague, on pourrait dire que les différences dans le détail des usages et des lois de tous les peuples sont infinies : les uns, ayant confié le pouvoir de gouverner à des monarques; les autres, à quelques familles puissantes, d'autres à la multitude ; mais notre législateur ne s'est nullement conformé à ceux-ci, et l'on pourrait dire en forçant le langage que son gouvernement est une théocratie; ayant placé en Dieu le commandement et la force, et ayant persuadé à son peuple de ne voir qu'en lui la cause de tous les biens qui arrivent en commun à tous les hommes et à chacun en particulier et de tous ceux que, dans des circonstances désespérées, on obtient par des prières. « Échapper à la pénétration divine, est une chose impossible, tant pour les actes extérieurs que pour les pensées que nous concevons en nous-mêmes. Moïse a défini Dieu comme n'ayant pas eu de commencement, étant immuable de toute éternité, supérieur en beauté à toutes les substances mortelles, n'étant accessible à notre connaissance que par sa puissance; quant à son essence, elle nous est complètement inconnue. Je ne me propose pas de montrer ici que si les plus sages d'entre les Grecs ont émis les mêmes opinions sur Dieu, c'est de lui qu'ils l'ont appris, puisqu'il a sur eux la priorité. Mais je me bornerai à dire qu'ils ont témoigné hautement que ses pensées sont nobles et parfaitement en harmonie avec la nature et la majesté divine. Pythagore, Anaxagore, Platon et les philosophes du Portique après lui, tous à un petit nombre près, paraissent avoir eu des sentiments semblables sur la nature de Dieu; mais se contentant de les professer au milieu d'un cercle borné de disciples, ils n'ont pas osé démontrer la vérité de ces dogmes, parmi les multitudes infatuées de leurs propres opinions. Tandis que notre législateur, en raison de ce que les faits étaient d'accord avec ses lois, a non seulement convaincu ses contemporains de ces vérités, mais a inspiré une foi inébranlable en Dieu à toutes les générations qui devaient en naître. La cause pour laquelle la marche de sa législation l'emporte de beaucoup sur toutes les autres par son utilité, c'est que la piété ne fait pas pour lui partie de la vertu; mais que toutes les autres vertus ne sont que des parties de la piété, par la manière dont il les a enchaînées et distribuées entre elles, savoir : la justice, la tempérance, la persévérance, l'accord entre eux de tous les citoyens; et en toute chose, toutes les actions, toutes les habitudes et tous les discours se rapportant aux pratiques de piété envers Dieu, il n'en a laissé aucune sans examen et indéfinie. Il existe deux modes d'éducation quelconque et de règlement des mœurs. L'une se fait par l'instruction orale, l'autre par l'exercice et l'usage. Les autres législateurs ont été partagés d'opinion, et adoptant de préférence l'une de ces méthodes, ont dédaigné l'autre. Ainsi les Lacédémoniens et les Crétois ont fait consister toute l'éducation en pratiques et non en discours. Les Athéniens et presque tous les autres Grecs se bornant à prescrire par les lois ce qu'on doit faire et ce qu'on doit éviter, se sont peu souciés d'y joindre l'habitude des actes. Notre législateur a su combiner avec soin ces deux moyens, il s'est donc gardé de laisser muette la pratique des rites prescrits : il n'a pas permis qu'on séparât l'action des paroles de la loi ; mais dès la première éducation et dans l'intérieur même des familles, il n'a eu garde d'abandonner à la volonté de ceux qui y commandent, le choix des plus simples règlements. A l'égard des aliments, il indique ceux dont on doit s'abstenir et ceux dont il est permis de faire usage, aussi bien que ceux qui peuvent être admis dans les repas en commun. Quant à la prolongation des travaux et leur cessation, il y a mis une limite : c'est la règle contenue dans la loi, afin que, vivant tous sous le même père et le même maître, nous ne l'offensions ni de dessein prémédité ni par ignorance ; ne nous ayant pas laissé l'excuse de l'ignorance, mais nous ayant donné l'instruction la plus belle et la plus complète dans l'audition de la loi, non pas une fois, ni deux, ni plus souvent, mais chaque semaine, le jour où il nous a interdit tout autre travail et nous a obligés de nous réunir, pour en entendre la lecture et en acquérir une connaissance approfondie. Voilà ce que tous les autres législateurs paraissent avoir négligé. « La plus grande partie des hommes ne manquent autant à vivre en conformité avec les lois qui les régissent, que parce que généralement ils les ignorent, et ce n'est que lorsqu'ils ont commis les fautes, qu'ils apprennent des autres qu'ils ont transgressé la loi. On voit même ceux qui occupent les plus grandes et les plus importantes places de l'état avouer leur ignorance; aussi cherchent-ils des chefs de tribunaux qui se recommandent par une longue expérience des lois pour les aider â administrer la chose publique. « Au lieu de cela, interrogez celui d'entre nous que vous voudrez, il lui sera plus facile de vous faire connaître les lois que de dire son propre nom. En effet, à peine avons-nous le premier sentiment de l'existence, que nous les apprenons et que nous les gravons, pour ainsi dire, dans notre âme; ce qui fait que les violateurs de la loi sont si rares parmi nous et que les supplications pour se soustraire au châtiment sont impuissantes. C'est à cela plus qu'à toute chose au monde que nous sommes redevables de notre merveilleuse union. Avoir une seule et même croyance en Dieu, n'avoir aucun dissentiment dans la manière de vivre et dans les habitudes; c'est le moyen infaillible de maintenir dans les caractères le plus parfait accord. Nous sommes les seuls chez lesquels on n'entende point de discours contradictoires sur la divinité, comme on en entend beaucoup parmi les autres nations ; et ce ne sont pas les gens du commun seulement qui hasardent de proférer des discours irréfléchis à ce sujet, mais on a vu des philosophes même porter l'audace à ce point, que quelques-uns ont essayé, par leurs discours, d'anéantir toute nature divine; les autres ont nié la Providence envers les hommes. On ne voit pas non plus chez nous de différence dans les manières de vivre; mais tous les travaux étant communs, notre langage est le même; c'est celui qui est d'accord avec notre loi, laquelle proclame que Dieu surveille toutes choses : dans l'économie de notre vie, elle nous montre la piété comme le but unique vers lequel doivent tendre toutes nos actions. Voilà ce que des femmes, des esclaves même pourraient vous apprendre. « D'où vient donc cette accusation insensée contre nous, que nous n'avons rien découvert de nouveau, soit en actions, soit en paroles? En voici la cause : les autres hommes ne conservent aucun attachement aux institutions de leurs pères, n'y mettent aucun prix, et considèrent comme la preuve d'une grande sagesse d'oser s'en affranchir. Chez nous, c'est tout le contraire ; nous ne reconnaissons qu'une prudence et qu'une vertu, qui est de ne faire aucun acte, de ne former aucune pensée qui s'éloigne le moins du monde des lois que nous avons reçues dans l'origine : ce qui peut sembler une preuve que les lois qui nous ont été données sont les meilleures possibles: au lieu que les tentatives de corrections prouvent qu'il n'en est pas ainsi, et que les lois ont besoin qu'on y retouche. Dans la persuasion où nous sommes que les nôtres nous ont été données originairement par la volonté de Dieu, ce serait une impiété de ne pas continuer à les observer. Qui y porterait atteinte, soit parce qu'il aurait trouvé mieux, ou parce qu'il y apporterait d'ailleurs des améliorations réelles? Serait-ce quant à l'ensemble de la constitution politique ? Mais quel gouvernement plus beau et plus juste que celui qui reconnaît Dieu pour son chef suprême, qui confie aux prêtres en commun l'administration des plus grands intérêts, et qui attribue au grand-prêtre l'autorité du commandement sur les autres? Ce n'est pas à ceux qui remportaient par la richesse on par les autres avantages que, dans l'origine, le législateur a confié cet honneur, mais à ceux qui l'emportaient sur les autres par l'éloquence et par une conduite modérée. Voila quels sont ceux auxquels il a remis les soins du culte divin. C'était, en effet, le plus sûr moyen de préserver de toute atteinte la loi et les institutions; les prêtres étant à la fois chargés d'initier aux choses saintes, de juger les contestations, d'exécuter les châtiments prononcés. Quelle autorité plus sainte? Quel honneur plus digne de Dieu ? La population entière étant consacrée à la piété, les prêtres étant institués comme ses surveillants par excellence, on peut considérer comme un mystère pieux toute cette hiérarchie de pouvoirs. Mais tandis que les autres peuples peuvent à peine observer pendant quelques jours les rites de ce qu'ils nomment mystères et initiations, nous les pratiquons sans interruption avec une joie ineffable et une invariable détermination. « Quels sont les commandements, quelles sont les défenses les plus simples et les plus faciles à retenir? Le premier concerne Dieu, c'est celui qui dit que Dieu occupe tout, qu'il est parfait, qu'il est heureux, qu'il se suffit à lui-même et suffit à tout ce qui existe, qu'il est le commencement, le milieu et la fin de toute chose, qu'il se manifeste par ses œuvres et par ses bienfaits, que son évidence est plus certaine que celle de tout ce qui est au monde; mais que sa forme et sa grandeur échappent à nos sens. Toute matière, en comparaison de son image, quelque riche qu'elle soit, étant sans prix,, tout art qui cherche à imiter ses œuvres étant sans génie, nous ne voyons et ne concevons rien qui lui soit semblable. C'est donc un sacrilège que de vouloir lui donner une figure. Nous voyons ses œuvres, la lumière, le ciel, la terre, le soleil, la lune, les fleuves et la mer, la génération des animaux, la reproduction des fruits. Voilà ce que Dieu a fait, non par ses mains ni par ses travaux, mais sans réclamer le concours de personne, par sa volonté qui s'étant proposée de produire de belles choses, aussitôt les choses ont été produites, éclatantes de beauté. Nous devons le servir en pratiquant la vertu, car, de tous les cultes qu'on peut lui rendre, c'est celui qui est le plus saint ; il n'y a qu'un seul temple pour un seul Dieu, car on affectionne toujours ce qui nous ressemble. Ce temple est commun pour tous, comme Dieu est commun pour tous; les prêtres lui rendent un culte perpétuel, et celui qui les commande est le premier suivant l'ordre de primogéniture. C'est lui qui, avec ses collègues, immolera à Dieu, en observant les lois, jugera les différends, châtiera les hommes convaincus de crimes; et celui qui refusera de lui obéir subira la peine réservée aux coupables d'impiété envers Dieu. «Nous immolerons des victimes, mais non pour nous en repaître et nous enivrer, ce qui est contraire à la volonté de Dieu. Les sacrifices ainsi ne seraient qu'une occasion de débauche et de profusion, tandis qu'ils doivent être entourés de sobriété, de décence et de gravité: la modestie étant surtout requise dans le moment du sacrifice. Nous prions en premier lieu pour le salut du peuple entier, ensuite pour nous-mêmes; nous sommes nés pour la société, et l'homme qui la préfère à son propre avantage sera surtout agréable à Dieu. Notre invocation et notre demande à Dieu par la prière doit être non pour qu'il nous donne des biens, il nous les a donnés de plein gré et les a placés au milieu de nous ; mais pour que nous soyons en état de les recevoir, et que nous les conservions après les avoir reçus. La loi a déterminé les purifications en vue des sacrifices, savoir, après les funérailles, après les couches, la cohabitation et beaucoup d'autres actes qu'il serait trop long d'énumérer. Tels sont les enseignements, concernant Dieu et son culte, qui font partie de notre loi. « Quels sont ceux sur le mariage? « La loi ne connaît qu'une union, celle naturelle de l'homme et de la femme, et ce dans la vue de procréer des enfants ; elle a en horreur le commerce des hommes entre eux, et la mort est le châtiment de quiconque tenterait une action pareille. Elle ordonne de se marier sans s'attacher à la dot, sans user de violence, sans séduire par duplicité et par ruse. Mais on doit s'offrir comme prétendant, à celui qui a le droit de donner la fille, en raison de sa parenté. La femme est inférieure à l'homme en toutes choses, dit l'Écriture, elle doit donc lui être soumise, non pour être traitée durement, mais pour être commandée. Dieu a donné la force à l'homme; il dort n'avoir de commerce qu'avec la femme qu'il a épousée ; il est impie d'attenter à celle d'un autre : si quelqu'un le faisait, rien ne pourrait le sauver de la mort ; ni s'il voulait faire violence à une fille fiancée à un autre homme, ni s'il la séduisait étant mariée. La loi prescrit d'élever tous les enfants ; elle interdit à la femme de faire avorter ou de détruire le germe conçu dans son sein ; si elle paraissait l'avoir fait, elle serait infanticide, ayant détruit une âme et porté atteinte à la race humaine. L'homme qui, dans l'union criminelle, transgresserait le vœu de la nature, ne serait pas pur, puisque, même dans le rapprochement légitime du mari et de la femme, la loi ordonne des purifications ; il aurait forcé une âme à se séparer pour aller en d'autres lieux, car c'est l'âme qui est unie au corps qui devient victime dans ce cas. La loi a donc prononcé la mort pour l'un et pour l'autre, parce qu'elle a imposé la plus grande pureté dans tous les actes de cette nature. « La loi n'a pas même permis l'usage des festins à la naissance des enfants, pour que ce ne fût pas une occasion d'ivresse. Mais elle a voulu que le premier pas dans l'éducation fut marqué par la tempérance. Elle a ordonné qu'on leur fit étudier les lettres dans lesquelles les lois sont écrites, et qu'ils acquissent la connaissance des histoires de nos ancêtres, pour imiter les uns, et pour qu'ayant connu dans leur enseignement le mal des autres, ils ne commissent pas de transgressions, en n'ayant pas le prétexte de l'ignorance. Elle a prévu les soins pieux dus aux morts, en écartant la profusion des pompes funèbres et l'érection des monuments fastueux; mais elle a réglé ce que les plus proches parents doivent faire dans les funérailles : elle a voulu que tous ceux qui passent près d'un mort qu'on ensevelit, s'en approchassent et prissent part au deuil. Après les obsèques, elle a ordonné qu'on purifiât la maison et tous ceux qui l'habitent, afin que celui qui aurait commis un meurtre fût bien loin de se considérer comme pur. Elle a placé immédiatement après les hommages rendus à Dieu, ceux qu'on doit aux parents; et elle livre pour être lapidé celui qui non seulement s'est montré ingrat envers eux, mais a omis un de ces devoirs. Elle dit que les jeunes gens doivent tous respect aux vieillards, parce que Dieu est l'ancien par excellence. Elle ne permet pas de rien cacher à ses amis; car l'amitié qui ne confie pas tout n'est pas une véritable amitié. Si une inimitié survient, elle défend de révéler les confidences qu'on a reçues. Si un juge reçoit des présents, la mort est son châtiment. Celui qui, pouvant secourir un suppliant, le dédaigne, est coupable. On n'enlèvera pas ce qu'on n'a pas déposé; on ne touchera pas au bien d'autrui ; le prêteur ne demandera pas d'intérêts. Il y a encore beaucoup d'autres lois semblables, qui tendent à resserrer les liens de la société entre nous. Il est également à propos de dire comment le législateur a réglé la conduite envers les étrangers. On verra qu'il a prévu mieux qu'aucun autre comment, sans nuire à notre nationalité, nous n'envierons pas aux étrangers les communications qu'ils désirent. Tous ceux qui veulent vivre sous nos lois en les acceptant, nous devons les recevoir avec cordialité, croyant que la nationalité, n'est pas due seulement à ceux du pays, mais à ceux qui en désirent les mœurs. Quant à ceux qui se rapprochent de nous de mauvaise grâce, elle n'a pas voulu que nous contractassions de relations avec eux, si ce n'est pour les choses dont la participation est indispensable : le feu, l'eau, les aliments, l'indication du chemin, la sépulture à donner à un mort : nous devons cela à tous ceux qui en ont besoin. Nous devons garder les bienséances même envers des ennemis, lorsque nous sommes appelés en justice; nous ne pouvons ni incendier leurs récoltes, ni couper leurs arbres à fruits; la loi nous a défendu de les dépouiller lorsqu'ils tombent à la guerre. Elle a pris soin des prisonniers pour les défendre d'insultes, surtout les femmes. C'est ainsi qu'elle nous a enseigné la mansuétude et la philanthropie; elle n'a pas même négligé la soin des animaux irraisonnables, elle n'en a permis qu'un usage légitime, et interdit tout ce qui dépasse ces bornes. Elle a prohibé le droit de tuer ceux des animaux qui viennent comme suppliants chercher un refuge dans les maisons, ou de priver les oiseaux de leurs petits. On doit respecter les bêtes de travail, même en pays ennemi, et ne jamais les tuer. C'est ainsi qu'elle a pourvu en tout point à ce que demandait la mansuétude et l'humanité, dans l'usage des lois qui s'appellent didascaliques, ou de conduite. Quant aux lois pénales, dirigées contre les prévaricateurs, elle prononce le plus souvent et sans détour la peine capitale: si on est adultère, si on a violé une fille, si l'on a osé attenter à la pudeur d'un homme, ou si celui-ci s'est prêté à ce qu'on désirait de lui. Il y a aussi des lois inexorables à l'égard des esclaves, sur les mesures si l'on cherche à frauder, sur les poids, sur les ventes frauduleuses ou injustes; si l'on a pris le bien d'autrui, si l'on emporte ce qu'on n'avait pas déposé ; pour tout cela il y a des punitions non telles qu'en d'autres pays, mais plus fortes. Pour ce qui est des injustices envers les parents, des impiétés envers Dieu, pour peu qu'on en ait la velléité, la mort est prononcée sur le champ. «La récompense de ceux qui ont une conduite en tout point d'accord avec la loi, ne consiste pas en argent ni en or ; ce n'est pas non plus en couronne d'olivier sauvage, ou de persil ou toute autre. Ce n'est pas par telle proclamation, mais par le témoignage que chacun se rend à soi-même, et par la foi aux prophéties du législateur, que Dieu a confirmées de la manière la plus solennelle : foi par laquelle ceux qui ont garde fidèlement les lois, dussent-ils même mourir pour elles, en acceptant cette mort avec résignation, reçoivent en échange une vie beaucoup meilleure que celle-ci, lorsque Dieu les rappellera à l'existence. J'aurais hésité d'écrire maintenant ces choses, s'il n'était évident par les faits à tous les esprits, qu'un grand nombre des nôtres avait déjà plusieurs fois préféré de supporter courageusement les plus cruels traitements, plutôt que de proférer une parole contre la loi. « Tandis que si, par l'effet des circonstances, notre peuple n'eût pas été connu universellement comme il l'est, et que notre attachement volontaire à notre loi ne fût pas parvenu au degré de publicité qu'il a, un homme qui aurait dit, de lui-même aux Grecs, des choses qu'il aurait vues tout seul, savoir, qu'en dehors des limites connues de la terre, il s'était certainement trouvé parmi des hommes qui avaient de Dieu une opinion aussi sublime, et qui restaient fidèles depuis un temps immémorial à leurs lois, tels enfin que nous sommes ; ils refuseraient tous d'y croire, à cause des changements si fréquents qui ont lieu chez eux ; par la même raison qui les fait accuser ceux qui, en politique et en législation, essayent d'écrire dans le même système, de s'être plus à composer des fables, disant que tout ce qu'on leur raconte lâ sont des suppositions impossibles. Pour laisser de côté les autres philosophes qui ont rédigé quelque chose d'analogue dans leurs ouvrages, prenons Platon pour exemple. Il est admiré par tous les Grecs comme supérieur à tous ceux qui ont pris le nom de philosophes, tant par la gravité de ses mœurs que par la puissance de sa parole et l'entraînement de son éloquence. Eh bien, il ne cesse d'être en quelque sorte bafoué et tourné en dérision par ceux qui se prétendent habiles en politique, et cependant en étudiant avec soin ses écrits, on y découvrira beaucoup de points de rapprochement avec nos institutions.. Ce même Platon a avoué qu'il n'était pas sûr de confier à la déraison de la populace la véritable notion de Dieu. On voit néanmoins des gens qui regardent les dialogues de Platon comme des discours futiles, écrits avec une grande liberté de pensée. Parmi les législateurs, on admire surtout Lycurgue, et on célèbre à l'envi la gloire de Sparte, parce que ses habitants ont persévéré le plus possible dans les lois qu'il leur avait données. Qu'on convienne donc que l'obéissance aux lois est une preuve de vertu. Toutefois, les admirateurs de Lacédémone devraient comparer la durée de leur république avec les deux mille et plus d'années de la nôtre. Qu'ils pensent aussi que tant que les Lacédémoniens ont conserve la liberté, ils ont été attentifs à garder leurs lois ; tandis que depuis que les revers de fortune leur sont arrivés, ils ont, peu s'en faut, complètement oublié ces mêmes lois. Au lieu que nous, dont la fortune a éprouvé des vicissitudes infinies par les changements successifs des monarchies de l'Asie, nous n'ayons jamais déserté nos lois, même dans les plus grandes calamités.» C'est ainsi que Josèphe s'exprime sur les institutions politiques des Juifs par Moïse. J'aurais encore beaucoup à dire sur les doctrines allégoriques et figurées, dissimulées dans les lois; mais je crois suffisant de citer les explications d'Eléazar et d'Aristobule, tous deux Hébreux d'ancienne origine, et ayant vécu du temps de Ptolémée. Eléazar, revêtu de la dignité de grand-prêtre, ainsi que nous l'avons fait connaître précédemment, a esquissé le mode d'allégorie contenue dans les saintes lois, en s'adressant aux envoyés du roi, venus vers lui pour la traduction en langue grecque des livres hébreux. [8,9] CHAPITRE IX : HYPOTYPOSE DU GRAND-PRÊTRE ÉLÉAZARR, DU SENS CACHÉ DANS LES SAINTES LOIS TIRÉ DU LIVRE D'ARISTÉE. « Il est convenable de rappeler en peu de mots les explications qu'il donnait en réponse aux questions que nous lui adressâmes. «Aux yeux d'un grand nombre de personnes, il y a dans votre législation des détails minutieux. Je veux parler de ce qui a rapport aux aliments, aux boissons, aux animaux réputés immondes. Nous lui fîmes cette demande : comment la création étant la même pour tous, peut-on dire qu'il y a des viandes impures, et que d'autres impuretés se contractent par le toucher. La plus grande partie de ces lois ayant un caractère de superstition, on conviendra que celles-ci l'emportent sur les autres à cet égard. En réponse à cette objection, le grand-prêtre débuta en ces termes : il faut, dit-il, bien faire attention à l'importance dont est pour nous le choix de nos relations et de nos sociétés, au moyen de quoi ceux qui fréquentent les hommes pervers, prennent des habitudes coupables et deviennent malheureux pendant toute leur vie. Si au contraire, ils vivent au milieu d'hommes sages et de bonnes mœurs, en se purifiant, ils adoptent une vie de correction et de redressement. Ayant donc fait la distinction des actes de piété de ceux de justice, notre législateur nous a enseigné tout ce qui est relatif à l'une et à l'autre, non seulement par les prohibitions, mais par les faits, nous montrant les malheurs et les châtiments envoyés directement par Dieu aux hommes coupables ; car avant tout il nous a fait voir qu'il n'y a qu'un Dieu, que sa puissance se manifeste en toutes choses à chaque portion de l'univers recevant l'influence de sa domination, et rien de ce qui est le plus caché parmi les hommes n'échappant à sa pénétration, découvrant clairement dans les précédents de la conduite de chacun les conséquences qui doivent en résulter. Ayant exactement classé toutes ces vérités et les ayant mises dans tout leur jour, il a développé dans tout le cours de sa législation la puissance de Dieu, qui est telle que, si quelqu'un méditait une action criminelle, il n'échapperait pas à sa pénétration, à plus forte raison s'il l'exécutait. Ayant donc commencé par cet exorde, et montré que tous les hommes, excepté nous, admettent la pluralité des dieux, qu'ils adorent d'une manière idolâtre; les hommes élevés en dignité et armés de pouvoir, leur ayant érigé des statues de pierre ou de bois qui en rappellent les traits, ils disent que ce sont les images des inventeurs de découvertes utiles à l'humanité, et ils les adorent malgré l'extravagance flagrante de cette conduite. Si en effet, c'est à cause de leurs découvertes qu'on leur a élevé ces statues, rien n'est plus insensé. Ce n'est qu'en prenant dans l'ensemble des choses créées, qu'ils ont pu, au moyen des dispositions qu'ils ont su leur donner, en amener quelques-unes à être d'une plus grande utilité ; mais ils n'ont rien produit d'eux-mêmes. C'est donc une folie et une absence de raison que l'apothéose de pareils hommes. Aujourd'hui même on trouve des hommes et plus ingénieux et plus savants que ceux des temps anciens et en grand nombre, sans qu'on s'empresse de fléchir le genou devant eux. Or, ceux qui ont établi ce culte et donné naissance à cette mythologie, passent pour être les plus sages des Grecs. Que dire des autres idolâtries en grand nombre, celle des Égyptiens et autres semblables, qui mettent toute leur confiance dans les animaux et les reptiles, qui les adorent, leur immolent des victimes, de leur vivant et après leur mort? Notre législateur ayant donc sagement considéré cet état de choses, et ayant été instruit par Dieu lui-même dans la science universelle, nous a circonscrits par des barrières infranchissables et des murs de fer, pour ne nous mêler avec aucune de ces nations; restant purs quant à l'âme et quant au corps, exempts de toutes les opinions d'idolâtrie, n'adorant qu'un seul Dieu dont la puissance l'emporte sur celle de toutes les créatures, en sorte que les chefs des Égyptiens appliqués â la contemplation des choses saintes, et ayant eu de nombreux rapports d'affaires avec nous, nous ont surnommés les hommes de Dieu. Ce qui, à moins qu'ils n'adorent le Dieu de vérité, n'est pas accordé aux autres hommes qui ne sont occupés que de bonne chère, de boisson et des commodités de la vie: or, toutes leurs facultés intellectuelles se dissipent en de pareils soins. Chez nous, au contraire, ces mêmes choses sont comptées pour rien, et la pensée du règne de Dieu est la méditation de notre vie entière. Afin donc de ne nous mêler avec aucun de ces peuples, de ne point contracter d'habitudes avec des hommes vicieux, empruntant d'eux leurs égarements, il nous a entourés de tous cotés d'actes purificatoires contenus dans ses lois, pour les aliments, les boissons, le toucher, l'audition et la vue. Dans l'ensemble et sous le rapport physique, il a placé dans un ordre d'égalité toutes les créatures, sous l'influence d'une même puissance directrice, d'admission ou de rejet, et cependant une raison profonde règle, une à une, chaque espèce de nourriture dont nous nous abstenons, ou dont nous faisons usage. En parcourant un on deux exemples je vais vous en donner la preuve. « N'allez pas entrer dans cette abjecte opinion que c'est par un intérêt minutieux pour les souris et les belettes que Moïse a réglé ce qui les concerne dans ses lois; tout cela n'a été établi que dans une intention de pureté et de règlement de mœurs, pour la justice et la sanctification. Tous ceux des oiseaux dont il nous a laissé l'usage se distinguent par leur douceur et par leur propreté : ce sont les pigeons, les tourterelles, les gelinottes, les perdrix, les oies et autres semblables. Quant â ceux qui nous sont interdits, vous n'y trouverez que des oiseaux sauvages, carnassiers, abusant de la supériorité de leurs forces relativement à ceux dont nous avons célébré la douceur, pour se nourrir à leurs dépens et contre toute justice. Ce n'est pas tout : ils enlèvent même les agneaux et les chevreaux et déclarent la guerre aux hommes vivants et morts. En les déclarant impurs, il a voulu donner à ceux auxquels il destinait ses lois, un signe de reconnaissance relativement à leur âme, pour qu'ils fussent agréables dans les rapports sociaux, ne se fondant pas sur leur force pour opprimer les faibles ou pour les dépouiller, mais se réglant d'après les exemples de la plus grande justice comme les oiseaux paisibles que nous avons montrés, qui ne se nourrissent que des légumes que la terre fait éclore, qui jamais n'abusent de leur force pour tuer ceux qui leur sont inférieurs ou semblables. Par ce moyen, le législateur a signalé aux hommes doués d'intelligence le devoir d'être justes, de ne rien exécuter par violence, de ne pas se fier à la supériorité de leurs forces pour en opprimer les autres. Lorsqu'en effet il ne permet pas même de toucher à ces animaux à cause de leur caractère particulier, comment ne doit on pas, à plus forte raison, se mettre en garde contre des habitudes pareilles aux leurs, pour ne pas s'y adonner? « Il explique par des métaphores semblables à celle que nous venons de citer pour les oiseaux, l'autorisation de se nourrir de certains quadrupèdes. La fissure de la corne des pieds est un signe que nous devons dans toutes nos actions séparer le bien du mal : la force des corps entiers qui se développe dans l'action ayant son point d'appui dans les épaules et les jambes. Ordonner de tout faire avec division, ce qui est figuré par ces animaux, c'est nous forcer à la justice. C'est aussi l'indice que nous devons vivre dans la séquestration des autres hommes, qui, la plupart, se corrompent par le contact, accomplissant en commun de grandes iniquités. Des contrées et des états entiers s'en font honneur, lorsqu'ils permettent que les hommes se souillent par un honteux commerce entre eux, que les fils vivent avec leurs mères, les pères avec leurs filles : nous devons adopter le plus grand éloignement d'une semblable conduite. La première figure est celle que nous venons de dire, la séparation; ensuite il a caractérisé par les mêmes, le signe de la mémoire ; en effet, tout animal ayant le pied fendu est en même temps ruminant, ce qui, pour les esprits pénétrants, signifie clairement la mémoire. « La rumination n'est autre chose que la renaissance de la vie et de la complexion ; car la cohésion des parties de l'animal ne s'opère que par la nourriture, aussi cela nous est-il recommandé dans l'Écriture. «Vous rappellerez le Seigneur dans votre mémoire, parce qu'il a fait en vous de grandes et d'admirables choses. » Elles vous paraîtront glorieuses, en effet, si vous y appliquez votre attention : premièrement, la charpente du corps, puis, la distribution de la nourriture et son partage entre chaque membre ; bien plus que cela, là répartition des sens, l'énergie de la pensée, son mouvement invisible et sa promptitude d'exécution pour tout ce qui est à faire, l'invention des arts : tout cela forme un cercle de méditations plein d'attraits. Tel est le motif de l'ordre qui nous est donné de repasser dans notre mémoire toutes ces choses qui ne se maintiennent dans leur ensemble que par la puissance divine; le législateur a déterminé toutes les places et tous les moments, pour que nous méditions sans cesse sur la puissance de Dieu qui conserve le commencement, le milieu et la fin. Ainsi au commencement de nos repas il nous ordonne d'en remercier Dieu. Dans la forme de nos vêtements, il a encore placé une empreinte de reconnaissance ; pareillement dans la construction des villes et des maisons, en nous ordonnant d'inscrire, en fermant les enceintes, devant les grandes et les petites portes, des sentences sacrées qui nous rappellent la mémoire de Dieu. Il veut encore qu'un symbole soit mis comme un bracelet autour de nos mains, pour qu'en travaillant nous sachions clairement que quelque chose que l'on fasse, on doit le faire avec justice, en ayant le souvenir de notre propre structure et par dessus tout la crainte de Dieu. Il nous ordonne de méditer les arrangements établis par Dieu, en nous couchant, en nous levant, en nous promenant, non par forme d'acquit, mais d'une manière soutenue, en considérant le mouvement ascensionnel et alternatif de ces deux états, tant lorsque nous cédons au sommeil, que lorsque nous nous en arrachons ; car cette transition de l'un à l'autre a quelque chose de divin et d'incompréhensible. « Nous avons fait voir l'excellence du précepte relativement à notre séparation des autres peuples et la réminiscence d'après l'application que nous en avons faite et à la fissure de la corne et à la rumination des animaux dont nous pouvons nous nourrir; car ce n'est pas au hasard ni d'après une conception vague de l'esprit que cette loi nous a été donnée ; mais d'après la vérité et comme signe d'un raisonnement droit. Après avoir réglé tout ce qui a rapport aux aliments, aux boissons, aux objets dont le contact nous est permis, il nous prescrit de ne rien faire ni de ne rien écouter par désœuvrement, et de ne point faire tourner à l'injustice, l'usage que nous faisons de la faculté de parler. On peut découvrir les mêmes enseignements dans ce qui concerne les animaux immondes : l'instinct de la belette et du rat est en effet malfaisant, aussi bien que celui de tous les animaux semblables dont la chair nous est interdite. Les rats détériorent et gîtent tout ; non pas seulement pour s'en nourrir, mais dans le but de rendre complètement inutile à l'homme tout ce à quoi ils ont porté la dent ; la race des belettes leur est égale pour mal faire : les belettes ont quelque chose de particulier, en outre de ce que nous avons dit, dans leur constitution physique, qui nous révolte, de concevoir par les oreilles et d'engendrer par la bouche. Ce mode de conception est impur aux yeux des hommes ; car tout ce qu'ils ont reçu par l'ouïe, ils lui donnent du corps au moyen du discours, s'ils entraînent les autres dans le désordre, se souillant eux-mêmes par toute espèce d'impiété, ils commettent une impureté de la nature la plus fâcheuse : en conséquence, votre roi, d'après ce qu'on nous en a rapporté, a justement fait périr tous ceux qui en agissent ainsi. « Je crois, lui dis-je, que vous voulez parler des délateurs qu'il poursuit sans relâche en les frappant et les soumettant à des jugements rigoureux» Oui, car rien n'étant plus contraire à la sainteté, que des hommes qui veillent pour le malheur de leurs semblables, notre loi défend de faire du mal à qui que ce soit, par discours ou par action. Je crois avoir en peu de mots développé ce que je m'étais proposé de vous démontrer, que tout dans notre loi est dirigé vers la justice et que rien n'y a été inséré sans réflexion ni à la manière des fables ; mais que dans toute notre vie et dans chacune de nos actions nous pratiquons la justice devant tous les hommes, en ayant présent à la pensée le Dieu qui règne sur nous. Tout ce qui traite des aliments des animaux et des reptiles impurs n'a donc pas d'autre but que la Justice et de faire régner l'équité dans les relations des hommes entre eux. « Il me semble qu'Eléazar justifiait parfaitement chacun des préceptes de sa loi. Quant aux veaux, aux béliers et aux chèvres offerts en sacrifice, il disait qu'on ne doit choisir dans les troupeaux que ceux, qui se montrent apprivoisés, qui n'ont rien de sauvage, afin que ceux qui les présentent à l'autel, se rendent le témoignage qu'ils ne sont pas enorgueillie et qu'ils se conforment aux instructions du Dieu, leur législateur ; celui qui offre le sacrifice fait en même temps la consécration entière de toute son âme. « Je crois avoir recueilli ce qui a été dit dans cette conférence qui fût digne d'être mentionné relativement à la sainteté de la loi que j'ai entrepris de vous faire comprendre, sachant, ô Philocrate, le désir que vous avez de vous instruire. » Tels sont les discours tenus par le grand-prêtre Éléazar à ceux des Grecs qui furent députés vers lui, par lesquels il leur enseigna la maniére dont on doit interpréter la partie allégorique des saintes lois et en discerner le motif. Aristobule, qui unissait aux traditions nationales les principes de la philosophie d'Aristote, mérite d'être entendu à son tour dans l'exposition qu'il donne des membres qu'on attribue à Dieu. Cet Aristobule est le même dont il est fait mention au commencement du second livre des Macchabées. Ses explications sont tirées d'un écrit adressé au roi Ptolémée : [8,10] CHAPITRE X : TIRE D'ARISTOBULE SUR CE QU'ON NOMME LES MEMBRES DE DIEU. « Les précédentes questions que vous m'avez adressées, ô Prince, ayant été complètement résolues par ce qui a été dit, vous vous êtes récrié sur ce que dans notre loi, on désigne les mains, les bras, le visage, les pieds, la démarche, en parlant de la puissance divine. Cette difficulté trouve ici sa place et ne contredira en rien ce qui a été expliqué précédemment. Je veux d'abord voua prémunir contre l'acception de ces termes dans un sens naturel, et pour que vous conserviez de Dieu l'opinion qu'on doit en avoir, afin de ne pas tomber dans la fable, en donnant à Dieu une configuration d'homme. Il arrive souvent que notre législateur Moïse emploie des dénominations d'autres choses pour indiquer ce qu'il veut dire : ainsi, pour la plus grande clarté, il fait usage des positions physiques pour exprimer l'exécution des plus grandes choses. Ceux qui ont le don d'une intelligence supérieure admirent la sagesse de Moïse et l'esprit divin dont il est animé, qui l'a fait proclamer prophète. Dans leur nombre sont les philosophes que j'ai cités, et beaucoup d'autres poètes qui ont puisé chez lui les sublimes conceptions qui leur ont mérité les suffrages universels. Quant à ceux qui n'ont pas cette force d'entendement, et qui ne s'en tiennent qu'à l'expression écrite, pour ceux-là ils ne découvrent rien de grand dans Moïse. Je vais prendre, autant que j'en serai capable, des exemples de chaque signification, et si je ne réussis pas à démontrer cette vérité, ce n'est pas au législateur que vous devrez imputer la faute, mais à moi seul qui n'aurai pas su vous faire discerner leurs différentes acceptions. « Les mains sont prises clairement et habituellement dans le même sens parmi vous. Lorsque vous envoyez des troupes comme roi, pour l'exécution de quelque projet que vous avez conçu, on dit : le roi a g-megalehn g-cheira, une grande armée ; et ceux qui entendent cette expression, la comprennent des gens de guerre, sous vos ordres. Eh bien! Moise dans sa législation fait un usage semblable du même mot en disant : «D'une main, puissante Dieu vous a tiré de l'Égypte,» et « j'enverrai ma main, dit le Seigneur, et je frapperai les Égyptiens ». Et lors de la destruction des animaux domestiques, Moïse dit à Pharaon : «Voici que la main du Seigneur sera sur vos animaux : il y aura une grande mortalité dans tous vos champs. » Dans ces exemples les mains de Dieu représentent la puissance divine, par la raison qu'on considère toute la force des hommes et toute leur sphère d'activité, dans l'usage qu'ils font de leurs mains. Le législateur a donc eu raison de transporter cette locution pour exprimer la majesté, en nommant les mains de Dieu, l'exécution de ses volontés. « La g-stasis g-theia, l'assiette de Dieu, est une expression relevée qui rend bien l'idée de la manière dont Dieu a assis et disposé l'univers, car Dieu est au-dessus de tout, tout lui est soumis et a pris en lui son point d'appui. C'est un moyen de faire comprendre aux hommes à quoi tient la stabilité du monde, et pourquoi le ciel ne devient pas terre, la terre ne devient pas ciel; pourquoi le soleil ne brille pas comme la lune, ni la lune comme le soleil; pourquoi les fleuves et les mers restent dans leurs limites. Le même raisonnement s'applique aux animaux. L'homme n'est pas une bête, ni la bête un homme; en suivant, la même règle s'observe à l'égard des plantes et des autres substances : elles sont invariables dans leur espèce, prenant naissance de même, éprouvant les mêmes modifications et les mêmes dissolutions. La g-stasis g-theia d'après ce, se dira donc de tout sujet qui repose en Dieu. « La g-katabasis, ou descente divine sur la montagne, est citée dans le livre de la loi à l'époque où Dieu donnait ses lois, afin que tous reconnussent que c'était l'œuvre de la divinité. Cette descente est évidente; mais on pourrait l'interpréter, si on voulait continuer la même manière dont on a parlé de Dieu ; car il est clair que la montagne était tout en feu, ainsi que dit le législateur, parce que Dieu y était descendu. Or, le son des trompettes et le feu qui brûlait se faisaient sans instruments et sans combustible g-anupostatohs. La multitude, qui entourait la montagne, ne comportait pas moins d'un million d'individus, sans compter les enfants, et était répandue tout autour de cette montagne, dans l'attitude d'un peuple assemblé pour traiter les affaires de la communauté : elle ne resta pas moins de cinq jours dans la même attente. Or, comme ils étaient campés tout autour de ce pic, ils le voyaient également enflammé de tous les points de l'horizon, en sorte que la descente ne pouvait être en un seul lieu; car Dieu est partout. L'activité du feu, qui a cela de merveilleux au-dessus de toutes les autres substances, qu'il détruit tout ce qu'il envahit, n'aurait pus pu se montrer toujours flamboyant sans combustible, par conséquent sans rien consumer, s'il n'avait tenu cette vertu de Dieu lui-même. « Et tandis que de toutes les plantes qui couvraient la montagne, aucune n'aurait dû échapper à la destruction, aucune ne fut détruite, mais leur verdure demeura intacte sous l'action apparente du feu. Les sons des clairons étaient entendus avec une grande force au milieu de ce vaste incendie, sans qu'aucun instrument existât dans ce lieu, non plus que ceux qui les auraient fait résonner : le tout n'étant que l'effet de l'énergie divine. En sorte qu'on peut conclure avec certitude que la descente de Dieu n'avait de réalité que par la perception fantastique de tous ceux qui étaient témoins de ce spectacle, sans, comme nous l'avons dit, qu'il y eût de feu allumé ni d'instruments de musique mis en mouvement, soit par un effort humain, soit par une disposition quelconque de ces mêmes instruments; Dieu seul, sans aucun secours, ayant voulu faire éclater ainsi sa grandeur suprême.» Aristobule est l'auteur de ce que nous venons de citer. Et, puisque nous sommes occupés de la promulgation des saintes lois et de leur interprétation allégorique, c'est une conséquence nécessaire de faire connaître que le peuple juif se partage en deux sectes, dont une, formée du bas peuple, ne s'attache qu'au son verbal des lois telles qu'elles lui ont été données; l'autre, appartenant à la classe dans l'aisance, se sépare de la première et croit devoir se livrer à une philosophie plus divine et plus relevée, en recherchant théoriquement le sens intellectuel signifié par ces mêmes lois. Il existait, en effet, une secte de philosophes juifs dont la vie ascétique a excité l'étonnement de milliers d'hommes, étrangers à leur croyance, et à laquelle les plus éminents de leurs compatriotes ont consacré les souvenirs immortels de leur admiration ineffaçable, savoir, Josèphe, Philon et plusieurs autres. Écartant beaucoup de choses que je pourrais en dire, je me bornerai à donner un aperçu de ce qu'ils sont, en empruntant pour le moment le témoignage de Philon, témoignage qu'il a consigné dans différents mémoires qui roulent, en général, sur les intérêts de sa nation. Je prends dans son apologie des Juifs l'extrait que vous allez lire: [8,11] CHAPITRE XI : DE LA VERTU PRATIQUE DES ANCIENS PHILOSOPHES PARMI LES HÉBREUX. « Notre législateur a formé un grand nombre de ses disciples à se réunir en communauté; ce sont ceux qui se nomment Esséniens : ce nom leur ayant été, ce qu'il me semble, attribué à cause de leur sainteté. Ils sont répandus dans beaucoup de villes de la Judée, beaucoup de bourgs grands et peuplés. Leur manière de se recruter n'est pas par la famille ; la famille n'est pas un mode qui permette l'option ; c'est par le penchant à la vertu et le désir d'être utile à ses semblables. « On ne voit parmi les Esséniens, ni un enfant en bas âge, ni un adolescent, ni un jeune homme, parce que les caractères de ces âges sont trop inconstants et portés à la nouveauté, n'étant pas encore formés : ce sont des hommes faits, approchant de la vieillesse, qui ne sont plus troublés par l'activité de la circulation, ni par l'entraînement des passions, des hommes enfin qui savent goûter la liberté réelle et sans fiction. Leur manière de vivre est le gage de cette liberté. Aucun d'eux ne possède en propre quoi que ce soit, ni maison, ni esclave, ni champs, ni troupeaux de bétail, ni rien de ce qui compose l'attirail et le superflu de la richesse. Mettant tout en commun, ils profitent en commun des ressources destinées à tous. Ils habitent ensemble, prennent leur repas ensemble à la manière des Thiases (réunions de confréries religieuses) ; et emploient toute leur activité à des travaux utiles pour la communauté. Leurs occupations sont très variées. S'y livrant avec zèle, ils n'admettent point les excuses du froid ou du chaud, ou des variations de l'atmosphère. Rendus au lieu accoutumé de leur travail, avant le lever du soleil, ils le quittent à peine lorsqu'il est couché, non moins joyeux que ceux qui se livrent aux exercices du Stade. Ils prétendent que l'usage qu'ils font de leurs facultés est plus utile à la société humaine et plus doux à l'âme que la gymnastique, en ce que c'est d'une durée plus prolongée que les exercices athlétiques, ne décroissant pas avec la vigueur corporelle. Il en est parmi eux qui sont agriculteurs, versés dans l'art de labourer et d'ensemencer la terre. Les autres sont conducteurs de troupeaux, surveillant diverses espèces de bestiaux. On en voit se livrer à l'éducation des abeilles, d'autres sont artisans de métiers différents, pour n'être pas exposés à souffrir la privation de choses nécessaires à la vie, et ne renvoyant pas au lendemain l'exécution de ce qui ne présente pas de motif de retard. Le salaire que chacun d'eux reçoit des travaux variés qu'ifs exécutent, est rapporté à un économe choisi par eux, lequel, après avoir reçu ces fonds, s'empresse d'acheter les objets nécessaires pour leur fournir des vivres en abondance et toutes les autres commodités de la vie. Compagnons de chambrée et de table, ils partagent les mêmes goûts. Amants de la frugalité, ils abhorrent le luxe, comme aussi funeste à la santé qu'il est dangereux pour l'âme. La table n'est pas la seule chose commune entre eux, les vêtements le sont aussi, en hiver des manteaux épais, en été des tuniques courtes et à bas prix, en sorte qu'il est permis à chacun de faire choix du vêtement qui lui plait, ce qui est à l'un, appartenant à tous, et réciproquement. En outre, si l'un d'eux tombe malade, il est traité aux dépens de la communauté, recevant les soins de l'art et ceux de l'affection. Les vieillards, encore qu'ils n'aient pas d'enfants, non seulement reçoivent tous les secours que peut attendre le père le plus cher d'une nombreuse famille, et de la famille la plus tendre. Ils terminent leur existence par une vieillesse aussi heureuse que peuvent la procurer les attentions les plus minutieuses, entourés qu'ils sont d'hommages et d'égards, d'autant plus précieux qu'ils ne sont pas dus à la nature, mais au choix libre de ceux qui les leur rendent. Prévoyant avec habileté ce qui pourrait le plus contribuer à la dissolution de cette association, ils en ont banni le mariage avec l'obligation de pratiquer une exacte continence. Aucun Essénien ne prend de femme, parce que la femme est égoïste, envieuse au plus haut degré, habile à porter le trouble dans les habitudes de son époux, lui tendant continuellement des pièges, et pour le séduire, préparant des discours flatteurs et toute espèce d'artifice connu sur la scène. Elle fascine les yeux et les oreilles dans l'espoir d'égarer l'esprit qui commande, en corrompant les sens qui lui sont soumis. Si elle devient mère, gonflée d'orgueil et d'effronterie, ce qu'elle n'osait entreprendre qu'avec dissimulation auparavant, elle l'exige avec une audace et une arrogance sans pareilles, et fini d'autorité tout ce qui est le plus contraire à la bonne harmonie du ménage. L'époux enlacé par les philtres de sa femme, préoccupé par les soins nécessaires à l'éducation de ses enfants, n'est plus le même pour les autres, mais devient, à son insu, différent de lui-même, esclave au lieu d'homme libre. Leur manière de vivre est donc digne d'envie à ce point, que non seulement, des particuliers, mais même de grands rois, ont été frappés d'admiration en voyant ces hommes, et ont témoigné leur vénération pour eux, en les comblant de louanges et d'estime. » Je borne ici ce que j'ai emprunté à cet écrit; ce qui va suivre est tiré du traité portant pour titre, que tout homme vertueux est libre : [8,12] CHAPITRE XII : DE MÊME SUR LES MÊMES « La Palestine syrienne n'est pas stérile en vertu, étant habitée, pour la plus grande partie, par la nation populeuse des Juifs, dont une portion, au nombre de plus de quatre mille, d'après mon calcul, porte le nom d'Esséens, qui rappelle d'une manière éloignée le nom g-hosiotehs de la langue grecque. Consacrés au service de Dieu plus que personne, ils n'immolent pas cependant de victimes; mais ils croient l'adorer d'une manière bien plus digne de lui, en lui dévouant toutes leurs pensées. Pour commencer à les faire connaître, nous dirons qu'ils se fixent dans les bourgades, fuyant la licence à laquelle s'abandonnent trop facilement les habitants des villes. Convaincus que comme les maladies se contractent par l'infection de l'air, de même les âmes deviennent incurables, par la fréquentation des hommes entre eux. «On en voit cultiver la terre, d'autres se livrent aux arts mécaniques, autant que ceux-ci n'ont pas de connexion avec la guerre ; car ils ne se doivent qu'à la paix et aux arts qui s'en rapprochent. Ils n'amassent ni argent ni or. Ils n'achètent pas de grandes étendues de territoire, dans l'espoir d'en tirer des revenus; mais ils se procurent ce qui est indispensable pour les nécessités de la vie. Seuls peut-être entre tous les hommes, ils sont sans numéraire et sans propriétés territoriales, plutôt par l'effet de leurs inclinations que par des revers de fortune, et se croient très riches, jugeant que la sobriété et à résignation sont les plus grandes richesses. Vous chercheriez en vain chez eux un fabricant de javelots, de flèches, d'épées, de casques, de cuirasses, de boucliers, en un mot d'armes et de machines de guerre, ni de rien de ce qui dans la paix dégénérerait facilement en action criminelle. Ainsi le commerce en gros ou en détail, la navigation, ils n'en ont pas même l'idée, abjurant tout ce qui est un principe d'avarice. Il n'existe pas d'esclaves dans leurs rangs, tous sont libres et s'entr'aident mutuellement. Ils condamnent les maîtres non seulement comme étant injustes, en ce qu'ils portent atteinte à l'égalité; mais comme impies, en enfreignant la loi de la nature semblable à une mère, a engendré et élevé tous les hommes de la même manière pour qu'ils fussent sincèrement frères et non pas seulement en paroles, puisqu'ils ont des droits égaux. « C'est l'avarice qui, dans l'ivresse de la prospérité, est venue troubler cette confraternité par ses artifices, ayant substitué l'indifférence à l'amitié, la haine à l'affection. Quant â la philosophie, ils abandonnent aux conversations oiseuses, d'abord la logique qui n'est point nécessaire pour acquérir la vertu, puis la physique qui est au dessus de la nature humaine. Toute leur philosophie se borne à reconnaître l'existence de Dieu et la création de l'univers. Ils cultivent avec grand soin l'étude de la morale, prenant pour guide les lois qu'ils tiennent de leurs pères; dans l'opinion qu'il est impossible que l'âme humaine les ait conçues sans l'inspiration divine. Ils les étudient donc pendant tous les temps, mais par excellence, chaque septième jour, qui est à leurs yeux un jour sacré, pendant lequel ils s'abstiennent de tout autre travail, et se rendent dans les lieux saints, qu'on nomme synagogues. Ils s'y assoient en rang d'âge, les plus jeunes après leurs doyens, se tenant décemment et avec dignité, pour entendre la loi. Un d'entre eux prend les livres et lit; un autre qui est de la classe la plus instruite, montant à la tribune, enseigne aux autres ce qui s'élève au-dessus des notions communes; car leur philosophie consiste principalement en symboles, par émulation des manières antiques. Ils sont élevés dans la piété, la sainteté, la justice, l'ordre intérieur et politique, la science de ce qui est réellement bon ou mauvais ou indifférent pour embrasser le bien, et pour fuir le mal; ils font usage pour y parvenir des lois, puis de trois règles qui sont l'amour de Dieu, l'amour de la vertu, l'amour du prochain. L'amour de Dieu se déclare par d'innombrables signes ; la pureté de la vie en général et en particulier; l'absence de tout jurement, l'éloignement du mensonge, l'opinion que la divinité est à cause de tout ce qui est bien, sans produire aucun mal. Les caractères qui distinguent l'amour de la vertu, sont de n'ambitionner ni les richesses ni les honneurs, de ne point rechercher la volupté, d'être tempérant, persévérant, et de plus, pratiquer la sobriété, la simplicité, la soumission, la modestie, l'obéissance aux lois, à constance dans la conduite, et toutes les autres vertus analogues. « Quant à l'amour du prochain, il se manifeste par la bienveillance, l'égalité, cette communication intime dont la langue rend mal l'idée, et dont il ne sera pas hors de propos de parler brièvement. Premièrement, il n'y a pas de maison qui soit en propre à l'un d'eux, sans être commune à tous ; car outre qu'ils habitent par chambrée, leur demeure est également ouverte à tous ceux qui, venant du dehors, professent les mêmes doctrines, ils ont un trésor commun qui fournit à toutes les dépenses : leurs vêtements, leurs aliments sont sans distinction de maître ; car ils ont institué des tables communes. Or, cette indivision de demeure, de société, de table, on ne pourra la trouver nulle part ailleurs, non seulement entière et effective; mais même approximativement : le produit du travail journalier de chacun d'eux n'est pas conservé par lui; mais est mis en masse pour servir à l'usage commun de tous ceux qui veulent s'en aider. Les malades, par la raison qu'ils ne peuvent rien produire, ne sont pas abandonnés. Mais comme on s'est procuré, sur les fonds communs, les objets nécessaires an traitement des maladies, ils en usent avec largesse comme des choses qu'on a en abondance. Le respect et les attentions pour les vieillards sont tels, que les fils légitimes peuvent en avoir pour leurs parents ; les soins manuels et mille recherches les plus ingénieuses, sont mises en œuvre pour leur procurer une vieillesse heureuse. Voilà comment, sans tous les raffinements de l'éloquence grecque, leur philosophie en a fait de vrais athlètes de vertu, s'étant proposée comme exercice, l'accomplissement de toutes les actions louables, qui assurent à ceux qui les pratiquent, la liberté sans entraves. En voici la preuve. A différentes époques, des souverains, de caractères et d'inclinations divers, ont dévasté ce pays; les uns rivalisant de cruautés avec les bêtes les plus féroces, n'ont épargné aucun genre d'atrocités, immolant les peuples en masse, ou les mutilant sans leur ôter la vie, à à manière des bouchers, jusqu'à ce que la justice qui préside à toutes les destinées humaines, les ait soumis à la nécessité de supporter des traitements aussi odieux: les autres, avant changé à rage et à fureur de leurs prédécesseurs en une autre espèce de méchanceté, tout en nourrissant dans leur âme un fiel incurable, parlant avec douceur, masquant, sous une voix caressante en apparence, toute la haine qui les dominait, imitaient les flatteries des chiens dont la morsure est envenimée : auteurs de maux sans remède, ils ont laissé dans les villes des monuments de leur impiété et de leur haine, par les infortunes à jamais mémorables de leurs habitants. Cependant aucun d'eux, ni ceux dont la cruauté faisait le caractère dominant, ni ceux dont la fourberie et l'astuce dirigeaient à conduite, n'a eu la force d'attaquer la société dite des Esséens, ou Osiens pieux g-hosiou : tous ont été vaincus par la vertu sublime de ces hommes. Ils les ont traités en peuple libre par nature et se gouvernant par ses propres lois, célébrant ses banquets communs, et cette fraternité au-dessus de tout éloge : ce qui est la démonstration la plus frappante de l'excellence de cette institution et du bonheur immense qui en est la suite. » Terminons ici ce qui concerne la pratique de la philosophie et la forme de gouvernement des Hébreux. Puisque ce qui est de la vie du reste de la nation et de la manière dont les lois divines sont réglés, a été le sujet des discours qui précèdent, que nous reste-t-il à traiter maintenant, sinon de mettre en parallèle avec les actes pieux de leurs ancêtres, les doctrines théologiques des modernes qui en sont l'écho, afin que notre ouvrage complète le thème que nous nous sommes proposés. Dès lors que les oracles de la Sainte-Écriture ont été exposés dans le livre précédent, il convient que dans celui-ci nous donnions un coup d'oeil sur les méditations des sages parmi les juifs, pour comprendre ce qu'étaient les enfants des Hébreux, tant sous le point de vue théologique que sous celui de l'éloquence. C'est encore Philon qui va comparaître dans le premier de ses livres sur la loi. [8,13] CHAPITRE XIII : DE PHILON SUR DIEU ET SUR CE QUE L'UNIVERS A DÛ ÊTRE CREE. «Quelques philosophes admirant plus l'univers que le créateur, ont proclamé que le monde n'avait pas eu de création et qu'il était éternel, mettant faussement en avant l'inertie absolue dont ils ont indignement gratifié la divinité, lorsqu'au contraire, étonnés de ses attributs comme créateur et comme père, ils n'auraient dû mettre aucune mesure à l'expression de leur vénération pour lui. Moïse les ayant devancés dans la sublimité de sa philosophie, instruit d'ailleurs des secrets les plus cachés de la nature par les révélations divines, a compris qu'il était de toute nécessité qu'il y eût dans les choses un agent (c'est-à-dire une intelligence plus pure et plus sublime que tout le reste) plus savant que la science, meilleur que le bien lui-même, plus beau que la beauté, puis patient, inanimé et immobile par sa nature, un, qui n'est mu, transformé, animé que par l'intelligence, qui l'a changé au point de produire le plus magnifique de tous les Ouvrages, qui est l'univers. Ceux qui disent que le monde n'a pas été engendré, en retranchant la Providence, ont perdu de vue que rien n'est plus utile ni plus nécessaire pour la piété. Car la réflexion prouve qu'un père en même tempe créateur, prend soin de la créature. Comme père, il suppute tout ce qui peut assurer la durée de ceux à qui il a donné le jour : comme artisan suprême, il veille à ses ouvrages, il écarte d'eux tout ce qui y porterait préjudice ; il désire donc y faire affluer de toute manière ce qui peut contribuer à leur avantage et à leur salut. Au lieu qu'il n'y a nulle intimité entre ce que n'a pas été engendré et celui qui n'en est pas le créateur. Dogme désolant et funeste qui tend à établir l'anarchie dans l'univers comme dans une cité, de n'avoir plus ni magistrat, ni régulateur, ni juge, pour qu'elle soit maintenue dans l'ordre et dans la dépendance. « Le grand Moïse ayant jugé qu'il y a opposition complète entre les choses visibles et celles qui existeraient sans principe et d'elles-mêmes (car tout ce qui est sensible, étant compris entre la naissance et la dissolution, ne saurait pas être toujours égal à soi-même) : le grand Moïse, dis-je, a attribué à l'invisible et intellectuel, l'éternité, comme étant d'origine fraternelle, et au sensible il lui a consacré le nom qui le caractérise, g-genesis, genèse ou génération. « Or, puisque ce monde est visible et sensible, il a nécessairement eu un principe d'existence ; ce n'est donc pas sans motif; mais par l'effet d'une théologie éminemment vénérable qu'il a intitulé ce livre g-genesis, c'est-à-dire génération. » Bornons à ceci la preuve que le monde a été créé. Le même écrivain, dans son traité sur la Providence, fait ressortir, de raisonnements d'une haute portée, la démonstration que tout est administré par elle : il place en première ligne les objections des athées, et fait suivre les réponses. Dans la crainte qu'ils ne paraissent trop étendus, je me contenterai de rapporter ce qu'ils ont de plus substantiel et de plus saillant en retranchant à plus grande partie. Voici comment il dispose son argumentation : [8,14] CHAPITRE XIV : DU MÊME, SUR CE QUE LE MONDE EST GOUVERNE PAR LA PROVIDENCE DIVINE. « Comment dites-vous qu'il y a une Providence au milieu d'une telle perturbation et d'une telle confusion de choses ? Qui a pu ainsi arranger la société humaine? Où ne voit-on pas déborder le désordre et la corruption? Étés-vous seul à ignorer que les biens sans mesure se pressent en foule, sur les traces des hommes les plus méchants et les plus dépravés, savoir, la richesse, la considération, les honneurs au sein de la multitude, ensuite l'autorité, la santé, une grande finesse de perception des sens, la beauté, la force, la jouissance sans obstacle des plaisirs que des prévisions multipliées leur procurent et que l'heureuse constitution de leur tempérament leur permet de savourer à loisir. Ceux au contraire qui sont épris d'ardeur pour la sagesse, et qui pratiquent toutes les vertus, sont à peu près tous dans la pauvreté, l'obscurité, la déconsidération et abreuvés d'humiliations, » A ces objections et à dix mille autres encore qui tendent à infirmer l'existence de la Providence, Philon répond subséquemment ainsi que nous allons l'entendre parler. « Non, Dieu n'est pas un tyran qui n'aime que la cruauté et la violence, et qui ne se dispose à agir que pour faire sentir la dureté de son commandement; au contraire, c'est un roi qui unit l'autorité à la douceur et à l'équité, qui préside avec justice au ciel et à tout l'univers. Pour un tel roi il n'y a pas de dénomination mieux assortie que celle de père : ce que fait un père pour ses enfants dans sa famille, ce que fait le roi pour l'état, Dieu le fait pour l'univers, ayant enchaîné, par une union indissoluble dans les lois immuables de la nature, deux choses excellentes, l'action gouvernementale et la protection conservatrice. Or, de même que des parents ne dépouillent pas toute leur affection pour des fils débauchés, mais prenant pitié de leur infortune, les entourent de surveillance et de soins, pensant que c'est le propre d'ennemis irréconciliables de s'acharner après des actions coupables, tandis qu'il appartient à des amis et à des parents d'atténuer les fautes. On les voit même souvent faire des dépenses extraordinaires pour ces enfants, plus que pour ceux qui ont une conduite régulière, sachant bien que pour ceux-ci la tempérance est une source abondante de bien-être, tandis que les autres n'ont d'espoir que dans leurs parents, pour ne pas manquer du nécessaire. Ainsi Dieu, comme père de toute intelligence, et de toute raison prend un soin particulier des êtres doués d'intelligence, sa Providence s'exerce envers ceux qui vivent d'une manière répréhensible, en leur donnant le temps de la résipiscence, puis en se renfermant dans les bornes de sa nature miséricordieuse, dont la bonté et l'amour pour l'humanité, comme des serviteurs fidèles, sont dignes de parcourir sa demeure céleste. « Voici, ô mon âme, un raisonnement que vous devez conserver soigneusement comme un dépôt que Dieu vous confie : auquel j'ajouterai ceci tout à fait en harmonie avec ce qui précède : « Ne vous laissez pas abuser contre toute vérité en croyant qu'il y ait parmi les hommes vicieux un seul être heureux, fut-il plus riche que Crésus, plus clairvoyant que Lyncée, plus robuste que Milon, le Crotoniate, plus beau que Ganymède, que les dieux enlevèrent, à cause de sa beauté, pour être échanson de Jupiter. Sous combien de maîtres divers ne montrez-vous pas que votre génie (je veux parler de votre âme) est asservi ; sous l'amour, le désir, la volupté, la crainte, la douleur, la déraison, la licence, la timidité, l'injustice? est-il possible d'être heureux ainsi, encore que le vulgaire, dont le jugement est erroné, dont le cœur est corrompu, par la double séduction du faste et de la vaine gloire, croie que l'on doit abandonner son âme comme un vaisseau sans but, aux agitations de cette mer où la presque totalité de la race humaine vient faire naufrage. Si vous tendiez fixement les regards de l'âme à la considération de la providence de Dieu, autant qu'il est donné à la faculté intellectuelle de l'homme de le faire, prenant une notion plus pure du bien véritable, vous ne sentiriez que du mépris pour les choses d'ici-bas que jusqu'alors vous n'avez cessé d'admirer. C'est toujours en l'absence des meilleures choses que les inférieures, usurpant leur place, se font estimer ; qui, si les premières reparaissent, se retirent en elles mêmes et se contentent d'un ordre inférieur. Frappé d'étonnement à la vue de cette perfection divine, vous serez pleinement convaincu qu'aucune des choses que nous venons d'énumérer, soit dans la science de Dieu, soit considérée en elle-même, ne mérite qu'on la classe parmi les biens. « Ainsi, les mines d'argent et d'or sont la portion la plus vile des divisions terrestres, le cédant en tout point à celle qui amène les fruits à la maturité. Il n'en est pas de ces richesses, en quelque abondance qu'on les possède, comme des substances alimentaires, sans lesquelles on ne saurait vivre; une seule épreuve va mettre cette vérité dans tout son jour, celle de la famine qui fait apprécier à leur juste valeur l'indispensable et l'utile. Qui dans ses exigences n'échangerait pas de gaîté de cœur tous les trésors du monde pour une très petite quantité d'aliments ? Mais lorsque la source de ces biens indispensables coule à plein bord, et, par un cours non interrompu, répand l'aisance dans les villes, alors les hommes, dédaignant les biens naturels, ne donnent plus d'attention qu'à ceux-là, laissant une pléthore insolente, arbitre de nos destinées. Nous dévouant corps et âme à acquérir de l'argent et de l'or, nous préparant à combattre pour tout ce qui nous donne l'espérance d'un lucre à faire ; semblables à des aveugles dont l'intelligence est obscurcie par l'avarice, notre entendement ne voit plus que ce sont des masses de terre en faveur desquelles nous échangeons la paix contre des combats perpétuels qui n'ont pas de trêve. Nos vêtements ne sont, comme l'ont dit les poètes, que la fleur des troupeaux g-anthos qui, par l'art ingénieux de ceux qui la mettent en œuvre, devient l'honneur des tisserands. « Si c'est de la gloire qu'on fait son idole, n'est-il pas vrai que celui qui reçoit avec plaisir les hommages des êtres les plus vils, s'avilit lui-même; suivant le proverbe, qu'on se plaît avec ses semblables? Qu'il fasse un vœu expiatoire pour que, par des purifications appropriées, ses oreilles soient guéries, car c'est par elles que notre âme contracte les maladies les plus dangereuses. « Que ceux qui tirent vanité de leur forte complexion apprennent à ne pas s'enorgueillir en jetant les regards sur ces troupeaux innombrables d'animaux apprivoisés et sauvages qui ont reçu en partage une force et une vigueur innées; car peut-il être rien de plus absurde que de se glorifier des qualités qui appartiennent aux brutes ; et cela lorsque l'homme est surpassé par eux tout à fait à son désavantage? « Quel être doué de sens tirerait vanité de la beauté corporelle qui s'évanouit dans un temps si court, qui, avant même que d'avoir atteint tout son développement, a vu souvent se faner sa décevante fleur, et cela lorsque cette beauté trouve une autre beauté rivale dans les substances inanimées : je veux parler des chefs-d'œuvre des peintres, des sculpteurs et des autres artistes, en peintures, en statues, en broderies de tissus, tant en Grèce que dans les pays barbares, suivant l'industrie propre à chaque ville. Aucune de ces choses n'est admise par Dieu au rang des bonnes choses. Et devons-nous être étonnés que Dieu les repousse, quand les hommes chéris de Dieu, qui ont reçu de la nature un esprit noble et né pour connaître la vérité, qui, ornant par la méditation et l'étude les dons naturels, ont fait d'une philosophie sincère leur unique occupation, n'apprécient les choses qu'autant qu'elles sont réellement belles et bonnes. Les disciples de cette école d'erreurs n'imitent pas les médecins qui ne soignent que le corps, esclave de l'âme, eux qui se disent appelés à guérir la souveraine. Les médecins, en effet, lorsqu'un homme puissant est atteint de maladie, serait-ce même le grand roi, dépassant les portiques, les habitations d'hommes et de femmes, les peintures qui ornent les murs, les vases précieux d'or et d'argent, la magnificence des tentures et toute la richesse des ameublements royaux, n'accordant aucune attention aux troupes d'esclaves, de serviteurs, d'amis et de parents réunis prés du malade, non plus qu'aux gardes qui l'entourent, les médecins, dis je, viennent jusqu'au lieu où il repose, ils ne regardent rien de ce qui enveloppe le corps, ni les lits enrichis de pierres précieuses et fabriquée d'or massif, ni les couchers dont les tissus rivalisent pour la finesse avec les fils d'Arachné, ou qui sont parsemés de pierres de couleur, ni les couvertures de toute espèce qui enveloppent le malade; mais écartant les premiers vêtements qui le recèlent, ils lui saisissent les mains, ils pressent ses artères, calculent ses pulsations pour juger si elles sont régulières ; quelquefois même, les dépouillant des dernières tuniques, ils examinent si l'estomac n'est pas surchargé, si la poitrine n'est pas enflammée, si le cœur n'a pas de mouvements irréguliers, puis ils y appliquent les remèdes appropriés à la nature du mal. Pareillement les philosophes qui prétendent être les médecins de la maîtresse du corps, de l'âme, doivent mépriser tout ce que des opinions erronées supposent aveuglément, et, pénétrant dans l'intérieur de la pensée, en saisir tous les mouvements, voir si les battements du pouls ne doivent pas leur irrégularité aux excitations de la colère qui en trouble la nature, mettre la main sur la langue pour juger si elle n'est pas mordante et médisante, impure et sans retenue, sur l'abdomen pour connaître s'il n'est pas gonflé par un développement immodéré de désirs, et enfin découvrir si l'âme entière n'est pas agitée par le désordre des passions et des maladies mentales, afin d'y apporter, sans faute, les remèdes qui doivent la rappeler à l'état normal. Maintenant éblouis par l'éclat des choses extérieures, au point de ne plus apercevoir la lumière intellectuelle, ils errent pendant la vie entière sans pouvoir pénétrer jusqu'à l'entendement ; parvenant difficilement aux abords de son temple, ils admirent et adorent la richesse, la gloire et la santé, et les choses du même genre qu'ils trouvent en avant des portes de la vertu. « De même que l'excès de la folie est de faire juger des couleurs par des aveugles, de faire décider des sons harmoniques par les sourds; ainsi c'est une démence d'attribuer à des hommes corrompus et vils la science des véritables biens. Ils sont privés du sens par excellence, celui du jugement, que leur déraison ensevelit dans de profondes ténèbres. Nous sommes étonnés maintenant que Socrate et tel ou tel parmi les hommes vertueux aient vécu dans la pauvreté sans jamais apporter leurs soins à ce qui pouvait les enrichir, sans même daigner recevoir de leurs amis opulents ou des rois qui les leur offraient, de magnifiques présents, lorsqu'ils le pouvaient; et cela parce qu'ils considéraient comme le seul bien véritable la possession de la vertu, à l'acquisition de laquelle se dévouant sans réserve, ils dédaignaient tous les autres biens. Mais qui ne négligerait pas des biens supposés dans l'attente des véritables ? Si pourvus de corps périssables, soumis à tous les hasards de l'humanité, vivant au sein d'une multitude de pervers dont il n'est pas aisé de fixer le nombre, ils ont été victimes de leurs complots, quelle raison avons-nous d'en accuser la nature, lorsque nous devons en reporter tout le tort sur la cruauté de leurs persécuteurs? S'ils eussent vécu dans un air pestilentiel, ils en auraient nécessairement subi l'influence morbide. Eh bien, la malice des cœurs est plus destructive ou au moins autant, que la constitution atmosphérique la plus contagieuse. Lorsque la pluie inonde la terre, le sage qui se trouve loin des abris en est nécessairement pénétré. Lorsque le vent glacial du nord souffle, il en éprouve la douloureuse sensation. Si l'été au contraire allume ses feux, il est accablé de chaleur; parce que la loi de la nature veut que nos corps subissent les variations des saisons. Pareillement il est nécessaire que celui qui arrive dans des lieux où habitent le meurtre, la famine et toutes les causes de mort, ressente les atteintes de ces fléaux. Après avoir secondé Polycrate dans tous ses crimes et ses impiétés, sa mauvaise fortune se montra aussi acharnée à le poursuivre. Ajoutez à cela que lorsqu'il reçut du grand roi le châtiment de ses forfaits, étant cloué à une croix, il ne fit qu'accomplir la prédiction qui lui avait été faite. Je sais, dit-il, d'après une vision que j'ai eue, que je serai lavé par Jupiter et essuyé par le soleil. Car ces sentences énigmatiques qui s'expriment en symboles incompréhensibles d'abord, acquièrent un droit incontestable à être crues, par l'événement. D'ailleurs ce n'est pas au terme de sa vie seulement, mais pendant la durée de son existence encore, et avant que son corps fût crucifié, que l'âme de Polycrate, à son insu, fut attachée à l'instrument de son supplice, lorsque saisi d'une terreur continuelle, tremblant devant la multitude de ceux qui voulaient attenter à ses jours, il vivait dans la stupeur, d'après le témoignage qu'il se rendait indubitablement, qu'aucun des Samiens n'était animé de sentiments de bienveillance à son égard, et qu'au contraire ses scélératesses lui en avaient fait, sans exception, autant d'ennemis irréconciliables. Les historiens de Sicile nous donnent la mesure de cette anxiété sans terme et sans remède, lorsqu'ils nous apprennent que Denys suspectait l'épouse qui lui était la plus chère à ce point qu'il avait fait couvrir de planches l'entrée de la chambre par laquelle elle devait accéder jusqu'à lui, afin qu'elle ne pût pas se glisser dans son appartement sans être entendue, et que son arrivée lui fût annoncée par le bruit et le craquement de ses pas. Il voulait, de plus, qu'elle fût dépouillée non seulement de son manteau, mais encore des derniers vêtements, au point de mettre à nu ces parties du corps que la pudeur ne permet pas aux hommes de voir. « Par-dessus toutes ces précautions, il avait fait couper la communication du sol de son palais avec la voie publique par un fossé de la largeur et de la profondeur en usage pour les clôtures rurales, dans la crainte des embûches secrètes qu'on pouvait lui tendre, et pensant que le tyrannicide quelconque se trahirait par les sauts ou les grandes enjambées qu'il devrait faire. De quels soucis n'était pas bourrelé celui qui descendait à des précautions et à des artifices pareils envers une épouse à qui il devait accorder plus de confiance qu'à qui que ce soit. Il ressemblait à ces observateurs des astres qui, pour les voir plus distinctement, grimpent sur les sommets les plus escarpée des montagnes, et s'avancent jusqu'au pic le plus élevé; ils ne peuvent pas le gravir; accablés par la fatigue, ils désespèrent d'atteindre la hauteur qui reste à parcourir, et cependant ils n'osent redescendre de peur que la vue des précipices ne leur cause des vertiges. « Ainsi Denys, épris des charmes de la tyrannie qu'il égalait à la divinité, qu'il jugeait digne de tous les sacrifices, pensait cependant qu'il n'était sûr pour lui ni de la conserver ni de la fuir. S'il la conservait, il était en proie à des chagrins cuisants qui l'assaillaient de toutes parts. Voulait-il y échapper, un autre danger menaçait son existence de la part de tous ceux qu'il avait armés contre lui, non pas matériellement, mais par la pensée? Il en donna la preuve par la manière dont il en usa envers un de ses flatteurs qui célébrait le bonheur de la vie des tyrans : l'ayant invité à un brillant festin apprêté à grands frais, il ordonna qu'au-dessus de sa tête on suspendit une hache retenue par un fil très mince. Dès que cet homme, couché sur le lit du triclinium, l'aperçut, n'osant pas se lever à cause du tyran, et ne pouvant savourer les délicieux mets qu'on lui présentait, par l'effet de la crainte, il n'accordait aucune attention aux magnificences et aux voluptés qui l'entouraient, mais tendant sans cesse le cou et dirigeant ses regards au plafond, il se voyait prêt à mourir. Denys pénétrant les sentiments qui l'agitaient : Eh bien, comprenez-vous, lui dit-il jusqu'à quel point notre vie est auguste et digne d'envie? elle est pareille à votre situation, si l'on ne cherche pas à se faire illusion, elle abonde en richesses dont elle interdit la jouissance, par les terreurs successives qui nous assaillissent et les dangers sans remède qui la corrompent. C'est une maladie qui sévit avec plus de sûreté que le chancre et le marasme, et qui mène toujours à une perte inévitable. Cependant la plupart de ceux qui voient sans examen ce luxe et cette magnificence, en sont séduits ; ils éprouvent le sort d'hommes captivés par des courtisanes difformes et sans beauté, qui cachent leur laideur sous des vêtements brodés d'or et sous les couleurs dont elles se peignent le visage : en l'absence d'une beauté réelle, elles s'en créent une d'emprunt pour tendre des pièges à ceux qui les regardent. « Les hommes qui passent pour heureux par excellence sont remplis d'une égale infortune dont ils jugent parfaitement toute la gravité, ne pouvant se faire illusion à eux-mêmes sur la réalité de leur sort; mais semblables à ceux que la nécessité force à dévouer leurs infirmités, ils laissent échapper des cris sincères arrachés par la douleur, vivant au milieu des tourments présents et dans l'attente de ceux à venir. Ils ressemblent aux victimes qu'on engraisse pour les sacrifices ; car elles ne doivent les soins multipliés qu'on prend d'elles, qu'à l'espoir qu'après avoir été égorgées, leurs chairs succulentes feront les délices du banquet. «On a vu des spoliations sacrilèges vengées sur leurs auteurs, non par une justice lente et inaperçue, mais d'une manière ostensible. Les énumérer ici complètement serait un travail excessif; un seul fait suffira comme exemple pour les autres. Les historiens qui ont écrit la guerre sacrée de Phocide, rapportent qu'une loi établie condamnait les sacrilèges à être précipités d'un lieu élevé, ou jetés à la mer, ou consumés. Or, les trois spoliateurs du temple de Delphes, Philomèle, Onomarque, et Phayllos se sont partagés ces supplices. Lorsque l'un d'eux gravissait une roche escarpée, elle se fendit sous ses pas, le précipita et l'écrasa. Le second ayant été emporté jusqu'au bord de la mer par un cheval qui avait rompu sa rêne, l'animal s'élança dans un abîme sans fond et se noya avec lui. Phayllos succomba à une maladie de consomption. Une seconde relation sur son compte porte qu'il fut enveloppé dans l'incendie du temple d'Abas. Attribuer a la fortune une semblable coïncidence, serait vouloir par trop chicaner sur les événements. En effet, si ces coupables avaient été atteints de châtiments différents, ou à des époques différentes, on pourrait avec quelque vraisemblance mettre en avant l'inconstance de la fortune. Mais quand on les voit frappés simultanément dans une circonstance commune, par des châtiments qui ne sont que ceux que la loi prescrit, n'est-on pas fondé à dire qu'ils ont péri sous le poids de la justice divine ? Si parmi les hommes violents qui se sont mis en hostilité contre la société, qui ont asservi non seulement des nations étrangères, mais leur propre patrie, on en a vu de respectés par elle, qui ont terminé leur carrière sans être punis; on ne doit pas s'en étonner. Premièrement Dieu ne juge pas comme l'homme. Nous ne pouvons scruter que ce qui est apparent, au lieu que Dieu pénétrant sans bruit jusque dans les replis de l'âme, éclaire la pensée et la fait briller comme par un rayon du soleil; il détache tous les ornements qui la dissimulent, il considère dans leur nudité les mouvements de la volonté, et discerne sans délai ce qui est faux ou de bon aloi. Gardons-nous donc bien de placer notre propre critérium avant celui de la divinité, en assurant qu'il est plus infaillible et de meilleur conseil; ce serait une impiété. Dans l'homme les causes d'erreur sont innombrables, les sens nous trompent, les passions nous égarent, les vices nous entourent comme d'une épaisse muraille. Dans Dieu, au contraire, rien qui puisse le tromper; la justice et la vérité qui règlent tous ses jugements, ne peuvent que le diriger dans la rectitude, de manière à mériter toutes nos louanges. «Ensuite, n'allez pas croire, ô mon ami! qu'une tyrannie passagère soit sans utilité. C'est ainsi que le châtiment n'est pas une chose stérile, et la menace des punitions, si elle n'est plus utile, ne le cède au moins en rien à la promesse des récompenses pour tous les hommes vertueux. Par cette raison, dans toutes les lois écrites avec sagesse, on fait intervenir la peine, et ceux qui les ont ainsi rédigées sont généralement approuvés. Eh bien, ce qu'est la peine dans la loi, le tyran l'est dans le peuple. Lorsque l'absence ou la disette presque absolue des vertus se remarque dans les cités, et qu'au contraire, l'extravagance s'y répand à pleins bords, alors Dieu voulant faire rentrer dans les canaux ce torrent de vices débordés, afin d'en purifier la race humaine, donne la prépondérance et le pouvoir à ces natures impérieuses qui subjuguent les peuples. Sans la cruauté de l'âme, il n'y a pas de répression du vice. Et de même que les républiques entretiennent des bourreaux pour les homicides, les traîtres et les sacrilèges, sans honorer cependant le caractère de ces hommes, mais en considérant l'utilité des services qu'elles en tirent, de même le régulateur de la grande cité du monde impose les tyrans aux états, comme les bourreaux de la société, lorsqu'il reconnaît que la violence, l'injustice, l'impiété et tous les maux y grossissent, pour les faire cesser un jour. Enfin il juge qu'il est temps de châtier ces êtres coupables, comme quelques grands criminels qui ont suivi les impulsions d'une âme féroce et incorrigible ; et de la même manière que l'énergie du feu, après avoir consumé toutes les substances qui l'alimentent, finit par se dévorer elle-même, ainsi les usurpateurs du pouvoir populaire, dans les sociétés politiques, après avoir dépeuplé les villes qu'ils livrent au pillage, se détruisent à leur tour. Et pourquoi sommes-nous surpris que Dieu se serve des tyrans, pour exterminer du sein des villes, des provinces, des nations entières, le vice qui s'y est répandu; quand souvent lui-même, sans recourir à d'autres exécuteurs de ses volontés, exerce par la seule vertu de sa providence, ses propres jugements, en suscitant les famines, les contagions, les tremblements de terre et les autres instruments de la colère divine, an moyen desquels de grands centres de population sont dévorés journellement, et des parties considérables de la terre habitée sont converties en déserts? « Je crois avoir assez complètement traité pour le moment la question de l'impossibilité qu'il y a pour les méchants d'être heureux : question qui, plus que tout autre, établit la certitude de la Providence ; si cependant vous n'êtes pas pleinement convaincu, dites hardiment quel doute subsiste encore dans votre âme, afin qu'animés l'un et l'autre du désir de découvrir la vérité, nous finissions par la savoir. » Après plusieurs autres raisonnements, Philon dit encore : « Dieu n'a pas créé l'impétuosité des vents, ni les déluges de pluie pour la perte des navigateurs ou la ruine des agriculteurs comme vous le pensez ; mais pour le bien être de toute notre race. Par les eaux, il purifie la terre, par les vents, il déterge toute cette portion de l'atmosphère qui est située au-dessous de la lune ; l'un et l'autre concourent à la formation, au développement, au complément organique des animaux ou des plantes. S'ils sont parfois dommageables aux navigateurs ou aux laboureurs, placés dans des circonstances défavorables, on ne doit pas s'en étonner : ceux-ci ne sont qu'une portion très minime de l'ensemble; or, c'est à l'universalité de l'espèce humaine que Dieu consacre ses soins. C'est ainsi que, dans le gymnase, on a institué des onctions pour le plus grand bien des athlètes. Cependant il arrive souvent que le gymnasiarque, par des motifs d'intérêt politique, varie les heures auxquelles ce secours a coutume d'être administré et que ceux qui arrivent trop tard en sont privés. De même, Dieu veillant au maintien de l'univers comme à celui d'une grande cité, intervertit l'ordre des saisons pour l'utilité générale, faisant arriver les rigueurs de l'hiver dans l'été, et les douceurs du printemps pendant l'hiver; quand bien même quelques patrons de navires, ou quelques colons devraient être victimes de ces anomalies dans les saisons. Mais quant à la conversion régulière des constellations du zodiaque base fondamentale de toute l'agrégation et de la cohésion du système du monde, Dieu qui en connaît l'indispensable nécessité, se garde bien d'y apporter le moindre trouble. Les frimas et les neiges et tous les phénomènes qui dépendent du refroidissement de l'atmosphère, comme ceux qui naissent de la collision et du frottement des nuées, savoir : les éclairs et les tonnerres, ne doivent peut-être pas être attribués à la Providence, mais seulement les pluies et les vents, causes de la vie, de l'alimentation et de l'accroissement de tout ce qui est et végète sur la terre, dont les autres phénomènes ne sont que les accessoires. On peut comparer à ces choses, ce qui a lieu dans les gymnases, lorsque le gymnasiarque poussé par ambition à des dépenses exagérées, remplace l'eau par l'huile dans les lotions. Si quelques athlètes grossiers et sans usage en font tomber des gouttes à terre, cette huile combinée avec la poussière du sol, le rend extrêmement glissant, et cependant nul homme de bon sens ne dira que cette boue glissante soit due à la prévoyance du gymnasiarque. C'est la conséquence de la largesse avec laquelle il pourvoit aux dépenses de son établissement. L'iris et l'halo, aussi bien que les météores pareils, ne sont que l'effet du jeu des rayons qui se mêlent dans les nuages, ce ne sont pas des oeuvres à priori de la nature, mais seulement les accidents des mouvements célestes : et cependant les hommes doués de sagacité, savent en tirer des secours nécessaires : car en observant les signes de ces jeux de la nature, ils prédisent le calme ou le vent, le beau temps ou la tempête. Ne voyez-vous pas les portiques dans les villes? la plupart d'entre eux sont tournés à l'exposition du midi, dans l'intention de réchauffer ceux qui s'y promènent en hiver, et de les rafraîchir par le vent, pendant l'été. On en tire néanmoins une autre utilité à laquelle n'avait sûrement pas pensé celui qui a conçu la première idée de leur construction. Quelle est-elle? c'est de contracter l'habitude de marquer la division des heures par l'ombre portée à nos pieds. «Le feu est sûrement la production la plus importante de la nature ; il a un accessoire qui est la fumée : eh bien, cet accessoire a encore quelque avantage dans certaines circonstances. Dans les signaux par le feu qui ont lieu le jour, lorsque le feu est éclipsé par l'éclat des rayons solaires, l'approche des ennemis n'est indiquée que par la fumée. « Le raisonnement dont nous avons fait usage pour l'arc-en-ciel, peut s'étendre aux éclipses: les éclipses sont les suites naturelles des substances divines du soleil et de la lune ; elles servent encore de pronostics de la mort des rois, de la destruction des villes, suivant l'indication de Pindare à l'occasion d'une éclipse survenue de son temps. D'après ce qui a été dit plus haut, le cercle dit Galaxie ou voie lactée partage la substance des autres astres, malgré la difficulté qu'on éprouve à en découvrir la cause. Que ceux donc qui consacrent leur veillée à la recherche des lois de la nature, ne se livrent pas au découragement : les découvertes en ce genre sont de la plus grande utilité, comme la recherche qu'on en fait, répand un charme inexprimable sur la vie des hommes studieux. Comme le soleil et la lune, tout ce qui remplit l'immensité des cieux est dû à la Providence, encore que, par l'impossibilité où nous sommes réduits d'en tracer les natures et les propriétés distinctives, nous devions souvent garder le silence; les tremblements, les pestes, les dégâts de la foudre, et tout ce qui est du même genre, passent pour être envoyés de Dieu : dans la vérité, il n'en est rien, Dieu n'est la cause d'aucun mal quel qu'il puisse être. Ce sont les conversions des corps célestes qui amènent ces désordres, non par un acte immédiat et à priori de la nature, mais par l'enchaînement nécessaire des effets aux causes qui les produisent. Si quelques hommes vertueux atteinte de ces fléaux en éprouvent des dommages, on ne doit pas s'en prendre à la Providence. Premièrement ce n'est pas une raison suffisante, parce que certains hommes jouissent d'une réputation de vertu, pour croire qu'ils sont véritablement tels, attendu que les jugements de Dieu sont bien plus infaillibles que tous les jugements humains: secondement cette prévoyance en Dieu aime à considérer les parties essentielles de l'univers. C'est ainsi que dans le gouvernement des empires, et dans le commandement des armées, toute l'attention est fixée sur les villes et les corps d'armées, et ne va pas se porter sur quelques êtres négligés et obscurs. Ne dit-on pas que lorsqu'on fait périr des tyrans, il est légal d'envelopper dans leur condamnation tous ceux qui leur tiennent par les liens du sang, afin de refréner le penchant à l'usurpation, par la grandeur du supplice ? De même, dans les maladies contagieuses, beaucoup de victimes innocentes ne succombent que pour servir d'exemples en rappelant les autres à la résipiscence. Sans compter qu'il y a nécessité que la contagion atteigne tous ceux qui sont sous l'influence d'un air empesté; A la manière dont la tempête expose à un égal danger tous ceux qui naviguent sur le même vaisseau. » « Cependant il existe des bêtes redoutables par leur force; (car on ne doit rien laisser sans réponse, encore que, dans la pensée de faire briller votre talent oratoire, vous ayez d'avance prévu et combattu notre réponse). Eh bien, oui, c'est pour nous entretenir dans l'exercice des combats où la guerre appelle les citoyens, que ces animaux ont reçu l'existence. Les exercices du gymnase et les chasses habituelles donnent aux corps une souplesse et une vigueur salutaires, et, avant les corps, les âmes y contractent l'habitude de cette énergie persévérante, qui fait échouer les attaques subites des ennemis. D'ailleurs, pour les hommes pacifiques, non seulement les murailles les préservent des incursions des animaux sauvages, mais même les tribus nomades trouvent à vivre en paix dans leurs tentes, an milieu des troupeaux apprivoisés qui font leur richesse, sans craindre les surprises; par la raison que les sangliers, les lions et toutes les espèces semblables, par un instinct naturel s'éloignent le plus qu'ils peuvent des villes: heureux et satisfaits quand ils échappent aux pièges que leur tendent les hommes. Si quelques voyageurs négligents, sans armes et sans les précautions nécessaires, se présentent audacieusement dans les repaires de ces bêtes, ils auraient tort d'accuser la nature de leur infortune, dont eux seuls sont cause par leur imprévoyance, lorsqu'ils pouvaient se prémunir contre ce danger. N'a-t-on pas déjà vu, dans les hippodromes, des hommes poussés par la déraison, s'élancer au milieu de l'arène, lorsqu'ils pouvaient, restant assis à leur place, voir tranquillement le spectacle; au lieu de quoi, se précipitant au milieu des combattants et renversés par l'entraînement rapide des chars, ils ont été foulés aux pieds des chevaux et écrasés sous les roues, ils ont reçu le prix de leur démence. En voilà assez de dit sur ce sujet. « Les reptiles venimeux ne sont point une création de la Providence, ce ne sont que des productions subséquentes, comme nous l'avons déjà dit. Ils se procréent lorsque l'humidité, répandue sur le sol, se convertit en sécheresse; il en est qui sont engendrés par la putréfaction ; d'autres, comme les vers lombricaux, par les digestions ; comme les poux, par la transpiration de la peau. On ne doit attribuer proprement à la Providence que ce qui est doué d'une nature distincte et qui tire son origine de germes préexistants. Il y a encore, à l'égard de ces reptiles, deux explications qui m'ont été suggérées et que je ne passerai pas sous silence ; lesquelles tendent à prouver que les reptiles existent pour l'avantage des humains. Voici comment la première est donnée. Un grand nombre de préparations pharmaceutiques, dit-on, ne pourraient se faire sans le concours des reptiles; ceux qui font profession de cet art et qui savent habilement en faire usage, leur sont redevables d'alexipharmaques puissants, qui, dans les cas désespérés, procurent des guérisons inattendues ; et même jusqu'à ce jour on voit les médecins zélés et soigneux, faire un emploi habituel de ces médicaments, dans la composition de leurs ordonnances. La seconde explication n'est pas empruntée à la médecine, elle est purement philosophique, comme on va le voir ; elle tend à déclarer que ces animaux ont été créés par Dieu pour le châtiment des pécheurs, comme les fouets et le fer servent aux généraux d'armée et aux magistrats. Paisibles dans le reste du temps, ils s'irritent contre les coupables pour les combattre lorsque la nature, dans son tribunal incorruptible, a prononcé leur sentence de mort. Quant à soutenir qu'ils adoptent par préférence nos demeures pour leurs repaires, c'est une fausseté ; c'est hors des villes, dans les champs et dans les lieux inhabités qu'on les découvre, fuyant l'homme comme un maître. Néanmoins, si cela était vrai, on en trouverait encore une cause. C'est dans les coins qu'on balaie les ordures et toute espèce d'immondices ; or, ces reptiles aiment à s'y rouler, indépendamment de ce que la fumée a une vertu qui les attire. « Si l'on dit que les hirondelles habitent au milieu de nous, cela n'a rien d'étonnant; c'est parce que nous nous abstenons de les chasser. Le désir de se conserver est imprimé dans toutes les âmes, non seulement celles qui sont raisonnables, mais même les irraisonnables. Aucun des animaux dont nous usons comme aliments, ne s'associe à nous à cause des pièges que nous leur tendons, excepté chez les peuples dont la loi leur en interdit l'usage. « Il y a sur le bord de la mer, une ville de Syrie, nommée Ascalon, que j'ai traversée dans le temps où je me rendais au temple national, pour y offrir à Dieu mes prières et mon sacrifice : j'y vis une quantité innombrable de tourterelles qui remplissaient les carrefours et même les maisons particulières, je m'enquis de la cause de cette circonstance : on me répondit qu'il n'était pas permis de les prendre; car l'usage, comme nourriture, en est interdit aux habitants, depuis un temps immémorial. Cela a apprivoisé cet animal, à un point tel, que non seulement il pénètre dans l'intérieur des maisons, mais se place à la table du banquet et pousse jusqu'à l'effronterie l'abus de cette trêve. « On peut voir en Égypte une chose plus merveilleuse encore. Le crocodile anthropophage est plus cruel qu'aucune bête qui se procrée et se nourrit dans l'onde sacrée du Nil; bien qu'il soit presque toujours au fond de l'eau, il a cependant le sentiment des services qu'on lui rend. Dans le pays où il jouit des honneurs divins, il multiplie à l'excès, dans ceux où on lui fait la guerre, c'est à peine si on le voit paraître. En sorte que, dans une portion du fleuve, les nageurs les plus hardis n'osent pas même tremper l'extrémité du doigt dans le fleuve, tant on les y voit les suivre en bandes : dans les autres, au contraire, les nageurs les plus timides se font un jeu de les affronter. Dans le pays des Cyclopes, (qui ne sont qu'une fiction mythologique,) la terre ne produit pas les fruits nutritifs sans la semaille et la culture des hommes, par la raison que rien ne vient de rien ; mais la couche de terre fertile y est beaucoup plus profonde que celle de la Grèce, qui ne présente qu'un sol maigre et stérile. Mais si la terre barbare l'emporte par la beauté des récoltes et l'abondance des troupeaux qui s'y engraissent, elle est dans un rang bien inférieur, sous le rapport des hommes qui y sont nourris par des produits si admirables. La Grèce est le seul pays qui élève des hommes véritables, plante céleste, fleur divine, soignée par Dieu, chez qui la raison a pris naissance, et où la science a établi sa demeure. En voici la cause. L'intelligence est aiguisée par la légèreté de l'air; ce qui a fait dire, non sans vérité, à Héraclite, qu'où la terre est aride, l'âme est plus sage et meilleure. On peut en donner un signe irrécusable, par les hommes qui pratiquent une vie d'abstinence et ont peu de besoins; ils possèdent un esprit beaucoup plus pénétrant, tandis que les hommes gorgés de boissons et de nourriture ne sont nullement spirituels. C'est que leur intelligence est noyée dans cet excès de comestibles. Voilà ce qui fait que nous voyons dans les régions barbares, des plantes et des arbres remarquables par leur grandeur et leur grosseur; les animaux dépourvus de raison y sont aussi de la plus belle nature, mais de l'esprit, on n'en trouve chez aucun de ses habitants, ou chez un ou deux, parce qu'il s'élève, de la terre et des eaux, des vapeurs qui réagissent les unes sur les autres, et se coagulant pèsent sur les indigènes. « On ne peut certes pas accuser la nature de la variété infinie de poissons, d'oiseaux et de quadrupèdes qu'elle a réunis pour flatter notre palais ; mais c'est un vaste sujet de reproches à faire à notre intempérance. Cette multitude était nécessaire pour le complément de la création et pour que le monde fut parfait dans toutes ses parties, pour qu'il y eût des espèces de tous les animaux. Mais il n'était pas nécessaire que l'être le plus prochainement allié à la sagesse, l'homme se changeât, quant à sa voracité, en une bête sauvage, pour se livrer à la poursuite de tous ces animaux, afin de s'en repaître. Aussi ceux qui jusqu'à ce jour font un cas véritable de la tempérance, s'abstiennent sans exception de la chair de tous les animaux; ne connaissant pas d'autres raffinements à leur frugale nourriture que les herbages terrestres et les fruits des arbres. Quant à ceux qui se permettent de surcharger leurs tables de toutes les viandes que nous avons dites, on a dû leur constituer dans les villes, des docteurs, des censeurs, des législateurs qui ont le devoir de modérer leurs désirs sans bornes, en ne permettant pas à tous un usage immodéré de toutes choses. Si la rose, le safran et la variété infinie des fleurs a été créée, c'est pour notre santé et non pas pour notre volupté. C'est parce que leurs propriétés sont en grand nombre : par leur seule odeur elles nous soulagent, remplissent l'air de leurs parfums; mais elles sont bien plus utiles encore par les compositions pharmaceutiques. Il en est qui, par l'effet seul de leur mélange, doublent l'efficacité de leurs vertus. C'est ainsi que, dans la génération des animaux, l'union du mâle et de la femelle les met en état de produire ce que chacun d'eux pris isolément n'aurait pu effectuer, « Telles sont les réponses que j'ai considérées comme nécessaires à opposer aux différents doutes mis par vous en avant; je crois qu'elles suffisent pour opérer une foi véritable dans les hommes qui n'ont pas un esprit de chicane, de manière à les convaincre que Dieu prend soin des affaires humaines. » J'ai pris cet extrait de l'auteur que j'ai cité pour montrer quels ont été les enfants des Hébreux, même vers ces derniers temps, et en même temps pour donner une idée de leurs sentiments de piété envers Dieu et de l'accord de leur doctrine avec celle de leurs ancêtres. Il est temps maintenant de passer à l'exposition des témoignages pris en dehors de leur nation.