[1,0] EUSÈBE - DÉMONSTRATION ÉVANGÉLIQUE. LIVRE I - INTRODUCTION. Voici, ô Théodote, honneur de l'épiscopat, homme de Dieu uniquement consacré à son service, qu'après avoir terminé avec l'aide de Dieu et celle de son Verbe Notre-Seigneur, la première préparation à la connaissance de l'Évangile, dans un écrit renfermé en quinze livres, je marche à la conclusion de mon plan par celui que je vous offre: veuillez accueillir, ô tête chérie, ainsi que la demande que je vous adresse, de concourir à l'achèvement de mon travail par le secours de vos prières. Désormais je me propose d'appuyer la démonstration de l'Évangile sur les prophéties contenues depuis les temps les plus reculés dans les livres saints des Hébreux. Comment et d'après quelle méthode? Le voici : vous connaissez ces hommes chéris de Dieu, célèbres dans tout l'univers, Moïse et les interprètes de la volonté divine, qui ont brillé après lui, les prophètes et les hiérophantes. Ce sont là les témoins dont je veux faire usage pour démontrer la relation de leurs prédictions avec ce qui est venu en lumière bien des siècles après elles, prédictions vérifiées par la première prédication de l'Évangile de notre Sauveur, puis parce que nous voyons chaque jour s'accomplir sous nos yeux, et dont l'Esprit divin nous a annoncé l'avènement, en sorte qu'on peut dire que ce qui n'était pas arrivé, l'était cependant pour nous; que ce qui n'avait jamais eu de germe d'existence, existait déjà à nos regards. Ce n'est pas tout encore: nous sommes instruits à l'avance par ces mêmes Écritures des faits qui doivent se produire dans l'avenir, de manière à les connaître en partie, et en sondant les temps futurs, à signaler les éventualités que l'accomplissement des premiers oracles nous donne lieu d'attendre chaque jour. Quels sont ces faits? ils sont infinis en variété comme en nombre, embrassant l'universalité de la race humaine, se distribuant sur chacun des membres qui la composent: ils sont donc généraux et particuliers. Cependant pour nous restreindre aux Hébreux et à leur histoire dans son rapprochement avec les nations du dehors, combien ne voyons-nous pas annoncées d'avance de destructions de villes, de variations dans les temps, de révolutions dans les états, de prospérités réalisées, d'adversités infligées, de peuples asservis, de sièges de villes, de dynasties détrônées puis rétablies, enfin mille choses qui ne trouveront leur place que dans la longue suite des siècles à venir? Toutefois celui auquel nous vivons, ne réclame pas la preuve de tout cet ensemble de faits ; renvoyant aux temps qui suivront, l'examen de ceux qui les concernent, nous constaterons par ce qui nous est connu, la vérité des prophéties, gage de la certitude de ce que nous passons sous silence. [1,1a] CHAPITRE PREMIER. Quel est le but et l'objet de cet ouvrage. Il est à propos de dire d'abord en quoi, dans l'état présent des choses, les prophéties nous paraissent devoir contribuer utilement à la démonstration de l'Évangile. Elles ont proclamé que le Christ (en lui donnant ce nom), que le Verbe de Dieu, Dieu et Seigneur lui-même, qu'un ange du grand conseil viendrait un jour habiter parmi les hommes, qu'il serait le docteur de toutes les nations répandues sur tout l'univers, tant grecques que barbares, pour les initier à la connaissance du vrai Dieu, et leur enseigner un mode d'adoration digne du créateur de toutes choses: tel a été reflet de la prédication de l'Évangile. Elles ont annoncé qu'il serait enfant, qu'on l'appellerait Fils de l'Homme. Elles ont dit quelle serait la famille dont il sortirait ; la manière inusitée de sa conception au sein d'une vierge. Elles n'ont pas même omis le lieu de sa naissance, en nommant Bethléem, célèbre jusqu'aux confins de la terre par la foule des fidèles qui pour la plupart viennent le visiter : elles ont indiqué exactement le temps de son apparition, et cela s'est réalisé. En sorte qu'on peut dire des prophètes que ce sont des historiens divins qui ont devancé l'histoire. Il vous sera facile en parcourant cet écrit de voir par vos propres yeux que les relations des saints évangélistes étaient déjà rapportées dans les livres des prophètes savoir : les miracles opérés par Jésus-Christ, ses enseignements sur le dogme, sur la morale et sur l'ensemble qui constitue la piété. Mais quoi ! quand on y voit hautement annoncé qu'un nouveau rite religieux serait proposé à tous les hommes, a-t-on raison de s'étonner de la vocation des disciples de Jésus-Christ et de la prédication d'un nouveau Testament? Après tout ce que nous venons de citer, nous trouvons encore retracée l'incrédulité des Juifs à son égard, et leurs disputes avec lui, les agressions des magistrats, les sentiments envieux des docteurs, la trahison d'un des disciples, les calomnies répandues sur lui par ses adversaires, les accusations des délateurs, les condamnations des juges, les outrages les plus indignes, des flagellations sans motif, des invectives atroces, suivies de la mort la plus infâme ; et de sa part un silence admirable, une douceur, une patience, et une résignation sans bornes. Tous ces faits s'appliquant à un même personnage, signalé ne devant venir que dans les derniers siècles, appelé à subir de la part des hommes les mauvais traitements qu'il a endurés, ont été révélés longtemps à l'avance de la manière la plus claire par les plus anciens oracles des Hébreux. Ils ont en outre rendu témoignage qu'après sa mort il ressusciterait, qu'il se montrerait à ses disciples, qu'il leur communiquerait l'esprit divin, qu'il remonterait au ciel pour partager le trône royal où son père est assis, et qu'à la fin des siècles, il ferait une seconde et glorieuse apparition. A la suite de toutes ces choses, vous entendrez les gémissements et les soupirs de chacun des prophètes qui déplorent de différentes manières tous les maux qui doivent fondre sur la nation des Juifs, à cause des impiétés commises par celui dont la venue leur était prédite, le renversement complet du royaume national qui leur avait été transmis par leurs ancêtres, et qui devait durer jusqu'à cette même époque, se maintenir jusqu'après l'attentat sur la personne du Christ, l'abolition de leurs lois héréditaires, la cessation de leur ancien culte, la perte de l'indépendance qu'ils tenaient de leurs pères ; celle de la liberté, en devenant esclaves de leurs ennemis; leur métropole royale livrée aux flammes ; leur temple si vénérable et si pur, réduit en cendres ; un sombre désert remplaçant leur antique population ; leur ville occupée par des nations étrangères; leur dispersion chez tous les peuples de l'univers, sans l'espoir de voir un terme ou une relâche à toutes des infortunes. Ce faisceau de preuves frapperait même les yeux d'un aveugle suivant les proverbes : les événements répandent la lumière sur ces prédictions depuis le premier jour, où, levant une main sacrilège sur le Christ, ce peuple a appelé sur lui le principe de tous les malheurs. [1,1b] Il ne convenait pas cependant à ces hommes inspirés de ne peindre dans leurs prophéties que des tableaux affligeants et de n'étendre leurs science de l'avenir que sur un horizon de deuil; il leur ont fait succéder des images plus riantes, lorsqu'ils ont proclamé l'annonce de biens promis en commun à tous les hommes par suite de l'avènement du Christ, comme compensation de la réprobation d'un seul peuple. Ils ont fait retentir les promesses faites à toute nation, à toute la race humaine d'acquérir, en recevant l'Évangile, la connaissance du vrai Dieu, la délivrance de l'empire des démons, la cessation de l'ignorance et de l'erreur, l'éclat de lumière de la vraie piété ; ils ont fait connaître comment les disciples du Christ rempliront l'univers de sa doctrine ; comment l'Évangile, qui contient un mode nouveau et entièrement à part du culte religieux, sera prêché à tous les hommes ; comment les églises chrétiennes seront fondées par eux chez toutes les nations et comment le peuple chrétien, tirant son nom d'un seul maître, occupera l'univers ; comment les attaques des souverains et des rois contre l'Église du Christ ne pourront l'anéantir, parce qu'elle tire sa force de Dieu lui-même. En entendant les théologiens hébreux proclamer à haute voix leurs oracles, en voyant les événements confirmer toutes ces prophéties, qui pourrait ne pas reconnaître avec admiration qu'ils étaient investis d'une mission divine? Oui pourrait méconnaître le caractère de vérité empreint dans leurs enseignements et dans les dogmes qui réunissent la théologie à la philosophie? Cette démonstration n'a pas besoin des prestiges de l'éloquence, de la profondeur des pensées, de la subtilité capiteuse des syllogismes ; elle est toute dans un enseignement simple, dépouillé d'artifice, dont la sincérité et la véracité pures s'appuient sur la vertu de ces hommes divins et sur leur science profonde de la divinité. Or, des hommes qui, avant des temps de la plus haute antiquité, ont pu voir et parler de faits qui ne viendraient au jour qu'après bien siècles, n'ont pu tenir cette connaissance de l'esprit humain, mais de celui de Dieu. Et comment ne méritent-ils pas d'être crus dans les dogmes qu'ils ont enseignés à ceux qui les approchaient? [1,1c] Si donc je ne m'abuse dans ma manière de voir, je pense que quiconque est convaincu sincèrement que notre Sauveur et Seigneur Jésus est véritablement le Christ de Dieu, doit se persuader d'abord qu'on ne peut pas raisonnablement admettre cette vérité, sans la rattacher aux témoignages inscrits dans les prophéties à son égard ; et il doit s'efforcer de communiquer cette persuasion à tous ceux qui conféreront avec lui. Néanmoins ce n'est pas légèrement et sans le secours des démonstrations qu'une semblable entreprise peut être conduite à son terme. C'est pourquoi abordant ce travail d'après l'engagement formel que j'ai pris, avec l'aide de Dieu, ce compléter entièrement l'oeuvre de la démonstration évangélique, je me vois forcé à essayer de constater qu'elle repose sur ces mêmes théologiens de l'hébraïsme : et qu'on ne dise pas, comme quelques personnes pourraient être tentées de le faire, que ce traité a pour objet d'attaquer les Juifs; il s'en faut de beaucoup: il est bien plutôt écrit en leur faveur, s'ils pouvaient venir à résipiscence. D'une part il établit le christianisme sur le témoignage prophétique des temps antérieurs, de l'autre il plaide la cause des Juifs en montrant l'accomplissement sans réserve de tout ce que leurs prophètes ont annoncé. [1,1d] Les enfants des Grecs eux-mêmes pourraient en tirer avantage, si leur esprit s'éclairait ; car par la coïncidence de cette merveilleuse prescience de l'avenir et de l'accomplissement, suivant les prophéties, des faits prédits, ne montrons-nous pas la divinité, l'évidence, la vérité de notre foi ? et, par cette démonstration plus logique qu'aucune autre, ne fermons-nous pas la bouche à nos calomniateurs, qui ne cessent de nous objecter jusqu'à satiété, dans les diatribes que ces vils sycophantes vomissent chaque jour contre nous, que nous ne pouvons rien prouver par des démonstrations exactes, et que nous exigeons de nos néophytes qu'ils se bornent à une foi aveugle? Or, cet ouvrage lui-même ne sera pas sans force pour rétorquer cette fausse imputation, de même qu'il réfutera les blasphèmes et les opinions erronées des hérétiques ennemis de Dieu (les Manichéens) contre les prophètes, en montrant l'accord de l'ancienne et de la nouvelle loi, tout en laissant le soin d'expliquer les expressions de ces prophètes par de vastes et savants commentaires à ceux qui, voulant entreprendre cette tâche, seront capables de l'amener à bien. Pour nous, nous mettrons à profit la leçon de cet auteur inspiré (Jésus, fils de Sirach, XXXII, 9) qui nous recommande de rassembler beaucoup de pensées dans peu de paroles. Voilà le modèle que nous nous sommes proposé de suivre, n'alléguant de textes qu'autant qu'ils intéressent le sujet de cet écrit, et ne les interprétant, pour les rendre clairs, qu'autant que la matière nous en fera une loi. Mais voilà assez d'introduction. Je vais commencer enfin à démontrer ce que j'avance, puisque la tourbe des accusateurs qui nous obsède, dit que nous ne pouvons administrer aucune preuve évidente de vérité par le moyen des démonstrations, et que nous ne permettons à ceux qui viennent nous trouver d'admettre d'autre motif de crédibilité que la foi ; que nous ne leur persuadons rien de plus que de nous suivre bouche close, sans examen aucun, mais avec une détermination stupide, à la manière des brutes, dans tout ce que nous leur disons. Voilà, disent-ils, pourquoi les chrétiens se donnent le nom de fidèles (g-pistoi), c'est qu'ils n'ont qu'une foi (g-pistis) sans raison. Déjà dans la préparation à cet ouvrage nous avons divisé, comme il était convenable de le faire, les accusations dirigées contre nous, nous avons placé en tête celle des nations adonnées à l'idolâtrie, qui nous reprochent d'être déserteurs des dieux de la patrie, et qui soutiennent que c'est une énormité de notre part d'avoir donné la préférence aux doctrines des Barbares sur celles des Grecs, en ce que nous adoptons les oracles des Hébreux. La seconde est celle des Hébreux eux-mêmes, qui se croient fondés dans la plainte qu'ils nous adressent de faire usage de leurs Ecritures, sans nous conformer à leur genre de vie. Les choses ayant été distinguées de la sorte, nous avons répondu de notre mieux à la première accusation dans la préparation évangélique, en avouant qu'en effet nous sommes originaires grecs, ou que, si nous sommes sortis des nations étrangères, nous avons pris les sentiments et les opinions de la Grèce. Nous ne nierons pas non plus que nous sommes issus de parents asservis à l'erreur du polythéisme. Ce n'est pas cependant par une impulsion irréfléchie et dépourvue d'examen, que nous avons changé, mais par un jugement sain et un raisonnement approfondi, qui nous ont fait admettre comme judicieuse et parfaitement convenable l'étude à faire des prophéties des Hébreux. Il est maintenant à propos de nous prémunir contre la seconde agression, et de compléter ainsi ce qui pouvait manquer à notre ouvrage : je veux dire celle des disciples de la circoncision, que nous n'avons pas encore examinée: c'est dans les livres de la démonstration évangélique en effet que se trouve la vraie place de ce complément. Permettez donc qu'après avoir invoqué le Dieu commun des Juifs et des païens, par l'entremise de notre Sauveur, nous discutions d'abord cette question : Quel est le mode de culte religieux en honneur parmi nous ? Nous y entremêlerons les solutions à toutes les objections qui nous sont opposées. [1,2a] CHAPITRE II. Quel est le genre de culte introduit dans le christianisme. J'ai déjà dit précédemment dans la préparation que le christianisme n'est ni l'hellénisme ni le judaïsme ; qu'il porte en soi un caractère particulier d'adoration, lequel n'est ni nouveau ni déplacé, mais le plus ancien de tous sans contredit, habituel et familier aux hommes aimés de Dieu pour leur piété et leur justice, qui ont vécu avant Moïse. Mais avant tout, examinons ce qu'est le judaïsme et l'hellénisme, pour nous efforcer de découvrir auquel des deux les hommes chers à Dieu, qui ont vécu avant Moïse, inclinaient le plus. Le judaïsme peut être justement défini la constitution politique instituée par la loi mosaïque et se rattachant à la croyance en un seul Dieu de l'univers. L'hellénisme, pour le signaler en un mot, est la superstition qui admet la pluralité des dieux, d'après les traditions répandues chez toutes les nations. Que nous restera-t-il à dire de ces hommes chéris de Dieu qui ont précédé Moïse et le judaïsme, et dont ce prophète nous a conservé le souvenir, tels qu'Enoch auquel il rend témoignage en disant : Enoch plut au Seigneur ; Noé, dont il dit encore : Noé était un homme juste dans sa génération ; Seth et Japhet, dont il a écrit : Béni soit le Seigneur Dieu de Seth et que Dieu étende ses faveurs jusqu'à Japhet; puis, après tous ceux-ci, Abraham, Isaac et Jacob, auxquels on peut raisonnablement adjoindre Job et plusieurs autres qui ont imité leur manière de vivre ? Dirons-nous qu'ils aient été Juifs ou païens ? Juifs? on ne pourrait pas convenablement leur donner ce nom, Moïse n'ayant pas encore introduit sa législation dans le monde ; si en effet le judaïsme n'est rien autre que le culte fondé par Moïse, Moïse n'ayant paru sur la terre que dans des temps bien postérieurs à ceux dont nous parlons, il est clair qu'il ne saurait y avoir avant son temps des Juifs qui se soient signalés par leur piété. Cependant il ne convient pas non plus de les ranger parmi les païens puisqu'ils n'étaient pas subjugués par la superstition du polythéisme. En effet Abraham, dit-on, quitta irrévocablement la maison paternelle et toute sa parenté pour s'attacher à Dieu seul, auquel il rend hommage en disant : J'étendrai ma main vers le Dieu tres-haut qui a créé le ciel et la terre. Jacob est rapporté par Moïse pour avoir dit à sa famille et à tout ce qui lui appartenait: Otez du milieu de vous les dieux étrangers, et levons-nous pour monter à Bethel, et y faire un sacrifice au Seigneur qui m'a exaucé au jour de mon affliction, qui était avec moi et m'a sauvé dans la voie où je marchais ; et ils donnèrent à Jacob leurs dieux étrangers qui étaient dans leurs mains, et les boucles qui pendaient à leurs oreilles, et Jacob les cacha sous le thérébinthe du pays de Sichem et les anéantit jusqu'à ce jour. Si les hommes qui nous sont signalés comme amis de Dieu furent étrangers à l'erreur des idolâtres, si nous les avons montrés en dehors du judaïsme, ils n'étaient donc ni païens, ni Juifs; ils étaient justes et pieux, aussi bien que tous les autres qui les imitèrent. Il nous reste maintenant à comprendre quel était le rite religieux suivant lequel il est raisonnable de croire qu'ils se sont sanctifiés. Examinons donc si ce troisième corps de croyants (g-Tagma) que nous avons démontré comme placé entre le judaïsme et l'hellénisme, qui est le plus ancien et le plus vénérable de tous, n'est pas précisément celui qui a été prêché dans ces derniers temps à toutes les nations par Notre-Seigneur ? Et si cela est, le christianisme ne serait donc ni le judaïsme ni l'hellénisme, mais cette organisation religieuse qui se trouve entre eux deux, qui a précédé toutes les autres ; ce serait une philosophie primitive, mais qui n'est devenue une loi pour tous les hommes répandus dans l'univers entier que dans ces derniers temps; de manière qu'en quittant l'hellénisme on ne doive pas nécessairement tomber dans le judaïsme, mais dans le christianisme; de même que celui qui se séparera volontairement du culte judaïque ne sera pas forcé aussitôt de devenir païen. L'homme qui s'isolera à la fois de chacun des troupeaux juif et païen viendra à cette loi et à cette règle de conduite intermédiaire adoptées jadis par les justes que Dieu a chéris, et que notre Sauveur et Seigneur a renouvelées après une longue interruption, d'accord avec les prédictions de Moïse et des autres prophètes à ce sujet. En effet, dans les oracles qui se rapportent à Abraham, Moïse, dans son style prophétique, dit que dans les temps postérieurs, ce ne seront plus les descendants d'Abraham, ce ne seront plus les Juifs d'origine, mais que ce seront toutes les tribus de la terre et toutes les nations qui seront admises à la participation de bénédictions pareilles à celles que Dieu a accordées à la piété. Voici en quels termes il l'écrit (Genèse, XII, 1) : « Le Seigneur dit à Abraham, sortez de votre terre et de votre parenté ; de la maison de votre père, et allez dans la terre que je vous montrerai ; je ferai sortir de vous une grande nation ; je vous bénirai ; je rendrai glorieux votre nom ; vous serez béni ; et je bénirai ceux qui vous béniront; je maudirai ceux qui vous maudiront ; et en vous seront bénies toutes les tribus de la terre. » Puis Dieu dit (Ibid., XVIII, 17) ; «Cacherai-je à Abraham mon fils ce que j'aurai fait? d'Abraham sortira une grande et populeuse nation, et en lui seront bénies toutes les nations de la terre. [1,2b] Comment toutes les nations et toutes les tribus de la terre devaient-elles être bénies en Abraham, si elles ne lui appartenaient d'aucune manière ni par l'âme ni par le corps ? Quant aux relations charnelles, quelle consanguinité existait entre Abraham et les Scythes, les Egyptiens, les Ethiopiens, les Indiens, les Bretons et les Espagnols ? Comment toutes ces nations et celles encore plus éloignées d'Abraham, devaient-elles être bénies à cause de leur parenté avec lui? Sous le rapport de l'âme, il n'existait non plus aucune cause d'intimité entre ces peuples et le patriarche. Comment aurait-elle pu se concilier avec leurs mariages incestueux des mères avec les fils, des pères avec les filles, avec ces rapprochements immoraux des mêmes sexes, avec les sacrifices humains, avec les apothéoses d'animaux irraisonnables, avec les consécrations de statues inanimées, avec le culte superstitieux des esprits malfaisants et guides d'erreur? Elles considéraient comme des actions louables et pieuses de brûler vivants les vieillards, de livrer au bûcher les tendres fruits de leurs unions. Comment des êtres adonnés à des mœurs aussi féroces auraient-ils été avancés au point d'entrer en partage de bénédictions avec cet homme chéri de Dieu, sinon parce qu'en renonçant à ces habitudes d'atrocité, ils devaient adopter en leur place un jour un genre de vie pieux en harmonie avec celui d'Abraham? En effet, lui-même était étranger de naissance et d'habitudes à la piété dans laquelle plus tard il a vécu : il dut, pour l'acquérir, renoncer à la superstition paternelle, abandonner sa maison, sa parenté, les façons de penser et d'agir qu'il tenait de ses auteurs, le genre de vie dans lequel il était né et avait été élevé, pour suivre Dieu qui lui rendait les oracles que nous lisons à son sujet. Si Moïse, qui n'est venu au monde qu'après Abraham, qui est l'auteur de la constitution politique qu'il a donnée aux Juifs en vertu de ses lois, en eût fait de telles qu'elles eussent rendu plus parfaits les hommes chers à Dieu, qui l'avaient précédé ; telles qu'elles eussent pu convenir à toutes les nations, en sorte que toutes ces nations, en se conformant aux lois de Moïse, eussent pratiqué la piété envers Dieu, aurait-on pu dire que les hommes de toute nation qui, en se conformant aux lois de Moïse et en suivant les rites judaïques, remplissaient déjà toutes les règles les plus accomplies de la piété, aussi bien que ceux qui naîtraient d'eux et qui les imiteraient, seraient cependant bénis de la bénédiction réservée à Abraham par les divins oracles? Il nous eût suffi d'exécuter à la lettre tout ce que Moïse avait ordonné. Mais comme il est constant que la forme du gouvernement de Moïse n'était pas applicable à toutes les autres nations, mais seulement aux Juifs et non pas à tous, mais à ceux-là seuls qui habitaient en Judée, il était donc nécessaire d'établir en dehors des lois de Moïse une autre règle de conduite telle que celle d'Abraham, à laquelle toutes les nations de la terre se conformant, elles deviendraient dignes de participer à la bénédiction qui lui avait été donnée. [1,3a] CHAPITRE III En vous appliquant aux raisonnements suivants, vous comprendrez avec évidence que les institutions de Moïse ne pouvaient, comme je l'ai dit, être convenables qu'aux Juifs et non pas à tous, c'est-à-dire que n'étant praticables par aucun de ceux qui vivaient dans la dispersion, elles n'étaient faites que pour les Juifs habitants de la Judée. Moïse dit quelque part, dans ses lois (Exode, XXIII,17); «Trois fois dans l'année chaque individu mâle se présentera devant le Seigneur votre Dieu.» Il détermine avec plus de précision le lieu de cette présentation où tous les hommes doivent trois fois l'an se réunir, en disant (Id., XXIV, 23 ; Deut., XVI, 16) : « A trois époques de l'année tout sujet mâle se présentera devant le Seigneur votre Dieu, dans le lieu que le Seigneur se sera choisi.» Vous voyez donc que ce n'est pas en toute ville ni dans un lieu quelconque qu'il prescrit de se présenter; mais dans le lieu que le Seigneur votre Dieu se sera choisi. Il règle par la loi l'obligation de se réunir à trois époques de l'année, et il désigne les époques où ce rassemblement devait se faire, dans le lieu où Dieu avait ordonné qu'on l'adorât : l'une est Pâque. La seconde, cinquante jours plus tard, à la fête nommée Pentecôte. La troisième enfin avait lieu le septième mois après la pâque au jour du pardon, auquel même encore aujourd'hui les Juifs s'imposent le jeûne; il prononce des imprécations contre ceux qui transgresseront cette loi (Deut., XXVII, 20). Ainsi donc ceux qui trois fois dans l'année devaient se rendre à Jérusalem pour y accomplir les exigences de la loi, ne pouvaient pas résider loin de la Judée, mais dans le voisinage de ses confins. Si par conséquent il était impossible aux Juifs habitant les contrées éloignées de la Palestine de remplir ce devoir imposé par la loi, ne doit-on pas dire à bien plus forte raison qu'il ne saurait s'étendre à toutes les nations jusqu'aux dernières limites de la terre? Écoutez de quelle manière le même législateur commande à la femme, après l'accouchement, de se présenter et d'offrir des sacrifices au Seigneur. Voici ses paroles (Lévitiq., XII, 1) : Le Seigneur parle à Moïse en disant : « Parlez aux enfants d'Israël, et dites-leur: La femme qui aura conçu et donné le jour à un enfant mâle, sera impure pendant sept jours.» Puis après quelques autres prescriptions, il ajoute (Ibid., 6): « Lorsque les jours de la purification auront été accomplis pour son fils ou pour sa fille, elle offrira un agneau d'un an en holocauste, un petit de colombe ou une tourterelle pour ses péchés ; elle se tiendra devant la porte du tabernacle du témoignage, et offrira ces victimes au Seigneur par l'entremise du prêtre. Le prêtre implorera son pardon et la purifiera de la source de son sang. » Voici la loi pour la femme accouchée d'un fils ou d'une fille. [1,3b] En outre de ces règlements le même ordonne pour la purification de ceux qui ont enseveli et touché des corps morts qu'ils se serviront de la cendre d'une génisse (offerte en holocauste) pendant sept jours consécutifs, pendant lesquels ils se sépareront de ceux avec qui ils habitent. Voici ce qu'il dit. Voici une disposition légale à perpétuité pour les enfants d'Israël et pour les prosélytes qui habitent au milieu d'eux : « Celui qui aura touché les restes mortels de toute âme d'homme sera impur et se purifiera pendant sept jours. Il sera purifié le troisième et le septième jour. S'il ne se purifie pas le troisième et le septième jour, il ne sera pas pur. Tout homme ayant touché les restes mortels d'une âme d'homme, s'il venait à mourir sans avoir été purifié, souillerait le tabernacle du témoignage du Seigneur. Cette, âme sera repoussée d'Israël, parce que l'eau de la purification n'a point été versée sur elle. Elle sera impure, et son impureté subsistera:» telle est la loi. L'homme qui mourra dans sa maison rendra impur pendant sept jours celui qui entrera dans cette maison, et tous les objets qu'elle contient. Tout vase ouvert, tout ce qui n'est pas scellé par des liens sera impur. Quiconque sur la surface d'un champ aura touché le glaive d'un homme tué par blessure ou mort naturellement, ou qui aura touché une tombe, sera impur pendant sept jours. Ils prendront pour l'impur de la cendre de l'holocauste, afin de l'en purifier. Ils la répandront sur le vase, et prendront de l'hysope, et l'homme pur lavera et aspergera la maison, les meubles, les âmes de tous ceux qui sont dans cette maison, aussi bien que celui qui a touché un os humain, soit d'un mort par blessure, soit d'un autre mort, ou qui a touché une tombe. L'homme pur accomplira ces actes purificatoires de l'impur le troisième et le septième jour, puis il lavera ses vêtements, plongera son corps dans l'eau, et sera impur jusqu'au soir. L'âme de l'homme qui se sera souillée et n'aura pas été purifiée, sera bannie de la synagogue, parce que l'eau de la purification n'a pas été versée sur elle. Et cette disposition de loi est à perpétuité. [1,3c] Par cette législation, Moïse nous enseigne le mode d'aspersion de l'eau (Nombres, XIX, 2), en ordonnant de brûler entièrement une génisse rousse et sans tare, de jeter une partie de la cendre qui en sort dans l'eau dont on doit faire usage pour l'aspersion de ceux qui se sont souillés par le contact d'un mort. Où doit-on brûler la génisse, où doit-on prendre les victimes pour la femme relevée de couche, où doit-on accomplir toutes les autres dispositions de la loi, si cela ne se fait pas indistinctement en tout lieu, et seulement dans celui que le Seigneur a désigné? Nous le voyons clairement par ce qui suit (Deut., XII, 13} : « Il y aura un lieu que le Seigneur votre Dieu choisira pour qu'on y invoque son nom. C'est là que vous apporterez toutes les choses que je vous ai commandé aujourd'hui d'apporter.» Puis il établit une distinction très minutieuse à cet égard en disant (Ib.,13):« Faites bien attention de ne pas offrir vos holocaustes où vous vous trouverez mais seulement dans le lieu que le Seigneur, votre Dieu, se sera choisi dans une de vos villes. C'est là que vous apporterez vos holocaustes et que vous exécuterez toutes les pratiques que je vous ordonne en ce jour. » Puis il ajoute (Ibid., 17) : « Vous ne pourrez pas manger dans toutes les villes la dîme du blé, ni du vin, ni de l'huile, les premiers-nés de vos vaches et de vos brebis, ni les choses que vous aurez consacrées par des vœux ont vous vous serez confessés, ni toutes les prémices de vos travaux manuels. Ce ne sera qu'en présence du Seigneur votre Dieu que vous mangerez ces aliments dans le lieu que le Seigneur votre Dieu se sera choisi, vous ainsi que vos fils et votre fille, et votre esclave, et votre servante, et l'étranger qui est dans vos villes. » Puis il continue, et pour confirmer ce qu'il a avancé, il dit : Or, lorsque vous aurez pris ce que vous aurez voué, vous irez au lieu que le Seigneur votre Dieu se sera choisi. Et : Vous prendrez la dîme de tous les fruits de vos semences; et les fruits de vos champs d'année en année ; et vous les mangerez devant le Seigneur votre Dieu dans le lieu que le Seigneur votre Dieu se sera choisi pour que son nom y soit invoqué (Ibid., XIV, 22). Ensuite il songe à ce qu'il faut faire si ce lieu est trop éloigné, et les fruits de la terre abondants, et établit cette loi à celle occasion : Si le chemin est trop long, et si vous ne pouvez porter la dîme, parce que le lieu que le Seigneur votre Dieu a choisi pour que son nom y soit invoqué est éloigné, et que le Seigneur votre Dieu vous a bénis, vous vendrez tout ; vous prendrez l'argent en votre main, et vous irez au lieu que le Seigneur votre Dieu a choisi, et vous achèterez ce qui vous plaira, des boeufs, des brebis, du vin, de la bière, tout ce que vous voudrez, et vous mangerez en présence du Seigneur votre Dieu. [1,3d] Il désigne encore expressément ce lieu, et dit : Parmi les premiers-nés de vos bœufs et de vos brebis, vous choisirez les mâles pour les offrir au Seigneur votre Dieu. Vous ne travaillerez pas avec le premier-né du bœuf, et vous ne tondrez pas le premier-né de vos brebis, mais chaque année vous les mangerez en présence du Seigneur votre Dieu, vous et votre famille, dans le lieu que se sera choisi le Seigneur votre Dieu. Voyez encore avec quelle précision il détermine que la célébration des fêtes ne se fera que dans le lieu désigné : Vous observerez le mois des gerbes nouvelles, et vous célébrerez la pâque en l'honneur du Seigneur votre Dieu, en immolant des brebis et des bœufs dans le lieu que le Seigneur votre Dieu se sera choisi (Deut., XVI, 1 ). Et il renouvelle cet ordre, et dit : Vous ne pourrez offrir la pâque dans aucune des villes que le Seigneur votre Dieu vous aura données, mais dans le lieu qu'il se sera choisi. Là vous immolerez la pâque au coucher du soleil, moment où vous êtes sorti d'Égypte; vous ferez cuire la victime et vous la mangerez dans le lieu que se sera choisi le Seigneur votre Dieu. Telle est la loi de la célébration de la pâque. Écoutez ce qu'il prescrit sur celle de la Pentecôte. Vous compterez sept semaines entières, du moment que vous aurez mis la faucille à la moisson, et vous célébrerez la fête des semaines en l'honneur du Seigneur votre Dieu, selon les richesses que je vous aurai données, et la mesure des bénédictions du Seigneur votre Dieu. Et vous ferez des festins de réjouissance en présence au Seigneur votre Dieu, vous, votre fils et votre fille, votre serviteur et votre servante, le lévite qui est en votre ville et l'étranger, l'orphelin et la veuve qui demeurent parmi vous, dans le lieu que le Seigneur votre Dieu se sera choisi pour que son nom y soit invoqué. Écoutez-le encore prescrire une troisième fête : Pendant sept jours vous célébrerez la fête des tabernacles. quand vous aurez recueilli les fruits de l'aire et du pressoir, et vous ferez des festins en ces jours solennels, vous, votre fils et votre fille, votre serviteur et votre servante, dans te lieu que le Seigneur votre Dieu se sera choisi. Puisque la loi désigne si fréquemment le lieu, en répétant si souvent de s'y rendre avec toute sa famille et tous ses domestiques, comment s'adresserait-elle à ceux qui seraient même peu éloignés de la Judée ? Comment à toutes les nations de la terre? D'autant plus qu'impitoyable pour les transgresseurs de ses prescriptions, elle charge d'imprécations ceux qui ne l'observent pas exactement, et dit : Maudit celui qui ne sera pas demeuré dans l'observance des commandements de cette loi (Deut., XXVII, 26). [1,3e] Voyez encore les impossibilités de la loi de Moïse pour tous les hommes. Après avoir distingué les péchés volontaires et ceux où l'on tombe difficilement, après avoir établi des peines pour chacun de ceux qui sont dignes des plus grands supplices, il fixe une autre manière de purifier ceux qui se sont souillés involontairement. Une de ces dispositions est ainsi conçue (Lév., IV, 27 ) : Si quelqu'un d'entre le peuple de cette terre pèche involontairement en contrevenant à quelqu'un des préceptes du Seigneur, ou en ne l'observant pas, s'il pèche et s'il reconnaît la faute qu'il a commise, il prendra pour offrande une jeune chèvre sans tache; il la présentera pour la souillure qu'il a contractée au lieu où s'immolent les holocaustes, et le prêtre prendra de son sang. Remarquez qu'il est ordonné à celui qui a failli par inadvertance de se rendre au lieu où s'immolent les holocaustes. Or, ce lieu est celui dont il a été question si souvent déjà, celui que le Seigneur votre Dieu se sera choisi. Comme l'auteur de la loi comprit que ce commandement ne pouvait être exécuté de tous les hommes, il indiqua clairement qu'il ne l'établissait pas pour tous, et dit : Si quelqu'un d'entre le peuple de cette terre se rendait volontairement coupable. Il établit une seconde loi : Si quelqu'un a entendu un serment, s'il a été témoin, s'il a vu ou s'il a su et qu'il n'ait pas déclaré, il portera son péché. Que doit-il donc faire, sinon prendre une victime et expier promptement sa faute? Et encore où ira-t-il, sinon au lieu où s'immolent les holocaustes. Voici une troisième loi : Si quelqu'un touche une chose impure, le cadavre d'une bête immonde, s'il en prend, il est souillé : il péchera s'il touche quelqu'impureté de l'homme, de toute souillure qui souille celui qui la touche; s'il ne s'en est pas aperçu, s'il l'apprend ensuite, il est coupable. Que doit donc faire celui qui est souillé? il viendra encore en ce lieu et offrira pour la souillure dont il est entaché une brebis, un agneau ou une jeune chèvre. Telle est encore la loi qui concerne celui qui a fait serment et a juré de faire bien ou mal en ce qu'un homme peut jurer, qui l'oublie, se le rappelle ensuite, transgresse une partie de son serment et reconnaît sa faute: Cet homme prendra une victime et se rendra en ce lieu: le prêtre priera pour son péché et ce péché lui sera remis. Une autre loi établit la prescription suivante : « Celui qui aura oublié et aura transgressé par imprudence un point de la loi du Seigneur, offrira au Seigneur un bélier pour son péché. Il le présentera au grand prêtre, » évidemment dans le lieu indiqué. A ces lois il joint un sixième précepte. Si un homme pèche, s'il transgresse un des commandements qu'il faut observer, s'il l'ignore, s'il pèche et reconnaît son péché, il offrira encore un bélier au grand prêtre, et le prêtre priera pour, lui, pour l'ignorance où il s'est trouvé, et son péché lui sera remis (Lév., V, 17 ).Une septième loi dit : Si un homme pèche et méprise les commandements du Seigneur, s'il nie un dépôt à son voisin, parce qu'il s'en est servi ou l'a dérobé, ou pour lui faire injure, s'il a trouvé un objet perdu, et le nie, s'il fait un faux serment sur ce qu'un homme ne peut commettre sans péché, s'il pèche et tombe, il rendra ce qu'il a dérobé, il réparera l'injustice qu'il a commise, il restituera le dépôt qui lui a été confié, et l'objet perdu qu'il a trouvé ; il rendra en son entier ce pourquoi il a fait un faux serment, et le cinquième de plus (Id., VI, 2). Quand le coupable avait révélé son iniquité, et qu'il avait satisfait à la loi, il fallait que, négligeant toute autre affaire, il se rendit en toute hâte au lieu que s'était choisi le Seigneur, emmenant avec lui un bélier sans tache. Le prêtre, priait pour lui devant le Seigneur, et son iniquité était remise. [1,3f] C'est ainsi que l'admirable Moïse a distingué avec soin ceux qui tombaient involontairement ou par ignorance, de ceux qui péchaient par malice ; et pour les retenir, il porte contre eux des peines irrémissibles. Or, celui qui n'accorde leur pardon à ceux qui ont failli involontairement que lorsqu'ils auront révélé leur iniquité, et qui ensuite leur impose une légère satisfaction par l'offrande prescrite, et qui par le voyage précipité à la maison de Dieu se propose d'exciter le zèle et la piété de ceux qui suivent la religion dont il est le ministre, comment se peut-il faire qu'il n'enchaîne pas l'entraînement de ceux qui commettraient l'iniquité de plein gré? Pourquoi donc discuter encore, puisque, comme nous l'avons dit plus haut, Moïse récapitulant la loi, fait ces imprécations : Maudit soit celui qui ne s'appliquera pas à conformer sa conduite à tout ce qui est écrit dans la loi. Il fallait donc aussi que ceux qui habitent aux extrémités de la terre, s'ils voulaient observer la loi de Moïse, éviter ces malédictions terribles, et participer à la bénédiction promise à Abraham, se soumissent à ces ordonnances; que trois fois dans l'année ils se rendissent à Jérusalem? Il fallait donc que chez toutes les nations, les femmes qui voulaient servir Dieu, au moment où elles étaient délivrées de leur fruit et soulagées des douleurs de l'enfantement, entreprissent un aussi long voyage, pour offrir le sacrifice prescrit par Moïse à la naissance de chaque enfant? Il fallait donc que celui qui avait touché un mort, qui s'était parjure, qui avait commis quelque faute involontairement, accourût des extrémités de la terre, s'empressât de se soumettre à l'expiation légale, afin de ne pas encourir la terrible malédiction? Mais ne sentez-vous pas combien il eût été difficile de vivre suivant les institutions de Moïse à ceux-là même qui habitaient auprès de Jérusalem, ou qui vivaient dans la Judée seulement? Combien donc l'eût-il été aux autres nations? Aussi notre Sauveur et Seigneur, le Fils de Dieu, donnant, après sa résurrection, ses avis à ses disciples : Allez, dit-il, enseignez toutes tes nations : puis il ajoute : enseignez-leur à observer tout ce que je vous ai appris (Matth., XXVIIII, 19). Il n'ordonnait pas d'enseigner aux peuples les lois de Moïse, mais ce qu'il leur avait appris lui-même, c'est-à-dire les paroles de vie qui sont contenues dans les Évangiles, aussi ses disciples et les apôtres, dans leur délibération au sujet des Gentils, convinrent-ils qu'il était impossible que les ordonnances de Moïse pussent convenir aux nations, puisque ni eux ni leurs pères n'avaient pu les suivre; c'est pourquoi Pierre parle ainsi dans les Actes : Pourquoi donc maintenant tenter le Seigneur en imposant aux disciples un joug que nos pères ni nous n'avons pu porter ( Act., XV,10)? C'est pourquoi Moïse lui-même annonce qu'après lui s'élèvera un autre prophète qui sera le législateur de toutes les nations ; il désigne ainsi le Christ, et exhorte les Juifs à croire en lui : voici sa prédiction : « Le Seigneur dieu vous suscitera du milieu de vos frères un prophète comme moi ; vous écouterez tout ce qu'il vous dira ; or, tout homme qui n'écoutera pas ce prophète sera retranché de son peuple ( Deut., XVIII, 15 ). » Plus loin le législateur annonce que ce prophète, évidemment le Christ, qui doit sortir des Juifs, gouvernera les nations : Que tes pavillons sont beaux, ô Jacob; les tentes, ô Israël, dit-il, sont comme tes vallées ombragées, comme un jardin planté sur le bord du fleuve, comme les tentes qu'a élevées le Seigneur. Un homme sortira de sa race, qui gouvernera la multitude des nations, et sa puissance croîtra sans cesse (Nomb., XXIV, 5). Mais de laquelle des douze tribus du peuple juif doit-il naître? C'est de la tribu de Juda que sortira le Christ, législateur des nations. A quelle époque? Alors que la sécession des princes de la nation juive sera interrompue. « Le prince, dit-il, ne sortira pas de Jacob, ni le chef de sa postérité, jusqu'à ce que vienne celui qui a été promis, et il est l'attente des nations (Genèse, XLIX, 10 ). » Quelle fut cette attente, sinon celle qui a été annoncée à Abraham, lorsqu'il lui fut promis qu'en lui seraient bénies les nations de la terre. Moïse parut donc avoir bien compris lui-même que la loi qu'il donnait ne pourrait pas convenir à toutes les nations, et que pour l'accomplissement des promesses faites à Abraham, il fallait un autre prophète. C'est assurément celui qui devait sortir de la tribu de Juda et gouverner toutes les nations, suivant sa prédiction. [1,4a] CHAPITRE IV. Pourquoi en recevant les oracles des Juifs, nous rejetons leurs observances. Ainsi donc nous avons reçu et adopté comme nous étant propres les livres sacrés des Juifs, parce qu'ils contiennent les oracles qui nous concernent, et surtout parce que Moïse n'a pas prédit seul le législateur futur, mais que généralement les prophètes qui l'ont suivi l'ont également annoncé. Ainsi David dit: « Établissez, Seigneur, un législateur sur eux, afin que les peuples sachent qu'ils ne sont que des hommes (Ps. IX, 31). » Remarquez qu'il parle d'un législateur des nations. Aussi ordonne-t-il ailleurs aux nations de de plus chanter le cantique ancien de Moïse, mais un cantique nouveau : « Chantez, dit-il, au Seigneur un cantique nouveau (Ps. XCV); que toute la terre chante un hymne au Seigneur. Racontez sa gloire au milieu des nations, et ses merveilles au milieu de tous les peuples, parce que le Seigneur est grand, il est digne de toutes louanges ; il est terrible par dessus tous les dieux. Tous les dieux des nations ne sont que des démons ; mais le Seigneur a fait les cieux. Apportez au Seigneur, familles des nations, apportez au Seigneur la gloire due à son nom, et dites parmi les nations que le Seigneur a régné. Aussi la terre sera affermie et ne sera point ébranlée. » Ailleurs le saint roi dit : « Chantez au Seigneur un cantique nouveau, car il a opéré des merveilles. Il a révélé sa justice aux yeux des nations. Les incrédules de la terre ont vu le salut de notre Dieu ( Ps. XCVII ). » Or, remarquez encore que ce n'est pas aux Juifs, mais à toutes les nations de la terre qu'il annonce ce nouveau cantique, tandis que l'ancien, celui de Moïse, ne convenait qu'aux seuls Hébreux. Jérémie, autre prophète des Juifs, appelle ce nouveau cantique la nouvelle alliance, lorsqu'il dit: « Voilà que les jours viennent, dit le Seigneur, où j'établirai une nouvelle alliance avec la maison d'Israël et la maison de Juda; non pas selon l'alliance que j'ai formée avec leurs pères, au jour où je les ai pris par la main pour les tirer de la terre d'Égypte ; car ils ont transgressé mon alliance ; et je les ai abandonnés, dit le Seigneur. Voici l'alliance que je ferai avec Israël, dit le Seigneur : Je confierai ma loi à leur intelligence, et je l'écrirai dans leur cœur, et je serai leur Dieu, et ils seront mon peuple (Jérémie, XXXI, 31 ). ». [1,4b] Vous voyez que Dieu distingue deux alliances, dont il nomme l'une l'ancienne et l'autre la nouvelle. Il ajoute que la nouvelle ne sera pas semblable à l'ancienne qui a été donnée aux ancêtres de ce peuple. Parce que les Juifs, déchus de la piété de leurs pères, imitèrent la vie et les mœurs des Égyptiens, qu'ils se livrèrent aux errements du polythéisme et au culte superstitieux que les nations rendent aux idoles, l'ancienne alliance leur fut imposée comme pour les relever de leur chute, et réformer des cœurs corrompue par les erreurs dont ils s'étaient infectés réciproquement. « Car, dit l'apôtre, la loi n'est pas établie pour les justes, mais pour les méchants, les rebelles, les impies et les pécheurs, et pour tous les prévaricateurs (I Tim., I, 9). » Mais la nouvelle alliance apprend à ceux que la charité de notre Sauveur et la miséricorde divine a relevés, à marcher, à courir vers ce royaume promis, et elle appelle tous les hommes sans distinction à une seule et même participation des biens célestes. La nouvelle alliance est appelée loi nouvelle par Isaïe, autre prophète des Juifs, qui dit : « Car la loi sortira de Sion, et la parole du Seigneur, de Jérusalem, il jugera les nations; toutes les nations viendront, et tous les peuples se réuniront, et diront: « Venez, montons sur la montagne du Seigneur et à la maison du Dieu de Jacob » (Isaïe, II, 3). Or quelle sera cette loi sortie de Sion, et différente de celle que Moïse a promulguée dans le désert, sur le mont Sinaï, sinon la loi de l'Évangile que notre Sauveur Jésus-Christ et ses apôtres ont fait sortir de Sion, et qui s'est répandue chez toutes les nations? Car il est certain que c'est de Jérusalem, de la montagne de Sion qui en est proche, sur laquelle notre Sauveur et Seigneur se tint fréquemment et annonça la plus grande partie de sa doctrine, que la loi de la nouvelle alliance a commencé à répandre ses lumières parmi les hommes conformément à ce que le Christ avait dit à ses disciples : « Allez, enseignez toutes les nations, et enseignez-leur à garder tout ce que je vous ai appris » (Matth., XXVIII, 19). Que leur avait-il ordonné, sinon les instructions et les préceptes du Nouveau Testament ? Puis donc qu'à l'antique alliance a succédé une nouvelle, il faut considérer quel est le caractère de celle-ci, et celui de la loi et du cantique nouveaux prédits. [1,5a] CHAPITRE V. Caractère de la nouvelle alliance dont le Christ est auteur. Ainsi l'ancienne alliance et la loi de Moïse ne convenaient qu'à la nation juive, et alors seulement qu'elle habitait la terre qui lui appartenait; mais elles ne pouvaient s'accommoder aux autres peuples du monde, ni même aux Juifs qui avaient quitté leur patrie. La nouvelle alliance devait donc être d'une exécution assez facile pour que ceux des Gentils qui voudraient la suivre ne pussent éprouver aucun obstacle dans leur pays, le lieu de leur séjour, leurs parents, ni dans quelqu'autre considération. Tels sont la loi et le genre de vie établi par notre Sauveur Jésus-Christ; ils perfectionnent la première alliance plus ancienne que Moïse, et qui servit de règle au fidèle Abraham et à ses ancêtres. Or si vous voulez rapprocher la règle des chrétiens et le culte répandu par Jésus-Christ sur la terre, des règles de piété et de justice qui ont dirigé Abraham et ceux, que les saints livres comparent à ce patriarche, vous les trouverez semblables. En effet, ces fidèles évitèrent les erreurs du polythéisme, le culte rendu aux idoles ; ils détournèrent leurs yeux de la créature sensible ; ils n'attribuèrent la divinité ni au soleil, ni à la lune, ni à quelqu'une des parties de l'univers; mais ils élevèrent leurs cœurs jusqu'au Dieu suprême, le puissant créateur du ciel et de la terre. C'est ce que constate Moïse lui-même lorsque, dans ses récits des temps antiques, il fait dire à Abraham : « J'étendrai ma main vers le Dieu Très-Haut, qui a créé le ciel et la terre » (Gen., XV, 21). Et lorsqu'il raconte précédemment que Melchisédec, qu'il nomme prêtre du Très-Haut, bénit Abraham en ces termes : « Qu'Abraham soit béni du Dieu Très-Haut qui a créé le ciel et la terre. » Énoch et Noé se sont conservés justes et agréables à Dieu en vivant comme Abraham : ainsi de Job, cet homme juste, simple, irréprochable, pieux et éloigné de tout mal, qui vivait avant les jours de Moïse; lorsque la perte de ses biens vint éprouver sa religion envers le Dieu de l'univers, il donna un grand exemple de résignation à la postérité en proférant cette parole pleine de sagesse : « Je suis sorti nu du sein de ma mère, et j'y retournerai nu. Dieu m'a donné ; Dieu m'a ôté, ainsi il a été fait comme il a plu au Seigneur ; que le nom du Seigneur soit béni » (Job, I,22). C'est en adorant le Dieu du monde qu'il fit entendre cette parole qu'il développa plus tard en ces termes : « Dieu est sage, il est puissant et grand : il agite la terre en ses fondements, et ses colonnes sont ébranlées: il commande au soleil et le soleil ne se lève pas; il enferme les astres comme sous un seau ; seul il a étendu les cieux » ( Job, IX, 3). [1,5b] Si donc la doctrine du Christ a appris aux nations à honorer avec une religion égale le Dieu qu'adorèrent les fidèles qui vinrent avant Moïse, il est évident que nous suivons le même culte. Or si nous avons la même religion, nous partageons avec eux la même bénédiction. Le Verbe de Dieu que nous appelons le Christ, fut connu d'eux aussi, car ils furent honorés de sa présence sensible et de la manifestation de sa divinité d'une manière bien supérieure. Moïse appelle celui qui a apparu aux amis de Dieu, et leur a souvent exposé les prophéties tantôt Dieu et Seigneur, tantôt l'Ange de Dieu, et montre ainsi que ce n'était pas le Dieu suprême, mais le second qui est nommé Dieu, le Seigneur des amis de Dieu, et l'Ange du Père suprême. Il dit donc : Jacob alla à Charam. Arrivé en certain lieu, il s'y endormit, car le soleil était couché. Il prit une pierre qu'il trouva, la plaça sous sa tète, s'endormit en ce lieu, et eut un songe. Une échelle était dressée sur le sol et le haut touchait le ciel; les anges de Dieu en montaient et descendaient les degrés. Le Seigneur était appuyé sur l'échelle et lui dit : Je suis le Seigneur, le Dieu d'Abraham,votre père, et le Dieu d'Isaac. Ne craignez pas ; cette terre où vous dormez, je vous la donnerai, à vous et à votre race. Votre postérité sera aussi nombreuse que le sable de la terre (Gen., XXVIII, 10). L'historien sacré ajoute : Jacob s'étant levé au matin, prit la pierre sur laquelle il avait reposé sa tête, et l'éleva comme un monument. Plus loin il appelle le Dieu et le Seigneur qui s'est montré à lui, l'Ange du Seigneur. Jacob dit donc : L'ange du Seigneur m'a dit en songe : Jacob : Me voici, répondis-je. Et l'ange : J'ai vu tout ce que Laban vous a fait. Je suis le Dieu qui vous a apparu dans le lieu du Seigneur, où vous avez oint la pierre, et où vous avez fait un vœu. (Gen., XXXI, 11). Celui qui déjà s'était montré à Abraham, est appelé Dieu et Seigneur, il révèle la puissance de son père à cet homme fidèle, et lui a confié comme au sujet d'un autre Dieu, plusieurs révélations que nous examinerons en leur temps. On ne saurait dire que ce soit un autre qui a répondu à Job après le long exercice de sa vertu. En effet, celui qui lui apparut d'abord dans un tourbillon et dans les nuées, s'annonce comme le Dieu de l'univers, ensuite il se révèle de telle sorte que Job s'écrie : Écoutez-moi, et je parlerai; j'avais d'abord entendu le son de votre voix, et maintenant mes yeux vous voient (Job, XLII, 4). Si donc il est impossible que le Dieu immense, invisible, sans principe, et qui est le roi de l'univers, ait pu être vu par des gens de chair, quel est celui qui a apparu à ces justes, sinon le Verbe Dieu que nous reconnaissons Seigneur après le Père ? Mais pourquoi nous arrêter davantage sur cette question, lorsqu'il nous est facile d'en puiser des preuves dans les livres saints? C'est ce que nous ferons à loisir en cet ouvrage, afin d'établir que c'est le Verbe de Dieu seul qui a apparu aux fidèles patriarches. Ainsi donc pour ce qui concerne le créateur du monde et le Christ, nos croyances et celles des anciens sont les mêmes. Aussi les fidèles qui précédèrent Moïse étaient-ils appelés christs, comme aujourd'hui nous sommes nommés chrétiens. Or écoutez ce que dit le roi prophète : «Ils étaient peu nombreux alors, faibles et voyageurs sur cette terre, ils erraient de nation en nation, et de royaume en royaume. Dieu ne permit pas que l'homme leur fît outrage. En leur faveur il menaça les rois, et il dit : Ne touchez pas à mes christs, et n'offensez pas mes prophètes » (Ps. CIV, 12). Or la pensée du psaume et la suite montrent que ces paroles se rapportent à Abraham, à Isaac et à Jacob. Ils portaient donc le nom de christs, comme nous. [1,6a] CHAPITRE VI. De la vie que le Christ a annoncée aux hommes en la nouvelle alliance. De même que les nations ont appris par l'Évangile du Christ et dans les institutions de Moïse à suivre la vertu et à fonder leurs institutions sur la religion, ainsi ces hommes des anciens jours ont-ils connu la piété. Point de circoncision pour eux ; car nous n'y sommes pas soumis, point d'abstinence de la chair de certains animaux ; car nous n'y sommes pas obligés. Aussi Melchisédech, que Moïse nous représente, n'était ni circoncis, ni sacré de l'huile dont Moïse a réglé la composition. Il ignorait le sabbat et toutes les lois que ce législateur a données à la nation juive ; mais il suivait l'Évangile du Christ. Cependant Moïse nous dit qu'il fut prêtre du Très-Haut, et bien supérieur à Abraham lui-même. Aussi le voyons-nous bénir Abraham. Tel fut Noé, le juste de son siècle, qui, au milieu de la destruction générale du genre humain dans les eaux du déluge, seul fut conservé par la main du Dieu de toute créature, comme une étincelle d'un feu éteint, et le germe de l'humanité. Quoiqu'il ne connût pas les coutumes des Juifs, ni la circoncision, ni les autres cérémonies, prescrites par Moïse, cependant le seul peut-être il est appelé juste. Avant lui vécut Énoch qui, agréable à Dieu, disent les saints livres, fut enlevé au ciel, afin qu'on ne vit point sa mort. Toutefois il ne pratiqua pas la circoncision ni les institutions de Moïse ; il vécut en chrétien et non en juif. [1,6b] Lorsque Abraham, qui naquit après ces saints patriarches, et à une époque moins reculée, fut avancé en âge, il se circoncit afin de donner à ceux qui devaient sortir de sa race comme un signe de reconnaissance. Mais avant qu'il eût engendré, avant la circoncision, en s'écartant du culte des idoles, en confessant un Dieu suprême et unique, eu suivant les préceptes de la vertu, il vécut en chrétien et nullement en juif. L'Écriture lui rend témoignage qu'il a suivi les dispositions, les ordonnances, les préceptes et les cérémonies que Dieu avait établis avant la loi de Moïse. Aussi en révélant l'avenir à Isaac, Dieu dit : « Je donnerai à votre postérité, tous les pays que vous voyez, et toutes les nations de la terre seront bénies dans celui qui naîtra de vous, parce qu'Abraham votre père a obéi à ma voix, et qu'il a gardé mes ordonnances et mes commandements, et qu'il a observé les cérémonies et les préceptes que je lui ai donnés » (Gen., XXVI, 3). Car même avant la loi de Moïse, Dieu avait ses commandements et ses préceptes, non pas ceux de Moïse, mais les ordonnances et les lois du Christ qui ont justifié ces pieux croyants. Moïse lui-même fait sentir clairement la différence de ces lois par ces paroles qu'il adresse au peuple : « Écoutez, Israël, (Deut, V, 1) les préceptes et les ordonnances que je vous déclare aujourd'hui, apprenez- les et pratiquez-les. Le Seigneur votre Dieu a fait alliance avec nous sur le mont Horeb, il n'a pas fait alliance avec nos pères, mais avec vous. » Et remarquez comme il observe que cette alliance n'a pas été faite avec leurs pères. S'il eût dit que Dieu n'avait pas donné d'alliance à leurs pères, ses paroles n'eussent pas été vraies : car Abraham, Noé ont eu leur alliance, comme l'attestent les oracles sacrés. Aussi lorsque le saint législateur ajoute que ce testament n'a pas été donné à leurs pères, il laisse à entendre qu'ils en ont eu un autre supérieur et bien préférable, qui a manifesté leur fidélité. Moïse rendit à Abraham ce témoignage, qu'il a été justifié par sa foi au Dieu de l'univers ; il dit: « Abraham crut à Dieu, et sa foi lui fut imputée à justice » (Gen, XV, 6). Or, qu'il n'ait reçu le signe de la circoncision qu'après avoir suivi la justice, et avoir obtenu le témoignage que méritait sa piété, et que ce caractère ne lui ait pas été utile pour atteindre la perfection de la foi, c'est ce qui résulte clairement de ces paroles. Joseph vécut aussi dans les palais d'Égypte en grande liberté et sans s'inquiéter des institutions des Juifs. [1,6c] Enfin si vous voulez arrêter vos yeux sur le grand législateur, et le chef de la nation juive, sur Moïse, vous le verrez dès son enfance vivre auprès de la fille du roi d'Égypte, et pratiquer les usages de ce peuple. Que dire du bienheureux Job, de cet homme simple, sans reproche, juste et religieux ? Comment s'est-il élevé à un si haut point de piété et de justice? Ce n'est pas par les enseignements de Moïse? non assurément. Observait-il le sabbat ou quelque autre des coutumes auxquelles les Juifs sont si attachés ? Mais comment l'eût-il pu à une époque si antérieure à Moïse et à ses lois : car si Moïse est séparé d'Abraham de sept générations, il n'y en a que cinq entre le père des croyants et Job, qui vécut ainsi deux âges d'hommes avant Moïse. Examinez donc sa vie qui n'a rien des pratiques mosaïques, mais qui se rapproche des enseignements évangéliques de notre Sauveur. Lorsque cet homme juste expose sa vie à ses amis, pour se justifier à leurs yeux, il dit: « Car j'ai délivré le faible des mains du puissant, j'ai protégé l'orphelin sans secours, la bouche de la veuve m'a béni, et la justice a fait mon vêtement; je me suis orné de l'équité, comme d'un double vêtement, je fus l'œil des aveugles, le pied du boiteux, je fus le père des faibles » ( Job, XXIX. 10). Or tels sont les enseignements que l'Évangile nous adresse. Bien plus, comme s'il eût su pleurer avec ceux qui pleurent (Rom., XII, 15), et que bienheureux sont ceux qui pleurent, parce qu'ils riront, et que dès qu'un membre souffre, tous les autres souffrent avec lui (1 Cor., XII, 26), selon les enseignements de l'Évangile, Job témoignait sa compassion pour ceux qui souffraient sur la terre. « Pour moi, dit-il, j'ai pleuré sur le faible, et j'ai gémi sur l'homme plongé dans la détresse. » La doctrine évangélique prohibe les ris immodérés, et cet homme bienheureux anticipe sur elle et dit : « Si j'ai marché avec les contempteurs, et si mes pieds se sont hâtés pour la fraude; mais je suis demeuré dans la balance de la justice, et le Seigneur connaît mon innocence » (Job, XXXI, 5). La loi de Moïse contient cette prescription : «Vous ne commettrez point d'adultère » (Exode, XX, 14) et fixe la mort comme le châtiment des transgresseurs ; le législateur qui a établi les lois de la doctrine évangélique a parlé ainsi : « Il a été dit aux anciens : vous ne commettrez point l'adultère; pour moi, je vous dis de ne pas le désirer » (Matth., V,27). Et remarquez que cet homme vénérable dont nous parlons ici, qui vivait selon l'Évangile du Christ, se gardait même de jeter un regard trop libre, et se glorifiait ainsi dé sa retenue : « Si mon cœur a suivi mes yeux sur la femme d'un homme » (Job. XXXI, 7). Et voici la raison qu'il donne de sa retenue : «Le cœur de l'homme qui, sans force sur lui-même, souille une épouse, est un feu qui dévore tous les jours ce qu'il a atteint; il le consume jusqu'à la racine.» Job montre aussi son caractère incorruptible : « Si j'ai reçu des présents en mes mains, que je sème et que d'autres mangent les fruits, et que je demeure sans postérité sur la terre. » Les paroles qu'il prononce encore nous pourront faire comprendre comment il agissait envers ses serviteurs : « Si j'ai dédaigné la plainte de mon serviteur ou de ma servante, lorsqu'ils élevaient la voix contre moi. » Et voici le motif: «Que ferai-je, dit-il, si Dieu me juge? Si je suis fait de chair, n'ont-ils pas la même origine? Nous avons tous été conçus dans le même sein. Il ajoute : « Je ne les ai point épuisé de larmes l'oeil de la veuve ; si j'ai mangé seul mon pain ; si je ne l'ai pas partagé avec l'orphelin ; si j'ai vu le pauvre mourir de froid, sans le revêtir.» [1,6d] Il dit ensuite : « Si j'ai mis ma confiance dans les pierres précieuses ; si j'ai placé ma joie dans mes richesses, et ma force en mes trésors innombrables. » Et voici la raison de sa modération : « Ne voyons-nous pas le soleil se lever et s'éteindre, et la lune disparaître ?» Si l'Évangile dit : « Il a été dit aux anciens : « Vous aimerez votre prochain, et vous haïrez votre ennemi. Et moi j'e vous dis, aimez vos ennemis » {Matth., V, 40 ), prévenant la parole de Jésus par l'enseignement de son cœur, cet homme admirable l'accomplit dès lors : « Si je me suis réjouis, dit-il, de la ruine de mon ennemi, et si mon cœur a dit ; Bien, que la malédiction vienne frapper mes oreilles ;» et il ajoute « L'étranger n'est pas demeuré hors de ma demeure ; ma porte a été ouverte au voyageur ;» parce que ce saint patriarche n'était pas étranger à celui qui a dit: «J'étais voyageur et vous m'avez recueilli » (Id., XXV, 35 ). Écoutez encore ce qu'il ressent pour les péchés qui lui sont échappés. « Si, lorsque j'ai failli sans le vouloir, j'ai dissimulé mon iniquité, car je n'ai pas redouté la turbulence de la multitude au point de ne le confesser pas en sa présence ; si j'ai souffert que l'indigent se retirât les mains vides ; si je n'ai pas craint le Seigneur, et si je n'ai pas rendu à mon débiteur son obligation déchirée sans rien exiger de lui » (Job, XXXI, 33 ). Et comme il est permis de conjecturer par la vie d'un seul d'entre eux, quelle était celle des autres, tels furent les assauts mémorables que les adorateurs du vrai Dieu avant Moïse soutinrent pour la religion, et qui leur ont mérité le titre d'amis et de prophètes, et alors quel besoin pouvaient-ils avoir des préceptes de Moïse destinés à des hommes grossiers et pervers ? [1,6e] Ainsi donc la voix du Christ a annoncé à toutes les nations l'ancien culte de nos pères, de sorte que la nouvelle alliance est celle qui dominait les mœurs antiques même avant les temps de Moïse, et nous pouvons l'appeler ancienne et nouvelle : ancienne, nous l'avons fait voir; nouvelle, parce qu'oubliée des hommes en quelque sorte, pendant de longues années, elle a semblé revivre par la prédication de notre Sauveur, ce qui n'eut lieu que lorsque l'alliance étant comme cachée et tenue dans le silence, la loi de Moïse fut donnée comme tuteur, comme gouverneur de ces âmes faibles et imparfaites, et comme médecin pour guérir la nation juive de la fatale maladie de l'Égypte, et pour former à une vie moins élevée et moins parfaite les descendants d'Abraham, qui n'étaient pas capables de s'élever à la piété de leurs ancêtres. En effet, puisque après la mort des saints patriarches entraînés par les usages des Égyptiens au milieu desquels ils vivaient, ils se livrèrent, comme je l'ai déjà dit, aux superstitions du polythéisme, de sorte qu'ils semblaient ne rien avoir qui les en distinguât, et adoptèrent leur culte erroné des idoles et leurs autres crimes, c'est avec raison que Moïse, pour les retirer de cet abîme d'iniquité, les éloigna du culte impie des dieux, et les ramena à la religion du Dieu de l'univers, en établissant ce fondement premier comme le vestibule et le portique d'un culte plus parfait. Plus tard il défendit le meurtre, l'adultère, le vol, le parjure, la fornication, l'inceste et tous les crimes que les hommes pouvaient alors commettre impunément. Il changea leur vie âpre et grossière en une conduite raisonnable et régulière par ses constitutions écrites qui furent les premières que les hommes d'alors eussent vues. Or, après avoir interdit le culte des idoles à ces cœurs imparfaits, il leur ordonna d'honorer l'unique Dieu du monde par des sacrifices et des cérémonies corporelles. Il voulut qu'on se consacrât à son services par des symboles secrets : mais comme l'Esprit divin lui fit comprendre que cette religion ne pourrait subsister toujours, il l'attacha à une contrée, fixant que l'on ne devrait en accomplir les rites qu'en ce lieu. Jérusalem fut choisie : hors de son enceinte, les cérémonies n'étaient plus licites. C'est pourquoi aujourd'hui encore il n'est pas permis aux Hébreux de choisir hors de leur métropole un lieu pour sacrifier suivant la loi, d'élever un temple ou un autel, d'oindre des prêtres ou des rois, ni de célébrer les solennités et les fêtes que Moïse a instituées, de se purifier de leurs souillures, de se décharger du poids de leurs péchés, d'offrir au Seigneur leurs présents ou la victime légale de propitiation. Aussi encourent-ils justement l'exécration de Moïse, puisqu'ils n'observent qu'une partie de la loi et ne l'accomplissent pas en sa totalité. Leur législateur dit en effet fort positivement : Maudit celui qui ne demeure pas dans l'observation des commandements de la loi (Deut., XXVII, 26 ). Ils sont donc déjà sortis de son observance, suivant la prédiction que Moïse, inspiré de l'Esprit saint, avait faite, que lorsque une alliance nouvelle serait sanctionnée par le Christ et annoncée aux nations, celle qu'il avait établie serait abrogée. Il fixa avec sagesse cette alliance à un lieu, afin que si jamais son peuple en était chassé, et perdait l'indépendance dont il jouissait en sa patrie, il ne pût accomplir en d'autres contrées les préceptes qu'il lui avait donnés, et pour qu'il lui fût nécessaire de recevoir la seconde alliance annoncée par le Christ. [1,6f] Quand après cette prédiction de Moïse, le Christ eût achevé sa vie, et offert aux nations les préceptes de son Testament, aussitôt les Romains cernèrent la ville et la détruisirent avec son temple. Alors furent abolies aussi les institutions de Moïse et les observances que l'on gardait encore, et la malédiction s'appesantit sur la tête de ceux qui suivaient encore la loi, et pour cela ils durent subir cette exécration. A l'Ancien Testament, succédèrent alors les commandements d'une alliance nouvelle et parfaite. C'est pourquoi le Sauveur et Seigneur dit à ceux qui croyaient qu'il fallait adorer Dieu à Jérusalem seulement, sur certaines montages ou dans des lieux, déterminés : L'heure tient, et elle est maintenant où les vrais adorateurs n'adoreront le père ni sur cette montagne, ni à Jérusalem; car Dieu est esprit, et il faut que ceux qui l'adorent, l'adorent en esprit et en vérité (Jean, IV, 23). Quelque temps après cette prédiction, Jérusalem fut emportée d'assaut, le lieu saint fut profané, l'autel détruit, et le culte établi par Moïse, aboli. Alors apparut à tous les hommes avec un vif éclat la religion antique suivie par ceux qui furent fidèles à Dieu avant Moïse, et cette bénédiction promise aux nations, qui élevait ceux qui y recouraient des premiers degrés de la religion et des éléments du culte mosaïque à une vie meilleure et plus parfaite. Ce culte des bienheureux et des fidèles patriarches du temps d'Abraham, qui n'était attaché à aucun lieu, ni à des symboles ou des cérémonies, mais était, comme le dit notre Sauveur et maître, une adoration d'esprit et de vérité, la venue du Sauveur sur la terre le répandit alors chez les Gentils. Les prophètes anciens avaient eu connaissance de ce merveilleux changement ; Sophonie dit clairement : Le Seigneur va apparaître ; il détruira les dieux des nations, et chacun l'adorera en sa patrie (Soph., II, 11). Malachie, s'adressant a ceux de la circoncision, parle ainsi de ce qui arrivera aux nations : Telle n'est pas ma volonté, dit le Seigneur tout-puissant, et je ne recevrai pas de sacrifices de vos mains ; car depuis le lever du soleil jusqu'à son coucher, mon nom est glorifié parmi les nations ; et en tout lieu est offert à mon nom un sacrifice et une victime pure (Mal., I,10). Or, quand le prophète dit qu'en tout lieu on offrira de l'encens et des victimes au Seigneur, qu'entend-il sinon que ce ne sera plus à Jérusalem, ni dans un lieu précis, mais en toute contrée, et chez toute nation que l'on offrira au Dieu suprême le parfum de la prière et l'oblation immaculée, non pas du sang des victimes, mais des bonnes actions. C'est le cri prophétique que fit entendre Isaïe, quand il dit : « Sur la terre d'Égypte un autel sera élevé au Seigneur, le Seigneur sera reconnu par l'Égypte, il lui enverra un homme pour la sauver. Les Égyptiens en ce jour connaîtront le Seigneur, ils loi offriront leurs sacrifices, et accompliront les vœux qu'ils auront formés et retourneront vers lui. Le Seigneur l'apaisera et les guérira » (Is., XIX, 19). [1,6g] Parlons-nous d'un changement dans la loi de Moïse ou plutôt de sa fin et de son abolition annoncées par les paroles des prophètes? Moïse ordonne par sa loi de n'élever d'autel, de n'offrir de sacrifices que dans la terre de Judée, et désigne en cette contrée une ville unique pour lieu de la prière. La prophétie annonce qu'un autel sera élevé au Seigneur sur la terre d'Égypte, que les Égyptiens eux-mêmes laisseront les rites des dieux de leurs ancêtres pour pratiquer le culte du Dieu des prophètes, entraînés non par Moïse ni un autre prophète, mais par un homme nouveau envoyé de Dieu à tous les peuples. Or; si l'autel est abandonné contre les institutions de Moïse, il est de toute nécessité que la loi de ce législateur le soit aussi; si les Égyptiens sacrifient en l'honneur du Dieu suprême, il faut encore qu'ils acquièrent l'honneur du sacerdoce. S'ils sont décorés de ce glorieux caractère, tout ce que Moïse a décidé par rapport aux lévites et aux enfants d'Aaron, devient inutile aux Égyptiens. C'était donc l'heure d'établir une nouvelle loi pour confirmer ce qui avait été annoncé. Quoi donc ? Cette prédiction fut-elle faite au hasard? Est-elle vérifiée par l'événement? Mais voyez si maintenant, aux jours où nous vivons, et les Égyptiens, et tous les peuples livrés autrefois à l'idolâtrie et que l'oracle sacré a désignés sous le nom d'Égyptiens délivrés de la servitude du démon et des erreurs de l'idolâtrie, n'invoquent pas le Dieu des prophètes. Ce n'est plus à une multitude de divinités, mais au seul Seigneur qu'ils offrent leurs vœux, suivant la prophétie : c'est à sa gloire que sur la face du monde, s'élève l'autel d'une victime d'intelligence et non sanglante immolée suivant les mystères de la nouvelle alliance. Dans cette Égypte, au sein des nations qui suivaient les erreurs de l'Égypte en leur culte, aujourd'hui la connaissance du Dieu du monde a confirmé par ses lumières la foi des oracles sacrés, d'une manière inébranlable. [1,6h] Si, frappé d'événements si merveilleux dont on n'attend plus le jour comme autrefois, vous en cherchez l'origine, vous ne trouverez que le moment de la manifestation du salut. C'est donc le Christ que désignait l'oracle en disant que le Dieu de l'univers, que le Seigneur enverrait aux Égyptiens un homme qui les sauverait ; lui que Moïse annonçait en disant : Un homme sortira de sa race et dominera la multitude des nations (Nomb., XXIV, 5), et parmi ces nations, il faut compter les Égyptiens. Mais il serait long de traiter cette particularité, et nous devons être concis. Observons pour l'instant que ces paroles n'eurent leur accomplissement qu'après la manifestation du Sauveur Jésus. Des lors et jusqu'à ce jour, les Égyptiens, les Perses, les Syriens, les Arméniens, les Barbares les plus reculés, les nations les plus féroces et les plus sauvages, au sein des îles, car le prophète n'a pas dédaigné d'en faire mention ; partout la loi que suivit Abraham, et le culte ancien et primitif sont en honneur. Qui n'admirerait pas une chose aussi frappante? Les nations qui, depuis des siècles, rendaient les honneurs divins aux pierres, au bois, aux démons, aux bêtes qui se repaissaient de la chair de l'homme, aux reptiles venimeux, aux monstres informes, au feu et à la terre, et à tous les éléments insensibles, depuis la venue de notre Sauveur adorent le Dieu suprême, le créateur du ciel et de la terre, le Seigneur des prophètes, le Dieu d'Abraham et de ses pères. Ceux dont naguère la passion ne respectait ni leurs mères, ni leurs filles, qui se corrompaient â l'envi et se souillaient de meurtres et de turpitudes de toute espèce ; ceux qui, par leur cruauté, ne différaient en rien des animaux les plus féroces, changés maintenant par la divine vertu de notre Sauveur, et devenus comme d'autres hommes, se rendent avec empressement aux enseignements publics, afin de graver en leur coeur lés préceptes de la vertu et de la sagesse. Ainsi tous hommes ou femmes, pauvres ou riches, savants ou ignorants, les enfants même ou les esclaves à la ville ou à la campagne, se réunissent pour connaître cette philosophie céleste qui enseigne â ne jamais jeter des regards licencieux, à ne pas proférer de paroles inutiles, à ne pas suivre la coutume et l'usage, pour apprendre le culte qu'il faut tendre au Dieu suprême, et par lequel il faut l'honorer en tout lieu suivant la prophétie : « et chacun l'adorera en sa patrie » (Soph, II, 11). [1,6i] Grecs ou Barbares, tous adorent donc le Dieu de l'univers, non pas en courant à Jérusalem, ni en se purifiant par le sang des victimes, et les sacrifices, mais chacun, retiré en sa maison, lui offre en esprit et en vérité une hostie non sanglante et pure. Telle est la nouvelle alliance, bien différente de l'ancienne, et par l'ancienne il faut que vous entendiez non pas celle qui fit chérir de Dieu les fidèles qui précédèrent Moïse, mais celle que Moïse lui-même a donnée au peuple juif. Aussi, pour faire sentir quelle est cette alliance qu'il dit ancienne et si différente de la nouvelle, l'oracle divin ajoute : « J'établirai une nouvelle alliance, non pas selon l'alliance que j'ai formée avec leurs pères, du jour où je les ai tirés de la terre d'Égypte » (Jérém., XXXI, 32). Il dit donc quelle ne sera pas comme l'alliance qu'il a établie par le ministère de Moïse, comme celle qu'il a faite avec les Juifs au moment de la sortie de l'Égypte. Mais il eût semblé en introduire une contraire au culte que suivirent les fidèles semblables à Abraham, s'il n'eût ajouté ces paroles si claires : « Non pas selon l'alliance que j'ai formée avec leurs pères, au jour où je les ai tirés de l'Égypte. » Le Seigneur assure donc que celle alliance ne ressemblera pas à celle que Moïse donna aux Juifs à la sortie d'Égypte, et pendant leur séjour dans le désert, mais à l'alliance que suivirent ceux qui précédèrent Moïse, et dont l'observance leur mérita un glorieux témoignage. [1,6j] Vous pourrez donc avec assurance diviser les divers cultes non pas en deux, mais en trois ordres : l'un, de ceux qui plongés dans l'idolâtrie se sont livrés à toutes les erreurs du paganisme; l'autre, de ceux qui par la circoncision ordonnée par Moïse, ont atteint le premier degré de la piété; le troisième, enfin, des fidèles qui par l'enseignement évangélique se sont élevés jusqu'à la perfection. Or, si vous placez ce dernier entre les deux autres, ne pensez plus que ceux qui se séparaient des Juifs dussent nécessairement suivre l'erreur des Grecs, ni que ceux qui abandonnaient ce culte insensé fussent forcés d'embrasser le judaïsme ; mais considérez le culte de ceux que vous avez placés entre les premiers, vous trouverez qu'il s'élève au-dessus des autres, et que, comme situé en un lieu élevé, il voit au-dessous de lui ces autres cultes. Il est pur des superstitions erronées et impies de la Grèce, de ses dissolutions et de ses désordres : il est dégagé des pratiques mosaïques imparfaites et comme tracées pour l'enfance et la faiblesse. Dans les lois qu'il impose comme propres, dès le commencement, non seulement aux Juifs, mais encore aux Grecs et aux Barbares, écoutez comme il parle : Ô homme ! ô race entière des hommes ! la loi de Moïse ne s'adressait qu'à un seul peuple, à la première de toutes les nations, aux Juifs, en considération des promesses faites à leurs pères, les amis de Dieu ; elle les appelait à la connaissance d'un Dieu unique, afin de délivrer ceux qui seraient dociles à sa voix, de la servitude pesante du démon : pour moi, je révèle à tous les hommes, à toutes les nations de la terre, une connaissance de Dieu bien plus sublime, un culte plus élevé, pour qu'ils imitent la vie de ceux qui ont vécu avec Abraham ou qui ont précédé les jours de Moïse au sein même des autres nations, et dont la mémoire est en honneur à cause de leur piété. Et encore : La loi de Moïse enjoignait à ceux qui voulaient le suivre, d'accourir en un lieu unique de la terre : pour moi, je forme tous les hommes à une liberté sainte; je leur apprends non à chercher le Dieu du monde dans un coin de la terre, sur les montagnes ou dans des temples construits de la main des hommes, mais l'honorer et à l'invoquer chacun en sa demeure. Ou bien : l'ancienne loi ordonnait des oblations, le sang des animaux, l'encens et le feu, et d'autres rites corporels semblables, pour honorer le Dieu de l'univers. Pour moi, je révèle les mystères spirituels, j'apprends à honorer Dieu par la pureté des affections et la simplicité de l'esprit, par la sagesse et la vertu, par des pensées droites et pieuses. Et encore : Moïse s'adressait à des hommes entraînés au meurtre, comme ils l'étaient en ses jours ; ne tuez pas, leur dit-il : et moi, à des hommes qui ont déjà reçu ce précepte, qui se sont formés à l'accomplir, je donne un commandement plus parfait, celui de ne jamais se mettre en colère. Moïse ordonnait à des impudiques et à des voluptueux de ne pas commettre d'adultère, de fuir les plaisirs contre nature, menaçant de la mort les transgresseurs : et moi, je veux même que mes disciples ne regardent pas une femme avec un désir déréglé. Moïse disait : Vous ne vous parjurerez pas ; mais vous rendrez au Seigneur ce que vous avez voué. Pour moi, je vous dis de ne jurer en aucune sorte: mais que votre discours soit : oui, oui ; non. non. Car ce qui est de plus vient du père du mal. Et aussi il a ordonné de repousser l'injure et de se venger, en disant : Oeil pour oeil, dent pour dent ; et moi, je vous dis de ne point résister au méchant ; mais si quelqu'un vous frappe sur la joue droite, présentez-lui aussi l'autre. Et abandonnez encore votre manteau à celui qui veut disputer en jugement avec vous, et vous enlever votre tunique (Matth., V, 37). Et puis, Moïse voulait qu'on chérit son ami, qu'on détestât son ennemi ; et moi je vous ordonne dans la surabondance d'humanité et de clémence d'aimer vos ennemis, de prier pour ceux qui vous persécutent, afin que vous soyez le fils de votre Père céleste, qui fait lever son soleil sur les méchants et les bons, et répand la pluie bienfaisante sur les justes et les injustes. Moïse se pliait à la dureté de son peuple, il donnait sagement à son inquiète ardeur un culte différent de l'ancien et bien moins sublime ; et moi, j'appelle tous les hommes à la vie pieuse et sainte des anciens fidèles. Enfin Moïse promit une terre où coulaient le lait et le miel, aux Juifs comme à des enfants, et moi je conduis au royaume du ciel ceux qui peuvent comprendre. [1,6k] Telle est la bonne nouvelle que le Nouveau Testament annonce aux nations par les enseignements du Christ : tel est le précepte que le Christ de Dieu ordonne à ses disciples de porter aux nations, en disant : « Allez, prêchez votre doctrine à tous les peuples leur enseignant à garder tout ce que je vous ai appris. » Or, en léguant a tous les hommes, aux Grecs comme aux Barbares, l'observation de ces commandements, il a montré quel était le christianisme, quels nous étions, quelles lois et quels préceptes il enseignait, lui, notre Sauveur et Seigneur Jésus, le Christ, Fils de Dieu, qui a fondé sur la terre cette société nouvelle et livrée à la pratique de la vertu, de sorte que tous peuvent étudier ses préceptes et les pratiquer, hommes et femmes, riches et pauvres, libres et esclaves. Cependant l'auteur de cette nouvelle loi a vécu suivant la loi de Moïse; et ce qui est admirable, c'est que pour établir l'alliance de l'Évangile, le nouveau législateur n'a pas traité la loi de Moïse comme opposée et contraire à la sienne. Car s'il eût paru établir une législation rivale de celle de Moïse, il eût offert à d'impies sectaires l'occasion de blasphémer les préceptes de Moïse et des prophètes, et un juste motif de l'accuser de conspirer contre la loi, aux circoncis qui tramèrent sa mort comme celle d'un transgresseur et d'un apostat. [1,7a] CHAPITRE VII. C'est après avoir observé les traditions de Moïse, que le Christ a institué une loi toute nouvelle. Après s'être soumis à tous les préceptes de Moïse, le Sauveur choisit les apôtres pour être ministres de la nouvelle alliance, nous apprenant ainsi que la loi de Moïse n'était ni en contradiction avec la sienne, ni opposée à ses préceptes, et il s'offrit aux hommes comme auteur et introducteur d'une loi nouvelle et salutaire. Ainsi il ne parut jamais transgresser les lois de Moïse, mais il y mit fin ; il leur donna leur parfait accomplissement, et acquit ainsi le droit d'établir la loi évangélique. Voici quelles étaient ses paroles à ce sujet: Je ne suis pas venu détruire la loi ni les prophètes, mais les accomplir (Matth. V, 17 ). Or, s'il eût violé la loi de Moïse, il eût passé avec justice pour la détruire et la transgresser. S'il eût été contempteur et transgresseur, jamais il n'eut été reconnu pour le Christ. S'il se fût soustrait aux ordonnances du législateur, se fut-on imaginé qu'il fût le libérateur prédit par Moïse et les prophètes? Quelle autorité eût-il acquis pour faire embrasser la nouvelle loi? Il eût semblé ne publier son alliance que pour échapper aux châtiments des transgresseurs. Or, après n'avoir dérogé en rien à la loi, après s'être montré fidèle observateur, et s'être perfectionné, pour ainsi dire, conformément aux préceptes de Moïse, comme les nations ne pouvaient se plier à ces lois pour les raisons que nous avons exposées, et que la charité du Dieu plein de bonté voulait sauver tous les hommes et les amener à la connaissance de la vérité, Jésus-Christ sanctionne ceux des préceptes de Moïse qui pouvaient convenir à tous ; car il n'eût pas craint d'envoyer ses disciples enseigner à l'univers les lois de Moïse, si elles n'eussent pas présenté des impossibilités, comme l'Apôtre nous l'apprend : « Car ce qui était impossible à la loi, dans sa faiblesse, Dieu, en envoyant son Fils revêtu de la ressemblance de la chair de péché, etc. » (Rom., VIII, 3). En effet, il était impossible aux nations de se rendre trois fois par an à Jérusalem, à la femme délivrée de venir des extrémités de la terre, présenter à l'autel une offrande de purification, et ainsi de mille circonstances que l'on peut remarquer. Puis donc que les ordonnances n'étaient pas praticables aux nations éloignées, malgré leur disposition favorable, quelle ne fut pas la sagesse de notre Sauveur et Seigneur qui, après avoir pratiqué la loi, l'avoir accomplie en tous ses points, et avoir rempli ceux qui le voyaient, de la foi qu'il était le Christ de Dieu, annoncé jadis par les prophètes, envoya ses disciples annoncer aux nations des préceptes plus faciles? Aussi rejetons-nous le judaïsme, parce qu'il ne nous est pas praticable et ne peut convenir aux nations ; mais nous recevons volontiers les saints oracles de la main des Juifs, parce qu'ils renferment les prophéties qui nous concernent. Du reste il est reconnu que notre Sauveur et maître a accompli la loi de Moïse et des prophètes qui l'ont suivi ; car puisqu'il fallait que les oracles sacrés s'accomplissent et que les prophéties se réalisassent, il dut leur donner leur consommation. Par exemple, il se trouve dans les écrits de Moïse une prophétie ainsi conçue : Le Seigneur votre Dieu vous enverra un prophète comme moi; vous l'écouterez en tout ce qu'il vous enseignera ( Deut., XVIII, 15 ). Cette parole fut accomplie par le second législateur qui vint apprendre aux hommes le vrai culte, du Dieu de l'univers. [1,7b] Moïse ne dit pas simplement: Il viendra un prophète, mais il ajoute : comme moi : «Le Seigneur votre Dieu, dit-il, vous enverra un prophète comme moi, écoutez-le. » Que laisse-t-il à entendre, sinon que celui qu'il présage lui sera égal. Or, Moïse enseigna le vrai culte du Dieu suprême ; donc ce prophète annoncé comme devant être semblable à Moïse donnera des préceptes de même genre : mais de tous les prophètes qui ont parlé après Moïse, nul ne lui a été comparé ; tous au contraire renvoyaient au saint législateur ceux qui les écoutaient. L'Écriture nous atteste qu'il ne s'est point élevé de prophète semblable à Moïse. Ainsi donc ni Jérémie, ni Isaïe, ni quelque autre des prophètes ne fut comme lui, puisque aucun n'a donné de préceptes ni de lois. Tandis que l'on vivait dans l'attente de la venue du prophète annoncé par Moïse, le Christ de Dieu, Jésus, parut et apporta aux nations une loi supérieure à celle des Juifs ; car il a été dit aux anciens: Vous ne commettrez point d'adultère ; « et moi, je vous dis de ne point convoiter; il a été dit aux anciens : Vous ne tuerez point ; et moi je vous dis de ne pas vous mettre en colère » (Matth., V, 27). Ce n'est plus à Jérusalem seulement, c'est en tout lieu qu'il faut adorer; ce n'est plus avec l'encens et les sacrifices qu'il faut honorer Dieu, mais c'est en esprit et en vérité. Toutes les autres paroles semblables contenues en sa doctrine sont d'un maître souverainement sage et parfait. Aussi, nous dit la divine Écriture, ceux qui l'écoutaient étaient-ils saisis d'admiration, car il les enseignait comme ayant puissance, et non comme les scribes et les pharisiens (Matth, VII, 29). Ainsi fut accomplie la prophétie de Moïse ; ainsi les oracles des prophètes sur le Messie et la vocation des Gentils eurent-ils leur consommation. Jésus-Christ acheva la loi et les prophètes en accomplissant leurs prédictions; après avoir établi la première loi jusqu'à sa venue, il parut en publiant la loi de la nouvelle alliance promise aux nations, de sorte qu'il est véritablement la source de l'autorité des deux Testaments du judaïsme et du christianisme. La prophétie divine est admirable: «Voici que j'établirai dans Sion une pierre choisie, angulaire et précieuse. Celui qui croit en elle ne sera pas confondu » (Is., XXVIII, 16). Or quelle est cette pierre angulaire, sinon la pierre vivante et précieuse qui soutient les deux alliances réunies en une seule par sa doctrine? Car tandis qu'il affermit l'édifice de Moïse, qui devait subsister jusqu'à sa venue, il y joint encore notre édifice évangélique. Ainsi mérite-t-il d'être nommé la pierre angulaire. On lit encore dans les psaumes: « La pierre que les architectes avaient rejetée est devenue la pierre de l'angle. Ici est l'œuvre du Seigneur et la merveille pour tous les yeux »(Ps. CXVII, 22). Cet oracle prédit aussi les complots auxquels le Messie sera exposé de la part des Juifs ; il devait être rejeté par ceux qui construisaient l'ancien édifice, par les scribes, les pharisiens, les princes es prêtres et les chefs des Juifs. Mais après ces mépris et ce refus qu'en firent les Juifs, il sera la pierre de l'angle, le chef et l'auteur du Nouveau Testament, suivant ce que nous avons dit plus haut. [1,7c] Ainsi, quand nous avons rejeté les erreurs des Grecs, nous ne sommes pas tombés dans le judaïsme; et si nous avons reçu la loi de Moïse, et les prophètes des Hébreux, quoique nous ne conformions pas notre vie à celle des Juifs, mais que nous imitions la conduite des fidèles qui ont précédé le saint législateur, nous n'avons point failli. Nous montrons même que Moïse et les prophètes qui lui ont succédé ont dit vrai, lorsque nous recevons le Christ qu'ils ont prédit, lorsque nous obéissons à ses lois et que nous désirons marcher dans les sentiers de ses commandements, dociles a la voix de Moïse et à celle du Christ. Le saint législateur dit en effet : « Quiconque n'écoutera pas ce prophète périra du milieu de son peuple. » Aussi les Juifs qui ne reçurent pas le prophète, et ne furent pas dociles à ses salutaires conseils, furent frappés du plus terrible châtiment, en exécution de la prophétie. En effet, ils ne voulurent pas recevoir la loi du Christ en la nouvelle alliance, et ils ne pouvaient observer les préceptes de Moïse qu'au mépris de la loi. C'est pourquoi ils ont été frappés de l'anathème de leur législateur, parce qu'il leur était impossible de suivre ses ordonnances, après la destruction de leur métropole sur le lieu désigné pour célébrer leur culte. Mais nous qui recevons le Christ annoncé par Moïse et les prophètes, et désirons suivre ses voies, nous avons obéi à l'ordre du chef des Hébreux : « Écoute-le ; quiconque n'écoutera pas ce prophète, périra du milieu de son peuple. » Or, les paroles du prophète, auxquelles il faut être docile, sont ces commandements sages, parfaits et tout divins que nous venons d'entendre, ces préceptes qu'il ne voulut pas écrire sur les tables de pierre de Moïse, ni confier à l'encre et au papier, mais qu'il grava dans les âmes de ses disciples purifiés et rendus capables des choses célestes, Jésus trace ainsi en leur cœur la nouvelle loi, et accomplit les prophéties de Jérémie: « J'établirai une nouvelle alliance, non pas selon l'alliance que j'ai formée avec leurs pères. Voici l'alliance que je ferai avec la maison d'Israël. J'inculquerai ma loi à leur intelligence; je récrirai dans leurs cœurs et je serai leur Dieu, et ils seront mon peuple. » [1,8] CHAPITRE VIII. La vie conforme aux préceptes du christianisme offre un double caractère. Moïse a écrit sa loi sur des tables inanimées ; Jésus-Christ a gravé les préceptes de la nouvelle alliance dans de vivantes intelligences, et ses disciples, guidés par l'esprit de leur maître, proportionnant leurs enseignements aux forces de leurs auditeurs, ne confièrent ce qu'ils avaient appris de leur parfait docteur, lorsqu'ils furent plus affermis, qu'à ceux qui pouvaient le comprendre ; ce qu'ils jugèrent convenable à des cœurs encore charnels, et qui avaient besoin de soins multipliés, ils le rabaissèrent au niveau de leur faiblesse, le leur offrant tantôt dans leurs écrits, tantôt comme un simple usage, de sorte que dans l'Église du Christ il y eut deux règles de vie. L'une spirituelle et élevée bien au-dessus de la vie ordinaire, évite le mariage, le soin de perpétuer sa race, les biens et les richesses, elle s'éloigne de la vie ordinaire et commune, pour ne s'attacher qu'au culte de Dieu par un transport d'amour pour les choses célestes. Ceux qui l'ont embrassée, morts à la vie des hommes, ne tenant à la terre que par leurs corps, mais élevés par leurs affections jusque dans le ciel, comme des Dieux, méprisent cette vie mortelle, consacrés qu'ils sont entre les autres hommes au Dieu de l'univers, non par des sacrifices ou l'effusion du sang, par des libations ou l'odeur des victimes, par la forme de feu ou la destruction des corps, mais par les droites croyances du culte de vérité, par les affections d'un cœur pur, par des actions et des discours qu'anime la vertu, lis présentent ces offrandes à la Divinité, et exercent ainsi le sacerdoce pour eux et pour ceux qui partagent leur foi. Telle est la perfection du christianisme. L'autre règle, moins élevée et plus appropriée à la faiblesse humaine, permet un mariage modeste, la génération, le soin de son bien ; elle indique la voie de la justice à ceux qui sont engagés licitement dans la milice du monde ; elle forme à se livrer avec religion à la culture des champs, au commerce ou aux autres soins de la vie. Pour ceux qui la suivent sont déterminés les moments des pratiques spirituelles, le jour des instructions cl de l'assistance aux prédications. De la sorte la nouvelle alliance offre à ces derniers un second degré convenable à la vie qu'ils mènent, afin que personne ne soit prive de la révélation du salut, et que toute race, les Grecs ou les Barbares, puisse jouir des instructions de l'Evangile. [1,9a] CHAPITRE IX. Pourquoi nous ne songeons pas à multiplier notre race comme le faisaient les anciens. S'il est vrai, comme nous l'avançons, que la foi évangélique ramène le culte suivi par les patriarches qui ont devancé Moïse et que nous n'ayons qu'une même croyance et qu'une même connaissance de Dieu, on pourra nous demander pourquoi ceux-ci désiraient si fortement le mariage et la multiplication de leur famille, tandis que nous négligeons entièrement ce soin et pourquoi, tandis qu'il est écrit qu'ils se rendaient le Seigneur propice par l'immolation des victimes, nous évitons les sacrifices comme une impiété. Ces deux difficultés d'un assez grand poids semblent détruire ce que nous venons d'avancer, en montrant qu'en cela nous ne nous conformons pas aux usages de l'ancienne religion. Or, nous pouvons offrir la réponse suivante, tirée des livres des Hébreux et dire : Ceux qui, avant Moïse, ont mérité un illustre témoignage pour leur piété, ont vécu au commencement de la vie et des jours du monde; mais les préceptes qui nous sont donnés tendent à la consommation de toutes choses. Aussi ces saints personnages cherchèrent-ils avec grand soin à augmenter le nombre de leurs héritiers ; car le temps accroissait et se développait, et le genre humain avançait jusqu'à la fleur de l'âge. Pour nous, ce n'est plus notre but ; car maintenant toutes choses déclinent et tendent à leur fin, la consommation générale approche; voici la fin de la vie ; l'Évangile est prêché à nos portes, et l'on entend retentir la nouvelle de la rénovation et de la régénération du siècle futur qui approche. Voilà notre première réponse; en voici une autre. Ces hommes des premiers jours, dont la vie était sans sollicitudes et libre d'obligations, n'éprouvaient nul obstacle à réunir leur famille et leurs enfants pour se livrer avec recueillement à l'adoration de la Divinité, avec leurs femmes, leurs enfants et leur famille, n'ayant point à craindre d'être distraits d'une si noble occupation par des étrangers, tandis que mille choses extérieures, mille privations étrangères nous assiègent et nous écartent de la pratique continuelle de ce qui plaît à Dieu. Une instruction évangélique nous apprend que tel est le motif de s'abstenir du mariage. « Voici donc ce que je vous dis, mes frères : le temps est court, et ainsi il faut que ceux mêmes qui ont des femmes soient comme n'en ayant point, et ceux qui pleurent, comme ne pleurant point, ceux qui se réjouissent comme ne se réjouissant point, ceux qui achètent comme ne possédant point ; enfin ceux qui usent de ce monde comme n'en usant point ; car la figure de ce monde passe. Je désire vous voir dégagés de soins et d'inquiétudes. Or, celui qui n'est pas marié s'occupe uniquement du soin des choses du Seigneur et de ce qu'il doit faire pour plaire au Seigneur ; mais celui qui est marié s'occupa du soin des choses du monde, et de ce qu'il doit faire pour plaire à sa femme, et ainsi se trouve partagé. De même une femme qui n'est pas mariée et une vierge s'occupent du soin des choses du Seigneur, afin d'être saintes de corps et d'esprit; mais celle qui est mariée s'occupe du soin des choses du monde et de ce qu'elle doit faire pour plaire à son mari. Or, je vous dis cela pour votre avantage, non pour vous dresser un piège, mais pour vous porter à ce qui est plus parfait et qui vous donne un moyen plus facile de prier Dieu sans empêchement (I Cor., VII, 31). En blâmant les ineptes futilités des circonstances et des choses extérieures, qui n'existaient pas pour les anciens, l'Apôtre fait connaître clairement pourquoi il faut s'abstenir du mariage. [1,9b] Nous ajouterons une troisième raison de l'ardeur qu'eurent les anciens fidèles de voir multiplier leur race, tandis que les autres hommes se plongeaient dans le mal, que leurs mœurs devenaient cruelles, inhumaines et sauvages, que leur culte dégénérait en impies superstitions, ces hommes de foi, peu nombreux et faciles à compter, s'écartèrent de la vie commune et des usages du reste du monde. Séparés donc des autres nations et vivant loin d'elles, ils instituèrent des usages contraires, une vie conforme à la sagesse et à la vraie religion et sans aucun commerce avec les autres hommes. Afin donc de conserver à ceux qui viendraient après, comme une étincelle sacrée qui ranimât le culte qu'ils suivaient, et pour qu'à leur mort ne périt pas la sainte piété, ils durent former le dessein d'avoir des enfants et de les élever pour être les maîtres et les précepteurs de leur postérité, persuadés de l'obligation de laisser des héritiers de leur piété et de leur religion à ceux qui viendraient dans la suite des temps. C'est d'eux que descendent les nombreux prophètes, les justes, le Sauveur lui-même, ses disciples et ses apôtres. Si quelques-uns de leurs descendants ont été pervers, ainsi que la paille naît avec le bon grain, il ne faut pas accuser ceux qui furent leurs pères et leurs maîtres ; ne savons-nous pas que quelques disciples du Sauveur s'égarèrent par un écart de leur volonté. Telle est la cause du dessein que formèrent les patriarches pour la multiplication de leur race, cause qui n'existe plus pour nous ; car aujourd'hui, dans les contrées, dans les villes, dans les campagnes, nous voyons de nos yeux une multitude de nations, des peuples innombrables entraînés par la grâce de Dieu à la lumière de l'Évangile, et animés du même esprit, s'empresser d'acquérir la connaissance de Dieu par les lumières de l'Évangile ; de sorte que les docteurs et les prédicateurs de la parole de vie peuvent à peine suffire, quoique dégagés de tout lien de la vie et de toute sollicitude. Or, l'affranchissement du lien du mariage les oblige à se livrer à des biens plus élevés, parce qu'ils préparent une naissance spirituelle et divine,et qu'ils sont chargés non pas de deux ou de trois enfants, mais d'une multitude innombrable, de leur éducation dans l'ordre de Dieu, et du soin, de diriger le reste de leur vie. [1,9c] Enfin, si l'on examine la vie des anciens patriarches dont nous parlons, on trouvera que si dans leur jeunesse ils cherchaient à avoir des enfants, ils s'abstenaient de bonne heure du mariage. Il est écrit en effet (Gen., V, 22) qu'après avoir engendré Mathusala, Enoch plut au Seigneur. L'histoire sacrée désigne spécialement que c'est après la naissance de ce fils qu'Énoch plut au Seigneur, et ne dit pas qu'il avait engendré d'autres enfants. Lorsque après la naissance de ses fils, Noé, l'homme juste, qui échappé à la destruction générale seul avec sa famille, quoiqu'il vécût longtemps encore, cependant il n'eut plus d'enfants. Isaac, après le double enfantement de son épouse, ne s'en approcha plus. Joseph, quoiqu'il vécût en Égypte, ne fut père que de deux fils, que lui donna une seule épouse. Il est raconté de Moïse et d'Aaron son frère, qu'avant l'apparition dont ils furent favorisés, ils eurent des enfants ; mais on ne saurait trouver qu'ils en aient engendré après la révélation des desseins de Dieu. Que dire de Melchisédech ? Il apparut sans famille, sans race, sans héritier. Ainsi de Jésus, le successeur de Moïse, et d'un grand nombre de prophètes. Nous avons exposé au long, dans un autre lieu, le motif qui porta Abraham et Isaac à multiplier leur race; c'est là que nous avons traité de la polygamie et de la nombreuse race des anciens fidèles, et nous y renvoyons le lecteur studieux en l'avertissant que les lois de la nouvelle alliance n'interdisent pas absolument le mariage, mais que leurs prescriptions sont semblables à celles des anciens fidèles. Il faut, dit l'Écriture, qu'un évêque n'ait épousé qu'une seule femme (1 Tim., III, 2). Ceux qui sont consacrés à Dieu, et qui se livrent à l'exercice du sacré ministère, doivent s'abstenir désormais de tout commerce avec leur épouse. Cependant les saintes lettres condescendent à la faiblesse de ceux qui ne sont pas jugés dignes d'un si grand honneur, mais elles les avertissent clairement que le mariage est honorable, et le lit nuptial inviolable (Hébr., XIII, 4); que Dieu jugera les fornicateurs et les adultères. Telle est la réponse que nous faisons à la première difficulté. [1,10a] CHAPITRE X. Pourquoi il ne nous est pas permis comme aux anciens de brûler ou d'immoler au Seigneur les biens de la nature. Quant à celle que l'on élève sur ce que nous ne sacrifions pas au Dieu de l'univers, comme le faisaient les anciens dans la ferveur de leurs adorations, voici ce que nous y répondrons. Les Grecs eurent sur le culte que les premiers hommes rendirent à la Divinité des idées bien différentes de celles qu'exposent les livres saints. Ils pensaient que les pères du genre humain n'immolèrent jamais quelque animal en l'honneur des dieux, ne firent rien brûler sur leurs autels, mais qu'ils adoraient le soleil et les autres astres du ciel, en cueillant de leurs mains un vert gazon et comme les trésors échappés à la seconde nature, et en jetant dans le feu de l'herbe, des feuilles et des racines. Les hommes qui vécurent après eux, entraînés dans de sacrilèges usages, ensanglantèrent les autels des dieux par des sacrifices impies, immolations sacrilèges, injustes et odieuses à la Divinité, car l'âme raisonnable de l'homme ne diffère en rien de celle des animaux. Aussi ceux qui offrent de telles victimes encourent-ils la vengeance due au meurtre, puisque, hommes et animaux, tous ont une âme semblable. Telles sont les rêveries de la Grèce ; mais l'histoire du peuple hébreu est bien différente; elle nous transmet que les premiers hommes, dès les premiers jours de la vie, honorèrent la Divinité en lui offrant des sacrifices. Elle dit : « Or il arriva après que Caïn offrit au Seigneur des fruits de la terre, Abel offrit aussi des premiers-nés de ses troupeaux, et le Seigneur regarda Abel et ses présents ; mais il ne regarda point Caïn, ni ce qu'il avait offert » (Gen., IV, 3). Vous voyez ici combien celui qui avait immolé des animaux, fut plus agréable au Seigneur que cet homme qui lui offrait les fruits de la terre. Aussitôt que Noé fut sorti de l'arche, il choisit parmi les animaux et les oiseaux purs des victimes, qu'il fit consumer par le feu sur l'autel, et le Seigneur eut son sacrifice en odeur de suavité. Il est écrit d'Abraham qu'il immola des victimes, de sorte que, suivant la divine Écriture, il faut reconnaître que les sacrifices d'animaux furent les premiers qu'offrirent les anciens fidèles. [1,10b] Or je crois que cette pratique ne fut pas due à un pur hasard, ni a une conception de l'homme, mais à une inspiration de la Divinité. Parvenus à une haute sainteté, dévoués entièrement à Dieu, et éclairés par la divine lumière du Saint-Esprit, ils sentirent qu'il fallait une grande expiation pour purifier leurs âmes des souillures de la vie, et qu'il était nécessaire d'offrir une hostie de propitiation à celui qui avait créé leurs corps et leurs âmes. Comme ils n'avaient rien à consacrer de plus précieux et de plus excellent que leur vie, ils la remplacèrent par l'offrande des animaux, offrant pour leur vie celle des créatures. En cela ils ne voyaient rien de criminel, ni d'injuste ; car ils n'ignoraient pas que chez les animaux il n'est rien de semblable à une âme raisonnable et intelligente, qu'ils n'ont que le sang, et que leur vie y réside, qu'ainsi ils offraient à Dieu comme vie pour vie. Moïse indique quelque part fort clairement lorsqu'il dit : « La vie de toute chair est dans le sang, et je vous l'ai donné afin qu'il vous serve sur l'autel pour l'expiation de vos péchés; car le sang de la victime est offert pour votre âme. C'est pourquoi j'ai dit aux enfants d'Israël que nul d'entre vous ne mange du sang» (Lév., XVII, ?. 11), Or remarquez, comme il est ajouté : « Je vous l'ai donné afin qu'il vous serve sur l'autel pour l'expiation de vos âmes par le sang de la victime est offert pour votre âme. » Dieu dit évidemment que le sang des animaux immolés sera offert pour la vie de l'homme. La loi des sacrifices le laisse à entendre au lecteur attentif quand elle ordonne que quiconque qui offrira une victime étendra ses mains sur sa tête, l'offrira au prêtre par la tête, comme substituant la victime à sa tête. Elle dit de chaque expiateur : Il amènera son hostie devant le Seigneur, et imposera les mains sur la tête de sa victime (Lév. IV, 4 ). Ce rit fut observé pour toutes les victimes ; car jamais on n'offre un sacrifice autrement. Par ces paroles la loi fait comprendre que la vie des animaux tiendra lieu de celle de l'homme. Or celui qui enseigne que le sang des animaux est leur âme, ne veut pas que l'on voie qu'elle est, comme celle de l'homme, une substance raisonnable et spirituelle. Ils ne sont qu'une substance matérielle, comme tous les corps et les plantes. En effet, Moïse prête à Dieu ces paroles qui se lient entre elles : « Que la terre produise de l'herbe qui porte de la graine et des arbres fruitiers : » puis dans le même sens : « Que la terre produise des quadrupèdes, des reptiles et tous les animaux qui doivent la couvrir, chacun selon son espèce » (Gen., I, 11 ). De sorte que les arbres, les plantes et les animaux ont une même origine, une même naissance et une même substance. Par conséquent ceux qui immolent des victimes ne font aucune faute, Aussi fut-il permis à Noé de manger de la chair, comme de l'herbe des champs. [1,10c] Comme les hommes n'avaient rien de meilleur, de plus grand, de plus honorable, de plus agréable à Dieu, il fallait donc, afin d'expier leur vie et de racheter leur existence, qu'ils immolassent des victimes au Seigneur. C'est ce que firent les anciens fidèles annonçant ainsi, sous l'inspiration de l'Esprit saint, la victime auguste, divine et majestueuse qui devait venir un jour, le sacrifice d'expiation pour le monde entier, qu'ils figuraient d'eux-mêmes comme prophètes et comme symboles de l'avenir. Dès que cette victime parfaite apparut sur la terre, suivant les paroles des prophètes, les anciennes oblations furent rejetées et remplacées par un sacrifice supérieur et véritable. Ce fut le Christ de Dieu, dont la venue était annoncée dès les anciens jours, et qui, semblable à un agneau, devait être immolé pour tous les hommes. Isaïe, le prophète, dit de lui : « Il fut conduit à la mort comme une brebis qu'on va égorger; il garda le silence comme un agneau devant celui qui le tond »(Isaïe, LIII, 7). Le même prophète dit encore : « Il a pris véritablement nos iniquités, et il souffre pour nous. Et nous l'avons considéré comme un homme voué aux fatigues, aux blessures et à l'affliction. Il a été percé de plaies pour nos iniquités, et il a été brisé pour nos crimes. La vengeance, source de notre paix, s'est appesantie sur lui. Nous avons été guéris par ses meurtrissures, et Dieu l'a chargé seul des iniquités de tous, parce qu'il n'a pas commis l'iniquité et que le mensonge n'a jamais été dans sa bouche. » Jérémie, cet autre prophète des Hébreux, parle de la même manière en la personne du Christ : « Je suis comme un agneau innocent qui est mené au sacrifice » (Jérémie, XI, 19 ). Le témoignage de Jean-Baptiste à l'avènement du Sauveur, confirme ces témoignages. En le voyant il le montra à ceux qui étaient auprès de lui, comme celui que désignaient les prophètes, et dit. « Voici l'agneau de Dieu, celui qui efface les péchés du monde » (Jean, I, 19). [1,10d] Puisque maintenant nous avons trouvé, suivant le témoigne des prophètes, la grande et vénérable rançon des Juifs et des Grecs, la victime expiatoire de tout le monde, qui se dévoue pour tous les hommes, une très pure oblation pour toute tache et toute souillure, l'agneau de Dieu, la brebis chérie du ciel et très pure; l'agneau annoncé par les prophètes, dont la doctrine céleste et mystique nous a apporté la rémission des péchés, à nous qui fûmes tirés du sein des nations, tout en délivrant des imprécations de Moïse les Juifs qui ont espéré en lui, tandis que nous célébrons chaque jour la mémoire de son corps et de son sang, honorés que nous sommes de la possession d'un sacrifice bien supérieur à celui des anciens, nous ne voulons plus nous soumettre à ces rites antiques qui n'étaient que de symboliques images dépourvues de la vérité; et ceux des Juifs qui se réfugient dans la religion du Christ de Dieu, s'ils vivent en pratiquant la nouvelle alliance, sans s'inquiéter des préceptes de Moïse, ne seront pas soumis aux malédictions de ce législateur, car l'agneau de Dieu a pris sur lui et le péché du monde, et l'anathème encouru par les transgressions de la loi de Moïse. Cet agneau céleste s'est donc rendu péché et malédiction : péché, pour les péchés du monde; et malédiction, pour ceux qui demeurent soumis à la loi de Moïse. Aussi, dit l'Apôtre : « Le Christ nous a délivrés de la malédiction de la loi, en se rendant malédiction pour nous » (Galates, III, 13 ). « Et pour vous Dieu a rendu péché celui qui n'avait pas connu le péché » (II Cor., V, 21). A quoi, en effet, ne se soumettra pas la victime d'expiation pour le monde, la rançon du pécheur, celui qui a été conduit au supplice comme une brebis, et mené au sacrifice comme un agneau, et cela pour nous et par nous? Les anciens fidèles durent donc chercher avec soin de vrais symboles dans la privation où ils étaient de victimes plus parfaites. Le Sauveur nous dit en effet : « Plusieurs prophètes et justes ont désiré voir ce que vous voyez, et ne l'ont pas vu, entendre ce que vous entendez et ne l'ont pas entendu » (Matth., XIII, 17). Pour nous qui, par la dispensation des mystères du Christ, jouissons de la vérité, que voilaient les symboles, nous n'avons plus besoin des anciennes offrandes. Celui qui seul est le Verbe de Dieu, qui était au commencement, et le pontife de toute intelligence, a été séparé de la multitude des hommes, comme une brebis ou un agneau. Celui qui était soumis à nos infortunes, le couvrit de nos iniquités, le chargea des malédictions contenues dans la loi de Moïse. Car le législateur ayant dit : « Quiconque est pendu au bois est maudit de Dieu, » (Deut., XXI, 23). C'est à cela qu'il s'est exposé en se rendant malédiction pour nous : « Il n'a pas balancé de se rendre péché pour nous »(Gal., III, 13). En effet, quoique le Christ ne connût pas le péché, Dieu l'a rendu péché; il l'a chargé des châtiments réservés à nos crimes, des liens du déshonneur, des outrages, de la flagellation, des tortures atroces et même du trophée de malédiction ; il a enfin offert à son Père, pour notre salut, la victime la plus admirable, l'offrande la plus agréable, dont il a établi que nous célébrerions la mémoire comme un sacrifice à Dieu. C'est ce que prédit David en ses transports prophétiques lorsqu'il s'écrie : « J'ai attendu le Seigneur avec une grande patience; il s'est abaissé vers moi ; il a exaucé ma prière, il m'a tiré de l'abîme de misère et de la boue profonde. Il a placé mes pieds sur la pierre ; il a dirigé mes pas. Il m'a mis dans la bouche un cantique nouveau pour être, chanté à notre Dieu. Et voici quel est ce cantique nouveau : Vous n'avez voulu ni sacrifices, ni oblations; mais vous m'avez donné un corps. Vous n'avez pas demandé d'holocaustes même pour le péché ; alors j'ai dit : Me voici; je viens (Ps. XXXIX, 4). Il est écrit de moi à la tête de votre livre que je ferai votre volonté. Je l'ai voulu. » Ce prophète ajoute : « J'ai annoncé la justice dans une grande assemblée.» [1,10e] Par ces paroles le saint roi nous apprend évidemment qu'aux anciens sacrifices et aux holocaustes d'autrefois, succédèrent la présence corporelle et l'immolation du Christ à Dieu ; et dans l'effusion de sa joie, il annonce à toute l'Église ce grand mystère exposé « à la tête du livre » par l'expression prophétique. Sur le point de célébrer sur une table et par des symboles augustes la mémoire de ce sacrifice de son corps et de son sang salutaire, nous apprenons de lui à dire : «Vous avez préparé une table pour moi, à la vue de ceux qui me persécutent. Vous inondez ma tête d'une huile odorante. Que votre calice à la douce ivresse est délicieux » ( Ps. XXII, 5) ! Par ces paroles le prophète désigne clairement cette onction mystique et ces redoutables sacrifices du Christ, où nous immolons à chaque jour de la vie une victime non sanglante, d'intelligence et d'agréable odeur au Dieu suprême, suivant les préceptes que nous avons reçus du pontife le plus auguste de tous. C'est ce qu'Isaïe, le grand prophète, admirablement inspiré de l'Esprit saint, a vu dans l'avenir et a prédit en ces termes : « Seigneur, mon Dieu, je vous glorifierai : je louerai votre nom, parce que vous avez opéré des merveilles,» Puis il dévoile ces merveilles en ajoutant : « Le Seigneur des armées préparera un festin à tous les peuples. Ils s'abreuveront de joie ; ils boiront le vin ; ils s'inonderont de parfums sur cette montagne. Annonce ces paroles aux nations, car telle est sa volonté sur les nations. » Telles sont les merveilles qu'Isaïe a prédites : elles faisaient espérer l'onction de parfum et d'agréable odeur, non pas aux Juifs mais aux Gentils: aussi ont-ils obtenu non seulement cette onction précieuse, mais encore l'auguste titre de chrétiens. Le prophète leur promet même la joie du vin, laissant à comprendre le mystère de la nouvelle alliance célébré aujourd'hui à découvert chez toutes les nations. Or les paroles prophétiques annoncent ces victimes spirituelles et raisonnables, quand elles disent : « Offrez à Dieu un sacrifice de louange, et rendez vos hommages au Très-Haut. Et invoquez-moi au jour de la tribulation : je vous délivrerai, et vous m'honorerez (Ps. XLIX, 14). Dans un autre psaume : «Que l'oblation de mes mains soit le sacrifice du soir »(Id., CXL, 2). Et ailleurs: « Le sacrifice agréable à Dieu est un cœur brisé de douleur » (Id., LVI, 18). Ce sacrifice annoncé dans les temps les plus reculés est célébré aujourd'hui par toutes les nations, depuis l'enseignement de la doctrine évangélique de notre Sauveur. Ainsi sont confirmées les prophéties où Dieu, lorsqu'il rejette les sacrifices suivant les rites de Moïse, annonce en ces termes celui que nous devions loi offrir : « Depuis le lever du soleil jusqu'à son coucher, mon nom est glorifié parmi les nations, et en tout lieu est offert à mon nom un sacrifice et une victime pure » (Mal., I, 10}. Nous immolons donc au Dieu de l'univers le sacrifice de louange; nous immolons le divin, le redoutable, le très saint sacrifice, nous immolons, suivant de nouveaux rites, l'hostie immaculée de la nouvelle alliance. «Mais, est-il écrit, le sacrifice agréable à Dieu est un cœur brisé de douleur? Car Dieu ne repousse pas un cœur contrit et humilié. » Et déjà nous faisons monter vers lui le parfum du prophète, lui offrant en tout lieu les fruits de la divine science si féconde en vertus. C'est là ce qu'un autre prophète exprime ainsi: « Que ma prière s'élève comme l'encens devant vous » (Ps. CXL, 2). Ainsi nous sacrifions à Dieu, nous lui offrons des parfums, lorsque nous célébrons la mémoire du grand sacrifice dont les mystères institués par le Christ, et que nous exprimons notre reconnaissance pour notre salut par des hymnes pieux et par nos prières; quand nous nous offrons tout entiers pour sa gloire, et quand nous consacrons nos âmes et nos corps au Verbe son pontife. C'est pourquoi nous travaillons à lui conserver notre chair pure et immaculée ; nous lui offrons une âme pure de toute affection déréglée et de toute souillure d'iniquité, et nous l'honorons avec des pensées sincères, des sentiments véritables, et les dogmes de la vérité : nous savons en effet que ces offrandes lui sont plus agréables que le sang, que la graisse ou l'odeur des victimes. Ce n'est pas au hasard ni à la légère que nous avons reçu avec respect les prophéties des Juifs.