[9,0] LIVRE IX. [9,1] LETTRE PREMIÈRE. ENNODIUS A ARATOR. Je souhaite que mon travail trouve auprès de vous une telle faveur que vous ne teniez pas rigueur à mon esprit de son avidité. C’est mal de mépriser chez ceux qui nous sont dévoués un aimable désir d’apprendre et de rejeter avec dédain ce qui est offert de grand cœur. On doit louer de ses études même celui que l’on n’estime pas atteindre aux sommets de l’éloquence. Entre l’amabilité et la science le choix donne de l’embarras car l’une comme l’autre ont du prix. Donc fiez-vous à mon affection et chassez tout amer souci en ces jours que vous donnez à l’amour légitime. Je ne veux pas que vous fassiez d’une chose à désirer une nécessité que l’on subit, ni que vous convertissiez en chagrin les aspirations qui sont le principe de la génération du genre humain. Celui qui n’est pas en état de garder la continence, doit désirer se marier, sans quoi il est en faute si l’on repousse le remède du mariage, il faut choisir ou l’héroïsme de la vertu ou la flétrissure du vice. Je vous conjure de mesurer vos forces afin de ne pas vous engager témérairement dans une voie surhumaine pleine de périls, ni méditer une ligne de conduite de tout point répréhensible. Une vie conforme à la nature et à la loi est presque irréprochable. Donc après avoir servi les Muses et consacré votre talent à des bagatelles poétiques qui ne sont plus de notre âge, songez à fonder une famille ; évitez le commun, car parmi la foule des gens sans culture, c’est une fureur de paraître distingué. On aime, si l’on est avisé, à se conformer au goût de la multitude. Laissons la philosophie à la porte de nos salons; quant à moi, je veux oublier tout souci, dès lors qu’une heureuse ignorance est mise en honneur par mon chef de file. Veuillez donc agréer l’hommage de mes salutations et, répondez-moi pour me dire quelle impression ma lettre aura produite sur votre esprit. Car si vous êtes désireux de connaître mon sentiment, j’en suis à détester jusques aux noms des arts libéraux. [9,2] LETTRE II. ENNODIUS A FAUSTUS. Votre Eminence sait fort bien ce que le sublime Faustinus et sa famille ont le droit d’attendre de nous; aussi malgré qu’il ne doute pas que, de votre part, la demande qu’il vous adressa en faveur de son fils, ne soit plus que suffisante, il ne laisse pas d’user de mon intermédiaire pour renouveler ses instances, car au regard de sa sollicitude, ce qu’il a fait n’est que peu de chose; et il espère, que sous votre sauvegarde le jeune homme sera formé à des mœurs pures. Vous-même prescrivez-lui ce qu’il doit faire, ce qu’il doit éviter; écrivez-en à ceux qu’il vous paraîtra nécessaire. Je sais bien que tout cela, lors même que je n’en dirais rien, votre Eminence ne manquerait pas de le faire; mais je ne pouvais me refuser aux instances d’un homme de cette qualité, ni ne le devais. C’est pourquoi, touché de ses larmes et moi-même en pleurs, je vous en supplie par cette conscience dont Dieu vous a gratifié. (Qu’ainsi vos prières arrivent à notre Sauveur munies de la pieuse recommandation des martyrs), que les supplications du père pour son fils, du seigneur Faustinus pour Ambroise, obtiennent leur efficacité. Gouvernez notre jeune homme et priez pour lui, afin que son adolescence ne trouve à Rome ni la mort du vice, ni celle de la maladie. Je vous sais puissant auprès des hommes, mais plus puissant encore auprès de Dieu. Aussi c’est avec pleine confiance que je promets le bon effet de ma recommandation à ceux à qui je la donne. Il ne me reste qu’à vous rendre l’hommage de mes salutations et en peu de mots j’aurai renfermé beaucoup de choses. Il suffit à l’homme qui plaît à Dieu que sa piété soit éclairée avec la grâce de Dieu, prenez en main et la cause et la personne. [9,3] LETTRE III. ENNODIUS A MÉRIBAUDUS. C’est prétendre renforcer le soleil par des flambeaux et grossir la mer en y versant quelques gouttes d’eau que de se donner la peine inutile de recommander ce qui de soi a tout pour plaire. D’autre part, n’est-ce pas folie de manquer l’occasion d’être obligeant, lorsque un fort appelle à son aide? L’opulent se trouve enrichi s’il estime utile pour lui ce qu’un pauvre lui a offert. Un présent devient royal dès lors qu’il tire une valeur insigne de celui qui le reçoit. Le seigneur Faustinus, préoccupé au delà de ce que réclame la sollicitude paternelle de l’avenir de son fils, a cru utile à notre Ambroise de se présenter à vous muni de cette lettre de recommandation. Il estime que l’éclat de son sang, de ses talents, de sa fortune resterait éclipsé entre les étroites limites de la Ligurie et que son savoir n’y pourrait percer. Il espère, au contraire, que, grâce à l’appui qu’il y trouvera, ses mérites jetteront de l’éclat au milieu des splendeurs de Rome. Dieu me garde de refuser un témoignage qui profite surtout à celui qui le rend. Car, faire l’éloge des bons, n’est-ce point se rendre soi-même recommandable? Voyez de quelle estime vous jouissez, puisque ce noble pays de Ligurie vous confie ce qu’il possède de meilleur. Il nie qu’on puisse rien trouver chez nous qui soit au-dessus de cette famille. C’est assez pour ceux qui ambitionnent les honneurs d’avoir le pas sur un si grand nombre qu’ils soient rangés parmi les premiers. L’honnêteté d’un jeune homme a sa garantie dans la noblesse bien connue de sa naissance. Fasse le ciel que par vous celui-ci se montre de plus en plus digne de son illustre origine. Recevez mes salutations, et puisque l’antique usage vous a donné le nom de précepteurs, répondez à ma demande avec la bonté d’un père. [9,4] LETTRE IV. ENNODIUS A PROBINUS. Si votre Eminence accordait à mes instances la faveur de s’en souvenir, de fréquentes lettres en fourniraient ta preuve, et les vôtres de Ligurie, comme vous daignez nous appeler, ne resteraient pas ensevelis dans l’oubli. Mais ceux que la distance en même temps que la fortune tiennent séparés, ne sont point rapprochés par la loi de l’amitié; c’est pour cela que, lorsqu’ils en sont dignes, vous témoignez à vos inférieurs des sentiments de parfaite affection en leur adressant simplement la parole. Vous allez à l’amitié de telle façon que, de votre part, il vous suffit d’incliner sur nous vos regards pour nous forcer à vous aimer. Ce serait de la part des inférieurs de l’outrecuidance que d’attendre des puissants plus que de bonnes paroles. Si je formule ces plaintes, c’est sous l’empire de l’affection. Ne deviez-vous pas m’estimer digne d’une lettre après m’avoir vu d’abord en si grand danger, puis revenu à la vie par une guérison qu’on peut dire mystérieuse? J’estime qu’on doit quelque honneur à ceux que la puissance de notre Rédempteur a rappelés du tombeau. Or quoique je sois effronté et bavard, je n’ai point confiance en moi et je cherche pour mes proches des protecteurs. Le porteur des présentes, fils du seigneur Faustinus, est doué de qualités pleines de promesses et que garantit suffisamment le nom de son père. Je vous demande de lui porter vous aussi de l’intérêt et de lui donner vos soins, car vous n’ignorez pas de quel éclat brille la vertu de son père et l’on ne peut adresser à d’autres qu’à vous quiconque se présente muni du renom de sa propre vertu et de celle de sa famille. Enfin, cher Seigneur, après vous avoir offert l’hommage de mes salutations, je vous prie de m’écrire pour me donner de vos bonnes nouvelles. [9,5] LETTRE V. ENNODIUS AU DIACRE HORMISDAS. Le ciel a voulu que le commerce épistolaire rapprochât ceux qu’unit l’affection. Ainsi quelle que soit la distance qui les sépare, ils ne sont plus solitaires mais réunis par l’amitié, s’ils ont soin de s’écrire. Je suis fort étonné de votre silence et qu’après mon retour à la santé je n’aie pas eu la consolation de recevoir de vous la moindre lettre. J’espère qu’en vous adressant moi-même la parole j’obtiendrai de vous faire parler et que ne pouvant vous dispenser de m’imiter jusque dans mon bavardage, vous allez me répondre. Car le meilleur moyen de demander et d’obtenir ce que l’on désire, c’est d’en donner l’exemple. Donc en vous adressant l’hommage de mes salutations, je vous annonce que, par la grâce de Dieu, je suis revenu en santé et vous supplie de m’accorder la faveur d’une réponse. [9,6] LETTRE VI. ENNODIUS A BÉATUS. Si vous aviez moissonné dans le champ de l’érudition, si vous aviez rempli les greniers de votre intelligence pour y puiser à l’occasion, on ne verrait pas ceux qui viennent de Rome arriver les mains vides. Ce silence obstiné dénonce votre négligence et votre incapacité, il m’oblige à vous faire entendre de nouvelles admonestations, à soumettre ces guérets restés stériles, malgré les semences reçues, à de nouveaux labours pour les forcer à produire. Où sont ces avis dont vous assuriez devoir tenir compte? Où est le soin de correspondre, par où se manifestent et la science et l’amitié? Votre silence proclame que vous n’aviez acquis rien qui puisse supporter le jugement d’un honnête homme. Car si le savant parle volontiers et rarement se renferme dans le silence, l’habitude de se taire obstinément est l’indice de l’ignorance. Rougissez-en donc et rompez enfin une bonne fois ces liens et ces entraves. Montrez ce que vous valez, montrez quels sont vos progrès, si du moins, selon notre vœu, la grâce d’en haut ne vous fait pas défaut. Et maintenant, agréez l’hommage de mes salutations; daignez vous contenter de cette courte lettre et sachez que j’ai transmis à votre père ce qui pouvait faire l’objet de plus longue réprimandes. [9,7] LETTRE VII. ENNODIUS A AVIENUS. Je bénis l’Unité de notre Dieu, triple dans ses majestés, de ce qu’au milieu de mes angoisses, s’il ne me donne pas une santé parfaite, du moins il m’accorde comme soulagement le bienfait de votre amitié. Votre lettre m’est arrivée tardive, il est vrai, mais bien conforme à mes vœux. Que notre Rédempteur me soit en aide et qu’il parachève ce qu’il a commencé d’accorder à nos supplications. Mon cher Seigneur, tout en vous rendant l’hommage de mes salutations, je vous prie de vouloir bien, le Christ aidant, vous employer à terminer avec votre parent, le seigneur Liberius, l’affaire relative à ce domaine des faubourgs. Tâchez d’obtenir, si le marché se conclut, qu’il accepte le prix, afin que nous ne demeurions pas plus longtemps en suspens sur de simples promesses. Vous savez que vous ne pouvez en ce monde rendre à votre humble suppliant un plus signalé service. [9,8] LETTRE VIII. ENNODIUS A VICTOR. Tout en alléguant son ignorance, votre sublimité révèle les trésors secrets de son érudition. Car tandis que par modestie vous vous prétendez dépourvu de littérature, vous avez montré ce que vous tenez et de la richesse de votre naturel et d’études laborieuses. Que votre sublimité veuille bien m’en croire, ce jeune homme qu’elle nous confie pour l’initier aux arts libéraux, elle l’a déjà enrichi de ses propres biens. Lorsqu’une langue qui sait si bien parler présente le fils du frère de Paul, un témoignage si éloquent l’instruit en même temps qu’il le recommande. Qu’est-il besoin de chercher au loin des maîtres, lorsque celui qui leur amène l’élève parle lui-même à la perfection? Je rougis de constater que cet élève trouvera auprès de son nouveau maître moins qu’il n’apportera, et je prie Dieu que les ressources de mon talent répondent pleinement à ce que votre affection vous fait attendre de moi. Quant à vous, l’hommage de mes salutations agréé, accordez à qui vous voudrez la faveur de vos entretiens pourvu que le soin de m’écrire souvent réponde à la sollicitude que m’inspire le souci de votre prospérité. [9,9] LETTRE IX. ENNODIUS A CAMILLA. Vous avez, je ne sais sous quelle inspiration, entravé l’exécution de nos projets. Car ce jeune enfant que le souci des études libérales devait absorber tout entier, vous l’avez revêtu des livrées de la religion avant l’âge requis pour apporter à pareille démarche toute la discrétion nécessaire. Certes l’engagement dans la vie ecclésiastique mérite toute notre vénération, mais à la condition de ne pas laisser l’esprit en balance entre deux régimes à suivre et de l’absorber entièrement. Le chemin qui mène au Christ est unique et difficile et ce n’est pas par un étroit sentier que peuvent marcher ceux qui sont absorbés par de multiples préoccupations. L’auteur de notre salut ne repousse pas ceux qui viennent à lui des études séculières, mais il ne souffre pas que pour aller à ces études on s’éloigne de la splendeur de sa doctrine. Si déjà vous l’aviez arraché au monde, il ne fallait plus vouloir en lui les manières du monde : c’est pour moi une honte de donner une instruction séculière à un clerc. Je vous avais accordé tout ce que vous m’aviez demandé par le diacre Patricius; quel besoin y avait-il de me l’envoyer dans un état différent de celui où il était alors? Si vous tenez compte de mon opinion, je veux que ceux qui me touchent soient saints plus par le mérite que par le titre. En vérité ce que vous avez fait m’a totalement bouleversé. J’ai pourtant reçu quand même, Dieu aidant, ce rejeton de mon sang. Il reste maintenant que la faveur céleste seconde mes efforts et supplée aux négligences des hommes par l’efficacité d’une pieuse direction. Chère dame, en vous adressant, comme toujours, les salutations que je vous dois, je vous prie de nous avoir maintenant tous les deux en une même sollicitude, et de ne pas omettre de nous recommander à Dieu par des prières assidues. [9,10] LETTRE X. ENNODIUS A CELSE. C’est agir en courtisan et non donner un témoignage de sa bienveillance que de n’avoir d’attentions que pour ceux qui sont présents : l’amitié sincère ne néglige point même les plus éloignés. Pour comprendre ce que peut la vraie fidélité il faut recevoir des bienfaits lorsque l’on n’est plus en mesure de les demander. Je me dois de reconnaître qu’en vous établissant au-delà du Gargare, vous vous êtes mis hors d’atteinte de toute sollicitation. Vous avez très bien su vous isoler en même temps et de vos amis et de leurs lettres, prenant le soin non seulement de vous éloigner mais aussi de vous cacher en quelque retraite si profonde qu’il fût impossible au plus sagace de vous découvrir. Même ici ce fut toujours dans vos goûts de vous tenir caché parmi les lièvres dans des retraites secrètes; mais au moins pouvait-on, en suivant attentivement votre piste, arriver à vous trouver. Maintenant je crois que, dans un dessein profond, pour redoubler nos chagrins, vous vous êtes totalement séparé de la compagnie des hommes. Ne deviez-vous donc à vos Milanais que l’enfance? Mais c’était leur droit de vous avoir homme, eux qui vous possédèrent enfant et ceux que vous aviez réjouis de vos embrassements, ne deviez-vous pas les aider de vos conseils? Mais, passons. L’expérience montrera si vous aurez à vous réjouir de ces précautions ou bien à les déplorer. Quant à moi, cependant, après vous avoir salué, je n’oublie pas ce que je dois et je vous envoie un don en souvenir de l’enfant, faisant à part moi la réflexion qu’il ne faut pas que celui qui s’est rendu inabordable triomphe en ses défiances, ni qu’il se réjouisse alors que son silence cause notre désespoir. [9,11] LETTRE XI. ENNODIUS A FAUSTUS. J’ai reçu vos lettres toutes pleines d’heureuses nouvelles qui font notre joie et où j’ai pu voir, ce que je savais déjà, en quelle faveur vous êtes auprès de Dieu. Tout aussitôt, avec des larmes que la joie me faisait verser, j’en ai informé les témoins de notre Christ et tout en leur rendant grâces de ce succès obtenu par leurs prières, je leur en ai fait à mon tour le récit. En vérité, seigneur Faustus, nous avons vu se manifester clairement en cette affaire quel est le crédit auprès de Dieu, quelle est la puissance des prières de cette sainte âme qui nous a précédés en l’autre vie: car tandis que notre espérance est encore aveuglée par la lumière de ce monde, elle nous a obtenu, sans aucun concours de notre part, ce qu’elle savait être le plus expédient. Elle éloignait de nous ce que nos mains semblaient déjà tenir, mais elle mettait à notre portée ce qui se trouvait à de longues distances ; elle nous faisait avoir ce qui nous était nécessaire et qui valait bien mieux pour nous que ce que nous avions désiré. Donc ce monde offre quelque chose de vrai, ou bien si l’on n’y trouve que faux, on ne peut trop tôt être délivré de sa domination. Ils mentaient ces hommes qui nous juraient que nous rendre service c’était pour eux un vrai bienfait: il en est même que la divine Providence a faits nos alliés, de qui nous n’avons jamais reçu la moindre amabilité: vis-à-vis d’eux nous avons dû user de procédés analogues. Lorsque tout semblait désespéré il restait une certaine confiance et les promesses les plus solennelles laissaient dans l’incertitude. En vérité, si cette séparation était douloureuse, j’oserais le dire: même la Ligurie que vous vous plaisez à nommer la mère des menteurs, n’auraient pu enfanter de tels hommes. Je ne sais ce qui chez eux inspire le plus de dégoût, de la fausseté ou de la sottise. Ils en ont perdu deux, aujourd’hui réunis par la prière des saints. Par eux pouvait se rallumer le flambeau d’une famille depuis longtemps sans vigueur et tombée dans l’obscurité. Vous devez vous rappeler ce que le seigneur Aviénus vous disait un jour à l’église, qu’il ne priait point Dieu spécialement pour cette sainte jeune fille. Voyez votre enfant marchant par les soins de ceux à qui elle doit le jour vers ce fruit de la vie qui est le ciel. Elle comprenait qu’elle avancerait plus par les larmes de ses parents que par ses propres efforts. Grâces à vous, Dieu tout puissant; merci, Providence des fidèles ; vous avez écouté les vœux de votre servante et réalisé en elle les promesses de cette prophétie: son âme ira demeurer au séjour des bons et sa race aura la terre en héritage (Ps. XXIV, 13). Arbitre de nos destinées si plein de bonté, achève ce qui reste et favorise de ta bienveillance l’union conjugale de ton autre serviteur. Si la maladie qui a pénétré en moi jusques aux sources même de la vie, ne me permet pas de le voir, que du moins le père soit l’heureux témoin de leur bonheur; qu’il reçoive avant de quitter ce monde, le nom de grand-père et de bisaïeul. Quant à moi, malgré mes péchés, je ne suis point tout à fait abandonné de la bonté divine puisque j’ai la sagesse de prévenir les reproches que je pourrais encourir. Car, malgré qu’il m’en coûte beaucoup, j’ai suspendu le projet d’accepter la charge de député de la province. Je crains, si j’assume cette charge, qu’étant donné le pouvoir dont vous disposez dans l’administration des affaires, le Souverain ne considère comme extorqué de lui par votre faveur, ce que la nécessité me fera un devoir de demander; ou bien, si je ne demande rien, je ne serai qu’une charge pour la province qui m’aura décoré d’un mandat stérile et que je me trouverai incapable de remplir. Je vous le demande, suppliez Dieu de me garder à travers les incertitudes de ce monde, au moins jusques à la réalisation de nos vœux communs. [9,12] LETTRE XII. ENNODIUS A MESSALA. Je me résigne à jeûner de vos lettres si votre silence doit me ménager une telle surabondance de joie. Il ne m’est plus pénible de rester longtemps sans recevoir de vous le moindre billet, si vos rares lettres m’arrivent avec de splendides dictions. Je reçois enfin ce que j’attendais et de la grâce de Dieu à votre égard et des mérites, de vos saints parents. C’est maintenant qu’à l’effet des suffrages de ces amis de Dieu, vous pouvez comprendre quel père et quel frère vous avez. En vérité, je n’ai pu, sans verser des larmes de joie, relire votre diction. Je ne veux point, mal à propos, mettre sous vos yeux ce que je pense de vous. Travaillez à composer selon les règles de l’art oratoire ce que vous tirez de votre génie. Il ne vous manque rien de ce qui convient à un digne fils du seigneur Faustus et de Madame votre mère; vous avez même, par l’étude, dépassé cette mesure. Que Dieu vous pardonne d’avoir cru que je vous oubliais, alors qu’empêché par la maladie je ne pouvais m’acquitter souvent du devoir de vous écrire. Vous devez savoir que toute négligence imposée par la nécessité mérite pardon. Mon cher Seigneur, tout en vous adressant mes salutations les plus empressées, je vous dirai que je bénis Dieu en ses œuvres au sujet du mariage du seigneur Aviénus, et que j’attends de vous ce que l’on peut espérer de sa piété. [9,13] LETTRE XIII. ENNODIUS A PAMFRONIUS. En votre absence, même avec une parfaite santé, je me trouve comme étranger sur le sol de ma patrie. Mais en proie d’une part à la maladie et de l’autre à la lâcheté de certains, entre ces deux calamités que puis-je faire? Qui jamais eut à supporter à la fois et la maladie et la perfidie? Sachez-le donc, dans notre ville il n’y a plus aucun fondement à faire sur les engagements les plus sacrés, sur la plus pure réputation d’honnêteté, comme garantie des promesses faites au nom de Dieu. Tout est accordé au succès, rien à l’affection ; l’humilité n’obtient que des dédains, la vertu se mesure à l’élévation. Mais si je formule ces doléances, ce n’est point en considération de moi ; il ne me reste plus d’espoir : ce qui me désole, c’est de voit périr ceux que j’aime. Votre homme vous dira plus au long toute la chose et quelles fureurs de l’envie je me suis attirées en prenant vos intérêts. Donc en vous adressant l’hommage de mes salutations, je vous demande de faire sans retard remettre mes écrits au seigneur Aviénus et au seigneur Libérius, et je vous conjure au nom de celui qui vous garde en bonne santé notre Pamfronia, de me faire savoir aussitôt la réponse qu’ils auront donnée. Car si par suite de quelque intrigue l’audience royale était refusée, quel que soit mon état de santé je me hâterai, avec l’aide de Dieu, de me transporter auprès de vous. [9,14] LETTRE XIV. ENNODIUS AU DIACRE HELPIDIUS. Que Dieu daigne favoriser votre sainteté des trésors de sa miséricorde et de sa grâce, puisque vous prenez à cœur mon humilité au point d’en faire une affaire d’ami et que vous promettez de vous intéresser à moi et aux miens avec une affection toute particulière. Je sais que Dieu vous a fait la faveur de vous concilier les bonnes grâces de notre invincible Prince, de telle sorte que l’humilité ecclésiastique en fut honorée. En vérité, seigneur Helpidius, si le roi daigne penser à son serviteur, vous m’aurez rendu un service qu’un ami sera toujours impuissant à dignement reconnaître. Sachez cependant que je ne cesse d’être journellement en proie à diverses sortes de maladies, au point que je désespère d’y survivre. Quoiqu’il arrive, après vous avoir salué, je vous demande au nom de votre âme, d’aimer de tout cœur le seigneur Faustus et ses fils; et de ne pas cesser de prier autant que vous le pourrez pour mon âme, car il ne me reste plus une lueur d’espérance. Je vous demande aussi de m’écrire souvent et, si notre seigneur (Faustus) doit venir en Ligurie, de me le faire savoir. [9,15] LETTRE XV. ENNODIUS A STÉPHANIE. Je suis heureux de voir qu’un pêcheur comme moi a place dans votre souvenir et qu’au milieu des soucis qui se partagent votre noble cœur, autant que les lettres adressées au seigneur Aviénus le manifestent, ma personne n’est pas laissée dans l’oubli. Je rends grâces à Dieu de ce que, sans le moindre mérite de notre part, il use envers nous de clémence et, avec sa bonté ordinaire, vient en aide aux pécheurs et les fait se relever par l’intercession des saintes âmes. Je ne crois point que vous abandonniez dans vos prières celui que vous honorez de vos entretiens. Je vous salue donc avec toute l’humilité qu’il convient et je vous prie d’accorder assidûment les suffrages de vos oraisons à celui que vous réjouissez du fréquent témoignage de votre bon souvenir. [9,16] LETTRE XVI. ENNODIUS A ADÉODAT. Depuis longtemps j’eusse répondu aux écrits de votre béatitude s’il m’eut été facile de connaître le passage des voyageurs qui vont à Rome. L’humilité ecclésiastique est dédaignée des puissants du monde comme une chose étrangère. Mais aussitôt que le seigneur Dioscore eut terminé le pieux labeur dont il avait mission de s’acquitter et repartit pour Rome, je tournai mes regards vers votre Révérence et je m’efforçai de vous payer ma dette. Vous désirez, vous, que vos fils, le seigneur Faustus et sa sainte progéniture, retournent à Rome; nous, qu’ils demeurent ici. Des sentiments si différents procèdent néanmoins d’un même principe qui est l’affection. Que Dieu qui seul sait exactement ce qui nous convient, lui ménage ce qu’il connaît devoir lui procurer le bonheur. Si je ne puis jouir de la présence du seigneur Faustus et des siens, je m’en consolerai en les sachant heureux. Mon cher Seigneur, tout en vous offrant à plein cœur l’hommage de mes salutations, je vous renvoie par votre fils, le seigneur Préfet (Faustus) qui retourne à Rome, le manuscrit que vous m’aviez donné. De votre côté, expédiez-moi, s’il vous plaît, le mien ou celui que vous m’avez promis; mais ce que je vous demande par dessus tout, c’est de ne jamais me priver du secours de vos prières, car je sais que je ne puis trouver contre les assauts du péché la protection d’un plus ferme rempart. [9,17] LETTRE XVII. ENNODIUS A APODÉMIA. De tout temps l’on a cru, et non à tort, que les droits de la parenté n’étaient nullement diminués par suite de l’éloignement. Les liens de famille gardent toute leur force et l’espace qui sépare les habitations ne brise pas l’union des âmes. Sous l’influence de la parenté il s’établit entre elles comme un énergique courant aérien qui franchit les espaces et cette patrie céleste ne se renferme pas en d’étroites frontières. C’est ainsi que vous, Madame, retenue au loin corporellement, vous êtes venue à la recherche d’Ennodius, par l’offre d’un présent qui témoigne du désir que vous avez de le voir. J’ai reçu la cuculle; elle est bien telle qu’une sainte devait l’offrir à un religieux. Priez pour que si votre présent ne me trouve pas digne de revêtir les livrées de l’humilité, du moins il me dispose par sa vertu à le devenir. Ma chère dame, en vous exprimant mes salutations les plus cordiales, je vous demande de m’accorder souvent la consolation de vos vénérables entretiens. Envoyez-moi au plus tôt le manteau et les racanes de couleur rouge ou fauve selon qu’il vous plaira. [9,18] LETTRE XVIII. ENNODIUS A STÉPHANIE. Il suffirait, au lieu de vous écrire, de m’en rapporter au mérite du porteur : son talent naturel et l’affection sincère dont il m’honore, lui suggèreraient suffisamment ce qu’il y aurait à vous dire. Mais mon esprit s’empresse de vous rendre doublement mes hommages, et non content des humbles sentiments que lui impose le respect dû à votre révérence, il donne une lettre au seigneur Aviénus, noble rejeton de votre race, comme il le montre et par la sainteté de sa vie et par l’éclat de son éloquence. Laissez-moi vous dire que je supporte avec peine de vous voir employer un style trop poli et trop recherché pour conter les choses les plus rustiques. Les dons merveilleux que le ciel s’est plu à prodiguer à votre famille n’ont point encore permis que quelqu’un de ses membres parut différer de ses ancêtres par le langage non plus que par l’action; sauf toutefois qu’à l’éclat dont brille votre antique lignée vous ajoutez en votre personne celui de la sainte viduité. N’êtes-vous pas, en effet, la sœur de ce Faustus, dont la Préfecture est marquée par les monastères qu’il a fondés; qui recherche l’honorabilité dans les actes beaucoup plus que dans les titres. Je vous prie, après vous avoir rendu le devoir de mes salutations, de ne jamais mêler à ce que vous dictez des compositions grossières d’écoliers il me suffit de trouver dans l’expression de vos pensées de quoi admirer et de quoi imiter, si du moins je le mérite. [9,19] LETTRE XIX. ENNODIUS A AGNELLUS. Longtemps je suis demeuré à me demander si pour réaliser le désir que j’avais d’être connu de vous je prendrais l’aimable liberté de pousser la porte du commerce épistolaire et de pénétrer par cette voie jusques au cœur du plus excellent des hommes, ou bien si, pour briser les clôtures qui me tenaient ignoré de vous, je me contenterais de vous adresser par vos gens une vague salutation, car j’estimais que ce n’était pas compter au nombre des hommes que de rester ignoré du meilleur des hommes. Et en effet on ne peut avoir pleine confiance pour son renom ni dans la pureté de ses mœurs, ni dans les heureuses facultés que l’on a reçues de la nature, si l’on demeure ignoré de ceux qui occupent le sommet de l’échelle sociale, surtout de vous que les deux mondes (l’Europe et l’Afrique) se disputent avec orgueil, vous que la crainte de Dieu et les libéralités de sa grâce ont élevé au faite des honneurs et à ce point auquel à peine parviennent les plus éminents, de communiquer de votre gloire à ceux qui se tiennent sous vos ordres. On doit louer les sommets, mais il faut verser beaucoup de sueurs pour y arriver. C’est encore un de vos plus heureux talents que de savoir le dire. Je vous salue donc très humblement et je borne là cette courte lettre de crainte que votre révérence ne trouve mes éloges poussés à l’importunité. Après votre réponse, vous pourrez lire plus au long, (et le monde entier confirmera mon témoignage), l’éloge que comporte et l’éclat de votre vie et l’étendue de votre puissance. [9,20] LETTRE XX. ENNODIUS A MASCATOR. Il est de mon office d’espérer obtenir un secours charitable, et de votre situation de l’accorder. Ainsi par des voies différentes nous tendons à la même fin qui est la charité. Vous soulagez en réalité les infortunes; à moi on ne demande que le modeste appui de ma parole. Il arrive ainsi que celui qui devrait, par obligation de sa charge, fournir les principaux secours, peut en donner à peine de très minces. Qu’ils obtiennent, ces malheureux, d’un homme du Palais, de recouvrer leur condition d’hommes libres, car l’Eglise ne peut pour eux autre chose que de prier. Vous savez qui doit vous le rendre si vous venez en aide à de pauvres gens sans abri. Secourez des infortunés qui se trouvent captifs sur le sol de leur patrie, qui n’ont à espérer que la misère parmi leurs concitoyens et une condition pire encore s’ils prennent le parti de s’exiler. M’adressant à un personnage chrétien et sage, je ne dois pas insister davantage, de crainte qu’en prolongeant ma supplique je ne paraisse vouloir lui attribuer le mérite de la bonne œuvre qui revient à autrui. Donc je vous salue avec toute l’humilité qui convient et je vous supplie de me les renvoyer contents. [9,21] LETTRE XXI. ENNODIUS A HELPIDIUS. Parce que vous m’oubliez avec une inhumanité digne des riverains du Pont-Euxin, je ne dois cependant pas imiter ce que je vous reproche. Voici que, nouvel Icare, vous vous êtes envolé de la cité de Milan sans daigner m’adresser un mot d’adieu. Ainsi font ceux que lie aux flancs des puissants une association bien inopinée. Pauvre mouche qui n’a qu’un instant à vivre! Il est juste que si vous ne le pouvez par les seules forces de la nature, vous soyez par mon exemple attiré à me témoigner un peu d’affection: D’autres plus riches que moi peuvent vous être plus utiles ; je les défie de vous aimer plus tendrement que je ne le fais. Mais revenons à ce qui intéresse votre patrie pour le bien de laquelle vous devez accepter et d’oublier vos bons amis et toutes les autres misères dont vous souffrez à la cour. Quand à présent donc je vous salue et vous envoie exprès votre serviteur pour qu’il annonce au nom de Jésus-Christ à votre fils le seigneur Préfet et à vous que les pièces authentiques et en due forme, concernant cette maison du faubourg, me sont arrivées. A vous maintenant et à votre fils le seigneur Triggua, de ne pas manquer d’agir selon que vous le jugerez nécessaire. [9,22] LETTRE XXII. ENNODIUS A FAUSTUS. J’ai la confiance que notre Dieu Trinité, grâce aux suffrages des vénérables saints, garde en quelque lieu qu’ils soient, ses serviteurs, comme on protège la prunelle de l’œil, et qu’il les ramène sains et saufs des accidents où peut les jeter leur mauvaise fortune. Quant à moi, si je ne puis vous accompagner de corps, je le fais du moins de mes hommages. Sous l’empire de l’inquiétude j’ai réuni ces quelques lignes pour vous prier de vouloir bien me donner de vos bonnes nouvelles. Moi qui ne puis qu’avec peine vous voir éloigné pour peu de temps, combien vais-je souffrir d’une si longue absence! Mais je ne dois pas oublier quelle est la puissance des amis du Seigneur, auxquels vous a confié la sainte âme. Je ne cesse de les presser de garder fidèlement ce dépôt ; ils n’y failliront pas et ce qu’ils ont reçu, ils le garderont intact. A ceci j’ajoute que par la miséricordieuse toute puissance de Dieu, vos esclaves déjà revenus de Venise, m’ont apporté les pièces revêtues de toutes les formes requises par les lois et qu’aussitôt l’entrée en possession solennelle a eu lieu. Et maintenant voyez avec la maturité qui vous est habituelle si vous avez quelque chose à dire à un ami. [9,23] LETTRE XXIII. ENNODIUS A LIBERIUS. Le ciel m’a donné de garder toute la liberté de mes appréciations même lorsque je suis lié par des bienfaits. N’est-ce pas en effet un don d’en haut qu’un débiteur puisse porter un jugement en pleine indépendance et que le séduisant attrait des faveurs reçues n’exerce pas son charme dominateur sur la rigidité de l’investigation? Il faut en vérité l’intervention divine pour pouvoir parler de vous sans altérer la vérité lorsqu’on vous est redevable de si grands services et que, subjugué par la magnificence de vos dons, l’on n’use point de faux poids pour peser vos vrais mérites. Car dès lors qu’il est question des hommes les plus éminents et que l’on formule des jugements destinés aux oreilles du public, pourquoi l’appréciation d’un particulier viendrait-elle amoindrir le témoignage de tout le monde? Je dois en effet à votre Altesse plus que la généralité, mais je ne veux pas que mes louanges dépassent ce que tout le monde peut dire et me bornant aux étroites limites imposées à une lettre, c’est à peine si je goûterai de la riche moisson de vos mérites. O le plus heureux des hommes! il semble que la guerre n’ait mis aux prises les peuples divisés que pour vous procurer la gloire de pacifier le monde entier. On peut juger à vos hauts faits de la grandeur de celui que vous servez il vous suffit d’apparaître et les ruines encore fumantes se relèvent à votre aspect. L’Italie vivait à grand peine à la sueur du trésor public; vous prenez en main l’administration et aussitôt vous lui rendez l’espoir de se relever et la mettez en état de payer l’impôt. Alors nous commençâmes à payer joyeux au fisc ce qu’auparavant nous avions l’habitude d’en recevoir avec le plus grand chagrin. Votre administration nous procura toujours l’abondance. Le ciel bénit vos augustes desseins. Soit que vous remplissiez les trésors du fisc, soit dans leur emploi, toujours vous procurâtes le bien public. Plus grand que tous les grands, vous ayez le premier fait regorger les coffres royaux sans la calamité des confiscations de fortunes privées. A vous après Dieu nous devons de pouvoir, auprès du prince très puissant et partout victorieux, avouer en sécurité nos richesses; car l’opulence des sujets n’a rien à craindre lorsque le souverain ignore l’indigence. Que dirai-je de ces innombrables bataillons de Goths que vous avez enrichis presque à l’insu des Romains d’une large distribution de terres? Les vainqueurs ne demandent rien de plus et les vaincus n’ont senti aucun dommage. Le cadre d’une lettre m’oblige à ne rien dire des agréments de votre commerce, du charme de vos entretiens toujours conformes aux préceptes divins, en sorte que vos actes ne vous font pas moins d’honneur que vos paroles. J’amène mon discours aux vœux qui sont dus à votre Eminence: les Gaules sont d’accord avec nous pour demander au ciel qu’avec l’aide du Christ Dieu vivant, après avoir organisé ces peuples auxquels, après tant d’années, vous avez le premier apporté le bienfait de la civilisation de sorte qu’avant vous ils ignoraient les douceurs de la liberté romaine, vous reveniez à votre Italie, où nous vous réclamons, sans abandonner toutefois la Gaule qui vous retient. Ainsi devenu par vos grandes œuvres comme indigène des deux pays, le bienfait de votre présence fera rejaillir votre gloire sur votre vénérable maison, sur vos fils si éminents et sur tous les habitants de l’Italie. Quant à moi, après vous avoir rendu les devoirs de mes salutations, je vous annonce que je suis en bonne santé et j’attends de vous des nouvelles conformes à mes vœux. [9,24] LETTRE XXIV. ENNODIUS A AVIÉNUS. Ce serait pour mon esprit un vrai bonheur que de trouver fréquemment l’occasion d’un porteur qui me permit de vous écrire, car comme remède à la peine que cause le désir de se voir, la vénérable Providence nous a ménagé l’échange des lettres. Par elles nous avons avec les absents des entretiens qui nous tiennent lieu de leur présence et charment nos ennuis. Et malgré que souvent ce remède réveille le mal dont souffrent ceux qui vivent au loin et que leurs soucis en soient redoublés, il ne faut point pour cela le rejeter puisqu’il n’en est pas d’autre. Je profite donc du voyage à Rome du jeune Valentin pour vous écrire rapidement le plus pressé de ce que j’avais à vous dire: en deux mots je vous noterai que ma santé a été ébranlée; mais il suffira de la nouvelle de votre prospérité pour que la joie achève de me guérir. Mon cher seigneur, je vous adresse, comme votre révérence le demande, le tribut de mes salutations et vous prie de ne pas me refuser la consolation d’apprendre par vos lettres et la réalisation de vos vœux et l’heureux succès de vos affaires. [9,25] LETTRE XXV. ENNODIUS A AGNELLA. Il m’est souverainement agréable d’adresser à votre grandeur l’hommage de mes lettres : notre parenté et votre conscience me l’imposent à tel point que c’est moins un honneur à vous rendre qu’un devoir à acquitter. N’est-il pas juste qu’un honnête homme qui fait profession de religion, tienne en vénération une sainte veuve d’un rang si noble? Je rends grâces à Dieu de ce que la bonne odeur de votre réputation s’est répandue jusque chez nous. Qu’il amène jusques à leur parfaite maturité les fruits de votre vie, celui qui prit soin de planter une si bonne rapine en ce milieu où s’agite notre siècle. Vous avez bien fait, noble Agnella, de mépriser les charmeuses douceurs de ce monde, de viser à la perfection et de renoncer même à ce qui est accordé comme légitime remède: vous avez su prétendre non seulement au pardon mais à la couronne. Que la médecine fasse la joie des malades : c’est toucher de bien proche à la sainteté que d’oublier heureusement les voluptés. Donc, ma chère dame, je vous offre le tribut et l’hommage de mes salutations et vous demande, moi votre ami et parent, de ne point cesser de prier au tombeau des saints Apôtres pour que j’obtienne d’observer ce que je prêche et de ne pas négliger moi-même ce que je loue dans les autres. [9,26] LETTRE XXVI. ENNODIUS A MESSALA. Je reconnais, en vérité, que je ne pouvais, malgré mes regrets, m’opposer à votre éloignement; mais pourtant je croyais pouvoir espérer autre chose de votre sollicitude. Si je n’étais pas tout à fait oublié, assurément j’aurais appris et comment, Dieu aidant, le Seigneur (Faustus) prit congé, et la suite de tout votre voyage. Mais que fais-je de vous reprocher votre négligence sans laisser paraître mon affection? Donc si par la faveur du Christ notre Dieu, un espoir de mariage vous sourit, vous ne chasserez pas le souvenir d’Ennodius; car, il faut l’avouer, jamais plus vive affection n’aura cédé la place et l’amitié que vous me portez n’aura faibli en votre cœur qu’à proportion de mon éloignement. Soyez en bonne santé et de même votre père et votre frère; que Dieu vous prodigue ses faveurs; qu’ils reçoivent d’heureuses nouvelles que votre conduite manifeste vos dispositions à mon égard. Après vous avoir rendu le devoir de mes salutations je ne vous demande qu’une chose que vous daigniez offrir pour moi des prières au tombeau des vénérables Apôtres: qu’ils portent remède à mes misères et ne permettent pas que ma volonté s’égare; qu’ils corrigent les insubordinations de l’esprit et des sens. Si vous le faites, j’ai la confiance, grâce à votre innocence et à votre pureté, d’être mieux exaucé que si j’y priais en personne. [9,27] LETTRE XXVII. ENNODIUS A L’ÉVÊQUE AURÉLIEN. Ma peine exige que je parle, mais votre révérence mériterait que je gardasse le silence. Et peut-être que la manière la plus éloquente d’exprimer le chagrin que me cause votre longue négligence à m’écrire, serait encore de le dissimuler : c’eut été me venger d’une façon distinguée et peu ordinaire que d’y employer les procédés mêmes dont on a usé si outrageusement à mon égard, de telle sorte que la faute portât avec elle son châtiment. Mais que ferai-je, moi qui ne puis me dispenser de poursuivre avec la ténacité de l’amour celui qui m’oublie et dédaigne d’entrer en relation avec les humbles? Faudra-t-il donc croire que l’importunité de celui qui n’a pas été repoussé n’inspire que de l’horreur, puisque le désir de plaire par son assiduité n’atteint son but qu’à la condition d’apporter matière à déplaisir? Dès lors que notre esprit repousse un objet, on a beau nous le mettre sous les yeux, nous le voyons à peine. O s’il m’était donné d’entrer en lice avec votre béatitude à armes légales ! Mais depuis que vous avez mérité d’être père (évêque) vous laissez dormir auprès de votre couronne les privilèges de la parenté. Y a-t-il quelqu’un au monde qui estime qu’en prenant de l’accroissement les droits de la parenté périssent et que l’élévation à une vénérable dignité rompt les liens du sang et de l’affection? Il a donc fallu que l’élévation de votre mérite ne me fut signalée que par la vague rumeur de la renommée et que lorsque tout le monde se réjouissait, je demeurasse dans l’incertitude, faute de renseignements plus précis ! On a fait choix de moi pour me taire ce qui est un bienfait pour tout le peuple, et me laisser ignorer, dans la mesure de l’insuffisance de mes propres informations, un événement qui ramène l’âge d’or. Un homme noble par sa vie non moins que par sa naissance monte au sommet des dignités ecclésiastiques et ii ne daigne pas me le dire. En vérité, l’on se demande si c’est à dessein ou par négligence qu’un tel fait se produit. Quant à moi, je vous adresse l’hommage de mes salutations et avec la franchise italienne je vous déclare sans détour ce qui a fait ma peine. [9,28] LETTRE XXVIII. ENNODIUS A AGAPIUS. Il est pénible pour un esprit ouvert à la joie d’être rappelé aux tristes pensées qu’impose le deuil dont le souvenir est ravivé. Le grand remède à la douleur, en effet, c’est l’oubli, et ce que la raison ne pourrait dissiper, avec le temps nous l’ensevelissons. C’est juste, car la durée émousse l’affliction et les grandes douleurs trouvent dans le silence leur plus prompte consolation. En ces sortes de choses le moyen d’obtenir davantage c’est de ne rien faire. Mais que fais-je moi-même? Car la lecture de votre lettre vient rouvrir la profonde cicatrice déjà fermée et raviver, hélas! le souvenir d’un trépas prématuré. Pourrai-je donc, moi, donner quelque consolation au frère commun, alors que, si l’on m’accorde quelques sentiments humains, je suis moi-même si désolé? Ou bien pour que nos consolations soient efficaces nous faut-il pleurer nous-mêmes? Alors c’est du malade que l’on attend le remède? Vous auriez de moi, cher Agapius, une fausse opinion si vous pensiez qu’au milieu des chagrins que vous cause, à vous, la mort d’un fils spirituel, je vienne discuter votre état d’âme. Aux cœurs qui ne sont pas blessés, de trouver la voie de la guérison : personne n’a jamais soulagé autrui d’un fardeau dont on est soi-même accablé. Mais passons à un autre ordre d’idées: Dieu est puissant; lui seul peut venir en aide en de telles extrémités et alléger le poids de notre commune affliction. Et cependant, en vous adressant l’hommage de mes respectueuses salutations, je vous demande de m’honorer fréquemment de la faveur de vos lettres. C’est un soin qu’il n’est permis de négliger ni à l’ami ni au lettré. [9,29] LETTRE XXIX. ENNODIUS A LIBÉRIUS. Si le style épistolaire comportait l’emphase de la poésie je pourrai dire que cent bouches et une voix d’airain seraient à peine capables de proclamer ce que je dois à votre Altesse. Mais débiteur de si grosses dettes, moi qui puis à peine en payer de petites, j’ai trouvé quelqu’un qui, après la divine miséricorde, prend sur lui de vous payer. Votre frère, le seigneur Faustus, prétend qu’il vous est redevable des bienfaits dont vous me comblez et par là il décharge mes faibles épaules d’un fardeau trop lourd pour elles. Dans le haut rang où vous êtes élevés il y a ceci de commun entre vous deux: vous savez vous donner et vous rendre mutuellement de dignes honneurs. Et moi, accablé sous le poids de vos bons offices, je ne puis que confesser ma dette, car l’étendue de votre faveur qui comble mes vœux, me rend par là même impuissant à dignement la reconnaître. Cependant je ne me dérobe point à mes obligations et dans mes oraisons, quoique pécheur, je supplie Dieu de vous rendre ce que je vous dois. Or ces deux choses suffisent: car vous attendez que le ciel vous paie pour moi de ce que vous savez m’avoir accordé et d’ailleurs c’est être en règle avec la justice de ce monde que de reconnaître sa dette. Et pourtant j’attends encore de votre part un prompt surcroit de faveur. Le sublime Tranquillinus a dû vous en présenter de ma part la requête et vous dire combien je désire que vous m’écriviez. Et moi, par cette lettre, confiant dans la connaissance que j’ai de votre obligeance, je vais vous indiquer un moyen nouveau d’aider des malheureux. Camilla, ma cousine, qui réside en Gaule, est, paraît-il, dans une situation lamentable. A la misère qui résulte pour elle de sa viduité viennent de s’ajouter les ruineuses dépenses d’une double captivité qu’elle s subie elle et son fils. Il n’est personne au monde que votre Altesse en mesure d’éloigner de sa tête de si nombreuses calamités. Vous, le protecteur attitré de ma parenté, ce que vous avez fait pour ceux d’Italie vous ne le refuserez pas à ceux des Gaules: par votre intervention les maisonnettes qu’elle possède, dégrevées des charges fiscales, suffiront à lui donner de quoi vivre. Mon cher seigneur, en vous rendant les devoirs de mes salutations, je demande à votre Eminence d’ordonner, sous l’inspiration divine, au porteur des présentes, un homme de ma maison que je vous ai expédié tout exprès pour cette affaire, de me rapporter une décision favorable. Peut-on douter du résultat de ses requêtes lorsqu’on sait que même ce que l’on n’a pas demandé est obtenu? [9,30] LETTRE XXX. AU PAPE SYMMAQUE. Il est dans la nature que même avec les facultés qui donnent l’éloquence, on puisse être taxé de présomption; car le talent de parole qui franchit les bornes imposées à l’humilité, n’obtient que le mépris, et autant l’on apprécie des discours que l’on a exigés, autant ceux qui s’imposent eux-mêmes nous sont insupportables. L’importunité qui fait perdre aux orateurs de talent la réputation acquise, couvre de honte les ignorants. Mais voici le raisonnement sur lequel je prétends m’appuyer; il y a sans doute de l’audace mais aussi de l’amabilité à parler le premier et si c’est friser la témérité, n’est-ce pas aussi témoigner de l’affection que d’ouvrir la voie à l’amitié? Entre hommes d’église serait-ce un crime que de rivaliser en sentiments également affectueux alors que la dignité dont ils sont revêtus les tient en des rangs inégaux? Ou bien est-ce franchir les étroites limites des modestes honneurs auxquels nous avons droit que de prétendre à des témoignages de bienveillance qui nous mettent sur le même pied que les personnages du plus haut rang? On ne peut taxer d’orgueil celui qui oublie uniquement dans les offices de l’amitié, de tenir compte de sa mesure. J’ose l’affirmer: un inférieur est dans la droite voie lorsqu’il se laisse entraîner par son zèle à prévenir en ce point ses supérieurs. Je crois que me voici pleinement justifié. J’ajouterai cependant pour ma défense un mot qui la rendra plus que suffisante: votre fils, le seigneur Rhodanius, m’a contraint de produire cet écrit. Je dois pourtant avouer que son ordre me trouvait disposé d’avance à l’exécuter. Il n’y a pas grand peine à contraindre quelqu’un qui déjà veut ce qu’on lui demande. Avant toute chose nous devons à Dieu des actions de grâces, et nous y consacrons toute notre lettre. Enfin les membres de Rome se sont réunis à leur chef; il était juste que le bienheureux Pierre, par le concours de notre prince, rendît à son siège la possession de ses églises et au Sénat plus libre l’exercice de ses fonctions. Roi vraiment digne du trône; heureux sujets qui virent leurs vœux les plus ardents réalisés! Car bien que l’heureuse prospérité dont nous jouissons aujourd’hui, soit durable et doive passer à nos neveux, il est juste d’en faire honneur à ceux qui en furent les premiers auteurs, Dieu vous a exaucé lorsque vous l’avez supplié de vous délivrer par le bras de celui dont la clémence peut vous protéger. Vous le savez, lorsqu’il part pour la guerre, les heureux succès montrent la victoire enchaînée à ses pas. Faut-il ajouter que la douceur de son esprit est si grande qu’il semble ignorer ce qu’il en est de tirer l’épée! Par une faveur de Dieu, ni l’incertitude des événements ne peut troubler sa paix, ni un obstacle quelconque résister à sa valeur. Auprès de lui, la voie la plus sûre est celle de la prière; seul le suppliant a échappé à ses armes; seul a triomphé de ce vainqueur celui qui a su se soumettre. Ce que les princes d’autrefois obtenaient à peine par leur présence, une courte lettre de notre roi suffit toujours à l’emporter. Son armée n’a qu’à marcher pour triompher: et, qui le croira? ses soldats glorieux, au sein de la victoire, sont modérés comme des vaincus. La lutte terminée, il ne reste pas trace de haines héréditaires : immédiatement ces peuples qui avaient si énergiquement résisté à l’ennemi se montrent faciles à lui payer le tribut. Et tous ces heureux succès ne sont que la récompense providentielle des services rendus à l’Eglise, car auprès de lui notre foi est pleinement à l’abri, bien que lui-même tienne une autre croyance. Admirable tolérance que de rester attaché à son opinion sans s’offusquer du crédit d’opinions étrangères! Il ne lui suffit pas de voir leurs patrimoines retourner à nos églises; il veut y ajouter; celles qui étaient pauvres deviennent riches et celles qui tenaient une situation médiocre touchent à l’opulence. Il s’applique à cultiver dans le clergé les vertus qu’il y trouve innées; il lui inspire celles qui lui manquent. Mais pourquoi imposer à votre Béatitude les inutiles longueurs de mon discours? Votre propre expérience et les lumières de votre esprit si pénétrant, ne tarderont pas à m’accuser de n’avoir su donner à votre fils que de bien pauvres louanges et tandis que d’ordinaire l’on embellit par le discours les actions dont on fait l’éloge, j’encourrai le reproche de n’avoir été qu’un stérile panégyriste de ses riches vertus. Comment il honore les dignités séculaires que distinguent la Curule ou la trabée ou le Patriciat, comment il les attribue à la naissance ou au mérite; mon porteur domestique vous le dira de vive voix. Car il sait maintenir dans l’antique éclat de leur race les rejetons des vieilles familles et quant aux nouveaux venus, il les illumine d’un éclat inopiné. Sous son administration la fortune publique va plutôt enrichir les particuliers que les tributs payés par ses sujets ne remplissent les coffres du palais, Et, maintenant, pour ce qui reste, daignez agréer l’hommage de mes salutations, et procurez par votre prière que le Christ notre Rédempteur continue longtemps à ses serviteurs les faveurs qu’il leur accorde par notre très clément roi. Qu’il nous donne aussi de sa race un successeur à son trône, afin que les bienfaits d’un si grand homme ne passent pas en une génération, de sorte que bientôt il n’en resterait plus que le lointain souvenir d’un âge d’or. [9,31] LETTRE XXXI. ENNODIUS A AVIÉNUS. Comme il y a peu de temps que vous étiez ici, je jouissais encore, grâce à Dieu, des charmes de votre présence il me semblait vous voir et mon oreille, par une illusion trop douce, retenait les délicieux accents de vos entretiens lorsque s’est offerte l’occasion de vous écrire. Longtemps, je l’avoue, j’ai différé de rompre, en vous écrivant, le charme de cette imagination qui dissipe pour un temps le chagrin de ne plus vous avoir. Je me plaisais en cette chère illusion de votre présence; je me refusais à reconnaître l’erreur dont se repaissait mon affection. Car on prend plaisir à une illusion qui cadre avec nos désirs et, volontiers, nous tenons pour réalité les douces imaginations que provoquent d’agréables nouvelles. Nous déplorons le réveil qui fait évanouir des songes agréables et ce sommeil, image de la mort, est préféré, pour le charme des rêves trompeurs. Mais parce que cette douce illusion ne pouvait toujours durer, il me faut en revenir à ce qui me reste, je veux dire à vous écrire. Est-il un homme au monde qui souffre autant pour l’expiation de ses péchés? Ne plus vous voir est ma désolation. L’accomplissement de mes vœux cause mon tourment et je suis dans la peine parce que Dieu nous a accordé ce que nous souhaitions. A-t-on jamais vu cela ; ce qui devrait réjouir devenir un tourment et d’une moisson de joies surgir une plante de tristesse? Grâces soient rendues à l’indivisible Trinité, au vrai Dieu, qui pour combler nos vœux, parfois, parait les mépriser. Qu’il daigne abaisser son regard sur votre mariage. Que de vous deux il ne fasse qu’un, lui qui du corps du premier homme encore dans sa pureté originelle et destiné à l’immortalité, forma l’un et l’autre de nos parents. Qu’à vous s’unisse votre épouse comme à Abraham Sara, comme à Isaac Rebecca, comme à Jacob Rachel, comblée des bénédictions du ciel. Ayez le mérite de la continence en goûtant les fruits et la douceur du mariage; que la loi de Dieu règle ta fin de la virginité en sorte qu’elle trouve dans la progéniture une juste compensation. Unis d’un indissoluble lien, ignorez toute affection étrangère. Par ses vertus et la douceur de sa vie, elle vous rendra votre mère; vous lui rendrez son père. Les belles traditions de vos ancêtres ne se perdront pas; vous les ferez revivre. Vous n’avez en effet nul besoin de chercher au dehors et chez des étrangers les modèles à suivre: vous les avez sous tes yeux. Et moi qui n’ai pu assister à votre hyménée, voilà, cher Aviénus, les vœux que j’adresse au ciel pour vous. En échange faites-moi la faveur de fréquents entretiens. Mon cher seigneur, en m’acquittant du devoir aimé de vous saluer je vous demande, si mon souvenir n’est pas exclu de votre si riche mémoire, de m’accorder l’assistance et de vos prières et de vos entretiens. [9,32] LETTRE XXXII. ENNODIUS AU PRÊTRE ADÉODAT. Combien votre mérite, combien vos œuvres vous élèvent au-dessus de moi! L’effet de vos prières le montre clairement Vous allez donc posséder ce que le Seigneur Faustus, votre fils, a de meilleur; et moi je perds mon unique consolation. Je n’ai point opposé à de saints et légitimes désirs l’obstacle de mes prières; mais j’aimais tant le seigneur Aviénus et son départ me fit une si grande peine, que je l’accompagnai de mes larmes bien que mes vœux se trouvassent réalisés. On peut voir en cette rencontre comment les choses humaines ont des destinées diverses. Par la grâce de Jésus-Christ il s’élève à la fortune que nous pouvions souhaiter et du même coup je suis accablé; la pensée qu’il va bientôt se marier le réjouit et celle que je vais me trouver seul me poignarde. Ainsi le fruit de mes prières exaucées fait mon tourment et si, de ce côté, l’on a demandé quelque chose, soit dit, sans offenser le Christ, je gémis de nous voir exaucés. Il est cependant, au milieu de tous ces chagrins, une pensée qui me console, c’est que, par nos soins, le Seigneur Aviénus a surpassé nos vœux et nos espérances. A Rome appartient la gloire de lui avoir donné le jour, à la Ligurie celle de l’avoir élevé ; là il fut donné pour fils à Faustus par la loi de la nature; ici par sa science il s’est montré digne de l’être. C’était peu de naître comme le commun des hommes, mais il semblait impossible de se faire reconnaître pour le digne fils de Faustus. Rapportons à Dieu ses bienfaits et rendons-lui grâces de les avoir accordés à nos prières. Vous, recevez dans la sainte pureté de votre cœur l’hommage de mes salutations et prenez soin de me renvoyer le manuscrit que je vous adresse avec celui que vous-même vous m’avez promis. [9,33] LETTRE XXXIII. ENNODIUS À L’ÉVÊQUE CÉSAIRE. Ce que l’espoir m’avait fait pressentir, votre lettre me l’annonce. A sa lecture, j’ai reconnu la main de Dieu et ce que le Maître du ciel avait contraint notre seigneur roi de faire à votre égard quant à moi, dès lors que votre mérite me fut connu, je ne doutais plus de l’heureux succès de l’affaire. Qui donc pourrait ignorer qu’un très noble pontife attaché au service du Christ domine les puissances de la terre et que le pouvoir royal, redoutable aux criminels, cède devant l’innocence? Quand vit-on la pourpre mépriser les cilices ou le pallium? Quand cette liberté suprême du pouvoir absolu eut-elle la prétention de l’emporter sur l’humilité chrétienne et de se permettre, au détriment de celle-ci, ce qui pourrait lui plaire? c’est-à-dire, lui fut-il jamais permis de vouloir l’injustice? Que si l’on veut objecter à ce propos ce qui se passa en un temps déjà reculé et rappeler le souvenir des cruautés tyranniques exercées contre les serviteurs de Dieu, nous savons que les martyrs de notre foi n’ont été mis à mort par les persécuteurs que pour devenir immortels. Le chef éternel qui commandait à ces vaillants soldats, leur a fait trouver, sous les coups du glaive qui les frappait, la vie et l’éternité: grâce à leurs ennemis ils ne gardent plus rien de ce qu’il y avait de vil dans leur origine. Vous, mon Seigneur, la Providence vous a donné au monde déjà chrétien et vous a nourri du lait de la doctrine apostolique. Vous surpassez tous les autres comme l’éclat du soleil éclipse les astres inférieurs; il suffit pour s’instruire, de vous considérer des yeux de l’homme intérieur. Votre seul aspect inspire la pureté et, sans même ouvrir la bouche, vous réprimez l’inconduite. En toute occurrence les bons trouvent en vous à imiter, les méchants à se corriger. Combien vous êtes heureux d’avoir reçu de Dieu le don d’instruire et par vos leçons et par vos exemples, d’indiquer constamment, en y marchant le premier, le droit chemin de la piété! Lorsque vous prenez la parole qui ne se hâtera pour apprendre davantage, de fermer le livre et de vous écouter? Car par vos commentaires vous enrichissez le texte du livre et vous prêtez votre science aux docteurs qui l’ont écrit. Les écrivains les plus fameux vous doivent d’être enrichis des trésors de votre éloquence. Vous réunissez en votre personne l’éclat des œuvres et celui de la parole. D’où vient aux Transalpins une telle prérogative, d’où une gloire si inopinée à mes parents, que de nous envoyer un tel homme? Mais pourquoi chercher sur terre ce qui est du ciel? A votre apparition dans le palais, s’y est-il trouvé quelque courtisan dont l’orgueil ne se soit abîmé? Pouvait-il ne pas accéder à vos désirs ce Prince plus doux qu’un agneau et qui ne s’attaque jamais qu’aux errements? Votre mérite et l’affection que je vous porte m’entraîneraient à en dire bien davantage, mais je dois me taire pour ne pas franchir le cadre obligatoire d’une lettre. Pour le surplus, daignez accueillir avec bienveillance cet hommage de votre très humble serviteur et m’accorder auprès de notre Dieu les suffrages efficaces de vos prières; et puis informez-moi fréquemment de ce qui se passe autour de vous et donnez-moi de vos nouvelles. Je vous prie encore de me faire connaître par écrit les résultats de la supplique à vous adressée par Rustique. Autant que j’en suis informé, c’est un homme qui couvre ses fornications du nom d’unions conjugales et qui s’imagine qu’il suffit d’invoquer une loi pour justifier des crimes. [9,34] LETTRE XXXIV. ENNODIUS A AVIÉNUS. Où sont ceux qui prétendent que les distances tuent l’affection, que ses ardeurs s’éteignent à mesure qu’on s’éloigne et que le cœur ne porte pas plus loin que tes yeux? Quant à moi je sens mon cœur impuissant à contenir la violence de l’amour qui l’embrase et, même lorsque je vous écris, ce n’est qu’un faible palliatif qui ne peut calmer ses transports. Cependant je bénis Dieu d’avoir, à votre égard, exaucé nos vœux; de vous avoir donné une épouse que distingue non seulement la noblesse de sa naissance, mais encore, autant que l’annonce la renommée, la sainteté de sa vie. Les fidèles disciples du Christ obtiennent en tout la perfection seuls, dans leur mariage, ils réunissent à l’éclat des richesses et de la naissance, l’excellence des âmes. Quant au vôtre, ce que par avance j’avais désiré, l’épouse qui vous est venue, à ce que j’apprends, le réalise pleinement. Je ne puis exprimer ce que j’attends des progrès d’un homme dont les débuts sont proclamés si éminents. Mon cher seigneur, tout en vous rendant l’honneur de mes salutations, j’espère que vous daignerez réaliser sans délai ce que vous demande le saint Evêque votre digne père, et que vous accueillerez l’envoyé de ce prélat éminent avec ces sentiments de bienveillance dont j’ai la parfaite assurance. [9,35] LETTRE XXXV. ENNODIUS A MESSALA. D’ordinaire on voit, sous le coup d’une bonne fortune inattendue, mollir l’orgueil des esprits superbes, et la fierté des plus rigides tomber au souffle de la joie. La bienveillance nait d’elle-même dès lors que les vœux sont comblés et rien n’oblige les puissants à s’abaisser comme la grandeur tant désirée. Qu’ils parviennent au faîte, vous les trouverez partisans de l’union et tout disposés à vous être agréables. Mais vous, au contraire, depuis que vous êtes parvenu au comble de vos vœux, avec une fierté que je ne vous connaissais pas, vous n’ayez plus pour moi que du dédain. Oublieux de ceux auxquels vous devriez votre bienveillante considération, la seule perspective de l’opulence de votre future épouse vous fait mépriser vos vieux amis et vous ne prenez pas garde que ce que vous estimez une bonne fortune vous deviendra un lourd fardeau, d’abord parce que celui qui ne veut pas voir pâlir l’éclat de son origine, doit éviter d’être inconstant, et puis parce que si je suis méprisé, j’en serai vengé. Hâtez-vous donc de revenir à tenir ce que vous m’aviez promis, sans quoi l’évidence confirmera mes soupçons. Quant à moi, si je me suis laissé emporter à cette violente sortie, c’est que depuis longtemps vous négligez d'écrire. A vous de vous justifier ou d’affirmer votre innocence en y mettant toutes les élégances du discours. Mon cher seigneur, daignez agréer l’hommage de mes salutations très empressées et me laisser espérer que si vous m’avez négligé lorsque je vous prodiguais les témoignages d’affection, lorsque je vous accable de reproches vous me ferez l’honneur de vos entretiens.