Annales d’Éginhard RACE DES CAROLINGIENS PÉPIN-LE-BREF (741-768) [741] En l’année 741, Charles, maire du palais, mourut, laissant pour héritiers trois fils, Carloman, Pépin et Griffon : celui-ci, le plus jeune, eut pour mère Sonnichilde, petite-fille d’Odilon, duc des Bavarois. Elle excita en son fils une telle ambition de posséder tout le royaume, qu’il s’empara sans délai de la ville de Laon et déclara la guerre à ses frères. Ceux-ci assemblèrent sur-le-champ une armée, assiégèrent Laon, reçurent à discrétion leur frère, et ne pensèrent plus qu’à reprendre les pays qui s’étaient séparés de la société des Francs depuis la mort de leur père ; mais, afin de laisser toutes choses en sûreté au dedans avant de partir pour les pays étrangers, Carloman prit Griffon le fit garder à Neufchâtel près des Ardennes. On dit qu’il y demeura prisonnier jusqu’au temps où Carloman partit. [742] Carloman et Pépin, maîtres du royaume des Francs, voulurent d’abord reprendre l’Aquitaine : ils marchèrent avec une armée contre Hunold, duc de cette province, prirent un certain château nommé Loches, et avant de se retirer ils divisèrent entre eux, dans le lieu appelé Vieux-Poitiers , le royaume qu’ils administraient ensemble. La même année, après leur retour dans leurs États, Carloman envahit le pays des Allemands qui avaient abandonné la confédération des Francs, et le dévasta par le fer et le feu. [743] Carloman et Pépin joignirent leurs troupes et marchèrent contre Odilon, duc de Bavière ; ils lui livrèrent bataille et dispersèrent son armée. Dès qu’ils furent rentrés chez eux, Carloman partit seul pour la Saxe, et reçut à discrétion le fort qu’on nomme Hochsiegbourg avec le Saxon Théodoric qui y commandait. [744] Les mêmes frères, Carloman et Pépin, marchèrent contre la Saxe avec leurs troupes réunies et réduisirent de nouveau ce même Théodoric. à capituler. [745] Cette année Carloman découvrit à son frère Pépin ce qu’il méditait déjà depuis longtemps, savoir de se retirer du monde et servir Dieu sous l’habit de moine . Pépin, d’après cela, renonça à l’expédition qu’il méditait, pour s’occuper d’accomplir les vœux de Carloman et l’aider aux préparatifs de son voyage. Celui-ci voulait se rendre à Rome, et Pépin veilla avec soin à ce que son frère fût décemment et honorablement traité dans sa route vers ce lieu. [746] Carloman partit pour Rome, abandonna les gloires du siècle, changea d’habit et bâtit un monastère en l’honneur de saint Silvestre [747] sur le mont Soracte, où le saint passe pour s’être caché pendant le temps de la persécution qui arriva sous Constantin. Carloman, après avoir demeuré quelque temps dans ce lieu, prit un meilleur parti, se rendit, pour servir Dieu, dans le monastère de Saint-Benoît, situé près du Mont-Cassin, dans le Samnium, et prit en cet endroit l’habit religieux. [747] Griffon, frère de Carloman et Pépin, ne voulant point vivre soumis à ce dernier, quoiqu’il en fût traité avec honneur, leva une troupe et se retira en Saxe. Là, ayant rassemblé aussi l’armée des Saxons, il campa à Horheim, sur les bords de l’Ocker. Mais Pépin, voulant tirer vengeance de la perfidie de son frère, traversa la Thuringe, à la tête des troupes franques, entra en Saxe et campa à Schaning. Les deux frères ne se livrèrent cependant pas bataille, et se retirèrent après s’être accommodés [748]. [748] Griffon, se défiant de la foi des Saxons, gagna la Bavière, réduisit ce duché sous son obéissance avec les troupes franques qui accouraient à lui en grand nombre, obligea Tassilon et Chiltrude à se rendre à lui, et reçut les secours de Swithger qui venait à son aide. Lorsque Pépin eut appris ces événements, il marcha en Bavière avec une armée nombreuse, s’empara de son frère Griffon et de tous ceux qui étaient venus avec lui ou l’avaient joint [749], remit Tassilon en possession de son duché, et, de retour dans ses États, il mit Griffon, en qualité de duc et selon l’usage, à la tête de douze comtés ; mais celui-ci ne fut pas reconnaissant d’un tel bienfait, car il s’enfuit la même année près de Waïfer, duc d’Aquitaine. [749] Burchard, évêque de Wurtzbourg, et Fulrad, prêtre chapelain, furent envoyés à Rome au pape Zacharie [751], afin de consulter le pontife touchant les rois qui alors étaient en France et qui n’en possédaient que le nom sans en avoir en aucune façon la puissance. Le pape répondit par un messager qu’il valait mieux que celui qui possédait déjà l’autorité de roi le fût en effet, et, donnant son plein assentiment, il enjoignit que Pépin fût fait roi. [750] Dans cette année, d’après la sanction du pontife romain, Pépin fut appelé roi des Francs [mars 752], oint pour cette haute dignité de l’onction sacrée par la sainte main de Boniface, archevêque et martyr d’heureuse mémoire, et élevé sur le trône, selon la coutume des Francs, dans la ville de Soissons. Quant à Childéric qui se parait du faux nom de roi, Pépin le fit raser et mettre dans un monastère . [753] En cette année, Pépin entra en Saxe avec des troupes nombreuses, et, malgré leur opiniâtre résistance, les Saxons furent repoussés, et le roi s’avança jusqu’au lieu dit Rheime, sur le fleuve du Weser. Dans cette expédition, l’archevêque Hildegaire fut tué sur le mont Vibourg. A son retour de Saxe, le roi apprit la mort de son frère Griffon, et dans quel lieu et de quelle façon il avait été tué. En cette même année, le pape Étienne vint auprès du roi Pépin dans la ville de Quiersy [en 754], pour l’engager à défendre l’église romaine et lui-même des invasions des Lombards ; Carloman, frère du roi, déjà moine, vint aussi par l’ordre de son abbé, afin de s’opposer auprès de lui aux prières du pontife romain. On croit qu’il agit contre son gré en cette occasion, n’osant pas mépriser les ordres de son abbé, et l’abbé lui-même n’osant résister à ceux du roi des Lombards, sous la loi duquel il vivait. [754] Le pape Étienne, après avoir reçu du roi la promesse qu’il défendrait l’église romaine, le consacra par l’onction sacrée, comme revêtu de la dignité royale, ainsi que ses deux fils Charles et Carloman, et passa l’hiver à Paris. Dans la même année, Boniface, archevêque de Metz, prêchant la parole de Dieu en Frise, fut tué par les païens, et reçut la couronne du martyre . [755] Le roi Pépin, cédant aux sollicitations du pontife, envahit l’Italie avec une puissante armée pour recouvrer les domaines enlevés à l’église romaine par le roi des Lombards. Ceux-ci résistèrent, et, comme ils étaient maîtres des clefs de l’Italie, il se livra un combat sanglant dans les défilés des montagnes appelés Cluses. Les Lombards se retirèrent, et, malgré la difficulté du chemin, les Francs passèrent sans beaucoup de peine. Astolphe, roi des Lombards, n’osant engager la bataille, fut assiégé dans Pavie par le roi Pépin, qui refusa de lever le siège avant d’avoir reçu quarante otages qui lui donnassent la certitude que les possessions enlevées à l’église romaine lui seraient rendues. Les otages lui furent remis, la paix fut jurée, Pépin retourna dans son royaume, et renvoya à Rome le pape Étienne avec le chapelain Fulrad et un corps nombreux de troupes franques. Le moine Carloman, frère du roi, était demeuré à Vienne avec la reine Bertrade ; il fut atteint de la fièvre avant que le roi Pépin fût revenu d’Italie, et mourut . Son corps fut porté par l’ordre du roi au monastère de Saint-Benoît où if avait pris l’habit religieux. [756] Astolphe, roi des Lombards, bien qu’il eût donné, l’année précédente, des otages pour la restitution des provinces enlevées à l’église romaine et qu’il eût engagé par des serments ses grands aussi bien que lui-même, n’accomplit aucunes de ses promesses. C’est pourquoi Pépin entra une seconde fois en Italie avec son armée, assiégea dans Pavie Astolphe qui s’y était renfermé, et, le contraignant à tenir ses serments, le roi se fit restituer Ravenne, la Pentapole et tout l’exarchat s’étendant jusqu’à Ravenne, et les remit à Saint-Pierre. Après avoir ainsi agi il retourna en Gaule. Astolphe, après son départ, cherchait de quelle manière il pourrait ne pas tenir ses engagements qui n’étaient pas accomplis, et éluder encore frauduleusement ceux qui l’étaient déjà ; mais, pendant ce temps, il tomba par accident de cheval à la chasse, en contracta une maladie, et mourut. Didier, qui était son connétable, lui succéda. [757] L’empereur Constantin envoya au roi Pépin plusieurs présents, et, entre autres choses, des orgues ; ces dons lui parvinrent à Compiègne, ville où se tenait alors l’assemblée générale. Tassilon, duc de Bavière, s’y rendit avec les premiers de sa nation, s’y recommanda, entre les mains de Pépin, en qualité de vassal, selon la coutume franque, et jura, sur le corps de saint Denis, fidélité, non seulement au roi, mais aussi à ses fils Charles et Carloman. Ce ne fut pas dans ce seul endroit qu’il s’engagea par un tel serment envers ces princes, mais aussi sur les reliques de saint Martin et saint Germain. Les chefs et les principaux des Bavarois qui étaient venus, avec Tassilon, en présence du roi, lui promirent aussi, dans ces lieux sacrés, fidélité ainsi qu’à ses fils. [758] Le roi Pépin entra en Saxe avec ses troupes, et quoique les Saxons résistassent vaillamment et défendissent bien leurs forts, il les mit en déroute ; et le retranchement même par où ils s’efforçaient de défendre leur patrie, lui servitude chemin pour y entrer. Après plusieurs combats où il tailla en pièces une partie de leur armée, il les força à lui promettre de se conformer désormais à 6es volontés, et d’envoyer tous les ans, en signe de respect, un tribut de trois cents chevaux à l’assemblée nationale. Ces conventions ainsi réglées et confirmées, ainsi que cela devait être, selon la coutume saxonne, Pépin rentra en France avec son armée. [759] Il naquit au roi Pépin un fils auquel il voulut donner son nom ; mais cet enfant, enlevé par une mort prématurée, mourut âgé de trois ans. Le roi célébra la fête de Noël à Glare, et celle de Pâques à Jupil , et cette année il ne franchit point les frontières de son royaume. [760] Waïfer, duc d’Aquitaine, ayant refusé de rendre aux évêques des églises placées sous la domination du roi Pépin les biens qu’elles possédaient dans ses États, et refusant avec mépris d’écouter les remontrances que le roi lui fit faire à ce sujet par ses envoyés, sa rébellion força Pépin à lui déclarer la guerre. Ayant donc assemblé toutes ses troupes, le roi entra en Aquitaine, décidé à faire restituer, les armes à la main, tout ce qui appartenait aux églises. Arrivé à un lieu dit Doué, il y dressa son camp ; et Waïfer, n’osant entamer la guerre, envoya une ambassade au roi, par laquelle il promit de faire tout ce qui lui serait prescrit, de rendre aux églises tous leurs droits, et de livrer les otages qui lui seraient demandés : il donna, à ce titre, deux des premiers de sa nation, Adalgaire et Ither. Par là il apaisa si bien l’esprit irrité du roi, que Pépin consentit à ne point faire la guerre. Ayant reçu les otages en foi de l’accomplissement des traités, il s’abstint de livrer bataille, revint chez lui, renvoya son armée, et passa l’hiver à Quiersy, où il célébra la fête de Noël et celle de Pâques. [761] Le duc Waïfer, quoiqu’il eût donné des otages et juré la paix, décidé à tirer vengeance de la guerre qu’on lui avait faite l’année précédente, fit avancer son armée jusqu’à la ville de Châlons, et ravagea les possessions des Francs. Lorsque cette nouvelle fut portée au roi Pépin qui tenait alors l’assemblée générale dans la ville de Duren, il appela tous ses alliés, entra avec un appareil belliqueux dans l’Aquitaine, et y prit plusieurs forts et châteaux, entre autres, Bourbon, Chantelle-le-Château et Clermont ; quelques forts, notamment en Auvergne, se rendirent volontairement au vainqueur. Cependant le roi dévasta par le fer et le feu tout le plat pays jusqu’à la ville de Limoges, et retourna à Quiersy, où il passa l’hiver, et célébra la Nativité du Sauveur et la fête de Pâques. Le roi fut accompagné dans cette expédition par Charles, l’aîné de ses fils, celui qui, après la mort de son père, fut maître de tout l’Empire. [762] Le roi Pépin, désirant mettre fin à la guerre qu’il avait entreprise, entra de nouveau avec son armée dans la province d’Aquitaine, y prit la ville de Bourges et le château de Thouars, et, à cause de l’approche de l’hiver, il retourna à Gentilly, où il passa cette saison, et y solennisa la fête de Noël et celle de Pâques. [763] Au commencement de l’année, le temps étant propice, et l’assemblée générale s’étant tenue à Nevers, les troupes s’y rassemblèrent. Le roi Pépin rentra en Aquitaine, ravagea tout ce que ne renfermaient point les forts, et s’avança jusqu’à la ville de Cahors. Voulant rentrer en France avec son armée entière, il quitta ce lieu, et repassa par Limoges. Dans cette expédition, Tassilon, duc de Bavière, quitta l’armée, et retourna dans sa patrie, en feignant une maladie, et, décidé à la trahison, il refusa de se rendre désormais en présence du roi. Pépin renvoya son armée dans ses quartiers d’hiver, et l’alla passer à Glare, où il fêta Noël et Pâques. La saison fut, cette année, si âpre et si rigoureuse que le froid d’aucun des hivers précédents ne s’y put comparer. [764] Le roi Pépin, l’esprit fort préoccupé des deux guerres, l’une déjà entreprise contre l’Aquitaine, et l’autre suscitée par la défection de Tassilon, duc de Bavière, tint l’assemblée générale de son peuple dans la ville de Worms, remit son expédition, et passa cette année chez lui, fixant son séjour pour l’hiver à Quiersy, où il passa les fêtes de Noël et de Pâques. Il y eut cette année une éclipse de soleil le 4 du mois de juin, à la sixième heure. [765] Le roi Pépin ne s’éloigna pas cette année, et ne passa point les frontières de son royaume, pas même pour terminer la guerre d’Aquitaine. Il tint l’assemblée générale à Attigny, et demeura pendant l’hiver à Aix-la-Chapelle, où il assista aux solennités de Noël et de Pâques. [766] Le roi Pépin tint dans la ville d’Orléans l’assemblée nationale pour y traiter des moyens de terminer la guerre d’Aquitaine. Il partit de là pour cette province, répara le fort d :Argenton détruit par Waïfer, et revint après avoir placé une garnison de Francs en ce lieu, ainsi que dans la ville de Bourges. Il célébra la fête de Noël à Samoucy, et celle de Pâques à Chantilly. [767] Une dispute s’étant élevée entre les églises d’Occident et d’Orient, c’est-à-dire, entre les Romains et les Grecs, touchant la Trinité et les images des Saints, le roi, ayant convoqué l’assemblée à Gentilly, tint un synode sur cette question, et, cela fait, partit pour l’Aquitaine, après Noël, pour y terminer la guerre. Il passa par Narbonne, prit Toulouse, et réduisit à capituler les districts d’Albi et de Gévaudan. De retour à Vienne, après y avoir célébré la fête de Pâques et fait reposer son armée, l’été étant déjà fort avancé, le roi se mit en route au mois d’août, pour mettre fin à la guerre. Il arriva à Bourges, et y tint une assemblée, selon la coutume franque ; de là il s’avança jusqu’au fleuve de la Garonne, se rendit maître de plusieurs châteaux, repaires et cavernes où s’était retranchée une nombreuse bande d’ennemis. Les plus importants étaient Scoraille, Turenne et Peiruce. Revenu à Bourges, le roi renvoya son armée pour l’hiver, resta dans cette ville, et y assista à la fête de Noël. Paul, pape romain, mourut, et la nouvelle en fut portée au roi à Bourges. [769] Le roi Pépin, dès qu’il vit le temps propre à reprendre la guerre, assembla son armée, et se mit en chemin pour la ville de Saintes. Sur la route, il fit prisonnier Rémistan, et à son arrivée à Saintes, la mère, la sœur et les nièces du duc Waïfer lui furent amenées. Il ordonna de les traiter avec respect, et s’avança vers la Garonne, où Eberwich vint au devant de lui, conduisant l’autre sœur de Waïfer qu’il remit en son pouvoir, ainsi que lui-même. Les choses se passant donc heureusement, Pépin retourna au château de Selles, où il célébra la fête de Pâques ; il prit ensuite avec lui sa femme et sa famille, revint dans la ville de Saintes, et les y laissant, il recommença à poursuivre avec toutes ses troupes le duc Waïfer, décidé à ne cesser qu’après avoir vu ce rebelle pris et mis à mort. Waïfer fut tué en effet sur le territoire de Périgueux. Le roi jugea la guerre terminée, revint à Saintes, s’y arrêta quelque temps, et y fut atteint d’une maladie. Pendant sa durée, il alla à Tours, et y pria près du tombeau de saint Martin. S’étant ensuite rendu à Paris, il y mourut le 24 septembre. Son corps fut inhumé dans la basilique du bienheureux Denis, martyr. Ses fils Charles et Carloman furent faits rois par le consentement des Francs : tous deux prirent les insignes de la royauté, Charles dans la ville de Noyon, et Carloman dans celle de Soissons, Charles étant parti pour Aix-la-Chapelle y célébra la fête de Noël, et celle de Pâques à Rouen. CHARLEMAGNE (768-814). [769] Les deux frères, succédant à leur père, partagèrent ensemble le royaume. L’Aquitaine tomba au pouvoir de Charles l’aîné. Mais cette province ne put demeurer longtemps tranquille par suite des guerres qui s’étaient passées dans son sein. Un certain Hunold, aspirant au pouvoir, excita les habitants à machiner de nouveaux complots. Le roi Charles, à qui cette province était échue en partage, marcha à la tête de son armée contre lui. Mais il ne put obtenir de secours de son frère, qui en était détourné par les mauvais conseils des grands de son royaume. Les deux frères eurent à Duasdives une conférence à ce sujet. Carloman retourna dans son royaume, et Charles, continuant sa route vers Angoulême, ville d’Aquitaine, fit assembler en ce lieu toutes ses troupes, poursuivit Hunold, et faillit le prendre ; mais Hunold s’échappa à la faveur de la connaissance des lieux où il pouvait se dérober aux recherches de l’armée du roi. Il s’éloigna d’Aquitaine et gagna la Gascogne où il se croyait en sûreté, ne mettant pas en doute la fidélité de Loup, duc de Gascogne. Le roi envoya au duc une ambassade pour lui ordonner de rendre le rebelle, l’avertissant que, s’il ne se soumettait à cette condition, il entrerait les armes à la main en Gascogne, et n’en sortirait qu’après avoir mis fin à sa désobéissance. Loup, effrayé des menaces du roi, promit de se soumettre désormais à ses volontés, et livra sans retard Hunold et sa femme. Charles, en attendant le retour de ses envoyés, bâtit un fort, nommé Fronsac, sur la rive de la Dordogne, et après leur arrivée, en possession du rebelle, il regagna son royaume. Il célébra la fête de Noël à Duren et celle de Pâques dans l’église de Saint-Lambert à Liège. [770] Le roi Charles tint l’assemblée générale du peuple à Worms. La reine Bertrade, mère des rois, eut une entrevue à Seltz avec Carloman, le plus jeune, pour y traiter de la paix, et partit pour l’Italie. Après y avoir terminé l’affaire qu’elle avait entreprise et adoré le Seigneur dans le temple des saints apôtres, elle retourna en France auprès de ses fils. Charles célébra la solennité de Noël à Mayence et celle de Pâques à Herstall. [771] L’assemblée générale tenue, selon l’usage, à Valenciennes sur le fleuve de l’Escaut, le roi Charles prit ses quartiers d’hiver. Au bout de quelque temps, Carloman, son frère, mourut à Samoucy. Charles voulut alors s’emparer de tout le royaume, se rendit dans la terre de Carbone, et y fut joint par Wilhaire, évêque de Sedan, Fulrad, prêtre, et plusieurs autres prêtres, comtes et grands de son frère, entre lesquels on remarquait Warin et Adalbard ; quant à la femme et aux fils du roi Carloman, ils s’étaient rendus en Italie avec une partie des grands. Le roi désapprouva comme inutile ce départ ; il solennisa la naissance de notre Seigneur à Attigny et la fête de Pâques à Herstall. [772] Le pape Étienne étant mort à Rome, Adrien lui succéda au pontificat. Le roi Charles, après avoir tenu son assemblée à Worms, résolut de porter la guerre en Saxe, y entra sans retard, dévasta tout par le fer et le feu, prit le château fort d’Ehresbourg et renversa l’idole appelée Inninsul par les Saxons. Comme il s’était arrêté trois jours pour cette destruction, il arriva, tant le ciel demeura continuellement serein, que toutes les rivières et fontaines étaient à sec et qu’on ne pouvait rien trouver à boire. On craignait que l’armée, fatiguée par la soif, ne put continuer ses travaux ; mais un certain jour, et (à ce que l’on croit, par la bonté divine) pendant que, vers midi, tous se reposaient, un énorme volume d’eau remplit tout à coup le lit d’un torrent auprès du mont auquel était adossé le camp, et toute l’armée put ainsi se désaltérer. Le roi ayant détruit l’idole, s’avança jusqu’au Weser, et là reçut des Saxons douze otages. De retour en France il assista aux solennités de Noël et de Pâques dans sa terre de Herstall. [773] Le pape Adrien ne pouvant supporter l’insolence du roi Didier et des Lombards, résolut d’envoyer à Charles, roi des Francs, une ambassade pour le supplier de venir secourir contre leur oppression lui et les Romains. Mais, comme on ne pouvait faire librement cette route par terre en Italie, le pape fit monter à Rome dans un vaisseau Pierre, son envoyé, qui se rendit ainsi par mer à Marseille et poursuivit ensuite parterre son chemin en France. Lorsqu’il eut joint le roi à Thionville où il passait l’hiver et lui eut exposé le sujet de son ambassade, Pierre retourna à Rome par le même chemin. Le roi ayant examiné avec grand soin ces dissensions entre les Lombards et les Romains, se décida à entreprendre la guerre pour la défense de ces derniers; il se rendit avec son armée à Genève, ville de Bourgogne, située près du Rhône, y délibéra sur la manière d’entamer la guerre, divisa ses troupes en deux portions, donna à celles que commandait Bernard, son oncle paternel, l’ordre de faire route par le mont Joux, et lui-même, à la tête de l’autre, passa le mont Cenis; il traversa ainsi le sommet des Alpes, et mit en fuite Didier, qui s’efforça en vain de lui résister; il le bloqua dans Pavie, et employa l’hiver à tenter beaucoup de moyens pour prendre la ville, ce qui était fort difficile. [774] Pendant que ces événements se passaient en Italie, les Saxons, saisissant l’occasion favorable de l’absence du roi, ravagèrent par le fer et le feu les frontières de Hesse qui touchaient aux leurs ; ils voulurent incendier, dans le lieu nommé maintenant Friedslar, la basilique qu’y avait bâtie le bienheureux Boniface, martyr. Tandis qu’ils s’efforçaient vainement de réussir dans ce dessein, ils furent saisis d’une frayeur subite envoyée par Dieu, et s’enfuirent en désordre avec une honteuse terreur. Le roi Charles, laissant à son armée le soin de terminer le siège et la prise de Parie, alla à Rome pour y prier, et lorsque après avoir accompli ses voeux il fut retourné à son camp, la ville, fatiguée d’un long siège, se rendit à lui; toutes les autres ;villes suivirent cet exemple et se donnèrent au roi des Francs. Charles, l ayant ainsi soumis et pacifié pour quelque temps l’Italie, revint en France emmenant captif le roi Didier. Quant à Adalgise, son fils, en qui les Lombards mettaient beaucoup d’espérances, voyant les affaires de son pays perdues, il alla en Grèce auprès de l’empereur Constantin, et vécut honorablement à sa cour avec le titre de patrice. Lorsque le roi fut de retour, et avant même que les Saxons pussent en être informés, il envoya dans leur pays une triple armée qui mit tout à feu et à sang, tailla en pièces une multitude de Saxons qui s’efforçaient de résister, et revint en France chargé de butin. Charles à son retour d’Italie, célébra la dédicace de l’église de Saint-Nazaire, martyr, et la translation de son corps dans notre monastère de Lauresheim, l’an du Sauveur 774, le 1er septembre. [775] Le roi passant l’hiver à Quiersi, résolut d’attaquer les cruels et perfides Saxons, et de ne s’arrêter qu’après leur entière extermination ou leur conversion au christianisme. Après avoir tenu l’assemblée générale dans la ville de Duren, il passa le Rhin, attaqua la Saxe avec toutes ses forces, prit du premier coup la citadelle de Siegbourg, où était une garnison saxonne, rétablit le fort d’Ehresbourg qu’avaient détruit les Savons, et y laissa quelques troupes franques, de là gagna le Weser, et attaqua, dans le lien nommé Brunnesberg, une multitude de Saxons qui voulaient lui disputer, mais en vain, le passage du fleuve, car dès les premiers instants ils furent mis en fuite, et beaucoup y périrent. Le roi passa donc le fleuve, et s’avança avec une partie de son armée jusqu’à l’Ocker ; là vint le joindre Hesson un des chefs Saxons, amenant avec lui tous les Ostphaliens ; il lui donna les otages exigés, et lui jura fidélité. Charles étant revenu sur ses pas, et arrivé au village nommé Buch, les Angrariens accoururent à lui avec leurs principaux chefs, imitèrent les Ostphaliens, lui donnèrent des otages, et lui prêtèrent serment. Cependant la partie de l’armée que Charles avait laissée près du Weser, dressa ses tentes dans le lieu nommé Hudbeck et, ne prenant point de précautions, fut circonvenue par la fraude des Saxons. Comme les fourrageurs Francs retournaient au camp vers la neuvième heure du jour, les Saxons feignirent d’être de leurs compagnons, se mêlèrent à eux, s’introduisirent dans leurs retranchements, les attaquèrent pendant leur sommeil ; et massacrèrent une grande partie de cette multitude imprudente. Cependant, repoussés par la vaillante résistance de ceux qui s’étaient éveillés, les Saxons sortirent du camp, et s’éloignèrent d’après un traité que la nécessité seule avait pu imposer. Quand le roi reçut cette nouvelle, il se mit en marche avec toute la diligente possible, poursuivit les Saxons en retraite, il en tailla en pièces une grande quantité, reçut des otages Westphaliens , et retourna en France pour y passer l’hiver. [776] Le roi apprit à son retour que le lombard Rotgaud, qu’il avait établi duc dans le Frioul, excitait de nouveaux mouvements en Italie, et que déjà plusieurs villes s’étaient données à lui. Charles jugea nécessaire de réprimer promptement ces rébellions, emmena avec lui ses plus braves guerriers, et marcha sur-le-champ en Italie. Rotgaud qui avait prétendu se faire roi fut tué, les villes dont il s’était emparé se rendirent sans retard, le roi y mit des comtes Francs, et retourna en France, aussi vite qu’il en était venu. A peine eut-il passé les Alpes, que des envoyés lui apprirent que le fort d’Ehresbourg avait été emporté par les Saxons, que la garnison franque en avait été expulsée, que l’autre château de Siegbourg n’avait pas été pris, mais attaqué ; que les troupes demeurées pour sa garde avaient fait une sortie, attaqué par derrière les imprudents Saxons occupés du siège, et tué une grande quantité d’entre eux ; que ceux qui avaient échappé au carnage avaient non seulement abandonné le siège, mais s’étaient empressés de fuir, et qu’errants et dispersés ils avaient été poursuivis par les Francs, jusqu’au fleuve de la Lippe. A ces nouvelles le roi tint une assemblée à Worms, et résolut d’entrer en Saxe : il convoqua toutes ses troupes, et parvint avec tant de célérité au lieu qu’il avait désigné, qu’il renversa par là les desseins des ennemis qui s’efforçaient de lui résister. En approchant de la source de la Lippe, il trouva une immense multitude de ce peuple perfide qui venait, suppliante et soumise, implorer le pardon de sa faute. Le roi lui pardonna miséricordieusement, fit baptiser ceux qui disaient vouloir être chrétiens, reçut d’eux de trompeuses promesses de fidélité, ainsi que les otages qu’il avait exigés, répara le fort détruit d’Ehresbourg, en fit construire un autre sur la Lippe, laissa dans chacun une forte garnison, et, de retour en France, passa l’hiver à Herstall. [777] Au premier souffle du printemps, le roi partit pour Nimègue, et après y avoir célébré la fête de Pâques, ne pouvant ajouter aucune foi aux trompeuses promesses des Saxons, il tint à Paderborn l’assemblée générale du peuple, et entra en Saxe avec une grande armée. Là tout le sénat, et une foule d’hommes de ce peuple perfide, vinrent le trouver d’après son ordre, feignant le dévouement et l’obéissance. Ils étaient en effet tous venus devant lui, excepté Witikind, un des chefs Westphaliens, qui se sentant coupable de beaucoup de crimes, et craignant pour cette cause la présence du roi, avait fui auprès de Siegfried, roi des Danois. Ceux qui étaient venus se soumirent au roi, et obtinrent leur pardon à la condition que, s’ils se révoltaient de nouveau, ils seraient privés de leur patrie et de leur liberté. Un grand nombre d’entre eux se firent baptiser en ce lieu ; mais c’était bien faussement qu’ils disaient vouloir être chrétiens. Dans le même lieu et temps, se rendit aussi en présence du roi un Sarrasin nommé Ibn Al-Arabi, venu d’Espagne avec plusieurs autres, et il se donna à Charles, ainsi que les villes dont l’avait fait chef le roi des Sarrasins. Charles ayant terminé l’assemblée, retourna en Fiance, célébra la fête de Noël dans la ville de Douzy, et celle de Pâques à Chasseneuil en Aquitaine. [778] Concevant, et avec raison, par les discours d’Ibn Al-Arabi, l’espoir de s’emparer de quelques villes d’Espagne, le roi assembla son armée et se mit en marche ; il traversa les sommets des Pyrénées, par le pays des Gascons, attaqua Pampelune, ville de Navarre, et la força à se rendre. De là passant à gué l’Èbre, il s’avança vers Saragosse, ville considérable de ce pays, reçut les otages que lui amenèrent Ibn Al-Arabi, Abithaür et plusieurs autres Sarrasins, et revint à Pampelune. Il rasa les murs de cette ville pour l’empêcher de se révolter à l’avenir ; et voulant retourner en France, il entra dans les gorges des Pyrénées. Mais les Gascons avaient placé des embuscades dans ces monts ; ils attaquèrent l’arrière-garde et mirent toute l’armée en un grand désordre. Quoique par le courage et les armes, les Francs fussent supérieurs aux Gascons, ils se trouvèrent inférieurs à cause de la difficulté des lieux et de ce genre inaccoutumé de combat. Plusieurs, des hommes de la cour à qui le roi avait donné des troupes à commander furent tués dans ce combat. Les bagages furent pillés ; et l’ennemi, par sa connaissance des lieux, se déroba aussitôt à toute poursuite. Le souvenir de ce cruel échec obscurcit grandement dans le cœur du roi la joie de ses exploits en Espagne. Pendant ce temps, les Saxons, saisissant l’occasion favorable, prirent les armes et s’avancèrent jusqu’au Rhin; mais ne pouvant passer le fleuve, ils dévastèrent par le fer et le feu tout ce qui se trouva de villes et villages depuis le fort de Duitz jusqu’à l’embouchure de la Moselle. Les choses sacrées et profanes furent également en proie à leur fureur ; leur rage ne fit point de distinction de sexe ni d’âge, et il parut clairement qu’ils étaient entrés sur le territoire des Francs non pour piller, mais pour le plaisir de la vengeance. Quand cette nouvelle fut apportée au roi à Auxerre, il ordonna sur-le-champ aux Francs orientaux et aux Allemands de se rendre en hâte pour chasser l’ennemi. Lui-même ayant laissé là ses autres troupes, se rendit à Herstall pour y passer l’hiver. Les Francs et les Allemands envoyés contre les Saxons marchèrent sur eux à grandes journées pour pouvoir les atteindre dans le territoire Franc ; mais les Saxons, ayant achevé leur entreprise, étaient déjà rentrés dans le leur. Les troupes du roi ayant suivi leurs traces, les atteignirent dans la Hesse, comme ils allaient passer le fleuve de l’Adern ; elles les attaquèrent aussitôt et en firent un tel carnage qu’on dit que, d’une si grande multitude, à peine quelques-uns purent regagner enfuyant leurs demeures. [779] Le roi quitta au printemps Herstall, où il avait passé l’hiver et célébré les fêtes de Noël et de Pâques, et se rendit à Compiègne. Comme il s’en retournait, après avoir achevé l’affaire pour laquelle il était venu, Hildebrand, duc de Spolète, vint à lui à Wirsigny avec beaucoup de présents. Le roi le reçut très bien, le combla de dons, et le renvoya dans son duché. Ensuite se disposant à l’expédition de Saxe, le roi alla à Duren, tint, selon la coutume, l’assemblée générale, et parvint, avec son armée, jusque sur la Lippe. Les Saxons, animés d’une vaine espérance, s’efforcèrent de lui résister dans le lieu appelé Buchholz, furent repoussés et mis en fuite. Le roi entra dans la Westphalie et reçut à discrétion tous les habitants. De là il s’avança jusqu’au Weser, dressa son camp dans le lieu nommé Medfull, et y séjourna quelque temps. Les Angrariens et les Ostphaliens s’y rendirent, lui donnèrent des otages et lui jurèrent fidélité. Après avoir terminé toutes ces choses, le roi traversa le Rhin, et se rendit dans la ville de Worms où il passa l’hiver. [780] Dès que le roi trouva le temps favorable, il partit avec une grande armée et entra de nouveau en Saxe ; il passa par le fort d’Ehresbourg, vint à la source de la Lippe, y plaça son camp et s’y arrêta quelques jours. De là changeant de route, il se rait en marche pour l’orient et gagna le fleuve de l’Ocker. Les Saxons de toutes les parties orientales se rendirent en ce lieu comme il leur en avait donné l’ordre ; et, suivant leur feinte accoutumée, se firent baptiser dans le lieu nommé Horheim. De là le roi s’avança vers l’Elbe, dressa ses tentes pour s’arrêter quelque temps dans le lieu où cette rivière est jointe par l’Ocker, et s’occupa de régler les affaires des Saxons qui habitent la rive citérieure de ce fleuve avec les Esclavons qui couvrent la rive ultérieure. Ayant tout arrangé pour le moment, il retourna en France et se décida à partir pour Rome pour y prier et accomplir ses voeux ; il prit avec lui sa femme et ses enfants, et se rendit sans retard en Italie ; il célébra la fête de Noël à Pavie où il passa le reste de l’hiver. [781] Allant de là à Rome, le roi y fut honorablement reçu par le pape Adrien ; et comme il célébrait les mystères de Pâques, le pontife baptisa son fils Pépin, et lui donna l’onction royale. Il fit la même cérémonie à Louis son frère, et leur imposa à tous deux la couronne. Pépin, l’aîné, fut établi roi de Lombardie, et Louis, le plus jeune, roi d’Aquitaine. Le roi quitta Rome, se rendit à Milan, où Thomas, évêque de cette ville, baptisa sa fille Gisèle, et la tint sur les fonts sacrés. Cela fait, le roi retourna en France. Tandis qu’il était à Rome, il convint avec le pape Adrien qu’ils enverraient de concert des ambassadeurs à Tassilon, duc de Bavière, pour lui rappeler les promesses qu’il avait faites au roi Pépin, à ses fils et aux Francs, savoir, de leur être dévoué et soumis en tout. Les hommes choisis et envoyés dans cette ambassade furent, de la part du pape, les évêques Formose et Damase, et de celle du roi, Richulf, diacre, et Eberhard, grand échanson. Ils parlèrent au duc comme il leur avait été prescrit, et son cœur fut tellement touché qu’il dit que, si l’on voulait lui donner de tels otages qu’il ne pût rien craindre pour sa sûreté, il se rendrait sur-le-champ en présence du roi. On les lui accorda. Il alla aussitôt trouver Charles à Worms, prêta le serment qu’on exigeait de lui, et donna sans retard les douze otages qu’on lui demandait. Sigebert, évêque de Ratisbonne en Bavière, fut chargé de les amener à Quiersy, où était le roi. Mais le duc, retourné chez lui, ne garda pas longtemps la foi qu’il avait jurée. Quant au roi, il passa l’hiver à Quiersy, et y célébra les fêtes de Noël et de Pâques. [782] Au commencement de l’été, lorsque l’abondance des fourrages permit de faire entrer l’armée en campagne, le roi résolut de passer en Saxe, et d’y tenir l’assemblée générale qui avait lieu tous les ans en France. Il traversa le Rhin près de Cologne, marcha avec toute l’armée des Francs jusqu’à la source de la Lippe, y dressa son camp, et s’y arrêta assez longtemps. Entre autres choses, il reçut et congédia les ambassadeurs de Siegfried, roi des Danois, et ceux que lui envoyaient Chagan et Igour , princes des Huns, comme pour traiter de la paix. Lorsque, l’assemblée terminée, Charles eut passé le Rhin, et fut rentré en France, Witikind, qui avait fui chez les Normands, revint dans sa patrie, et, par de vaines espérances, y excita à la révolte les esprits des Saxons. Cependant le roi avait appris que les Esclavons Sorabes qui habitaient entre l’Elbe et la Sale étaient entrés pour piller sur les terres des Saxons et des Thuringiens qui touchaient aux leurs, et qu’ils dévastaient tout par le fer et le feu. Sur-le-champ le roi manda trois de ses ministres, Adalgise, chambellan, Geilon, connétable, Worad, comte du palais, et leur ordonna de prendre avec eux les Francs orientaux et les Saxons, et de réprimer en hâte l’audace des Esclavons. Lorsque, pour accomplir ces ordres, ces ministres franchirent les frontières de Saxe, ils trouvèrent les Saxons se préparant, d’après le conseil de Witikind, à déclarer la guerre aux Francs : ils renoncèrent alors à poursuivre leur route vers les Esclavons, et se décidèrent à se rendre, avec les troupes des Francs orientaux, au lieu où l’on disait que s’étaient rassemblés les Saxons. Le comte Théodoric, parent du roi, les rejoignit dans la Saxe même avec les forces qu’il s’était hâté de lever dans le pays des Ripuaires aussitôt qu’il avait appris la trahison des Saxons : il donna aux ambassadeurs le conseil de s’enquérir aussi vite que possible, par des espions, du lieu où étaient les Saxons, de ce qui se passait au milieu d’eux, et de les attaquer tous ensemble, si la nature des lieux le permettait. Les ambassadeurs louèrent cet avis, et tous se rendirent ensemble jusqu’au mont appelé Sonnethal, sur le flanc septentrional duquel était placé le camp des Saxons. Théodoric dressa là ses tentes, et l’on convint que, pour cerner plus facilement le mont, les ambassadeurs passeraient avec leurs troupes le Weser, et camperaient sur la rive même du fleuve. S’étant alors entretenus, ceux-ci craignirent que, s’ils attaquaient de concert avec Théodoric, la gloire de la victoire ne lui revînt : c’est pourquoi ils résolurent d’attaquer et de donner bataille sans lui ; ils prirent leurs armes, et attaquèrent, non pas comme ayant affaire à un ennemi préparé à les recevoir, mais comme s’il eût déjà été en fuite. Chacun se livrant à toute la vitesse de son cheval, on eût dit qu’ils n’avaient qu’à poursuivre et à piller des fuyards. lis arrivèrent dans le lieu même où était rangée devant son camp l’armée des Saxons. Alors le combat s’engagea, et l’issue en fut funeste ; car les Francs, entourés par les Saxons, furent presque tous massacrés ; ceux qui purent s’évader ne retournèrent pas à leur camp, mais gagnèrent, en fuyant, celui de Théodoric, qui était situé de l’autre côté du mont. La perte des Francs fût encore plus grande par le rang des morts que par leur nombre. Deux des ambassadeurs, Adalgise et Geilou, quatre comtes, et jusqu’à vingt des hommes les plus nobles et les plus distingués furent tués, sans compter ceux qui les avaient suivis, et qui aimèrent mieux périr avec eux que leur survivre. Lorsque le roi eut reçu cette nouvelle, il crut ne devoir apporter aucun retard ; il assembla son armée, et partit pour la Saxe. Il manda les principaux Saxons, et s’enquit des auteurs de la trahison. Tous dénoncèrent Witikind comme auteur de ce forfait, et ils ne purent le livrer, parce qu’après avoir fait le coup, il s’était retiré chez les Normands. Le roi se fit amener quatre mille cinq cents de ceux qui, à sa persuasion, avaient commis un tel crime, et les fit décapiter en un seul jour, dans le lieu appelé Werden, sur le fleuve de l’Aller. Après avoir exécuté cet acte de vengeance, il passa l’hiver à Thionville, et y célébra, selon la coutume, les fêtes de Noël et de Pâques. [783] Dès que le printemps commença à sourire, le roi se prépara à une expédition contre la Saxe, car il avait appris que, de tous côtés, les Saxons se révoltaient. Sur ces entrefaites, la reine Hildegarde, sa femme, mourut le 30 avril. Après avoir célébré, avec solennité et selon l’usage, ses funérailles, Charles conduisit, comme il l’avait résolu, son armée en Saxe. Informé que les Saxons se préparaient au combat, dans le lieu appelé Dethmold, il fondit sur eux avec une extrême vitesse, engagea le combat, et fit d’eux un tel carnage qu’on dit que, de cette innombrable multitude, bien peu réussirent à s’échapper. Lorsqu’il se fut rendu avec son armée, du champ de bataille, à Paderborn, après y avoir dressé son camp en attendant les troupes qui devaient encore venir de France, il apprit que les Saxons s’étaient assemblés près du fleuve Hase, sur les confins de la Westphalie, dans le dessein de l’y combattre s’il s’y avançait. Irrité de cette nouvelle, il réunit les troupes des Francs, tant celles qu’il venait de recevoir que celles qui l’avaient suivi d’abord, marcha sans retard au lieu où les ennemis étaient rassemblés, et, les ayant joints, combattit avec autant de bonheur que par le passé : une multitude infinie de Saxons y périt ; on y fit un butin considérable, et un grand nombre de prisonniers resta aux Francs. De là le vainqueur fit route vers l’Orient, et marcha dévastant tout sur son passage, d’abord jusqu’au Weser, ensuite jusqu’à l’Elbe. De retour en France, il épousa Fastrade, femme franque, fille du comte Rodolphe, de laquelle il eut deux filles. Cette même année, mourut Bertrade, d’heureuse mémoire, mère du roi, le 11 juillet. Charles se rendit à Herstall pour y passer l’hiver, et y assista aux solennités de Noël et de Pâques. [784] Aussitôt que le temps le permit, le roi décida de mettre fin à la guerre contre les Saxons, passa le Rhin avec son armée, près du lieu nommé Lippenheim, dévasta la Westphalie, et s’avança vers le Weser. Après avoir dressé son camp au bord du fleuve, dans le lieu nommé Huchulb , il aperçut qu’il ne pouvait passer, comme il l’avait résolu, dans la partie septentrionale de la Saxe, à cause d’une grande inondation qu’avait occasionnée subitement la continuité des pluies. Il prit alors sa route par la Thuringe, ordonna à son fils Charles de demeurer avec une partie de l’armée sur les frontières de Westphalie, et gagnant les campagnes de Saxe qui sont sur l’Elbe et la Sale, ravagea le pays des Saxons orientaux, brûla leurs villes, et revint de Schaning en France. Quant à son fils Charles, comme il cheminait le long du fleuve de la Lippe, une armée de Saxons se présenta devant lui : il engagea avec eux une action de cavalerie, combattit avec bonheur, en tua un grand nombre, en mit beaucoup en fuite, et retourna victorieux à Worms près de son père. Le roi réunit de nouveau son armée, partit pour la Saxe, célébra dans son camp le jour de la naissance du Seigneur, et marcha, en le dévastant, dans le canton d’Huellagoge , près du fleuve de l’Ems, non loin du fort saxon qui porte le nom de Dekidrobourg, au confluent du Weser et de la Werne. Lorsqu’il voulut partir, il en fut empêché par l’âpreté de l’hiver et les inondations, et passa l’hiver à Ehresbourg. [785] Dès qu’il s’y fut résolu, il fît venir à lui sa femme et ses enfants ; et, ayant laissé avec eux dans ce fort une assez nombreuse et fidèle garnison, il partit pour dévaster le pays des Saxons et prendre leurs villes ; courant en tous sens, et ravageant tout par le fer et le feu, il fit passer aux Saxons, tant par lui-même que par ses ducs, un hiver très fâcheux. Après ces expéditions désastreuses pour ce peuple, l’hiver fini et ayant reçu des convois de France, Charles tint, selon la coutume ordinaire, l’assemblée générale du peuple à Paderborn. Après avoir terminé les affaires qui s’y devaient traiter, il se rendit à Bardengau ; il apprit là que Witikind et Abbion étaient au-delà de l’Elbe ; il les fit aussitôt engager par les Saxons à renoncer à leur perfidie et à se soumettre à lui sans hésiter. Mais, ayant la conscience de leurs crimes, ils craignaient de s’en remettre à sa foi ; cependant après avoir reçu de lui la promesse de pardon qu’ils avaient demandée, et Amalwin, envoyé du roi, leur ayant remis les otages qu’ils avaient désirés pour leur sûreté, ils se rendirent avec lui auprès du roi à Attigny, et y furent baptisés. Charles, après leur avoir envoyé Amalwin pour qu’il les lui amenât, était rentré en France. L’opiniâtre perfidie des Saxons se reposa quelque temps, surtout parce que les occasions de se révolter leur manquèrent. Il se fit cette année de l’autre côté du Rhin, et parmi les Francs orientaux, une grande conspiration, dont on regarda le comte Hartrad comme l’auteur. Mais aussitôt que le roi en eut été informé, il la dissipa par son habileté et sans grave danger ; il condamna une partie des conspirateurs à perdre les yeux, et le reste à l’exil. [786] L’hiver passé, et après la célébration de la fête de Pâques à Attigny, le roi résolut d’envoyer une Armée en Bretagne. Depuis que la Bretagne d’outre-mer avait été envahie par les Angles et les Saxons, un grand nombre des insulaires, passant la mer, étaient venus s’établir dans les pays de Vannes et de Quimper, situés à l’extrémité de la Gaule. Ce peuple, réduit par les rois Francs â la condition de sujet et de tributaire, avait coutume, quoiqu’à contre cœur, de payer l’impôt qui lui était prescrit ; mais alors il ne voulait plus y consentir, et le roi envoya Audulf, l’un de ses domestiques, qui comprima sur-le-champ l’audace de ce peuple perfide, il amena à Worms les otages qu’il avait reçus et plusieurs des chefs de la nation. La paix étant partout, le roi se décida à partir pour Rome, et pensant qu’il lui convenait d’attaquer cette portion de l’Italie où est Bénévent, pour soumettre à sa puissance le reste d’un royaume dont, depuis la prise de Didier, il possédait la capitale et une grande partie par la soumission des Lombards ; sans aucun retard il fit assembler ses troupes et entra en Italie au milieu des rigueurs de l’hiver. Après avoir célébré Noël à Florence, ville de Toscane, il marcha rapidement vers Rome. A son arrivée, il discuta, tant avec le pape Adrien qu’avec les grands, son projet d’entrer sur le territoire de Bénévent. Arégise, duc des Bénéventins, ayant appris sa venue et son dessein, tenta de l’en détourner. Il lui envoya, avec des présents, Romuald, l’aîné de ses fils, pour le supplier de ne point attaquer son pays. Mais le roi ne renonçait pas de la sorte aux choses qu’il avait entreprises ; il retint par devers lui Romuald, se rendit avec son armée â Capoue, ville de Campanie, et de là il eût commencé la guerre si le duc Arégise, par une sage résolution, n’eût prévenu le coup qui le menaçait. Abandonnant Bénévent qui passait pour la capitale de cette contrée, il se retira avec les siens à Salerne, ville qu’il jugeait plus sûre, et envoya une légation au roi, lui offrant en otage l’un et l’autre de ses fils, et promettant de lui obéir en tout. Le roi, touché de ses prières, et mû par la crainte de Dieu, s’abstint de la guerre, et renvoya au duc son fils aîné, après avoir reçu à sa place et en otage Grimoald le cadet. Le peuple de Bénévent lui donna aussi onze otages ; il envoya des ambassadeurs chargés de lier par des serments le duc et toute la nation. Cela fait, Charles eut une entrevue avec les ambassadeurs de l’empereur Constantin, qui venaient lui demander la main de sa fille. Les ayant congédiés, il retourna à Rome, et y célébra avec grande joie la fête de Pâques. [787] Tandis que le roi était encore à Rome, Tassilon, duc de Bavière, envoya au pape Adrien des ambassadeurs, savoir l’évêque Arne et l’abbé Henri, pour le prier de vouloir bien servir de médiateur entre le roi et lui. Le pontife ne crut pas devoir se refuser à ses prières, et s’occupa, avec une sollicitude empressée, de rétablir entre ces princes, par son intervention et son crédit, la bonne intelligence et la paix. Lorsque le roi lui eut donné son consentement, le pontife demanda aux envoyés du duc quand ils jureraient cette paix. Ils répondirent qu’il ne leur avait été rien prescrit à ce sujet, et qu’ils n’étaient chargés que de reporter à leur maître la réponse du roi et du pontife. Le pape, irrité de leur discours, résolut de les frapper d’anathème comme fourbes et trompeurs, si les promesses faites autrefois au roi n’étaient pas accomplies, et les ambassadeurs s’en retournèrent ainsi sans avoir conclu la paix. Le roi ayant rendu hommage aux tombeaux des saints et s’étant acquitté de ses voeux, reçut la bénédiction apostolique et revint en France, trouva à Worms sa femme Fastrade, ses enfants et la suite qu’il avait laissée auprès d’eux, et résolut de tenir en ce lieu l’assemblée générale. Il y raconta en présence des grands tout ce qu’il avait fait en Italie, parla en finissant de ces envoyés de Tassilon qu’il avait reçus à Rome, et se décida à voir ce que Tassilon voudrait tenir de ses serments. Il assembla donc une grande armée, la divisa en trois parts ; et résolut d’attaquer la Bavière et Tassilon. Il commanda à Pépin son fils de se rendre avec les troupes italiennes dans la vallée de Trente ; les Francs orientaux et les Saxons s’avancèrent, comme ils en avaient reçu l’ordre, jusqu’au lieu nommé Pfenning , prés du Danube, et lui-même s’arrêta, avec la partie de l’armée qu’il conduisait, dans la banlieue d’Augsbourg, sur le Lech qui sépare les Allemands et les Bavarois. Delà, et avec tant de troupes, il eût, sans aucun doute, envahi la Bavière, si Tassilon n’eût prévenu, en se remettant au roi, son danger et celui de son peuple ; se voyant entouré de toutes parts, il vint en suppliant demander le pardon de ses actions passées. Le roi, qui était très doux de sa nature, se rendit à ses vœux et ses prières, reçut de lui, outre douze otages, son fils Théodon, s’assura par un serment de la fidélité des habitants de cette contrée, et retourna en France. Il célébra la fête de Noël et celle de Pâques dans la ville d’Ingelheim, dans la banlieue de Mayence. [788] Décidé à tenir dans cette ville l’assemblée générale de son peuple, Charles ordonna à Tassilon, comme à ses autres vassaux, de s’y rendre, et lorsque ce duc, selon l’ordre qu’il avait reçu, fut venu en sa présence, il fut accusé de lèse-majesté par les Bavarois qui en donnaient pour raison qu’après avoir remis son fils comme otage au roi, et par le conseil de sa femme Hulberge, fille de Didier, qui conservait une grande haine contre les Francs, à cause de l’exil de son père, Tassilon, par animosité contre le roi, avait excité les Huns à entreprendre la guerre contre les Francs ; ce qui arriva cette même année prouva la vérité de l’accusation. Les Bavarois racontèrent plusieurs actions et paroles du duc qui n’avaient pu être dites ou faites que par un ennemi furieux, et il ne put en nier aucune. Convaincu de crime à l’unanimité, il fut condamné à la peine capitale ; mais, malgré ce jugement, la clémence du roi lui sauva la vie : on lui fit quitter l’habit séculier, et il fut envoyé dans un monastère, où il vécut aussi pieusement qu’il y était entré de bon cœur. Son fils Théodon reçut aussi la tonsure, et fut assujetti à la foi monastique. Ceux des Bavarois qu’on savait avoir été instruits et complices de leur perfidie, furent relégués en différents lieux d’exil. Les Huns, comme ils l’avaient promis à Tassilon, parurent en deux armées qui attaquèrent, mais en vain, l’une le Frioul, l’autre la Bavière. Ils furent vaincus et mis en fuite dans l’un et l’autre lieu ; beaucoup des leurs furent tués, et ils regagnèrent leur pays avec grand dommage. Pour venger cet affront, ils attaquèrent de nouveau la Bavière avec de nombreuses troupes ; mais du premier choc ils furent repoussés par les Bavarois ; beaucoup d’entre eux furent tués ; d’autres, s’efforçant de se sauver, voulurent traverser le Danube à la nage, et furent engloutis dans les gouffres du fleuve. Cependant l’empereur Constantin, irrité que le roi lui eût refusé sa fille, ordonna à Théodore, patrice de Sicile , et à ses autres ducs, de dévaster les frontières des Bénéventins. Comme ils exécutaient ces ordres de l’empereur, Grimoald qui, après la mort de son père, avait été nommé, cette année même, par le roi, duc de Bénévent, et Hildebrand, duc de Spolète, vinrent au devant des troupes impériales avec toutes celles qu’eux-mêmes avaient pu réunir ; ils menaient avec eux Winégise, envoyé du roi, qui depuis succéda à Hildebrand comme duc de Spolète. On livra bataille, et les Francs, faisant un grand carnage, furent vainqueurs sans perdre beaucoup des leurs, et revinrent dans leurs forts avec beaucoup de butin et de captifs. Le roi parcourut la Bavière, pacifia cette province, régla ses frontières, revint en France, et passa l’hiver dans son palais d’Aix-la-Chapelle, où il célébra la fête de Noël et celle de Pâques. [789] Il y a en Germanie, sur le bord de l’Océan, une certaine nation d’Esclavons qui se nomment dans leur langue Wélétabes et sont appelés par les Francs Wiltzes. Ce peuple, toujours ennemi des Francs, avait coutume de poursuivre de sa haine, d’opprimer et de harceler par ses armes ceux de ses voisins qui étaient alliés ou sujets des Francs. Le roi, ne voulant pas supporter plus longtemps cette insolence, résolut de leur faire la guerre, assembla une nombreuse armée, et passa le Rhin près de Cologne. Il prit de là son chemin par la Saxe ; et lorsqu’il eut gagné l’Elbe, il plaça son camp sur le rivage, joignit le fleuve par deux ponts, fortifia l’un aux deux bouts, et y laissa une forte garnison. Lui-même passa le fleuve, conduisit son armée au lieu désigné, entra sur les terres des Wiltzes, et ordonna de tout ravager par la flamme et le fer. Cette nation, quoique belliqueuse et se confiant en son nombre, ne put longtemps soutenir l’impétuosité de l’armée des Francs. Dès que le roi fut arrivé pris de la ville de Dragwit, Wiltzan, qui, par l’autorité de sa vieillesse et la noblesse de sa naissance, était supérieur aux autres petits rois des Wiltzes, alla au devant de lui avec tous les siens, donna les otages qu’on lui demandait, et engagea par un serment sa foi au roi et aux Francs. Les autres rois et les principaux des Esclavons suivirent son exemple, et se soumirent au pouvoir du roi. Charles, ayant ainsi réduit ce peuple, et reçu les otages qu’il avait exigés, regagna l’Elbe par le même chemin, fit repasser le pont à son armée, et ayant réglé, en passant, tout ce qui regardait les Saxons, il rentra en France, et célébra à Worms la fête de Noël et celle de Pâques. [790] Le roi ne fit aucune expédition cette année. Tandis qu’il était à Worms, il reçut les ambassadeurs des Huns, et en envoya pareillement à leurs princes il s’agissait entre eux de déterminer où devaient être les bornes de leurs États respectifs. Cette altercation fut l’origine et la source de la guerre qui eut lieu avec les Huns. Le roi cependant, pour ne pas paraître rester dans l’oisiveté et perdre le temps, s’embarqua sur le fleuve du Mein, gagna par là son palais de Seltz, bâti auprès du fleuve de la Sale, et de là retourna à Worms par le même chemin, en suivant le cours du fleuve. En hiver, tandis qu’il était dans ce même palais, un incendie arrivé par accident pendant la nuit le consuma. Charles resta cependant dans ce lieu, et y célébra la fête de Noël et celle de Pâques. [791] Le printemps passé, le roi quitta Worms vers le commencement de l’été, et partit pour la Bavière, dans la résolution de rendre aux Huns le mal qu’ils lui avaient fait, et de leur déclarer la guerre le plus tôt possible. Il assembla donc, dans cette intention, des convois et les meilleures troupes de son royaume, et commença à faire route avec son armée partagée en deux. Il en confia une portion au comte Théodoric et à Meginfried, son chambellan, et leur ordonna de marcher par la rive septentrionale du Danube ; lui-même occupa, avec celle qu’il conduisait, la rive méridionale de ce fleuve, et gagna la Pannonie ; il commanda aux Bavarois de descendre le Danube avec les provisions de l’armée placées sur des bateaux. S’étant ainsi mis en marche, il dressa d’abord son camp près de l’Ems, car ce fleuve, coulant entre la Bavière et le pays des Huns, devait nécessairement servir de limite aux deux royaumes. On fit alors pendant trois jours des prières pour que l’issue de cette guerre fût heureuse et fortunée ; ensuite les troupes se mirent en mouvement, et la guerre fut déclarée par les Francs à la nation des Huns. Les garnisons des Huns furent chassées ; leurs forteresses, dont l’une était bâtie près du fleuve du Camb, et l’autre près de la ville de Comagène , et sur le mont Anneberg, furent détruites, et tout fut dévasté par le fer et la flamme. Le roi gagna avec son armée le fleuve du Raab, le passa, et marcha, en suivant la rive, jusqu’au lieu où il joint le Danube. Il y campa quelques jours, et résolut de retourner par la Bavière, mais il ordonna aux autres troupes, à la tête desquelles étaient Théodoric et Meginfried, de reprendre la route de Bohême qu’elles avaient déjà suivie. Ayant ainsi parcouru et ravagé une grande partie de la Pannonie, il rentra en Bavière avec son armée saine et sauve. Quant aux Saxons et aux Frisons, ils retournèrent chez eux par la Bohême avec Théodoric et Meginfried, selon l’ordre qu’ils avaient reçu. Cette expédition se passa sans aucun fâcheux accident, si ce n’est que les chevaux de l’armée que menait le roi furent atteints d’une telle maladie qu’on dit que, de plusieurs milliers de chevaux, il en resta à peine la dixième partie. Le roi renvoya ses troupes, se rendit à la ville de Régine, nommée actuellement Regensbourg [Ratisbonne], y passa l’hiver, et y fêta la naissance et la résurrection du Sauveur. [792] La ville d’Urgel est située sur le sommet des Pyrénées. L’Espagnol Félix, qui en était évêque, fut consulté par lettres par Élipand, évêque de Tolède, pour savoir ce qu’on devait penser touchant l’humanité de Notre-Seigneur et Dieu Sauveur Jésus-Christ, et si, en le considérant dans sa qualité d’homme, on le devait regarder comme fils de Dieu par nature ou par adoption. Félix ne se contenta pas de prononcer imprudemment, inconsidérément, et contre l’antique doctrine de l’église catholique, que le Christ devait être regardé comme fils adoptif de Dieu ; mais il s’efforça opiniâtrement de prouver par ses ouvrages cette inique opinion à l’évêque Élipand. Il fut amené pour cette cause au palais du roi qui résidait en Bavière, à Ratisbonne où il avait passé l’hiver. Un concile d’évêques fut réuni dans ce lieu. Félix y fut entendu. Convaincu d’erreur, et envoyé de là devant le pape Adrien, il confessa de nouveau en sa présence son hérésie dans la basilique du bienheureux apôtre saint Pierre, et fit abjuration. Cela fait, il revint dans sa ville. Tandis que le roi passait l’été à Ratisbonne, une conjuration fut tramée contre lui par son fils aîné Pépin et plusieurs Francs. Ils déclarèrent qu’ils ne pouvaient supporter la cruauté de la reine Fastrade, et pour cela ils conspirèrent la mort du roi. Le Lombard Fardulf dénonça ce complot, et reçut le monastère de Saint-Denis pour récompense de sa fidélité ; mais les auteurs de la trahison, comme coupables de lèse-majesté et pour avoir médité un tel crime, furent punis de mort, les uns par le tranchant du glaive, les autres par la potence. Le roi demeura en Bavière à cause de la guerre avec les Huns, bâtit sur le Danube un pont de bateaux, dont il devait se servir pour la guerre, et célébra la fête de Noël et celle de Pâques. [793] Tandis que le roi songeait à terminer la guerre commencée, et était résolu à envahir une seconde fois la Pannonie, on lui apporta la nouvelle que les troupes que conduisait le comte Théodoric avaient été arrêtées et taillées en pièces par les Saxons, près de Rustringen sur le Weser. Instruit de ces faits, mais dissimulant la grandeur du mal, le roi renonça à l’entreprise de Pannonie. Il était alors convaincu que, s’il pouvait creuser un canal capable de porter bateaux, entre les fleuves du Reduitz et de l’Almone , dont l’un joint le Mein et l’autre le Danube, on naviguerait commodément du Danube dans le Rhin aussitôt il vint dans ce lieu avec toute sa cour, y réunit une grande multitude, et passa toute la saison de l’automne à faire poursuivre cette œuvre. Le canal fut donc creusé sur deux mille pas de longueur, et trois cents pieds de largeur, mais en vain ; car la continuité des pluies et l’inconvénient d’une terre marécageuse, déjà imbibée d’eau par sa nature, empêchèrent cet ouvrage de s’achever : en effet, autant les ouvriers avaient tiré de terre pendant le jour, autant il en retombait pendant la nuit, à la même place. Tandis que le roi s’occupait à ce travail, en lui apporta de divers pays deux nouvelles fort déplaisantes, l’une que les Saxons s’étaient révoltés de tous côtés, l’autre que les Sarrasins avaient envahi la Septimanie, engagé un combat avec les comtes et les gardes des frontières de cette contrée, tué beaucoup de Francs, et qu’ils étaient rentrés chez eux victorieux. Irrité de tout cela, Charles retourna en France, et célébra la fête de Noël dans l’église de Saint-Kilian, à Wurzbourg sur le Mein, et celle de Pâques à Francfort, sur le même fleuve, où il passa l’hiver. [794] Lorsqu’il eut tenu l’assemblée générale de son peuple, au commencement de l’été, le roi assembla dans la même ville un concile composé des évêques de toutes les provinces de son royaume, pour y condamner l’hérésie de Félix ; les évêques Théophilacte et Étienne, légats du pontife romain Adrien, et munis de tous les pouvoirs de celui qui les envoyait, s’y rendirent ; l’hérésie Félicienne fut condamnée dans ce concile, et un livre pour la réfuter fut composé, d’après l’ordre unanime des évêques, et signé de tous. Quant au synode assemblé peu d’années auparavant à Constantinople par Constantin et sa mère Irène, et appelé par eux, non seulement septième concile, mais concile universel, en décréta dans le concile de Francfort qu’inutile à tous égards, il ne serait point tenu pour le septième concile universel . La reine Fastrade mourut à Francfort, et fut enterrée dans l’église de Saint-Albin, à Mayence. Après ces événements, le roi résolut d’attaquer la Saxe avec une armée divisée de telle façon qu’avec la moitié il entrerait en personne par le côté méridional, et que son fils Charles passerait le Rhin à Cologne avec l’autre portion, et viendrait en Saxe par l’occident. Ce dessein fut accompli, quoique les Saxons se fussent arrêtés à Sintfeld, et attendissent là l’arrivée du roi, se disposant à le combattre ; ils perdirent l’espérance de la victoire qu’ils se promettaient faussement peu de temps avant, se rendirent à discrétion, et vaincus sans combat, se soumirent à la puissance du roi. Ils donnèrent donc des otages, et s’engagèrent par serment à garder fidélité. On évita ainsi la bataille ; les Saxons regagnèrent leurs demeures ; le roi passa le Rhin, et revint en Gaule ; lorsqu’il fut arrivé à Aix-la-Chapelle, il y passa l’hiver, et solennisa les fêtes de la naissance du Sauveur et de sa résurrection. [795] Quoique les Saxons eussent donné des otages l’été passé, et prêté les serments qui leur avaient été imposés, le roi, ne perdant pas le souvenir de leur perfidie, tint, selon la coutume solennelle, l’assemblée générale dans le palais de Kuffenstein, sur le Mein, au-delà du Rhin, vis-à-vis de Mayence ; il entra en Saxe avec son armée, et la parcourut presque entière en la ravageant ; lorsqu’il fut parvenu à Bardenwig, il y dressa son camp, et il attendit là l’arrivée des Esclavons, auxquels il avait donné ordre de s’y rendre, mais il reçut la nouvelle que Wiltzan, roi des Obotrites, en passant l’Elbe, était tombé dans les embûches que lui avaient tendues les Saxons, près du même fleuve, et qu’il avait été tué par eux. Cette action ajouta à l’esprit du roi comme de nouveaux aiguillons pour attaquer plutôt les Saxons, et redoubla sa haine contre cette perfide nation. Il dévasta une grande partie du pays, reçut les otages qu’il exigea, et retourna en France. Pendant cette expédition, et tandis que le camp du roi était sur l’Elbe, il reçut des envoyés venus de Pannonie, et dont l’un était un des chefs des Huns, nommé par les siens Thadun. Celui-ci promit de revenir, et assura qu’il voulait cure chrétien ; le roi se rendit à Aix, et passant là son temps, comme l’année précédente, il fêta les solennités de Noël et de Pâques. [796] Le pape Adrien étant mort, Léon fut élevé au pontificat, et fit bientôt remettre au roi par des légats les clefs du tombeau de saint Pierre, l’étendard de la ville de Rome, avec d’autres dons, et le fit prier d’envoyer quelqu’un de ses grands pour recevoir le serment de fidélité et d’obéissance du peuple romain. Le roi choisit pour cette mission Engilbert, abbé du monastère de Saint-Riquier. Il envoya aussi par lui à Saint-Pierre la plus grande partie du trésor qui lui avait été apporté cette année de Pannonie par Herric, duc de Frioul, qui en avait dépouillé le palais du roi des Huns ; il distribua le reste d’une main libérale entre les grands, les courtisans, et tous les autres officiers qui servaient dans son palais. Cela fait, le roi attaqua en personne la Saxe avec l’armée des Francs, ordonna à son fils Pépin d’entrer en Pannonie avec les troupes italiennes et bavaroises, et, après avoir dévasté une partie de la Saxe, il revint au palais d’Aix pour y passer l’hiver. Pépin chassa les Huns au-delà du fleuve de la Theiss, dévasta de fond en comble le palais de leur roi, palais que les Huns appellent Ring et les Lombards Camp, pilla presque toutes les richesses des Huns, se rendit à Aix-la-Chapelle près de son père, pour y passer l’hiver, et lui offrit les dépouilles du royaume, qu’il avait apportées avec lui. Thudun aussi, de qui il a été fait mention plus haut, tenant sa parole, se rendit près du roi et fut baptisé avec tous ceux qui étaient venus avec lui. Il reçut des présents et retourna chez lui après avoir juré de garder fidélité ; mais il ne voulut pas longtemps demeurer constant à la foi promise, et ne fut pas longtemps non plus sans recevoir la peine de sa perfidie. Le roi, comme on l’a déjà dit. passa l’hiver à Aix-la-Chapelle, et y célébra la fête de Noël et celle de Pâques.’ [797] Barcelone, ville située sur la frontière d’Espagne, et qui, suivant le cours des événements, avait été soumise tantôt aux Francs, tantôt aux Sarrasins, fut enfin livrée au roi par le Sarrasin Zate, qui s’en était emparé. Zate se rendit à Aix-la-Chapelle an commencement de l’été, et se soumit volontairement ainsi que ladite ville au pouvoir du roi. Le roi ayant reçu cette soumission, envoya avec une armée son fils Louis pour assiéger la ville de Huesca, en Espagne, et, selon son usage accoutumé, il entra en Saxe pour dompter l’orgueil de ce peuple perfide. Il ne s’arrêta qu’après en avoir parcouru tout le pays, car il s’avança jusqu’à ses dernières frontières, à l’endroit où la Saxe est baignée par l’Océan, entre l’Elbe et le Weser. De là il retourna à Aix-la-Chapelle, et à son arrivée il y reçut le Sarrasin Abdallah, fils d’Ibnmange , roi de Mauritanie, d’où il venait; il donna aussi audience à Théoctiste, envoyé du patrice Nicétas, qui gouvernait alors la Sicile, et reçut les lettres qu’il lui apportait de la part de l’empereur de Constantinople ; il se décida à passer l’hiver en Saxe pour y faire la guerre ; il prit donc avec lui sa suite, entra dans ce pays, campa prés du Weser et ordonna d’appeler la place de son camp Heer-stall , et ce lieu est encore ainsi nommé par les habitants. Il divisa pour l’hiver en deux portions l’armée qu’il avait amenée avec lui ; il ordonna à Pépin, qui était de retour de la sédition d’Italie, et à Louis, qui revenait de celle d’Espagne, de venir le joindre en ce lieu. Il y donna audience aux ambassadeurs des Huns, qui lui avaient été envoyés avec de grands présents, et les congédia. Il y reçut celui d’Alphonse, roi d’Asturie, qui lui apporta les dons de la Galice. De là il envoya de nouveau Pépin en Espagne et Louis en Aquitaine, et ordonna au Sarrasin Abdallah d’accompagner ce dernier. Abdallah, fut, à sa propre demande, conduit en Espagne, et remis à la foi des gens auxquels il crut pouvoir se confier. Le roi resta en Saxe et y célébra la fête de Noël et celle de Pâques. [798] Le printemps était déjà arrivé, mais l’armée ne pouvant encore sortir de ses quartiers d’hiver à cause de la disette du fourrage, les Saxons d’au-delà de l’Elbe profitèrent de l’occasion, prirent les officiers du roi qui leur avaient été envoyés pour rendre la justice, et les mirent à mort, en réservant seulement quelques-uns comme pour en porter la nouvelle. Ils tuèrent entre autres Gottschalk, un des officiers du roi, que peu de jours auparavant il avait envoyé à Siegfried, roi des Danois. En revenant de sa mission, il fut arrêté et pris par les auteurs de la sédition. Le roi, fortement irrité de ces nouvelles, réunit son armée dans le lieu nommé Mindeh, plaça son camp sur le Weser, attaqua les traîtres qui avaient violé leur foi, et vengeant la mort de ses envoyés, il dévasta par le fer et le feu toute la partie de la Saxe qui se trouve entre l’Elbe et le Weser. Les habitants d’au-delà de l’Elbe, qu’on nomme Normands, fiers d’avoir pu tuer impunément les officiers royaux, marchèrent en armes contre les Obotrites. Thrasicon, duc de ces derniers, instruit de la révolte des Transalbins, vint au devant d’eux avec tous les siens dans le lieu nommé Swinden, leur livra un combat, et en fit un immense carnage. Eberwin, envoyé du roi, qui commandait l’aile droite de l’armée des Obotrites, raconte qu’il en tomba quatre mille du premier choc. Ainsi mis en fuite, taillés en pièces, et ayant perdu beaucoup des leurs, les Normands revinrent chez eux avec une grande perte. Le roi retourna en France, et, arrivé à Aix-la-Chapelle, il donna audience aux ambassadeurs envoyés de Constantinople par l’impératrice Irène. Son fils Constantin, à cause de l’insolence de ses mœurs, avait été pris par ses sujets et aveuglé. D’après la demande des ambassadeurs, le roi permit à Sisime, frère de Taraise, évêque de Constantinople, et fait prisonnier autrefois dans un combat, de retourner chez lui. Les envoyés étaient Michel, surnommé Ganglianos, et Théophile, prêtre. Après leur renvoi vinrent ceux d’Alphonse, roi d’Espagne, Basilisque et Froia, apportant des présents que ce roi avait eu soin de prélever pour Charles sur le butin dont il s’était emparé lorsqu’il avait assiégé et pris la ville de Lisbonne. Ils consistaient en sept Maures et autant de mulets et de cuirasses. Quoique ces objets fussent envoyés comme dons, c’étaient bien plutôt des emblèmes de la victoire. Le roi reçut gracieusement les ambassadeurs, et les renvoya après leur avoir fait aussi des présents. Les îles Baléares, nommées actuellement Majorque et Minorque, furent ravagées par les pirates maures. Le roi passa l’hiver à Aix-la-Chapelle, et y fêta la naissance du Seigneur et sa résurrection. [799] Le pape Léon suivant à cheval la procession de l’église de Saint Jean de Latran à celle du bienheureux Saint-Laurent, tomba dans les embûches que lui avaient préparées les Romains près de cette dernière église ; il fut jeté à bas de son cheval, on lui arracha les yeux, on lui coupa la langue, ce qui a été vu par plusieurs personnes, et il fut laissé sur la place nu et à demi-mort ; il fut ensuite conduit, par ordre des auteurs de cette trahison, dans le couvent de Saint-Érasme, martyr, comme pour y être soigné, passa, à la faveur de la nuit, par dessus le mur par les soins d’Albin, son chambellan, se rendit près de Winégise, duc de Spolète, qui, sur la nouvelle de ce forfait, marchait en hâte vers Rome, et fut reçu par lui et conduit à Spolète. Lorsque le roi eut appris cette nouvelle, il ordonna à Winégise de lui envoyer le pape avec les honneurs convenables au vicaire de Saint-Pierre et au pontife romain. Il ne renonça pourtant pas à l’entreprise qu’il devait faire en Saxe ; il tint son assemblée générale près du Rhin à Lippenheim, passa le même fleuve avec toute son armée, s’avança jusqu’à Paderborn, y plaça son camp et y attendit l’arrivée du pontife qui s’avançait vers lui. Il envoya cependant son fils Charles vers l’Elbe avec une partie de l’armée, pour régler certaines affaires entre les Wiltzes et les Obotrites, et recevoir quelques Saxons du nord. Tandis que le roi attendait le retour de son fils, le pontife arriva, fut reçu très honorablement, et demeura quelque temps avec lui. Après avoir communiqué an roi tontes les raisons pour lesquelles il était venu, le pape fut de nouveau, et avec beaucoup d’honneurs, reconduit à Rome par les envoyés du roi qui le rétablirent dans son siège. Le roi s’arrêta encore quelques jours en ces lieux. Il y congédia l’ambassadeur Daniel qui lui avait été envoyé par le patrice de Sicile. Il reçut la triste nouvelle de la mort de Gérold et de Herric ; le premier, préfet de Bavière, fut tué dans un combat contre les Huns, et le second, après de nombreuses et remarquables victoires, fut pris et assassiné par les habitants de Tarsacoz, ville de Liburnie. Les affaires de Saxe étant dans le meilleur état, le roi revint en France, il passa l’hiver à Aix. Tandis qu’il y était, Widon, comte et préfet de la frontière de Bretagne, après avoir parcouru, l’année précédente, toute la province des Bretons avec les comtes ses compagnons, apporta au roi les armes des chefs qui s’étaient soumis à lui et dont il avait inscrit les noms. Cette province paraissait soumise et l’eût été en effet si, comme à l’ordinaire, l’inconstance de cette nation perfide n’eût excité bientôt de nouveaux soulèvements. On apporta aussi au roi les drapeaux pris aux pirates maures tués dans l’île de Majorque. Le Sarrasin Azan, gouverneur de Huesca, envoya au roi les clefs de cette ville avec des présents, et promit de la lui livrer aussitôt qu’il en trouverait l’occasion. Un moine, venant de Jérusalem, apporta à Charles, de la part du patriarche, sa bénédiction et des reliques prises au lieu de la résurrection du Seigneur. Le roi célébra à Aix la fête de Noël, donna audience au moine qui voulait s’en aller, ordonna à Zacharie, prêtre de son palais, de l’accompagner, et le chargea de porter ses offrandes aux saints lieux. [800] Le printemps était de retour ; le roi quitta Aix-la-Chapelle à peu près au milieu du mois de mars, parcourut le rivage de l’océan Gaulois, construisit une flotte sur cette même mer que les Normands désolaient alors par leurs pirateries, plaça des garnisons sur la côte et célébra la fête de Pâques à Saint-Riquier. Il suivit ensuite le rivage de la mer, gagna la ville de Rouen, passa la Seine en ce lien, et se rendit à Tours pour y prier saint Martin ; il s’y arrêta quelque temps à cause de la mauvaise santé de sa femme Luitgarde, qui y mourut le 4 juin et y fut enterrée ; il retourna ensuite à Aix-la-Chapelle par Orléans et Paris, se rendit à Mayence au commencement du mois d’août, et y tint l’assemblée générale ; là, le roi annonça le voyage d’Italie, partit avec son armée, et alla à Ravenne. Il n’y demeura que sept jours, et ordonna à Pépin son fils d’entrer avec cette même armée sur les terres des Bénéventins. Le roi quitta Ravenne, accompagna son fils jusqu’à Ancône, s’en sépara dans cette ville, et gagna Rome. Le pape Léon vint au devant lui jusqu’à Lamentana, et l’y reçut avec de grands honneurs. Après le repas qu’ils prirent ensemble le roi demeura dans ce lieu, et le pape retourna à Rome. Le jour d’après, Léon, placé avec les évêques et tout le clergé, sur les degrés de la basilique de Saint-Pierre, reçut le roi, en louant et remerciant Dieu, à sa descente de cheval ; et tandis que tout le monde chantait des psaumes, il l’introduisit dans l’église de ce bienheureux apôtre en glorifiant, remerciant et bénissant Dieu. Ces choses se passèrent le 24 novembre ; sept jours après le roi convoqua une assemblée, déclara à tous pourquoi il était venu à Rome, et depuis donna chaque jour tous ses soins aux affaires qui l’avaient amené. Il commença par la plus importante, comme la plus difficile ; c’était l’examen des accusations dirigées contre le saint pontife ; mais comme personne ne voulut entreprendre de les prouver, le pape monta en chaire en présence de tout le peuple, dans la basilique de l’apôtre Saint-Pierre, prit l’Évangile dans sa main, invoqua le nom de la sainte Trinité, et se purgea par serment des crimes qui lui étaient imputés. Le même jour, le prêtre Zacharie, que le roi avait envoyé à Jérusalem, arriva à Rome avec deux prêtres qui venaient trouver le roi par ordre du patriarche ; ils lui apportèrent sa bénédiction, les clefs du saint sépulcre et du Calvaire, ainsi qu’un étendard. Le roi les reçut gracieusement, les retint quelques jours prés de lui, les récompensa, et leur donna audience, lorsqu’ils voulurent s’en retourner. Le saint jour de la naissance du Seigneur, tandis que le roi, assistant à la messe, se levait de sa prière devant l’autel du bienheureux apôtre Pierre, le pape Léon lui posa une couronne sur la tête, et tout le peuple romain s’écria : A Charles AUGUSTE, couronné par Dieu, grand et pacifique empereur des Romains, vie et victoire ! Après laudes il fut adoré par le pontife, suivant la coutume des anciens princes, et quittant le nom de patrice, fut appelé EMPEREUR ET AUGUSTE. [801] Peu de jours après il ordonna que ceux qui avaient déposé le pape l’année précédente fussent traduits en justice, et leur ayant fait leur procès, selon la loi romaine, ils furent condamnés à mort comme criminels de lèse-majesté. Mais le pape, touché d’une tendre pitié, intercéda pour eux auprès de l’empereur ; et la vie et l’intégrité de leurs membres leur furent conservées. Cependant ils furent envoyés en exil à cause de la grandeur de leur crime. Les chefs de cette faction étaient le nomenclateur Pascal , le sacristain Campullus, et beaucoup d’autres nobles habitants de Rome ; tous furent en même temps condamnés à la même peine. Quand l’empereur eut réglé toutes les affaires, non seulement publiques, mais aussi ecclésiastiques et particulières de la ville de Rome, du siège apostolique, et de toute l’Italie, ce à quoi il employa tout l’hiver, et après avoir envoyé de nouveau une expédition dans le pays de Bénévent avec son fils Pépin, il partit de Rome lui-même, après Pâques, le 24 avril, et vint à Spolète. Lorsqu’il y fut, la terre fut troublée à la seconde heure de la nuit, par un très grand mouvement qui secoua fortement toute l’Italie ; ce tremblement fit tomber une grande partie du toit de la basilique de Saint-Pierre, avec ses poutres ; et dans plusieurs lieux les montagnes et les villes s’écroulèrent. Dans la même année plusieurs endroits tremblèrent en Gaule et en Germanie auprès du fleuve du Rhin, et la douceur de l’hiver de cette année causa ensuite une peste. L’empereur se rendit de Spolète à Ravenne, y demeura quelques jours, et gagna Pavie ; on lui annonça que des ambassadeurs d’Haroun, roi des Perses, étaient entrés dans le port de Pise ; il envoya au devant d’eux, et se les fit présenter entre Verceil et Yvrée. L’un d’eux (car ils étaient deux) était Perse d’Orient et envoyé du roi des Perses ; un autre, Sarrasin d’Afrique, et envoyé de l’Émir Abraham [Ibrahim] qui gouvernait le pays de Fez sur les confins de l’Afrique. Ils annoncèrent à l’empereur que le juif Isaac qu’il avait envoyé quatre ans auparavant au roi des Perses, avec Sigismond et Lanfried, revenait avec de grands présents. Quant à Lanfried et Sigismond ils étaient tous deux morts. Alors l’empereur envoya le notaire Erchenbald en Ligurie, pour préparer une flotte qui apporta l’éléphant et les autres choses qu’Isaac menait avec lui. Il célébra le jour de la naissance de saint Jean-Baptiste à Yvrée, passa les Alpes et revint en Gaule. Cette année Barcelone, ville d’Espagne, fut prise après un siége de deux ans ; on s’empara de Zate son commandant, et de plusieurs autres Sarrasins. La ville de Chieti, en Italie, fut aussi prise et brûlée ; on fit prisonnier son commandant Roselme. Les forts qui étaient autour de cette cité se rendirent. Zate et Roselme furent présentés le même jour à l’empereur, et condamnés à l’exil. Dans le mois d’octobre de cette année, le juif Isaac revint d’Afrique avec l’éléphant, entra dans le port de Vendres, et passa d’hiver à Verceil, parce qu’il ne pouvait traverser les Alpes couvertes de neige. L’empereur célébra la naissance du Seigneur au palais d’Aix-la-Chapelle. [802] Irène, impératrice de Constantinople, envoya un ambassadeur, nommé Léon Spathar, pour confirmer la paix entre les Grecs et les Francs. L’empereur le congédia et envoya à son tour Jessé, évêque d’Amiens, et le comte Hélingaud à Constantinople, afin de régler la paix avec Irène. II célébra la Pâque au palais d’Aix-la-Chapelle. Le 20 juillet de la même année, Isaac vint et amena à l’empereur l’éléphant et les autres présents que lui envoyait le roi des Perses : le nom de l’éléphant était Abulabaz. La ville de Tortone en Italie se rendit à discrétion. Nocera, fatiguée par de fréquents assauts, se rendit aussi, et on y mit une garnison de nos troupes. Le roi, pendant l’été, se livra à la chasse dans les Ardennes, envoya une armée en Saxe, et fit dévaster le pays des Saxons au-delà de l’Elbe. Le duc Grimoald assiégea, dans Lucera, Winégise, comte de Spolète, qui commandait dans cette place et était déjà abattu par sa mauvaise santé ; il le força de se rendre, le prit et le traita honorablement. L’empereur célébra la naissance du Seigneur à Aix-la-Chapelle. [803] Dans l’hiver il se fit un tremblement de terre autour du palais et dans les régions voisines, et une mortalité s’ensuivit. Winégise fut remis en liberté par Grimoald. Les envoyés de l’empereur revinrent de Constantinople, et avec eux ceux de l’empereur Nicéphore qui gouvernait alors la république ; car depuis l’arrivée de la légation de France Irène avait été déposée. Ces envoyés s’appelaient Michel, évêque, Pierre, abbé, Calliste et Candide. Ils vinrent auprès de l’empereur en Germanie, sur le fleuve de la Sale, dans le lieu nommé Seltz, et ils reçurent par écrit un traité de paix. L’empereur les congédia ; ils s’en allèrent avec une lettre de lui, retournèrent à Rome et de là à Constantinople. L’empereur se rendit en Bavière, régla les affaires de Pannonie, revint en décembre à Aix-la-Chapelle, et y célébra la naissance du Seigneur. [804] L’empereur passa l’hiver à Aix-la-Chapelle ; au retour de l’été il conduisit en Saxe une armée, transporta en France, avec leurs femmes et leurs enfants, tous les Saxons qui habitaient au-delà de l’Elbe, et donna leur pays aux Obotrites. Dans ce temps Godefroi, roi des Danois, vint avec une flotte et toute la cavalerie de son royaume au lieu nommé Schleswig, sur les confins de son royaume et de la Saxe. Il promit qu’il se rendrait à une conférence avec l’empereur ; mais, effrayé par le conseil des siens, il ne s’approcha pas davantage, et consentit, par ses ambassadeurs, à tout ce qu’on voulut. L’empereur s’était arrêté près de l’Elbe au lieu nommé Holdenstein, et lui avait envoyé une légation pour qu’il rendit les déserteurs ; ensuite il alla à Cologne au milieu du mois de septembre. Il congédia l’armée, se rendit d’abord à Aix, de là gagna les Ardennes, s’y livra à la chasse et retourna à Aix. Au milieu de novembre on lui rapporta que le pape Léon voulait célébrer avec lui la naissance du Seigneur en quelque lieu qu’il pût l’atteindre. Aussitôt il envoya à Saint-Maurice son fils Charles, et lui ordonna de recevoir le pape honorablement ; il alla lui-même au devant de lui dans la ville de Reims, le reçut d’abord à Quiersy, y célébra la naissance du Sauveur, le conduisit à Aix, et, voulant aller en Bavière, le fit accompagner jusqu’à Ravenne. Voici quelle était la cause de la venue de Léon : il avait été rapporté à l’empereur que, l’été passé, le sang du Christ avait été trouvé dans la ville de Mantoue, et il avait envoyé un exprès au pape, lui demandant qu’il recherchât la vérité de ce bruit. Celui-ci prit l’occasion de sortir de Rome, se rendit d’abord en Lombardie, sous prétexte de cette recherche, et, continuant de là son chemin, parvint de suite jusqu’à l’empereur. Il demeura avec lui huit jours, et, comme nous l’avons dit, regagna Rome. Rigbod, évêque de Trèves, mourut au commencement d’octobre. [805] Peu de temps après, le chagan, ou prince des Huns, se rendit près de l’empereur pour les besoins de ses peuples et lui demanda de lui donner un lieu pour habiter entre Sarwar et Haimbourg, parce qu’à cause des invasions des Esclavons, qu’on nomme Bohémiens, ses peuples ne pouvaient plus habiter leurs premières demeures. En effet, les Esclavons, dont le chef se nommait Léchon, ravageaient la terre des Huns. Le chagan était chrétien et se nommait Théodore. L’empereur le reçut avec bonté, lui accorda ses demandes, le combla de dons, et lui permit de s’en aller. Il revint à son peuple, et peu de temps après il mourut. Le nouveau chagan envoya un de ses grands demander la confirmation de l’antique dignité que lui-même avait sur les Huns. L’empereur donna son consentement a ses demandes et ordonna que le chagan eut la souveraineté de tout le royaume, selon la coutume de leurs ancêtres. La même année, il envoya, avec une armée, son fils Charles dans le pays des Esclavons, qu’on nomme bohémiens. Celui-ci le ravagea, tua Léchon leur duc, et étant de retour, il vint à l’empereur dans le lieu nommé Camp, dans la forêt des Vosges. L’empereur était parti d’Aix-la-Chapelle au mois de juillet, avait passé par la ville de Thionville et celle de Metz, et était arrivé dans les Vosges. Là il prit l’exercice de la chasse, et quand son armée fut revenue, il se rendit à Remiremont, s’y arrêta quelque temps, et retourna dans le palais de Thionville pour y passer l’hiver ; ses deux fils Pépin et Louis vinrent l’y joindre. Il y célébra aussi la naissance du Seigneur. [806] Aussitôt après Noël, Willaire et Béat, ducs de Venise, et avec eux Paul, duc de Zara, et Donat, évêque de la même ville, envoyés des Dalmates, vinrent en présence de l’empereur avec de grands dons, et il régla alors les affaires des ducs et des peuples tant de Venise que de la Dalmatie. L’empereur tint une assemblée avec les premiers d’entre les Francs, pour établir la paix entre ses fils, et partager le royaume en trois portions, afin que chacun d’eux eût la part qu’il devait posséder et gouverner, s’il lui survivait. On dressa un acte de ce partage ; il fut confirmé par le serment des principaux d’entre les Francs, et des règlements furent faits pour la conservation de la paix. Toutes ces choses furent transcrites dans des lettres, et portées par Éginhard au pape Léon, pour qu’il les signât de sa main. Le pontife les lut et les souscrivit. L’empereur envoya ses deux fils, savoir, Louis et Pépin, dans les royaumes qui leur étaient destinés, partit du palais de Thionville, et navigua jusqu’à Nimègue, par le Rhin et la Meuse, par un temps favorable ; il célébra dans ce lieu le saint jeûne du carême, et la très sainte fête de Pâques. Peu de temps après il retourna à Aix-la-Chapelle, et envoya son fils Charles avec une armée dans le pays des Esclavons, nommés Sorabes, qui demeurent sur l’Elbe. Dans cette expédition, Milidiwich, leur duc, fut mis à mort ; deux forts furent bâtis par l’armée, un sur la rive du fleuve de la Sale, l’autre sur celle du fleuve de l’Elbe. Les Esclavons vaincus, Charles revint avec l’armée et arriva près de l’empereur, dans le lieu nommé Silli, sur le rivage de la Meuse. Une armée fut envoyée d’Allemagne, de Bavière et de Bourgogne, comme l’année précédente, dans la terre des Bohémiens ; elle en dévasta une grande partie et revint sans aucune perte grave. La même année une flotte fut envoyée d’Italie par Pépin dans l’île de Corse, contre les Maures, qui la dévastaient. Mais n’attendant pas son arrivée, ils se retirèrent. Cependant Hadumar, un des nôtres, comte de la cité de Gênes, combattant imprudemment contre eux, fut tué. Les Navarrois et les Pampelunois, qui l’année précédente avaient abandonné le parti des Sarrasins, furent admis à notre alliance. Une flotte que commandait le patrice Nicet fut envoyée par l’empereur Nicéphore pour reprendre la Dalmatie ; et les ambassadeurs que, près de quatre ans auparavant, Charles avait envoyés au roi des Perses, revinrent par le même chemin sur les navires des Grecs, et, sans rencontrer aucun ennemi, gagnèrent l’asile du port de Trévise. L’empereur célébra la naissance du Seigneur à Aix-la-Chapelle. [807] L’année précédente, le 2 septembre, il y eut une éclipse de lune, lorsque le soleil était au seizième degré du signe de la Vierge ; la lune s’arrêta dans le seizième degré du silure des Poissons. Dans cette année, le 31 janvier, le dix-septième jour de la lune, on vit l’étoile de Jupiter comme passer au milieu de la lune ; et le 11 février, à midi, il y eut une éclipse de soleil, lorsque l’un et l’autre astres étaient dans le vingt-cinquième degré du Verseau. Il y eut encore le 26 février une éclipse de lune ; des météores d’une grandeur prodigieuse apparurent cette nuit, et le soleil s’arrêta dans le onzième degré des Poissons, et la lune dans le onzième de la Vierge ; le 17 mars l’étoile de Mercure parut sur le soleil comme une petite tache noire que nous vîmes pendant plus de huit jours un peu plus haut que le milieu de cet astre ; mais, au premier moment de son apparition à cette place, les nuages nous empêchèrent tout à fait de la remarquer. Le 21 août, il y eut encore une éclipse de lune à la troisième heure de la nuit, le soleil étant dans le troisième degré de la Vierge, et la lune dans le cinquième des Poissons. Ainsi, depuis le mois de septembre de l’année précédente jusqu’en septembre de celle-ci, la lune s’obscurcit trois fois, et le soleil autant. Ratbert, envoyé de l’empereur en Orient, mourut à son retour. L’envoyé du roi de Perse, nommé Abdallah, arriva à l’empereur avec des moines de Jérusalem qui s’acquittèrent de la mission à eux confiée par Thomas, patriarche de Jérusalem. Us se nommaient Félix et George. Ce dernier est abbé sur le mont des Oliviers, Germain de naissance, et son nom véritable est Engelbald. Tous portaient les présents qu’envoyait le prince des Perses à l’empereur, c’est-à-dire une tente et des tentures de salle peintes de couleurs variées et d’une admirable grandeur et beauté. Tant les tentes que leurs cordes étaient de lin, et teintes de diverses couleurs. Les présents dudit roi étaient plusieurs manteaux de soie très précieux, les parfums, des onguents et du baume ; de plus une horloge en bronze doré composée admirablement par l’art mécanique. Le cours des douze heures y entourait le cadran, et il v avait autant de petites boules d’airain qui tombaient à l’accomplissement de l’heure, et faisaient tinter par leur chute une cymbale placée au dessous. Il y avait encore un même nombre de cavaliers qui sortaient par douze fenêtres à la fin des heures, et fermaient, par l’impulsion de leur sortie, les fenêtres qui étaient ouvertes auparavant. Il se trouvait aussi dans cette horloge beaucoup de choses qu’il serait trop long de rapporter ici. On voyait aussi parmi ces présents deus candélabres de bronze doré d’une admirable beauté et grandeur. Toutes ces choses furent apportées à l’empereur à son palais d’Aix-la-Chapelle. Il retint pros de lui quelque temps l’ambassadeur et les moines, les envoya en Italie et leur ordonna d’y attendre le temps de la navigation. Dans la même année, il envoya Burchard, son connétable, avec une flotte en Corse, pour la défendre des Maures qui, les années précédentes, avaient coutume d’y venir piller. Les Maures partirent d’Espagne, selon leur coutume, attaquèrent d’abord la Sardaigne, s’y battirent avec les Sardes, perdirent beaucoup de leurs gens (car on dit que trois mille périrent là), et parvinrent tout droit en Corse. Là, de nouveau, ils combattirent avec la flotte de l’île que commandait Burchard, furent vaincus et mis en fuite ; ils perdirent treize navires, et beaucoup d’entre eux furent tués. Ainsi cette année ils furent tellement battus de la mauvaise fortune qu’ils dirent eux-mêmes que cela leur était arrivé pour avoir, l’année d’avant, contre toute justice, enlevé de l’île Baléare, en Espagne, soixante moines, et les avoir vendus. Quelques-uns de ces moines retournèrent dans leurs pays par la libéralité de l’empereur. Le patrice Nicétas qui était arrêté à Venise avec la flotte grecque, fit la paix avec le roi Pépin, demeura dans ce lieu jusqu’au mois d’août, sortit du port et retourna à Constantinople. Cette année l’empereur célébra à Aix la Pâque et la naissance du Sauveur. [808] L’hiver fut cette année très doux et pestilentiel. Au commencement du printemps l’empereur partit pour Nimègue, y passa le Carême, y célébra la sainte Pâque, et revint à Aix. Comme on lui annonça que Godefroi, roi des Danois, était entré avec une armée dans le pays des Obotrites, il envoya, avec de nombreuses troupes franques et saxonnes, son fils Charles sur l’Elbe, et lui ordonna de résister à ce roi insensé, s’il essayait de passer les confins de la Saxe. Mais Godefroi, après quelques jours de station sur le rivage, ayant assiégé et pris quelques forts des Esclavons, s’en retourna avec une grande perte des siens. Car, quoique se défiant de la foi de Thrasicon, duc des Obotrites, il l’eût banni, qu’après avoir pris par ruse Godelaib, il l’eût fait pendre, et qu’il eût rendu tributaires les deux régions des Obotrites, il avait perdu les premiers de ses soldats et les meilleurs de son armée, et avec eux le fils de son frère, qui s’appelait Reginbold, et fut tué avec plusieurs grands Danois au siège d’une certaine ville. Charles, fils de l’empereur, jeta sur l’Elbe un pont, et transporta avec toute la célérité possible son armée dans le pars des Livoniens et des Smeldingiens, qui s’étaient rangés du parti du roi Godefroi. Il dépeupla tous leurs champs, repassa le fleuve, et rentra en Saxe avec son armée intacte. Les Esclavons, dits les Wiltzes, étaient avec Godefroi dans cette expédition, et s’étaient joints volontairement à ses troupes, à cause de l’antique inimitié qu’ils portaient aux Obotrites. Quand ce roi retourna dans son royaume, ils revinrent chez eux, emportant tout le butin qu’ils avaient pu faire sur les Obotrites. Godefroi avant son retour, détruisit le port marchand établi sur le rivage de l’Océan, qui s’appelait en langue danoise Rerich, et rapportait par son commerce de grands impôts à son royaume ; il en emmena les négociants, mit à la voile, et arriva, avec toute son armée, au port nommé Lichtshor. Il s’arrêta là quelques jours, et résolut de fortifier par un fort la limite de son royaume, qui regarde la Saxe, de manière que, depuis le golfe de la mer orientale qui s’appelle Baltique, jusqu’à l’Océan occidental, un rempart couvrit toute la rive septentrionale du fleuve de l’Eyder, en laissant seulement une porte par où les Danois pussent faire entrer et sortir des chars et des chevaux ; il partagea ce travail entre les chefs de ses troupes et revint chez lui. Cependant le roi des Northumbres, de l’île de Bretagne, nommé Eardulf, chassé de sa patrie et de son royaume, se rendit près de l’empereur, alors à Nimègue, lui exposa la cause de son voyage, et partit pour Rome. A son retour de Rome, par l’entremise des légats du pontife romain et de l’empereur, il fut rétabli dans son royaume. Le chef de l’Eglise romaine était alors Léon III ; son légat en Bretagne était Ædulf, diacre de ce pays, saxon de nation. L’empereur envoya avec lui deux abbés, Rutfried, notaire, et Nantharius, abbé de Saint-Otmar. Il fit construire par ses envoyés deux forts sur l’Elbe, et y plaça une garnison pour les défendre des Esclavons. Il passa l’hiver à Aix, et y célébra la naissance du Seigneur et la sainte Pâque. [809] La flotte envoyée de Constantinople toucha d’abord en Dalmatie, et ensuite à Venise. Tandis qu’elle y passait l’hiver, une partie arriva à l’île de Commachio ; elle engagea un combat contre la garnison qui y était placée, fut vaincue, mise en fuite, et réarma Venise. Lorsque le chef de cette flotte, nommé Paul, eut entrepris, comme il lui avait été enjoint, de traiter avec le roi Pépin de la paix entre les Grecs et les Francs, Willaire et Béat, ducs de Venise, s’opposèrent à tous ses efforts : il s’aperçut qu’ils lui tendaient des embûches, et s’éloigna. Dans les régions occidentales de l’Empire, le roi Louis entra en Espagne avec une armée, attaqua la ville de Tortose située sur la rive de l’Èbre, et consuma quelque temps à ce siége ; mais quand il vit que la ville ne pouvait être bientôt prise, il y renonça, et revint en Aquitaine avec son armée intacte. Lorsque Eardulf, roi des Northumbres, eut été rétabli dans son royaume, les légats du pontife et ceux de l’empereur retournèrent chez eux. Le diacre Ædulf fut pris par des pirates, tandis que les autres naviguaient sans péril ; il fit conduit en Bretagne, y fut racheté par un certain Cænulf, fidèle du roi, et se rendit à Rome. En Toscane, Populonia, ville maritime, fut ravagée par certains Grecs qu’on nomme Orobiotes. Les Maures sortis de l’Espagne entrèrent en Corse, ravagèrent une ville le jour même du samedi de la sainte Pâques, et n’y laissèrent que l’évêque et quelques vieillards infirmes. Cependant Godefroi, roi des Danois, envoya de certains négociants pour dire qu’il avait appris que l’empereur était irrité contre lui, parce que, l’année précédente, il avait conduit son armée dans la région des Obotrites, et vengé ses injures ; il ajoutait qu’il voulait se justifier de l’imputation portée contre lui, et qui le taxait d’avoir le premier rompu l’alliance ; il demandait qu’on tînt en deçà de l’Elbe, et sur les confins de son royaume, une assemblée des comtes de l’empereur et des siens, afin que les choses qui s’étaient faites pussent être mutuellement expliquées et réparées de concert. L’empereur ne rejeta point cette demande, et le congrès se tint avec les grands Danois en deçà de l’Elbe, dans le lieu nommé Badenstein ; on énuméra et l’on mit en avant de côté et d’autre beaucoup d’affaires, et l’on se sépara en laissant la chose très imparfaite. En effet, Thrasicon, duc des Obotrites, qui, d’après la demande de Godefroi, avait donné son fils en otage, assembla une armée de ses peuples, reçut des secours des Saxons, entra chez les Wiltzes ses voisins, et dévasta leurs champs par le fer et le feu. Il revint chez lui, fut encore fortement secouru par les Saxons, et assiégea la plus grande ville des Smeldingiens : il força ainsi par ses succès tous ceux qui s’étaient séparés de lui à rentrer sous sa foi. Après ces choses, l’empereur revint des Ardennes à Aix, et y tint cette année, an mois de novembre, un concile touchant la procession du Saint-Esprit. Un moine de Jérusalem, nommé Jean, avait le premier élevé cette question. Bernard, évêque de Worms, et Adalhard, abbé de Corbie, furent envoyés près du pape Léon à Rome pour la faire décider. On s’occupa dans ce même concile de l’état des Églises, et de la vie de ceux qui se consacrent à y servir Dieu ; mais rien ne fut réglé à cause (comme on le peut voir) de l’importance de la matière. L’empereur, apprenant plusieurs traits de l’orgueil et de la jactance du roi des Danois, ordonna de bâtir une ville en deçà de l’Elbe, et d’y placer une garnison franque. Il assembla pour cet effet des hommes en Gaule et en Germanie, les munit d’armes et de toutes les choses à leur usage, et commanda de les mener par la Frise au lieu désigné. Thrasicon, duc des Ohotrites, fut tué en trahison dans le port de Rerich par des hommes de Godefroi. Quand le lieu où l’on devait bâtir la ville eut été déterminé, l’empereur mit à la tête de cette affaire le comte Egbert, et lui ordonna de passer l’Elbe, et d’occuper ce terrain : il est situé sur la rive de la Sture, et porte le nom d’Esselfeld. Egbert et les comtes saxons en prirent possession vers le milieu de mars, et commencèrent à le fortifier. Le comte Auréole qui, pour la communication de l’Espagne et de la Gaule, résidait en deçà des Pyrénées, vis-à-vis de Huesca et de Saragosse, mourut. Alors Amoroz, gouverneur de Saragosse et de Huesca, s’empara de son territoire, et mit des garnisons dans ses châteaux. Il envoya à l’empereur une légation, et lui promit de se mettre avec tous les siens à son service. Il y eut une éclipse de lune le 26 décembre. [810] Quand les envoyés de l’empereur furent arrivés auprès d’Amoroz, gouverneur de Saragosse, il demanda qu’il y eût une conférence entre lui et les comtes des frontières d’Espagne, promettant que, dans cette entrevue, il se soumettrait avec tous les siens à l’empereur. Quoique l’empereur lui eût accordé sa demande, il arriva, par beaucoup de causes, que cela ne s’effectua point. Les Maures armèrent dans toute l’Espagne une grande flotte, et attaquèrent d’abord la Sardaigne, et ensuite la Corse. Ils ne trouvèrent aucune garnison dans cette dernière île, et la soumirent presque entière. Cependant le roi Pépin, irrité de la perfidie des ducs de la Vénétie, ordonna de porter la guerre dans ce pays par terre et par mer ; il le soumit et reçut à discrétion ses ducs. Il envoya cette même flotte pour dévaster les rivages de Dalmatie ; mais comme Paul, préfet de Céphalonie, s’approchait avec la flotte orientale pour porter du secours aux Dalmates, celle du roi rentra dans ses ports. Rotrude, fille aînée de l’empereur, mourut le 8 janvier. L’empereur, alors à Aix-la-Chapelle, méditait une expédition contre le roi Godefroi. Il reçut tout à coup la nouvelle qu’une flotte de deux cents navires, venue du pays des Normands, avait abordé en Frise, et dévasté toutes les îles adjacentes à ce rivage ; que cette armée était entrée sur le continent, et que trois combats entre elle et les Frisons avaient eu lieu ; que les Danois vainqueurs avaient imposé un tribut aux vaincus ; que sous le nom d’impôt cent livres d’argent avaient été payées par les Frisons, et que le roi Godefroi était de retour chez lui. Tous ces faits étaient véritables. Cette nouvelle irrita tellement l’empereur qu’il expédia de tous côtés des envoyés pour toutes les régions afin qu’on assemblât une armée, partit de suite de son palais et se rendit sur-le-champ à la flotte. Après il passa le Rhin au lieu nommé Lippenheim, et résolut d’y attendre les troupes qui n’étaient pas encore arrivées. Comme il s’arrêta quelques jours en ce lieu, l’éléphant que lui avait envoyé Haroun, roi des Sarrasins, mourut de mort subite. L’armée assemblée, le roi se rendit sur la rivière de l’Aller avec autant de vitesse qu’il fut possible d’y aller, et dressa ses tentes auprès du confluent de ce fleuve avec le Weser ; il attendit là l’issue des menaces de Godefroi ; car ce roi, enflé de la vaine espérance d’une victoire, se vantait d’en venir aux mains avec l’armée de l’empereur. Mais quand ce dernier eut demeuré quelque temps en ce lieu, il fut instruit d’événements divers ; la flotte qui avait dévasté la Frise était rentrée en Danemark, le roi Godefroi avait été tué par un de ses serviteurs ; un fort construit prés de l’Elbe nommé Hobbuch , dans lequel étaient Odon, envoyé de l’empereur, et une garnison dé Saxons orientaux, avait été pris par les Wiltzes. Pépin son fils, roi d’Italie, avait quitté son corps mortel, le 7 juin ; et deux légations parties l’une de Constantinople, l’autre de Cordoue, étaient arrivées pour traiter de la paix. Après avoir reçu ces nouvelles et réglé pour un temps la condition de la Saxe, l’empereur retourna chez lui. Dans cette expédition, il y eut sur les bœufs une maladie pestilentielle si forte qu’à peine l’armée en conserva un seul, car tous périrent. Cette mortalité n’eut pas seulement lieu dans cet endroit, elle s’étendit cruellement sur toutes les provinces soumises à l’empereur. Il revint à Aix au mois d’octobre, et reçut les deux ambassades qu’on vient de nommer. Il fit la paix avec l’empereur Nicéphore, et Abulaz roi d’Espagne. Nicéphore restitua Venise, et l’empereur reçut le comte Henri qu’avaient autrefois pris les Sarrasins, et que rendit Abulaz. Cette année le soleil et la lune s’éclipsèrent ; le soleil le 3 juillet et le 30 novembre, la lune le 21 juin et le 14 décembre. L’île de Corse fut une seconde fois ravagée par les Maures. Amoroz fut chassé de Saragosse par Abdérame fils d’Abulaz, et forcé de se réfugier à Huesca. Godefroi, roi des Danois, étant mort, Hemming, fils de son frère, lui succéda et fit la paix avec l’empereur. [811] Quand l’empereur eut reçu et congédié Arsace Spathaire (c’était le nom de l’ambassadeur de l’empereur Nicéphore), il envoya, pour confirmer la paix, des ambassadeurs à Constantinople, savoir : Haidon évêque de Bâle, Hugues comte de Tours, Aion, Lombard, duc du Frioul ; avec eux étaient Léon Spathaire sicilien et Willaire duc des Vénitiens. Le premier, dix ans auparavant, s’était réfugié de Sicile à Rome où était l’empereur, qui le renvoya cette année parce qu’il voulait retourner dans sa patrie ; quant au second, il avait été dépouillé de sa charge à causé de sa perfidie et l’empereur ordonna qu’on le reconduisit à son seigneur. La paix ou plutôt seulement la trêve proposée entre Charles et Hemming, roi des Danois, fut observée sans être définitivement conclue, à cause de l’âpreté de l’hiver qui fermait les voies de communication entre les deux pays. Enfin au retour du printemps, quand les chemins rendus impraticables par le froid furent ouverts, il y eut une conférence de douze grands des deux nations au lieu… sur le fleuve de l’Eyder, et la paix fut confirmée de part et d’autre, avec les formes et les serments accoutumés. Les grands du côté des Francs furent les comtes Wala fils de Bernard, Burchard, Unroch, Wodon, Bernard, Egbert, Théodoric, Abbon, Osdag et Wigman ; de celui des Danois, les principaux furent les frères d’Hemming, Hanewin et Angand ; les autres étaient des hommes considérables parmi eux, savoir : Osfred, surnommé Turdemul, Warslin, Swomi, Vrin, un autre Osfred fils de Heiligon, Osfred de Sconowe, Hebbe et Awin. L’empereur, après avoir fait la paix avec Hemming et tenu, selon sa coutume, l’assemblée générale à Aix, envoya l’armée sur trois points de son royaume ; l’une au-delà de l’Elbe contré les Livoniens : elle dévasta leur pays, et rebâtit le château de Hobbuch qui l’année d’avant avait été pris par les Wiltzes ; la seconde en Pannonie pour y terminer les querelles entre les Huns et les Esclavons ; la troisième en Bretagne pour châtier la perfidie de ses habitants. Ces troupes revinrent saines et sauves, après avoir rempli heureusement leur mission. Sur ces entrefaites, le roi, pour voir la flotte dont, l’année précédente, il avait ordonné la construction, se rendit à Boulogne des Gaules, ville maritime où étaient rassemblés les vaisseaux. Il restaura le phare élevé anciennement pour diriger dans leur course les navigateurs, et fit allumer à sa sommité un feu pendant la nuit. De là il se rendit dans l’endroit nommé Gand sur le fleuve de l’Escaut, y vit les navires construits pour cette même flotte, et vers le milieu de novembre il retourna à Aix. Awin et Hebbe, envoyés du roi Hemming, portant les présents du roi et des paroles pacifiques, vinrent à sa rencontre. Son arrivée était aussi attendue à Aix par les chagans ou princes des Avales, et par Thudun et d’autres grands et chefs des Esclavons habitant sur les bords du Danube ; ils avaient été contraints de se rendre en la présence de l’empereur par les ducs des troupes qu’il avait envoyées en Pannonie. Cependant Charles, le fils aîné du seigneur empereur, mourut le 4 décembre. L’empereur passa l’hiver à Aix. [812] Peu de temps après on lui annonça la mort de Hemming, roi des Danois. Comme Siegfried, neveu de Godefroi, et Anul, neveu de Hériold et du roi lui-même, voulaient lui succéder, et qu’ils ne pouvaient s’accorder pour savoir lequel régnerait, ils assemblèrent des troupes, et engagèrent un combat où tous deux périrent. Cependant le parti d’Anul avait remporté la victoire ; il fit rois ses frères Hériold et Rainfroi. Comme de raison le parti vaincu ne refusa pas de les reconnaître. On dit que dans ce combat il périt dix mille neuf cent quarante hommes. L’empereur Nicéphore, après avoir remporté beaucoup de remarquables victoires en Mœsie, engagea contre les Bulgares un combat où il périt. Michel, son gendre, fut nommé empereur. Il reçut et congédia les ambassadeurs qu’avait envoyés à Nicéphore l’empereur Charles. Il lui en envoya aussi, savoir, l’évêque Michel Arsafe et Théognoste, et il confirma par eux la paix qu’avait conclue Nicéphore. Ils vinrent à Aix, auprès de l’empereur, reçurent de ses mains, dans l’église, le traité de paix, et l’en remercièrent selon leur coutume, c’est-à-dire en langue grecque, l’appelant basileus et empereur . Ils revinrent de là à Rome, et reçurent de nouveau du pape Léon, dans la basilique de Saint-Pierre, le même traité de paix et d’alliance. Quand l’empereur les eut congédiés, et qu’il eut tenu solennellement à Aix son assemblée générale, il envoya en Italie son petit-fils Bernard, fils de Pépin, et comme il avait entendu dire qu’une flotte partie d’Espagne et d’Afrique devait venir dévaster l’Italie, il commanda à Wala, fils de Bernard, son oncle paternel, de rester avec son petit-fils jusqu’à ce que l’issue de cet événement le tirât d’inquiétude. Cette flotte vint, une partie en Corse, une partie en Sardaigne, et cette dernière portion fut presque aussitôt taillée en pièces que débarquée. Une flotte de Normands attaqua l’Hibernie, île des Écossais, engagea une bataille avec ces peuples, perdit beaucoup de monde, et revint dans son pays par une honteuse fuite. L’empereur fit sa paix avec Abulaz, roi des Sarrasins, ainsi qu’avec Grimoald, duc des Bénéventins, et vingt-cinq mille sous d’or furent exigés des Bénéventins sous le nom de tribut. On fit une expédition chez les Wiltzes, et l’on reçut d’eux des otages. Hériold et Rainfroi, rois des Danois, envoyèrent une légation à l’empereur, lui demandant la paix, et priant qu’on leur rendît leur frère Hemming. Cette année le soleil s’éclipsa après midi, le 15 mai. [813] L’empereur passa l’hiver à Aix. Au commencement du printemps, il envoya à Constantinople, pour affermir la paix avec l’empereur Michel, Amalhaire, évêque de Trèves, et Pierre, abbé de Nonantola. Le pont auprès de Mayence fut consumé au mois de mai par un incendie ; après cela l’empereur, tandis qu’il chassait dans les Ardennes, fut obligé, par une douleur de pied, de se coucher ; ensuite, convalescent, il retourna à Aix. Il y tint l’assemblée générale, appela près de lui son fils Louis, roi d’Aquitaine, et, prenant la couronne, la lui posa sur la tette, et l’associa à le dignité impériale. Il établit sur l’Italie son petit-fils Bernard, fils de Pépin, et ordonna de l’appeler roi ; par son ordre des conciles furent tenus dans toute la Gaule par les évêques, touchant les choses à réformer dans l’état des églises. Un fut convoqué à Mayence, un autre à Reims, un troisième à Tours, un quatrième à Châlons, un cinquième à Arles ; et l’on fit, dans l’assemblée générale d’Aix-la-Chapelle, en présence de l’empereur, la collection des règlements rendus dans tous ces conciles. Celui qui voudra les connaître les pourra trouver dans ces cinq villes ; on en garde aussi des exemplaires dans les archives du palais. L’empereur envoya des grands francs et saxons dans le pays des Normands, au-delà de l’Elbe, pour faire la paix avec les Danois, selon la demande de leurs rois, et leur rendre leur frère. Des grands danois vinrent au lieu désigné, en nombre égal à celui des Francs (ils étaient seize de part et d’autre) ; on confirma la paix par des sermons, et les Francs rendirent aux Danois le frère de leurs rois. Ces princes n’étaient pas alors chez eux ; ils étaient partis pour la Westerfulde avec une armée. Ce pays, le plus reculé de leur royaume, est situé au nord-ouest, et regarde le nord de la Bretagne. Le peuple et ses princes refusaient de se soumettre aux rois danois. Quand les rois revinrent après les avoir domptés, et qu’ils eurent reçu le frère que leur renvoyait l’empereur, ils furent attaqués par les fils du roi Godefroi et beaucoup de grands danois qui, depuis longtemps forcés de quitter leur patrie et exilés, s’étaient retirés chez les Suédois et venaient d’assembler des troupes. Des bandes accouraient à eux de toutes les parties du Danemark ; ils engagèrent le combat avec les rois, et les chassèrent du royaume sans beaucoup de peine. Les Maures revinrent de Corse en Espagne avec un riche butin ; mais le comte Irmingaire leur dressa des embûches dans l’île de Majorque, et prit huit de leurs navires, où il trouva plus de cinq cents Corses captifs. Les Maures, voulant se venger, ravagèrent Civita-Vecchia, ville de Toscane, et Nice, ville de la province de Narbonne ; ils abordèrent aussi en Sardaigne, combattirent avec les Sardes, furent vaincus, mis en fuite, perdirent beaucoup de leurs gens, et se retirèrent. L’empereur Michel déclara la guerre aux Bulgares, et n’eut pas d’heureux succès. A son retour, il déposa le diadème, et fut fait moine. Léon, fils du patrice Barde, fut nommé empereur à sa place. Crumas, roi des Bulgares, qui, deux ans auparavant, avait tué Nicéphore, et venait de chasser Michel de la Mœsie, enflé par tant de prospérités, marcha avec son armée contre Constantinople même, et dressa ses tentes près des portes de la ville. Léon, l’empereur, en sortit, l’attaqua comme il faisait imprudemment à cheval le tour des murs, le blessa grièvement, le força de se mettre en sûreté par la fuite, et de retourner honteusement dans sa patrie. LOUIS-LE-DÉBONNAIRE (814-829). [814] Comme le seigneur empereur Charles passait l’hiver à Aix-la-Chapelle, il sortit de cette vie terrestre dans la soixante et onzième année environ de son âge, la quarante-septième de son règne, la quarante-troisième depuis la soumission de l’Italie, et la quatorzième à dater du moment où il reçut les titres d’empereur et d’Auguste. Plusieurs messagers portèrent la nouvelle de sa mort à son fils Louis, à sa maison de campagne de Doué en Aquitaine, où il passait l’hiver. Ce prince arriva à Aix-la-Chapelle, trente jours après cet événement, et succéda à son père du consentement et de l’agrément unanime de tous les Francs. Consacrant tous ses soins à l’administration du royaume qu’il venait de recevoir, il entendit et renvoya les députations de divers peuples venues auprès de son père, et donna de même audience à d’autres députations destinées à son père, mais qui se rendirent près de lui. Entre ces dernières, la plus remarquable fut celle qui amenait de Constantinople. L’empereur Léon, successeur de Michel, en congédiant Amalhaire, évêque, et Pierre, abbé, qui, quoique adressés à Michel, remplirent près de lui leur mission, les fit accompagner de ses ambassadeurs, Christophore, officier de ses gardes, et Grégoire, diacre, chargés de porter au seigneur Charles la copie et la ratification du traité d’alliance entre les deux nations. Le seigneur Louis reçut ces envoyés, les congédia, et députa Norbert, évêque de Reggio, et Rechwin, comte de Poitiers, à l’empereur Léon, à l’effet de renouveler amitié avec lui, et de confirmer le traité dont il vient d’être parlé. Après avoir ensuite tenu à Aix-la-Chapelle une assemblée générale de la nation pour terminer les procès, et porter remède aux vexations dont souffrait le peuple, il fit parcourir toutes les frontières du royaume par des commissaires, combla de présents Bernard son neveu, qu’il avait appelé près de lui, et le laissa libre de retourner dans ses États ; il conclut enfin et sanctionna un traité avec Grimoald, duc des Bénéventins, aux mêmes conditions que son père, c’est-à-dire, à la charge pour ceux-ci de payer chaque année un tribut de sept mille sous d’or. Ce fut alors que deux de ses fils, Lothaire et Pépin reçurent de lui l’ordre de se rendre, le premier en Bavière, et le second en Aquitaine. Vers le même temps, Hériold et Rainfroi, princes danois, vaincus et chassés de leurs États l’année précédente par les enfants de Godefroi, rassemblèrent de nouvelles forces et recommencèrent la guerre ; Rainfroi et l’aîné des fils de Godefroi y périrent ; Hériold se défiant alors du succès de ses affaires vint trouver l’empereur, et se remit entre ses mains. Ce prince l’accueillit bien, et lui commanda d’aller en Saxe attendre le moment où il pourrait utilement lui porter les secours qu’il sollicitait. [815] Les Saxons et les Obotrites eurent de l’empereur l’ordre de se préparer à cette expédition ; deux fois on tenta cet hiver le passage de l’Elbe ; mais la température changea subitement, l’air s’adoucit et les glaces du fleuve se rompirent ; il fallut donc renoncer à mettre à fin cette entreprise, et attendre jusque vers le milieu de mai que, l’hiver étant terminé, le temps plus favorable permit d’entrer en campagne. Alors tous les comtes Saxons et toutes les troupes des Obotrites, se rendirent, conformément aux instructions de Louis, et sous la conduite de Balderic son lieutenant, dans le pays des Normands, au lieu nommé Sinleu, au-delà du fleuve de l’Eyder, pour secourir Hériold ; ensuite, quittant cet endroit, ils posèrent enfin, et après sept jours de marche, leur camp sur le rivage de l’Océan, et y demeurèrent trois jours ; mais comme les fils de Godefroi, quoiqu’ils eussent rassemblé des troupes nombreuses et une flotte de deux cents voiles, restaient enfermés dans une île séparée du continent par une distance de trois milles, et n’osaient en venir aux mains, les nôtres ravagèrent tous les bourgs des environs, reçurent des peuples de ce pays quarante et un otages, et retournèrent en Saxe auprès de l’empereur. Il tenait alors à Paderborn une assemblée générale de la nation, où tous les grands et les députés des Esclavons orientaux vinrent le trouver. Avant qu’il se rendit dans cette ville, et lorsqu’il était encore dans sa résidence ordinaire, on lui rapporta que quelques-uns des principaux d’entre les Romains avaient conspiré de tuer le pape Léon dans Rome même, et qu’ensuite le pontife ayant eu révélation de ce complot, avait fait égorger tous les chefs de cette faction ennemie. Mécontent de cette affaire, Louis termina promptement celle des Esclavons et d’Hériold, renvoya celui-ci en Saxe, et se rendit à son palais de Francfort. A son arrivée, il chargea son neveu Bernard, roi d’Italie, qui l’avait accompagné dans le pays des Saxons, d’aller à Rome prendre connaissance de ce qui s’était passé. A peine Barnard fut-il arrivé dans cette ville, que la maladie le força de s’aliter ; il manda cependant à l’empereur par le comte Gérold, envoyé avec lui à cet effet, tout ce qu’il avait appris de cette affaire. Ce messager fut suivi de près par l’évêque Jean Théodore, maître des cérémonies, et le duc Serge, députés du pontife, qui satisfirent pleinement César sur toutes les accusations portées contre leur maître. Les envoyés des Sardes vinrent alors de Cagliari, et apportèrent des présents. Vers ce temps encore la paix faite avec Abulaz, prince des Sarrasins, fut, après trois ans, rompue comme inutile, et l’on reprit les hostilités contre lui. Cependant l’évêque Norbert et le comte Richwin revinrent de Constantinople et rapportèrent l’expédition du traité que leur avait remise l’empereur Léon, ils racontèrent, entre autres choses, que, dans le mois d’août, un violent tremblement de terre, qui dura cinq jours consécutifs, avait renversé beaucoup d’édifices de cette ville et ruiné les habitants de plusieurs autres cités ; on dit même que, dans les Gaules, Saintes, ville d’Aquitaine, en éprouva, en septembre, quelques secousses, et que le fleuve du Rhin, grossi par les eaux des Alpes, se déborda d’une manière extraordinaire. A cette époque les habitants des États romains, voyant le pape Léon prêt à succomber sous la maladie, se réunissent en armes, pillent d’abord et détruisent ensuite par le feu les maisons que ce pontife avait bâties récemment sur le territoire de chacune des cités ; cela fait, ils arrêtent d’aller à Rome et de reprendre par la force tout ce qu’ils se plaignaient qu’on leur eût enlevé. Le roi Bernard, instruit de ce projet, envoie des troupes, sous la conduite de Winégise, duc de Spolète, apaise la sédition, contraint les rebelles de se désister de leur entreprise, et expédie des messagers chargés de rendre compte à l’empereur de ce qu’il avait fait. [816] Cependant les Esclavons Sorabes se montraient peu soumis ; quand l’hiver fut passé, les Saxons et les Francs orientaux reçurent donc l’ordre de marcher contre eux, l’exécutèrent avec courage et réprimèrent, sans grande fatigue, l’audace des rebelles. Lorsqu’en effet on eut pris une seule ville, tout ce qui, dans cette nation, montrait du penchant à la révolte, promit de se soumettre et se tint tranquille. D’un autre côté les Gascons, qui habitent au-delà de la Garonne et au pied des Pyrénées, mécontents d’être privés de leur duc, nommé Siegwin, que l’empereur leur avait enlevé à cause de sa trop grande insolence et de la dépravation de son caractère, poussés par leur légèreté accoutumée, formèrent une conjuration et s’abandonnèrent à tous les excès de la rébellion. Mais deux campagnes les réduisirent si bien qu’il leur tardait de se soumettre et d’obtenir la paix. Cependant le seigneur pape Léon sortit de ce monde dans la vingt-et-unième année de son pontificat, vers le 25 du mois de mai . Le diacre Étienne fut élu et ordonné à sa place ; deux mois ne s’étaient pas encore écoulés depuis sa consécration qu’il s’efforça de se rendre, à aussi grandes journées qu’il le put, auprès de l’empereur auquel il avait cependant envoyé déjà deux légats pour le prévenir de son élévation à la papauté. Dès que Louis fut informé de son arrivée, il résolut de venir le recevoir à Reims, envoya des gens chargés de l’y conduire, alla de sa personne au-devant de lui, et l’accueillit avec les plus grands honneurs. Le pontife se hâta de dire à l’empereur quelques mots sur le motif de son voyage, célébra la messe avec toute la solennité accoutumée, et couronna ce prince en lui mettant le diadème sur la tête. Après avoir l’un et l’autre échangé de nombreux présents, prodigué des festins magnifiques, cimenté leur amitié par les liens les plus forts, et pris les mesures que permettait l’opportunité des circonstances pour l’avantage ultérieur de la sainte Église de Dieu, ils retournèrent, le pape à Rome, et l’empereur à son palais de Compiègne. Pendant le séjour qu’il y fit, ce monarque y reçut les députés des Obotrites et ceux que lui adressa d’Espagne Abdérame, fils du prince Abulaz. Après s’être arrêté dans ce lieu vingt jours entiers et même plus, Louis se rendit à Aix-la-Chapelle pour y passer l’hiver. [817] Les ambassadeurs envoyés de Saragosse par Abdérame, fils d’Abulaz, prince des Sarrasins, étaient venus pour demander la paix. Louis leur donna d’abord audience à Compiègne, puis leur enjoignit de le devancer à Aix-la-Chapelle. A son arrivée dans cette ville, il y trouva Nicéphore que lui députait Léon, empereur de Constantinople, relativement à quelques difficultés avec les Dalmates, et lui ordonna d’attendre Cadolach, chargé de la garde des frontières de cette contrée, qui n’était pas présent et qu’on croyait devoir venir sous peu. Dès que celui-ci fut arrivé, la discussion des plaintes, portées par l’envoyé de l’empereur s’établit entre eux ; mais, comme la question intéressait plusieurs peuples et spécialement les Romains et les Esclavons, on remit à la décider sur les lieux mêmes, et Albigaire, neveu d’Unroch, fut envoyé à cet effet avec Cadolach et le député grec dont on a parlé. Quant aux ambassadeurs d’Abdérame, après avoir été retenus pendant trois mois, et quand déjà ils commençaient à désespérer de pouvoir s’en aller, ils obtinrent enfin la permission de partir. Les fils de Godefroi, roi des Danois, tourmentés par les ravages continuels qu’Hériold exerçait dans leur pays, envoyèrent à l’empereur une députation pour demander la paix et jurer de l’observer fidèlement mais ces protestations parurent plus feintes que sincères ; on les négligea donc, comme choses vaines, et on soutint Hériold contre eux. Le 5 février, il y ce une éclipse de lune vers la seconde heure de la nuit, et une comète parut dans le signe du Sagittaire vers le 5 janvier précédent. Le pape Étienne mourut avant la fin du troisième mois qui suivit son retour à Rome. On élut pour son successeur Paschal, qui, après avoir été solennellement consacré, envoya des présents à l’empereur, avec une lettre d’excuse, dans laquelle il l’assurait que le pontificat lui avait été imposé non seulement contre son vœu, mais encore malgré ses refus réitérés. Ne s’en tenant pas là, il fit partir une ambassade pour solliciter le renouvellement et la confirmation du traité conclu avec ses prédécesseurs. Théodore, son maître des cérémonies, chargé de cette mission, obtint ce qu’il demandait. Le cinquième jour de la Semaine Sainte, auquel jour de la fête se célèbre la cène du Seigneur, comme Louis, revenant de l’église après l’office, passait sous un portique en bois construit avec des matériaux peu solides, les poutres qui supportaient la charpente et le plafond, et qui, déjà pourries et vermoulues, ne pouvaient soutenir le moindre poids, s’écroulèrent tout à coup sur l’empereur et plus de vingt personnes qui l’accompagnaient, et les jetèrent par terre. La chute de ces poutres blessa grièvement plusieurs de ceux qu’elle renversa ; quant au roi, il n’eut d’autre mal qu’une contusion que lui fit aux dernières côtes du côté gauche la garde de son épée, une légère blessure derrière l’oreille droite, et une meurtrissure à la cuisse droite, auprès de l’aine, produite par quelque éclat d’un lourd morceau de bois ; mais il fut promptement rétabli par le secours des médecins qui s’empressèrent de lui donner des soins. Le vingtième jour, en effet, après cet accident, il se rendit à Nimègue, et put s’y livrer à l’exercice de la chasse. De retour à Aix-la-Chapelle, il y tint, comme de coutume, une assemblée générale de la nation, y couronna Lothaire, le premier né de ses fils, et l’associa au titre et à la puissance d’empereur. Quant à ses autres fils qu’on appelait seulement rois, il préposa l’un au gouvernement de l’Aquitaine, et l’autre à celui de la Bavière. Cette assemblée terminée, comme il allait chasser dans les forêts des Vosges, il rencontra des députés de l’empereur Léon, et leur donna audience dans son palais d’Ingelheim, près de Mayence ; mais, reconnaissant que leur mission n’était autre que celle dont avait été tout récemment chargé près de lui Nicéphore, envoyé du même souverain, il les congédia promptement, et poursuivit sa route. Ayant appris vers cette époque la rébellion des Obotrites et de Sclaomir, il en instruisit par un messager les comtes qui résidaient habituellement dans des forts auprès de l’Elbe, pour mettre à l’abri de toute attaque les frontières confiées à leur garde. La cause de cette révolte était l’ordre donné à Sclaomir, qui jusqu’alors avait exercé seul l’autorité royale sur les Obotrites depuis la mort de Thrasicon, de la partager avec Ceadrag, fils de celui-ci. Cette injonction avait tellement irrité Scluomir, qu’il jura dès ce moment de ne jamais passer le fleuve de l’Elbe pour se rendre au palais de l’empereur, et députa sur-le-champ au-delà de la mer, vers les fils de Godefroi, afin de contracter alliance avec eux. Il obtint de ces princes d’envoyer une armée au-delà de l’Elbe : leur flotte, en effet, remonta ce fleuve jusqu’au château d’Esselfeld, et dévasta toute la rive de la Sture, pendant que Gluom, préposé à la garde de la frontière contre les Normands, conduisait des corps d’infanterie, et se rendait par terre, en même temps que les Obotrites, au pied de ce même château ; les nôtres leur ayant opposé une courageuse résistance, ils abandonnèrent le siège de ce fort, et se retirèrent. Pendant que ces choses se passaient, l’empereur, après avoir terminé sa chasse, était retourné à Aix-la-Chapelle ; on lui apprit là que son neveu Bernard, roi d’Italie, poussé par les conseils de quelques hommes pervers, et affectant la tyrannie, avait fortifié tous les passages, ou cluses, par lesquels on peut entrer en Italie, et entraîné toutes les cités de ce pays à lui prêter serment de fidélité. De ce rapport une partie était vraie et l’autre fausse. Comme cependant, pour comprimer ces mouvements de révolte, l’empereur avait rassemblé en grande hâte, de tous les points de la Gaule et de la Germanie, une immense armée et s’avançait à marches forcées vers l’Italie, Bernard, inquiet de l’état de ses affaires, depuis surtout qu’il se voyait chaque jour abandonné par les siens, posa les armes et vint à Châlons-sur-Saône, se remettre entre les mains de son oncle. Tous ses partisans suivirent son exemple, et non seulement mirent bas les armes et se rendirent à discrétion, mais encore déclarèrent volontairement et à la première question qu’on leur fit, comment les choses s’étaient passées. Les chefs de cette entreprise criminelle furent Eggidéon le premier d’entre tous les amis du roi, Reginbard camérier de ce prince, Reginhaire fils du comte Meginhaire, dont l’oncle maternel Hardrad avait autrefois ourdi en Germanie, avec un grand nombre de nobles de cette contrée, une conspiration contre l’empereur Charles. Beaucoup d’autres personnages illustres et d’un haut rang trempèrent en outre dans ce crime, et parmi eux étaient quelques prélats, tels qu’Anselme évêque de Milan, Wolfold de Crémone, et Théodulfe d’Orléans. [818] L’empereur ayant éclairci cette oeuvre de ténèbres, mis au grand jour la conspiration et réduit tous les séditieux en sa puissance, reprit la route d’Aix-la-Chapelle. Quand le temps de jeûne du carême fut fini, et peu de jours après la Pâque, Louis ordonna que les chefs de la conjuration qu’on a nommés plus haut, et le roi Bernard, tous condamnés à la peine capitale par le jugement des Francs, fassent seulement privés de la vue ; il confina dans des monastères les évêques, préalablement déposés par un décret svnodal, et quant aux autres il les exila ou les fit tondre et enfermer dans des couvents, selon qu’ils parurent plus ou moins coupables. Ces choses ainsi réglées il marcha de sa personne en Bretagne avec une armée considérable, et tint à Pannes l’assemblée générale de la nation. Entrant ensuite dans la province dont il vient d’être parlé, il prit toutes les places fortes des rebelles, et se rendit bientôt maître, sans beaucoup de fatigues, du pays entier. Après, en effet, que Morman qui s’y était arrogé l’autorité royale au mépris de l’usage constant des Bretons, eut été tué par les troupes de l’empereur, il ne se trouva plus un seul Breton qui résistât, ou qui refusât soit d’obéir aux ordres qu’il recevait, soit de fournir les otages qu’on exigeait de lui. Cette expédition achevée, l’empereur, après avoir congédié son armée, retourna dans la cité d’Angers ; la reine Hermengarde sa femme, qu’en quittant cette ville il y avait laissée malade, et dont l’état s’était toujours empiré, mourut là, le 3 octobre et deux jours après que son mari fut venu la rejoindre. Le 8 juillet il y eut une éclipse de soleil. L’empereur revint par Rouen, Amiens et Cambrai, passer l’hiver à Aix-la-Chapelle ; comme il arrivait à Herstall, il rencontra des députés de Siggon duc de Bénévent, qui apportaient des présents, et venaient excuser leur maître sur la mort du duc Grimoald son prédécesseur. Là étaient aussi les envoyés d’autres nations, et particulièrement ceux des Obotrites et de Borna duc des Guduscans et des Timotians , qui ayant rompu récemment toute société avec les Bulgares, s’étaient portés sur nos frontières ; là se trouvèrent encore les députés de Liudewit, duc de la Pannonie inférieure, qui machinant de nouvelles entreprises, s’efforçait d’accuser d’insolence et de cruauté le comte Cadolach, préfet des Marches du Frioul. L’empereur, après avoir entendu et congédié toutes ces députations, se rendit à Aix-la-Chapelle pour y séjourner pendant l’hiver. [819] Cette année on envoya l’armée des Saxons et des Francs orientaux au-delà de l’Elbe punir la perfidie de Sclaomir, roi des Obotrites ; lui-même fut amené à Aix-la-Chapelle par les préfets des frontières de Saxe et les lieutenants de l’empereur qui commandaient les troupes ; les principaux d’entre son peuple, qui avaient eu ordre de le suivre, l’accusaient d’une foule de crimes ; lui ne pouvant opposer une raisonnable défense aux reproches qu’on lui faisait, il fut donc condamné à l’exil et dépouillé de son royaume en faveur de Céadrag, fils de Thrasicon. Il en arriva autant à Loup, duc de Gascogne, qui livra, cette même année, à Bérenger, comte de Toulouse, et à Warin, comte d’Auvergne, une bataille dans laquelle il perdit son frère Garuhand, homme d’une remarquable folie, et où il aurait infailliblement péri lui-même s’il n’eût cherché son salut dans la fuite. Ayant comparu devant l’empereur, et ne pouvant se justifier de la perfidie dont le taxaient les susdits comtes, il fut exilé pour un certain temps. L’assemblée d’Aix-la-Chapelle se tint après la fête de Noël ; on y discuta et arrêta plusieurs dispositions relatives à l’état des églises et des monastères ; on ajouta aux lois et fixa par écrit quelques capitulaires indispensables et qui manquaient. Cette réunion terminée, l’empereur, s’étant fait présenter beaucoup de filles des premières familles, choisit pour femme Judith, fille du comte Guelfe, de Bavière. Il tint ensuite dans le mois de juillet, à son palais d’Ingelheim, une autre assemblée de la nation, et envoya une armée d’Italie en Pannonie pour punir la rébellion de Liudewit ; nos troupes obtinrent peu de succès et revinrent sans avoir presque rien fait. Liudenit, alors enflé d’orgueil, députa vers l’empereur, sous couleur de demander la paix, et fit proposer certaines conditions avec promesse de rentrer dans le devoir si on les lui accordait ; elles furent rejetées ; mais dans le temps même qu’il chargeait les envoyés d’en offrir de nouvelles, jugeant qu’il lui serait plus avantageux de persister dans la perfidie où il s’était engagé, il expédia de tous côtés des messagers et ne négligea rien pour entraîner les nations voisines à la guerre. Il parvint si bien à détourner les Timotians, qui avaient rompu toute société avec les Bulgares, de se rendre auprès de l’empereur et de se remettre en sa puissance, et les abusa si complètement par des espérances illusoires, qu’abandonnant leur premier dessein, ils devinrent les complices et les auxiliaires de sa révolte. Cependant, après que notre armée eut quitté la Pannonie, Cadolach, duc de Frioul, fut saisi de la fièvre et mourut sur le territoire même de ses marches. Balderie, qu’on lui donna pour successeur, était à peine entré dans le pays des Carinthiens compris dans son commandement, qu’il se trouva en face de l’armée de Liudewit ; quoiqu’il n’eût qu’une poignée de monde, il l’attaqua dans sa marche auprès de la Drave, lui tua beaucoup de monde, le contraignit de prendre une autre route, et lui fit évacuer cette contrée. Mais dans le même temps, Borna, duc de Dalmatie, avant, à la tête de nombreuses troupes, tenté d’arrêter sur les bords de la Kulpe Liudewit qui s’avançait contre lui, fut, au premier choc, abandonné des Guduscans ; protégé cependant par les efforts de ses gardes, il parvint à s’échapper. Dans le combat périt Dragomose, beau-père de Liudewit, qui avait rompu avec son gendre dès le commencement de sa révolte et s’était uni à Borna. Celui-ci soumit de nouveau les Guduscans rentrés dans leurs foyers ; mais Liudewit, profitant d’une occasion favorable, entra en Dalmatie, dans le mois de décembre, avec un fort corps de troupes et ravagea tout par le fer et le feu ; alors Borna, qui se voyait hors d’état de tenir la campagne contre lui, enferme dans ses châteaux forts tout ce qu’il possède, puis,avec un corps d’élite, se porte tantôt sur les derrières, tantôt sur les flancs de l’armée de Liudewit ; l’attaque de jour, de nuit, partout où il peut, ne souffre pas qu’elle parcourre impunément son pays, la force enfin de le quitter après lui avoir fait éprouver de grandes pertes, tué trois mille hommes, pris plus de trois cents chevaux, enlevé ses bagages et toute sorte de butin, et envoie des messagers rendre compte à l’empereur de la manière dont les choses s’étaient passées. Dans le même temps et du côté de l’occident, Pépin, l’un des fils de Louis, entra en Gascogne, par l’ordre de son père, à la tête d’une armée, enleva tous les séditieux de cette province, et la pacifia si complètement qu’il paraissait n’y être demeuré aucun individu rebelle ou même désobéissant. Alors aussi Hériold, que les Obotrites avaient reconduit jusqu’à ses vaisseaux d’après les instructions de l’empereur, gagna par mer sa patrie ; dans l’espoir d’en occuper le trône ; mais on dit qu’on lui associa, pour régner conjointement avec lui, deux des fils de Godefroi, et qu’on chassa du pays les deux autres : ceci fut, au reste, regardé comme l’œuvre de la ruse. L’empereur, avant congédié l’assemblée de la nation, alla d’abord à Creutznach, puis à Bingen et navigua heureusement sur le Rhin jusqu’à Coblentz ; de là il se rendit dans les Ardennes pour prendre l’exercice de la chasse, et après s’y être livré, suivant sa coutume, avec une suite nombreuse, il retourna passer l’hiver à Aix-la-Chapelle. [820] Au mois de janvier il se tint dans cette même ville une assemblée générale de la nation ; on y traita de la rébellion et de Liudewit ; on y arrêta de faire marcher tout à la fois trois armées de trois côtés différents pour dévaster son pays et réprimer son audace ; et Borna envoya d’abord des députés, puis vint lui-même suggérer ce qu’il lui paraissait utile de faire à cet égard. Pendant cette même assemblée, Bera, comte de Barcelone, que ses voisins taxaient depuis longtemps de fraude et d’infidélité, combattit à cheval son accusateur, et fut vaincu. Lorsque ensuite on l’eut jugé coupable de lèse-majesté, et condamné à la peine capitale, la miséricorde de l’empereur lui fit grâce de la vie et l’exila à Rouen. Dès que l’hiver fut passé, et que l’herbe put fournir à la pâture des chevaux, les trois armées destinées à combattre Liudewit, partirent ; l’une entra chez lui par l’Italie et les Alpes Noriques, l’autre par le pays des Carinthiens, et la troisième par la Bavière et la Pannonie supérieure. Deux de ces armées, celle de droite et celle de gauche, ne pénétrèrent que tard chez l’ennemi ; l’une eut à disputer, contre une poignée d’hommes déterminés, le passage des Alpes ; l’autre fut retardée par la longueur du chemin et par la Drave qu’il lui fallut passer ; mais la troisième, qui venait par la Carinthie, plus heureuse quoiqu’elle rencontrât de la résistance sur trois points, battit l’ennemi trois fois, traversa la Drave, et arriva, plus tôt à sa destination. Liudewit, qui n’avait fait aucune disposition contre de si grands préparatifs, se tint renfermé lui et les siens dans les murailles d’un château fort qu’il avait élevé sur une montagne escarpée, et l’on assure que ni par lui-même, ni par députés, il n’entama aucun pourparler ni sur la guerre ni sur la paix. Cependant les trois armées opérèrent leur jonction, ravagèrent presque tout le pays par le fer et le feu, et rentrèrent chez elles sans avoir éprouvé aucun échec considérable. Celle pourtant qui revint par la Pannonie supérieure, souffrit beaucoup de la dysenterie au passage de la Drave, par suite de l’insalubrité des eaux et des lieux, et perdit de cette maladie une bonne partie de son monde. Ces trois armées, au surplus, avaient été levées dans la Saxe, la France orientale, l’Allemagne, la Bavière et l’Italie. Quand elles eurent regagné leurs foyers, ceux de la Carniole, qui habitent les bords de la Save et touchent presque au Frioul, se soumirent à Balderie, et une portion des Carinthiens, qui nous avaient abandonnés pour suivre le parti de Liudewit, s’empressa d’imiter cet exemple. Vers ce même temps, le traité juré entre nous et Abulaz, roi des Sarrasins, fut rompu de dessein prémédité, comme n’étant assez avantageux à aucune des parties, et on entreprit la guerre contre ce prince. Pendant que ces choses se passaient, des pirates prirent et submergèrent, dans la mer d’Italie, huit vaisseaux marchands qui revenaient de Sardaigne en Italie. Mais treize corsaires sortis de la Normandie, et qui tentèrent d’abord de piller le littoral de la Flandre, furent repoussés par les garnisons ; toutefois, et par l’incurie des gardes, ils brûlèrent sur ce point quelques misérables chaumières, et enlevèrent un peu de menu bétail. Avant ensuite essayé d’en faire de même à l’embouchure de la Seine, ils essuyèrent une vigoureuse résistance de la part des gardes du rivage, eurent cinq des leurs tués, et se retirèrent sans avoir réussi ; plus heureux enfin sur les côtes de l’Aquitaine, ils dévastèrent entièrement un certain bourg nommé Buin, et regagnèrent leur patrie chargés d’un immense butin. Cette année, les pluies continuelles et la trop grande humidité qui ramollit l’air, causèrent de grandes maladies ; en effet, la contagion qui enlevait les hommes et les bêtes à cornes étendit si cruellement et si au loin ses ravager, qu’à peine aurait-on pu trouver dans tout le royaume des Francs un seul coin que ce fléau eût laissé intact et exempt de malheur. D’un autre côté, les grains et les légumes, gâtés par l’abondance continue des pluies, ne purent être récoltés ou se pourrirent après l’avoir été. Le vin même, dont on ne fit que très peu cette même année, fut aigre et plat, faute de chaleur. Dans quelques endroits, enfin, les eaux dont les fleuves débordés avaient couvert la terre, y séjournèrent si longtemps et empêchèrent tellement les semailles d’automne, qu’on ne put absolument confier à la terre aucun de ses fruits avant l’époque du printemps. Il y eut une éclipse de lune le 24 novembre, à la seconde heure de la nuit. L’empereur après avoir tenu à Quiersy l’assemblée de la nation, et fait, suivant la coutume, les grandes chasses d’automne, revint à Aix-la-Chapelle. [821] L’assemblée générale eut lieu dans cette ville au mois de février ; elle s’occupa de la guerre contre Liudewit, et décréta que trois armées iraient encore l’été suivant dévaster tour à tour les terres de ce perfide. Les mêmes mesures furent prises relativement aux Marches d’Espagne, et les mêmes ordres donnés aux préfets de cette frontière ; on arrêta de plus qu’une seconde assemblée se réunirait au mois de mai à Nimègue, et l’on désigna les comtes qui devraient s’y rendre. Le seigneur empereur se rendit dans cette ville, en s’embarquant sur la Meuse, après la célébration des fêtes de Pâques : là, il examina de nouveau le partage du royaume entre ses fils, fait et enregistré les années précédentes, et voulut que les grands alors présents le garantissent par leurs serments ; là encore, il reçut Pierre, évêque de Civita-Vecchia, et Léon maître des cérémonies, députés du pontife romain Paschal, et les congédia promptement. Après avoir ensuite désigné ceux des comtes présents qu’il chargea de l’expédition de la Germanie, et n’être demeuré que fort peu de temps à Nimègue, il reprit le chemin d’Aix-la-Chapelle. Quelques jours après son arrivée dans cette ville, il se rendit à Trèves et à Metz, en traversant les Ardennes ; de là gagnant le château de Remiremont, il passa le reste des chaleurs de l’été, et la moitié de l’automne, à prendre l’exercice de la chasse, dans les lieux les plus retirés des forêts des Vosges. Cependant Borna, duc de Dalmatie et de Croatie, étant mort, son neveu, nommé Ladasclav [Ladislas], lui succéda sur la demande du peuple et du consentement de l’empereur. Il se répandit, vers ce même temps, relativement à la mort de Léon, empereur de Constantinople, qu’il avait été tué dans son propre palais, victime d’une conspiration des grands de sa cour, et particulièrement de Michel comte des domestiques, qu’on disait ceint du bandeau impérial par le suffrage des citoyens et le dévouement des gardes prétoriennes. Alors encore Fortunat, patriarche de Grado, accusé pros de l’empereur par un prêtre de son église, nommé Tibère, d’avoir exhorté Liudewit à persévérer dans la révolte où il s’était engagé, et de l’avoir aidé à fortifier ses châteaux, en lui fournissant des maçons et d’autres ouvriers, reçut ordre de venir au palais. Faisant d’abord mine d’obéir, il partit pour l’Istrie, feignit ensuite de retourner à Grado, et sans qu’aucun des siens, excepté ceux avec lesquels il avait concerté son projet, en eût le moindre soupçon, saisit un moment favorable et s’embarqua secrètement ; arrivé à Jadère, cité de Dalmatie, il découvrit la cause de sa fuite à Jean, préfet de sa province, qui lui donna place dans un vaisseau, et le fit passer sur-le-champ à Constantinople. Dans le milieu du mois d’octobre se tint à Thionville une assemblée générale, où accourut en foule la nation des Francs ; Lothaire, le premier né de l’empereur, y épousa solennellement, suivant l’ancienne coutume, Hermengarde, fille du comte Hugues ; Théodore primicier et Florus, envoyés du pontife romain, y vinrent aussi chargés de riches présents ; on vit encore dans cette même assemblée les comtes revenus de Pannonie, qui, après avoir ravagé tout le pays des rebelles et des adhérents de Liudewit, et ne trouvant aucun ennemi qui se présentât pour combattre, rentrèrent dans leurs foyers. Là, enfin, brilla dans tout son éclat la singulière clémence du pieux empereur envers ceux qui, avec son neveu Bernard avaient conspiré en Italie pour lui ravir sa couronne et le jour. Les ayant fait comparaître en sa présence, non seulement il leur fit grâce de la vie, et de la perte des membres ; mais encore il leur restitua par un excès de libéralité, leurs possessions confisquées, par jugement de la loi, au profit du fisc ; il rappela aussi Adalhard d’Aquitaine, on il l’avait exilé, le rétablit supérieur et abbé du monastère de Corbie, comme il l’était précédemment, et renvoya avec lui dans le même monastère Bernard, son frère, admis au pardon. Ayant ainsi terminé toutes les choses entreprises pour l’avantage du royaume, et fait confirmer par tous les grands le serment qu’une partie seulement d’entre eux avaient prêté à Nimègue, ce prince revint à Aix-la-Chapelle, et, après avoir célébré les nones de son fils Lothaire, avec la pompe accoutumée, il l’envoya passer l’hiver à Worms. Cette année, tout fut tranquille du côté des Danois. Les fils de Godefroi avaient admis Hériold au partage du royaume, et l’on attribue à cet arrangement la paix qui régnait alors entre eux ; mais, comme on soupçonnait Céadrag, prince des Obotrites, de trahison, et d’avoir contracté quelque alliance avec les fils de Godefroi, Sclaomir, son rival, eut permission de retourner dans sa patrie. A peine était-il arrivé en Saxe qu’il tomba malade, reçut le sacrement du baptême et mourut. Cette année encore, la continuité des pluies empêcha dans plusieurs endroits les semailles d’automne. A ces pluies succéda un hiver si long et si âpre que non seulement les petits ruisseaux et les rivières peu considérables, mais encore les plus grands et les plus célèbres fleuves, tels que le Rhin, le Danube, l’Elbe, la Seine, et tous ceux qui vont, à travers la Gaule et la Germanie, se décharger dans l’Océan, se couvrirent d’une glace tellement solide que, pendant plus de trente jours, ils portèrent les chariots de transport d’une rive à l’autre, comme si des ponts les eussent réunies ; ensuite la fonte de cette glace ne causa pas de médiocres dommages aux métairies bâties sur les bords du Rhin. [822] Dans le pays des Thuringiens, en un certain lieu près d’un fleuve, un tertre de gazon de cinquante pieds en longueur sur quatorze de largeur et un demi pied de hauteur, fut coupé et enlevé de terre sans travail de la main des hommes, et trouvé à vingt-cinq pieds de l’endroit d’où il avait été arraché. De même, dans la partie orientale de la Saxe qui touche aux frontières des Sorabes, en un certain lieu désert, prés du lac qu’on nomme Arnsee, le sol se souleva en forme de terrasse, et, dans l’espace d’une seule nuit, sans le concours d’aucun travail humain, éleva, sur une longueur d’une lieue, un boulevard qui présentait l’aspect d’un véritable rempart. Cette année, Winégise, duc de Spolète, appesanti déjà par la vieillesse, quitta l’habit séculier, et s’asservit à la vie monastique ; mais peu de temps après il mourut accablé par les infirmités, et Suppon, comte de Brescia, fut mis en sa place. Vers ce temps, le seigneur empereur ayant réuni un conseil composé des évoques et des grands de ses États, fut pardonné par ses frères qu’il avait fait raser contre leur vœu, et fit publiquement confession et pénitence tant pour ce fait que pour les actes de sévérité exercés contre Bernard, fils de son frère Pépin, ainsi que contre l’abbé Adalilard et son fière Wala. Ces mortifications, il s’y soumit de nouveau en présence de tout son peuple dans l’assemblée générale de la nation, qu’il tint cette même année, dans le mois d’août, à Attigny, et apporta le soin le plus pieux à réparer tout ce qu’il put découvrir d’actions semblables commises par son père ou par lui. On avait cependant envoyé une armée d’Italie en Pannonie, afin de terminer la guerre contre Liudewit. A l’approche de ces troupes, celui-ci, abandonnant sa cité de Siscia, s’enfuit chez les Sorabes, nation qu’on dit maîtresse d’une grande partie de la Dalmatie, fit périr par trahison un de leurs ducs qui l’avait accueilli, et réduisit en sa puissance le territoire où celui-ci commandait. Toutefois il fit partir des députés pour l’armée de l’empereur, et se dit dans l’intention de comparaître par-devant ce prince. Cependant les Saxons construisirent, par les ordres de Louis, un fort au-delà de l’Elbe et dans un lieu nommé Delbend, dont ils avaient chassé les Esclavons qui l’occupaient auparavant ; et, pour s’opposer aux incursions de ce peuple, on y mit une garnison saxonne. D’un autre côté, les comtes des Marches d’Espagne pénétrèrent dans ce royaume au-delà de la Sègre, dévastèrent les campagnes, brûlèrent un grand nombre de métairies, et revinrent chargés d’un butin considérable ; de même les comtes des Marches de Bretagne, après l’équinoxe d’automne, se jetèrent sur les possessions d’un certain breton nommé Wihomarch, qui restait encore en état de rébellion, et ravagèrent tout par la flamme et le fer. L’empereur, ayant clos alors l’assemblée d’Attigny, alla chasser dans les Ardennes, et envoya son fils Lothaire en Italie ; il le fit accomgagner du moine Wala, son parent, comme frère de l’abbé Adalhard, et de Gérung, chef des portiers du palais, afin qu’il se gouvernât par leurs conseils dans l’administration tant de sa maison que des affaires relatives aux intérêts de son royaume. Quant à Pépin, son père lui enjoignit de se rendre en Aquitaine ; mais auparavant il le maria à la fille de Théodebert, comte de Mâcon, et le fit partir après ses noces pour les contrées de l’ouest. Pour lui, lorsqu’il eut fini la chasse d’automne, il alla passer l’hiver à Francfort, au-delà du Rhin ; et là, dans une assemblée générale de la nation, il s’occupa, conformément à l’antique usage, de régler, avec les grands qu’il avait convoqués à cet effet, tout ce qui importait à la sûreté des frontières orientales de son royaume. Ce fut dans cette même assemblée qu’il reçut les députations et les présents que lui envoyèrent les Esclavons orientaux, c’est-à-dire, les Obotrites, les Sorabes, les Wiltzes, les Bohémiens, les Marvaniens, les Prédénécentins et les Avares, habitants de la Pannonie. Des ambassades venues de Normandie, au nom tant d’Hériold que des fils de Godefroi, se rendirent également à cette assemblée. Après les avoir entendues et congédiées toutes, Louis séjourna l’hiver dans cette même ville de Francfort, où il avait fait construire, ainsi qu’il se l’était proposé, de nouveaux bâtiments nécessaires pour tenir sa cour. [823] Une autre assemblée se réunit au même lieu dans le mois de mai. On n’y appela pas les grands de toute la France ; ceux de la France orientale, de la Saxe, de l’Allemagne, de la Bourgogne contiguë à l’Allemagne, et des contrées qui avoisinent le Rhin, eurent seuls l’ordre de s’y rendre. Parmi les autres députations des nations barbares qui s’y présentèrent, soit de leur propre mouvement, soit en vertu d’injonctions qui leur avaient été faites, parurent deux frères, tous deux rois des Wiltzes, en discussion pour l’empire ; ils s’appelaient Méligast et Céléadrag, et tous deux étaient fils de Liub, roi des Wiltzes, qui, quoiqu’il eût partagé le royaume avec ses frères, exerçait toutefois en qualité d’aîné la suprême autorité sur tout le pays. ll avait été tué dans un combat contre les Obotrites, et les Wiltzes s’étaient donné pour roi Méligast son fils aîné ; mais, comme il usait peu dignement de l’autorité que la nation lui avait confiée, conformément à ses anciens usages, on le rejeta et l’on transporta à son frère les honneurs de la royauté. Cette affaire amena les deux frères devant l’empereur. Dès que ce prince les eut entendus, et se fut assuré que les vœux de la nation penchaient davantage en faveur du plus jeune, il décida que celui-ci jouirait de la puissance que lui avait conférée le peuple, et les renvoya cependant tous deux comblés de présents et liés à l’obéissance par un serment. Dans la même assemblée on accusa auprès de Louis Céadrag, prince des Obotrites, d’en agir avec peu de fidélité à l’égard des Francs, et de trop tarder à paraître en présence de leur monarque ; on lui envoya donc des commissaires qu’il fit accompagner à leur retour par quelques-uns des principaux de sa nation, chargés de promettre en son nom qu’il se rendrait l’hiver prochain auprès de l’empereur. Cependant Lothaire après avoir, suivant l’ordre de son père, fait droit en Italie à toutes les justes réclamations, se préparait à revenir ; mais il alla jusqu’à Rome, à la sollicitation du pape Pascal. Accueilli par ce pontife avec de grands honneurs, il reçut de lui, le jour même de Pâques et dans la basilique de Saint-Pierre, la couronne, marque distinctive de l’autorité, ainsi que les titres d’empereur et d’Auguste. Sur le compte qu’il rendit à son père des affaires qu’il avait terminées par ses décisions, où préparées en Italie, Adalhard, comte du palais, fut envoyé dans ce pays, avec ordre de s’adjoindre Mauring, comte de Brescia, et d’apporter tous ses soins à statuer définitivement sur ce qui n’était encore que commencé. Vers le même temps, Louis, d’après l’élection faite et le consentement exprimé par le clergé de la ville de Metz, donna pour pasteur à cette église, Drogon son frère qui vivait sous la loi canonique, et trouva bon de l’élever au pontificat. Dans cette même assemblée on indiqua le temps et le lieu de la tenue de l’assemblée suivante, savoir le mois de novembre et le palais de Compiègne. Au moment où ces plaids finissaient et où, après avoir congédie les grands, l’empereur était sur le point de quitter Francfort, on lui apporta la nouvelle de la mort de Liudewit, qui, ayant laissé là les Sorabes, se rendit en Dalmatie chez Liudemuth, oncle du duc Bernard, demeura quelque temps chez lui, et périt par la perfidie de son hôte. Le bruit se répandit aussi que Théodore, primicier de la sainte Église romaine, et Léon son gendre, maître des cérémonies, avaient été d’abord privés de la vue, et ensuite décapités dans le palais pontifical de Latran, et cela parce qu’ils s’étaient montrés fidèles en toutes choses au jeune empereur Lothaire. Quelques gens prétendaient même que ces cruautés s’étaient commises par l’ordre, ou au moins de l’aveu du pape Pascal. Adalung, abbé du monastère de Saint-Vaast et Hunfroi, comte de la cour de justice impériale, furent chargés d’aller prendre des informations, et faire une enquête sévère à cet égard. Mais ils n’étaient pas encore partis que l’évêque Jean, et Benoît, archidiacre du Saint-Siège apostolique, ambassadeurs de Pascal, arrivèrent et supplièrent l’empereur de laver le pontife de l’accusation infime qui tendait à faire croire qu’il avait donné son consentement à la mort des hommes dont on a parlé plus haut. Louis leur répondit comme la raison l’exigeait, les congédia, et enjoignit à ses commissaires susdits d’aller à Rome, ainsi qu’il l’avait réglé d’abord, pour rechercher la vérité des faits. Quant à lui, il finit l’été dans le pays de Worms, passa ensuite dans les Ardennes, et après les chasses d’automne se rendit à Compiègne, comme il l’avait dit, au commencement de novembre. Ses commissaires arrivés à Rome ne purent acquérir aucune certitude sur ce qui s’y était passé ; car le pape Pascal se purgea par le serment, ainsi qu’un très grand nombre d’évêques, de toute participation à ce crime, défendit de tout son pouvoir, comme gens appartenant au clergé de Saint-Pierre, les meurtriers des personnages dont en a parlé, déclara ceux qui avaient été tués coupables de lèse-majesté, et affirma qu’ils avaient été mis à mort justement. A cette occasion donc il députa vers l’empereur, et fit suivre les commissaires envoyés par ce prince de l’évêque Jean, de Serge bibliothécaire, de Quirinus sous-diacre, et de Léon, maître de la milice. Lorsque Louis eut appris, tant par eux que par ses propres délégués, le serment du pontife et la justification de ceux qu’on accusait, persuadé qu’il n’y avait plus lieu pour lui à pousser davantage cette affaire, il renvoya l’évêque Jean et ses collègues au pape avec une réponse convenable. Vers le même temps Céadrag, prince des Obotrites, se montrant fidèle à ses promesses, vint à Compiègne, arec quelques-uns des principaux de sa nation, et offrit à l’empereur des excuses assez plausibles pour avoir différé cette démarche pendant tant d’années. Aussi, quoiqu’il parût coupable en certaines choses, par considération cependant pour les bons services des siens, il lui fut permis de retourner dans son royaume, non seulement quitte de toute peine, mais même comblé de présents. Hériold accourut aussi de Normandie, sollicitant des secours contre les fils de Godefroi, qui menaçaient de le chasser de sa patrie. Les comtes Théothaire et Rotmund furent envoyés vers ceux-ci pour informer avec soin sur cette affaire. Se hâtant de reconnaître à fond et la conduite des fils de Godefroi, et l’état général de tout le royaume des Normands, ils devancèrent le retour d’Hériold et mirent clairement sous les yeux de l’empereur tous les documents qu’ils avaient recueillis dans ces contrées. Avec eux revint Ebbon, archevêque de Reims, qui, de l’avis de l’empereur et avec l’autorisation du pontife romain, s’était rendu sur les frontières des Danois pour prêcher la religion, et avait, l’été précédent, baptisé beaucoup d’entre eux convertis à la foi. On raconte que certains prodiges se firent remarquer cette année. Les principaux furent un tremblement de terre qu’on ressentit dans le palais d’Aix, et une jeune fille, à peine âgée de douze ans, qui, dans le territoire de Toul et près de la ville de Commercy, s’abstint de toute nourriture pendant dix mois. En Saxe, dans un bourg appelé Firisaz [Freysachs], la foudre tomba en plein jour, par un temps serein, et le feu du ciel brûla vingt-trois maisons des champs ; dans plusieurs endroits la grêle détruisit tous les fruits de la terre, et avec cette grêle on vit tomber des pierres véritables et d’un grand poids. Les flammes d’en haut consumèrent aussi des maisons çà et là, et l’on rapporte encore que plus d’hommes et d’autres animaux que dans d’autres temps furent frappés du tonnerre. A ces fléaux succédèrent une peste affreuse et une grande mortalité qui, répandant leurs cruels ravages dans toute la France, enlevèrent par leurs fureurs une innombrable multitude de personnes de tout âge et de tout sexe. [824] Omortag, roi des Bulgares, envoya vers l’empereur des députés avec des lettres, sous le prétexte de conclure la paix. Louis, ayant entendu ces hommes et lu les dépêches qu’ils apportaient, fut justement étonné de la nouveauté du fait, et renvoya au susdit roi des Bulgares, avec ses propres messagers, un certain Machelme, Bavarois, pour s’enquérir avec soin de la véritable cause d’une ambassade si extraordinaire, et telle que jusqu’alors il n’en était jamais venu en France. Cependant l’hiver fut si long et si dur que non seulement des animaux, mais encore plusieurs hommes, périrent de la rigueur du froid. Il y eut une éclipse de lune le 5 mars, à la seconde heure de la nuit. On répandit, vers ce temps, le bruit de la mort de Suppon, duc de Spolète ; d’autre part, les députés du pontife romain le trouvèrent, à leur retour à Rome, attaqué d’une maladie grave, et déjà tout prés de sa fin : deux jours en effet après leur arrivée, ce pape sortit de cette vie [le 11 mai]. Le peuple s’étant partagé sur le choix de son successeur, deux sujets furent élus en même temps ; mais Eugène, alors archi-prêtre du titre de sainte Sabine, l’emporta par les efforts de sa noblesse, fut mis en leur place et consacré. Le sous-diacre Quirinus, qui faisait partie de la précédente députation, vint rendre compte de cette affaire à l’empereur. C’était le moment où l’assemblée générale de la nation, indiquée pour le 24 juin, se tenait à Compiègne, et où Louis se préparait à faire en personne une expédition en Bretagne. Ce prince envoya donc à Rome Lothaire, son fils et son associé à l’empire, pour le remplacer et régler sur des bases solides, entre le nouveau pontife et le peuple romain, tout ce que paraîtrait exiger la nécessité des circonstances. Le jeune prince se rendit en Italie vers le milieu d’août, pour exécuter cette commission. Mais l’empereur différa la course qu’il voulait faire en Bretagne jusqu’au commencement de l’automne, à cause de la famine qui se faisait alors sentir dans toute sa force. Ayant enfin réuni ses troupes de toutes parts, il se dirigea sur Rennes, cité contiguë aux frontières de la Bretagne. Là divisant son armée en trois corps, il en confia deux à ses fils, Pépin et Louis, se réserva la troisième, pénétra dans la Bretagne, et la ravagea par le fer et par le feu. Après avoir employé quarante jours et plus à cette expédition, et reçu les otages qu’il avait ordonné au perfide Breton de lui livrer, il partit le 17 novembre pour la ville de Rouen, où il avait prescrit à sa femme de l’attendre, et aux députés de l’empereur Michel de venir à sa rencontre. Avec eux se rendit auprès de lui Fortunat, patriarche de Grado ; mais les envoyés de Michel apportaient des présents et des lettres, se disant uniquement chargés de resserrer les liens de la paix, et ne parlèrent en rien de Fortunat ; cependant, tout en traitant les autres objets de leur mission, ils mirent en avant quelque chose du culte des images, et annoncèrent qu’ils devaient faire le voyage de Rome, pour consulter à cet égard le chef du siège apostolique. Louis, après les avoir entendus et congédiés avec sa réponse, ordonna de les conduire à Rome, où ils assuraient vouloir se rendre. Quant à Fortunat., le monarque s’étant informé de la cause de sa fuite, lui enjoignit de se rendre aussi à Rome, afin d’y être interrogé par le pape. Lui-même enfin partit pour Aix-la-Chapelle, où il avait résolu de passer l’hiver. Lorsqu’il y fut arrivé et y eut célébré les fêtes de la naissance de Notre-Seigneur, on lui rapporta que des ambassadeurs du roi des Bulgares étaient en Bavière. Envoyant à leur rencontre, il leur fit dire d’attendre dans ce pays le moment où il jugerait à propos de les recevoir ; mais en même temps il permit d’arriver jusqu’à Aix-la-Chapelle à ces députés qu’on lui disait venir vers lui de la part des Obotrites, vulgairement nommas Prédénécentins, et qui habitent la Dacie, province située le long du Danube, et limitrophe de la Bulgarie ; et comme ces peuples se plaignaient d’être injustement molestés par les Bulgares, et sollicitaient contre eux des secours, il fut enjoint à leurs envoyés de retourner chez eux et de se présenter au terme fixé pour entendre les ambassadeurs Bulgares. Suppon étant mort à Spolète, comme on l’a dit plus haut, son duché fut alors conféré à Adalhard, comte du palais, qu’on appelait Adalbard le jeune ; mais il jouissait de ce poste honorable depuis à peine cinq mois, qu’il fut pris de la fièvre et mourut. Mauring, comte de Brescia, qu’on lui donna pour successeur, tomba malade au moment où il venait de recevoir l’annonce de l’honneur qu’on lui déférait, et termina sa vie peu de jours après. Dans ce temps, les comtes Eble et Asinaire, envoyés avec des troupes gasconnes à Pampelune, et, rentrant en France après avoir rempli l’objet de leur mission, tombèrent dans une embuscade sur le sommet des Pyrénées, par la trahison des montagnards ; cernés de toutes parts, et faits prisonniers, ils virent les troupes qu’ils avaient avec eux mises en déroute, et presque entièrement massacrées. Un dirigea Eble sur Cordoue ; mais Asinaire obtint, de la pitié de ceux qui s’étaient emparés de lui et le considéraient comme un homme du même sang qu’eux, la permission de retourner chez lui. Cependant Lothaire, qui s’était rendu à Rome ainsi que lui avait commandé son père, fut reçu par le pape Eugène avec de grands honneurs. Ayant fait connaître ensuite à ce pontife les ordres dont il était porteur, il réforma si bien, avec le bienveillant assentiment d’Eugène, l’administration de l’État romain, corrompue par la perversité de certains chefs, que tous ceux qu’on avait cruellement ruinés, par le pillage de ce qu’ils possédaient, se virent magnifiquement indemnisés par la restitution de leurs biens, et la durent à la bonté de Dieu et à l’arrivée de ce prince. Cette année, peu de jours avant le solstice d’été, la température changea subitement ; un effroyable orage éclata sur le territoire d’Autun, et l’on raconte qu’avec la grêle tomba un énorme morceau de glace de quinze pieds de longueur, sept de largeur et onze d’épaisseur. [825] Après avoir célébré, avec la plus grande solennité, la sainte fête de Pâques à Aix-la-Chapelle, et dès que la saison du printemps commença de sourire à la terre, l’empereur alla chasser à Nimègue, et ordonna que les ambassadeurs Bulgares se rendissent vers le milieu de mai dans la première de ces deux villes, car il était résolu de retourner à cette époque pour tenir l’assemblée générale, dont, à son retour de Bretagne, il avait indiqué à ses grands la réunion pour ce moment et dans ce lieu. La chasse terminée, il revint en effet à Aix-la-Chapelle et donna audience à la députation de Bulgarie, dont la mission avait pour but de fixer les limites entre les Francs et les Bulgares. A l’assemblée dont il s’agit se trouvèrent presque tous les principaux de la Bretagne, et entre autres Wihomarch, qui avait troublé, par sa rébellion, tout son pays, provoqué par sa folle obstination la colère de l’empereur et attiré sur lui l’exécution militaire dont il a été parlé ; rendu enfin à des idées plus saines il ne balançait pas, disait-il, à venir se remettre au nombre des fidèles de l’empereur. Ce prince lui pardonna donc, le combla même de présents, et le laissa retourner chez lui avec les autres grands de sa nation ; mais, retombant dans la perfidie ordinaire à sa race, Wihomarch viola promptement, comme il était habitué à le faire, la foi qu’il avait jurée, et ne cessa de désoler ses voisins par le pillage et l’incendie jusqu’au moment où enfin il fut cerné et tué dans sa propre demeure par les hommes du comte Lambert. Cependant l’empereur, après avoir entendu l’ambassade de Bulgarie, répondit aux lettres du roi de ce pays par les envoyés même que ce prince avait chargés de les lui apporter. Ayant ensuite congédié l’assemblée de la nation, il alla chasser à Remiremont dans les Vosges et y vit son fils Lothaire qui vint l’y trouver à son retour d’Italie. La chasse finie, Louis reprit le chemin d’Aix-la-Chapelle et y tint au mois d’août, suivant l’usage consacré, l’assemblée générale de son peuple. Dans ce plaid, il reçut, entre autres députations arrivées des divers pays, celle qu’envoyaient de Normandie les fils de Godefroi, et fit ratifier, au mois d’octobre et sur leurs frontières même, la paix qu’ils lui demandaient. Toutes les affaires qui paraissaient de la compétence de cette assemblée une fois terminées, l’empereur se rendit à Nimègue avec son fils aîné ; le cadet Louis, il l’envoya en Bavière, et lui-même, après les chasses d’automne, revint à Aix-la-Chapelle vers le commencement de l’hiver. On assure que, dans le territoire de Toul et prés de Commercy, une certaine jeune fille d’environ douze ans, après avoir reçu, le jour de Pâques, la sainte communion de la main d’un prêtre, suivant la coutume des chrétiens, s’abstint d’abord de pain, ensuite de toute nourriture et de toute boisson, et poussa son jeûne si loin que, vers ce temps, s’accomplit la troisième année qu’elle avait passée sans faire entrer dans son corps le moindre aliment et sans même souhaiter aucune nourriture ; elle commença en effet son abstinence l’année de l’incarnation de Notre-Seigneur 823, comme on l’a dit plus haut dans l’histoire de cette même année, et c’est dans celle dont il s’agit actuellement, c’est-à-dire en 825, vers le commencement de novembre, que, mettant fin à son jeûne, elle se remit à prendre de la nourriture et à vivre à la manière du reste des mortels. [826] Lorsque les ambassadeurs du roi des Bulgares lui eurent rendu compte de ce qu’ils avaient fait, il envoya de nouveau à l’empereur, avec des lettres, le même homme qu’il lui avait député d’abord, suppliant ce prince d’ordonner que la démarcation des frontières fût fixée sans aucun retard, ou que si cela ne lui convenait pas, chacun au moins conservât ses limites actuelles, quoiqu’on n’eût conclu aucun traité de paix ; mais il se répandit que le roi des Bulgares avait été détrôné ou tué par un de ses grands. L’empereur différa donc de répondre à l’envoyé ; il lui enjoignit au contraire d’attendre, et dépêcha Bertheric, comte du palais, dans le pays des Carinthiens, vers les comtes Balderic et Gérold, préposés à la garde des frontières des Avares, avec mission de s’assurer de la vérité du bruit en question. Mais Bertheric, à son retour, n’ayant rien rapporté de certain sur ce que publiait la renommée, Louis appela près de lui le député, puis le fit repartir sans lettres. Cependant le roi Pépin, fils de l’empereur, se rendit, conformément à l’ordre qu’il en avait reçu, avec les grands de son royaume et les commandants de la frontière d’Espagne, vers le commencement de février, à Aix-la-Chapelle, où son père passait alors l’hiver. Lorsqu’on eut discuté de concert avec eux et arrêté les dispositions à faire pour défendre les frontières de l’Ouest contre les Sarrasins, Pépin retourna dans l’Aquitaine, où il demeura l’été suivant tout entier. Quant à Louis, quittant, dans le milieu de mai, Aix-la-Chapelle, il arriva vers le commencement de juin à Ingelheim, y tint une assemblée nationale assez nombreuse, entendit et congédia beaucoup de députations envoyées des diverses parties de la terre. La principale, et qui l’emportait sur toutes les autres, était celle dont le pontife romain avait chargé Léon, évêque de Civita-Vecchia, Théophylacte, maître des cérémonies, et Dominique, abbé du Mont-des-Oliviers des contrées au-delà des mers. Les fils de Godefroi, roi des Danois, députèrent aussi pour solliciter paix et alliance. Quelques-uns des principaux d’entre les Obotrites vinrent également du pays des Esclavons accuser leur duc Céadrag; on porta plainte encore contre Tunglon, l’un des chefs des Sorabes, de ce qu’il ne se montrait pas obéissant aux ordres qu’il recevait ; et il fut signifié aux deux inculpas que, s’ils ne se rendaient de bonne heure à l’assemblée générale que tiendrait l’empereur au mois d’octobre, ils porteraient la peine due à leur peu de foi. On vit de plus à ce plaid quelques-uns des grands de Bretagne amenés par les commandants de cette frontière. Vers ce même temps, arriva Hériold avec sa femme et un grand nombre de ses Danois. Il fut baptisé dans l’église de Saint-Albin, à Mayence, avec tous ceux qui l’accompagnaient ; puis, comblé de présents par Louis, entreprenant le chemin par lequel il était venu, il retourna chez lui par la Frise, où on lui donna un comté appelé Rhiustri, afin qu’il pût s’y retirer avec ce qu’il possédait, si quelque nécessité l’y contraignait. A cette même assemblée, assistèrent Balderic et Gérold, comte des frontières de Pannonie, qui déclarèrent n’avoir pu parvenir encore à rien savoir des mouvements des Bulgares contre nous. Avec Balderic était venu un certain prêtre de Venise, nommé George, qui se disait en état de fabriquer un orgue. L’empereur l’envoya à Aix-la-Chapelle avec le sacristain Thanculf, et ordonna de lui fournir tous les objets nécessaires à la confection de cet instrument. La prochaine assemblée générale ayant été fixée et annoncée pour le milieu d’octobre, et toutes les autres affaires étant terminées suivant l’ancienne coutume, Louis se rendit avec sa suite, par-delà le Rhin, à une maison de campagne nommée Selz. Là lui arrivèrent, de la part des Napolitains, des députés qui repartirent dès qu’ils eurent reçu sa réponse. Là aussi on lui apporta la nouvelle de la fuite et de la perfidie d’Aizon, qui, entré dans Ausone par trahison, et accueilli des habitants séduits par ses artifices, avait détruit la cité de Roda, approvisionné les châteaux de cette contrée qui paraissaient les plus forts, envoyé son frère auprès d’Abdérame, roi des Sarrasins, et reçu de ce prince les secours qu’il sollicitait contre nous. L’empereur, quoique vivement affecté de ces détails, mais ne voulant rien faire sans une mûre réflexion, résolut d’attendre l’époque de la réunion de ses conseillers. Après les chasses d’automne, il s’embarqua vers le commencement d’octobre sur le Mein, et se rendit heureusement par ce fleuve à Francfort ; de là il arriva vers le milieu du même mois à Ingelheim où il tint, comme il avait été arrêté, l’assemblée générale de son peuple. Il y donna audience à Céadrag, duc des Obotrites, et à Tunglon, qui tous deux étaient accusés près lui de trahison. Ayant consenti à recevoir le fils de Tunglon comme otage de sa fidélité, il permit à celui-ci de retourner chez lui : mais pour Céadrag, il le retint, congédia tous les autres Obotrites, et envoya dans leur pays des commissaires chargés de rechercher si la masse de la nation voulait que Céadrag régnât sur elle. Cela fait, Louis partit pour Aix-la-Chapelle, où il avait résolu de passer l’hiver. Comme les commissaires envoyés chez les Obotrites rapportèrent, à leur retour, que la nation était partagée sur la question de reprendre leur roi, mais que les plus grands et les plus considérables s’accordaient à le recevoir, Louis reçut de Céadrag les otages qu’il avait exigés, et le fit rétablir dans ses États. Pendant que ces choses se passaient, Hilduin, abbé de Saint-Denis martyr, envoya chercher à Rome les os du bienheureux martyr du Christ Sébastien, qu’Eugène, chef alors du Saint-Siège apostolique, avait accordés à ses prières, et les fit placer à Soissons dans la basilique de Saint Médard. Tandis que ces reliques, toujours renfermées dans le coffre où on les avait apportées, n’étaient encore que déposées dans cette église auprès du tombeau de saint Médard, il éclata une telle multitude de miracles et de prodiges, et la bonté divine manifesta tellement sa toute-puissance par les guérisons de tous genres opérées au nom de ce bienheureux martyr, que nul mortel ne pourrait se faire une idée du nombre de ces miracles, et que les paroles ne suffiraient pas à en exprimer la variété. Quelques-uns même frappèrent, dit-on, d’un tel étonnement, qu’ils passeraient les bornes de la croyance permise à notre faible humanité, s’il n’était certain que Notre-Seigneur Jésus-Christ, pour qui ce saint martyr avait souffert, peut faire tout ce qu’il lui plaît par l’intervention de cette puissance divine, à laquelle tout créature est soumise dans le ciel et sur la terre. [827] L’empereur chargea, l’année suivante, Hélisachar, prêtre et abbé, ainsi que les comtes Hildebrand et Donat, d’aller réprimer les mouvements de rébellion qui troublaient les Marches d’Espagne. Avant leur arrivée, Aizon, fort de l’appui des Sarrasins, attaqua fréquemment les gens préposés à la garde de cette frontière, et les fatigua tellement par de continuelles incursions, que plusieurs d’entre eux se retirèrent, et abandonnèrent les châteaux qu’ils devaient défendre. Un fils de Béra, nommé Hillemund, et beaucoup d’autres que la légèreté naturelle à leur nation entraînait à l’amour des nouveautés, désertèrent nos drapeaux pour les siens, et réunis aux Sarrasins, désolaient journellement par le pillage et l’incendie la Cerdagne et le Vallais espagnol. Pendant que d’une part l’abbé Hélisachar, de concert avec les autres délégués de l’empereur, prenait, et par l’effet de sa propre sagesse et par les conseils de ses collègues, les meilleures mesures pour calmer et ramener au devoir les esprits des Goths et des Espagnols de cette frontière, et que de l’autre Bernard, comte de Barcelone, opposait une courageuse résistance aux piéges d’Aizon, à la ruse et aux machinations frauduleuses de ceux qui avaient embrassé son parti, et rendait vains leurs téméraires efforts, il se répandit qu’une armée envoyée par Abdérame, roi des Sarrasins, au secours d’Aizon, s’approchait du côté de Saragosse. Abumarvan, parent du roi, qui lui avait confié le commandement de ces troupes, se promettait, sur la parole d’Aizon, une victoire certaine. L’empereur avait chargé Pépin son fils de marcher contre lui à la tête d’une immense armée de Francs, et enjoint à ce jeune prince de mettre à l’abri de tout danger les frontières de son propre royaume. Cet ordre eût été exécuté si, par suite de la négligente lenteur des ducs qui commandaient les divers corps des Francs, les troupes qu’ils amenaient ne fussent arrivées dans les Marches d’Espagne plus tard que la nécessité des circonstances ne le demandait. Ce retard fut si nuisible qu’Abumarvan, après avoir ravagé les campagnes de Barcelone et de Gironne, brûlé les métairies et pillé tout ce qu’il avait trouvé hors des murs des villes, se retira dans Saragosse avec son armée sans qu’elle eût éprouvé la moindre perte. On regarda comme des présages de ce revers des armées qui on aperçut plusieurs fois dans le ciel, et la chute toujours si terrible de feux nocturnes à travers les airs. Cependant Louis avait tenu deux assemblées nationales, l’une à Nimègue, nécessitée par la perfidie dont Herric, fils de Godefroi, roi des Danois, s’était rendu coupable en faussant la promesse par laquelle il s’était engagé à comparaître dans cette ville, en présence de l’empereur ; l’autre à Compiègne, pour recevoir les dons annuels, et prescrire à ceux qu’on envoyait dans les Marches Espagnoles ce qu’ils avaient à faire, et quelle conduite ils devaient tenir. Lui-même ensuite partagea son temps entre Compiègne, Quiersy, et les autres palais voisins de ceux-ci, jusqu’au commencement de la saison d’hiver. Pendant ce temps-là, les rois des Danois, c’est-à-dire les fils de Godefroi, excluant Hériold de toute association au royaume, le forcèrent à s’éloigner des frontières des Normands ; d’un autre côté les Bulgares, envoyant une armée navale par la Drave, portèrent le fer et le feu dans le territoire des Esclavons établis en Pannonie, chassèrent leurs ducs, et leur imposèrent des chefs Bulgares. Dans le mois d’août mourut le pape Eugène ; le diacre Valentin élu et consacré en sa place par les Romains, jouit à peine un mois du pontificat ; lui mort, on élut Grégoire prêtre du titre de saint Marc ; mais on ne le fit consacrer qu’après qu’un commissaire de l’empereur fut venu à Rome, et eut examiné la validité de l’élection faite en septembre par le peuple. Des députés de Michel, empereur de Constantinople, vinrent à Compiègne avec la mission apparente de resserrer les liens d’amitié entre les deux nations ; Louis les accueillit avec bienveillance, puis les congédia dans le courant d’octobre. Enfin les corps des bienheureux martyrs Marcellin et Pierre furent apportés de Rome en France, où les vertus de ces saintes reliques se manifestèrent avec éclat, et par une foule de prodiges. [828] L’assemblée d’Aix-la-Chapelle se tint au mois de février suivant; entre beaucoup d’autres affaires, on traita spécialement tout ce qui regardait les Marches d’Espagne ; les hommes qui avaient commandé l’armée furent reconnus coupables et punis, comme ils le méritaient, par la perte de leurs dignités. on dépouilla également de ses honneurs Balderic, duc de Frioul, qui, par une lâche indolence, avait laissé les Bulgares dévaster impunément les frontières de la Pannonie, et l’on partagea entre quatre comtes le territoire qui lui était confié. Halitcaire, évêque de Cambrai, et Ansfried, abbé du monastère de Nonentola, envoyés à Constantinople, y furent honorablement traités par l’empereur Michel. Louis vint dans le mois de juin à Ingelheim, et y tint un plaid qui ne dura que quelques jours. Il y prit la détermination de faire partir ses fils Lothaire et Pépin pour les Marches d’Espagne, et leur traça la conduite qu’ils avaient à tenir ; il entendit et congédia Quirinus primicier et Théophylacte maître des cérémonies, députés du pontife romain, qui étaient venus le trouver dans ce lieu ; puis il partit pour Francfort. Après y avoir séjourné quelque temps, il se rendit à Worms, et de là continua sa route pour Thionville, d’où il dirigea son fils Lothaire, avec une grande armée de Francs, sur la frontière d’Espagne. Celui-ci, arrivé à Lyon, s’y arrêta pour se donner le temps de recevoir des nouvelles qui lui confirmassent l’approche des Sarrasins. Pendant cette attente, il eut des conférences avec son frère Pépin, et quand on sut enfin que les Sarrasins n’osaient pas, ou ne voulaient pas se présenter sur la frontière, Pépin reprit le chemin de l’Aquitaine, et Lothaire retourna vers son père à Aix-la-Chapelle. Cependant comme on allait s’occuper, sur la frontière des Normands, tant de renouveler l’alliance entre ces peuples et les Francs que de statuer sur les intérêts d’Hériold, et lorsque déjà presque tous les comtes de la Saxe s’étaient réunis à cet effet avec les commandants des Marches, Hériold, trop empressé de hâter la conclusion de cette affaire, rompit la paix jurée et garantie par des otages, pilla et incendia quelques métairies des Normands. A cette nouvelle les fils de Godefroi rassemblent promptement des troupes, marchent sur la frontière, passent le fleuve de l’Eyder, tombent sur les nôtres qui, campés sur la rive, ne s’attendaient pas à une telle attaque, emportent les retranchements, forcent nos gens à la fuite, mettent tout au pillage, et se retirent dans leur camp avec toute leur armée. Ensuite, avisant aux moyens de détourner la vengeance d’une telle action, ils envoyèrent une députation à l’empereur, pour lui représenter que c’était bien malgré eux et uniquement contraints par la nécessité qu’ils s’étaient portés à cette extrémité ; qu’au surplus, ils étaient prêts à fournir toutes les satisfactions possibles, et s’en remettaient à la volonté de l’empereur de la réparation qu’il exigerait, pour que d’ailleurs la paix demeurât stable entre les deux nations. Vers ce temps, le comte Boniface, à qui était confiée la garde de l’île de Corsé, ayant pris avec lui son frère Berchaire et certains autres comtes, partit de la Toscane avec une petite flotte, et croisa autour de la Corse et de la Sardaigne ; comme il n’aperçut en mer aucun pirate, il passa en Afrique, débarqua entre Utique et Carthage, rencontra une innombrable multitude d’habitants qui s’étaient rassemblés subitement, en vint aux mains avec eux, les dispersa et les mit en fuite cinq fois et plus, puis regagna ses vaisseaux, après avoir couché par terre un grand nombre d’Africains, perdu par sa témérité quelques-uns des siens, et imprimé par cette expédition une grande frayeur dans l’âme des gens du pays. Au commencement de juin, et à la petite pointe du jour, la lune s’éclipsa au moment de son coucher ; elle s’obscurcit de même au milieu de la nuit, le 25 décembre, c’est-à-dire le jour de la nativité de Notre-Seigneur. L’empereur arriva vers la fête de la Saint-Martin, à Aix-la-Chapelle, pour y séjourner l’hiver, et y employa tout le temps de cette saison en diverses assemblées convoquées pour régler les affaires urgentes du royaume. [829] Quand l’hiver fut à peu près fini, dans le temps même du jeûne du carême, et peu de jours avant la sainte Pâques, un tremblement de terre se fit sentir pendant la nuit à Aix-la-Chapelle ; en même temps s’éleva un vent si impétueux qu’il enleva les toits, non seulement des maisons des petites gens, mais même d’une bonne partie de la basilique de la sainte mère de Dieu, qu’on nomme la Chapelle, quoiqu’elle fût recouverte de lames de plomb. Louis, que diverses occupations avaient retenu à Aix-la-Chapelle jusqu’au commencement de juillet, résolut enfin de partir dans le mois d’août avec sa suite pour l’assemblée générale qui devait se tenir à Worms. Mais avant qu’il se fût mis en route, il reçut la nouvelle que les Normands voulaient envahir la partie de la Saxe au-delà de l’Elbe, et que dans ce dessein leur armée s’approchait déjà de nos frontières. Fortement troublé de ce rapport, il envoya dans toutes les contrées de la France l’ordre que le peuple en masse marchât vers la Saxe en toute hâte, et il annonça que, de sa personne, il passerait le Rhin à Nuitz dans le milieu de juillet. Cependant aussitôt qu’il eut appris que le bruit répandu sur l’invasion des Normands n’avait aucun fondement, il se rendit à Worms vers le milieu d’août, comme il s’y était décidé. Là il tint l’assemblée générale de la nation, reçut les dons annuels qui lui furent offerts, entendit et congédia plusieurs députations venues tant de Rome et de Bénévent que d’autres pays éloignés. L’assemblée finie, il envoya son fils Lothaire en Italie, et nomma chambellan du palais Bernard, comte de Barcelone, qui jusqu’alors avait commandé dans les Marches d’Espagne. Après que les autres affaires, qui paraissaient de la compétence de l’assemblée, furent aussi préparées ou terminées comme il le fallait, et que chacun eut été renvoyé chez soi, l’empereur se rendit à sa maison de Francfort pour les chasses d’automne. Lorsqu’elles furent achevées, il retourna passer l’hiver à Aix-la-Chapelle, et y célébra avec de grands transports de joie la fête de Saint-Martin, celle du bienheureux apôtre André et le très saint jour de la nativité de Notre-Seigneur. FIN DES ANNALES D’ÉGINHARD