[12,0] LIVRE DOUZIÈME. SOMMAIRE. Expédition des Athéniens contre Cypre. - Les Mégariens se détachent de l'alliance des Athéniens. - Bataille livrée à Coronée entre les Athéniens et les Béotiens. - Expédition des Athéniens contre l'Eubée. - Guerre des Syracusains contre les Agrigentins. - Fondation de Thurium en Italie; dissensions civiles. - Charondas de Thurium, choisi pour législateur, devient le bienfaiteur de sa patrie. - Zaleucus, législateur des Locriens, s'acquiert une grande réputation. - Les Athéniens chassent les Hestiéens et envoient eux-mêmes une colonie. - Guerre entre les Thuriens et les Tarentins. - Troubles à Rome. - Guerre entre les Samiens et les Milésiens. - Les Syracusains marchent contre les Picéniens et détruisent la ville. - En Grèce s'allume la guerre corinthienne. - Apparition des Campaniens en Italie. - Combat naval entre les Corinthiens et les Corcyréens. - Potidée et les Chalcidiens abandonnent l'alliance des Athéniens. - Expédition des Athéniens contre les Potidéates. - Troubles à Thurium. - Méton l'Athénien découvre la période de dix-neuf ans. - Les Tarentins fondent Héraclée en Italie. - Spurius Manlius est mis à mort pour avoir aspiré à la tyrannie. - Guerre dite du Péloponnèse. - Bataille des Béotiens à Platée. - Au siège de Méthone, Brasidas s'illustre par sa bravoure. - Expédition des Athéniens contre les Locriens ; destruction de Thurium. - Les AEginètes se révoltent contre les Athéniens et se transportent à Thyrée. - Les Lacédémoniens envahissent l'Attique et détruisent les propriétés rurales. - Seconde expédition des Athéniens contre les Potidéates. - Expédition des Lacédémoniens en Acarnanie; combat naval des Athéniens. - Expédition de Sitalcès en Macédoine; invasion des Lacédémoniens dans l'Attique. - Députation des Léontins à Athènes; éloquence de Gorgias, chef de la députation. - Guerre entre les Léontins et les Syracusains. - Les Lesbiens se détachent de l'alliance des Athéniens; prise et destruction de Platée par les Lacédémoniens. - Dissensions intestines de Corcyréens. - Les Athéniens sont décimés par la peste. - Les Lacédémoniens fondent la ville d'Héraclée dans la Trachinie. - Les Athéniens font périr un grand nombre d'Ambraciotes, et en dépeuplent la ville. - Prisonniers lacédémoniens dans l'lle de Sphactérie. - Châtiment que Posthumius inflige à son fils pour avoir quitté les rangs. - Guerre entre les Lacédémoniens et les Athéniens â propos des Mégariens. - Guerre des Lacédémoniens et des Athéniens au sujet des Chalcidiens. - Les Athéniens se battent, en Béotie, contre les Béotiens. - Expédition des Athéniens contre les exilés à Lesbos. - Les Déliens sont chassés par les Athéniens. - Prise et destruction de Torone par les Athéniens. - Les Athéniens et les Lacédémoniens concluent un traité d'alliance, et s'aliènent les autres villes. - Les Déliens sont réintégrés dans leur patrie par les Athéniens. - Les Lacédémoniens font la guerre aux Mantinéens et aux Argiens. - Expédition des Byzantins et des Chalcédoniens contre la Bithynie. - Motifs de l'expédition des Athéniens contre Syracuse. [12,1] On sera, avec raison, embarrassé de juger sainement des vicissitudes de la vie humaine. En effet, aucune des choses qu'on regarde comme des biens n'est accordée aux hommes intégralement par le sort, de même que les maux ne sont pas absolument sans quelque utilité. Il sera permis d'acquérir des preuves à l'appui de cette vérité, en appliquant notre intelligence aux faits qui sont arrivés avant notre époque, et surtout aux événements les plus importants. Ainsi, l'expédition de Xerxès, roi des Perses, contre la Grèce, avait, en raison des forces immenses déployées par l'ennemi, inspiré aux Grecs la plus grande terreur; car il s'agissait de combattre pour la liberté qu'ils étaient menacés de perdre, et tous redoutaient pour les villes de la Grèce le sort que venaient d'éprouver les villes grecques de l'Asie. La guerre eut cependant une fin inespérée : les habitants de la Grèce furent non seulement délivrés des dangers qu'ils craignaient, mais encore ils s'acquirent une grande gloire, et chaque ville de la Grèce parvint à un tel degré de prospérité, que tout le monde admira un changement de fortune si inopiné. A partir de cette époque, la prospérité de la Grèce allait en s'accroissant pendant l'espace de cinquante ans. Dans tout cet intervalle, les arts se développèrent en raison de la richesse, et les plus grands artistes dont l'histoire fasse mention se produisirent; au nombre de ces artistes se trouve Phidias, le sculpteur. L'enseignement fit aussi de grands progrès ; la philo.ophie et la rhétorique furent de préférence en honneur, chez tous les Grecs, mais particulièrement chez les Athéniens. Parmi les philosophes, il faut citer Socrate, Platon et Aristote; parmi les orateurs, Périclès, Isocrate et ses disciples. Il y eut aussi des hommes dans l'art militaire; on pourrait nommer Miltiade, Thémistocle, Aristide, Cimon, Myronide et plusieurs autres, sur lesquels il serait trop long de nous arrêter. [12,2] Principalement les Athéniens, dont la puissance s'était accrue par la gloire et le courage guerrier, devinrent célèbres presque dans tout l'univers. Leur puissance devint si grande que, sans le secours des Lacédémoniens et des Péloponnésiens, et avec leurs propres ressources, les Athéniens combattirent par terre et par mer les armées nombreuses des Perses, et abaissèrent tellement ce fameux empire des Perses, qu'ils le forcèrent à reconnaître formellement la liberté de toutes les villes grecques de l'Asie; mais nous avons parlé de tout cela avec détail dans les deux livres précédents. Nous allons maintenant reprendre le fil de notre narration, en indiquant exactement les époques. Dans le livre qui précède, notre récit va depuis le commencement de l'expédition de Xerxès jusqu'à l'année qui précède l'expédition des Athéniens contre Cypre, sous la conduite de Cimon. Dans le présent livre, notre récit s'étendra depuis cette expédition jusqu'à la guerre que les Athéniens décrétèrent contre les Syracusains. [12,3] Euthydème étant archonte d'Athènes, les Romains nommèrent consuls Lucius Quintius Cincinnatus et Marcus Fabius Vibulanus. Dans cette année, les Athéniens, qui avaient aidé les Égyptiens à combattre les Perses, perdirent tous leurs navires dans l'île de Prosopitis; mais, après un court intervalle de repos, ils résolurent de faire la guerre aux Perses, à l'occasion des Grecs de l'Asie. Ils équipèrent donc une flotte de deux cents trirèmes, et ordonnèrent à Cimon, fils de Miltiade, nommé au commandement de cette flotte, de faire voile pour l'île de Cypre, et d'attaquer les Perses. Conformément à cet ordre, Cimon se porta sur l'île de Cypre avec une flotte bien équipée et munie de tout ce qui est nécessaire à la guerre. A cette époque, Artabaze et Mégabyze commandaient les troupes des Perses. Artabaze, revêtu du commandement en chef, stationnait dans les eaux de Cypre, avec trois cents trirèmes. Mégabyze avait établi son camp en Cilicie, et avait sous ses ordres trois cent mille hommes d'infanterie. Cependant Cimon, qui avait atteint l'île de Cypre, était maître de la mer; il assiégea Citium et Malum, et traita les vaincus avec générosité. Averti ensuite de l'approche des trirèmes qui arrivaient de la Cilicie et de la Phénicie, au secours de l'île, Cimon alla les attaquer dans la haute mer. Il coula à fond un grand nombre de ces bâtiments, en prit une centaine avec tout leur équipage, et poursuivit le reste jusqu'à la Phénicie. Les Perses, sauvés sur les débris de leur flotte, parvinrent à se réfugier à terre dans le même endroit où Mégabyze était campé avec son armée. Mais les Athéniens s'étant approchés de la côte, débarquèrent leurs soldats et livrèrent un combat dans lequel Anaxicrate, l'un des chefs de l'armée, périt héroïquement, après s'être défendu avec éclat. Les Athéniens furent vainqueurs dans ce combat; après avoir tué un grand nombre d'ennemis, ils remontèrent sur leurs bâtiments et rentrèrent dans les eaux de Cypre. Tels sont les événements arrivés dans la première année de cette guerre. [12,4] Pédiée étant archonte d'Athènes, les Romains nommèrent consuls Marcus Valérius Lactuca et Spurius Virginius Tricostus. Dans le cours de cette année, Cimon, général des Athéniens et maître de la mer, soumit les villes de l'île de Cypre. Salamine avait dans ses murs une garnison considérable de Perses, et la ville était remplie d'armes de toute espèce, de provisions de bouche et d'autres munitions. Cimon jugea conforme à ses intérêts d'en faire le siège; car il était convaincu qu'il se rendrait ensuite facilement maître de presque toute l'île de Cypre et qu'il frapperait de terreur les Perses qui, dans leur impuissance à secourir les Salaminiens (parce que les Athéniens étaient maîtres de la mer), deviendraient un objet de mépris pour leurs alliés ainsi abandonnés; qu'enfin, la soumission complète de Cypre déciderait de toute la guerre. C'est ce qui arriva. Les Athéniens firent le siége de Salamine et lui livrèrent journellement des assauts. La garnison de la ville, bien pourvue d'armes et de munitions, repoussa facilement les assaillants des murs. Informé des échecs que les Perses avaient éprouvés dans les parages de Cypre, et après avoir pris consëil de ses amis, le roi Artaxerxès jugea prudent de conclure la paix avec les Grecs. En conséquence, il écrivit à ses commandants et à ses satrapes réunis autour de Cypre de traiter avec les Grecs aux meilleures conditions possibles. Artabaze et Mégabyze envoyèrent donc à Athènes des députés chargés de négocier la paix. Les Athéniens accueillirent les propositions qu'on leur fit, et dépêchèrent, à leur tour, des envoyés plénipotentiaires à la tête desquels se trouva Caillas, fils d'Hipponicus. La paix fut conclue entre les Athéniens, y compris leurs alliés, et entre les Perses, aux conditions suivantes : Toutes les villes grecques de l'Asie se gouverneront d'après leurs propres lois; les satrapes perses ne descendront pas avec leurs troupes à plus de trois journées de marche vers les côtes de la mer, et aucun de leurs vaisseaux longs ne naviguera entre le Phasélis et les Cyanées. Ces conditions ayant été acceptées par le roi et ses généraux, les Athéniens s'engagèrent de leur côté à ne point porter les armes dans le pays soumis au roi Artaxerxès. Après la ratification de ce traité, les Athéniens retirèrent leurs troupes de l'île de Cypre : ils avaient remporté une victoire éclatante et signé la paix la plus glorieuse. Cimon mourut de maladie pendant qu'il stationnait dans les eaux de Cypre. [12,5] Philiscus étant archonte d'Athènes, les Romains élurent pour consuls Titus Romilius Vaticanus et Caïus Véturius Cichorius, et les Eliens célébrèrent la LXXXIIIe olympiade, où Crison d'Himère fut vainqueur à la course du stade. Dans le cours de cette année, les Mégariens se détachèrent des Athéniens et firent alliance avec les Lacédémoniens. Irrités de cette défection, les Athéniens envahirent le territoire de Mégare, détruisirent les récoltes et firent beaucoup de butin. Cependant les habitants de la ville vinrent au secours de la campagne; il se livra un combat dans lequel les Athéniens furent victorieux et poursuivirent les Mégariens jusqu'en dedans des murs de leur ville. [12,6] Timarchide étant archonte d'Athènes, les Romains nommèrent consuls Spurius Tarpéius et Aulus Astérius Fontinius. Dans cette année, les Lacédémoniens envahirent l'Attique, ravagèrent une grande partie de la campagne, et, après avoir assiégé quelques places fortes, rentrèrent dans le Péloponnèse. Tolmide, général des Athéniens, prit Chéronée. Les Béotiens se tournèrent contre lui avec leurs forces réunies; ils firent tomber Tolmide dans un piége et lui livrèrent, près de Coronée, une bataille sanglante : Tolmide y périt en combattant, les Athéniens furent en partie massacrés, en partie faits prisonniers. Après ce désastre, les Athéniens furent forcés, pour racheter leurs prisonniers, de laisser toutes les villes de la Béotie libres de se gouverner d'après leurs propres lois. [12,7] Callimaque étant archonte d'Athènes, les Romains élurent pour consuls Sextus Quintius Trigeminus et - - -. Dans cette année, la puissance d'Athènes s'affaiblit en Grèce : à la suite de la défaite à Chéronée en Béotie, un grand nombre de villes désertèrent l'alliance des Athéniens; on remarqua surtout la défection des habitants de l'Eubée. Périclès fut nommé chef de l'expédition dirigée contre l'Eubée. Il se mit en marche avec une armée considérable, prit d'assaut la ville des Hestiéens, en fit émigrer tous les habitants, et ayant ainsi intimidé toutes les autres cités, il remit le pays sous l'obéissance des Athéniens. On conclut une trêve de trente ans; cette trêve fut négociée et ratifiée par Callias et Charès. [12,8] En Sicile, la guerre s'alluma entre les Syracusains et les Agrigentins. En voici les motifs. Les Syracusains avaient dompté par les armes Ducétius, souverain des Sicules; ils lui avaient accordé le pardon que lui-même était venu implorer, et lui avaient assigné pour demeure la ville de Corinthe. Après un court séjour à Corinthe, Ducétius rompit le traité, et sous prétexte d'obéir à un oracle, qui lui aurait ordonné de fonder Caléacté en Sicile, il revint dans l'île accompagné de nombreux colons; il se joignit à sa troupe quelques Sicules, parmi lesquels se trouvait Archonide, chef des Erbitéens. Ducétius était occupé de la fondation de Caléacté, lorsque les Agrigentins, jaloux des Syracusains, et leur faisant un crime d'avoir sauvé, sans leur agrément, Ducétius, leur ennemi commun, déclarèrent la guerre aux Syracusains. Les villes de la Sicile se partagèrent : les unes embrassèrent le parti des Agrigentins, les autres celui des Syracusains; de part et d'autre des armées considérables furent mises sur pied. Une grande rivalité ayant ainsi éclaté parmi les villes siciliennes, les deux partis adverses se trouvèrent en présence sur les bords du fleuve Himère. Une bataille s'engagea; les Syracusains furent victorieux et tuèrent plus de mille Agrigentins. Après cette bataille, les Agrigentins envoyèrent des députés pour négocier la paix, que les Syracusains leur accordèrent. [12,9] Tel était l'état des choses en Sicile. En Italie, il fut alors fondé la ville de Thurium. Voici l'origine de cette fondation. Antérieurement à cette époque, des Grecs avaient fondé en Italie la ville de Sybaris. Grâce à la fertilité du sol, cette ville avait pris un rapide accroissement; elle était située au confluent de deux rivières, le Crathis et le Sybaris (ce dernier a laissé son nom à la ville). Les colons, occupant un territoire vaste et fertile, acquirent de grandes richesses; ils accordèrent le droit de cité à beaucoup d'étrangers, et par leur développement rapide ils passèrent pour bien plus puissants que les autres habitants de l'Italie; enfin leur population avait pris un tel accroissement que leur ville comptait trois cent mille citoyens. Il y eut alors à Sybaris un démagogue, nommé Télys; il se rendit l'accusateur des hommes les plus considérés, et, par ses discours, il amena les Sybarites à condamner à l'exil cinq cents citoyens des plus opulents et à confisquer leurs biens. Les bannis se réfugièrent à Crotone et vinrent sur la place publique embrasser les autels en suppliants. Télys envoya aussitôt des députés chargés d'exiger des Crotoniates l'extradition des bannis, ou, en cas de refus, de leur déclarer la guerre. L'assemblée se réunit pour délibérer s'il fallait livrer aux Sybarites les Italiotes, ou soutenir la guerre contre un ennemi plus puissant. Le sénat et le peuple hésitèrent sur le parti à prendre; déjà la majorité, voulant éviter la guerre, allait voter l'extradition des suppliants, lorsque le philosophe Pythagore conseilla de sauver ces malheureux et entraîna les suffrages; la guerre fut décidée pour le salut des suppliants. Les Sybarites mirent en campagne trois cent mille hommes, les Crotoniates ne leur en opposèrent que cent mille, sous le commandement de Milon l'athlète qui, grâce à sa force extraordinaire, mit le premier en fuite les rangs opposés. Cet homme avait été six fois vainqueur aux jeux olympiques, et sa force était proportionnée à sa taille. On dit qu'il marcha au combat, la tête couronnée comme les vainqueurs aux jeux olympiques, et portant, comme Hercule, une peau de lion et une massue. Il décida la victoire et fut un objet d'admiration auprès de ses concitoyens. [12,10] Les Crotoniates étaient si exaspérés, qu'ils ne voulaient faire aucun prisonnier; ils tuèrent tous les fuyards qu'ils pouvaient atteindre; ils firent un grand massacre, pillèrent la ville de Sybaris et la dépeuplèrent complètement. Cinquante-huit ans après, quelques Thessaliens la reconstruisirent; mais déjà cinq ans après cette seconde fondation, ils en furent à leur tour chassés par les Crotoniates. A l'époque à laquelle nous touchons, sous l'archontat de Callimaque, la ville de Sybaris fut encore une fois relevée et transportée peu de temps après dans un autre emplacement; en même temps ses fondateurs, Lampon et Xénocrite, lui donnèrent un autre nom, ainsi qu'on va le voir. Les Sybarites, expulsés une seconde fois de leur patrie, envoyèrent en Grèce des députés pour prier les Lacédémoniens et les Athéniens de les aider à rentrer dans leur pays et de prendre part à leur colonie. Les Lacédémoniens s'y refusèrent; mais les Athéniens décrétèrent des secours : ils équipèrent dix navires et les envoyèrent aux Sybarites, sous le commandement de Lampon et de Xénocrite; ils firent proclamer par des hérauts, dans toutes les villes du Péloponnèse, que chacun serait libre de faire partie de cette colonie. Beaucoup de monde se rendit à cet appel. L'oracle d'Apollon, qu'on avait consulté, répondit qu'il fallait fonder une ville dans un endroit où l'on devait boire de l'eau avec mesure, et où l'on pouvait manger sans mesure. Débarqués en Italie, les nouveaux colons se rendirent à Sybaris, et cherchèrent l'emplacement que le dieu leur avait désigné. Ils trouvèrent, non loin de Sybaris, une source appelée Thuria : elle s'écoulait par un tuyau d'airain, que les indigènes nommaient un "médimne". Ce fut là le lieu qu'ils crurent avoir été indiqué par l'oracle. Ils l'entourèrent donc d'un mur et construisirent une ville qu'ils appelèrent Thurium, du nom de la source. Ils firent traverser cette ville, dans le sens de sa longueur, par quatre rues principales, appelées les rues d'Hercule, de Vénus, de l'Olympien et de Bacchus. Dans le sens de sa largeur, elle fut divisée par trois rues, appelées Héroa, Thuria et Thurina. Dans les quartiers circonscrits par ces rues, on éleva des maisons, et la ville eut une belle apparence. [12,11] Après avoir vécu très peu de temps dans la concorde, les Thuriens tombèrent dans de graves dissensions, pour un motif assez légitime. Les Sybarites, débris de l'ancienne population, s'arrogèrent les principales magistratures et ne laissèrent que des fonctions peu importantes à ceux qui avaient obtenu plus récemment le droit de cité. Ils prétendaient aussi que, dans les sacrifices, les femmes des citoyens primitifs occupassent le premier rang. et que les autres ne vinssent qu'après. De plus, dans le partage des terres, ils s'étaient attribué les propriétés les plus voisines de la ville et n'avaient donné aux derniers venus que les propriétés plus éloignées. Toutes ces prétentions firent naître une grave discorde. Les nouveaux citoyens, plus nombreux et plus braves, tuèrent presque tous les anciens Sybarites et prirent possession de toute la ville. Comme le territoire qu'ils occupaient était étendu et beau, ils firent venir de la Grèce nombre de colons auxquels ils distribuèrent les quartiers de la ville et les terres des environs. Cette colonie s'enrichit promptement, fit un traité d'alliance avec les Crotoniates, et fut bien gouvernée. Le gouvernement était démocratique; les citoyens étaient divisés en dix tribus dont les noms rappelaient leur origine. Ainsi il y avait trois tribus originaires du Péloponnèse, l'Arcadienne, l'Achéenne et l'Élienne; trois autres descendaient de nations plus éloignées : c'étaient les tribus Béotienne, Amphictyonnienne et Dorienne; les quatre dernières, composées d'autres nations, s'appelèrent Iade, Athénaïde, Euboïde et Insulaire. Ils choisirent pour législateur Charondas, homme vertueux et admiré pour ses connaissances. Après avoir examiné les codes de tous les législateurs pour en extraire les meilleures maximes, il les rédigea en lois. Il inventa aussi lui-même beaucoup de lois particulières, qu'il n'est pas hors de propos de faire connaitre pour l'instruction des lecteurs. [12,12] Charondas établit d'abord une loi d'après laquelle ceux qui imposeraient à leurs propres enfants une belle-mère, seraient exclus des conseils où se débattent les intérêts de la patrie; il pensait que ceux qui prenaient si peu de souci du bien de leurs enfants, seraient aussi de mauvais conseillers pour les affaires de l'État. Car, disait-il, ceux qui ont été heureux dans leur premier mariage doivent s'en tenir là; ceux qui ont été malheureux et qui commettent de nouveau la même faute, doivent être taxés d'insensés. Il ordonna que ceux qui auraient été convaincus d'une accusation calomnieuse fussent promenés dans la ville, la tête couronnée de feuilles de myrica, afin qu'ils se montrassent à tous les citoyens comme ayant remporté la palme de la méchanceté. Plusieurs coupables condamnés à ce genre de supplice s'ôtèrent eux-mêmes la vie, ne pouvant supporter la honte attachée à un pareil châtiment. Il en résulta que tous ceux qui avaient l'habitude de faire de fausses délations, s'exilèrent de la ville qui, délivrée de semblables fléaux, jouit d'une existence prospère. Charondas porta aussi contre les mauvaises sociétés une loi particulière qui avait échappé aux autres législateurs : il savait que les hommes tournent souvent au mal par la fréquentation des méchants, et que le vice, comme une maladie contagieuse, atteint la vie des hommes et rend infirmes les âmes des plus vertueux. Le chemin qui conduit au mal est, en effet, rapide et tout frayé ; aussi, ceux doués d'une trempe d'esprit médiocre, se laissent-ils facilement séduire par l'appât des plaisirs et finissent par tomber dans les derniers excès. Voulant prévenir cet écueil, le législateur défendit, par une loi, de se lier et de frayer avec les méchants; il ordonna de poursuivre judiciairement les contrevenants et de les condamner à de fortes amendes. Il porta une autre loi encore plus importante, à laquelle les anciens législateurs n'avaient pas non plus songé. D'après cette loi, tous les enfants des citoyens devaient apprendre à lire et à écrire, tous les maîtres d'école étant rétribués par l'État; car, d'après la pensée du législateur, les enfants des pauvres, impuissants à subvenir aux frais de l'enseignement, ne devaient pas être privés des plus simples éléments de l'éducation. [12,13] Le législateur attachait plus d'importance à l'instruction élémentaire qu'aux autres degrés de l'enseignement. Et en cela il avait parfaitement raison. En effet, la plupart des transactions les plus indispensables de la vie, les votes dans les assemblées, les correspondances épistolaires, les testaments, les lois, enfin tout ce qui contribue essentiellement au maintien de la vie commune, exige la connaissance des lettres. Qui donc ne voudrait payer un juste tribut d'éloges à l'enseignement des lettres? C'est par leur secours que les morts se recommandent au souvenir des vivants. C'est par le moyen des lettres qu'on s'entretient à de longues distances avec ses amis, comme si l'on était tout près l'un de l'autre. C'est par l'emploi des lettres que les nations ou les rois garantissent leurs traités et en assurent le plus leur maintien. Enfin, c'est à l'aide des lettres que les plus belles sentences des sages, les réponses des dieux, la science des philosophes et tout enseignement sont transmis à la postérité la plus reculée. Si nous devons à la nature la vie matérielle, nous devons à l'instruction acquise par les lettres la vie morale. Par la loi de Charondas l'État devait donc s'intéresser d'une manière efficace au sort de ceux qui étaient menacés d'être privés d'un des plus grands biens, l'éducation. Charondas est donc bien supérieur aux anciens législateurs qui avaient ordonné que les particuliers malades fussent traités par les médecins aux frais de l'État; ceux-là ne s'occupèrent que du corps, tandis que lui eut soin de l'âme. Autant nous souhaitons n'avoir jamais besoin de médecins, autant nous désirons passer tout notre temps avec les maîtres qui nous intruisent. [12,14] Plusieurs poètes ont célébré dans leurs chants les deux premières lois dont nous venons de parler. Voici comment ils s'expriment sur la fréquentation des méchants : « Un homme, quel qu'il soit, qui se plaît dans la société des méchants, je ne lui demande pas qui il est : il ressemble à ceux qu'il fréquente. » Je citerai le passage suivant au sujet de la loi concernant les belles-mères : « Le législateur s'exprime, dit-on, entre autres, ainsi dans une de ses lois : Que celui qui impose à des enfants une belle-mère ne soit élevé à aucune dignité et exclu du conseil des citoyens, comme ayant mal géré ses propres affaires. Car, ajoute-t-il, si tu as été heureux dans ton premier mariage, félicite-toi et restes-en là; si tu as été malheureux, c'est de la folie de s'exposer une seconde fois aux mêmes chances. » En effet, l'homme qui s'est trompé deux fois dans ses affaires, doit être avec raison taxé d'insensé. Philémon, le poète comique, s'exprime ainsi sur ceux qui s'exposent souvent sur mer : "En vérité, je ne m'étonne pas qu'on ait navigué, mais qu'on ait navigué deux fois. » On pourrait dire de même : "Je ne m'étonne pas qu'on se marie, mais qu'on se soit marié deux fois." Car, il vaut encore mieux se confier deux fois à la mer que deux fois à une femme : c'est par la faute des belles-mères que les plus graves dissensions naissent dans les familles, entre les enfants et les pères. C'est la source de ces nombreux crimes que les tragédies nous représentent sur la scène. [12,15] Charondas a rédigé une autre loi, digne de remarque, sur la tutelle des orphelins. Considérée superficiellement, cette loi ne paraît pas avoir une grande valeur; mais en l'examinant de plus près, on comprend son importance et sa célébrité. Cette loi porte que les biens des orphelins soient administrés par les plus proches parents du côté paternel, mais que les orphelins eux-mêmes soient élevés par les parents du côté maternel. Au premier coup d'oeil, on ne voit rien de trop sage ni de bien fameux; mais en l'approfondissant davantage, on la trouvera digne d'éloge. Si l'on cherche les motifs pour lesquels on confie aux uns l'administration des biens et aux autres l'éducation des orphelins, la sagacité du législateur apparaîtra dans tout son éclat. En effet, les parents maternels, n'ayant aucun droit à la succession des orphelins, n'attenteront pas à leur vie; et les parents paternels ne peuvent pas commettre de pareil attentat, parce que la garde de la personne des orphelins ne leur est pas confiée et qu'ils ne sont chargés que de la gestion de leurs biens. Si les orphelins viennent à mourir de maladie ou d'un autre accident, les tuteurs administreront leurs biens avec d'autant plus d'économie qu'ils ont l'espérance d'en devenir un jour, selon les chances de la fortune, les légitimes propriétaires. [12,16] Charondas porta aussi une loi contre ceux qui, en temps de guerre, désertent leur poste, ou qui se refusent absolument à prendre les armes pour la défense de la patrie. Tandis que les autres législateurs ont puni de mort ce crime, Charondas condamna les coupables à revêtir des habits de femme et à rester ainsi pendant trois jours, assis, sur la place publique. Cette loi est moins inhumaine que celles des autres législateurs; en même temps par la peine infamante qu'elle inflige, elle tient les lâches en bride; car, il vaut mieux mourir que subir dans sa patrie un supplice aussi honteux. De plus, cette loi ne fait pas périr les coupables qui peuvent encore servir l'État, et ils s'empresseront d'effacer, par une conduite plus courageuse, la tache d'infamie qu'une punition flétrissante leur avait imprimée. C'est par leur rigueur même que le législateur assura le maintien de ses institutions. Il ordonna une obéissance absolue à la loi, même lorsque celle-ci serait mal rédigée. Il permit cependant de la corriger au besoin. Il pensait, que s'il était beau de se soumettre à l'autorité du législateur, il était tout à fait absurde de céder à celle d'un particulier, même lorsqu'on y trouvait quelque avantage. Il défendit surtout aux juges criminels de substituer au texte leurs commentaires et leurs idées, et d'altérer par des subterfuges de rhéteur l'autorité suprême des lois. Aussi disait-il à quelques-uns des accusateurs poursuivant la punition des coupables et aux juges qui devaient prononcer la peine, qu'il n'y avait pas à balancer entre la loi et l'accusé. [12,17] Mais l'institution la plus singulière de Charondas est relative à la révision des lois. Voyant que dans la plupart des États les législations anciennes sont corrompues par les tentatives que tant de gens font pour les réformer, ce qui occasionne des troubles parmi les populations, il fit, dit-on, porter un règlement tout particulier. Il ordonna que celui qui proposerait de reviser quelque loi fût amené devant l'assemblée, la corde au cou, et qu'il attendrait ainsi jusqu'à ce que le peuple eût prononcé sur la réforme proposée. Si la proposition était votée par l'assemblée, son auteur devait être relâché; si, au contraire, elle était rejetée, le préopinant devait aussitôt mourir étranglé. Les novateurs étant par là intimidés, personne n'osa élever la voix pour réclamer la révision des lois. Dans tout l'espace de temps qui s'était écoulé depuis, il n'y eut parmi les Thuriens que trois citoyens qui proposèrent une réforme, nécessitée par les circonstances. Voici à quelle occasion. Il y avait une loi d'après laquelle celui qui arrachait un oeil à quelqu'un était condamné à perdre également un oeil; mais dans le cas où l'oeil serait arraché à un borgne, et celui-ci par conséquent, entièrement privé de la vue, le coupable n'était pas assez puni en ne perdant qu'un oeil; car le coupable qui avait rendu aveugle un de ses concitoyens ne recevait un châtiment conforme à la loi, qu'en perdant également la vue. Il paraissait donc juste que celui qui avait ôté la vue à un borgne fût condamné à perdre les deux yeux, pour recevoir une punition égale. Or, il arriva qu'un borgne, affligé de perdre, en exécution de la loi, l'oeil qui lui restait, osa proposer une réforme dans l'assemblée du peuple qu'il cherchait en même temps à attendrir par le récit de son infortune. La corde au cou, il attendit le résultat de la délibération; la réforme fut adoptée et le réformateur échappa au supplice de la corde. [12,18] Un second exemple de réforme fut appliqué à la loi qui permet à une femme de quitter son mari et de cohabiter avec l'homme qu'elle voudrait choisir. Un homme déjà avancé en âge avait un femme plus jeune; abandonné par elle, il conseilla aux Thuriens de reviser la loi et d'y ajouter une disposition qui, tout en laissant à la femme qui abandonne son mari la liberté de prendre un époux de son choix, ordonnerait qu'elle ne pût cependant épouser un homme plus jeune que le premier; de même que l'homme qui répudierait sa femme, ne pût en épouser une autre plus jeune que la première. Cette proposition fut votée par l'assemblée; l'ancienne loi fut rapportée, l'auteur de la réforme échappa à la mort par la corde, et sa femme, empêchée de se choisir un mari plus jeune, revint auprès de celui qu'elle avait quitté. Un troisième exemple de réforme se présenta au sujet de la loi sur les orphelines héritières, laquelle a été aussi adoptée par Solon. Cette loi prescrivait que la fille héritière fût tenue de contracter un mariage légal avec son plus proche parent, de même que le plus proche parent fût obligé d'épouser l'orpheline, ou de lui payer cinq cents drachmes, en guise de dot, dans le cas où elle serait pauvre. Or, une orpheline d'origine noble, mais tout à fait sans fortune, et qui, en raison même de sa pauvreté, ne pouvait trouver d'époux, se réfugia dans l'assemblée du peuple; elle exposa, en versant des larmes, l'abandon et le mépris où elle était tombée, et termina en proposant une réforme dans laquelle le plus proche parent, au lieu d'en être quitte en payant cinq cents drachmes, fût forcé d'épouser l'orpheline qui le poursuivrait en justice. Le peuple, saisi de commisération, vota la réforme de la loi, et l'orpheline échappa à la mort par strangulation. Son plus proche parent, qui était riche, fut contraint de se marier avec une femme pauvre et sans dot. [12,19] Il ne nous reste plus qu'à parler de la mort de Charondas, événement singulier et étrange. Charondas était sorti à la campagne, armé d'un poignard pour se défendre contre les brigands. A son retour, voyant le peuple se réunir tumultueusement en assemblée, Charondas accourut sur la place publique pour s'enquérir de la cause de ce tumulte. Or, une loi défendait de paraître armé dans l'assemblée du peuple, et Charondas avait oublié qu'il portait une arme. Ses ennemis profitèrent de cette occasion pour l'accuser. Pendant que l'un d'eux disait que le législateur violait sa propre loi, Charondas s'écria, en tirant son poignard : "Non, par Jupiter, je ne la viole pas, mais je la sanctionne ! » Et il se tua sur-le-champ. Quelques historiens attribuent la même action à Dioclès, législateur des Syracusains. Après nous être suffisamment arrêtés sur le législateur Charondas, nous allons parler succinctement du législateur Zaleucus. Ces deux hommes se ressemblent autant par les principes auxquels ils ont consacré leur vie, que par le voisinage des cités où ils ont fleuri. [12,20] Zaleucus était originaire d'Italie : il était Locrien, de naissance illustre, admiré pour son instruction, et disciple de Pythagore. Fort considéré dans sa patrie, il fut choisi pour législateur : il introduisit une législation nouvelle, en commençant d'abord à régler le culte des dieux célestes. En effet, aussitôt, dans le préambule de son code de lois, il établit que les habitants de la cité devaient d'abord être convaincus qu'il existe des dieux; que l'inspection du ciel, l'observation, l'ordre et l'harmonie de l'univers devait faire juger que tout cela n'est pas l'oeuvre du hasard ni des hommes; et qu'il fallait vénérer les dieux comme les auteurs de tous les biens dont les mortels jouissent pendant leur vie. Il faut aussi, ajoutait-il, avoir l'âme pure de tout vice, car les dieux ne se réjouissent pas des sacrifices somptueux des méchants, mais des actions justes et honnêtes des hommes vertueux. Après avoir, dans le préambule de son code, exhorté ses concitoyens à la pratique de la piété et de la justice, il leur défend de jamais entretenir de haines implacables, et ordonne de traiter l'ennemi comme si le ressentiment devait bientôt se changer en amitié. Le contrevenant devait être considéré par ses concitoyens comme un homme sans culture et sauvage. Le législateur invitait les magistrats à n'être ni absolus ni arrogants, et à ne se laisser guider dans leurs jugements ni par la haine ni par l'amitié. Enfin, chacune des lois de Zaleucus renferme beaucoup de dispositions parfaitement sages. [12,21] Partout les femmes de mauvaise vie sont condamnées à une amende pécuniaire. Zaleucus employa un autre moyen, très ingénieux, pour réprimer leur incontinence. Voici ce qu'il ordonna : Aucune femme libre ne pourra se faire accompagner par plus d'une suivante, excepté dans le cas où elle serait ivre; elle ne pourra pas sortir de la ville, à moins qu'elle ne soit adultère; elle ne pourra porter sur elle ni des ornements d'or ni des vêtements de riche étoffe, à moins qu'elle ne soit une courtisane. Il défendit même à tout homme de porter des bagues d'or ou de revêtir un habit à la milésienne, si ce n'est dans le cas où il se rendrait chez une courtisane ou chez une femme adultère. C'est ainsi que, sans leur infliger des peines humiliantes, le législateur parvint à détourner les hommes d'une mollesse pernicieuse et de moeurs dissolues ; car personne, par l'aveu d'une conduite honteuse, n'aurait voulu devenir la risée de ses concitoyens. On a de lui beaucoup d'autres belles institutions au sujet des contrats et des affaires litigieuses; mais il serait trop long et en dehors de notre plan d'en faire ici la description. Nous allons donc reprendre le fil de notre histoire. [12,22] Lysimachide étant archonte d'Athènes, les Romains élurent pour consuls Titus Ménénius et Publius Sextius Capitolinus. Dans cette année, les Sybarites, ayant échappé aux périls de l'insurrection a, allèrent s'établir sur les bords du fleuve Traïs. Ils y demeurèrent quelque temps ; mais ils furent encore chassés de cet asile et décimés par les Brutiens. En Grèce, les Athéniens recouvrèrent l'Eubée, et après avoir expulsé les Hestiéens de leur ville, ils y envoyèrent une colonie sous le commandement de Périclès. Les colons étaient au nombre de mille et se partagèrent au sort la ville et le territoire. [12,23] Praxitèle étant archonte d'Athènes, on célébra la LXXXIVe olympiade, dans laquelle Crison d'Himère fut vainqueur à la course du stade. Les Romains nommèrent des décemvirs chargés de la rédaction des lois. Voici leurs noms : Publius Clodius Régillanus, Titus Minutius, Spurius Véturius, Caïus Julius, Caïus Sulpicius, Publius Sestius, Romulus, Spurius, Posthumius, Calvinius. Pendant que ceux-ci étaient occupés à rédiger les lois, les Thuriens firent la guerre aux Tarentins; ils se ravagèrent mutuellement leur territoire en l'envahissant par terre et par mer. Ils livrèrent beaucoup d'escarmouches et de combats légers sans engager aucune action sérieuse. . [12,24] Lysanias étant archonte d'Athènes, les Romains pour faire rédiger les lois, nommèrent de nouveau des décemvirs dont voici les noms : Appius Clodius, Martius Cornélius, Lucius Minutius, Caïus Sergius, Quintus, Publius, Manius, Raboléius, Spurius, Véturius. Ces décemvirs ne purent achever la rédaction des lois. L'un d'eux, épris d'une fille d'origine patricienne, mais pauvre, essaya d'abord de la séduire par des offres d'argent; mais n'ayant pas réussi, il envoya auprès d'elle un sycophante avec l'ordre de l'emmener esclave. Le sycophante, prétendant qu'elle lui appartenait, la conduisit devant le magistrat et la réclama comme son esclave. Le magistrat ayant accueilli cette réclamation, remit la jeune personne entre les mains du sycophante qui allait l'emmener comme son esclave. Le père de la jeune fille, présent à cette scène, fut en proie à de violents chagrins; car personne ne voulait écouter ses plaintes. Passant par hasard devant la boutique d'un boucher, il saisit un couteau sur l'étal et en frappa sa fille mortellement pour prévenir son déshonneur. Sortant ensuite en toute hâte de la ville, il se rendit auprès de l'armée alors campée à Algidum. Là il exposa son infortune en versant des larmes et excita, par son récit, la compassion de tous les soldats. L'armée entière se mit en route pour aller au secours des infortunés, et profita de la nuit pour entrer avec ses armes à Rome. Les soldats allèrent occuper la colline appelée le mont Aventin. [12,25] Lorsque le lendemain matin l'exaspération des soldats fut connue, les décemvirs, venant au secours de leur collègue, rassemblèrent un grand nombre de jeunes gens prêts à décider la querelle par les armes. Au moment où les deux partis allaient en venir aux mains, les citoyens les plus estimés, prévoyant la grandeur du danger, envoyèrent des parlementaires chargés de négocier un accommodement; ils employèrent tout leur pouvoir pour calmer l'effervescence et garantir la patrie de graves dissensions. Enfin, la concorde fut rétablie, et on stipula qu'il serait nommé dix tribuns du peuple, investis d'une autorité supérieure à celle des autres magistrats de la ville, et qui seraient considérés comme les gardiens de la liberté des citoyens. Il fut, en outre, convenu que des deux consuls élus annuellement, l'un serait pris dans la classe des patriciens et l'autre dans celle des plébéiens, le peuple se réservant la faculté de choisir les deux consuls dans la classe des plébéiens. Ce pacte affaiblit la prépondérance des patriciens qui, fiers de leur noble origine et de la gloire de leurs ancêtres, étaient devenus en quelque sorte les maîtres de la cite. Une autre clause du pacte conclu portait que les tribuns en exercice, après l'expiration du terme annuel de leur magistrature, se subrogeraient un nombre égal de successeurs au tribunat, sous peine, s'ils ne remplissaient pas ce devoir, d'être brûlés vifs. Enfin, on convint que les tribuns, dans le cas où ils différeraient d'opinion, auraient la faculté de laisser discuter les propositions. Telles étaient les conditions auxquelles la sédition fut apaisée. [12,26] Diphilus étant archonte d'Athènes, les Romains élurent pour consuls Ancus Horatius et Lucius Valérius Turpinus. Dans cette année, les consuls à Rome terminèrent la rédaction des lois, laquelle avait été interrompue par suite de la sédition mentionnée. Les décemvirs avaient rédigé dix des lois appelées les Douze Tables; les deux dernières y ont été ajoutées par les consuls. Le code de législation ayant été ainsi achevé, les consuls le firent graver sur douze tables d'airain, qui furent clouées aux rostres placés à l'entrée du palais du sénat. Ce code, rédigé avec précision et simplicité, s'est conservé, monument admirable, jusqu'à nos jours. Pendant que ces choses avaient lieu, la plupart des nations de la terre vivaient tranquilles, jouissant d'une paix presque générale. Les Perses avaient fait avec les Grecs deux traités : le premier, conclu avec les Athéniens et leurs alliés, garantissait l'indépendance des villes grecques de l'Asie; le second, avec les Lacédémoniens, stipulait, au contraire, que les villes grecques de l'Asie resteraient sous la domination des Perses. Les autres Grecs vivaient également en paix entre eux, grâce à une trêve de trente ans, conclue entre les Athéniens et les Lacédémoniens. La Sicile jouissait aussi d'un profond repos depuis que les Carthaginois avaient fait un traité avec Gélon, et que les villes grecques de la Sicile avaient reconnu l'autorité des Syracusains, avec lesquels s'étaient réconciliés les Agrigentins, après leur défaite aux bords du fleuve Himère. Enfin, les peuples de l'Italie, de la Celtique, de l'Ibérie et de presque toute la terre, vivaient en repos. Aussi aucun exploit guerrier, digne de mémoire, ne fut-il accompli à cette époque. La paix seule régnait; on ne voyait alors partout que fêtes, jeux, sacrifices, et tout ce qui accompagne la prospérité des Etats. [12,27] Timoclès étant archonte d'Athènes, les Romains nommèrent consuls Larinus Herminius et Titus Stertinius Structus. Dans cette année, les Samiens firent la guerre aux Milésiens, au sujet de la possession de Priène. Voyant les Athéniens favoriser le parti des Milésiens, ils se détachèrent de leur alliance. Les Athéniens nommèrent Périclès au commandement d'une flotte de quarante trirèmes, dirigée contre les Samiens. Périclès vint bloquer Samos, s'empara de la ville et y établit un gouvernement démocratique. Il leva sur les Samiens une contribution de quatre-vingts talents, et se fit livrer en otage un nombre égal d'enfants qu'il remit aux Lemniens. Après avoir accompli toutes ces choses en peu de jours, Périclès retourna à Athènes. Mais bientôt une insurrection éclata dans Samos; la ville fut troublée par deux factions opposées : les uns s'étaient déclarés pour le gouvernement démocratique, les autres pour le gouvernement aristocratique. Les citoyens opposés à la démocratie passèrent en Asie et vinrent à Sardes implorer le secours de Pissuthnès, satrape des Perses. Pissuthnès leur fournit sept cents soldats qu'il jugeait suffisants pour s'emparer de Samos. Les Samiens partirent avec cette troupe et allèrent pendant la nuit aborder à Samos; ils s'introduisirent secrètement dans la ville avec l'aide des habitants, se rendirent facilement maîtres de Samos et chassèrent de la ville la faction opposée. Ils réussirent ensuite à enlever clandestinement les otages confiés à la garde des Lemniens, et ayant fortifié Samos, ils se déclarèrent ouvertement contre les Athéniens. Ceux-ci nommèrent de nouveau Périclès au commandement d'une flotte composée de soixante navires. Périclès engagea bientôt un combat naval contre soixante-dix trirèmes, et remporta la victoire sur les Samiens. Après s'être fait livrer des habitants de Chio et de Mitylène, vingt-cinq navires, il vint avec ce renfort bloquer Samos. Quelques jours après, Périclès laissa une partie de sa flotte pour continuer le blocus, tandis qu'il se porta à la rencontre des navires phéniciens, que les Perses avaient envoyés au secours des Samiens. [12,28] Les Samiens, jugeant le départ de Périclès une occasion favorable pour attaquer le restant des bâtiments ennemis, leur donnèrent la chasse, et la victoire qu'ils remportèrent dans un combat naval, les enfla d'orgueil. Informé de la défaite des siens, Périclès revint en arrière et réunit une flotte considérable avec laquelle il se proposa de détruire complétement celle des ennemis. Il reçut immédiatement soixante trirèmes envoyées par les Athéniens, trente autres envoyées par les Mitylénéens, et se trouva bientôt à la tête de forces imposantes avec lesquelles il investit l' île par terre et par mer, et la pressa par des attaques continuelles. Il fit alors le premier usage des machines de guerre connues sous le nom de béliers et de tortues, construites par Artémon de Clazomène. Grâce au siége de la ville, poussé avec vigueur, et à l'emploi de ces machines qui abattaient les murailles, Périclès se rendit maître de Samos. Il châtia les coupables et fit payer aux Samiens les dépenses du blocus, en leur imposant une contribution de deux cents talents. Il leur enleva leurs navires, démolit les murailles de la ville, et, après avoir rétabli le gouvernement démocratique, il revint dans sa patrie. Les Athéniens et les Lacédémoniens avaient jusqu'à cette époque respecté la trêve de trente ans, conclue entre eux. Tels sont les événements arrivés dans le cours de cette année. [12,29] Myrichide étant archonte d'Athènes, les Romains nommèrent consuls Lucius Julius et Marcus Géganius. Les Éliens célébrèrent alors la quatre-vingt-cinquième olympiade, où Crisson d'Himère fut, pour la seconde fois, vainqueur à la course du stade. Dans cette année, Ducétius, chef des villes sicules, donna une patrie aux Callatins, et y transplanta de nombreux colons; il allait atteindre l'autorité suprême sur les Sicules, lorsqu'il fut surpris par une maladie dont il mourut. Les Syracusains qui avaient subjugué toutes les villes des Sicules, à l'exception de Trinacie, résolurent de marcher contre cette ville; car ils craignaient que les Trinaciens ne leur enlevassent la suprématie sur les Sicules, de même origine. Trinacie avait une population nombreuse et forte ; elle occupait toujours le premier rang parmi les villes sicules; ses habitants, faits pour le commandement, étaient courageux et entreprenants; aussi les Syracusains ne marchèrent-ils contre cette ville qu'avec toutes leurs forces, jointes à celles de leurs alliés. Les Trinaciens étaient sans alliés, puisque les autres villes étaient soumises à la domination des Syracusains; ils avaient donc à soutenir une lutte difficile. Ils affrontèrent néanmoins avec courage les périls de la guerre, et périrent tous héroïquement, après avoir tué un grand nombre d'ennemis. La plupart des citoyens plus âgés s'ôtèrent eux-mêmes la vie, ne pouvant supporter la honte de la captivité. Après cette victoire célèbre, remportée sur une population jusqu'alors regardée comme invincible, les Syracusains rasèrent la ville, vendirent les habitants comme esclaves, et envoyèrent des dépouilles opimes à Delphes, pour se rendre le dieu propice. [12,30] Glaucide étant archonte d'Athènes, les Romains élurent pour consuls Titus Quintus et Agrippa Furius. Dans cette année, les Syracusains, encouragés par les succès précédents, construisirent une flotte de cent trirèmes et doublèrent le nombre de leur cavalerie. Ils appliquèrent aussi leurs soins à l'organisation de l'armée de terre, et accumulèrent des trésors, par les contributions considérables qu'ils avaient imposées à leurs sujets siciliens. Ils firent tous ces préparatifs dans l'intention de conquérir bientôt toute la Sicile. Pendant que ces choses se passaient, la guerre, appelée corinthienne, éclata en Grèce à l'occasion que nous allons faire connaître. Les Epidamniens, établis sur le littoral de la mer Adriatique, étaient une colonie des Corcyréens et des Corinthiens. Des dissensions s'étaient élevées : la faction victorieuse condamna à l'exil un grand nombre de partisans de la faction opposée. Les exilés se rassemblèrent et ayant réuni à leur troupe les Illyriens, ils firent en commun voile pour Epidamne. Ils se mirent en campagne avec une nombreuse armée de Barbares, occupèrent le territoire ennemi et vinrent assiéger la ville. Impuissants à résister à cette attaque, les Epidamniens envoyèrent des députés à Corcyre, pour implorer la protection des Corcyréens dont ils tiraient leur origine ; mais comme on leur refusa des secours, ils s'adressèrent aux Corinthiens, négocièrent avec eux une alliance, et déclarèrent Corinthe leur unique métropole; en même temps ils demandèrent de nouveaux colons. Saisis de commisération pour les Epidamniens et par haine contre les Corcyréens, qui seuls de toutes les colonies de Corinthe n'avaient pas envoyé à la métropole les offrandes sacrées en usage, les Corinthiens résolurent de venir au secours des Épidamniens. En conséquence, ils firent partir des colons pour Épidamne, et confièrent la garde de la ville à un détachement suffisant. Irrités de cela, les Corcyréens mirent en mer cinquante trirèmes, commandées par un général. Celui-ci vint s'embosser devant la ville et ordonna aux habitants de recevoir les exilés : en même temps, on envoya des parlementaires auprès des soldats de la garnison corinthienne, pour les engager à décider les affaires de la colonie par un jugement et non par les armes. Les Corinthiens rejetèrent cette ouverture On se prépara donc des deux côtés à la guerre; on réunit des forces navales considérables et on se procura des alliés. Telle fut l'origine de la guerre appelée corinthienne. Les Romains étaient, à cette époque, en guerre avec les Volsques. Ils n'eurent d'abord que des escarmouches et de légers combats ; mais ils furent ensuite victorieux dans une grande bataille où périrent la plupart des ennemis. [12,31] Théodore étant archonte d'Athènes, les Romains nommèrent consuls Marcus Génucius et Agrippa Curtius Chilon. Dans cette année, on vit apparaître en Italie la nation des Campaniens, ainsi appelée à cause de la fertilité de la campagne voisine. En Asie, les rois du Bosphore Cimmérien, nommés Archéanactides, remplirent quarante-deux ans de règne. Spartacus avait succédé à l'empire et régna sept ans. En Grèce, les Corinthiens étaient en guerre avec les Corcyréens. Les deux parties belligérantes, ayant concentré leurs forces maritimes, se préparèrent à un combat naval. Les Corinthiens, avec soixante-dix navires bien équipés, attaquèrent la flotte ennemie. Les Corcyréens, qui leur opposèrent quatre-vingts trirèmes, furent victorieux; ils vinrent assiéger Épidamne, mirent à mort tous les captifs, excepté les Corinthiens, qu'ils jetèrent, chargés de chaînes, en prison. Consternés de leur défaite, les Corinthiens se retirèrent dans le Péloponnèse. Maîtres de tous ces parages, les Corcyréens se portèrent contre les alliés des Corinthiens et en ravagèrent le territoire. [12,32] L'année étant révolue, Euthymene fut nommé archonte d'Athènes, et les Romains choisirent à la place des consuls trois tribuns militaires, Aulus Sempronius, Lucius Atilius et Titus Quintius. Après leur défaite sur mer, les Corinthiens résolurent de construire une flotte plus considérable. Ils rassemblèrent donc une grande quantité de matériaux, firent venir des villes voisines des charpentiers qu'ils prenaient à leur solde, et mirent beaucoup d'empressement à construire des trirèmes et à tenir prêtes des armes de toutes sortes ainsi que toutes les munitions de guerre nécessaires. Ils lancèrent des chantiers des navires nouvellement construits, radoubèrent ceux qui étaient avariés et en tirèrent d'autres de leurs alliés. Les Corcyréens en firent autant de leur côté, et ne le cédèrent pas en activité aux Corinthiens. Un grave conflit devint donc imminent. Pendant que ces préparatifs se faisaient, les Athéniens envoyèrent à Amphipolis une colonie composée en partie de leurs propres concitoyens, et en partie de colons tirés des places fortes du voisinage. [12,33] Nausimaque étant archonte à Athènes, les Romains élurent pour consuls Titus Quintus et Marcus Géganius Macerinus. Les Éliens célébrèrent la LXXXVIe olympiade, Théopompe le Thessalien étant vainqueur à la course du stade. Dans cette année, les Corcyréens, informés du grand déploiement des forces dirigées contre eux, envoyèrent des députés implorer le secours des Athéniens. Les Corinthiens en ayant fait autant de leur côté, le peuple s'assembla, écouta les députés et décréta l'alliance des Corcyréens. Les Athéniens firent donc partir sur-le-champ dix trirèmes bien équipées et promirent d'en fournir encore un plus grand nombre en cas de besoin. Renonçant à l'alliance des Athéniens, les Corinthiens parvinrent à équiper quatre-vingt-dix trirèmes, et s'en procurèrent soixante de la part de leurs alliés. Ils mirent ainsi en mer une flotte de cent cinquante navires, commandés par les généraux les plus aimés du peuple, et ils se dirigèrent vers Corcyre, ayant jugé à propos de surprendre l'ennemi par un combat naval. Instruits de l'approche de la flotte corinthienne, les Corcyréens se portèrent à sa rencontre avec cent vingt trirèmes, y compris celles des Athéniens. Il s'engagea un rude combat naval, dans lequel les Corinthiens eurent d'abord le dessus. Mais lorsque apparut un second renfort de vingt autres navires athéniens, la victoire se déclara pour les Corcyréens. Le lendemain, les Corcyréens renouvelèrent l'attaque en déployant toutes les forces maritimes, et les Corinthiens battirent en retraite. [12,34] Antilochide étant archonte d'Athènes, les Romains nommèrent consuls Marcus Fabius et Posthumius Æbutius Ulecus. Dans cette année, les Corinthiens firent éclater les ressentiments contre les Athéniens, pour avoir secouru les Corcyréens et avoir été cause de leur victoire navale. Ils brûlèrent donc de se venger des Athéniens, en détachant la ville de Potidée, une de leurs colonies, de l'alliance des Athéniens. De son côté, Perdiccas, roi des Macédoniens, mal disposé pour les Athéniens, engagea les Chalcidiens à abandonner l'alliance des Athéniens, à déserter les villes de la côte et à se réunir dans la seule ville d'Olynthe. A la nouvelle de la défection des Potidéates, les Athéniens firent partir trente navires avec l'ordre de ravager le territoire des rebelles et de détruire leur ville. Ceux qui étaient chargés de cette mission abordèrent dans la Macédoine et vinrent, conformément aux ordres du peuple, mettre le siége devant Potidée. Comme les assiégés étaient soutenus par un renfort de deux mille Corinthiens, le peuple d'Athènes envoya, de son côté, deux mille soldats, pour aider les assiégeants. Une bataille s'engagea dans l'isthme, près du pays des Palléniens. Les Athéniens remportèrent la victoire; plus de trois cents ennemis restèrent sur le champ de bataille, et les Potidéates furent bloqués dans leur ville. Pendant que ces événements se passaient, les Athéniens fondèrent dans la Propontide une ville appelée Létanum. En Italie, les Romains envoyèrent des colons à Ardée, qui se partagèrent entre eux le territoire. [12,35] Charès étant archonte d'Athènes, les Romains nommèrent consuls Quintus Furius Fusus et Manius Papirius Crassus. Dans cette année, les habitants de Thurium, en Italie, population tirée d'un grand nombre de villes diverses, étaient en proie à des dissensions : il s'agissait de décider de quelle ville les Thuriens voudraient s'appeler les descendants, et qui serait considéré comme le fondateur de Thurium. Les Athéniens réclamaient cet honneur, alléguant les nombreux colons qu'ils y avaient envoyés d'Athènes ; les villes du Péloponnèse avaient de leur côté la même prétention, parce qu'elles avaient aussi fourni beaucoup de colons pour l'établissement de Thurium. De plus, un grand nombre d'hommes distingués ayant pris part à cette colonie et contribué à sa prospérité, la dispute s'envenima encore ; car chacun prétendait à l'honneur d'être appelé le fondateur de la cité. Enfin, les Thuriens envoyèrent à Delphes consulter l'oracle, pour savoir qui devait être proclamé le fondateur de la ville. Le dieu répondit que c'était lui-même qu'ils devaient considérer comme le fondateur de leur ville. Cette réponse fit cesser la dispute Apollon fut proclamé le fondateur de Thurium, et la population rentra dans la concorde. En Grèce mourut Archidamus, roi des Lacédémoniens, après un règne de quarante-deux ans. Il eut pour successeur Agis, qui régna vingt-sept ans. [12,36] Apseudès étant archonte d'Athènes, les Romains élurent pour consuls Titus Ménénius et Proclus Géganius Macericus. Dans cette année, mourut Spartacus, roi du Bosphore, après un règne de dix-sept ans. Séleucus, son successeur, régna quatre ans. A Athènes, Méton, fils de Pausanias, renommé dans l'astronomie, établit la période de dix-neuf ans, qu'il fit commencer le treizième jour du mois athénien scirophorion. Dans ces dix-neuf années, les astres, dans l'accomplissement de leur révolution, reviennent aux mêmes points et forment en quelque sorte la période d'une grande année, que quelques-uns appellent l'année de Méton. Au reste, ce célèbre astronome a rencontré merveilleusement juste dans ses prédictions et ses calculs. En effet, le mouvement et les apparitions des astres s'accordent parfaitement avec la table astronomique. Aussi la plupart des Grecs se servent-ils de l'ennéadécaétéride, et ne se trompent pas dans leurs annonces. En Italie, les Tarentins forcèrent les habitants de Siris à quitter leur patrie, et, ayant fait tirer une colonie de leur propre sein, fondèrent la ville qu'on appelle Héraclée. [12,37] Pithodore étant archonte d'Athènes, les Romains élurent pour consuls Titus Quintius et Titus Ménénius. En même temps, les Eliens célébrèrent la LXXXVIIe olympiade, dans laquelle Sophron d'Ambracie fut vainqueur à la course du stade. Dans cette année, Spurius Manlius fut mis à mort pour avoir aspiré à la tyrannie. Les Athéniens remportèrent à Potidée une victoire signalée. Leur général tomba dans cette bataille et fut remplacé par Phormion. Celui-ci, investi du commandement de l'armée, mit le siége devant la ville des Potidéates, qu'il pressa par de continuels assauts. Cependant les assiégés se défendirent vaillamment et le siége traîna en longueur. Thucydide l'Athénien a commencé ici son histoire de la guerre entre les Athéniens et les Lacédémoniens, connue sous le nom de guerre du Péloponnèse. Cette guerre dura vingt-sept ans. Thucydide en a rédigé vingt-deux ans dans son ouvrage divisé en huit, ou, selon quelques-uns, en neuf livres. [12,38] Euthydème étant archonte d'Athènes, les Romains élurent, au lieu de consuls, trois tribuns militaires, Manius AEmilianus, Caïus Mamercus et Julius Lucius Quintius. Dans cette année éclata, entre les Athéniens et les Lacédémoniens, la guerre dite du Péloponnèse, la plus longue de celles dont le souvenir nous a été conservé. Il est nécessaire et conforme au plan de notre histoire d'exposer d'abord les causes de cette guerre. Les Athéniens, aspirant à la souveraineté de la mer, firent transporter à Athènes le trésor public déposé à Délos, et contenant près de huit mille talents. Ils en confièrent la garde à Périclès, homme d'une illustre origine et qui surpassait de beaucoup ses concitoyens par sa réputation militaire et par la vigueur de sa parole. Il avait appliqué à ses propres dépenses une partie considérable de ce trésor. Sommé de faire un rapport sur sa gestion, il se trouva dans l'impossibilité de rendre compte du dépôt confié; il en tomba malade de chagrin. Périclès était en proie à une cruelle inquiétude, lorsque Alcibiade, fils de son frère et orphelin, que Périclès s'était chargé d'élever, lui suggéra, bien qu'il fût encore enfant, le moyen de se soustraire à l'accusation de prévaricateur. Voyant son oncle attristé, Alcibiade lui demanda la cause de ses chagrins. Périclès lui répondit que, sommé de rendre compte de l'emploi du trésor qui lui avait été confié, il ne savait comment se justifier auprès de ses concitoyens. "Il ne s'agit pas, répliqua Alcibiade, de savoir comment il faut rendre ce compte, mais comment il faut ne pas le rendre". Frappé des paroles de ce jeune homme, Périclès songea dès lors au moyen d'impliquer les Athéniens dans une guerre sérieuse; car il était persuadé qu'au milieu du trouble de l'État et des alternatives d'espérances et de craintes, il échapperait à l'obligation de rendre le compte exigé. A cette cause s'en joignit bientôt une autre, toute fortuite, que nous allons faire connaître. [12,39] Phidias avait été chargé de faire la statue de Minerve, sous la direction de Périclès, fils de Xanthippus. Quelques ouvriers de Phidias, excités par les ennemis de Périclès, vinrent en suppliants embrasser l'autel des dieux. Cette démarche eut de l'éclat; les ouvriers, interrogés, déclarèrent que Phidias s'était approprié de fortes sommes du trésor sacré, et qu'il avait pour complice Périclès, le directeur des travaux. Le peuple se réunit en assemblée, et les ennemis de Périclès proposèrent de faire arrêter Phidias; en même temps qu'ils déclarèrent Périclès coupable de sacrilége. De plus, ils dénoncèrent Anaxagore le sophiste, précepteur de Périclès, et l'accusèrent d'avoir commis une impiété envers les dieux. Ils impliquaient Périclès dans toutes ces accusations calomnieuses, afin de flétrir la supériorité et la gloire de ce citoyen. Dans la conviction que le peuple admire en temps de guerre les hommes distingués, parce qu'il en a besoin, mais qu'en temps de paix il les laisse calomnier par des oisifs et des envieux, Périclès jugea utile à ses intérêts de plonger l'État dans une guerre sérieuse. Il pensait que le peuple, faisant appel au courage et à l'expérience militaire de Périclès, ne saurait accueillir des accusations calomnieuses et n'aurait pas le loisir de demander un compte rigoureux de la gestion du trésor. D'après un décret des Athéniens, les Mégariens se trouvaient exclus du marché et des ports d'Athènes. Les Mégariens s'en plaignaient aux Spartiates. Les Lacédémoniens ayant recueilli ces plaintes, envoyèrent des députés qui, sur la décision de l'assemblée générale, devaient intimer aux Athéniens l'ordre d'abolir le décret contre les Mégariens, et, en cas de refus, leur déclarer une guerre générale. Dans l'assemblée convoquée pour délibérer à ce sujet, Périclès, surpassant par la vigueur de son éloquence tous ses concitoyens, persuada aux Athéniens de maintenir le décret, ajoutant que l'obéissance inopportune aux ordres des Lacédémoniens, serait le commencement de l'esclavage. Il leur conseilla donc de faire rentrer dans la ville les richesses de la campagne, et de se maintenir dans l'empire de la mer en faisant la guerre aux Spartiates. [12,40] En proposant adroitement le parti de la guerre, Périclès faisait valoir le nombre des alliés d'Athènes, la supériorité de sa puissance navale et l'argent, fruit des tributs levés sur les villes de la république, et qui avait été transporté de Délos à Athènes. Il estimait ce trésor à dix mille talents, dont quatre mille avaient été dépensés pour la construction des Propylées et l'entretien du siége de Potidée. Il portait à quatre cent soixante talents les contributions que les alliés payaient annuellement; il évaluait, en outre, à cinq cents talents les ustensiles sacrés et les dépouilles médiques. Il faisait encore entrer dans ce compte la multitude d'offrandes déposées dans les temples, ainsi que les cinquante talents d'or employés pour l'érection de la statue de Minerve, dont les ornements pouvaient, au besoin, être enlevés et restitués à la déesse en temps de paix. Du reste, ajoutait-il, la fortune des citoyens s'est déjà considérablement accrue par une longue paix. Après avoir fait ressortir les ressources pécuniaires, il montra qu'indépendamment des alliés et des soldats en garnison dans les forteresses, l'État comptait douze mille hoplites, et qu'én y ajoutant les soldats en garnison dans les forteresses et la troupe étrangère domiciliée à Athènes, on arriverait à un nombre de plus de dix-sept mille combattants, sans parler de trois cents trirèmes toutes prêtes. Il démontrait, d'un autre côté, que les Lacédémoniens manquaient d'argent, et que, sous le rapport des forces maritimes, ils étaient de beaucoup inférieurs aux Athéniens. Périclès développa ces divers arguments, et, excitant le peuple à ne pas obéir aux Lacédémoniens, il entraîna les citoyens à la guerre. Il y parvint aisément, grâce à cette force d'éloquence qui lui valut le surnom d'Olympien. Aristophane, auteur de l'ancienne comédie, et contemporain de Périclès, en fait mention dans ces vers : « O pauvres laboureurs, écoutez mes paroles, si vous voulez savoir comment nos affaires se sont perdues. Phidias commença le premier à échouer dans sa tentative. Périclès, rédoutant le même sort, alluma, avec la petite étincelle du décret de Mégare, une telle guerre, que les Grecs, suffoqués par la fumée de l'incendie, pleurèrent çà et là. » Le poète Eupolis s'exprime ainsi : Périclès l'Olympien lança la foudre, fit retentir le tonnerre et bouleversa la Grèce. La persuasion est assise sur ses lèvres; il s'insinue dans l'âme, et, seul de tous les orateurs, il laisse l'aiguillon dans le coeur de ses auditeurs. » [12,41] Telles étaient, d'après l'autorité d'Euphore, les causes de la guerre du Péloponnèse, dans laquelle furent entraînées les principales villes de la Grèce. Les Lacédémoniens, après avoir délibéré en commun avec les Péloponnésiens, décrétèrent le commencement des hostilités contre les Athéniens; en même temps, ils envoyèrent solliciter l'alliance du roi des Perses, dépêchèrent des députés auprès de leurs alliés en Sicile et en Italie, et réussirent à en tirer un secours de deux cents trirèmes. Après avoir mis sur pied leurs troupes de terre, réunies à celles des Péloponnésiens, et terminé les autres préparatifs, ils entrèrent les premiers en campagne. Dans ce temps, la ville des Platéens, en Béotie, se gouvernait d'après ses propres lois, et était en alliance avec les Athéniens. Quelques citoyens de Platée ayant l'intention de mettre fin à l'indépendance de leur ville, eurent des conférences avec les Béotiens, et leur promirent de livrer Platée à la domination des Thébains, si ceux-ci voulaient fournir des soldats pour seconder l'entreprise. Les Béotiens firent donc partir nuitamment trois cents hommes d'élite : des traîtres les introduisirent dans l'intérieur de la cité et les aidèrent à s'en rendre les maîtres. Les Platéens, voulant rester fidèles à leur alliance avec les Athéniens, et croyant d'abord qu'ils avaient affaire à une levée en masse de Thébains, envoyèrent des parlementaires pour conclure une trêve avec ceux qui s'étaient emparés de la ville. Mais, lorsque la nuit fut passée et qu'ils s'aperçurent du petit nombre d'ennemis, ils se tournèrent contre eux et combattirent courageusement pour la liberté. Le combat s'étant engagé dans les rues, les Thébains, grâce à leur bravoure, eurent d'abord le dessus et firent éprouver à leurs adversaires de grandes pertes. Mais, comme les domestiques et les enfants prirent part à la lutte en jetant des huiles du haut des maisons et blessant ainsi les Thébains, ces derniers lâchèrent pied. Les uns, chassés de la ville, parvinrent à se sauver; les autres, se réfugiant dans quelques maisons, furent forcés de se rendre. Instruits par les fuyards échappés au carnage de ce qui venait de se passer, les Thébains s'empressèrent aussitôt de partir en masse. Les Platéens, surpris à l'improviste sur leur territoire, tombèrent en grand nombre sous les coups de leurs agresseurs; beaucoup d'entre eux furent faits prisonniers. Toute la contrée était remplie de tumulte et de rapine. [12,42] Les Platéens envoyèrent des parlementaires supplier les Thébains d'évacuer leur territoire et d'accepter en échange leurs prisonniers. On conclut donc un traité, en vertu duquel les prisonniers furent remis aux Thébains qui, de leur côté, restituèrent le butin et retournèrent à Thèbes. {Avant ce traité'}, les Platéens avaient envoyé des députés pour solliciter le secours des Athéniens et avaient transporté dans la ville la plupart de leurs biens. A la nouvelle des événements de Platée, les Athéniens firent immédiatement partir un corps de troupes suffisant. Malgré toute leur diligence, ces soldats ne purent devancer les Thébains; ils se bornèrent à faire rentrer dans la ville tout ce qu'ils trouvèrent encore dans la campagne, et, réunissant les enfants, les femmes et toute la foule inutile, ils les envoyèrent à Athènes. Les Lacédémoniens jugeant la trêve avec les Athéniens rompue, rassemblèrent une armée considérable, tirée de Lacédémone et des autres villes du Péloponnèse. Les Lacédémoniens avaient pour alliés tous les Péloponnésiens, à l'exception des Argiens, qui gardaient la neutralité. Hors du Péloponnèse, ils avaient pour alliés les Mégariens, les Ambraciotes, les Leucadiens, les Phocidiens, les Béotiens, les Locriens, la plupart des peuples qui habitent en face de l'Eubée, et les Amphisséens. Les Athéniens comptaient dans leur alliance les habitants du littoral de l'Asie, les Cariens, les Doriens, les Ioniens, les Hellespontiens, tous les insulaires, excepté les habitants de Mélos et de Théra. A ces alliés il faut ajouter les peuples de la Thrace, excepté les Chalcidiens et les Potidéates; de plus les Messéniens habitants de Naupacte et les Corcyréens : tous les autres alliés, excepté ces derniers, fournissaient des troupes de terre. Tels étaient les alliés des deux partis en présence. Les Lacédémoniens confièrent au roi Archidamus le commandement de leur nombreuse armée. Ce roi envahit l'Attique, attaqua les forteresses et ravagea la campagne dans une grande étendue. Pendant que les Athéniens s'indignaient de la violation de leur territoire, et qu'ils brûlaient d'en venir aux mains avec leurs ennemis, Périclès, investi du suprême pouvoir, engagea les jeunes gens à modérer leur ardeur, promettant qu'il saurait, sans courir aucun risque, chasser les Lacédémoniens hors de l'Attique. Dans ce but, il équipa cent trirèmes, y embarqua une armée considérable, qu'il envoya, sous les ordres de Carcinus et de quelques autres chefs, dans les eaux du Péloponnèse. Ces généraux ravagèrent tout le littoral, prirent plusieurs forteresses et frappèrent de terreur les Lacédémoniens, qui se hâtèrent de rappeler leurs troupes de l'Attique pour la défense du Péloponnèse. C'est ainsi que l'Attique fut délivrée, et Périclès gagna en crédit auprès de ses concitoyens : il fut considéré comme un chef capable de bien conduire la guerre contre les Lacédémoniens. [12,43] Apollodore étant archonte d'Athènes, les Romains nommèrent consuls Marcus Géganius et Lucius Sergius. Dans cette année, le général des Athéniens ne cessa pas de ravager le territoire des Péloponnésiens et d'assiéger leurs forteresses. Depuis qu'il lui était arrivé de Corcyre un renfort de cinquante trirèmes, ce général continua de plus belle à dévaster le territoire des Péloponnésiens; il ravagea particulièrement la partie du littoral connue sous le nom d'Acté, et incendia les maisons de campagne. Il se porta ensuite sur Méthone en Laconie, pilla la campagne et vint bloquer la ville. Brasidas, le Spartiate, encore jeune, mais robuste et courageux, voyant que Méthone risquait d'être pris d'assaut, prit avec lui quelques Spartiates, osa se frayer un chemin au milieu des ennemis dispersés, en tua un grand nombre et pénétra dans la place. On en fit le siége; Brasidas se défendit de la manière la plus brillante. Les Athéniens, ne pouvant prendre la place, se retirèrent sur leurs navires. Brasidas s'acquit l'estime des Spartiates pour avoir sauvé Méthone par son courage et son intrépidité. Fier de cet exploit, il se distingua plus tard dans beaucoup d'autres combats et gagna une grande réputation de bravoure. Cependant, les Athéniens faisant le tour de Péloponnèse, se dirigèrent vers l'Élide, dévastèrent le territoire de ce pays et vinrent bloquer Phères, place de l'Élide. Les Eliens accoururent au secours de cette place, mais ils furent vaincus dans ce combat et perdirent beaucoup de monde, et les Athéniens prirent Phères d'assaut. Mais bientôt les Éliens, revenus en masse, tombèrent sur les Athéniens, qui furent repoussés sur leurs navires. Les Athéniens se portèrent de là sur Céphalonie, et après avoir conclu une alliance avec les habitants de cette île, ils retournèrent avec leur flotte à Athènes. [12,44] Les Athéniens envoyèrent ensuite, sous les ordres de Cléopompe, une flotte de trente navires pour défendre l'Eubée et faire la guerre aux Locriens. Ce général mit à la voile, vint ravager le littoral de la Locride et prit d'assaut la ville de Thronium. Il engagea un combat avec les Locriens, qu'il défit près de la ville d'Alope. Continuant ensuite à faire la guerre aux habitants du pays, il fit fortifier l'île d'Atalante, située en face de la Locride. Les Athéniens, accusant les Éginètes de seconder le parti des Lacédémoniens, les expulsèrent de la ville d'Égine; ils envoyèrent ensuite des colons, tirés de la cité d'Athènes, qui se partagèrent Égine et son territoire. Les Lacédémoniens accordèrent pour domicile aux exilés d'Égine la ville de Thyrée, parce que les Athéniens avaient donné aux exilés de Messène Naupacte pour retraite. Cependant les Athéniens firent partir Périclès à la tête d'une armée pour combattre les Mégariens. Ce général dévasta la campagne, détruisit les propriétés, et revint Athènes chargé de butin. [12,45] Les Lacédémoniens, de concert avec les Péloponnésiens et leurs autres alliés, envahirent une seconde fois l'Attique. En traversant la campagne ils coupaient les arbres et livraient aux flammes les habitations éparses. Ils ravageaient ainsi presque toute la contrée, excepté la partie appelée la Tétrapole : ils l'épargnaient en mémoire de leurs ancêtres qui y avaient demeuré et étaient partis de là pour aller vaincre Eurysthée. Car il leur paraissait juste que, comme descendants, ils s'acquittassent envers la postérité des bienfaiteurs de la dette de reconnaissance contractée par leurs ancêtres. Cependant, les Athéniens n'osaient se mesurer en rase campagne et se tenaient enfermés en dedans de leurs murs : ils furent atteints d'une maladie pestilentielle, occasionnée par l'encombrement d'une grande masse de population dans l'intérieur de la ville. Cette foule, agglomérée dans un étroit espace, et respirant un air corrompu, devait évidemment tomber malade. Dans l'impossibilité de chasser les ennemis hors du territoire, les Athéniens firent de nouveau diriger vers le Péloponnèse une flotte nombreuse, sous les ordres de Périclès. Celui-ci, dévastant le littoral dans une grande étendue, et détruisant plusieurs villes, obligea les Lacédémoniens à évacuer l'Attique. Les Athéniens, voyant les arbres de leurs champs coupés, et la population décimée par la maladie, furent découragés, en même temps que fort irrités contre Périclès, qu'ils regardaient comme l'auteur de cette guerre. Ils lui ôtèrent donc le commandement, et, saisissant quelques légers prétextes pour l'incriminer, ils le condamnèrent à une amende de quatre-vingts talents. Ils envoyèrent ensuite des députés pour engager les Lacédémoniens a mettre une fin à la guerre ; mais leurs propositions ayant été rejetées, ils se virent forcés de rendre à Périclès le commandement militaire. Tels sont les événements arrivés dans le cours de cette année. [12,46] Épaminondas étant archonte d'Athènes, les Romains élurent pour consuls Lucius Papirius et Aulus Cornélius Macerinus. Dans cette année, mourut à Athènes le commandant militaire Périclès, qui l'avait de beaucoup emporté sur ses concitoyens par sa naissance illustre, par sa richesse, par son éloquence et ses talents militaires. Cependant le peuple d'Athènes, jaloux de prendre d'assaut Potidée, fit partir Agnon avec l'armée qui avait servi sous les ordres de Périclès. Agnon se porta, avec toute sa flotte, sur Potidée, et se disposa à en faire le siége. A cet effet, il fit préparer des machines de guerre de toutes sortes, et pourvut les troupes d'une quantité d'armes défensives et offensives, ainsi que de provisions de bouche en abondance. Chaque jour il livrait de continuels assauts, et passa beaucoup de temps sans pouvoir prendre la ville ; car les assiégés, redoutant la prise de leur ville, et se fiant à la hauteur de leurs murailles qui dominaient le port, se défendirent vaillamment. Une maladie contagieuse fit, en outre, de grands ravages parmi les assiégeants, et répandit le découragement dans le camp. Néanmoins, Agnon, sachant que les Athéniens avaient déjà employé plus de mille talents pour la dépense de ce siége, et qu'ils étaient très irrités contre les Potidéates, qui s'étaient les premiers déclarés en faveur des Lacédémoniens, n'osa pas lever le siége. Il y persista donc forcément, et obligea les soldats à presser le siége de la ville. Mais lorsqu'il les vit décimés tant par la maladie pestilentielle que par les fréquents assauts qu'il avait livrés, il laissa une partie de son armée pour continuer le siége, et revint à Athènes, après avoir perdu plus de mille soldats. Après ce départ, les Potideates, manquant de vivres et tout à fait découragés, envoyèrent des parlementaires pour négocier une trêve. Ces parlementaires furent accueillis avec joie, et la trêve fut conclue aux conditions que tous les Potidéates sortiraient de leur ville, et que les hommes n'emporteraient avec eux qu'un seul vêtement et les femmes deux. Conformément à ce traité, tous les Potidéates quittèrent leur patrie avec femmes et enfants, et vinrent s'établir chez les Chalcidiens de la Thrace. Les Athéniens envoyèrent à Potidée une colonie de mille citoyens qui se partagèrent la ville et le territoire. [12,47] Les Athéniens élevèrent au commandement militaire Phormion, qui se mit en mer avec une flotte de vingt trirèmes. Il fit le tour du Péloponnèse, et vint mouiller dans les eaux de Naupacte ; maître du golfe de Crisée, il interdisait aux Lacédémoniens la navigation dans ces parages. De leur côté, les Lacédémoniens mirent en campagne une armée considérable, sous les ordres du roi Archidamus. Celui-ci pénétra dans la Béotie et vint camper sous les murs de Platée. Il menaça de ravager le territoire et il engagea les Platéens à abandonner l'alliance des Athéniens. Les Platéens s'y étant refusés, il dévasta la campagne et en détruisit les propriétés. Il vint ensuite cerner la ville dans l'espérance de réduire les Platéens par la famine. Il fit, en outre, approcher des machines de guerre avec lesquelles il battit les murs en brèche pendant les continuels assauts qu'il livrait à la ville. Ne réussissant pas davantage par la force à se rendre maître de la ville, il laissa aux environs des troupes suffisantes et retourna dans le Péloponnèse. Les Athéniens dirigèrent contre la Thrace un corps de mille soldats, sous les ordres de Xénophon et de Phanomachus. Ce corps s'étant avancé jusqu'à Pactole dans la Bottique, ils coupèrent les arbres de la campagne et détruisirent le blé encore en herbe. Mais les Olynthiens étant accourus au secours des Bottiens, les Athéniens furent défaits dans une bataille; ils perdirent leurs chefs et un grand nombre de soldats. Sur ces entrefaites, les Lacédémoniens cédant aux conseils des Ambraciotes, dirigèrent une expédition contre l'Acarnanie. Cnémus, chef de cette expédition, avait sous ses ordres mille hommes d'infanterie, et un petit nombre de navires. Après avoir réuni ce corps aux troupes assez considérables des alliés, il se porta vers l'Acarnanie, et vint camper dans le voisinage d'une ville nommée Stratos. Les Acarnaniens se rassemblèrent de leur côté, et, ayant dressé aux ennemis une embuscade, ils en tuèrent un grand nombre et forcèrent Cnémus à ramener son armée dans le pays des OEniades. [12,48] A cette même époque, Phormion, général des Athéniens, rencontra, avec vingt trirèmes, la flotte lacédémonienne, composée de quarante-sept navires. Dans un combat naval qui s'engagea, il coula bas le vaisseau commandant des ennemis, en mit beaucoup d'autres hors de service, en prit douze avec tout leur équipage, et poursuivit le reste jusqu'à la côte. Les Lacédémoniens, qui ne s'étaient pas attendus à cette défaite, se réfugièrent, avec les débris de leur flotte, à Patras, dans l'Achaïe. Ce combat naval avait eu lieu près du cap Rhium. Les Athéniens y élevèrent un trophée, consacrèrent à Neptune un vaisseau dans l'isthme de Corinthe, et entrèrent dans le port de Naupacte, ville alliée. Cependant, les Lacédémoniens firent partir vers Patras d'autres bâtiments, qui, après s'être joints aux trirèmes échappées à la dernière défaite, se rassemblèrent dans les parages de Rhium. L'armée de terre des Péloponnésiens se porta dans ce même endroit, et vint camper dans le voisinage de la flotte. Phormion, enhardi par sa victoire antérieure, osa attaquer la flotte ennemie, qui était très nombreuse. Après avoir coulé bas quelques bâtiments lacédémoniens, et perdu quelques-uns des siens, il laissa la victoire indécise. Mais, plus tard, il reçut d'Athènes un renfort de vingt trirèmes : les Lacédémoniens, épouvantés, se retirèrent à Corinthe, n'osant pas se mesurer avec la flotte athénienne. Tels sont les événements arrivés dans le cours de cette année. [12,49] Diotimus étant archonte d'Athènes, les Romains nommèrent consuls Caïus Julius et Proclus Virginus Tricostus. Les Eliens célébrèrent alors la LXXXVIIIe olympiade, dans laquelle Symmaque de Messène, en Sicile, fut vainqueur à la course du stade. Cnémus, commandant de la flotte lacédémonienne, stationnée dans les eaux de Corinthe, résolut d'occuper le Pirée. Il savait qu'il n'y avait pas alors de navires mouillés, et que ce port était laissé sans défense. En effet, les Athéniens avaient négligé d'y établir une garde, parce qu'ils ne pouvaient s'imaginer qu'on osât y pénétrer. Cnémus mit donc à flot quarante navires tirés sur la côte de Mégare, et se porta, pendant la nuit, sur Salamine. Il attaqua à l'improviste le port de Salamine, nommé Budorium, s'empara de trois navires, traînés à la remorque, et envahit le territoire de l'île. Pendant que les Salaminiens avaient allumé des feux en guise de signaux pour avertir les habitants de l'Attique, les Athéniens, croyant que le Pirée était pris, se précipitèrent en tumulte au secours du port. Revenus de leur erreur, ils se jetèrent en toute hâte dans leurs navires assez nombreux, et voguèrent vers Salamine. Les Péloponnésiens ayant échoué dans leur tentative, quittèrent Salamine et retournèrent chez eux. Après le départ des ennemis, les Athéniens mirent plus de soin à assurer la défense de Salamine, et y laissèrent une assez forte garnison. Quant au Pirée, ils le fortifièrent par une enceinte palissadée et y établirent des postes en nombre suffisant. [12,50] A cette même époque, Sitalcès, roi des Thraces, quoique héritier d'un Etat de petite étendue, avait accru considérablement sa souveraineté par son propre courage et sa prudence. Ce roi était doux envers ses sujets, brave dans les combats, doué de talents militaires, et songeait à augmenter ses revenus. Enfin, il était parvenu à un tel degré de puissance, qu'il se trouva le souverain d'un territoire bien plus vaste que ceux qu'avaient possédés en Thrace les rois ses prédécesseurs. Le littoral de son empire s'étendait depuis le pays des Abdéritains jusqu'à l'Ister, et depuis la mer jusque dans l'intérieur du pays, dans un espace de treize journées de marche légère à pied. Maître d'un si vaste royaume, il avait plus de mille talents de revenus annuels. Vers cette époque de notre histoire, il avait, pour soutenir une guerre, tiré de la Thrace une armée de plus de cent vingt mille hommes d'infanterie, et de quinze mille cavaliers. Mais il faut faire auparavant connaître les motifs de cette guerre, afin qu'il ne reste rien d'obscur dans l'esprit des lecteurs. Sitalcès était allié des Athéniens, et leur avait accordé des secours dans la guerre contre la Thrace. Dans le dessein d'attaquer les Chalcidiens, de concert avec les Athéniens, il mit sur pied une armée considérable, et, indisposé contre Perdiccas, roi des Macédoniens, il résolut en même temps d'établir sur le trône de Macédoine Amyntas, fils de Philippe. Voilà le double motif qui lui avait fait lever des troupes si nombreuses. Tout étant prêt pour l'expédition projetée, Sitalcès se mit à la tête de toute son armée, s'avança à travers la Thrace et pénétra dans la Macédoine. Épouvantés du nombre de leurs ennemis, les Macédoniens n'osèrent pas se mesurer avec eux : ils firent transporter dans les places les plus fortes les vivres et tout ce qu'ils avaient pu ramasser de richesses, et attendirent les événements. Cependant, les Thraces établirent Amyntas sur le trône et essayèrent d'abord des voies pacifiques pour se concilier les villes. Mais, ayant échoué dans leur tentative, ils attaquèrent le premier fort qu'ils rencontrèrent et le prirent d'assaut. Ce succès intimida quelques villes et forteresses, qui vinrent offrir volontairement leur soumission. Après avoir dévasté toute la Macédoine, et fait beaucoup de butin, les Thraces entrèrent dans les villes grecques des Chalcidiens. [12,51] Pendant cette expédition de Sitalcès, les Thessaliens, les Achéens, les Magnètes, et tous les autres Grecs qui habitent entre la Macédoine et les Thermopyles, se liguèrent ensemble et formèrent en commun une armée considérable : ils craignaient que Sitalcès ne vînt avec ses milliers de Thraces envahir leur territoire, et ne mit leur patrie en danger. Les Chalcidiens en firent autant. Instruit des nombreuses levées de troupes que faisaient les Grecs, et voyant ses soldats fatigués par la saison d'hiver, Sitalcès fit la paix avec Perdiccas, épousa une des soeurs de ce roi et ramena son armée en Thrace. [12,52] Sur ces entrefaites, les Lacédémoniens, réunis à leurs alliés du Péloponnèse, envahirent l'Attique, sous la conduite d'Archidamus, leur roi. Ils dévastèrent la campagne, détruisirent le blé encore en herbe, et rentrèrent dans leurs foyers. Les Athéniens n'avaient pas osé résister à cette invasion : décimés par une maladie pestilentielle, et pressés par la famine, ils désespéraient de l'avenir. Tels sont les événements qui remplissent l'espace de cet année. [12,53] Euclide étant archonte d'Athènes, les Romains nommèrent, au lieu de consuls, trois tribuns militaires, Marcus Manius, Quintus Sulpicius Praetextatus et Servilius Cornélius Cossus. Dans cette année, les Léontins, en Sicile, descendants d'une colonie de Chalcidiens, et tirant ainsi leur origine des Athéniens, avaient à soutenir une guerre contre les Syracusains. Accablés par les forces supérieures de leurs ennemis, ils étaient menacés d'être soumis violemment. Dans leur détresse, ils envoyèrent des députés à Athènes, pour supplier le peuple athénien de leur envoyer de prompts secours, et de défendre leur ville contre les dangers qui la menaçaient. A la tête de cette députation se trouvait Gorgias, le rhéteur, qui l'emportait sur tous ses collègues par la force de son éloquence. C'est lui qui, le premier, a inventé les artifices de la rhétorique, et il fut tellement supérieur aux autres dans la sophistique, qu'il recevait de ses disciples jusqu'à cent mines de salaire. Arrivé à Athènes, et amené devant l'assemblée du peuple, il harangua les Athéniens pour obtenir leur alliance. La nouveauté de sa diction produisit beaucoup d'effet sur les Athéniens, qui ont le goût si délicat et qui aiment tant l'éloquence. En effet, Gorgias employa le premier les plus brillantes figures de rhétorique, l'artifice des antithèses, les périodes à nombres égaux, les chutes de phrases par des consonnances, et d'autres artifices semblables, alors estimés pour leur nouveauté, mais qu'on regarde maintenant comme des affectations ridicules et souvent fastidieuses. Quoi qu'il en soit, Gorgias parvint par son éloquence à décider les Athéniens à envoyer des secours aux Léontins; et, après avoir excité par son art de rhéteur l'admiration des Athéniens, il retourna à Léontium. [12,54] LIV. Les Athéniens convoitaient déjà depuis longtemps la Sicile, à cause de la fertilité de ce pays. Ils accueillirent donc avec empressement la demande de Gorgias et décrétèrent un envoi de secours aux Léontins, sous le prétexte de se rendre aux voeux d'un peuple lié avec les Athéniens par une origine commune, mais en réalité pour tacher de conquérir l'île. Car déjà plusieurs années auparavant, à l'époque de la guerre des Corinthiens et des Corcyréens, lorsque chacune des parties belligérantes recherchait l'alliance d'Athènes, le peuple athénien s'était déclaré pour les Corcyréens, parce que Corcyre est bien située pour tenter de là un débarquement en Sicile. Les Athéniens tenaient l'empire de la mer ; ils avaient accompli de grands exploits; ils avaient beaucoup d'alliés, de nombreuses troupes, possédaient les plus grandes villes, et s'étaient emparés du trésor commun des Grecs, se montant à plus de dix mille talents qu'ils avaient fait venir de Délos. Ils avaient à leur service des généraux célèbres et renommés pour leur expérience stratégique. En possession de tous ces moyens, ils espéraient réduire les Lacédémoniens par la guerre, et une fois maître de la Grèce, arriver à la conquête de la Sicile. Tels étaient les motifs qui avaient engagé les Athéniens à voter les secours destinés aux Léontins. Ils firent donc partir pour la Sicile une flotte de cent navires, sous les ordres de Lachés et Chamade. Arrivés à Rhégium, ces généraux joignirent encore à leur flotte cent navires tirés des Rhégiens et de la colonie de Chalcidiens. En partant de là, ils se dirigèrent sur les îles de Lipari qu'ils ravagèrent parce que les Lipariens étaient alliés des Syracusains. Ils se portèrent ensuite sur Locres, et après s'être emparés de cinq navires locriens, ils firent le siége d'une forteresse. Les Siciliens, voisins des Myléens, étant arrivés au secours des assiégés, il s'engagea un combat dans lequel les Athéniens victorieux tuèrent plus de mille ennemis et firent au moins six cents prisonniers. La forteresse prise d'assaut fut aussitôt occupée. Sur ces entrefaites, le peuple athénien, décidé à pousser la guerre avec plus de vigueur, avait fait mettre à la voile encore quarante navires. Ce renfort était commandé par Eurymédon et Sophocle. Tous ces navires réunis ensemble formaient une flotte de deux cent cinquante trirèmes. La guerre traînant en longueur, les Léontins envoyèrent des députés pour négocier avec les Syracusains et conclure la paix. Après la conclusion de cette paix, les trirèmes athéniennes rentrèrent dans leur port. Les Syracusains accordèrent à tous les Léontins les droits de cité, et firent de leur ville une place syracusaine. Tels sont les événements arrivés alors en Sicile. [12,55] En Grèce, les Lesbiens abandonnèrent l'alliance des Athéniens, accusés par eux d'avoir voulu centraliser à Mitylène toutes les villes de l'île. Ils envoyèrent donc des députés aux Lacédémoniens avec lesquels ils conclurent une alliance, et conseillèrent aux Spartiates d'aspirer à la suprématie sur mer. Pour soutenir cette entreprise ils leur promettaient le concours de nombreuses trirèmes. Les Lacédémoniens accueillirent cette proposition avec joie, et s'occupèrent de la construction d'une flotte. Mais, dans ces dispositions, ils furent prévenus par les Athéniens, qui embarquèrent aussitôt sur quarante bâtiments une armée considérable, et l'envoyèrent à Lesbos sous le commandement du général Clinippide. Celui-ci ayant rallié le renfort des alliés, se porta sur Mitylène. A la suite d'un combat naval, les Mitylénéens vaincus furent rejetés dans leur ville, où ils soutinrent un siége. Les Lacédémoniens, pour fournir aux Mitylénéens les secours décrétés, préparaient une flotte considérable ; mais ils furent encore une fois devancés dans leurs préparatifs par les Athéniens qui embarquèrent mille hoplites destinés contre Lesbos. Cette troupe était commandée par Pachès, fils d'Epiclérus. Arrivé à Mitylène, Pachès se réunit aux forces qui s'y trouvaient déjà, investit la ville et lui livra de continuels assauts par terre et par mer. Cependant, les Lacédémoniens firent partir pour Mitylène quarante-cinq trirèmes sous les ordres d'Alcidas. Ils envahirent l'Attique avec leurs alliés. Dans cette nouvelle invasion, ils dévastèrent les points du territoire qui avaient été jusqu'ici épargnés, et rentrèrent dans leurs foyers. Pressés par le manque de vivres et par la guerre, et en proie à des dissensions intestines, les Mitylénéens rendirent leur ville par capitulation. Pendant que le peuple délibérait à Athènes sur le traitement à infliger aux Mitylénéens, le démagogue Cléon, homme cruel et violent, excita l'assemblée populaire et proposa de faire mourir tous les Mitylénéens adultes, et de vendre les enfants et les femmes comme esclaves. Les Athéniens se laissèrent persuader, adoptèrent la proposition de Cléon, et envoyèrent des commissaires chargés d'apporter au commandant le décret du peuple. Pendant que Pachès lisait ce décret, il lui en arriva un autre tout opposé au premier. Pachès se réjouit du repentir des Athéniens, et réunissant en une assemblée générale tous les Mitylénéens, il proclama leur pardon et les délivra des plus graves appréhensions. Les Athéniens entourèrent Mitylène d'un mur d'enceinte et se partagèrent, toute l'île de Lesbos, à l'exception du territoire des Méthymnéens. Telle fut l'issue de la défection des Lesbiens. [12,56] A cette même époque, les Lacédémoniens faisaient le siége de Platée : ils avaient entouré la ville d'un mur d'enceinte gardé par de nombreux postes. Cependant le siége traînait en longueur, et les Athéniens n'envoyaient aucun secours aux assiégés, qui, pressés en même temps par la famine, avaient perdu dans les assauts beaucoup de citoyens. Dans ces circonstances critiques, ils délibéraient sur le moyen de salut qu'ils devaient prendre : la majorité fut d'avis de temporiser, mais les autres, au nombre d'environ deux cents, convinrent de forcer pendant la nuit les portes, et de se frayer un passage pour se jeter dans Athènes. Ils profitèrent donc d'une nuit sans clair de lune, pour engager le reste des citoyens à faire une attaque sur un autre point du mur d'enceinte. Pendant que les ennemis accouraient pour secourir les points menacés, les deux cents Platéens, ayant tenu leurs échelles toutes préparées, parvinrent à escalader le mur, tuèrent les sentinelles et se réfugièrent à Athènes. Les Lacédémoniens, irrités de cette escapade, attaquèrent vivement la ville des Platéens et employèrent tous leurs efforts pour la prendre d'assaut. Les Platéens, accablés, entrèrent en capitulation : la ville et ses habitants se livrèrent à la discrétion de l'ennemi. Les chefs des Lacédémoniens appelèrent devant eux, un à un, tous les Platéens, et leur demandèrent quel service chacun d'eux avait rendu aux Lacédémoniens. Tous avouèrent qu'ils ne leur avaient rendu aucun service. Puis, ces mêmes chefs demandèrent de nouveau si les Platéens avaient fait quelque mal aux Spartiates; aucun des Platéens n'osant dire le contraire, ils furent tous condamnés à mourir. Cette sentence fut exécutée sur tous les habitants qui restaient encore dans la ville, dont le territoire fut dévasté et affermé à prix d'argent. C'est ainsi que les Platéens, pour avoir conservé trop fidèlement leur alliance avec les Athéniens, éprouvèrent injustement le sort le plus cruel. [12,57] Pendant que ces événements se passaient, Corcyre fut déchirée par de graves dissensions et des discordes civiles. Voici à quelle occasion. Un grand nombre de Corcyréens faits prisonniers dans la guerre d'Épidamne, et jetés dans la prison de l'Etat, avaient promis aux Corinthiens de leur livrer Corcyre, si ces derniers voulaient les faire remettre en liberté. Les Corinthiens accueillirent cette offre avec joie, et les Corcyréens furent relâchés sous le prétexte que leurs hôtes avaient déposé une somme suffisante de plusieurs talents pour servir de rançon. Ces Corcyréens furent fidèles à leur engagement : rentrés dans leur patrie, ils se saisirent des chefs populaires, les égorgèrent et renversèrent le gouvernement démocratique Mais peu de temps après, les Athéniens étant venus au secours du peuple, les Corcyréens recouvrèrent leur liberté et se disposaient à châtier les auteurs des troubles. Ceux-ci, redoutant la vengeance, se réfugièrent aux autels et devinrent les suppliants du peuple et des dieux. [12,58] Euthydème étant archonte d'Athènes, les Romains nommèrent, au lieu de consuls, trois tribuns militaires, Marcus Fabius, Marcus Falinius et Lucius Servius. Dans cette année, après quelque temps de répit, la population d'Athènes fut de nouveau ravagée par le fléau de la peste. Cette maladie était si violente qu'elle fit mourir plus de quatre mille hommes d'infanterie et quatre cents cavaliers, sans compter plus de dix mille habitants tant libres qu'esclaves. Comme l'histoire a recherché les causes de cette grave maladie, il faut en faire ici l'exposé. De grandes pluies étaient tombées dans l'hiver précédent : la terre en était détrempée ; les eaux s'étaient amassées dans les lieux bas et creux et avaient formé des étangs et des flaques d'eau stagnante, semblables à des marécages. Sous l'influence de la chaleur de l'été, ces eaux croupissantes se putréfiaient et produisaient des exhalaisons épaisses et fétides qui s'élevaient, corrompaient l'air environnant, ainsi que cela se voit dans les endroits marécageux où se manifestent les caractères pestilentiels. A cette cause se joignit une mauvaise nourriture; car dans cette même année les fruits étaient entièrement gâtés par l'humidité, et de mauvaise qualité. Une troisième cause de maladie fut l'absence des vents étésiens dont le souffle frais tempère considérablement la chaleur de l'été. Cette chaleur devint alors si intense et l'air si embrasé, que le corps de l'homme, n'étant rafraîchi par aucun vent, contracta des germes de décomposition. Aussi, en raison de cette chaleur, toutes les maladies avaient alors les caractères des fièvres pernicieuses; et la plupart des malades, pour se rafraîchir le corps, se jetaient dans les puits et les fontaines. Accablés par le fléau, les Athéniens attribuèrent leur calamité à quelque vengeance divine. C'est pourquoi, suivant l'ordre d'un oracle, ils purifièrent l'île de Délos, consacrée à Apollon, considérée comme souillée par les morts qui y avaient été ensevelis. Ils ouvrirent donc tous les tombeaux à Délos et en transportèrent les cendres dans l'île de Rhénias, voisine de Délos. En même temps ils firent porter une loi qui défendait d'ensevelir aucun mort à Délos et qui interdisait aux femmes d'y faire leurs couches. Ils rétablirent aussi l'antique fête des Déliens, qu'on avait depuis longtemps négligé de célébrer. [12,59] Pendant que les Athéniens étaient occupés à détourner le fléau qui décimait leur population, les Lacédémoniens, réunis aux Péloponnésiens, vinrent camper dans l'isthme, méditant une nouvelle incursion dans l'Attique. Mais, saisis d'une terreur superstitieuse en sentant de grands tremblements de terre, ils rentrèrent dans leurs foyers. Ces tremblements de terre qui s'étaient fait sentir dans beaucoup de parties de la Grèce, étaient si violents que plusieurs villes maritimes furent détruites par les débordements de la mer, et qu'une langue de terre de la Locride se rompit et devint l'île qu'on appelle Atalante. Tandis que ces événements avaient lieu, les Lacédémoniens peuplèrent Trachine et changèrent le nom de cette ville en celui d'Héraclée, par les motifs que nous allons exposer. Les Trachiniens étaient depuis de longues années en guerre avec leurs voisins, les habitants du mont Œta, et avaient perdu la plupart de leurs citoyens. Leur ville étant devenue déserte, ils prièrent les Lacédémoniens d'envoyer des colons et de prendre sous leur protection la ville de Trachine. Ceux-ci, tant en considération de leur commune origine que par respect pour la mémoire d'Hercule, l'auteur de leur race, qui avait jadis habité Trachine, résolurent de donner à cette ville un grand développement. En conséquence, les Lacédémoniens et les Péloponnésiens firent partir une colonie de quatre mille hommes, à laquelle s'étaient joints d'autres Grecs volontaires, au nombre d'au moins six mille. Ils firent donc de Trachine une ville peuplée de dix mille habitants, entre lesquels ils partagèrent le territoire, et donnèrent à Trachine le nom d'Héraclée. [12,60] Stratoclès étant archonte d'Athènes, les Romains nommèrent, au lieu de consuls, trois tribuns militaires, Lucius Furius Métellus, Spurius Lucius Pinarius et Posthumius Albus. Dans cette année, les Athéniens portèrent Démosthène au commandement d'une flotte de trente navires, montés par des troupes suffisantes. Après avoir réuni à cette flotte quinze trirèmes, fournies par les Corcyréens, et les troupes des Céphaloniens, des Acarnaniens. et des Messéniens de Naupacte, Démosthène fit voile pour Leucade. Il dévasta le territoire des Leucadiens, se dirigea de là sur l'Etolie dont il détruisit un grand nombre de hameaux. Cependant les Étoliens opposèrent de la résistance; il s'engagea un combat dans lequel les Athéniens eurent le dessous, et ils se retirèrent à Naupacte. Enhardis par cette victoire, les Étoliens, s'étant joints à trois mille soldats lacédémoniens, marchèrent sur Naupacte; mais ils furent repoussés par les Messéniens qui occupaient alors cette ville. Ils marchèrent ensuite sur la ville de Molycrie qu'ils prirent d'assaut. Dans la crainte que les Étoliens ne s'emparassent aussi de Naupacte, le général des Athéniens, Démosthène, fit venir de l'Acarnanie un contingent de mille hoplites, et l'envoya à Naupacte. Pendant son séjour dans l'Acarnanie, Démosthène rencontra un corps de mille Ambraciotes, l'attaqua et le détruisit presque entièrement. A la nouvelle de cet événement, les Ambraciotes se portèrent en masse contre l'ennemi; Démosthène les battit de nouveau et en tua un si grand nombre que leur cité devint presque déserte. Démosthène crut devoir profiter de ce moment pour assiéger Ambracie : il espérait se rendre facilement maître d'une ville dégarnie de défenseurs. Mais les Acarnaniens, craignant que les Athéniens, une fois maîtres de cette ville, ne fussent pour eux des voisins encore plus incommodes que les Ambraciotes, refusèrent de les suivre. Au milieu de ces dissensions, une partie des Acarnaniens se réconcilia avec les Ambraciotes et conclut une paix de cent ans. Démosthène, ainsi abandonné des Acarnaniens, retourna à Athènes avec ses vingt navires. Les Ambraciotes, que le sort avait mis à une si rude épreuve, demandèrent aux Lacédémoniens une garnison; car ils redoutaient toujours les Athéniens. [12,61] Démosthène se rendit à Pylos, et résolut de fortifier cette place dans le Péloponnèse. Pylos est situé dans une position naturellement très forte et à quatre cents stades de Sparte. Ayant avec lui une flotte nombreuse et des troupes suffisantes, Démosthène acheva l'enceinte de Pylos dans l'espace de vingt jours. A cette nouvelle, les Lacédémoniens rassemblèrent des forces de terre et de mer considérables. Ils se portèrent donc sur Pylos avec quarante-cinq navires bien équipés et avec une armée de terre de douze mille hommes; car ils regardaient comme honteux que ceux qui n'avaient osé venir au secours de leur pays d'Attique, livré au pillage, vinssent dans le Péloponnèse occuper une place et la fortifier. Les Lacédémoniens, sous la conduite de Thrasymède, vinrent donc établir leur camp dans le voisinage de Pylos. Résolus à tout braver pour s'emparer de Pylos, ils disposèrent leurs navires, les proues tournées vers l'entrée du port, de manière à en fermer le passage aux ennemis; les troupes de terre, rivalisant d'ardeur, attaquèrent l'enceinte de la ville; et dans ces attaques, sans cesse renouvelées, ils soutinrent des combats brillants. Thrasymède débarqua dans l'île de Sphactérie qui s'étend parallèlement à la côte et protége le port contre les vagues de la mer, un détachement d'élite de Lacédémoniens et d'alliés. Il voulait ainsi devancer les Athéniens dans l'occupation de cette île, très avantageusement située pour soutenir le siége. Les Lacédémoniens se livraient donc à des assauts continuels, et bien qu'ils fussent maltraités du haut des murailles très élevées, ils ne cessèrent pas cependant leurs attaques dans lesquelles ils eurent beaucoup de morts et un grand nombre de blessés. Les Athéniens, maîtres d'une place fortifiée par la nature, et amplement pourvue d'armes de trait et d'autres munitions de guerre, se défendirent courageusement; car ils espéraient que s'ils réussissaient dans leur entreprise, ils pourraient transporter dans le Péloponnèse le théâtre de la guerre et porter la dévastation au milieu des terres de leurs ennemis. [12,62] Le siége était poussé des deux côtés avec une extrême vigueur. Dans les assauts livrés, aux murs de la ville, bien des Spartiates se firent admirer par leur bravoure, mais Brasidas fut celui qui se distingua le plus. Au milieu de l'hésitation que montraient les triérarques pour approcher de la côte, difficile à aborder, Brasidas, qui commandait une trirème, cria au pilote de ne pas épargner le navire et de le porter vivement sur le rivage. Car il était, disait-il, honteux à des Spartiates, qui prodiguaient leur vie pour acheter la victoire, de ménager des barques pour laisser les Athéniens maîtres de la Laconie. Le pilote ayant été forcé de se jeter sur la côte, la trirème échoua. Brasidas se plaça alors sur l'épibathre du navire, et se défendit de là contre les Athéniens qui l'assaillirent en masse. Il en tua d'abord un grand nombre; mais il fut ensuite accablé de traits et reçut par-devant de nombreuses blessures. Enfin, évanoui par la perte du sang qui coulait de ses plaies, il laissa un bras hors du navire et le bouclier glissant dans la mer, les ennemis s'en emparèrent. Retiré du milieu des cadavres qu'il avait amoncelés autour de lui, il fut porté demi-mort par les siens hors du navire. Il s'était tellement distingué par sa bravoure que la perte du bouclier, qui pour d'autres eût été un crime capital, fut pour lui un titre de gloire. Cependant les Lacédémoniens pressaient Pylos par de continuels assauts, et, malgré les pertes qu'ils éprouvaient, ils persistèrent dans leur fatale entreprise. C'est ici le cas d'admirer la bizarrerie de la fortune et les particularités qu'offrit ce siége. Les Athéniens, repoussant les Spartiates de la Laconie, sont victorieux, et les Lacédémoniens, vaincus sur leur propre territoire, attaquent leurs ennemis par mer : ceux qui sont maîtres sur terre sont supérieurs sur mer, et les maîtres de la mer repoussent leurs ennemis du continent. [12,63] Cependant le siége traînait en longueur, les Athéniens, occupant le port avec leurs navires, interceptèrent les convois de vivres et réduisirent les Spartiates, laissés dans l'île de Sphactérie, à périr de famine. Inquiets du sort de leur détachement laissé dans cette île, les Lacédémoniens envoyèrent à Athènes une députation chargée de négocier la paix. Mais, ayant échoué dans cette négociation, ils firent proposer un échange d'hommes contre un nombre égal de prisonniers athéniens. Mais les Athéniens refusèrent cette proposition. Les envoyés spartiates se vantèrent alors à Athènes, que les citoyens de cette ville avouaient la supériorité des Lacédémoniens par cela même qu'ils ne voulaient pas accepter l'échange des prisonniers. Cependant le détachement de l'île de Sphactérie, maltraité par la famine, se rendit à discrétion. Il se composait de cent vingt Spartiates et cent quatre-vingts auxiliaires que le démagogue Cléon, alors commandant de l'armée, envoya chargés de fers à Athènes. Le peuple décréta qu'on leur laisserait la vie sauve, si les Lacédémoniens voulaient cesser les hostilités, et qu'il ferait mourir tous ces prisonniers, si les Lacédémoniens préféraient la guerre. Après cela, les Athéniens firent venir les plus braves des Messéniens établis à Naupacte, ainsi qu'une forte troupe d'auxiliaires, et leur confièrent la garde de Pylos; car ils pensaient que les Messéniens, animés par leur haine contre les Spartiates, mettraient, en sortant d'une place forte, le plus d'ardeur à ravager la Laconie. Telle était la situation des choses à Pylos. [12,64] A cette époque, Artaxerxès, roi des Perses, mourut après un règne de quarante ans. Xerxès, son successeur, ne règna qu'un an. En Italie, les Eques se révoltèrent contre les Romains. Ceux-ci nommèrent pour les combattre, Aulus Posthumius, dictateur, et Lucius Julius, maître de la cavalerie. Ces chefs envahirent, avec une forte armée, le territoire des rebelles et en ravagèrent les propriétés. Les Eques, résistant à la marche des ennemis, il s'engagea une bataille dans laquelle les Romains remportèrent la victoire. Ils tuèrent un grand nombre d'ennemis, firent beaucoup de prisonniers, et revinrent chargés de butin. Les rebelles consternés de leur défaite, se soumirent aux Romains. Posthumius, qui avait heureusement terminé cette guerre, eut, suivant la coutume, les honneurs du triomphe. On attribue à Posthumius un fait singulier et tout à fait incroyable. On raconte que pendant la bataille, son fils, emporté par l'ardeur guerrière, sortit hors des rangs que son père lui avait assignés, et que le père, fidèle aux moeurs antiques, condamna son fils à mort comme ayant quitté les rangs. [12,65] L'année étant révolue, Isarque fut nommé archonte d'Athènes, Titus Quintius et Caïus Iulius, consuls à Rome; on célébra en Élide la LXXXIXe olympiade, dans laquelle Symmaque fut pour la seconde fois vainqueur à la course du stade. Dans cette année, les Athéniens portèrent Nicias, fils de Nicératus, au commandement militaire; ils lui confièrent soixante trirèmes et trois mille hoplites, avec l'ordre de ravager le territoire des alliés des Lacédémoniens. Nicias se dirigea d'abord sur Mélos, dévasta la campagne et assiégea la ville pendant plusieurs jours. Parmi les Cyclades c'était la seule île demeurée fidèle à l'alliance des Lacédémoniens : c'était une colonie de Sparte. Les habitants de Mélos se défendirent avec vigueur, et Nicias, ne pouvant prendre leur ville, se dirigea sur Orope en Béotie. Là, il quitta la flotte, entra à la tête de ses hoplites dans le pays des Tanagréens, où il fut rejoint par un renfort envoyé d'Athènes, sous les ordres d'Hipponicus, fils de Callias. Ces deux corps s'étant réunis en un seul, ils envahirent le territoire ennemi et le livrèrent au pillage. Cependant les Thébains accoururent au secours des leurs et engagèrent un combat, d'où les Athéniens sortirent vainqueurs, après avoir tué un grand nombre d'ennemis. Après ce combat, Hipponicus retourna avec sa troupe à Athènes. Nicias rejoignit sa flotte, se porta sur la Locride, ravagea le littoral et reçut des alliés un convoi de quarante trirèmes, de manière à réunir sous ses ordres un total de cent bâtiments. Après avoir formé, par de nombreuses levées, une armée considérable, il fit voile pour Corinthe. Là, il fit débarquer ses soldats et alla se mesurer avec les Corinthiens. Les Athéniens furent victorieux dans les deux combats, et élevèrent un trophée, après avoir fait perdre beaucoup de monde à l'ennemi. Les Athéniens n'eurent que huit morts et les Corinthiens plus de trois cents. Nicias se dirigea ensuite sur Crommyon, dont il dévasta le territoire et s'empara de la forteresse. De là, il partit aussitôt et vint fortifier la place de Méthone; il y laissa une garnison tant pour garder cette place que pour ravager la campagne environnante. En longeant les côtes qu'il dévasta, il revint à Athènes. Après cela, les Athéniens dirigèrent sur Cythère soixante navires et deux mille hoplites, sous les ordres de Nicias et de quelques autres généraux; Nicias vint bloquer l'île et la ville se rendit par capitulation. Il laissa dans l'île une garnison, se dirigea vers le Péloponnèse et ravagea les côtes. Il prit d'assaut Thyrée, ville située sur les limites de la Laconie et de l'Argolide, la rasa et vendit les habitants comme esclaves : il envoya comme prisonniers à Athènes, les Eginètes, domiciliés à Thyrée, et Tantale le Spartiate, chef de la garnison. Les Athéniens gardèrent en prison Tantale avec ses compagnons de captivité, ainsi que les Eginètes. [12,66] Tandis que ces choses se passaient, les Mégariens commençaient à se fatiguer de la guerre qu'ils faisaient aux Athéniens et aux exilés. Pendant les négociations qui avaient lieu au sujet de ces derniers, quelques citoyens, mal disposés pour les bannis, promirent aux généraux athéniens de leur livrer la ville. Cette trahison convenue, les généraux Hippocrate et Démosthène profitèrent de la nuit pour diriger sur la ville un détachement de six cents hommes, et les traîtres reçurent les Athéniens en dedans des murs. La trahison était déjà connue dans l'intérieur, et la multitude se partageait incertaine sur le choix du parti à prendre soit pour embrasser l'alliance des Athéniens, soit pour rester fidèle aux Lacédémoniens, lorsqu'un citoyen proclama, de son propre mouvement, que les Mégariens étaient libres de joindre leurs armes à celles des Athéniens. Dès que les Lacédémoniens se virent près d'être abandonnés des Mégariens, ceux de la garnison des longs murs quittèrent leur poste et se retirèrent au Nisée, qui est le port des Mégariens. Les Athéniens l'entourèrent d'un fossé et le bloquèrent; ensuite, après avoir fait venir des ouvriers, ils ceignirent le Nisée d'un mur de circonvallation. Dans la crainte d'être pris de vive force et mis à mort, les Péloponnésiens rendirent par capitulation la place aux Athéniens. Tel était alors l'état des choses chez les Mégariens. [12,67] Brasidas partit à la tête d'une armée suffisante, composée tant de Lacédémoniens que d'autres Péloponnésiens, et se dirigea sur Mégare. Il frappa de terreur les Athéniens, les chassa du Nisée, délivra la ville des Mégariens, qu'il fit rentrer dans l'alliance des Lacédémoniens. Il traversa ensuite avec son armée la Thessalie et se porta sur Dium en Macédoine. De là il se rendit à Acanthe et vint au secours des Chalcidiens. Il détacha la ville des Acanthiens de l'alliance d'Athènes, moitié par intimidation, moitié par des insinuations bienveillantes, et parvint à entraîner dans le parti des Lacédémoniens beaucoup d'autres habitants de la Thrace. Après ces succès, décidé à pousser la guerre avec plus de vigueur, Brasidas fit venir des soldats de Lacédémone; car il songeait à réunir des forces plus considérables. Les Spartiates, voulant se défaire des Hilotes les plus braves, lui en envoient mille des plus déterminés, dans la conviction que la plupart succomberaient dans les combats. Ils commirent encore un autre acte violent et cruel, par lequel ils croyaient affaiblir les Hilotes : par la voix d'un héraut, ils invitèrent les Hilotes, qui avaient rendu quelques services à Sparte, à venir s'inscrire, promettant de leur donner la liberté. Deux mille se firent inscrire; mais, en même temps, les Spartiates ordonnèrent à des hommes très vigoureux d'égorger ces Hilotes chacun dans sa maison, car ils craignaient que ceux-ci ne profitassent d'une occasion favorable pour se ranger du côté des ennemis et qu'ils n'exposassent ainsi Sparte à de grands dangers. Cependant Brasidas reçut mille Hilotes qui, joints aux troupes auxiliaires, formèrent une armée considérable. [12,68] Confiant dans le nombre de ses soldats, Brasidas marcha contre la ville d'Amphipolis. Aristagoras de Milet, fuyant Darius, roi des Perses, avait jadis entrepris de fonder dans cette ville une colonie. A la mort d'Aristagoras, les nouveaux colons furent chassés par les Thraces Edoniens. Trente-deux ans après, les Athéniens envoyèrent à Amphipolis une colonie de mille citoyens; cette colonie fut à son tour détruite par les Thraces de Drabesque. Enfin, après un intervalle de deux ans, les Athéniens, sous la conduite d'Apion, se mirent de nouveau en possession d'Amphipolis. C'est de cette ville, objet de tant de luttes, que Brasidas cherchait à se rendre maître. Il marcha donc contre elle avec une forte armée et vint établir son camp près du pont. Il s'empara d'abord du faubourg; le lendemain, les Amphipolitains, consternés, rendirent la ville par capitulation; chaque citoyen fut déclaré libre de sortir de la ville et d'emporter tout ce qui lui appartenait. Immédiatement après ce succès, Brasidas prit plusieurs autres villes du voisinage, dont les plus considérables étaient Syme et Galepsus, toutes deux colonies des Thasiens; enfin Myrcinum, petite ville des Edoniens. Il entreprit aussi de faire construire plusieurs trirèmes sur le fleuve Strymon, et vit venir des soldats de Lacédémone et des villes alliées. Il fit fabriquer un grand nombre d'armures complètes et les donna aux jeunes conscrits qui manquaient d'armes ; enfin, il amassa des provisions de traits, de blé et de toutes sortes de munitions. Ces préparatifs terminés, il partit d'Amphipolis avec son armée et vint établir son camp dans la contrée qu'on nomme Acté. Là se trouvaient cinq villes : les unes grecques, colonies des Andriens ; les autres, peuplées par les Barbares Bissaltiques qui parlent deux langues. Après avoir soumis cette région, il marcha sur la ville de Torone, colonie des Chalcidiens, occupée par les Athéniens. Quelques traîtres ayant livré la ville, Brasidas y fut introduit pendant la nuit, et s'empara de Torone sans coup férir. Voilà où en était arrivée l'expédition de Brasidas dans le cours de cette année. [12,69] Pendant que ces événements avaient lieu, une bataille se livrait près de Délium en Béotie, entre les Athéniens et les Béotiens. En voici l'origine. Quelques Béotiens, mécontents du gouvernement établi, et désirant introduire dans les villes la constitution démocratique, étaient, au sujet de leurs plans, en pourparlers avec les généraux athéniens, Hippocrate et Démosthène, et promettaient de livrer les villes de la Béotie. Cette promesse ayant été accueillie avec joie, les généraux athéniens, pour la réussite du projet, divisèrent leur armée en deux corps : Démosthène, à la tête de la plus forte division, pénétra dans la Béotie; mais ayant trouvé les Béotiens prévenus de la trahison, il revint sans avoir rien exécuté. Hippocrate se porta avec la masse des Athéniens sur Délium, occupa la place, et devançant l'arrivée des Béotiens, il fortifia Délium par une enceinte. Cette place est située près d'Orope, sur les limites de la Béotie. Pantodas, général des Béotiens, ayant rassemblé ses soldats, tirés des villes de la Béotie, s'avança vers Délium à la tête d'une nombreuse armée. Il avait sous ses ordres environ vingt mille fantassins et mille cavaliers. Les Athéniens étaient supérieurs en nombre aux Béotiens, mais ils n'étaient pas aussi bien armés que leurs ennemis. Car, sortis soudain et à la hâte de la ville, ils n'avaient pas eu le temps de revêtir leurs armures. [12,70] Les deux armées, animées d'une égale ardeur, étaient rangées en bataille dans l'ordre suivant. Dans l'armée des Béotiens, les Thébains occupaient l'aile droite, les Orchoméniens l'aile gauche, et les Béotiens formaient la phalange du centre. En avant du front étaient placés les Hénioques et les Parabates, élite de trois cents hommes. Les Athéniens étaient encore occupés à disposer leurs rangs, lorsqu'ils furent forcés d'en venir aux mains. Le combat fut acharné. La cavalerie athénienne, déployant une valeur brillante, mit d'abord en déroute la cavalerie ennemie. Mais l'infanterie ayant ensuite engagé le combat, les Athéniens, opposés aux rangs des Thébains, furent obligés de lâcher pied. Ceux qui avaient résisté au choc mirent en fuite les autres Béotiens, en tuèrent un grand nombre et les poursuivirent à une assez grande distance. Mais les Thébains, renommés pour la vigueur de leur corps, réparèrent cet échec, et, tombant sur les Athéniens qui poursuivaient les leurs, il les forcèrent à prendre la fuite. Vainqueurs dans ce combat célèbre, ils s'acquirent une grande réputation de bravoure. Quant aux Athéniens, ils se réfugièrent, les uns à Orope, les autres à Délium, quelques-uns gagnèrent les bords de la mer pour se retirer sur leurs navires, et le reste se dispersa au hasard, A l'entrée de la nuit, les Béotiens comptaient environ cinq cents morts; les Athéniens en avaient un nombre bien plus considérable. Si la nuit n'était pas survenue, la plupart des Athéniens auraient été passés au fil de l'épée; mais l'obscurité ayant arrêté l'ardeur de la poursuite, les fuyards parvirent à se sauver. Néanmoins le nombre des tués fut si grand que les Thébains, avec le prix des dépouilles, élevèrent sur la place publique de Thèbes un grand portique et l'ornèrent de statues d'airain; avec les armes des vaincus ils décorèrent les temples, et avec les trophées suspendus ils couvrirent d'airain les portiques de la place. Enfin, ils employèrent l'argent retiré du butin à instituer la panégyrie des Déliens. Après la bataille, les Béotiens vinrent attaquer Délium et emportèrent la place d'assaut. La majeure partie de la garnison mourut noblement les armes à la main; deux cents hommes furent faits prisonniers, le reste se réfugia sur les navires et rentra dans l'Attique avec les débris de l'armée. Telle fut l'issue de la malheureuse tentative des Athéniens contre les Béotiens. [12,71] En Asie, Xerxès, le roi, mourut après un an de règne. Suivant quelques écrivains, il n'avait régné que deux mois. Son frère Sogdianus succéda à l'empire et ne régna que sept mois. Celui-ci fut assassiné par Darius, qui occupa le trône pendant dix-neuf ans. L'historien Antiochus de Syracuse termine, dans cette année, son histoire de la Sicile. Cette histoire commence au règne de Cocalus, roi des Sicaniens, et comprend neuf livres. [12,72] Aminias étant archonte d'Athènes, les Romains nommèrent consuls Caïus Papirius et Lucius Iulius. Dans cette année, les Scionéens, qui méprisaient les Athéniens depuis la défaite de Délium, abandonnèrent l'alliance des Athéniens pour passer du côté des Lacédémoniens, et livrèrent leur ville à Brasidas, chef de l'expédition des Lacédémoniens contre la Thrace. Dans Lesbos, ceux qui avaient échappé à la captivité après la prise de Mitylène par les Athéniens, et ils étaient nombreux, avaient depuis longtemps essayé de rentrer dans Lesbos; mais maintenant ils se réunirent et s'emparèrent d'Antandros. De là, ils faisaient des sorties pour harceler les Athéniens qui occupaient Mitylène. Irrité de ces attaques, le peuple athénien fit marcher contre les agresseurs une armée commandée par les généraux Aristide et Symmaque. Ceux-ci se portèrent sur Lesbos, livrèrent la place à de continuels assauts, et prirent Antandros. Quant aux réfugiés, ils mirent les uns à mort, et expulsèrent les autres de la ville. Les généraux athéniens laissèrent un détachement pour garder cette place et quittèrent Lesbos. Quelque temps après, Lamachus, commandant dix trirèmes, fit voile vers le Pont, et vint mouiller à Héraclée. Il perdit tous ses navires à l'embouchure du fleuve Cachès. Ce fleuve, grossi et devenu très rapide par des pluies abondantes, lança les bâtiments contre quelques écueils et les fit échouer sur la côte. Les Athéniens et les Lacédémoniens conclurent une trêve d'un an, en se garantissant réciproquement les possessions dont ils étaient alors les maîtres. Ils tenaient de fréquentes conférences, convaincus de la nécessité de terminer la guerre et de mettre une fin à leur lutte de rivalité. Les Lacédémoniens avaient hâte de se faire rendre les prisonniers faits dans l'lle de Sphactérie. La trêve fut donc conclue comme nous venons de le dire, et on tomba d'accord sur toutes les conditions, excepté sur l'affaire de Scione. La querelle se ralluma; la trêve fut rompue et on recommença la guerre au sujet de la possession de Scione. En ce même temps la ville de Mende passa du côté des Lacédémoniens, ce qui envenima encore la lutte au sujet de Scione : Brasidas fit emporter de Mende et de Scione les enfants, les femmes, ainsi que les effets les plus utiles, et il fortifia ces villes par des garnisons considérables. Irrités de ces événements, les Athéniens décrétèrent que tous les Scionéens adultes qui tomberaient en leur pouvoir seraient passés par les armes; en même temps ils firent partir une flotte de cinquante trirèmes, sous le commandement de Nicias et de Nicostrate. Ces généraux se portèrent d'abord sur la ville de Mende et s'en emparèrent à l'aide de quelques traîtres. Puis, ils entourèrent Scione d'un mur de circonvallation, la mirent en état de siége et lui livrèrent de continuels assauts. La garnison de Scione, nombreuse et bien pourvue de vivres, de traits et d'autres munitions, se défendit facilement contre les Athéniens ; et, grâce à sa position qui dominait les assaillants, elle en blessa un grand nombre. Tels sont les événements arrivés dans le cours de cette année. [12,73] L'année suivante, Alcée fut nommé archonte d'Athènes, et les Romains élurent pour consuls Opitérus Lucrétius et Lucius Sergius Fidéniates. A cette époque, les Athéniens, reprochant aux Déliens de s'être secrètement alliés avec les Lacédémoniens, chassèrent les habitants de l'île et occupèrent leur ville. La satrape Pharnace accueillit les exilés et leur donna pour demeure la ville d'Atramytion. Les Athéniens nommèrent Cléon le démagogue au commandement militaire, et le firent partir avec une nombreuse armée de terre pour la Thrace. Ce général fit voile pour Scione, joignit à ses troupes un détachement de soldats qui faisaient le siége de cette ville, et alla mouiller à Torone : il savait que Brasidas avait quitté ces lieux, et qu'il n'avait laissé à Torone qu'une faible garnison. Il établit son camp dans le voisinage de Torone, investit la ville par terre et par mer, la prit de vive force, réduisit en esclavage les enfants et les femmes, s'empara des prisonniers qui formaient la garnison et les envoya enchaînés à Athènes. Après avoir laissé dans la ville une forte garnison, il se remit en mer avec son armée, se dirigea vers le fleuve Strymon, vint camper à trente stades environ d'Amphipolis, près de la ville d'Eïon, et assiégea cette petite ville. [12,74] Instruit que Brasidas se trouvait avec son armée dans les environs d'Amphipolis, le général athénien se mit en route pour l'attaquer. A la nouvelle de l'approche des ennemis, Brasidas rangea son armée en bataille et se porta à la rencontre des Athéniens. Il se livra un grand combat. Les deux armées se battirent d'une manière brillante; l'affaire fut d'abord indécise : les chefs opposés rivalisant d'ardeur pour décider la victoire, une multitude de braves tombèrent, entraînés au milieu de la mêlée par leurs généraux impatients de vaincre. Brasidas, ayant fait des prodiges de valeur et tué un grand nombre d'ennemis, mourut en héros. Cléon tomba aussi dans ce combat. Les deux armées, privées de leurs chefs, s'ébranlèrent; enfin les Lacédémoniens remportèrent la victoire et érigèrent un trophée. Les Athéniens recueillirent leurs morts, dont ils avaient stipulé la reddition, et, après les avoir ensevelis, ils revinrent à Athènes. Quelques messagers, partis du champ de bataille, apportèrent à Lacédémone la nouvelle de la victoire en même temps que la mort de Brasidas. La mère de Brasidas, instruite des circonstances de la bataille, demanda comment son fils s'était conduit dans le combat. Les messagers répondirent que Brasidas s'était montré le plus brave des Lacédémoniens. "Sans doute, reprit la mère du mort, mon fils était brave ; mais il était encore inférieur à bien d'autres Spartiates". Ces paroles s'étant répandues dans la ville, les éphores décernèrent à la mère de Brasidas des honneurs publics, parce qu'elle avait mis la gloire de la patrie au-dessus de celle de son fils. Après la bataille mentionnée, les Athéniens résolurent de conclure avec les Lacédémoniens une trêve de cinquante ans aux conditions suivantes : de part et d'autre, les prisonniers seront restitués; les villes prises pendant la guerre seront rendues. Telle fut l'issue de la guerre péloponnésiaque qui, jusqu'à l'époque où nous sommes arrivés, avait duré dix ans. [12,75] Ariston étant archonte d'Athènes, les Romains élurent pour consuls Titus Quintius et Aulus Cornélius Cossus. Dans cette année, et presque aussitôt après la guerre du Péloponnèse, de nouveaux troubles éclatèrent. En voici l'origine. Les Athéniens et les Lacédémoniens, de concert avec leurs alliés, avaient conclu une alliance sans y comprendre les confédérés. Cet acte fit soupçonner que les deux peuples s'étaient ligués ensemble pour réduire en servitude tous les autres Grecs. C'est pourquoi les villes les plus importantes s'envoyèrent réciproquement des députés pour s'entendre au sujet d'une alliance offensive et défensive, dirigée contre les Athéniens et les Lacédémoniens. A la tête de cette ligue se trouvaient quatre villes des plus puissantes, Argos, Thèbes, Corinthe, Élis. Ce n'était pas d'ailleurs sans motif qu'Athènes et Sparte étaient soupçonnées de conspirer contre la Grèce ; car, dans le traité commun, il avait été stipulé que les Athéniens ainsi que les Lacédémoniens auraient la faculté d'ajouter aux conditions arrêtées des articles nouveaux ou d'en retrancher, suivant le bon plaisir de l'un et de l'autre État. En outre, les Athéniens avaient décrété l'institution de dix magistrats chargés de veiller aux intérêts de la cité. Les Lacédémoniens en avaient fait autant, et l'ambition des deux États fut mise en évidence. Un grand nombre de villes songeant à la liberté commune, ne respectant plus d'ailleurs les Athéniens depuis la défaite de Délium, et voyant la gloire de Sparte ternie par les prisonniers de l'île de Sphactérie, se liguèrent entre elles et mirent à leur tête la ville des Argiens, entourée du prestige de son antique histoire; car, avant le retour des Héraclides, les plus grands rois étaient presque tous sortis de l'Argolide. De plus, grâce à une longue paix, Argos avait considérablement augmenté ses revenus : elle possédait non seulement beaucoup de richesses, mais encore une immense population. Les Argiens, se voyant investis de l'autorité suprême, firent choix de mille citoyens, pris parmi les plus jeunes et les plus distingués par leur force corporelle et leur fortune; ils les affranchirent de tout service public, les entretinrent aux frais de l'État et leur ordonnèrent de se livrer à de continuels exercices. Grâce à ce régime, ces jeunes gens devinrent bientôt de véritables athlètes, propres aux fatigues de la guerre. [12,76] Voyant le Péloponnèse ligué contre eux, et dans le pressentiment d'une guerre sérieuse, les Lacédémoniens prirent, pour garantir leur domination, toutes les mesures dont ils pouvaient disposer. D'abord ils affranchirent les Hilotes, au nombre de mille, qui avaient servi dans l'expédition de Brasidas contre la Thrace. Ensuite, ils réhabilitèrent les Spartiates qui avaient été faits prisonniers dans l'île de Sphactérie et notés d'infamie pour avoir déshonoré leur patrie. Conformément à ces maximes, ils excitèrent par des éloges et des honneurs les braves qui s'étaient déjà distingués et les portèrent à se surpasser eux-mêmes dans les périls imminents. Ils se conduisirent avec plus de douceur à l'égard de leurs alliés, et cherchèrent, par des prévenances, à s'attacher ceux dont ils s'étaient aliéné l'affection. Les Athéniens, au contraire, voulant intimider les alliés incertains, infligèrent aux Scioniens un châtiment exemplaire; ayant pris d'assaut leur ville, ils égorgèrent tous les habitants adultes, vendirent les enfants et les femmes comme esclaves, et donnèrent leur ville pour demeure aux Platéens, expulsés de leur patrie par les Scionéens. A cette même époque, en Italie, les Campaniens firent marcher contre Cumes une grande armée; ils vainquirent les Cuméens dans un combat, et passèrent un grand nombre d'ennemis au fil de l'épée. Ils investirent la ville et s'en emparèrent après plusieurs assauts. Ils livrèrent ensuite la ville au pillage, vendirent comme esclaves les prisonniers qu'ils avaient faits, et y établirent une colonie tirée de leur sein. [12,77] Aristophylus étant archonte d'Athènes, les Romains nommèrent consuls Lucius Quintius et Aulus Sempronius, et les Eliens célébrèrent la XCe olympiade, dans laquelle Hyperbius, de Syracuse, remporta le prix de la course du stade. Dans cette année les Athéniens, selon l'ordre d'un oracle, rétablirent les Déliens dans leur île, et les Déliens habitant Atramytium rentrèrent dans leur patrie. Les Athéniens ne rendant point aux Lacédémoniens Pylos, de nouveaux différends s'élevèrent entre ces deux nations. Le peuple d'Argos, qui en était informé, parvint à persuader les Athéniens de conclure avec les Argiens un traité d'alliance. La mésintelligence s'allumant de plus en plus, les Lacédémoniens engagèrent les Corinthiens d'abandonner la confédération et de se joindre aux Spartiates. Tels étaient les troubles et l'état anarchique où se trouvait alors le Péloponnèse. En dehors du Péloponnèse, les Ænianes, les Dolopes et les Méliens, ligués ensemble, firent marcher des troupes considérables contre Héraclée dans la Trachinie. Il se livra une bataille sanglante dans laquelle les habitants d'Héraclée furent vaincus. Après avoir perdu beaucoup de monde, ils se retirèrent en dedans de leurs murs et appelèrent à leur secours les Béotiens. Ceux-ci leur envoyèrent une élite de mille hoplites thébains. Avec ce renfort, les Héracléotes se défendirent contre leurs agresseurs. Pendant que ces choses se passaient, les Olynthiens marchèrent contre la ville de Mécyberne, gardée par les Athéniens ; ils chassèrent la garnison et occupèrent la ville. [12,78] Archias étant archonte d'Athènes, les Romains nommèrent consuls Lucius Papirius Mugilanus et Caïus Servilius Structus. Dans cette année, les Argiens accusant les Lacédémoniens de ne pas avoir offert à Apollon Pythien les sacrifices dus, leur déclarèrent la guerre. A cette époque, Alcibiade, général des Athéniens, entra dans l'Argolide à la tête d'une armée. Les Argiens, réunis aux Athéniens, marchèrent contre Trézène, ville alliée des Lacédémoniens. Après avoir dévasté les champs et incendié les maisons de campagne, ils retournèrent chez eux. Indignés des traitements injustes infligés aux Trézéniens, les Lacédémoniens résolurent de faire la guerre aux Argiens. Ils mirent donc sur pied une armée dont ils donnèrent le commandement au roi Agis. Celui-ci marcha contre les Argiens, en ravagea le territoire, et, ayant conduit son armée dans le voisinage de la ville, il provoqua les ennemis au combat. Les Argiens, joints à un renfort de trois mille Eliens, et de presque autant de Mantinéens, firent sortir leurs troupes de la ville. Un combat allait s'engager, lorsque les généraux des deux armées s'envoyèrent des parlementaires et conclurent un armistice de quatre mois. Les généraux revinrent dans leurs foyers sans avoir rien fait; l'un et l'autre Etat firent éclater leurs ressentiments contre les auteur de l'armistice. Les Argiens lapidèrent leurs généraux et voulaient les tuer; ce ne fut que grâce à beaucoup de sollicitations qu'ils leur accordèrent la vie ; mais ils confisquèrent leurs biens et démolirent leurs maisons. Les Lacédémoniens, de leur côté, songèrent à châtier Agis, qui obtint à peine son pardon, en promettant de réparer sa faute par de belles actions. A dater de ce moment, ils confièrent l'administration des affaires de l'État à un conseil de dix, choisis parmi les citoyens les plus sages. [12,79] Plus tard, les Athéniens envoyèrent, par mer, au secours des Argiens, mille hoplites choisis et deux cents cavaliers. (Lachès et Nicostrate commandaient cette troupe, dans laquelle Acibiade se trouvait comme simple soldat, entraîné par son amitié pour les Éliens et les Mantinéens.) Aussitôt tous les Argiens, réunis en conseil, résolurent de rompre la trêve et de commencer la guerre. Chaque général exhorta donc ses soldats au combat, et toutes les troupes, animées d'une ardeur guerrière, allèrent établir leur camp hors de la ville. On convint de marcher d'abord contre Orchomène, en Arcadie. En conséquence, les troupes entrèrent dans l'Arcadie, investirent Orchomène et en pressèrent le siége par des assauts journaliers. Après s'être emparé de cette ville, on alla camper dans le voisinage de Tégée, dans l'intention bien arrêtée d'en faire également le siége. Les Tégéates prièrent alors les Lacédémoniens de venir promptement à leurs secours. Les Spartiates ayant réuni toutes leurs troupes à celles de leurs alliés s'avancèrent vers Mantinée, convaincus que l'investissement de cette ville ferait lever le siège de Tégée. Les Mantinéens, réunis à leurs alliés, se portèrent en masse à la rencontre des Lacédémoniens. Il se livra un combat sanglant. L'élite des Argiens, au nombre de mille hommes parfaitement habitués aux exercices militaires, mit la première en déroute les ennemis qui lui étaient opposés, les poursuivit et en fit un grand carnage. Cependant, les Lacédémoniens, après avoir ébranlé les autres divisions de l'armée, et tué un grand nombre d'ennemis, se tournèrent vers ce corps d'élite; l'ayant enveloppé par des forces supérieures, ils se flattaient de passer tous les guerriers au fil de l'épée. Quoique inférieurs en nombre aux bataillons des ennemis, les Argiens les surpassaient en bravoure, lorsque le roi des Lacédémoniens, combattant au premier rang, affronta tous les périls pour exterminer les Argiens (car il brûlait de remplir ses promesses, et d'effacer par quelque action d'éclat son an- cienne tache d'infamie) ; mais il ne lui fut pas permis d'accomplir son projet. Car Pharax le Spartiate, l'un des membres du conseil et jouissant de la plus grande considération à Sparte, ordonna d'ouvrir les rangs pour laisser passer les Argiens, afin de ne pas réduire ces malheureux aux efforts du désespoir. Le roi fut donc forcé, d'après l'ordre qui venait d'être donné conformément à l'avis de Pharax, de livrer passage au corps d'élite des mille Arcadiens qui furent ainsi sauvés. Les Lacédémoniens, victorieux dans une grande bataille, élevèrent un trophée et rentrèrent dans leurs foyers. [12,80] L'année étant révolue, Antiphon fut nommé archonte d'Athènes, et les Romains choisirent, au lieu de consuls, quatre tribuns militaires, Caïus Furius, Titus Quintius, Mucus Posthumius et Aulus Cornélius. Dans cette année, les Argiens et les Lacédémoniens entrèrent en négociation. Ils firent la paix et conclurent un traité d'alliance. Les Mantinéens, privés du secours des Argiens, furent obligés de se soumettre aux Lacédémoniens. En ce même temps, dans la ville d'Argos, les mille hommes d'élite, que les citoyens avaient choisis, se concertèrent ensemble, et convinrent de renverser la démocratie et de faire sortir de leur sein un gouvernement aristocratique. Supérieurs aux autres citoyens, tant par leur richesse que par leur bravoure, ils avaient beaucoup de complices. Ils commencèrent donc par se saisir des meneurs habituels du peuple et les mirent à mort; après avoir intimidé les autres, ils abrogèrent les anciennes lois et administrèrent l'État à leur propre gré. Ce gouvernement dura huit mois; il fut renversé par le peuple qui s'était soulevé contre les aristocrates. Ces derniers furent massacrés, et le peuple rétablit la démocratie. Une autre insurrection éclata alors en Grèce. Les Phocidiens et les Locriens, animés d'une haine réciproque, résolurent, confiants en leurs propres forces, de décider leur querelle par les armes. Les Phocidiens remportèrent la victoire, après avoir tué plus de mille Locriens. Les Athéniens, sous le commandement de Nicias, prirent deux villes, Cythère et Nisée; puis ils bloquèrent Mélos et passèrent au fil de l'épée toute la population en état de porter les armes; les enfants et les femmes furent vendus comme esclaves. Telle était alors la situation des Grecs. En Italie, les Fidénates avaient fait mourir, sous de frivoles prétextes, les députés envoyés de Rome. Les Romains, indignés de cet acte, répondirent par une déclaration de guerre; ils mirent en campagne une armée considérable et nommèrent dictateur Anius Æmilius, auquel ils joignirent, selon la coutume, un maître de cavalerie, Aulus Cornélius. Après avoir achevé les préparatifs de guerre, Æmilius marcha avec son armée contre les Fidénates. Ceux-ci opposèrent de la résistance. Il s'engagea un combat long et acharné, dont l'issue demeura indécise après des pertes réciproques. [12,81] Euphène étant archonte d'Athènes, les Romains élurent, au lieu de consuls, pour tribuns militaires, Lucius Furius, Lucius Quintius, Aulus Sempronius. Dans cette année, les Lacédémoniens, réunis à leurs alliés, envahirent l'Argolide ; prirent la place d'Hysies, en massacrèrent les habitants et démolirent le fort. Informés que les Argiens avaient construit de longues murailles jusqu'à la mer, les Lacédémoniens vinrent les renverser, et après cela retournèrent chez eux. Les Athéniens nommèrent au commandement militaire Alcibiade; ils lui confièrent vingt navires en le chargeant de rétablir l'ordre chez les Argiens, qui étaient en proie à des dissensions intestines, parce que l'aristocratie comptait encore beaucoup de partisans. A son arrivée à Argos, Alcibiade réunit en conseil les partisans de la démocratie, dressa la liste des Argiens qui paraissaient le plus favoriser le parti des Lacédémoniens, les exila de la ville, rétablit solidement le gouvernement démocratique et retourna à Athènes. Vers la fin de cette année, les Lacédémoniens envahirent avec une nombreuse armée l'Argolide, ravagèrent une grande partie du territoire et mirent les exilés argiens en possession d'Ornée. Ils fortifièrent cette place de l'Argolide et y établirent une forte garnison, chargée de harceler les Argiens. Après le départ des Lacédémoniens, les Athéniens envoyèrent au secours des Argiens quarante trirèmes et douze cents hoplites. Les Argiens, de concert avec les Athéniens, marchèrent contre Ornée; ils emportèrent la ville d'assaut, et tuèrent ou chassèrent d'Ornée la garnison et les exilés. Ces événements sont arrivés dans la quinzième année de la guerre du Péloponnèse. [12,82] Dans la seizième année de la guerre du Péloponnèse, Aristomnestus étant archonte d'Athènes, les Romains nommèrent, au lieu de consuls, quatre tribuns militaires, Titus Claudius, Spurius Nautius, Lucius Sentius et Sextus Iulius. Dans cette même année, on célébra en Elide la XCIe olympiade, Exaenétus d'Agrigente étant vainqueur à la course du stade. Les Byzantins et les Chalcédoniens, réunis aux Thraces, dirigèrent de nombreuses troupes contre la Bithynie, dévastèrent le territoire, prirent d'assaut beaucoup de petites villes et y commirent des actions d'une grande cruauté : maîtres d'une multitude de prisonniers, tant hommes que femmes et enfants, ils les égorgèrent jusqu'au dernier. A cette même époque, en Sicile, les Égestéens étaient en guerre avec les Sélinontins au sujet d'un territoire litigieux. Un fleuve formait la limite des deux villes en querelle. Les Sélinontins le passèrent les premiers et se mirent de force en possession du pays riverain; ayant ensuite accaparé une grande partie du territoire adjacent, ils ajoutèrent à l'offense l'insulte. Les Ëgestéens, irrités, employèrent d'abord la voie de la persuasion pour empêcher une violation du territoire ; mais comme ils ne furent point écoutés, ils marchèrent contre les agresseurs, les chassèrent tous des terres que les Sélinotins avaient occupées, et rentrèrent en possession de la contrée. La lutte s'échauffant entre les deux villes, on rassembla des deux côtés des troupes, et on décida l'affaire par les armes. Il se livra un combat acharné, dans lequel les Sélinontins furent vainqueurs, après avoir tué un grand nombre d'Egestéens. Abattus par cet échec, les Egestéens, hors d'état de se défendre avec leurs propres forces, engagèrent d'abord les Agrigentins et les Syracusains à venir à leur secours. Mais, ayant échoué dans cette démarche, ils envoyèrent des députés à Carthage, chargés de demander des secours. Sur le refus de leur demande, ils cherchaient quelque alliance d'outre-mer, lorsque le hasard vint à les servir. [12,83] Les Léontins avaient été chassés par les Syracusains et obligés de quitter leur ville et leur territoire. Cependant les exilés reprirent courage et résolurent d'avoir de nouveau recours aux Athéniens, auxquels ils étaient déjà alliés par les liens du sang. Après s'être concertés avec les peuples qui avaient adopté leur cause, ils envoyèrent en commun une députation pour solliciter les Athéniens de venir au secours des villes offensées, en même temps qu'on s'engagerait à leur livrer la Sicile. La députation arriva à Athènes; les Léontins faisaient valoir leur origine et leur ancienne alliance avec les Athéniens, tandis que les Égestéens promettaient de fournir de l'argent et des troupes pour soutenir la guerre contre les Syracusains. Les Athéniens résolurent de faire partir quelques citoyens des plus distingués avec la mission d'examiner les affaires de l'île et l'état des Egestéens. A l'arrivée de ces commissaires, les Egestéens montrèrent pour faire parade, une multitude de richesses, apportées tant de chez eux que de chez leurs voisins. A leur retour, les envoyés firent connaître l'opulence des Égestéens, et le peuple s'assembla pour délibérer. L'assemblée proposa d'entreprendre une expédition en Sicile. Nicias, fils de Nicératus, admiré pour ses vertus, s'éleva contre cette proposition. Il est impossible, disait Nicias, de soutenir tout à la fois la guerre contre les Lacédémoniens et d'envoyer de grandes armées au delà de la mer. D'ailleurs, ajoutait-il, comment les Athéniens, impuissants à conquérir la suprématie sur les Grecs, espéreraient-ils se rendre maîtres de la plus grande des îles du monde. Les Carthaginois, malgré leur énorme puissance et leurs nombreuses expéditions contre la Sicile, n'ont pas réussi à s'emparer de cette île ; comment les Athéniens, si inférieurs en forces aux Carthaginois, se flatteraient-ils de conquérir par les armes la plus puissante des îles? [12,84] Après que beaucoup d'autres discours eurent été prononcés à l'appui de cette motion, Alcibiade, le plus brillant des Athéniens, s'éleva pour ouvrir un avis contraire. Il persuada au peuple d'entreprendre cette guerre. Alcibiade joignit à son éloquence, par laquelle il surpassa tous ses concitoyens, le prestige de sa noble origine, de sa richesse et de son expérience militaire. Aussitôt le peuple construisit une flotte considérable; aux cent navires qu'il avait lui-même équipés, il joignit trente trirèmes fournies par ses alliés. Après les avoir pourvues de toutes les munitions de guerre nécessaires, il enrôla cinq mille hoplites et nomma au commandement de cette expédition trois généraux, Alcibiade, Nicias et Lamachus. Tel était l'état des affaires chez les Athéniens. Nous voici arrivés au commencement de la guerre qui eut lieu entre les Athéniens et Syracusains. Conformément à notre plan tracé au commencement, nous en exposerons l'histoire dans le livre suivant.