[7,0] LIVRE SEPTIÈME. [7,1] CHAPITRE PREMIER. Le véritable Gnostique est un sincère adorateur de Dieu ; c'est injustement que les incredules l'accusent d'atheisme ou d'impiété. Le moment est venu de montrer aux Grecs qu'il n'y a de solidement religieux que le Gnostique, afin que les philosophes, connaissant une fois le véritable Chrétien, d'une part, condamnent leur ignorance, persuadés que l'acharnement avec lequel ils poursuivent un nom est sans aucun motif, et de l'autre, confessent qu'ils flétrissent injustement du nom d'athées ceux qui honorent le vrai Dieu. En face des philosophes, il faut apporter des raisons d'une évidence humaine, afin qu'exercés par leurs propres doctrines, ils soient à même de comprendre, quoiqu'ils ne se soient pas encore rendus dignes de participer à la faculté de croire. Nous laisserons de côté pour le moment les oracles prophétiques, remettant l'usage des Écritures à un temps plus opportun. Nous indiquerons sommairement ce qu'elles signifient, quand nous décrirons le Christianisme, afin de ne point interrompre l'enchainement du discours, si nous faisions marcher concurremment l'Écriture et les raisonnements, destinés à ceux qui ne comprennent pas encore le sens des textes sacrés. Mais après que nous aurons montré le sens de l'Écriture, nous fournirons à des cœurs qui croient une ample moisson de témoignages. Que si nos paroles semblaient à quelques esprits vulgaires différentes de l'Écriture du Seigneur, qu'ils le sachent, nos discours tirent de là leur force et leur vie; et, fournis par les livres saints, ils en prennent l'esprit à défaut de la lettre. Il arrive souvent qu'une discussion trop exacte et hors de saison passe avec justice pour superflue : de même, ne plus donner un seul moment d'attention à ce qui est fondamental, attesterait non moins d'incurie que d'indigence. Mais ils sont vraiment heureux, ceux qui interrogent les commandements du Seigneur et qui le cherchent de tout leur cœur. Or, la loi et les prophètes rendent témoignage à notre Seigneur. Notre dessein est donc de prouver que le Gnostique seul possède la sainteté, que seul il rend au Dieu véritable le culte qui convient à sa grandeur. De ce qu'il rend à Dieu le culte qui appartient à sa majesté, il suit infailliblement qu'il aime Dieu, qu'il est aimé de Dieu. Tout ce qui excelle, il le considère comme honorable à proportion de son excellence et de sa dignité. Parmi les objets sensibles, il se dit qu'il faut honorer le magistrat, ceux de qui on tient la vie, et en général tout vieillard. Parmi les doctrines, ses respects s'adressent à la philosophie la plus ancienne, et à la prophétie qui a l'antériorité. Parmi les choses qui ne sont perceptibles qu'à l'intelligence, il vénère avant tout l'être qui est le premier du côté de la genération, principe éternel, que les temps n'ont jamais vu commencer, et auquel commence tout ce qui est, je veux dire le Fils, de la bouche duquel ii nous faut apprendre lu cause qui a devancé toutes les autres. Quelle est-elle? Le Père de tous les êtres, cause à la fois la plus ancienne et la plus bienfaisante, celle dont le langage humain ne peut transmettre le nom, mais qu'il faut adorer avec un profond silence, dans les anéantissements du respect et de l'admiration. Le mystère de son essence est énoncé par le Seigneur dans la mesure où peuvent le porter les disciples de la foi : il est conçu par ceux que le Seigneur a prédestinés à la connaissance et dont l'intelligence est exercée à comprendre, selon le langage de l'apôtre. Le culte, rendu à Dieu par le Gnostique, consiste donc dans le soin assidu de son âme, et sa constante occupation de tout ce qui concerne Dieu, soutenu par une indéfectible charité. Quant aux services que l'on rend aux hommes, les uns ont pour but leur amélioration, les autres, un ministère d'assistance et de soulagement. La médecine, par exemple, guérit le corps; la philosophie réforme les âmes. Dans la seconde espèce, les enfants prêtent secours à leurs parents, les sujets aux princes et aux magistrats. Il en va de même dans l'Église. Les prêtres sont les représentants du culte qui rend meilleur : les soins et l'assistance sont dévolus aux diacres. Les anges servent Dieu par ce double ministère dans le gouvernement des choses terrestres. Le Gnostique, lui aussi, sert Dieu et découvre aux hommes les sublimes spéculations par lesquelles ils peuvent devenir meilleurs, lorqu'il est appelé à les enseigner et à les réformer. Point de piété, ni de respect pour Dieu ailleurs que dans le fidèle qui sert Dieu avec gloire et d'une manière irréprochable dans les choses d'ici-bas. De même que la meilleure de toutes les cultures est celle qui, profitable aux hommes par l'industrie et la science du laboureur, produit les moissons et les échanges du commerce ; de même la piété du Gnostique, concentrant en elle-même les fruits de ceux qui ont cru par son ministère, recueille de son habileté les plus riches de tous les trésors, lorsqu'elle conduit à la connaissance et au salut un grand nombre de ses frères. S'il est vrai que la thèoprépie soit une disposition habituelle qui rend à Dieu le culte en harmonie avec sa majesté, le Chrétien qui l'adore ainsi est seul l'ami de Dieu. L'ami de Dieu, c'est l'homme instruit de ce qui convient, et qui sait, au point de vue de la théorie et de la pratique, de quelle vie doit vivre celui qui sera Dieu dans l'avenir, et dans le présent s'assimile à Dieu. Par la même raison, le Gnostique aimera Dieu par-dessus tout. Honorer son père, c'est aimer son père : de même honorer Dieu, c'est aimer Dieu. La faculté gnostique nous parait conséquemmeut renfermer trois effets : d'abord elle connaît le fond des choses ; secondement elle accomplit ce qu'ordonné le Verbe; en troisième lieu, elle est capable de transmettre, par un enseignement conforme à la dignité de Dieu, les mystères de la vérité. Maintenant, je le demande, à quel titre transformer en athée l'homme qui croit à l'existence du Tout-Puissant et a reçu de la bouche même du Fils incréé du Tout-Puissant la science des divins mystères? Un athée est un impie qui nie l'existence de Dieu. Ne le travestissez pas davantage en superstitieux ! Le superstitieux craint les démons, place au rang des dieux tous les êtres, le bois, la pierre, et réduit à la servitude de la peur l'esprit et l'homme qui vit de la raison. [7,2] CHAPITRE II. Le Fils de Dieu est établi par son Père chef et moderateur de tout ce qui existe. Il prend soin des hommes et opère leur salut. Le premier degré de la foi, c'est de connaître Dieu; puis, après la confiance que l'on a placée dans la doctrine du Sauveur, il faut répudier toute injustice, et penser que cela est conforme à la connaissance de Dieu. Envisagé sons cet aspect, l'homme qui rend à Dieu le culte le plus pur est quelque chose d'honorable ici-bas. Honorable est aussi dans le ciel l'ange qui, par le privilège du séjour qu'il habite et de sa pureté, participe à la vie éternelle et bienheureuse. Mais la plus parfaite, la plus sainte, la plus éminente, la plus souveraine, la plus royale, la plus bienfaisante de toutes les natures, est celle du Fils de Dieu, la plus rapprochée de la nature du Tout-puissant. Voilà quelle est la plus haute supériorité, celle qui ordonne toutes choses d'après la volonté de son père, et gouverne sagement l'univers, opérant tout ce qu'elle exécute avec une puissance qui ne connait ni la fatigue, ni l'épuisement, parce qu'elle agit dans la contemplation des lois les plus mystérieuses. Le Fils de Dieu, en effet, ne s'éloigne jamais de son centre d'observation, indivisible, étranger à tout partage, n'ayant pas besoin de se transporter d'un lieu dans un autre, mais constamment partout sans être contenu nulle part, toute intelligence, toute lumière paternelle, tout œil, voyant tout, entendant tout, connaissant tout, scrutant les puissances par sa puissance. La milice des anges et des dieux lui obéit respectueusement, à lui, Verbe paternel, qui n'a pris la dispensation de toutes choses que pour complaire à celui qui lui a tout subordonné. Voilà pourquoi tous les hommes sont à lui; les uns, parce qu'ils le connaissent déjà; les autres, quoiqu'ils ne le connaissent pas encore ; ceux-ci à titre d'amis, ceux-là comme fidèles serviteurs, d'autres en simples serviteurs. Tel est le maitre qui forme par les mystères le Gnostique véritable, par la bonne espérance le simple fidèle, par les corrections de la discipline aidée d'une opération efficace, l'homme dont le cœur est dur. Par lui enfin se manifeste la Providence en public, en particulier, en tous lieux. Il est le Fils de Dieu, il est notre Sauveur, il est notre maitre. De là vient que, maitre des Grecs et des Barbares sans exception, il persuade ceux qui veulent se laisser persuader. Pourquoi employer la contrainte vis-à-vis de celui qui peut recevoir le salut de ses mains par la détermination volontaire de son choix et l'accomplissement de ce qu'il demande pour la réalisatiou de la promesse ? C'est lui qui donne la sagesse aux Grecs par les anges inférieurs. Car un décret divin et antique a distribué les anges entre les nations. » Mais l'héritaye du Seigneur est l'opinion de ceux qui croient. De deux choses l'une, ou le Seigneur ne prend pas soin de tous les hommes, ce qui arriverait ou par impuissance, horrible blasphème qui prête à Dieu notre faiblesse ! ou parce qu'avec la faculté de le faire, il ne le voudrait pas, ce qui exclut la bonté. On ne dira pas non plus que la mollesse l'enchaîne dans les délices : la mollesse qui daigna revêtir par amour pour nous les infirmités de notre chair ! Ou bien, il faut confesser qu'il prend soin de tous, qui est conforme à son essence, puisqu'il est le Seigneur de tous. De plus, il est le Sauveur des hommes et non pas le Sauveur de ceux-ci, à l'exclusion de ceux-là. Il a réparti, suivani l'aptitude de chacun, le don de sa grâce sur les Grecs et sur les Barbares, sur les fidèles et sur les élus, qu'il avait prédestiné d'avance parmi les uns et les autres, mais qu'il appela sous ses étendards au temps marqué. Dira-t-on qu'il envie à quelqu'un la faveur de l'adoption ? Mais tous ont été conviés par lui indistinctement ; les honneurs les plus grands, il les mesure à l'énergie de la foi. Qu'il soit entravé dans ses desseins par une force étrangère, on ne peut le soutenir. Maître de toutes choses, il accomplit la volonté du Père, auquel appartiennent la bonté et la toute-puissance. D'ailleurs l'envie ne peut s attaquer au Seigneur, qui est impassible et naquit sans avoir de commencement ; et puis, les choses de la terre sont elles de nature à exciter l'envie du Seigneur? Il y en a un autre qui jalouse l'homme, et dans lequel fermentent toutes les passions. Soutiendrez-vous que le Seigneur refuse le salut au genre humain par ignorance et faute de savoir comment sa bonte doit prendre soin de chacun? Nouvelle absurdité. L'ignorance ne peut être imputée à un Dieu qui, avant le berceau du monde, était le conseiller de son Père : c'est lui qui, sous le nom de Sagesse faisait les délices du Tout-Puissant. Le Fils te Dieu, en effet, c'est la force du Père, c'est-à-dire son Verbe et sa sagesse, antérieure a tout ce qui a été engendré. On peut donc, dans toute la rigueur du mot, l'appeler le maître ceux qui ont été formés par lui. Mais peut-être qu'il se laisse détourner par l'attrait du plaisir? Comment le supposer de celui qui, ayant revêtu notre chair passible de sa nature, la façonne par ses enseignements à la plus complète impassibilité ? Mais à quel titre serait-il donc Sauveur et Seigneur, s'il n'était le Sauveur et le Seigneur de tous ? Oui, Sauveur pour tous ceux qui ont cru, parce qu'ils ont voulu connaitre le Seigneur, pour ceux qui ne croient pas, jusqu'au jour où, capables de le confesser, ils recevront de lui un bienfait spécial et approprié à leur situation. ! Chaque opération du Seigneur remonte au Tout-Puissant, et le Fils lui-même est pour ainsi dire, une opération du Père. Le Sauveur ne haïra donc jamais les hommes, lui qui, entrainé par un amour suréminent pour les hommes, sans dédain pour la faiblesse de notre chair, en a revêtu les infirmités pour venir sauver tous les hommes sans distinction ; la foi est le patrimoine commun de tous ceux qui veulent l'embrasser. Il n'est point à craindre que jamais il néglige l'œuvre qui lui appartient. Ne savez-vous pas qu'à l'homme seul entre toutes les créatures sorties des mains divines a été donné le privilège de l'intelligence? D'autre administration qui soit meilleure que l'administration établie, et ou règne un plus harmonieux accord, il n'y en aura jamais pour Dieu. Il convient donc éternellement à l'être dont l'essence est supérieure de gouverner l'être inférieur, et l'empire appartient de droit à qui peut l'exercer glorieusement. Or, qui commande et préside dans la réalité ? Le Verbe divin et sa providence, qui a les yeux ouverts sur toutes les parties de l'ensemble, et ne dédaigne le soin d'aucune créature qui lui appartient. Les hommes qui ont voulu lui appartenir et devenir ses amis, sont ceux qui reçoivent l'initiation par la foi. Le Fils, conformément à la volonté du Père tout-Puissant, est le premier principe de tout bien, le premier auteur du mouvement, puissance inintelligible à l'entendemeut humain. En effet, il n'a point paru ce qu'il était véritablement a ceux qui ne pouvaient comprendre, à cause de l'infirmité de la chair. Mais voilà qu'il revêt une chair sensible : il vient montrer aux hommes qu'ils ont assez de force pour être à même d'obéir aux commandements. Comme il est la vertu de son Père, il exécute sans peine tout ce qu'il a résolu, présent aux plus minces détails de son gouvernement, sans permettre à un seul d'échapper à sa vigilance. Supposez que cela put être, comment dire alors que le tout a été règle par la sagesse ? Du témoignage, si je ne me trompe, de la plus hante puissance, c'est une intervention attentive dans toutes les parties du gouvernement, depuis la plus élevée jusqu'à la plus humble, qui remonte à ce premier modérateur de toutes choses, auquel la volonté du Père a commis la conservation de l'univers, par une hiérarchie de chefs subordonnés les uns aux autres, jusqu'à ce que l'on arrive de degrés en degrés au pontife suprême. Principe dominateur et unique exécuteur, comme nous l'avons dit, de la volonté paternelle, de lui relèvent les puissances du premier, du second et du troisième ordre. Puis, aux derniers confins du monde visible ont été placées les bienheureuses légions des anges, échelonnées de degrés en degrés jusqu'à nous, dans une hiérarchie mutuelle, conservées elles-mêmes par un seul, et veillant par un seul à notre conservation. Les plus petites parties du fer obéissent à l'attraction de l'aimant qui circule à travers les nombreux anneaux du métal. De même, les hommes vertueux, attirés par le souffle divin, s'unissent aux premiers tabernacles, et ainsi de suite jusqu'aux derniers. Mais ceux qui sont méchants parce qu'ils ne veulent pas faire effort sur eux-mêmes, conduits à des dispositions mauvaises par suite de leur intempérance, impuissants désormais à se soutenir, abandonnés par la main qui les soutenait, flottent ça et là, emportés par la tourmente des passions, et tombent enfin à terre. Une loi fut établie dès l'origine : tout homme est libre d'embrasser la vertu. Voilà pourquoi les commandements qui, dans la loi et avant la loi, n'avaient pas été donnés pour les justes, « la loi n'a pas été portée pour le juste » proposèrent pour récompense de la libre détermination, l'héritage du bonheur et de la vie éternelle. A l'homme qui se complairait dans le vice, ils permirent de vivre avec les objets de sa prédilection. Mais à l'âme qui travaille tous les jours à devenir meilleure par l'acquisition de la vertu, et l'accroissement de la justice, ils destinèrent le meilleur de tous les tabernacles, salaire bien légitime. Ne monte-t-elle pas de progrès en progrès jusqu'à l'impassibilité elle-même, pour entrer dans l'âge de perfection, c'est-à-dire, dans ce que la connaissance et l'héritage ont de plus éminent ? Ces salutaires révolutions sont différenciées d'après l'ordre dans lequel elles s'accomplissent, par des temps, des lieux, des dignités, des connaissances, des héritages et des ministères appropriés à chacune d'elles, jusqu'à ce que vienne la transcendante et indéfectible contemplation du Seigneur. Ce qui est aimable de sa nature attire à la contemplation de son essence quiconque livre toutes les facultés de son être à la contemplation, par amour pour la connaissance. De là vient que le Seigneur, puisant à une source unique, a donné des commandements primitifs, puis des commandements postérieurs, ne voulant pas que ceux qui avaient précédé la loi vécussent sans règle fixe, ni que les peuples étrangers à la philosophie barbare s'emportassent à tous les excès, sans frein pour les retenir. Aux uns donc les préceptes ; aux autres la philosophie. Par là, il fermait la porte à l'incrédulité jusqu'à son avènement, époque où quiconque ne croit pas demeure sans excuse. Que le point de départ soit grec ou barbare, n'importe, il conduit à la perfection qui vient de la foi. Mais qu'un membre de la gentilité, franchissant la philosophie grecque qui a brillé la première, embrasse tout à coup la véritable doctrine, si grossier qu'on le suppose, il laisse les autres à un immense intervalle derrière lui puisqu'il a choisi par la foi la route abrégée du salut et de la perfection. Tout ce qui n'entravait pas l'exercice du libre arbitre, est devenu par le Seigneur l'auxiliaire de la vertu, afin que, d'une façon ou d'une autre, les hommes, au regard court et débile, pussent entrevoir dans l'Être unique et tout-puissant un Dieu plein de miséricorde, qui nous sauve d'âge en âge par l'intermédiaire de son Fils. Mais il n'est en aucune manière le principe du mal. Le plan de la création, dans son ensemble comme dans ses détails, a été combiné pour le salut universel par celui qui est le maitre universel. La fonction de la justice, qui opère le salut, consiste donc à conduire, dans la mesure du possible, chaque être à ce qui lui est le meilleur : les créatures les moins relevées sont ordonnées conformément à leurs mœurs, par rapport au salut et à la permanence des créatures supérieures. Dès ce moment, tout et qui est doué de vertu, se transforme en mieux, parce qu'il possède en soi-même, la cause de sa transformation, c'est-à-dire la vérité qu'il a embrassée, et que l'âme était à même d'embrasser jusque là. Mais grâce à la bonté du juge suprême qui observe toutes nos actions, des châtiments infligés soit par le ministère de ses anges, soit par la signification de différente sentences non exécutées, soit par des jugements dont l'effet à déjà commencé, contraingnent à la pénitence ceux qui se repentent de leurs prévarications. [7,3] CHAPITRE III. Le Gnostique travaille de toutes ses forces à ressembler à Dieu et à son Fils. Je laisse de côté tout le reste, me bornant à glorifier le Seigneur. Disons-le cependant. Les âmes véritablement gnostiques qui, par l'excellence de la contemplation, surpassent le régime et les habitudes de la sainte hiérarchie; ces âmes auxquelles les tabernacles des dieux sont départis une fois que leur sainteté les a inscrites parmi les saints, et que, transportées tout entières d'un lieu où l'on arrive tout entier, elles passent de séjours fortunés en séjours plus fortunés ; ces âmes qui, au lieu de contempler l'essence divine à travers les ombres, et dans un miroir, accueillies au banquet de l'immortalité, et nourries de la bienheureuse vision qui ne peut rassasier l'amour surnaturel, se repaissent, de voluptés qui m finiront jamais; ces âmes demeurent, s'il m'est permis de parler ainsi, honorées pour toujours de l'identité de nature avec celui qui possède toutes les perfections. Voilà qu'elle est la contemplation intuitive de ceux qui ont le cœur pur; voilà conséquemment qu'elle est l'opération de l'homme consommé dans la connaissance. Il a commerce avec Dieu au moyen du grand Pontife, en s'assimilant au Seigneur autant qu'il le peut par les hommages d'une piété qui, en honorant Dieu, tend au salut des hommes par l'exercice du saint ministère, par la propagation de la doctrine, et enfin, par l'accomplissement des bonnes œuvres. Ouvrage de lui-même, le Gnostique se fonde et s'édifie de ses propres mains. Il fait plus; il orne de vertus les disciples qui l'écoutent, devenu semblable à Dieu; c'est-à-dire que, vivant avec Dieu dans un commerce dont les passions humaines ne sauraient l'arracher, il assimile, dans la mesure de ses forces, à l'impassibilité par essence l'impassibilité qui est chez lui le fruit de la lutte et de l'exercice. La bénignité, la mansuétude, et une grande piété envers Dieu, sont, à mon avis, les règles de l'assimilation gnostique, « sacrifice d'excellente odeur, » puisque, selon l'Écriture, « un cœur sans orgueil » et la science véritable, sont l'holocauste chéri de Dieu, que lui offre tout homme qui s'élève à la sainteté, et s'illumine jusqu'à consommer cette union où l'œil ne peut plus rien discerner ! En effet, réduire son propre corps en captivité, mourir à soi-même, en tuant le vieil homme qui nous corrompt par les désirs, et en suscitant des antiques habitudes de la mort l'homme nouveau, l'Évangile et l'apôtre nous l'ordonnent, après que nous avons déposé le fardeau du péché et les troubles de l'âme. C'était là ce qu'insinuait secrètement la loi quand elle enjoignait d'enlever le pécheur du milieu du peuple, et de le faire passer de la mort à la vie, c'est-à-dire, à l'impassibilité qui vient de la foi. Cette vérité ne fut point comprise par les docteurs de la loi. Ils en interprétèrent les prescriptions comme si elle avait pour but de susciter leurs rivalités et leurs débats : par là même ils fournirent des prétextes à ceux qui veulent la calomnier sans la connaître. Voilà pourquoi nous faisons sagement de ne point sacrifier à Dieu, auquel rien ne manque et qui a tout donné aux hommes. Mais nous glorifions celui qui s'est sacrifié pour nous, en nous sacrifiant nous-mêmes à l'être auquel rien ne manque, précisément parce qu'il a tout en abondance, à l'être impassible ; précisément en vertu de cette même impassibilité. Dieu, en effet, n'est réjoui que de notre salut. Oui, c'est à bon droit que nous n'offrons point de sacrifices à l'être sur lequel le plaisir n'a aucune prise. Le parfum de la victime, toujours arrêté dans les régions inférieures, ne parvient que difficilement aux nuages les plus rapprochés de nous, si tant est qu'il y parvienne. Dieu n'a donc pas besoin de nos offrandes, et ne se laisse point charmer par le plaisir. Que lui font les richesses et les trésors de la terre? Il possède en lui-même tous les trésors, et il prodigue à la créature indigente l'abondance de ses largesses. N'allez pas croire non plus qu'on se le rend favorable par des oblations, par des offrandes, par des honneurs, ni qu'on l'amorce par rien de semblable. Il ne se manifeste qu'aux hommes vertueux qui n'ont jamais trahi la justice par la violence des menaces ou par la séduction des promesses. Quelques esprits, fermant les yeux à la liberté humaine qui, dans les déterminations morales, ne peut être ployée sous le joug de la servitude, ont supporté avec impatience les excès d'une grossière et inhabile injustice, et se sont écriés qu'il n'y avait point de Dieu. Par une opinion à peu près la même, des hommes plongés dans les désordres de l'intempérance, ou bien, travaillés par des souffrances aiguës, ou bien atteints par des catastrophes soudaines, et des revers de fortune, ne croient plus à l'existence d'un Dieu, ou n'admettent qu'un Dieu dont les regards ne s'étendent pas à toutes les créatures. D'autres s'imaginent que les dieux de leurs pensées peuvent être apaisés par des sacrifices et des offrandes jusqu'à devenir les complices de leurs passions, et ils refusent de reconnaitre qu'il n'y a pas d'autre Dieu que le Dieu véritable, identique avec la vérité, la justice et la bonté. Notre Gnostique est donc pieux : il prend soin de lui-même, ensuite du prochain, à l'amendement progressif duquel il concourt de toutes ses forces. Un fils n'est-il pas les délices d'un bon père, quand il travaille à devenir bon et semblable à son père ? j'en dis autant du sujet vis-à-vis du prince. Croire et obéir, sont deux choses en notre pouvoir. Qu'on ne vienne pas nous dire étourdiment que la perversité de la matière, les mouvements inconsidérés de l'ignorance, et les nécessités aveugles dans l'absence du savoir sont le principe du mal ! Le Gnostique commence par vaincre au moyen de la discipline ces bêtes féroces. Après le triomphe, il fait du bien, dans la mesure de ses forces, à tous ceux qui donnent les mains à son assistance. Est-il revêtu de l'autorité ? nouveau Moïse, il marchera, pour le salut commun, à la tête du peuple qu'il a mission de conduire, et il adoucira les natures sauvages et infidèles, distribuant aux meilleurs et aux plus vertueux, des récompenses, aux méchants des supplices dans la mesure qu'avoue la raison pour l'amendement du coupable. L'âme du juste, en effet, est comme une image et une ressemblance de la Divinité. Disons-mieux. L'obéissance aux préceptes l'a convertie en un sanctuaire où vient habiter réellement le chef des mortels et des immortels, le roi et le créateur de tout ce qui est bon, la loi véritable, le précepte, le Verbe éternel, enfin l'unique sauveur de chacun en particulier et de tous en général. Oui, c'est le Fils unique, c'est la splendeur du monarque universel, la gloire du Père ToutPuissant, qui imprime à son image, dans l'âme du Gnostique, la contemplation parfaite. Par là, le Gnostique devient une troisième image divine qui, autant que cela est possible, s'assimile à la cause seconde, à la vie véritable, par laquelle nous vivons de la vie réelle, en reproduisant nous-mêmes le Gnostique tel que nous le décrivons, consolidé dans tout ce qui est permanent et immuable. Maitre de lui-même et de ce qui relève de lui, affermi dans l'immuable compréhension de la science divine, le Gnostique s'approche de la vérité avec un cœur pur. En effet, la connaissance et la compréhension des objets perceptibles à l'intelligence peut être appelée justement la science immuable. Une de ses parties, celle qui s'occupe des choses divines, a pour fonction d'envisager quelle est la cause première, quel est le principe par lequel tout a été fait et sans lequel rien n'a été fait ; quelles sont les essences qui pénètrent et celles qui contiennent, celles qui s'unissent et celles qui se divisent, quels sont le rang, la vertu, le ministère de chacune d'elles. Dans les choses humaines, elle se demande : qu'est-ce que l'homme ? quelle est la fin conforme ou contradictoire à sa nature ? Comment doit-il se gouverner? comment faut-il qu'il souffre? quels sont ses vertus et ses vices ? où sont les biens, les maux, les objets qui tiennent le milieu ? qu'est-ce que la prudence, le courage, la tempérance? qu'est-ce que la justice, vertu qui surpasse toutes les autres? La prudence et la justice servent au Gnostique à l'acquisition de la sagesse. Par le courage, non content de résister aux coups de l'adversité, il fait face au plaisir, à la convoitise, à la souffrance, à la colere, en un mot, à tout ce qui peut maitriser l'âme par la violence ou par la séduction. Nous n'avons point à supporter uniquement le vice et le mal, mais encore tout ce qui peut inspirer la crainte. La douleur est un agent destiné à guérir, à instruire, à corriger : il réforme les mœurs au profit de l'homme. Le courage a plusieurs nuances, telles que la tolérance, l'élévation de l'âme, la force du cœur, la libéralité, la magnificence. De là vient que le Gnostique ne s'affecte en rien de la censure du vulgaire, et ne se soumet ni aux opinions ni aux flatteries du dehors. S'agit-il de supporter la douleur et le travail? soit qu'il accomplisse le devoir, soit qu'il oppose au malheur une constance inébranlable, c'est toujours véritablement un homme, quand les autres ne sont que des enfants. En outre, fidèle à la prudence, qui ne l'abandonne jamais, il vit avec modéralion dans le repos de l'âme, accueillant ce qui lui est prescrit comme la chose qui lui convient le mieux, répudiant comme ennemi de sa nature tout ce qui traîne après soi la honte, se conduisant avec décence et pureté, au souvenir qu'il est pur et trèspur, étranger enfin à tout ce qui peut souiller l'âme. Il nage dans l'opulence, parce qu'il ne désire rien, n'ayant que des besoins peu nombreux, et parce qu'avec la connaissance il possède la plénitude des richesses. Le premier caractère de sa justice, c'est d'aimer ceux qui sont de même origine que lui, de vivre et de commercer avec eux, sur la terre aussi bien que dans le ciel. Voilà pourquoi il donne volontiers lorsqu'il possède ; humain et miséricordieux pour la personne, il hait d'une haine parfaite le méchant et le péché. Il faut donc apprendre à être fidèle à soi-même et au prochain et à se conformer aux préceptes. On est le serviteur de Dieu quand on se soumet volontairement à la loi ; mais purifier son cœur, non plus en vertu du commandement, mais par amour pour la connaissance, voilà dans quelles conditions ou devient l'ami de Dieu. Nous ne naissons point naturellement vertueux, et la vertu, quand nous sommes nés, ne se développe point en nous à la manière de nos organes, sans notre concours : s'il en allait ainsi, notre volonté et notre mérite n'y seraient pour rien. La vertu ne ressemble point non plus au langage que l'habitude et les événements forment de jour en jour ; ce mode de propagation est à peu près celui du vice. Il en est de même de la connaissance. Elle n'est le fruit d'aucun art, soit qu'il se propose le gain pour objet, soit qu'il ait pour but le soin du corps. Ne demandez pas non plus aux sciences libérales leur assistance. C'est les traiter magnifiquement, que de leur reconnaître la possibilité de préparer notre âme et d'en aiguiser l'intelligence. Sans doute les lois civiles peu veut réprimer les délits ; mais tous ces raisonnements, laborieusement combinés pour opérer la persuasion, s'arrêtent à la surface et ne produisent jamais la permanence inébranlable et scientifique de la vérité. Nous l'avons dit, la philosophie grecque est pour l'âme une purgation préliminaire et une introduction préparatoire à l'admission de la foi. La vérité vient ensuite édifier la connaissance sur ces fondements. Voilà le véritable athlète qui reçoit la couronne dans le grand cirque ; c'est-à-dire, sur la scène magnifique du monde, après avoir remporté la victoire sur toutes les perturbations de l'âme. L'ordonnateur des jeux publics est le Dieu tout puissant ; son fils unique distribue les récompenses ; pour spectateurs, nous avons les anges et les dieux. Quant à la matière du combat, elle est multiple et constante. En effet, nous n'avons point à lutter seulement contre la chair et le sang, mais contre les puissances spirituelles qui, par notre chair, soulèvent les tempêtes des passions. Le Chrétien qui sera sorti victorieux de ces grands combats, et aura renversé à ses pieds le tentateur occupé à nous susciter des luttes, est déjà en possession de l'immortalité, puisque dans la justice de ses jugements la sentence divine ne peut mentir. Le théâtre tout entier a été convié au spectacle ; mais il n'y a que les athlètes qui descendent dans l'arène ; parmi les athlètes, le vainqueur est celui qui a été le plus fidèle aux leçons du gymnasiarque. N'est-il pas vrai que Dieu a suspendu au bout de la carrière les mêmes récompenses pour tous, et que le blâme de la défaite ne peut retomber sur lui ? Qui mérite la miséricorde obtient la miséricorde ; et le plus brave est celui qui a le plus de volonté. Nous n'avons recu l'intelligence que pour savoir ce que nous avons à faire, et ce précepte : "Connais-toi toi-même", signifie en cette occurrence : sachez quelle est votre fin dernière. Or, nous avons été placés dans ce monde pour embrasser volontairement la fidélité aux préceptes, si nous voulons parvenir au salut : rigoureuse et inflexible nécessité par laquelle il n'est pas permis d'échapper à Dieu. Le devoir de l'homme, c'est donc d'obéir au Dieu qui a promulgué différents degrés de salut par l'exécution de ses commandements. Nous diposons Dieu à nous être favorable par l'aveu de ses bienfaits ; car la munificence du bienfaiteur a devancé notre gratitude. Avons-nous embrassé volontairement le précepte avec toutes les considérations nécessaires, l'avons-nous observé dans sa rigueur, nous sommes fidèles ; mais si notre reconnaissance monte vers Dieu par la charité pour le remercier, autant qu'il est en nous, des bienfaits que nous en avons reçus, nous obtenons le titre d'amis. Il n'est pas pour l'homme de meilleure action de grâces envers son Créateur, que d'accomplir ce qui est le meilleur devant Dieu. En effet, le maitre et le Sauveur accueille les progrès dans le bien et l'amélioration que l'homme s'impose, pour lui plaire et le remercier, comme si l'avantage lui revenait à lui-même, comme si c'était un tribut qui lui profite. Au contraire, les fidèles éprouvent-ils au dehors quelque dommage, ou quelque offense, il se regarde comme outragé par l'ingratitude dans leur personne ; le mépris qu'on leur témoigne, il le prend pour lui, et leur honte est la sienne. Quel autre déshonneur, je le demande, pourrait atteindre Dieu ? C'est pourquoi l'action de grâces humaine ne peut jamais égaler l'importance et la dignité du salut, si nous la comparons avec les libéralités du Seigneur. Dans l'ordre civil, faire tort à la propriété, c'est nuire au maitre ; insulter au soldat, c'est outrager le général. Il en est de même du Seigneur. Vous vous attaquez à ceux qui lui sont consacrés : vous l'avez méprisé personnellement. Regardez le soleil. Ses rayons n'éclairent pas seulement le ciel ; il répand sa lumière sur l'universalité des êtres, sur la terre, sur la mer. Pas une ouverture où il ne pénètre ; pas de lieu si secret dans l'intérieur des maisons qu'il n'éclaire. La lumière du Verbe n'est pas moins universelle : vous ne trouverez pas un seul point de la vie humaine, si imperceptible qu'il soit, sur lequel ne s'épanchent les rayons de ses clartes. [7,4] CHAPITRE IV. Les païens ont imaginé des dieux semblables à eux-mêmes . pour la forme extérieure et les mouvements intérieurs de l'âme : de là l'origine et le berceau de toute superstition. Les Grecs, peu contents d'attribuer aux dieux la forme de l'homme, les assujettissent aussi à nos passions. Chaque peuple leur prête sa ressemblance personnelle. « Les Éthiopiens, dit Xénophane, les représentent avec un visage noir et un nez camard ; les Thraces leur donnent des yeux azurés, et une figure qui tire sur le rouge. « De même les fabricateurs des dieux leur supposent une âme semblable à la leur. Interrogez le Barbare : ses dieux ont des mœurs sauvages et brutales ; le Grec, ses dieux sont plus civilises, mais accessibles néanmoins à toutes nos passions. Qu'arrive-t-il de là ? que nécessairement les méchants conçoivent de la Divinité des opinions mauvaises; les hommes vertueux, de vertueuses opinions. Voilà pourquoi le Chrétien, dont l'âme est royale et versée dans la gnose, aussi fidèle adorateur de Dieu qu'il est éloigné de toute superstition, croit fermement qu'il n'existe qu'un seul Dieu digne d'adorations, vénérable, magnifique, bienfaisant, auteur suprême de tous les biens, mais étranger à tous les maux. Nous avons convaincu suffisamment les Grecs d'idolâtrie dans l'ouvrage que nous avons appelé Exhortation, où nous avons cité de nombreux témoignages qui allaient à notre but. Nous ne voulons point revenir sur une démonstration évidente. Mais, puisque notre sujet nous ramène à cette question, il nous suffira, pour éclaircir la discussion présente, de choisir dans la foule de nos autorités une ou deux preuves pour attester qu'assimiler Dieu aux hommes les plus pervers, c'est faire acte d'impiété. Dans la pensée de ces profanateurs, de deux choses l'une : ou les dieux sont outragés par les hommes, et dès lors l'offensé paraît manifestement inférieur à l'homme qui l'offense; ou bien ils ne ressentent en aucune façon l'outrage. Dans cette hypothèse, pourquoi sont-ils transportés d'indignation, pareils à une vieille femme prête à s'irriter et incapable de retenir sa colère. N'est-ce point ainsi que Diane se venge d'Œnée sur le peuple des OEtoliens ? Quoi ! Diane, tu étais déesse et tu n'as point songé que l'action d'Œnée, simple oubli, ou bien légère inadvertence, dans la pensée qu'il avait déjà sacrifié en ton honneur, n'était point un mépris pour ta personne ? Mais que Latone plaide sa cause devant Minerve, qui lui reproche d'être accouchée dans son temple, elle lui dit avec un grand sens : « Si tu appercois des dépouilles à demi-brisées, que la main du vainqueur a dérobées aux morts sur le champ de bataille, ce spectacle charme tes regards, au lieu de les révolter. Mais que j'accouche dans ton sanctuaire, ta colère éclate... « Et cependant, si les animaux mettent bas dans les temples, la profanation disparait. » En vérité, je ne m'étonne plus que ces païens superstitieux, si portés à la colère, soient toujours dans les transes, à la pensée que chaque événement est un principe de malheur et un sinistre présage. Le rat a percé l'autel qui était construit en boue. Ne trouvant rien de mieux à manger, il a rongé le vase des provisions lui-même. Le coq que vous nourrissez a chanté vers le coucher du soleil : tremblez !vous êtes menacés de quelque grande catastrophe. Le comique Ménandre tourne ainsi en ridicule un personnage, dans sa comédie intitulée le Superstitieux. « Dieux immortels, quelle source de prospérité pour moi ! La courroie qui attachait la chaussure de mon pied droit vient de se rompre. — Qu'y a-t-il là de surprenant, imbécille ? elle était usée jusqu'à la corde. Elle ne prouve qu'une chose, ta malencontreuse parcimonie quand il fallait la renouveler. » La répartie d'Antiphou est pleine d'à-propos et de finesse. Une truie avait dévoré ses petits. Grande appréhension de la part du propriétaire, qui se croyait par-là sous le coup de quelque malheur. Antiphon s'aperçoit que la bête se trouvait en mauvais état par l'avarice de celui qui la nourrissait ! « Réjouis-toi du présage, dit-il à son trembleur ; avec une faim pareille, tu dois remercier les dieux de ce que l'animal n'a point dévoré tes enfants. — Quelle merveille dit Bion, qu'un rat, ne trouvant rien de mieux à manger, ait rongé la corbeille ! Ce qui devrait surprendre, c'est que la corneille, « comme le disait en riant Arcésilas, eût mangé le rat. » Aussi j'applaudis de grand cœur à la réponse suivante de Diogène : Un homme ayant trouvé un serpent roulé en cercle autour du pilon de son mortier, s'extasiait sur le prodige. » Cesse de t'étonner, lui dit le philosophe, il serait bien plus merveilleux que le pilon se fût roulé autour du serpent resté droit et immobile. » Ne faut-il pas, en effet, que les animaux, dépourvus de raison, se meuvent, courent, combattent, se reproduisent et meurent ? Tous ces accidents leur sont naturels. N'allons donc point les prendre pour des phénomènes hors de la nature. « Des multitudes d'oiseaux apparaissent à la lumière du soleil. » Le comique Philémon raille ainsi sur la scène comique ces terreurs religieuses : « Si je vois mon esclave observer qui éternue, qui vient a parler, qui sort par hasard, je cours le vendre sur la place publique. Chacun marche, parle, éternue pour son propre compte Les choses se développent conformément aux lois qui ont présidé à leur naissance. » Poursuivons. Ici l'homme sobre invoque la santé ; là, l'intempérant qui se gorge d'aliments et fait la débauche les jours de fête, attire les maladies. Bon nombre redoutent les inscriptions suspendues au front des édifices. De là ce mot piquant de Diogène. Il avait lu sur une maison habitée par un méchant : « Hercule, fameux par sa victoire, habite en ces lieux. Défense a rien de mauvais d'y entrer. — Et comment donc entrera le maitre de céans, s'écria Diogène ? Ces mêmes hommes qui adorent tout bois, toute pierre, humide des libations qu'elle reçoit, tremblent à l'aspect d'un flocon de laine roussâtre, devant un grumeau de sel, une torche, un peu de souffre, dès que les magiciens les ont enchantés par d'immondes expiations. Mais Dieu, qui est le Dieu véritable, ne connait que la sainteté du juste et la scélératesse du méchant. Assurément on peut voir des œufs, qui ont été couvés, éclore, après les purifications auxquelles ils ont servi ; mais cela n'arriverait pas, s'ils avaient contracté la souillure de la purification. Le comique Diphile raille avec finesse les enchanteurs dans les vers suivants : « Je purifie les filles de Prœtus, Proetus leur père, fils d'Abas, et une vieille édentée pour cinquième personnage, avec une seule torche et un seul ognon marin. Quelle multitude pour de si minces ressources ! J'y joins un peu de souffre, un peu de bitume, et quelques gouttes d'eau puisées sur les rivages de la mer retentissante. Mais toi, bienheureux Jupiter, envoie-moi à travers les nuages quelques grains d'hellébore, afin que cet insecte se change pour moi en bourdon. » Ménandre a dit aussi avec un grand fond de sagesse : « Si tu étais véritablement malade, mon ami, il te faudrait un remède véritable. Mais pour la maladie imaginaire qui te travaille, voilà un remède imaginaire : il te servira, n'en doute point, si des magiciennes te purifient en tournant autour de toi, si elles t'arrosent d'une eau puisée à trois fontaines différentes, avec une pluie de lentilles et de sel. Sais-tu quel est l'homme véritablement purifié ? Celui auquel le temoignage de sa conscience ne reproche aucun mal. < Oreste, Oreste, s'écrie la tragédie, quel mal t'a perdu? « — Ma conscience elle-même, parce qu'une voix intérieure m'avertit que j'ai commis un grand crime. » Point d'autre pureté, en effet, que de s'abstenir de tout mat. Épicharme a dont raison de dire : Si ton esprit est pur, toute ta personne l'est aussi. » Voilà pourquoi nous soutenons que les âmes doivent se purifier de leurs opinions perverses par la saine raison, et ainsi vides de toutes pensées mauvaises, se tourner vers les principaux dogmes de la religion. Il faut que les futurs initiés passent par quelques expiations préparatoires avant que les mystères leur soient livrés, afin que les traditions erronées fassent place aux traditions véritables ? [7,5] CHAPITRE V. L'âme pure est un temple plus agréable à Dieu que les plus beaux édifices élevés par la main des hommes. N'avons-nous pas raison de ne circonscrire dans aucun lien celui que rien ne peut circonscrire, et de ne point enfermer dans un temple la majesté de celui qui embrasse tout l'univers ? A quel titre une enceinte de pierres, œuvre grossière d'artisans grossiers, serait-elle une œuvre sainte ? J'aime mieux ceux qui ont pensé que l'éther et ce qu'il contient, ou pour mieux dire, le monde tout entier et l'universalité des êtres, sont dignes de l'excellence de Dieu. Il serait, en effet, ridicule de soutenir que l'homme, jeu de la Providence, selon le langage des philosophes, puisse fabriquer Dieu, et que la Divinité devienne à son tour le jeu des mains de l'homme. Ce que l'on élabore est identique à la matière élaborée. Ainsi un ouvrage d'ivoire est de l'ivoire ; un ouvrage d'or est de l'or. Les simulacres et les temples qui sont dressés par des hommes grossiers sont tirés d'une matière inerte; par conséquent ils resteront inertes, matériels et profanes comme elle. Donnez à l'art toute la perfection imaginable : la matière garde constamment la grossièreté de son origine. Ainsi les œuvres de l'art, quel qu'il soit, ne sont jamais sacrées et divines. D'ailleurs, quel être pouvez-vous ériger de nouveau, lorsque, dans la disposition universelle, il n'en est pas un qui n'ait sa place assignée. L'objet que l'on érige est placé par quelqu'un, parce qu'il ne l'était pas encore. Si Dieu est placé là ou là par les hommes, il y eut donc un moment où il n'avait pas sa place, où il n'existait pas conséquemment. L'être qui n'existait pas, n'avait point de place, puisque, pour en occuper une, il faut exister. D'autre part, l'être existant ne pourra être placé par un être chimérique ; il ne pourra point l'être davantage par un être réel : il existe, donc il est placé. Il reste qu'il soit placé par lui-même. Mais comment un être s'engendrera-t-il lui-même; ou comment l'être se placera-t-il en tant qu'être ? Direz-vous que, sans place auparavant, il s'en est fait une lui-même ? Il n'en est rien. L'être imaginaire ne peut occuper de place. Vous l'avez cru placé. Comment, ce qu'il a eu d'abord dans votre opinion, est-il parvenu à le réaliser ? Mais l'être par excellence, auquel appartient tout ce qui est, ne peut avoir besoin de sa créature. Les formes de Dieu sont celles de l'homme, dites-vous. Mais alors il aura les besoins de l'homme. Il lui faudra des aliments, une maison, des vêtements, et tout ce qui en est la suite. Du moment que vous donnez à deux êtres une forme et des affections semblables, vous les soumettez aux conditions du même régime. S'il est vrai qu'un temple représente ces deux idées, la majesté de Dieu lui-même, et l'enceinte matérielle bâtie en son honneur, pourquoi ne nommerions-nous pas véritablement temple de la Divinité l'Eglise qui, sanctifiée par la connaissance, s'est élevée en l'honneur de Dieu ; sanctuaire d'un grand prix, que n'ont point édiflé des mains grossières, que n'a point embelli l'habileté d'un magicien, mais que la volonté de Dieu lui-même a converti en temple. Je n'appelle point ici du nom d'Église l'enceinte matérielle. Je réserve cette appellation pour l'assemblée des élus. Voilà le temple le mieux fait pour recevoir la grandeur et la dignité de Dieu. En effet, une victime d'un grand prix a été consacrée par l'éminence de sa sainteté à celui qui est digne de tout prix, disons mieux, au prix duquel rien ne répond dans la nature. Quelle sera cette victime! Le Gnostique, cher à Dieu, en honneur devant lui, et chez lequel Dieu est érigé; c'est-à-dire, dans lequel la connaissance de Dieu a son sanctuaire et sa consécration. Oui, c'est dans l'âme du juste que nous trouverons la sainte image et la divine effigie, puisqu'elle est heureuse par les purifications légales qu'elle a subies, et heureuse encore par les bonnes œuvres qu'elle accomplit tous les jours. Voilà l'objet qui n'est pas encore placé et qui cependant l'est déjà, ici, dans ceux qui ont embrassé la perfection gnostique, là, dans ceux qui sont à même de l'embrasser, quoiqu'ils ne soient pas dignes encore de recevoir les dons de la science divine. Tout ce qui croira dans l'avenir, déjà fidèle à Dieu pour ainsi parler, s'élève d'avance comme un vertueux simulacre consacré en l'honneur du Tout-Puissant. [7,6] CHAPITRE VI. Les prières et les actions de grâces, offertes sans relâche par un coeur pur, sont préferables à tous les sacrifices. Dieu n'est circonscrit par aucun lieu ; la forme de Dieu ne ressemble à rien de ce qui vit : par conséquent Dieu n'éprouve aucune des perturbations qui agitent l'humanité, et n'a pas besoin de désirer, à la manière de la créature, un sacrifice qui soit comme un aliment pour apaiser sa faim. Partout où fermentent les passions, là est aussi la mort ; présenter des aliments à qui ne se nourrit pas, est un acte de folie. Le comique Phérécrate nous montre avec une ironie mordante, dans sa comédie des Fugitifs, les dieux reprochant aux hommes la parcimonie de leurs oblations. « Quand vous sacrifiez aux dieux, disent les Immortels, vous commencez par mettre à l'écart ce qui pour nous est une cause d'ignominie. Quand vous avez léché et reléché les cuisses jusqu'à l'aine, et que les reins sont bien dépouillés, vous nous jetez ensuite, comme à des dogues, l'épine dorsale à-demi-rongée. Mais la honte vous monte réciproquement au visage. Vous rachetez la maigreur de l'offrande par force gâteaux de farine. » Eubule s'exprime de même au sujet des sacrifices : « Vous consacrez au dieux la queue et les deux cuisses de l'animal, comme à de lâches corrupteurs de la jeunesse. » Ailleurs, Bacchus se plaint ainsi dans Sémélé : « Si par hasard on m'offre quelque sacrifice, c'est toujours la vessie et le sang de la victime. De cœur, il n'en est pas question. De grasses offrandes, de cuisses succulentes, jamais. » Ménandre a écrit : « Après qu'ils ont mis en réserve pour les dieux le fiel, l'extrémité des reins et quelques os inutiles, ils consument eux-mêmes les autres parties." N'est-il donc pas raisonnable de renoncer à la fumée des sacrifices et à l'immolation des animaux ? Que si le parfum de la victime est le tribut des divinités de la Grèce, pourquoi ne pas commencer par inscrire au nombre des dieux les cuisiniers, qui jouissent plus qu'eux encore de la même béatitude ? Prosternez-vous donc humblement devant le fourneau qui est le plus rapproché de la vénérable odeur ! Mais voilà qui est mieux encore. S'il en faut croire Hésiode, Jupiter, trompé par Prométhée, reçut dans le partage des viandes qui lui revenaient, des os recouverts, avec une perfide habileté, d'une enveloppe de graisse. De là vient que les hommes, dignes fils de Prométhée, quand ils sacrifient sur les sainte autels, offrent aux dieux les os qui ne peuvent leur servir. » Diront-ils qu'ils nourrissent Dieu dans la crainte qu'il ne souffre du désir qu'engendre le besoin ? Non assurément. Ils feraient de Dieu une espèce de végétal qui s'alimente sans appétit ; ou bien ils l'assimileraient à ces monstres qui vivant dans les ténèbres des cavernes, où ils se nourrissent, dit-on, des parties grossières de l'air, peut-être même des exhalaisons de leur propre corps, et se dévéloppent sans rien consommer. Si vous offrez des aliments à un Dieu qui n'en connaît pas la nécessité, pourquoi la nourriture à qui n'en a pas besoin ? Mais s'il est vrai que la divinité se plaise aux hommages qu'on lui rend, les Chrétiens font donc sagement de l'honorer par des prières, et d'envoyer vers son trône la sainte et suréminente oblation de la justice, en l'adorant par le Verbe, en qui réside toute justice, de qui nous avons reçu la connaissance, et par qui nous glorifions le Seigneur de ses dons et de ses lumières. Les Chrétiens ont ici-bas un autel terrestre ; c'est la réunion de tous ceux qui s'appliquent à la prière, en ne formant pour ainsi dire qu'une voix et qu'un esprit. Les aliments qui s'introduisent par les narines, quoiqu'ils aient quelque chose de plus subtil et de plus divin que les aliments qui entrent par la bouche, accusent cependant la respiration. Mais quoi ? Dieu respire-t-il à travers des pores à la manière de la plante, ou bien à la manière des poissons par l'ouverture des branchies, ou bien à la manière des insectes par la compression des anneaux où s'attachent les ailes. Quiconque est doué de raison répudiera de pareilles idées. Les animaux qui respirent avec la dilatation périodique du poumon contre le parois de la poitrine, attirent l'air. Si vous donnez à Dieu des entrailles, des artères, des veines, et des organes divers, en quoi la divinité différera-t-elle de l'homme? Mais la communauté de la respiration se trouve à proprement parler dans l'Église. Le sacrifice de l'Église, c'est la prière, qui est comme l'exhalaison des saintes âmes, pendant que la victime et l'âme du suppliant sont à découvert devant Dieu. Le vulgaire a dit qu'à Délos il y avait un temple consacré qui remontait à la plus haute antiquité. Jamais il ne ftit souillé par le meurtre ni par le sang. Pythagore, s'il en faut croire son historien, fut le seul qui put en approcher. Et quand nous proclamons que l'âme du juste est la seule véritablement sainte, et que sa respiration naturelle est la prière, on refusera d'ajouter foi à nos paroles ! Les hommes ont imaginé, si je ne me trompe, l'usage des sacrifices pour avoir quelque prétexte de manger la chair des animaux : mais il était libre à qui le voulait d'adopter cet aliment sans qu'il fût besoin d'honorer ainsi les idoles. Les sacrifices que prescrivait la loi mosaïque n'étaient que la figure du culte chrétien. La tourterelle et la colombe, par exemple, qui sont offertes pour les péchés, signifiaient que la purification des parties irraisonnables de l'âme est agréable à Dieu. Que le juste ne veuille point charger son âme d'une chair qui a vécu ; il est guidé dans cette abstinence par des raisons d'une haute sagesse, qui n'ont rien de commun avec les rêveries de Pythagore et de ses disciples sur la transmigration des âmes. Xénocrate, en traitant spécialement de la chair des animaux appliquée à la nourriture de l'homme, et Polémon, dans son ouvrage De la vie conformément à la nature, déclarent, en termes formels que la chair est un aliment funeste, parce qu'elle a déjà reçu une élaboration H comme une assimilation avec les âmes des bêtes. Voilà {)>j u-quoi les Juifs s'interdisent avec tant de scrupule la chair du pourceau, animal qui, poussé par des instincts pervers, déterre et ruine les moissons d'autrui. Mais les animaux ont été donnés a l'homme pour son usage. — Pour son usage, nous en convenons avec vous; mais pas absolument pour lui servir de nourriture. Quelques-uns seulemeut ont reçu cette destination, et parmi ces derniers, ceux qui ne travaillent point'. Voilà pourquoi Platon le comique, dans sa comédie Des Fêtes, dit avec raison : « Nous ne devons plus à l'avenir immoler aucun quaclrupède, à l'exception du pourceau. Mort, sa chair, est pleine de saveur; vivant, en fait d'utilité, il ne nous revient de lui, que de la soie, de la boue et des cris. » C'est ce qui a fait dire à Ésope : « aussitôt que l'on tire le pourceau, il crie à pleine gorge, sentant bien qu'il n'est bon que pour les sacrifices. Aussi Cléanthe a-t-il dit que » cet animal avait reçu une âme en guise de sel, pour empécher sa chair de se corrompre. » Les uns donc s'en uourrissent parce qu'il est inutile ; les autres, parce qu'il ruine les moissons ; ceux-là s'en abstiennent parce que c'est un animal ardent en amour. Telle est aussi la raison pour laquelle la loi ne sacrifie pas de bouc, excepté dans le cas unique du bouc émissaire pour l'éloignement des péchés, parce que la volupté est la mère de tous les maux. On assure d'ailleurs que l'usage de la chair du bouc dispose à l'épilepsie, et que celle du pourceau amène l'obésité. Cet aliment peut donc être utile à ceux qui exercent le corps. Mais si vous travaillez au développement de l'âme, il n'eu va pas de même : l'habitude de cette nourriture épaissit l'intelligence. Il n'est pas impossible que le Gnostique, pour amortir la violence de la lutte,de s'interdire toute chair qui a vécu, de peur que, dans la vigueur luxuriante de ses forces, ses sens ne s'allument immodérément. « L'usage du vin, nous dit Androcyde, et l'abondance des aliments, en fortifiant notre corps, débilitent notre âme. » Cette nourriture impie étouffe donc la parfaite intelligence. Voilà pourquoi les Égyptiens, dans les purifications expiatoires, interdisent à leurs psêtres l'usage des viandes, et n'usent que de la chair des jeunes oiseaux, qu'ils regardent comme la plus légère de toutes. Quant aux poissons, ils n'y touchent jamais, tant à cause de quelques fables accréditées, que parce que cet aliment produit la mollesse et l'inconsistance des chairs. Les oiseaux et les animaux qui vivent sur la terre se nourrissent, en respirant le même air que nos âmes, doués qu'ils sont d'un principe en affinité avec le souffle aérien. Il n'en va pas de même des poissons : ils n'aspirent qu'un air moins subtil, qui fut, dès l'origine du monde, mélangé avec l'eau, et les autres éléments; témoignage de permanence matérielle. Il faut donc offrir des sacrifices, non pas des sacrifices splendides, mais qui soient agréables à la majesté divine. Faisons monter vers elle ce parfum aromatique, qui est composé par la loi et l'encens qu'envoient à Dieu les langues et les voix en communauté de prières, je ne dis point assez, sainte exhalaison des sexes, des tribus, des nations de toute la terre, qui, par le don des révélations successives, conspire à l'unité de la foi, et se réunit dans la glorification ; harmonieux ensemble de justice, de pureté, d'œuvres saintes, et de chastes prières. « Est-il, en effet, un homme assez extravagant, et d'une crédulité assez inepte, dit la muse poétique, pour s'imaginer que les dieux voient avec plaisir le foie rôti d'une victime, et quelques ossements que ne voudraient pas même ronger des chiens affamés? Quoi ! ce serait là l'offrande qu'ils solliciteraient! quoi ! ils rendraient grâces à de pareils adorateurs, fussent-ils pirates, brigands, despotes cruels ! Oui, sans doute, et nous le proclamons, le feu sanctifie, non pas le corps, mais l'âme du pécheur. Nous n'appelons point de ce nom la flamme grossière qui consume et dévore, mais cette flamme intelligente qui pénètre l'âme quand elle passe à travers le feu. [7,7] CHAPITRE VII. Quelle est la prière du véritable Gnostique, et comment Dieu l'exauce. Il nous est enjoint d'honorer et d'adorer celui-là même que nous reconnaissons pour le Verbe, pour le Sauveur, pour le modérateur universel, et par lui, le Père, non point à des jours choisis, comme le pratiquent quelques-uns, mais assidûment pendant toute la durée de la vie, et par toutes les voies possibles. « Seigneur, je vous louerai sept fois le jour, » s'écrie avec le Psalmiste la race des Élus que justifie l'accomplissement du précepte. Voilà pourquoi le Gnostique ne loue pas Dieu dans une enceinte circonscrite, dans un temple privilégié, il l'honore pendant toute sa vie; tous les lieux lui sont indifférents. Qu'il soit seul, qu'il se trouve au milieu d'hommes qui ont embrassé la même foi, n'importe, il adore Dieu, c'est-à-dire qu'il lui rend grâces de lui avoir fait connaitre quelle est la vie véritable. Si la présence habituelle de l'homme de bien, par le respect et la vénération qu'il inspire, élève la pensée et le cœur de quiconque vit aupres de lui, comment le Chretien, à qui Dieu est toujours présent par la connaissance, le plan de conduite, et l'action de grâces, ne deviendrait-il pas chaque jour meilleur qu'il n'était la veille dans toutes ses actions, dans toutes ses paroles, dans toutes ses affections ? Tel est celui qui croit fermement que Dieu est partout, et non que des lieux fixes et limités peuvent le renfermer, afin que s'estimant une fois loin de ses regards, il se plonge sans remords, la nuit comme le jour, dans l'intempérance et la volupté. Pour nous, la vie tout entière est un long jour de fête. Nous voyons Dieu partout : à la campagne, nous publions ses louanges en cultivant la terre ; sur la mer, nous chantons des hymnas en naviguant. Quelque soit enfin notre occupation, nous savons toujours la concilier avec la gloire de Dieu. Le Gnostique toutefois se rapproche plus immédiatement de Dieu, en montrant dans chacune de ces actions la gravité et la gaité. La gravité, parce qu'il se tourne vers Dieu, la gaité parce qu'il regarde les présents de Dieu comme les biens de l'homme. Il semble que le prophète a voulu nous manifester, dans les mots qui suivent, l'éminente dignité de la connaissance.» Découvrez-moi quelle est la bonté, la sagesse et la science, » dit-il, glorifiant ainsi par cette gradation ce que la perfection a de plus relevé. Voilà l'homme vraiment royal ! voilà le saint pontife de la Divinité ! Au reste, les plus éclairés d'entre les Barbares demeurent, même encore sous nos yeux, fidèles à la coutume de porter au trône les membres de la race sacerdotale. Ne demandez point à un pareil homme de livrer sa personne au tumulte de la multitude qui s'agite et règne dans les théâtres. Paroles, actions, spectacles, tout ce qui a pour but d'amorcer les passions, il n'y ouvre jamais son âme, pas même en songe. Eloignez de lui les voluptés qui séduisent les yeux ! Bannissez la foule des plaisirs qui flattent les autres sens ! qu'en ferait-il? Il ne veut connaitre ni les somptueux parfums qui charment l'odorat, ni les assaisonnements des mets ou les mille vins délicats dont l'arôme flatte le goût, ni ces guirlandes de fleurs diverses qui énervent l'âme par l'excitation des sens. Il rapporte constamment à Dieu le légitime usage de toutes choses, nourriture, boisson, parfums ; il en offre les prémices à celui qui a tout donné ; il lui rend de continuelles actions de grâces, et par ses dons et par ses biens, et par le Verbe intérieur dont il l'a doté. Il assiste rarement aux banquets, à moins que le repas, en lui promettant une réunion de frères confondus dans le même esprit, ne le décide à s'y trouver. Que Dieu sache et entende toutes choses, il en est profondément convaincu. Le langage n'a pas plus de mystères que la pensée pour le Tout-Puissant. En effet, ce n'est point par une faculté particulière au corps, mais par une intelligence et une sorte de compréhension physique que l'ouïe, dont nos organes sont l'instrument, recueille des mots qui ont une signification. Dieu donc n'entend point à la manière de l'homme : il n'a pas besoin de sens, comme il a plu aux Stoïciens de l'imaginer, principalement de la vue et de l'ouïe. Il est impossible de saisir les objets autrement que par ces deux voies, disent-ils. Ils se trompent. Il y a encore la merveilleuse facilité de l'air à se déplacer ; les rapides sensations qui sont le privilège commun de la milice angélique; puis enfin l'énergie de la conscience, qui, d'accord avec la pensée, par une puissance inexplicable et sans le secours d'organes physiques, connait tout ce qui se passe. Mais la voix, me dira-t-on, se perd dans les couches inférieures de l'air, sans monter jusqu'à Dieu. Les pensées des saints, répondrai-je, traversent non seulement l'air, mais le monde tout entier. La puissance divine ressemble à la lumière : elle n'est pas plutôt tombée sur une âme, qu'elle la manifeste et l'illumine de toutes parts. Mais que dis-je ? Les projets que forme une âme ne parviennent-ils pas jusqu'à Dieu? N'ont-ils pas une voix qui les précède ? Ne sont-ils pas transmis par le cri de la conscience lui-même ? Et d'ailleurs, pourquoi faudrait-il donc qu il attendit les avertissements de la voix, celui qui, dans l'éternité de ses conseils, et longtemps avant la formation de l'élu, le contemplait d'avance et lisait dans l'avenir comme si l'avenir était déjà présent? Serait-il possible que le rayon de la puissance divine ne portât point sa lumière dans les profondeurs de l'âme, lorsque, suivant le langage de l'Écriture, « le flambeau de la puissance pénètre les lieux les plus secrets ? » Dieu est tout ouïe, il est tout œil, si je puis me servir de ces expressions. Une opinion mal sonnante au sujet de Dieu, loin de conserver aux chants, aux discours, aux Écritures et aux dogmes leur caractère de sainteté, descend à des notions vulgaires et à des pensées inconvenantes. De là vient que « la bénédiction du plus grand nombre ne diffère en rien du blasphème, » parce qu'ils ignorent la vérité. Les choses vers lesquelles se portent l'appétit, le désir, et, pour le dire en un mot, toutes les impulsions de l'âme, la prière les sollicite. De même que l'on ne soupire point après la boisson en elle-même, mais qu'on veut boire le breuvage ; après l'héritage en lui-même, mais qu'on veut hériter, de même aussi l'on ne veut pas la connaissance, mais connaitre ; on ne veut pas une administration régulière, mais administrer régulièrement : on prie conséquemment pour obtenir ce que l'on demande, et l'on demande ce que l'on désire. Prière ! désir ! ils s'enchainent et se succèdent alternativement pour obtenir les biens et les avantages qui leur sont attachés. Celui qui ne fait encore qu'élever l'édifice de la connaissance supplie Dieu de lui envoyer les biens véritables, à savoir les biens de l'âme, pendant qu'il travaille lui-même à s'établir dans un état permanent de bonté, de manière à ne plus posséder à l'avenir les biens comme des acquisitions étrangères, mais à s'identifier avec la bonté elle-même. La prière convient donc surtout à ceux qui connaissent Dieu comme il veut être connu : point de vertu raisonnable et bien entendue sans l'obligation de savoir quels sont les biens véritables, ce qu'il faut demander, quand cl comment il faut demander chaque objet. N'est-ce pas, en effet, le comble de l'extravagance, que d'aller porter ses prières à des dieux menteurs comme s'ils étaient des dieux réels, ou de solliciter, sous l'apparence de biens, des maux qui tourneraient à la ruine du solliciteur? Voilà pourquoi, persuadés qu'il n'y a qu'un seul Dieu en qui réside toute bonté, nous demandons, les anges et nous, mais à des titres divers, tantôt que les biens nous soient octroyés, tantôt qu'il nous demeurent. Car, supplier Dieu de nous conserver ses dons, ou bien travailler dès l'origine à nous en rendre dignes, n'est pas la même chose. Il y a mieux. La détestation du mal et l'acte par lequel nous le repoussons est une sorte de prière, mais il faut se garder qu'elle devienne jamais sur nos lèvres un instrument de dommage contre les hommes, à moins que le Gnostique, sagement fidèle aux exigences de la justice, n'applique sa demande aux méchants qui ont dépouillé tout sentiment du bien. Parlons avec plus de hardiesse. La prière est un entretien avec le Seigneur. Nous avons beau nous exprimer à voix basse, ou méditer en nous-mêmes sans remuer les lèvres, nous avons crié du fond du cœur. Dieu a entendu cette parole intérieure qui arrive toujours jusqu'à lui. De là vient que nous élevons la tête et les mains vers le ciel ; que nous agitons les pieds dans la dernière acclamation de la prière. Il semble que le Chrétien, par ce symbole, poursuive avec les élans de l'eprit l'essence qui n'est perceptible qu'à l'intelligence. Détachant en quelque sorte de la terre son corps avec ses paroles qui montent vers les cieux, il soulève son âme, qui, portée sur l'aile des pieux et saints désirs, plane dans les régions célestes et pénètre jusque dans le sanctuaire de Dieu, d'où elle regarde avec dédain la prison de la chair. Nous le savons, en effet, le Gnostique sort de la captivité de ce monde avec non moins de joie que l'Hébreu, quand il quitta la servitude de l'Égypte, afin de prouver qu'il est toujours prêt à se rapprocher le plus possible de son Dieu. Quelques-uns assignent à l'oraison certaines heures particulières, par exemple, la troisième, la sixième et la neuvième. Le Gnostique, lui, consume sa vie dans la prière, désireux de vivre par elle dans l'intimité de Dieu. Parvenu à ce point, il a laissé, pour le dire en un mot, tout ce qui n'est pas utile, afin de puiser dans cet auguste commerce la consommation de l'homme qui n'agit que par amour. Cette triple division des heures, honorées par autant de prières, est connue de ceux qui n'ignorent pas que les célestes demeures renferment trois degrés différents. Ici me reviennent à la mémoire certains hérétiques qui, attachés à l'opinion de Prodicus, proclamaient l'inutilité de la prière. De peur qu'ils ne viennent nous exalter leur sagesse impie comme une nouveauté dont ils seraient les inventeurs, apprenons aux sectaires qu'ils l'ont empruntée à l'école de Cyrène. Nous repousserons en leur temps les blasphèmes de ces prétendus Gnostiques. Mêlée à ce commentaire, cette longue dissertation interromprait la démonstration présente, où nous établissons qu'il n'y a point d'autre fidèle et religieux adorateur de Dieu, que le Gnostique véritable, éclairé par la doctrine de l'Église, et que Dieu lui accorde à lui seul tout ce qu'il demande conformément à la volonté de Dieu, qu'il le sollicite par la parole ou par la pensée. Oui, Dieu peut tout ce qu'il veut. De même tout ce que demande le Gnostique, le Gnostique l'obtient. C'est que Dieu connait jusqu'au fond de leur cœur quels sont les hommes dignes ou indignes de ses dons. De là vient qu'il accorde à chacun ce qui lui est expédient. Que les indignes le sollicitent, sa main reste fermée : il se plait, au contraire, à l'ouvrir pour tous ceux qui méritent ses largesses. Il les octroyera même sans qu'on les lui demande. Ne nous imaginons pas toutefois que la prière soit superflue. L'action de grâces et la supplication pour tout ce qui se rattache à la conversion du prochain, sont encore dans les attributions du Gnostique. Aussi voyons-nous le Seigneur rendre grâces à son Père de ce que son ministère est accompli, et lui demander que le plus grand nombre possible de fidèles parviennent à la connaissance, afin que Dieu soit glorifié dans la personne de ses élus, par le salut, qui est le fruit de la vérité, et que le Dieu, seul bon, seul sauveur, soit connu, par l'intermédiaire du Fils, de génération en génération. La foi par laquelle nous espérons obtenir l'objet de nos demandes est elle-même une sorte de prière intellectuellement déposée au fond du cœur. Du reste, si la prière est une occasion de converser avec Dieu, point de doute qu'il ne faille négliger aucune occasion de se rapprocher de Dieu. La sainteté du véritable Gnostique en harmonie avec la bienheureuse Providence manifeste, par la confession spontanée, la perfection du bienfait divin. Car la pureté du Gnostique et la bienveillance réciproque de Dieu pour son serviteur, sont les deux extrémités correspondantes du gouvernement providentiel. Dieu n'est pas bon malgré lui, comme le feu, qui possède, sans le vouloir, la vertu d'échauffer. Il dispense ses biens par un acte de sa volonté, même quand il prévient les demandes. D'autre part, l'élu n'est pas sauvé malgré lui, puisqu'il a reçu une âme qui peut choisir; mais il marche au salut dans la direction qu'il a embrassée par une détermination spontanée. Telle est la raison pour laquelle les commandements ont été donnés à l'homme, créature qui se meut librement et par elle-même, afin qu'elle puisse se déterminer librement pour le bien ou pour le mal. Dieu ne fait donc pas le bien par une nécessité qui l'enchaîne : il exerce dans la plénitude de sa volonté sa munificence à l'égard de ceux qui se jettent volontairement entre ses bras. La Providence qui descend d'en haut jusqu'à nous n'est point une puissance aveugle, fatalement occupée à servir les créatures en remontant progressivement de l'être le moins bon à celui qui l'est le plus. Non sans doute. Pleines de compassion pour notre néant, les dispensations non interrompues de la Providence s'exercent envers nous comme celles d'un pasteur à l'égard de son troupeau, d'un monarque à l'égard de ses sujets, comme notre obéissance à l'égard des préposés qui nous gouvernent, d'après les ordres qui leur ont été transmis par Dieu. Quels sont donc les serviteurs et les adorateurs de Dieu ? Ceux qui lui rendent, par la piété non moins que par la connaissance, le culte véritablement magnifique et royal. Par là même tous les lieux, tous les temps où notre esprit concoit la pensée de Dieu, sont réellement sacrés. Mais lorsque l'homme dont les dispositions sont vertueuses et le cœur reconnaissant demande par la voix de la prière, il contribue en quelque façon à s'investir lui-même de ce qu'il sollicite, puisque la prière est l'attestation qu'il recevra volontiers l'objet de son désir. Le dispensateur suprême de tous les dons n'a pas plutôt reçu l'expression de ce souhait, qu'il la fait suivre du trésor de ses largesses. Il est constant que la prière manifeste au dehors les dispositions intérieures que nous apportons à l'accomplissement du devoir. Si la parole et le langage nous ont été donnés pour nous comprendre mutuellement, comment Dieu n'entendrait-il pas notre âme, puisque sous nos yeux une âme comprend tous les jours une âme, un esprit un autre esprit ? J'en conclus que Dieu n'a pas besoin d'attendre, comme les interprètes des hommes, que la bouche articule des paroles : il connait, pour le dire en un mot, les plus secrètes conceptions de tous. Ce que la voix exprime à nos oreilles, notre pensée le déclare à Dieu, qui savait même avant la création, que cette pensée nous viendrait à l'esprit. Il est donc possible de prier sans articuler aucun mot, pourvu que, par une attention inséparablement attachée à Dieu, le fidèle applique à cette voix de l'intelligence toutes les facultés spirituelles de son être. L'Orient est le symbole de celui qui est notre Jour. De l'Orient est partie la lumière qui jaillit pour la première fois des ténèbres. De l'Orient s'est levé le flambeau de la vérité sur la tête de ceux qul étaient plongés dans l'ignorance, à peu près comme le soleil se lève sur le monde sensible. Voilà pourquoi nous nous tournons vers le Levant quand nous prions. C'est encore pour cette raison que les temples, dans la plus haute antiquité, regardaient l'Occident, afin que ceux qui sacrifiaient debout et le visage tourné vers les simulacres des dieux, apprissent à se tourner vers l'Orient. « Que ma prière s'élève comme l'encens en votre présence ; que l'oblation de mes mains soit comme le sacrifice du soir, » disent les Psaumes. La prière des méchants n'est point seulement funeste aux autres, elle est encore fatale à eux-mêmes. En effet, qu'ils viennent à recevoir les prétendus biens qu'ils ont demandés, ils se perdent par les dons même qu'ils obtiennent, puisqu'ils en ignorent le légitime usage. Envoyez-nous les biens que nous n'avons pas, s'écrient-ils ; et ils demandent ce qui leur parait bon et non pas ce qui l'est véritablement. Mais le Gnostiqne, lui, demande la stabilité de ce qu'il possède, l'aptitude pour les biens qu'il attend et l'éternité pour ceux qu'il recevra. Les biens véritables, c'est-à-dire, les trésors de l'âme, il en sollicite l'obtention et la permanence. Aussi ne désire-t-il rien au-delà de ceux qu'il possède, satisfait de ceux qu'il a. Peut-on dire qu'il est dénué de biens personnels, quand il se suffit à lui-même par la grâce divine et par les richesses de la connaissance? Content de ce qui lui appartient, ne soupirant après rien de ce qui est à autrui, sachant à fond qu'elle est la volonté du Tout-Puissant, voyant ses vœux accomplis aussitôt que formés, attaché surtout à la puissance dans laquelle réside toute force, en travaillant à devenir spirituel, il s'identifie avec l'Esprit par une charité sans bornes. Ainsi plein de hautes pensées, cet homme, qui possède par la connaissance le trésor inestimable et le plus excellent de tous les biens, s'applique aisément à la contemplation, et porte au dedans de lui-même la faculté permanente de la contemplation, je veux dire le coup d'œil rapide et clairvoyant de la science. Ses efforts se dirigent principalement vers l'acquisition de cette faculté. Maître de tous les mouvements qui combattent l'esprit, établi dans l'indéfectible habitude de la contemplation, exercé de longue main à s'abstenir de ce qui est agréable, et à gouverner l'ensemble de sa conduite d'après les lois de la raison, que dirai-je encore ? riche des trésors de l'expérience, sous le rapport de la doctrine non moins que sous le rapport de la vie, il se distingue par la liberté de son langage. Ne croyez point qu'il tombe pour cela dans un débordement de paroles violentes et sans frein. Non ; son discours est simple. Jamais il ne dissimule, ni par complaisance ni par crainte, la vérité, toutes les fois qu'elle peut se dire en temps convenable, quelles que soient les personnes devant qui le devoir lui fait une loi de parler. Celui donc qui a reçu du chœur mystique de la vérité elle-même la science de ce qui concerne Dieu ; qui, de plus, démontre avec la dignité que réclame la matière, et l'excellence de la vertu, et la nécessité de tout ce qui se rattache au culte divin, puise l'élévation de son âme dans la prière, et s'unit par un lien intellectuel aux choses de l'intelligence et de l'esprit. De là vient qu'il est toujours bienveillant, plein de mansuétude, d'un abord facile, patient, affable, reconnaissant, ne recevant de sa conscience que d'honorables témoignages. Le Gnostique s'arme encore d'une austère rigidité, non pas seulement pour échapper à la corruption, mais afin qu'on n'essaie pas même de le corrompre. Jamais il n'ouvre son âme ni à la volupté ni à la douleur : encore moins se laisse-t-il subjuguer par elles. Assis sur le tribunal du juge, si le Verbe l'appelle à ces fonctions, il demeure impassible, sans rien accorder anx mouvements des passions, marchant d'un pas immuable dans la route que lui trace la justice, avec la conviction que la plus haute sagesse préside au gouvernement de ce monde, et que les âmes qui ont embrassé librement la vertu gravitent incessamment vers le bien, jusqu'à ce qu'elles touchent au bien par essence, arrivées déjà, pour ainsi-dire, dans les vestibules du Père, quand elles sont rapprochées du grand Pontife de la loi nouvelle. Le Gnostique fidèle est donc celui qui est persuadé de cette vérité : Les choses de ce monde sont gouvernées pour le mieux. Avec cette pensée, il supporte sans plainte et sans murmure tous les événements qui surviennent. Ce qui est nécessaire aux besoins journaliers de la vie matérielle, il ne le demande pas. Pourquoi le ferait-il? N'a-t-il pas l'invincible conviction que le Dieu à la providence duquel rien n'échappe, fournit à l'homme de bien ce qui lui est utile, sans attendre même ses sollicitations? L'artisan est nourri par son art, le Gentil recoit l'aliment qui convient au Gentil. Il en est de même dn Gnostique : il reçoit par la gnose tout ce dont il a besoin. Le païen qui se convertit implore le don de la foi, celui qui monte les dégrés de la connaissance soupire après la perfection de la charité. Mais le Gnostique qui est parvenu au faite de la science divine demande l'accroissement et la permanence de la contemplation, à peu près comme l'homme vulgaire fait des vœu pour que sa santé demeure toujours florissante. Seigneur, que ma vertu ne défaille jamais, dira-t-il encore, pendant qu'il contribue de son coté à l'asseoir sur un fondement inébranlable. Il sait bien que la négligence précipita de leurs trônes quelques anges infidèles qui n'avaient pus su encore arrêter les inconsistantes fluctuations de leur volonté dans l'équilibre d'une nature unique. Mais êtes-vous parvenu des degrés inférieurs au point culminant de la connaissance? Vous êtes-vous comme exercé aux sublimités de In perfection? dès-lors, et le temps et le lieu, tout vient en aide à qui embrasse avec fermeté d'âme un régime de vie immuable et travaille à s'établir dans la constante uniformité du bien. Si vous laissez, au contraire, dans l'édifice quelque angle ruineux et penché vers la terre, les matériaux que vous avez déjà dressés en l'air avec le levier de la foi, vont crouler eux-mêmes dans une ruine commune. Ainsi, le fidèle qui a conquis dans l'exercice de la gnose une vertu inamissible, a transformé l'habitude de la vertu en une seconde nature. La pesanteur est inséparable de la pierre : de même, sa science lui devient une propriété inaliénable, et cela, non pas malgré lui, mais dans la plénitude de son choix, par la puissance combinée de la raison, de la gnose et de la prévoyance. La vigilance, en effet, le conduit à cet état inamissible. Gardé par une précaution sévère, il ne pèche pas; retenu par la prudence et le bon conseil, il conserve le fruit de ses efforts. Or, la Gnose fournit, ce me semble, à qui la possède le bon conseil, en lui apprenant à discerner tout ce qui peut l'aider à se maintenir dans la vertu. La connaissance de Dieu, voilà donc le plus précieux de tous les trésors. Par conséquent, elle veille à l'inamissibilité de la vertu. Connaitre Dieu, c'est être saint et pieux. Donc le véritable Gnostique, ainsi que nous l'avons établi précédemment, possède seul la piété. Sans doute, les biens présents le réjouissent ; mais les biens promis le transportent d'allégresse, comme s'ils étaient déjà présents. Ne dites pas : L'absence les lui cache : il connait d'avance tout ce qu'ils sont. Persuadé par la gnose que l'avenir sera de telle et telle manière, il est déjà en possession de l'avenir. Ce qu'il y a d'incomplet et de défectueux doit se mesurer sur le degré de ses forces. S'il est vrai qu'il possède la sagesse et que la sagesse proprement dite, soit un attribut divin, celui qui participe de l'être auquel rien ne manque, ne manquera de rien lui-même. Car, dans la communication de la sagesse, l'être qui distribue et celui qui participe, ne se meuvent ni ne se retiennent mutuellement. Le premier ne s'appauvrit pas de ce que le second lui a enlevé. Par conséquent, l'abondance de celui qui donne ne s'épuise pas dans la fréquence de la communication. Le Gnostique a donc tous les biens imaginables, virtuellement sinon en réalité, par ce qu'autrement il serait déjà investi sans retour des tabernacles par où l'âme passe de degres en degrés, ainsi que des dispensations divines qui l'attendent. Dieu lui vient aussi en aide en l'honorant d'un soin plus immédiat. L'ensemble des êtres n'a-t-il point été créé pour que l'homme vertueux en use et les possède, disons mieux, afin que les créatures servent au salut de l'homme vertueux? Comment croire après cela que la Providence enlève les auxiliaires de la vertu à celui pour qui elle a tout opéré? Nul doute qu'en soutenant la bonne nature et la sainteté du régime qu'ils ont embrassé, la divine sagesse ne communique à ceux qui ont résolu de bien vivre des forces pour consommer l'œuvre de leur salut, ici,et leur parlant par la voie de la simple exhortation, là, en tendant une main secourable à ceux qui l'ont mérité par leurs efforts personnels. Tout bien de cette espèce va donc naturellement chercher le Gnostique dont la fin est de savoir, et d'agir en toutes choses avec une parfaite connaissance. Regardez le médecin. Il rend la santé aux malades qui, par leur énergie intérieure, concourent avec lui au rétablissement de leur santé. Dieu se conduit de même vis-à-vis de nous. ll accorde le saint éternel à ceux qui travaillent concurremment avec lui à l'édifice de la connaissance et des bonnes œuvres. Oui, la promesse divine ne se réalise que par l'action de l'homme, puisque l'accomplissement des obligations imposées par le précepte est laissé en notre pouvoir. Aussi ne puis-je refuser mon admiration a ce mot de la Grèce. Un athlète qui n'était pas sans gloire dans l'antiquité avait longtemps exercé ce misérable corps pour l'accoutumer à la valeur. Il va combattre aux jeux olympiques. Tout à coup il appercoit la statue de Jupiter qu'adoraient les Pisans : « Père des dieux, s'écria-t-il, si je n'ai rien omis pour me préparer au combat, donne-moi la victoire ! Tu me la dois. » Il se passe quelque chose de semblable pour le Gnostique. Après qu'il a rempli, dans la mesure de ses forces, sans reproche et avec le témoignage d'une bonne conscience, tout ce qui concerne la doctrine, l'exercice, les œuvres et le desir de plaire à Dieu, il est sûr d'avoir conduit à terme dans toutes ses parties l'affaire de son salut. Dieu n'exige donc de nous que ce qu'il nous est possible de faire, c'est-à-dire, dans les biens absents ou présents qui intéressent notre salut, la détermination volontaire, le désir, la possession, l'usage, la persévérance. Voilà pourquoi l'homme qui converse avec Dieu doit avoir une âme pure et sans tache, condition imprescriptible, s'il travaille à posséder en lui-même la perfection de la bonté. Sinon, qu'il cherche du moins à s'élever à la connaissance ; qu'il soupire après elle, mais surtout qu'il se tienne bien loin du mal. Il convient encore au Gnostique de n'adresser à Dieu que des prières vertueuses et dans la compagnie des hommes vertueux. La communication avec les péchés d'autrui est contagieuse. Avec ceux dont la foi est récente encore, le Gnostique ne priera que sur les points ou la publicité de la demande est permise. Quant à sa vie entière, nous l'avons dit, c'est un long jour de fête. Ses sacrifices ordinaires sont ses prières elles-mêmes, les louanges de Dieu qu'il répète, les saintes Écritures qu'il lit avant ses repas, les psaumes et les hymnes qu'il chante, soit pendant qu'il est à table, soit avant de s'endormir, et enfin les prières de la nuit. Grâce à elles, enrôlé qu'il est déjà dans l'indéfectible contemplation qui lui rend Dieu toujours présent, il s'unit à tout le chœur divin par la constante application de sa pensée. Mais quoi ! le Gnostique ne connait-il pas d'autres sacrifices encore ? Ne fait-il pas à l'indigent l'aumône des salutaires vérités et des biens matériels qu'il possède ? Oui, sans doute, et dans une mesure abondante. Mais comme il tient de la bouche du Seigneur lui-même quels sont les biens qu'il faut demander, jamais il ne recourt à ces longues et verbeuses prières que la voix articule. Il priera donc en tout lieu, mais non pour attirer sur lui les regards de la multitude. Sa promenade, sa conversation, son repos, ses lectures, les œuvres que dirige la raison, c'est toujours la prière sous mille formes différentes. Qu'il descende seulement par la pensée dans le sanctuaire de son âme, et qu'il invoque le Père avec des gémissements inénarrables, il n'a point encore achevé de parler que le Tout-Puissant l'a exaucé. Toutes les actions de l'homme sont déterminées par trois fins principales. La chose est-elle bonne et utile ? Voilà quel est le but de tout ce qu'entreprend te Gnostique. Il laisse le mobile du plaisir à ces âmes qui suivent à travers les misères et les angoisses la vie la plus commune. [7,8] CHAPITRE VIII. Le Gnostique, austère zélateur de la vérité, n'a pas même besoin de recourir au serment. Avec une piété qui a fait ses preuves, ce serait insulter le Gnostique que de lui supposer un penchant au mensonge et au serment. Le serment est une déclaration définitive par laquelle on prend à témoin le nom de Dieu. Mais à quel titre l'homme, investi de la foi, se montrera-t-il assez infidèle pour avoir besoin de recourir au serment ? Comment n'ordonnera-t-il pas sa vie tout entière de façon que l'immuable uniformité de sa conduite et de son langage devienne une décisive et authentique affirmation '? Si le dommage réside dans le jugement de celui qui fait et qui parle, et non dans le tort qu'à éprouvé la personne du plaignant, le Gnostique se gardera bien de mentir ni de se parjurer. L'insulte qu'il ferait à Dieu retomberait sur lui-même : il sait bien que par son essence Dieu ne peut éprouver de dommage. Vous ne le verrez pas non plus mentir, ou transgresser quelque point de la loi par haine du prochain que son maitre lui apprend à aimer, quoiqu'il ne vive pas sous le même toit que lui. Il mentira ou se parjurera bien moins encore pour lui-même, puisqu'on ne le surprendra jamais dans une injustice volontaire contre sa personne. Enfin, il ne jure pas, attendu que pour affirmer il se contente de répondre oui ; pour nier, de répondre non. Car jurer, qu'est-ce autre chose, sinon proférer un serment, ou produire, en guise de serment, une conception de l'esprit dans le but de persuader? Il suffit au Gnostique de terminer sa dénégation ou son affirmation par ces paroles : J'ai dit la vérité, pour achever de convaincre ceux qui hésitent encore sur l'autorité de son témoignage. Il devra donc, si je ne me trompe, avoir vis-à-vis des étrangers une conduite qui inspire assez de confiance pour qu'il paraisse inutile de l'obliger au serment, vis-à-vis de lui-même et de ceux qui ont commerce avec lui, une probité de tous les moments, qui est la justice volontaire. Ainsi jure le Gnostique, mais comme la raison l'y autorise. Loin de se sentir de l'inclination pour le serment, il s'y soumet de la manière que nous l'avons dit, le moins qu'il peut. Quant à la sincérité de son affirmation, elle est le fruit de l'étroite harmonie qui l'unit à la vérité. On n'y parvient que par une constante et irréprochable application au devoir. Ne demandez donc plus des serments à celui qui vit de manière à vous prouver qu'il est au faite de la vérité. Celui qui ne jure pas sera bien plus loin encore de se parjurer : mais celui qui ne viole jamais un seul article des conventions ne peut être appelé à jurer. A-t-il rempli les engagements qu'il a pris ? les a-t-il violés ? Il laisse parler les faits. Assurément, le mensonge dans les paroles, et le parjure dans le serment, sont une infraction à la loi. Mais le juste, qui ne transgresse pas une seule des obligations qu'imposé le devoir, en appelle à sa vie quand arrive l'examen de la vérité. Ses actions, voilà son serment. Le témoignage des lèvres lui est donc absolument inutile. Toujours convaincu que Dieu l'environne partout où il est, rougissant de ne pas dire la vérité et regardant comme indigne de lui la ressource du mensonge, il se contente du témoignage que lui rendent Dieu et sa propre conscience. Voilà pourquoi jamais il ne trompe, jamais il ne viole un engagement. Voilà pourquoi encore il refuse le serment quand on le lui demande, et fidéle à la vérité, ne renie jamais ce qu'il a juré, fallût-il livrer sa vie au milieu des supplices. [7,9] CHAPITRE IX. La supériorité, dans les vertus précedentes, appartient à celui qui enseigne le prochain. Quelle est grande la dignité du Gnostique ! Toutefois c'est le rehausser singulièrement. que d'avoir la charge d'instruire ses frères. Destiné à répandre par sa parole et par ses exemples le plus grand bien qu'il y ait ici-bas, l'homme investi de cette mission est une sorte de médiateur qui unit l'homme à la Divinité. Le païen qui adore la pierre et le bois, adresse ses vœux à de stupides simulacres comme s'ils avaient des oreilles pour l'entendre, et respecte les conventions qu'il a signées sous leurs yeux. De même, les images qui vivent et respirent, je veux dire les hommes, reçoivent de la bouche d'un maitre qui mérite leur créance la réalité des magnificences du Verbe. Le bienfait qui leur est communiqué rappelle l'œuvre du Seigneur lui-même. A son image, l'homme véritable qui répand la semence de la parole, à la fois créateur et réformateur, renouvelle pour le salut l'homme qu'il catechise. Les Grecs donnent au fer le nom de Mars, au vin le nom de Bacchus, en vertu de quelque relation secrète. Il en est de même du Gnostique. Comme il voit dans l'utilité du prochain son propre salut, on peut dire avec raison qu'il est l'image vivante du Seigneur, sinon dans les propriétés de la nature, au moins dans les communications de sa puissance, et dans la conformité de la predication. Tout ce qu'il porte au fond de l'âme, il le porte également sur ses lèvres. Plein d'harmonie dans sa doctrine et ses actions. il prêche d'exemples et de paroles devant tous ceux qui sont dignes de l'entendre. En effet, il exprime toujours la vérité qu'il pense, à moins que, semblable au médecin qui déguise au malade une realité dangereuse, il ne lui arrive parfois de dissimuler, ou plutôt, selon le langage des sophistes, de ne pas dire la vérité par forme de remède. Regardez, en effet. Voilà que l'illustre apôtre circoncit Timothée, à l'instant même où il écrit et proclame à haute voix que la circoncision pratiquée par la main de l'homme est une vaine cérémonie. Pourquoi cette condescendance ? Il craint que le brusque passage de la circoncision mosaïque, à la circoncision que la foi opère sur le cœur, ne poussse à une éclatante rupture avec la synagogue les Juifs qui chancellent encore. Il s'accommode donc à leur faiblesse, et se fait Juif pour les gagner tous. » Descendre pour se mettre à la portée du prochain, uniquement dans l'intérêt de son salut, sans jamais néanmoins prendre lâchement conseil du péril que la malveillance tient toujours suspendu sur la tête du juste, ce n'est ni faillir, ni violer le précepte. Mais il n'y a que le désir d'être utile à ses frères qui puisse déterminer le Gnostique à des actes auxquels il ne se serait pas prêté dans l'origine, s'il n'avait été guidé par ce motif. Il se livre, en effet, lui-même pour l'Eglise, pour les disciples qu'il a personnellement engendrés à la foi, afin de servir de modèle à ceux qui revêtiront dans l'avenir ce rôle de bienveillant et pieux docteur, victime dévouée à la manifestation de la vérité, et aux œuvres d'amour envers notre Seigneur. Il marche dans sa voie sans redouter la prison, ni la servitude, vrai dans ses doctrines, patient dans la fatigue, véridique dans ses paroles, et n'usant jamais du langage qu'avec innocence ! En effet, dès que le mensonge a pour but quelque supercherie, il est plus qu'un discours oiseux : il commence à devenir l'instrument du mal. Paroles, actions, le Gnostique lui seul rend donc un témoignage unanime à la vérité, puisque dans ses discours, dans ses actions, dans ses pensées elles-mêmes, partout enfin, il se conduit avec une inviolable loyauté. Telle est, pour le dire sommairement, la piété du Chrétien. Si chacun de ses actes est conforme au devoir et réglé par la droite raison, sa conduite est pieuse et juste. Mais s'il en va ainsi, le Gnostique sera donc lui seul pieux, juste, et religieux adorateur de Dieu. Conséquemment le Chrétien n'est point un athée, proposition que nous avions dessein de démontrer aux philosophes. Il résulte de sa conduite qu'il ne fait jamais rien de méchant et de honteux, ce qui serait contraire à la justice. Enfin, pour dernière conclusion, il n'est point un impie. Seul sur la terre, il rend au Dieu véritable et tout-puissant au roi, au monarque universel, un culte de respect et de piété, conforme à ce que la religion véritable demande de lui. [7,10] CHAPITRE X. Degrés par lesquels le véritable Gnostiquc s'élève à la perfection. La connaissance, si je pouvais m'exprimer ainsi, est la perfection de l'homme en tant qu'homme, complétée par la science des choses divines, où tout se correspond dans une sorte d'harmonie, mœurs, conduite, paroles, et enfin d'accord avec elle même et avec le Verbe divin. Elle est, à vrai dire, la consommation de la foi, puisque, par elle, le fidèle qui croit arriver à la perfection. La foi conséquemment est un bien intérieur qui, sans chercher Dieu par la voie de l'examen, le proclame et le glorifie comme réellement existant. De là, pour le Chrétien, engendré par elle et développé dans son sein, nécessité impérieuse de travailler avec le secours divin, à connaître Dieu dans la mesure et la proportion de ses forces. La connaissance diffère, à notre avis, de la sagesse que l'on acquiert par les enseignements de la doctrine. Ce qu'est la connaissance, la sagesse l'est aussi à quelques égards ; mais ce qu'est la sagesse, la connaissance ne l'est pas absolument. On applique le nom de sagesse plus spécialement à la connaissance que nous transmet un maître. Mais croire à Dieu d'une foi non équivoque et inébranlable, est le fondement de la connaissance. Or, le Christ est tout ensemble le fondement et l'édifice, le principe et la fin de toutes choses. Le principe et la fin de toutes choses, c'est-à-dire la foi et la charité, ne sont pas l'objet de l'enseignement, tandis que la connaissance qui nous est communiquée par la tradition suivant la grâce de Dieu, est un dépot confié à ceux qui se sont rendus dignes de la doctrine, par laquelle resplendit l'excellence de la charité, de lumière en lumière. En effet, il a été dit: « On donnera à celui qui possède déjà; » qu'est-ce à dire ? A la foi s'ajoutera la connaissance ; à la connaissance la charité, à la charité; la possession de l'héritage. Les vœux du chrétien sont comblés, quand, suspendu au Seigneur par la foi, la connaissance et la charité, il est monté, conjointement avec lui, au séjour où règne le Dieu et le gardien de notre foi et de notre charité. C'est de là, enfin, que la connaissance descend dans l'âme de ceux qui sont aptes et prédestinés à cette faveur, parce qu'il faut de longs et nombreux exercices préparatoires, soit pour écouter l'enseignement de la science, soit pour régler sagement sa vie, soit pour marcher avec une constante application vers le but qui est placé plus haut que la simple justice de la loi. C'est la connaissance qui nous conduit à la fin sans limites et parfaite, en commençant par nous initier à cette vie toute divine que nous mènerons dans la société des bienheureux, aussitôt que nous serons délivrés des épreuves et des supplices qui châtiaient nos péchés pour nous servir de salutaire enseignement. Après cette rédemption, la récompense et les honneurs sont distribués à ceux qui sont parvenus à la consommation, et pour lesquels a cessé toute purification ultérieure, tout exercice de ministère, quelque saint qu'il fût, et quoiqu'il s'accomplit parmi les saints. Puis, viennent ceux qui ont vécu avec un cœur pur dans une sorte de proximité avec le Seigneur : ils s'approchent pour rentrer en possession de la contemplation éternelle. Ceux qui siègent sur des trônes semblales à ceux des autres dieux que le Sauveur a constitués les premiers après lui, sont appelés des dieux. La connaissance achève donc rapidement la purification intérieure, et porte en elle-même ces désirables révolutions, par lesquelles nous nous élevons graduellement au bien. De là vient qu'elle conduit aisément l'âme à cette essence divine et sainte avec laquelle nous avons quelque parenté, et fait passer l'homme par les progrès mystiques de sa lumière, jusqu'à ce que, dégagé de la moindre souillure, elle le rétablisse dans la demeure suprême du repos, en lui apprenant à contempler Dieu face à face par la science et la compréhension. Telle est, en effet, la perfection de l'âme arrivée à la connaissance. Libre de toute purification, affranchie de ses différents ministères, elle habite avec le Seigneur aux lieux où elle règne sous son patronage. La foi, si je puis ainsi m'exprimer, est donc une connaissance abrégée des vérités nécessaires. Mais la connaissance est la démonstration invincible et permanente des vérites adoptées par la foi, démonstration qui, bâtie sur l'édifice de la foi, par l'enseignement de notre Seigneur, conduit l'entendement à la science, à la compréhension parfaite, à l'infaillibilité. La première de ces salutaires révolutions, c'est, à mon jugement, le passage du paganisme à la foi, comme je l'ai dit plus haut. La seconde est le passage de la foi à la connaissance. Cette dernière, aboutissant à la charité, unit l'être qui aime à l'être aimé, ce qui connait à ce qui est connu. Il me semble que l'homme qui en est arrivé là, s'est établi d'avance dans la possession de la nature angélique. A-t-il atteint le degré de perfection que comporte la chair qui le retient encore ici-bas ? ses diverses révolutions du bien à un bien plus élevé se sont-elles accomplies dans l'ordre et la mesure qui convenaient? il se hâte de remonter au palais paternel, de regagner à travers le saint septénaire le séjour du Seigneur pour y être, en quelque façon, une lumière permanente, vivant d'une vie particulière, immuable à tout égard. C'est là le premier mode de l'opération du Seigneur, témoignage de rémunération et salaire de la piété, comme nous l'avons déjà dit. De nombreuses autorités confirment ce que nous avançons. Qu'il suffise d'un seul exemple où le prophète David s'exprime ainsi sommairement : « Qui montera sur les montagnes du Seigneur ? qui s'arrêtera dans son sanctuaire ? Celui qui a les mains innocentes et le cœur pur, qui n'a pas reçu son âme en vain, qui n'a jamais été parjure, celui-là recevra la bénédiction du Seigneur, et obtiendra la miséricorde de Dieu son sauveur. Telle est la race de ceux qui cherchent le Seigneur, qui aspirent à la face du Dieu de Jacob. » Le Psalmiste nous a brièvement indiqué le Gnostique, ce me semble : il nous montre aussi en passant que notre Sauveur est Dieu, en appelant face du Dieu de Jacob celui qui a prêché et enseigné tout ce qui concerne l'Esprit. Voilà pourquoi l'apôtre nomme également le Fils la splendeur du Père, le caractère de sa substance, parce qu'il a enseigné aux hommes la vérité sur Dieu, et qu'il a proclamé que Dieu le Père est un, qu'à lui seul appartient la toute-puissance, que « personne ne le connait si ce n'est le Fils, et celui auquel le fils l'a révélé. » L'unité de Dieu est indiquée par ces mots, ceux qui aspirent à la face du Dieu de Jacob. Que le Dieu unique soit seul un père plein de bonté et de miséricorde, Dieu notre Sauveur le déclare formellement. Il faut entendre par la génération de ceux qui le cherchent la race des élus, qui est douée de la faculté d'investigation, pour arriver à la connaissance. Aussi l'apôtre nous dit-il : « De quelle utilité vous serais-je, si, aux langues que je pourrais vous parler, je ne joignais ou la révélation, ou la prophétie, ou la science, ou la doctrine ? » Je sais bien qu'il arrive quelquefois à ceux qui ne sont pas Gnostiques de bien faire; mais leurs actions n'ont pas la raison pour moteur. Ainsi du courage, par exemple. Certains hommes, naturellement irascibles, devenus plus fougueux encore par l'habitude d'une passion qu'ils ont nourrie sans la combattre par la raison, en s'abandonnant à une aveugle impétaosité, exécutent les mêmes actes que le courage réel, ou bien, pareils à des artisans grossiers, résistent aux labeurs et aux supplices avec une dure opiniâtreté. Qu'ils se résignent tant qu'ils voudront, leur patience, n'a pas la même cause ni le même but que celle du Gnostique, non, quand même ils livreraient leur vie au milieu des supplices. L'apôtre va nous expliquer pourquoi. C'est qu'ils n'ont pas la charité qui s'engendre par la connaissance. Tout ce qui se fait avec connaissance est une action droite : tout ce qui se fait hors de la connaissance est une action mauvaise, quelque soit l'énergique persistance de son auteur, parce que son courage ne repose point sur le jugement, et qu'il ne rapporte point sa conduite à un de ces biens qui conduisent à la vertu et dérivent de la vertu. J'en pourrais dire autant de toutes les vertus en particulier, et de la piété principalement. Le Gnostique n'est pas guidé par la raison dans la sainteté uniquement. La science dirige le reste de sa conduite comme elle dirigeait le culte qu'il rend à Dieu. Nous avons dessein de retracer maintenant la vie du Gnostique. Nous laisserons de côté l'exposition de ses dogmes, que nous renvoyons à un autre lieu, suivant l'ordre que nous avons adopté. [7,11] CHAPITRE XI. Vie du Gnostique. Son courage à supporter les maux, et même la mort, si telle est la volonté de Dieu. Le Gnostique a recueilli la doctrine qui émane de Dieu, et, avec elle, les biens les plus vrais et les plus magnifiques. Il commence par admirer les merveilles de la création. Comme il apporte avec lui du sein de sa patrie primitive le témoignage qu'il est apte à la connaissance, il devient un disciple zélé du Seigneur. Il n'a pas plutôt entendu nommer Dieu et la Providence, qu'il croit déjà, incliné à la foi par l'admiration. Poussé par ce premier moteur, il s'applique sans relâche à l'étude de la doctrine, en se soumettant à tout ce qui peut le conduire à la connaissance des vérités après lesquelles il soupire. Le désir ardent et tendre qui le sollicite d'avançer dans la foi se mêle de recherche et d'examen. Par là, on devient digne d'une si haute contemplation. Avec ces dispositions, le Gnostique goûtera la volonté de Dieu ; car ce ne sont pas les oreilles du corps, mais celles de l'âme qu'il ouvre à la signification cachée sous les paroles qu'il entend. Maintenant qu'il a reçu par les mots l'essence des choses, et les choses elles-mêmes, il élève sagement son âme vers des régions plus sublimes. Cette double défense, par exemple : « Tu ne commettras point l'adultère. » — « Tu ne seras point homicide, » il la comprend dans un sens particulier, telle qu'elle a été formulée pour le Gnostique, et non avec la signification vulgaire qu'elle a pour le reste des hommes. Il poursuit donc l'exercice de la contemplation scientifique afin de se former graduellement aux vérités qui portent avec elles plus d'universalité et de magnificence, bien convaincu que l'instituteur véritable de l'homme, ainsi que parle le prophète, c'est le Seigneur, le Seigneur qui opère par la bouche de l'homme. Voilà pourquoi il a revêtu lui-même les infirmités de notre chair. Jamais le disciple de la science ne préfère ce qui est agréable à ce qui est utile, non, jamais, quand même une femme dans l'éclat de la beauté, le provoquerait au crime avec des allures de courtisane. La femme du maitre que servait Joseph a-t-elle pu parvenir à ébranler ses résolutions ? Il abandonne sa tunique et se laisse dépouiller par ces mains impudiques. Je me trompe. Il n'est dépouillé que des vêtements du péché : il a revêtu la robe de l'innocence et de la gloire. Sans doute les yeux du maitre, du maitre égyptien veux-je dire, n'apercevaient pas Joseph ; mais le Tout-Puissant le voyait. L'homme entend, il est vrai, la parole ; il aperçoit les corps. Dieu va plus loin, il sonde la personne elle-même d'où partent la parole et les regards. Par la même raison, que la maladie, qu'un événement soudain, que la mort, de tous les événements le plus terrible, fondent sur le Gnostique, il conserve l'intrépidité de son âme, à la pensée que toutes ces catastrophes sont une condition inaliénable de notre nature. Il sait d'ailleurs que la puissance divine les convertit en remèdes salutaires, destinés à réformer par la correction et le malheur ceux qui résistent à la transformation spirituelle, attendu qu'une Providence vraiment miséricordieuse distribue ces enseignemens selon les mérites de chacun. Comme il n'use des créatures que dans le temps et dans la mesure qui lui sont assignés par le Verbe, en rendant toujours grâces au Créateur, c'est le Seigneur lui-même qui préside à cet usage. A-t-il reçu quelque injure, jamais il ne s'en souvient. Jamais il ne s'irrite contre qui que ce soit quand même la personne serait digne de haine par ses actions. Il honore, en effet, le Créateur, et il aime le compagnon de son exil : il a pitié de lui, il prie pour lui à cause de son ignorance. Il compâtit également à la faiblesse de son propre corps, enchaîné qu'il est à un corps de souffrances et de misères. Toutefois, il ne se laisse pas ébranler le premier par les assauts de la passion. Que des événements involontaires viennent à la traverse, se dégageant de la douleur pour se replier dans ce qui lui appartient réellement, il demeure impassible et comme fermé à tout ce qui se passe hors de lui. Il ne condescend qu'au nécessaire, autant qu'il le faut pour conserver à l'âme sa liberté d'action. Que lui importe, en effet, l'opinion des hommes? que lui font les apparences ? Il veut être fidèle en réalité, fidèle par la vérité comme par la connaissance, c'est-à-dire par des actions qui ne se démentent jamais, non moins que par des discours efficaces. Il ne lui suffit donc pas de louer ce qui est bon : il s'efforce lui-même d'être bon ; de vertueux et fidèle serviteur qu'il était, il s'élève par l'amour au rang d'ami, et voit récompenser par ce titre la perfection des dispositions habituelles, qui sont en lui la pure conquête de la discipline véritable et d'un exercice prolongé. Le voilà donc travaillant de toutes ses facultés à parvenir au faîte de la connaissance, orné dans ses mœurs, recueilli dans son extérieur, possédant tous les avantages du véritable Gnostique, les yeux fixés sur les glorieux modèles, et contemplant les nobles devanciers qui l'ont précédé dans la perfection, les patriarches, les prophètes, les anges sans nombre qui veillent sur nous, et enfin le Seigneur qui nous a enseigné, par ses paroles et ses exemples, qu'il nous était possible d'arriver aux sublimités de cette vie. Le Gnostique, par conséquent, se garde bien de s'attacher à tous ces biens du monde qui se trouvent sous sa main : il ne veut pas séjourner sur la terre. Il chérit las biens qu'il espère, ou plutôt qu'il connait déjà, qu'il espère du moins par la compréhension. Voilà pourquoi il supporte les labeurs, les tortures, les tribulations, non pas à la manière de ces philosophes dont le courage se soutient uniquement par l'idée que ces douleurs auront une fin, et céderont la place encore une fois au plaisir. Telles ne sont pas ses pensées. La connaissance lui a inculqué l'inébranlable conviction qu'il recevra les biens que lui promet l'espérance. De là vient qu'il méprise non-seulement les supplices, mais tous les plaisirs de la terre. On raconte que le bienheureux Pierre, ayant vu les bourreaux conduire son épouse à la mort, se réjouit de ce que l'heure de son rappel était venue, disant que c'était une exilée qui retournait dans sa patrie. Il l'exhortait, la soutenait par ses consolations, et, l'appelant par son nom, « femme, lui disait-il, souvenez-vous du Seigneur. » Telle était dans le mariage la vie de ces bienheureux : telle était leur manière d'être, même vis-à-vis de ceux qu'ils chérissaient le plus. Aussi l'apôtre nous dit-il « que ceux qui ont des femmes soient comme s'ils n'en avaient pas. » Il ne voulait pas que le mariage descendit aux sympathies humaines, ni qu'il se séparât de cet amour pour le Seigneur, que le modèle des époux recommandait à sa femme de garder intact au moment où elle sortait de la vie pour aller rejoindre le Seigneur. Tous ces martyrs, qui rendaient grâces à Dieu au fort de la torture, ne proclamaient-ils point assez haut l'énergie de leur foi aux biens qui les attendaient après la mort? Ils avaient, si je ne me trompe, une confiance inébranlable que suivaient les œuvres inspirées par la foi. Elle est donc robuste et courageuse au milieu de tous les événements, l'âme du Gnostique qui, pareille à ces tempéraments athlétiques, est douée d'une saine constitution, et d'une vigueur à toute épreuve. Dans tout ce qui regarde les hommes, elle est une sage conseillère, et signale au juste la route qu'il lui faut suivre. Pourquoi s'en étonner ? Elle va puiser dans ses principes, et, pour accroître sa ressemblance avec Dieu, elle s'est accoutumée à maîtriser les plaisirs non moins que les douleurs du corps. Mais, armée de sa confiance en Dieu, elle lève fièrement la tête contre toutes les terreurs. L'âme du Gnostique apparaît donc réellement ici-bas comme l'image terrestre de la puissance divine, embellie des vertus les plus parfaites qu'elle doit au concours simultané de la nature, de l'exercice, et de la raison qui s'est développée avec elle. Cette beauté de l'âme devient le sanctuaire du Saint-Esprit, quand elle garde pendant toute la durée de la vie une manière d'être en harmonie avec l'Évangile. Avec ces dispositions, l'homme brave la crainte, le péril, tout ce qui est formidable. Que lui importent, non seulement la mort, mais l'indigence, la maladie, l'outrage et ce qui peut leur ressembler? La volupté ne le domine jamais, et il commande en souverain aux aveugles désirs. ll sait pertinemment ce qu'il faut faire et ce qu'il faut s'interdire, parce qu'il connaît de science certaine quels sont les objets véritablement formidables ou non. Conséquemraent, il supporte avec connaissance de cause ce qu'il doit supporter, et ce que la raison lui montre convenable. Il distingue, aux rayons d'une lumière qui ne le trompe pas, sur quel fonds il doit placer sa confiance, c'est-à-dire qu'il discerne les biens réels d'avec les biens imaginaires, et les maux véritablement formidables d'avec les maux apparents, tels que la mort, la pauvreté, la maladie, qui appartiennent bien plus à l'opinion qu'à la vérité. Le voilà l'homme de bien, qui, tenu à l'écart de toute impulsion déraisonnable par la constante habitude d'une âme vertueuse, plane au-dessus de cette vie de tourments et de passions. Toutes les facultés qui relèvent de lui-même sont dirigées vers le but qu'il s'efforce d'atteindre ; car les revers de la fortune, selon le langage vulgaire, ne sont point formidables à l'homme de bien, puisqu'ils ne sont pas des maux réels. Quant aux maux vraiment à redouter, ils sont étrangers au Chrétien gnostique, puisque, en leur qualité de maux, ils sont diamétralement opposés aux biens, et qu'il est impossible que le même homme réunisse en même temps les contraires. Le chrétien qui poursuit, sans mériter un seul reproche, le rôle de la vie dont Dieu l'a chargé sur ce théâtre du monde, connait donc ce qu'il faut faire et ce qu'il faut endurer. La pusillanimité n'a-t-elle pas son origine dans l'ignorance des objets réellement formidables ou non ? J'en conclus que le Gnostique lui seul a du courage, puisque seul il connait les biens présents et à venir. Éclairé, comme je viens de le dire, sur les maux qui ne sont pas à redouter, et persuadé que le vice lui seul est la ruine et la mort de ceux qui marchent vers la connaissance, muni des armes de Dieu, il livre au vice une guerre de tous les moments. Qu'il échappe à la faiblesse humaine quelque surprise, soit par imprudence, soit par opération, ou, pour mieux dire, par coopération de Satan, ce n'est point là une imprudence habituelle, ni une malice diabolique. Point d'acte, en effet, qui soit la prudence, puisque la prudence est une manière d'être, et que nulle œuvre, n'importe laquelle, n'est la prudence. L'action qui a lieu par ignorance n'est donc pas l'ignorance, mais le vice est amené par l'ignorance, sans toutefois se confondre avec elle. En effet, ni les passions ni les fautes ne sont des vices, quoiqu'elles procèdent du vice. Quiconque se montre courageux en dehors de la raison, n'est donc pas véritablement Gnostique. Autrement il faudrait honorer du nom de courage l'impassibilité de quelques enfants devant un péril dont ils n'ont pas l'idée. Ne les voyons-nous pas chaque jour toucher ainsi au feu? Eh bien ! alors, qu'on attribue au même titre la bravoure aux bêtes féroces qui se précipitent aveuglément au milieu des lances et des piques qu'on proclame le courage de ces histrions de nos places publiques qui, bondissant avec une certaine adresse sur des épées, exercent pour un vil salaire un art criminel ! Il n'en va point ainsi de l'homme véritablement courageux. La fureur populaire lui prépare-t-elle un supplice auquel il n'échappera point ? il accepte résolument la mort qu'on lui présente ; et c'est là une circonstance qu le distingue du reste des martyrs. Les uns vont au devant à l'occasion, et, s'il est permis de parler ainsi, se jettent étourdiment au milieu du péril. Les autres commencent par se tenir à l'écart, ainsi que le conseille la droite raison. Mais que Dieu les appelle, ils livrent avec empressement leurs personnes, rendent témoignage à leur vocation, parce qu'ils n'ont pas disposé d'eux-mêmes à la légère, et montrent à la terre l'homme véritablement digne d'admiration, dans l'exercice d'un courage éclairé par la raison et la vérité. Supportent-ils, comme le font la plupart des mortels, des supplices légers pour échapper à de plus grands supplices ? Persistent-ils dans la confession de leur foi parce qu'ils craignent le blâme de leurs égaux en dignité, de leurs frères en religion ? Nullement. Ils obéissent volontiers à la voix qu'ils entendent, entraînés par leur amour pour Dieu, sans se proposer d'autre but que de lui plaire, laissant de côté toute espérance de voir récompenser leurs travaux. En effet, il arrive communément que les hommes souffrent la mort ; mais les uns l'endurent par un désir de s'illustrer; les autres, pour echapper à un supplice plus redoutable ; ceux-là, pour entrer après cette vie en possession de la joie et du plaisir. Enfants qui essaient leurs premiers pas dans la foi, heureux, si vous le voulez, mais qui ne marchent pas en hommes faits, à la manière du Gnostique, dans l'amour de Dieu ! Oui, l'Église, de même que les Cirques et les Gymnases, a des couronnes pour les hommes et pour les enfants. Mais il faut désirer la charité pour elle-même, et non pour tout autre motif. La perfection du courage se développe donc, chez le Gnostique, simultanément avec la connaissance par l'exercice de la vie morale, et dans les efforts journaliers pour remporter la victoire sur les passions. Ainsi, la charité, en marquant de son onction sainte le front de son athlète et en exercant ses bras à la lutte, en fait un combattant libre de toute pusillanimité, ferme et plein de confiance en Dieu, de même que la justice lui apprend à dire constamment la vérité. L'abrégé de la justice est renfermé dans cet oracle : « Que votre discours soit, oui, oui, non, non ! » Il en est de même de la tempérance. Il ne faut pas qu'elle ait pour mobile le désir des honneurs, comme il arrive aux athlètes qui combattent pour la couronne et la gloire ; ni le désir des richesses, comme il arrive à quelques-uns qui poursuivent une vertu sous l'inspiration d'un vice funeste. Je n'appelle pas du nom de tempérant l'homme qui, par amour de soi-même, dans un intérêt de santé, ou bien par suite de mœurs grossières, s'abstient des plaisirs dans une espèce de continente rigidité. Quand ceux qui usent leur vie dans de rudes labeurs viennent à goûter aux plaisirs, ils ne tardent point à briser contre récueil des voluptés l'inflexible dureté de leur continence. Le fait est incontestable. Il se passe quelque chose de semblable pour ceux que retiennent la crainte et les menaces de la loi. Présentez-leur une occasion favorable, les voilà qui désertent la vertu et transgressent furtivement la loi. Mais la tempérance qu'il faut rechercher pour elle-même, parce que la connaissance en est la perfection, et le ciment toujours ferme et durable, érige l'homme en maitre et en souverain. Aussi regardez le Gnostique ! quelle tempérance ! Jamais les passions ne le troublent, jamais il ne fond au creuset de la douleur, pareil au diamant qui résiste, dit-on, à la flamme la plus ardente. Le principe d'où découlent ces conséquences, c'est la charité, de toutes les sciences la plus sainte et la plus éminente. Par un culte fidèle à tout ce qui est très-bon et très-excellent, auquel l'être unique imprime son inviolable caractère, elle élève au rang d'ami et de fils, le Gnostique qui « est parvenu à l'âge de l'homme parfait et à la plénitude de Jésus-Christ. » Il y a mieux. L'assentiment sur les mêmes points forme l'harmonie : l'identité produit l'unité. Or, l'amitié s'achevant par la ressemblance, puisque la communauté se confond dans un seul être, il suit de là que le Gnostique, en aimant celui qui est véritablement le Dieu unique, est l'homme véritablement parfait, qu'il est l'ami de Dieu, et son fils adoptif. Telles sont las saintes dénominations qui expriment la noblesse, la connaissance et la perfection dans la vision de Dieu, dernier progrès où arrive l'âme du Gnostique, quand elle a été purifiée de ses moindres souillures, et qu'elle a été jugée digne de contempler face à face le Tout-Puissant dans toute la longueur de l'éternité. En effet, une fois qu'elle est devenue toute spirituelle, elle va rejoindre dans l'Église spirituelle le principe d'où elle est sortie et demeure dans le repos de Dieu. [7,12] CHAPITRE XII. Le Gnostique est bienfaisant, pratique la continence, et méprise toutes les frivolités du monde. Que les détails précédents nous suffisent. Puisque tel est le régime du Gnostique vis-à-vis de son corps, vis-à-vis de son âme, vis-à-vis de ses proches, il n'y a point à ses yeux d'esclave, d'ennemi public, ni rien de pareil. Tous les hommes sont ses égaux et ses semblables. La loi divine lui ordonne de ne point mépriser le frère qui est né du même père et de la même mère que lui. Loin de là ! Tout homme qui souffre, il le soulage par ses consolations, il le réconforte par ses discours, et lui fournit tout ce qui est nécessaire à l'entretien du corps : il donne à tous les indigents, sinon dans une égale proportion, au moins avec justice et dans la mesure de leurs mérites. Il fait plus, il donne même à celui qui le persécute et le hait, quand son ennemi et son persécuteur a besoin de ses secours. Il lui a donné par un motif de crainte, dira-t-on peut-être ? Que lui importent les censures, s'il l'a fait uniquement pour lui venir en aide ? Quand on n'épargne pas ses trésors pour soulager ses ennemis, et que néanmoins on hait le mal, à plus forte raison est-on prodigue d'amour envers les siens. Le Gnostique animé de ces sentiments part de ce point pour connaitre de science parfaite à qui, dans quelle mesure, en quelle occurrence, et comment il doit surtout donner. Nous avons prononcé le mot d'ennemi ; mais qui se déclarera l'adversaire de celui qui ne fournit jamais à qui que ce soit un prétexte d'inimitié ? Dieu, disons-nous, n'est l'ennemi ni l'antagoniste de personne, parce qu'il est le créateur de tous les êtres et que rien de ce qui subsiste ne subsiste contre sa volonté. Il n'a d'autres ennemis que les rebelles qui, au lieu de lui obéir, marchent hors de la voie de ses préceptes, et poursuivent de leur haine la sainteté de son Testament. Nous trouverons quelque chose de semblable dans le Gnostique. Il ne haïra jamais personne, a moins qu'on ne veuille appeler du nom d'ennemis ceux qui suivent des voies contraires à la sienne. Cette disposition intérieure qui nous porte à donner, s'appelle compassion. Le discernement qui nous apprend à distribuer à chacun selon ses mérites, ici plus, là moins, balance qui doit être tenue avec sagesse, est une des parties les plus relevées de la justice. Il est certaines vertus, la continence par exemple, que plusieurs pratiquent à la manière du vulgaire, à peu près comme parmi les nations païennes un individu s'abstient parce qu'il ne peut atteindre l'objet qu'il convoite, ou bien parce qu'il a peur des hommes. D'autres, par un raffinement de délicatesse, s'interdisent les voluptés présentes pour en posséder plus tard qui les surpassent. Un apporte les mêmes calculs dans la foi. Un nombre de Chrétiens s'abstiennent, soit en vue de la promesse soit par crainte de Dieu. Cette espèce de continence, tellement de la Gnose, est comme un degré pour arriver à a état meilleur, comme une impulsion vers ce qui est parfait. Le commencement de la sagesse, est-il dit, c'est la crainte du Seigneur. » Or, l'homme parfait supporte tout par amour, il endure tout pour plaire, non pas à l'homme mais à Dieu ! Sa conduite lui attire pour conséquence les éloges publics, bien moins pour sa propre utilité que pour servir d'imitation et de modèle à ceux qui le louent. Sous un antre point de vue, on est encore continent, non seulement quand on maîtrise les mouvements désordonnés de l'âme, mais quand on a contenu les biens, et que l'on a conquis sans retour la grandeur de la science d'où jaillissent les opérations de la vertu. Sous ses auspices, qu'une catastrophe imprévue sur vienne. Le Gnostique ne sort jamais de sa manière d'être ; car la possession du bien qui constitue la science est solide, immuable, puisqu'elle est la science des choses divines et humaines. La connaissance ne peut donc jamais devenir l'ignorance, ni le bien se transformer en mal. Voilà pourquoi il mange, il boit, il épouse, non pas pour lui-même, ni dans un but principal, mais parce que la nécessité l'y soumet. Épouser, ai-je dit ? Oui, si le Verbe le lui ordonne, et comme il convient. L'homme parfait a pour exemple les apôtres. Et véritablement la force de l'homme ne se manifeste pas dans le choix de la vie solitaire. Vous avez surpassé le courage le plus héroïque, si dans le mariage, dans la procréation des enfants, parmi les soins que réclame une famille, maître de la volupté comme de la douleur, vous restez inséparablement uni à Dieu par l'amour au milieu de ces mille embarras, et si vous vous armez contre toutes les tentations qui vous viennent de vos enfants, de votre épouse, de vos serviteurs et de votre fortune. Qui n'a point de famille a supprimé par là même la meilleure partie des tentations. Ainsi, l'homme qui ne s'occupe que de lui-même est surpassé par celui qui, inférieur dans les choses de son salut, mais supérieur dans la dispensation de ce qui concerne la vie matérielle, reproduit une image affaiblie de la Providence par sa sollicitude pour la vérité. Mais nous avons l'obligation d'exercer notre âme par tous les efforts possibles, afin qu'elle marche d'une allure libre et dégagée sous le fardeau de la connaissance. Ne voyez vous pas comment la cire se liquéfie, comment l'airain se purge de ses parties grossières pour recevoir une nouvelle empreinte ? De même que la mort est la séparation de l'âme d'avec le corps, de même la connaissance est comme une mort spirituelle par laquelle l'âme, dégagée et isolée des passions qui la troublent, s'élève à une vie de bonnes œuvres, jusqu'à pouvoir dire à Dieu avec une sainte liberté : Je vis de ta vie. Votre but est de plaire aux hommes, vous ne pouvez conséquemment plaire à Dieu. La plupart, en effet, choisissent moins ce qui est expédient que ce qui leur est agréable. Au lieu de cela, quiconque plaît à Dieu, se rend par là même cher aux hommes de bien. Ne demandez donc plus que les délices de la table ou les voluptés des sens conservent quelque attrait pour lui, puisque tout discours, toute application de sa pensée, toute action d'où peut naître un plaisir, il les tient pour suspects. « Nul, en effet, ne peut servir deux maîtres, Dieu et Mammon ; » paroles qui, dans leur simplicité, ne signifient pas l'argent, mais l'abondante pâture qu'il fournit aux différentes passions. J'estime qu'il est réellement impossible à l'homme, qui a connu Dieu dans l'éclat de sa magnificence et de sa vérité, de s'assujettir ensuite en esclave aux passions qui s'élèvent contre son maître. Il n'y a donc d'entièrement libre de tout mouvement désordonné, et libre dès l'origine, que le Seigneur miséricordieux qui s'est fait homme par amour pour l'homme. Quiconque désire de s'assimiler à l'empreinte qu'il a laissée ici-bas, lutte incessamment contre soi-même et travaille à s'établir dans une région supérieure an orages. Convoiter d'abord et s'abstenir ensuite, c'est ressembler à la veuve qui reprend sa virginité par la continence. Ce courageux athlète vient de payer à son sauveur et à son maitre le prix de la science que lui-même a demandé, je veux dire l'abstinence de tout mal, et l'accomplissement des bonnes oeuvres qui engendrent le salut. Comme les artisans qui sont nourrés par l'exercice de l'art auquel ils se sont appliqués, le Gnostique vit de la science qu'il a apprise et se sauve par elle; car ne pas vouloir extirper les passions, c'est se donner la mort. Mais l'ignorance est pour l'âme, si je ne me trompe, l'absence de nourriture, tandis que son alimerit est la connaissance. Telles sont les âmes gnostiques, comparées par l'Évangile aux vierges saintes qui attendent le Seigneur. Sans doute elles sont vierges ! Ne s'abstiennent-elles pas de tout mal ? N'attendent-elles pas l'époux avec les aspirations de l'amour ? N'allument-elles pas leurs lampes pour la contemplation? Ames prudentes et sages, qui s'écrient : » O Seigneur ! il y a longtemps que nos tendres désirs vous appellent. Nous avons vécu conformément à vos ordres, sans omettre un seul de vos préceptes. « Nous vous supplions par conséquent d'exécuter vos promesses. Ce qui est utile, nous vous le demandons, puisqu'il ne convient pas de solliciter auprès de vous ce qui est le plus beau. Nous recevrons comme des biens tout ce que vous enverrez ; si amères que soient les épreuves auxquelles vous nous soumettrez, nous nous rappellerons que votre bonté les dispense pour affermir notre courage. » Le Gnostique véritable est plus disposé, par l'éminence de sa sainteté, à échouer dans les demandes qu'il adresse qu'à réussir dans celles qu'il n'adresse pas. Sa vie est une longue prière et un entretien assidu avec Dieu. Que s'il est pur de toute faute, il obtiendra tout ce qu'il désire ; car Dieu dit au juste : « Demande, et je te donnerai ; forme un vœu, et je l'accomplirai. » Ses requêtes lui sont-elles avantageuses, elles seront immédiatement exaucées. Quant aux choses inutiles, il ne les sollicite jamais, par conséquent, il ne les reçoit pas. Ainsi, tout ce qu'il veut s'exécute. Il y a des pécheurs, s'écriera-t-on peut-être, qui obtiennent ce qu'ils souhaitent. Il est vrai ; mais cela n'arrive que rarement, à cause de la juste bonté de Dieu. Il donne à ceux qui peuvent faire du bien aux autres ; par conséquent la grâce n'est point accordée en vue de celui qui la réclame; mais la divine Providence qui prévoit qu'un autre sera sauvé par son intermédiaire lui accorde une grâce toute de justice. Au contraire, quiconque s'en rend digne recoit les biens véritables sans même les demander. Quand ce n'est ni la crainte ni l'espérance qui porte à la justice, mais la libre détermination de l'âme, cette conduite est nommée la voie royale dans laquelle marchent ceux qui sont de naissance royale. Toutes les routes qui s'écartent de celle-ci sont glissantes et pleines de précipices. Supprimez par conséquent le mobile de la crainte ou des récompenses. Dès lors, je doute fort que ces illustres philosophes, dont les pompeuses maximes affichent tant de liberté, supportent encore la tribulation. Les chardons et les ronces dont parle l'Écriture désignent les péchés. Ouvrier de la vigne du Seigneur, le Gnostique plante, taille, arrose, divin agriculteur de ceux qui sont plantés dans la foi. Tous ceux qui n'ont point commis le mal s'estiment dignes de recevoir le salaire de ce pieux repos. Mais l'artisan du bien, qui l'a embrassé uniquement pour lui-même et de sa libre volonté, réclame le salaire à titre de bon ouvrier. Il recevra infailliblement double récompense, celle du bien qu'il a fait, celle du mal qu'il n'a pas fait. Un Gnostique de cette trempe n'est tenté par qui que ce soit, à moins que Dieu ne permette l'épreuve pour l'utilité de ceux qui vivent avec lui. Le courage viril avec lequel il repousse la tentation est comme une provocation qui confirme ses frères dans la foi. Il n'en faut point douter, des Églises à établir et à cimenter par leur sang, telle a été la raison qui a conduit les apôtres aux épreuves et au témoignage de la perfection. Comme cette parole, « Celui sur lequel ma main s'appesantira, prends-le en pitié, » retenlit constamment aux oreilles du Gnostique, il demande que ses persécuteurs reviennent à résipiscence. Car, d'aller contempler au cirque l'exécution des malfaiteurs, c'est un spectacle qui ne convient pas même à ceux qui ne sont qu'enfants dans la foi. Ces scènes hideuses deviendront-elles jamais une école d'enseignement ou un principe de plaisir pour le Gnostique qui s'est exercé au bien et à l'honnêteté par un choix volontaire ? Aussi, toujours armé d'un courage invincible contre les voluptés, et vivant loin de toute prévarication, n'a-t-il pas besoin que te supplice d'autrui le châtie et le réforme. Les voluptés de la terre ! les grossiers spectacles du monde ! que peuvent-ils pour celui qui regarde avec indifférence les promesses de la vie présente, quoiqu'elles aient Dieu lui-même pour auteur ? Tous ceux qui disent : « Seigneur, Seigneur, n'entreront point pour cela dans le royaume de Dieu, mais bien celui qui fait la volonté de Dieu. » Ce serviteur fidèle, sera l'oovrier gnostique qui triomphe des désirs du monde, quoiqu'il demeure encore dans la prison de la chair. Tout invisible qu'est aux yeux de la chair l'avenir qu'il connaît, il est si fermement convaincu de sa réalité, qu'il le regarde comme plus présent que le présent lui-même. Ainsi fait l'habile ouvrier : il se réjouit des biens qu'il connaît. Laissant le corps rouler dans le nécessités de la vie matérielle, il se replie tout entier au fond de son âme, où il attend qu'il soit jugé digne de participer efficacement aux biens qu'il possède par l'intuition. Voilà pourquoi il use de cette vie comme d'une possesion étrangère, aussi longtemps que la nécessité l'exige. Il pénètre aussi la signification symbolique du jeûne que l'on observe aux quatrième et au sixième jours, c'est-à-dire aux jours de Mercure, et de Vénus. De là vient qu'il impose à toute sa vie le jeûne de l'avarice, et de la volupté, principes féconds de tous les vices. En effet, nous avons déjà distingué avec l'apôtre trois espèces de fornication, la volupté, l'avarice, l'idolâtrie. Il s'abstient donc, par un jeûne d'une nature plus relevée, et des œuvres mauvaises que défend la loi mosaïque et des pensées coupables que défend la perfection de l'Évangile : s'il lui survient des tentations, elles n'ont pas pour but de le corriger, nous l'avons dit, mais d'être utile à ceux qui l'approchent, afin que sa constance à vaincre la douleur et la tribulation leur serve de modèle. J'en dis autant de la volupté. Il faut un grand effort de l'âme pour s'abstenir de ses joies après en avoir essayé. Quel triomphe, en effet, que la tempérance dans ce que l'on ne connait pas ! Mais le Gnostique qui exécute le précepte de l'Évangile, observe le jour du Seigneur, quand il dépouille les mauvaises pensées du cœur pour recevoir celles qui viennent de la connaissance, en glorifiant la résurrection du Seigneur, qui réside en lui-même. Il y a mieux. Dès que, par la compréhension, il est investi de la contemplation scientifique, il s'imagine voir le Seigneur parce qu'il attache ses regards sur le monde invisisible. Lui semble-t-il qu'il voit ce qu'il ne voudrait pas voir, il réprime la faculté intuitive aussitôt qu'il sent le plaisir naitre de l'élan et de l'application de ses regards. Il ne veut voir et entendre que ce qui lui est convenable. N'envisageant rien au delà de l'âme de ses frères, il contemple la beauté de la chair dans l'âme elle-même, qui a coutume de considérer le bien, dégagé de tout plaisir charnel. Les frères véritables sont ceux qui, par la seconde création des élus, par la conformité des mœurs, par l'essence des œuvres, pensent, parlent, agissent avec une sainteté qui leur est commune et dans laquelle Dieu veut qu'ils se rencontrent parce qu'ils sont élus. La foi consiste à embrasser les mêmes dogmes, la connaissance à apprendre et à sentir les mêmes doctrines, l'espérance à exécuter les mêmes œuvres. Que si les nécessités de la vie et l'aliment du corps emportent une légère partie de son temps, il regarde tout embarras qui l'arrache à lui-même comme une espèce de banqueroute dont il est la victime. De là vient que jusqu'à ses songes, tout chez lui convient à l'élu. En effet, il est absolument étranger et voyageur pendant le cours de sa vie, l'habitant de la cité qui regarde avec un œil d'indifférence tout ce qui dans la cité captive l'admiration des autres, et qui vit au milieu de l'État comme dans une solitude, afin de prouver que sa justice est l'effet de sa volonté bien plus que de la contrainte imposée par les lois. Un Gnostlque de ce caractère, pour le dire en un mot, dedommage le monde de l'absence des apôtres en vivant avec droiture, en connaissant avec exactitude, en aidant ses proches, en transportant les montagnes de ses voisins, et en comblant les vallées de leur âme. Mais que dis-je ? chacun de nous est à soi-même sa vigne et son ouvrier. Quelque bien que fasse le disciple de la science, il cherche toujours à le dérober aux hommes, content d'avoir le Seigneur et sa propre conscience pour témoins de sa fidélité aux préceptes, et attaché à la vertu par les révélations de la foi. « Car là où est votre trésor, est-il dit, là est aussi votre cœur. » Il s'abaisse lui-même par la perfection de la charité, afin de ne pas mépriser son frère tombé dans la tribulation, s'il venait à connaitre qu'il supporterait le dénûment avec plus de courage que son frère. Du moins regarde-t-il sa douleur comme sa propre douleur ; et si, en prenant sur sa propre indigence pour le secourir, il se met lui-même dans la gêne par sa générosité, loin de s'en plaindre, il redouble de bienfaisance. Il a, en effet, une foi pure, agissante, la foi qui glorifie l'Évangile par les œuvres et par la contemplation. Aussi tire-t-il sa gloire non pas des hommes, mais de Dieu, » en accomplissant ce qu'a enseigné le maître. Séparé de ce monde par l'espérance qui l'attend, il ne goûte pas aux biens et aux joies de ce monde ; il méprise avec une noble fierté tout ce qu'il renferme. Toutefois il prend en pitié ceux qui, châtiés après leur mort, rendent témoignage malgré eux dans les supplices, toujours en paix avec sa conscience, toujours prêt à sortir de la vie, étranger et voyageur au milieu des héritages de la terre, n'ayant de pensées que pour les biens qui lui appartiennent. Ne lui parlez point des richesses de ce monde ! elles lui sont absolument étrangères. Non-seulement il admire les préceptes du Seigneur; mais, participant de la divine volonté par l'intermédiaire de la connaissance, s'il est permis de s'exprimer ainsi, en sa qualité de juste, il est l'ami de Dieu et l'élu de ses commandements ; en sa qualité de Gnostique, il est de sang royal et gouverne en souverain. Examinez-le ! Tout l'or qui est répandu sur la surface de la terre, tout l'or qu'elle cache dans ses entrailles, tous les royaumes qui s'étendent de l'une à l'autre limite de l'Océan, il les méprise pour être uniquement fidèle au culte du Seigneur. Aussi qu'il mange, qu'il boive, qu'il choisisse une épouse quand le Verbe le lui conseille, que des visions lui apparaissent pendant le sommeil, pensées, actions, rien que de saint en lui-même. Il est par conséquent toujours pur pour la prière. Il y a mieux. Il prie avec les anges, lui, ange de la terre, jamais un moment hors de la sainte milice. Il a beau prier seul : il a tout le chœur des vertus célestes pour assistant. La foi, il ne l'ignore pas, est double. Elle se compose de l'opération de celui qui croit, et de l'excellence proportionnelle de celui en qui l'on croit. Il y a de même deux espèces de justices, l'une qui procède par amour, l'autre par la crainte. N'a-t-il pas été dit : « La crainte du Seigneur est sainte : elle subsiste dans l'éternité ? » Ceux, en effet, qui passent de la crainte à la foi et à la justice vivent dans toute la durée des siècles. L'homme que gouverne la crainte commence par s'abstenir du mal. Puis vient la charité qui le presse de bâtir sur ce fondement l'édifice de l'amour et de la volonté, afin qu'il entende ces paroles sortir de la bouche du Seigneur : « Je ne vous appelle plus serviteurs, mais je vous donne le nom d'amis," et qu'il s'approche de la prière avec un cœur plein de confiance. La forme elle même de sa prière, c'est l'action de grâces pour le passé, le présent, et l'avenir qui lui est déjà présent par la foi ; puisque la réception de la gnose l'a réellement devancé. Il demande aussi de vivre d'une vie limitée dans la chair, en Gnostique, en être purement spirituel, et d'obtenir les biens véritables, de fuir les maux réels. Il demande encore l'allègement des fardeaux que nous avons amassés par nos fautes, et notre conversion à la connaissance, aussi empressé de suivre le Dieu qui le rappelle au moment du départ, que son Dieu lui-même est empressé de le rappeler et de marcher devant lui, pour ainsi dire, se précipitant dans l'action de grâces par la pureté de sa conscience, afin qu'identifié avec le Christ, privilège dont la sainteté de sa vie l'a rendu digne, il possède par une sorte de fusion la puissance de Dieu qui est administrée par le Christ. Il ne veut point être embrasé, ni lumineux, par une simple participation à la flamme ou bien à la lumière : il veut être la flamme et la lumière elle-même. Il connait encore toute la profondeur de cet oracle : « Si vous ne haissez votre père, votre mère, votre vie elle-même, et si vous ne portez mon signe. » Il hait les affections de la chair qui renferment en elles le plus puissant aiguillon du plaisir, et il dédaigne avec grandeur d'âme tout ce qui se rattache à la création et à la nouritnre de la chair. Il s'arme avec non moins de vigueur contre l'âme corporelle, en soumettant au frein l'esprit rebelle et irraisonnable, parce que « la chair s'élève contre l'esprit. » Porter le signe, c'est promener avec soi-même de vivantes funérailles, de telle sorte que dans ce corps terrestre on renonce à tout ce qui existe, parce que la tendresse est inégale dans celui qui a semé la chair et dans celui qui a créé l'âme pour la destination de la science. Notre Gnostique est donc parvenu à la constante habitude de la bienfaisance. Couséquemment il répand le bienfait plus rapidement que la parole, en demandant au ciel de décharger ses frères d'une partie de leurs péchés pour les transporter sur lui-même, afin d'aider à leur confession et à leur conversion, toujours prêt à communiquer à ses plus chers amis les biens qui lui appartiennent. Par là même ils lui rendent amour pour amour. Travaillant toujours à développer en lui, par cette divine agriculture qu'a recommandée le Seigneur, les semences de salut qui sont déposées dans sa personne, il demeure exempt de la plus légère souillure, homme de privations et de continence. Vos yeux l'appercoivent encore sur cette terre, où le retient la prison de la chair; mais ce n'est plus véritablement qu'un esprit vivant au milieu du chœur des saints, auxquels il ressemble. Comme il exécute en paroles ou en actions, pendant toute la durée du jour et de la nuit, les ordres du Seigneur, l'allégresse qui le transporte est inexprimable, nonseulement le matin lorsqu'il se lève, non seulement quand le soleil est à son midi, mais lorsqu'il se promène, lorsqu'il dort, lorsqu'il dépose ou reprend ses vêtements, lorsqu'il enseigne son fils, si un fils lui est né; toujours inviolablement uni aux commandements et à l'espérance, toujours l'action de grâces sur les lèvres, comme ces animaux allégoriques qui glorifient le Seigneur dans le prophète Isaie ; toujours victorieux dans les épreuves, au milieu desquelles il répète : « Dieu me l'a donné, Dieu me l'a enlevé. » Tel était aussi Job qui, dans la ferveur de son amour pour le Seigneur, livre à qui veut les emporter ses biens extérieurs et jusqu'à sa santé elle-même ; car c'était un homme plein de justice, et de sainteté qui s'abstenait de tout mal. Plein de sainteté ! Ce mot comprend l'ensemble des obligations qui nous lient au Seigneur, et tout le plan de la vie morale. Job, qui avait la science de ces doubles lois, était donc véritablement Gnostique ? Si nous avons des biens, en effet, gardons-nous de nous y attacher outre mesure, parce qu'après tout ils sont humains. Les maux, supportons-les sans murmure, supérieurs aux uns comme aux autres, ceux-ci en les foulant aux pieds, ceux-là en les distribuant aux nécessiteux. Mais le Gnostique est réservé sur l'article de la condescendance: il craint ou que l'on ne se méprenne sur le motif qui le conduit, ou que la facilité d'humeur ne dégénère en disposition constante. [7,13] CHAPITRE XIII. Le Gnostique pardonne les torts et les outrages dont il a ete l'objet. Le Gnostique ne se souvient jamais des outrages : il pardonne à ceux qui l'ont offensé. Par conséquent sa prière est conforme à la justice quand il dit : « Pardonnez-nous; car nous pardonnons aussi. » C'est encore là un des points que prescrit la volonté du Seigneur : Ne rien convoiter ; ne haïr personne, puisque tous les hommes sont l'ouvrage d'une seule et même volonté. Lorsqu'il prononce ces paroles : « Venez, mes fils, je vous enseignerai la crainte du Seigneur, le Sauveur, qui veut que le Gnostique soit parfait comme le Père céleste, c'est-à-dire, comme lui-même, ne lui annonce-t-il pas qu'il n'a plus besoin de l'assistance qui vient des anges, mais qu'il doit la recevoir du Fils lui-même, quand il l'aura méritée par ses efforts et par sa docilité? L'homme qui remplit ces conditions ne demande plus au Seigneur, il exige. Si ses frères sont dans le besoin, il ne sollicitera pas des trésors pour les leur distribuer : il conjurera simplement son Dieu de leur envoyer ce qui leur est bon. Car le Gnostique accorde à ceux qui en ont besoin l'aumône de ses prières, mais une aumône de prières intelligentes, qui laissent au Tout-Puissant le choix et la faculté de ses dons. N'arrive-t-il pas souvent, en effet, que la pauvreté, la maladie et toutes les épreuves de même nature, sont données à l'homme sous forme d'avertissement pour guérir le passé, pour surveiller l'avenir? Le fidèle dont nous traçons le portrait demandera que la tribulation de ses frères soit allégée. Il n'a pas reçu le don suréminent de la connaissance pour faire étalage de vaine gloire, il le sait bien : mais il se rappelle qu'il est Gnostique. Conséquemment il exerce la bienfaisance, en instrument des miséricordes divines. Les Traditions racontent que l'apôtre Mathias répétait par intervalle : « Si le voisin d'un élu vient à pécher, l'élu a péché ; car si l'élu s'était conduit comme le prescrit le Verbe, son voisin eût porté à sa vie assez de respect pour se tenir en garde contre le péché. « Mais que dire du Gnostique ? « Ne savez-vous pas, dit l'apôtre, que vous êtes le temple de Dieu ?» Le Gnostique qui porte Dieu dans lui-même et que Dieu inspire est donc un être divin et consacré déjà par la sainteté. Puis, afin de mieux nous convaincre que le Très-Haut a le péché en abomination, l'Écriture vend les prévaricateurs aux nations étrangères. « Tu ne regarderas point la femme étrangère dans un but de convoitise » ajoute-t-elle, pour signifier ouvertement que le péché est quelque chose d'étranger et de contraire à la nature du temple de Dieu. Il y a deux espèces de temples, l'un aux proportions immenses, c'est l'Église ; l'autre, plus humble et plus resserré, c'est l'homme qui conserve la descendance d'Abraham. Quiconque possède Dieu reposant au fond de lui-même n'a donc plus de désirs à former. Le voyez-vous, dégagé de tous les obstacles et foulant aux pieds la matière qui le retenait ici-bas, entr'ouvrir par la science les régions du ciel, s'élancer par-delà les essences spirituelles, planer au-dessus des principautés et des dominations, et toucher aux trônes suprêmes, emporté par l'amour vers celui qui était l'unique but de ses lumières ? Maintenant qu'il a uni le serpent avec la colombe, il vit dans la sainteté parfaite, avec le témoignage d'une bonne conscience, mêlant dans l'attente de l'avenir l'espérance à la foi. Il goûte le don qu'il a reçu, en homme qui a été jugé digne de cette faveur, en homme qui a passé des chaînes de l'esclave dans l'adoptien du fils, conformément à la science, et qui a connu Dieu, je me trompe, qui a été connu de Dieu en vertu de sa fin, et correspond à la dignité de sa vocation par l'excellence de ses œuvres. Oui, de ses œuvres ! Elles suivent la connaissance, de même que l'ombre suit le corps. C'est donc à bon droit qu'il reste impassible au milieu des événements de la terre, sans jamais apprehender rien de ce que la divine sagesse a décidé pour lui dans un but d'utilité. Il ne rougit pas à l'heure de la mort, il est en paix avec sa conscience ; il va paraître devant les principautés, pur de tout ce qui pourrait altérer la candeur de son âme; ne sait-il pas d'ailleurs qu'il échange la vie présente contre une vie meilleure ? De là vient qu'au lieu de préférer aux dispensations divines ce qui lui semble agréable ou utile, il s'exerce, par l'accomplissement des préceptes, à plaire au Seigneur en toutes choses, et à mériter les éloges du monde lui-même, puisque tout dépend de la volonté du Dieu unique et tout-puissant. Le Fils de Dieu « est venu chez soi, et les siens ne l'ont pas reçu, » dit l'Évangéliste. Voilà pourquoi, dans l'usage des biens de la terre, non-seulement il rend grâces et admire la créature, mais se fait louer par la manière même dont il en use, parce que sa fin dernière aboutit à la contemplation, qui, née de la faculté gnostique, s'exerce conformément aux préceptes. Puis, lorsque riche des trésors de la contemplation qu'il a recueillis par la science, il a joui dans toute sa plénitude du bienfait de la contemplation, il s'avance vers la sainte rémunération qui va couronner son passage. Il a entendu, en effet, le Psalmiste s'écrier : « Allez autour de Sion ; examinez son enceinte : comptez ses forteresses et ses tours. » Le prophète nous donnait à entendre, si je ne me trompe, que les hommes qui auront recu profondément le Verbe s'élèveront comme des tours et se maintiendront inébranlablement dans la foi et dans la connaissance. Tels sont les traits rapides sous lesquels nous avons voulu exposer comme en germe le Gnostique aux regards des Gentils. Le simple fidèle, il faut le savoir, se conduira bien dans une ou deux circonstances ; mais l'ensemble de sa vie ne reproduira jamais ni la constante régularité, ni surtout la science éminente, qui sont le caractère du Gnostique. [7,14] CHAPITRE XIV. L'auteur achève le portrait du Gnostique en citant un passage de saint Paul, qu'il commente. Nous avons attribué au Gnostique une sorte d'impassibilité par laquelle la perfection du fidèle s'élève à l'âge de l'homme parfait et à la plénitude du Christ, assimilée qu'elle est à la Divinité, et devenue l'égale de la nature angélique. L'Écriture nous fournit plus d'un témoignage à l'appui de cette vérité. Mais nous préférons, à cause de l'étendue de cette dissertation, abandonner ce mérite à d'autres mains qui voudraient completter cette œuvre, en les invitant à formuler aussi par les textes sacrés la partie dogmatique. Pour moi, je ne rappellerai, le plus brièvement possible, qu'un seul passage, afin de ne point laisser passer la question sans preuve. Le divin apôtre dit, dans sa première épître aux Corinthiens: « Comment se trouve-t-il quelqu'un parmi vous qui, ayant un différend avec son frère, ose l'appeler en jugement devant les méchants et les infidèles, et non pas devant les saints? Ne savez-vous pas que les saints doivent un jour juger le monde? etc. » Comme le passage est d'une certaine étendue, après avoir cité les paroles apostoliques qui vont le mieux à la question, nous expliquerons le plus rapidement qu'il nous sera possible, et comme en passant, le texte sacré ; puis nous exposerons dans quel sens Paul entend la perfection gnostique. Il ne veut pas, en effet, que la perfection de ce caractère consiste en cela seul qu'il subit la violence au lieu de la faire subir. Il nous apprend en outre qu'il oublie l'injure dont il a été l'objet, sans permettre que l'on appelle la malédiction sur l'auteur de l'outrage. Il se souvient que le Sauveur a dit formellement : « Priez pour vos ennemis. » Déclarer que l'offensé doit porter sa plainte devant les hommes de l'iniquité, c'est paraître, à ce qu'il semble, prêt à user de représailles, et à rendre injure pour injure, ce qui équivaut à se constituer soi-même l'agresseur. Mais, quand l'apôtre dit : « Portez votre différend devant les saints, » il désigne ceux qui demandent, par leurs prières, qu'il soit fait aux agresseurs comme ils ont commencé de faire eux-mêmes. Sans doute les premiers valent mieux que les seconds. Qu'ils le sachent bien, toutefois ! On n'est vraiment docile au précepte qu'à la condition d'oublier complettement l'injure, et de prier même pour ses ennemis. Ainsi le veut la doctrine du Seigneur. La gloire véritable, c'est de leur attirer par le repentir de la foi des dispositions bonnes et pacifiques. En effet, quoiqu'elle semble avoir des ennemis qui l'abhorrent, la vertu n'est l'ennemie de personne. « Dieu ne fait-il pas lever son soleil sur les méchants comme sur les bons? Il y a mieux. Il a envoyé le Seigneur lui-même pour les justes comme pour les injustes, et quiconque s'étudie à se rapprocher de Dieu, remet par la plus large mesure jusqu'à septante fois sept fois l'outrage ; qu'est-ce à dire? pardonne pendant toute la période de sa vie, que figure ici la répétition du septénaire. Voilà l'homme bienveillant et miséricordieux pour tout le monde, dût-il être offensé pendant toute son apparition ici-bas. C'est que Dieu n'a pas dit seulement à l'homme de bien : Abandonne tes possessions à ceux qui t'accablent d'outrages, il veut encore que le juste demande à ces juges la rémission des péchés en faveur de ceux qui l'ont insulte. Prescription pleine de sagesse ! quand même les ennemis du Gnostique séviraient contre lui jusqu'à l'immolation, ils ne peuvent lui occasionner de dommage que dans son corps et ses biens extérieurs. Il n'y a là rien qui appartienne véritablement au Gnostique. Je vous le demande, à quel titre jugerez-vous les anges rebelles, vous rebelles à la douceur et à l'oubli des injures que prêche l'Évangile? « Pourquoi ne souffrez-vous pas plutôt qu'on vous fasse tort? « Pourquoi ne pas supporter plutôt quelque perte ? Mais c'est vous qui faites le tort et qui causez la perte. » Oui, sans doute, en souhaitant du mal à ceux qui pèchent par ignorance; et vous frustrez de la clémence et de la bonté divine, autant qu'il est en vous du moins, ceux que poursuivent vos malédictions. « Et cela à l'égard de vos propres frères ! » L'apôtre comprend sous ce nom ceux qui sont déjà les enfants de la foi, et ceux qui le deviendront un jour. Que l'ennemi d'aujourd'hui ne soit pas dans l'avenir un fervent néophyte, nous ne le savons pas encore. Il faut conclure de ce qui précède que nous devons regarder tous les hommes comme des frères, quoiqu'ils ne le soient pas tous. Le Gnostique, par conséquent, qui s'élève des actes de la créature à l'adoration de la volonté divine est le seul qui sache envisager dans les hommes l'ouvrage d'un seul et même Dieu, une seule et même ressemblance dans une seule et même nature, quoique l'empreinte de l'image soit plus ou moins affaiblie. « Ne savez-vous pas que ceux qui commettent l'injustice ne seront point les héritiers du royaume de Dieu ? » Donc c'est commettre l'injustice que de rendre injure pour injure, soit en actions, soit en paroles, soit même en pensées, comme l'interdit l'Évangile après les enseignements de la loi. » Voilà ce qu'étaient naguère quelques-uns de vous, c'est-à-dire ce que sont encore les hommes auxquels vous refusez de pardonner. « Mais vous avez été lavés ; » non pas dans un sens général comme tous les autres ; mais vous avez dépouillé par la connaissance les affections animales pour vous assimiler, dans la mesure de vos forces, à la bonté de la divine Providence, et par le support et par l'oubli de l'injure que tous ont reçue. « Sur les justes comme sur les injustes; en répandant, soleils lumineux, les rayons bienfaisants de vos paroles et de vos œuvres. Le Gnostique atteindra ce but soit par l'élévation de son âme, soit par l'imitation de ce qui est le meilleur. Il y a un troisième motif : « Pardonne, et il te sera pardonné, dit le précepte, comme pour nous contraindre au salut par l'excellence de la bonté. Vous avez été sanctifiés. C'est que l'homme qui est parvenu à s'établir dans cette manière d'être ferme et impassible, ne tombe plus dans le trouble des passions. Il est investi de la sainteté. comme un être dégagé du corps et libre des influences de la terre. Voilà pourquoi « vous avez été justifiés, » poursuit l'apôtre, au nom de notre Seigneur;» il vous a rendus justes comme lui-même, pour ainsi dire, et vous avez été fondus et mélangés avec l'Esprit saint autant qu'il a été possible. « Tout ne m'est-il donc pas permis? « mais je ne subirai l'esclavage de quoi que ce soit, » c'est-àdire que rien ne me contraindra jamais de penser, de parler, d'agir contrairement à l'Evangile. « Les aliments sont pour l'estomac et l'estomac pour les aliments, que Dieu détraira un jour. » Oui, il détruira les hommes qui pensent et vivent comme s'ils étaient entrés dans la vie pour manger, au lieu de manger pour entretenir la vie du corps, mais surtout pour s'appliquer à la connaissance. Ne vous semble-t-il pas que l'apôtre appelle ces intempérants la chair du corps sanctifié? L'Église, chœur saint et spirituel, est nommée dans un sens allégorique le corps du Seigneur : quiconque se borne à porter le nom de Chrétien, sans vivre de la vie du Verbe, n'est que chair. « Mais ce corps spirituel, c'est-à-dire la sainte Eglise, ne doit avoir commerce en aucune maniere ni avec la fornication, ni avec la révolte contre l'Évangile, deux choses qui caractérisent le paganisme. Car c'est prostituer l'Église et son propre corps, que de transporter dans l'Eglise, soit par ses actions, soit par ses paroles, soit même par ses pensées, les moeurs de la vie païenne. L'homme qui se joint à cette courtisane, c'est-à-dire à la transgression du Testament, devient un autre corps, et non un corps saint dans une seule et même chair. C'est un païen sous le nom d'un Chrétien ; ses espérances ne sont pas les nôtres. Mais celui qui adhère au Seigneur en esprit devient, par la différence de l'union, un corps spirituel ; qu'est-ce à dire ? fils dans toute la vérité du mot, homme de sainteté, impassible, gnostique, parfait, formé à l'école du Seigneur, afin qu'après avoir adhéré d'actions, de paroles, et surtout d'esprit, au Seigneur, il aille recevoir les demeures promises à qui s'est élevé par ces moyens à la force de l'homme. En voilà suffisamment pour qui a des oreilles. Il ne faut pas, en effet, mettre à nu le mystère : bornons-nous simplement à l'énoncer, pour réveiller la mémoire de ceux qui, participant déjà de la connaissance, comprendront dans quel sens le Seigneur a dit : « Soyez parfaits comme votre Père, » c'està-dire, en remettant intégralement les offenses, en oubliant les injures, en vivant dans une vertueuse impassibilité. Nous disons la perfection du médecin, la perfection du philosophe ; nous pouvons dire aussi, j'imagine, la perfection du Gnostique. Aucune d'elles toutefois, si élevées qu'elles puissent être, ne nous assimilent complètement à Dieu. Car nous ne répétons pas le blasphème impie des Stoïciens, qui ne donnent à l'homme et à la Divinité qu'une seule et même vertu. — Mais nous ne devons donc pas, me dira-t-on, être parfaits comme le veut le Père céleste ; car il est impossible à l'homme d'égaler la perfection de Dieu ? — Ce que demande le Père, c'est que nous devenions irréprochables et parfaits par une vie conforme aux prescriptions évangéliques. Cet oracle ayant été prononcé de manière à ce qu'il faille y sous-entendre quelque chose, si nous le complétons par ce qui lui manque, afin que la pensée l'embrasse intégralement, nous connaitrons la volonté de Dieu, et nous vivrons avec une noblesse de sentiments et une piété qui répondront à la dignité du précepte. [7,15] CHAPITRE XV. Réponse à l'objection de ceux qui refusent d'entrer dans l'Église à cause des différentes sectes qui la divisent. Comme il nous reste maintenant à réfuter quelques objections des Grecs et des Juifs, et que les hérésies attachées à une autre doctrine nous adressent à peu près les mêmes reproches que les précédents sur quelques points litigieux, nous croyons à propos de déblayer d'abord le terrain sur lequel nous marchons, afin d'arriver, libres de tout obstacle, au livre suivant de nos Stromates. — Comment embrasser votre foi au milieu des divisions qui vous déchirent ? La vérité chancelle et croule sous la multitude des novateurs qui élèvent dogmes contre dogmes. — Tel est le premier grief dont on s'arme contre nous. Voici notre réponse : Parmi les Juifs et au milieu des philosophes que la Grèce a tenus dans la plus grande estime il a surgi des sectes nombreuses. Et cependant les dissidences qui séparent vos écoles sont-elles une raison pour vous de douter de la nécessité de la philosophie, ou de la vérité de la doctrine judaïque ? En outre, le Seigneur a prédit que l'hérésie serait semée dans le champ du la vérité comme l'ivraie dans les moissons : il est impossible que la prophétie n'ait pas son accomplissement dans ce qu'elle prédit. La cause de cet impur mélange, c'est que la jalousie s'attache à tout ce qui est beau. Eh quoi ! parce qu'un faussaire est infidèle à ses serments et viole la déclaration par laquelle il s'est engagé à l'Église, le scandale d'une foi qui s'est démentie sera-t-il une raison pour nous de répudier la vérité ? Non sans doute, l'honnête homme ne recourt jamais au mensonge et demeure inviolablement fidèle a ce qu'il a promis, quoique l'on manque autour de lui à l'engagement que l'on a signé. Il en va de même de nous. Il ne nous convient en aucune façon de prévariquer contre la règle de l'Église. La profession de foi qui porte sur les points les plus relevés, trouve en nous de religieux observateurs, en eu d'impies transgresseurs. Il faut donc croire à ceux qui adhèrent fermement à la vérité. Mais usons largement de ce moyen de défense, et disons à nos adversaires que les médecins ne laissent pas néanmoins de guérir, quoiqu'ils aient des opinions contradictoires, chacun suivant l'école à laquelle ils appartiennent. Un malade dont la santé réclame les secours de l'art s'est-il jamais avisé de renvoyer le médecin parce que de nombreuses dissidences divisent la médecine ? De même celui dont l'âme est malade et pleine d'idoles n'allègue pas, pour se guérir et pour se convertir à Dieu, le prétexte des hérésies. «Il faut qu'il y ait des hérésies pour que l'on reconnaisse quelle est la vertu éprouvée. » Par éprouvés, l'apôtre entend ou ceux qui arrivent à la doctrine du Seigneur avec un choix plus intelligent, pareils à ces changeurs dont l'œil exercé démêle infailliblement d'après son empreinte, la monnaie altérée d'avec celle qui est de bon aloi ; ou bien encore, il désigne ceux qui ont fait leurs preuves dans la foi, dans les bonnes œuvres, dans la connaissance. Il faut donc par conséquent plus d'efforts et de prévoyance pour examiner sérieusement quel doit être notre plan de conduite, et reconnaitre la piété légitime. Il est manifeste, en effet, qu'étant chose ardue et laborieuse, la vérité suscite des discussions qui, échauffées par l'amour-propre et par un vain désir de gloire, engendrent l'hérésie chez des hommes qui, au lieu d'avoir appris à fond et recueilli la doctrine véritable, se persuadent faussement qu'ils possèdent la connaissance. Il sort de là de nouvelles obligations pour nous d'apporter plus de soin à la découverte de la vérité, qui ne se trouve qu'avec le Dieu véritable. La découverte de la vérité, si douce à l'âme, et la possession de ce trésor gardé par la mémoire, suivent le travail de l'examen. Je vois donc dans les hérésies un motif d'investigation bien plus que d'apostasie ou d'éloignement. On vous présente deux fruits : l'un est véritable et parvenu à son point de maturité; l'autre n'est qu'une imitation en cire, mais d'une exacte ressemblance. Vous abstiendrez-vous de l'un et de l'autre à cause de la fausseté du dernier ? Non sans doute. Il faut discerner, par une compréhension intelligente et un jugement incorruptible, la réalité d'avec ses apparences. Je suppose encore qu'ici se prolonge une large voie publique. Mais de celle-ci partent des sentiers sans nombre, dont les uns conduisent à un précipice, les autres à un fleuve rapide, les autres à l'abime profond de la mer. Parce que ces mille sentiers se séparent et se détournent de la route principale, le voyageur hésitera-t-il à s'engager dans la route qui est frayée et ne lui promet aucun péril ? Quoi qu'on dise de la vérité, redoublons d'ardeur et d'efforts pour la connaitre, au lieu de renoncer à elle. Les herbes parasites croissent en même temps que les légumes : serace une raison pour l'agriculteur d'abandonner le soin des jardins ? Puisque nous portons en nous-mêmes un besoin si actif d'investigation et d'examen, nous sommes par là même destinés aux résultats de la vérité. Voilà pourquoi nous sommes justement condamnés pour n'avoir pas obéi quand il fallait obéir, pour n'avoir pas distingué ce qui répugne, ce qui est honteux, ce qui est opposé à notre nature, tout ce qui est mensonger enfin d'avec ce qui est véritable, conséquent, glorieux, et conforme à notre origine. Ces impulsions vivent au fond de notre dme comme autant d'auxiliaires pour discerner ce qui est la vérité. Les Gentils s'appuient donc sur un prétexte frivole. La découverte de la vérité est toujours entre les mains de quiconque la cherche. Au contraire, une condamnation sans excuse attend ceux qui mettent en avant des motifs déraisonnables. Qu'ils répondent, avouent-ils qu'il y a ou qu'il n'y a pas une démonstration ? Ils m'accorderont sans doute qu'il en existe une à l'exception de ceux qui anéantissent les sensations elles-mêmes. S'il existe une démonstration, il est donc nécessaire d'entrer dans les discussions de la controverse, et d'apprendre démonstrativement par les Écritures comment d'une part, se sont introduites les hérésies; de l'autre, comment la vérité seule et l'Église à laquelle appartient l'antériorité, sont les dépositaires de la connaissance la plus parfaite et du choix le plus légitimement arrêté. Parmi ceux qui répudient la vérité, les uns ne cherchent qu'à se tromper eux-mêmes, les autres, à séduire aussi leurs proches. On donne aux premiers le nom de Doxosophes, c'est-à-dire, hommes qui, sages à leurs propres yeux, s'imaginent avoir mis la main sur la vérité, quoique la démonstration véritable leur échappe, et se trompent eux-mêmes en se complaisant dans la vanité de leurs illusions. Le nombre est grand de ces infortunés qui déclinent la discussion et l'examen de peur d'être convaincus, et se dérobent à l'enseignement de la doctrine pour ne pas s'entendre condamner. Les seconds, ceux qui tendent des pièges à l'innocence de leurs frères, sont des hommes accoutumés à la ruse. Quoiqu'ils s'attachent aux pas de leurs victimes en leur répétant humblement : Nous ne savons rien, ils ne laissent pas d'obscurcir la lumière par des probalités spécieuses. Mais les arguments probables diffèrent, j'imagine, des arguments véritables. Que le nom de l'hérésie soit nécessaire pour opposer le mensonge à la vérité et distinguer l'un de l'autre, nous le savons. Quand les sophistes sont parvenus à dérober, pour la ruine des hommes, quelques lambeaux de vérité, ils ensevelissent orgueilleusement ces dépouilles dans quelques arts humains de leur invention; puis ils battent des mains, fiers de présider aux débats d'une école plutôt que de gouverner l'Eglise. [7,16] CHAPITRE XVI. Il existe deux moyens pour distinguer la foi véritable de l'hérésie. Le premier de ces moyens c'est de recourir aux Écritures et de les appeler en témoignage pour prononcer sur une doctrine, quelle qu'elle soit. Mais les hommes qui sont disposés à consacrer leurs efforts aux études les plus éminentes ne cesseront de chercher la vérité qu'après avoir puisé la démonstration aux sources des livres sacrés. Sans doute le jugement est commun à tous; il en est de cette faculté comme des sens. Toutefois le discernement est plus aiguisé dans ceux qui se sont appliqués à cet exercice : leur esprit, dirigé par des méthodes, démêle plus aisément la vérité d'avec le mensonge. Mais le point décisif, dans cette matière, c'est de se dépouiller de sa propre opinion pour s'arrêter dans un juste tempérament entre la science ardente à tout scruter, et une sagesse aveugle et téméraire. Il suffit de savoir ce que n'ignore pas quiconque attend le repos éternel, c'est-à-dire, que l'entrée en est étroite et laborieuse. Mais vous, sur qui est tombée la prédication de l'Évangile, n'allez point à l'heure où a brillé pour vous la lumière du salut, regarder en arrière comme la femme de Loth, ni retourner aux premiers errements de cette vie, qui ne s'occupait que des choses sensibles ; encore moins retomber dans l'hérésie, qui, étrangère à la connaissance du Dieu véritable, n'oublie rien pour gagner des disciples. En effet, quiconque aime son père et sa mère plus que moi, qui suis le père véritable, le maitre de la vérité ; qui renouvelle, régénère, et nourris de mon lait l'âme que j'ai honorée de l'élection, n'est pas digne de moi, c'est-à-dire, ne peut devenir le fils de Dieu, le disciple de Dieu, son ami et son frère. Encore un coup, « celui qui, après avoir mis la main à laa charrue regarde en arrière, n'est pas propre au royaume de Dieu. » Suivant une opinion accréditée jusqu'à ce jour, Marie, par la naissance de son fils, est devenue mère sans subir les conséquences de la maternité. Car quelques-uns veulent qu'ayant été examinée par la sage-femme après l'enfantement, elle ait été trouvée vierge. Je lui comparerais volontiers les Écritures du Seigneur. Mères de la vérité, elles l'enfantent en demeurant vierges par le secret qu'elles gardent sur les mystères de la vérité. « Elle a enfanté et n'a point enfanté, » dit l'Écriture, pour signifier que Marie a conçu par elle-même, et non par aucun commerce humain. Voilà pourquoi nos Écritures conçoivent pour les Gnostiques. L'hérésie, faute de comprendre cette vérité, les répudie comme stériles. Tous les hommes ont donc le même jugement. Les uns, dociles aux décisions du Verbe, s'appuient sur des autorités qui font foi. Les autres, après s'être livrés aux plaisirs déréglés, torturent les livres saints pour les ployer à leurs fantaisies. Nous ne le dissimulons pas, il faut au zélateur de la vérité une grande force d'âme. Car ceux qui entreprennent les plus grandes choses sont exposés aux chutes les plus terribles, s'ils ne gardent fidèlement la règle de la vérité qu'ils ont reçue de la vérité elle-même. Mais les infortunés qui se sont jetés hors de la voie droite trébuchent, la plupart du temps, dans les questions particulières. Faut-il s'en étonner? Ils ne possèdent point, dans le discernement du mensonge et de la vérité, un jugement que l'exercice ait pleinement formé aux déterminations vers le bien. Assurément, s'ils l'avaient, ils ne manqueraient point de se soumettre à l'autorité de l'Église. Pareil à ces hommes qui seraient métamorphosés en bêtes, comme il arriva, dit la fable, a ceux qui trempèrent leurs lèvres aux poisons de Circé, quiconque regimbe contre la tradition de l'Église pour embrasser les opinions humaines, perd au même instant la qualité de créature de Dieu et de serviteur fidèle au Seigneur. Mais que, revenu de son égarement, il obéisse aux Écritures et recommence d'épanouir son âme à la vérité, la scène change : c'est un homme qui devient Dieu, en quelque façon. En effet, nous avons pour principe de notre doctrine le Seigneur qui, par les prophètes, par l'Évangile, par les bienheureux apôtres, « en diverses occasions et de plusieurs manières, » conduit l'homme de l'origine à la fin de la connaissance. Du moment que l'on s'imagine avoir besoin d'un antre principe, le principe cesse véritablement de subsister. Celui qui est fidèle par lui-même mérite donc notre créance dans l'Écriture et la parole du Seigneur, qui opère pour le salut de l'homme par le Seigneur lui-même. Elle est entre nos mains comme un critérium universel. Toutes les fois que le jugement est appelé à prononcer, on ne croit pas avant la décision du jugement : par conséquent rien de ce qui a besoin de jugement n'est un principe. C'est donc à bon droit qu'après avoir saisi par la foi le principe qui échappe à toute démonstration, puisant dès lors par surcroit toutes nos démonstrations au principe essentiel, pour les appliquer au principe subordonné, nous sommes façonnés par la voix du Seigneur à la connaissance de la vérité. Nous n'ajouterons pas foi à la simple affirmation des hommes qui ont la permission d'affirmer également le contraire. Mais s'il ne nous suffit pas de dire simplement : Cela est ; s'il faut encore des arguments à l'appui de ce que nous avançons, alors, sans attendre le témoignagne des hommes, nous éprouvons, par la parole du Seigneur, la question en litige, parole qui est plus digne de créance que la démonstration la plus lumineuse. Je me trompe; elle est la démonstration unique, la science par laquelle sont fidèles ceux-là même qui n'ont fait que goûter aux Écritures. Ceux qui ont été plus loin sont les parfaits indicateurs de la vérité. J'ai nommé les Gnostiques. Regardez dans la vie commune. L'artiste expérimenté l'emporte sur l'esprit dépourvu de culture ; il rend mieux que tes conceptions vulgaires toutes les notions du beau. Il en est de même du Chrétien. Empruntant à l'Ecriture elle-même la démonstration de l'Écriture, il persuade par la foi, qui se convertit en démonstration. Mais les hérétiques, me dira-t-on, appellent aussi à leur secours les traditions apostoliques. A cela nous répondons qu'ils n'admettent pas tous les livres saints, ni chaque livre dans son intégrité, ni avec le sens que réclament le corps et la contexture de la prophétie. Mais que font-ils ? Ils choisissent à dessein quelques passages obscurs qu'ils ploient à leurs propres opinions, en se bornant à des mots isolés, et en s'arrêtant à la lettre au lieu d'entrer dans l'esprit véritable du texte sacré. Telle est leur tactique ordinaire dans les passages qu'ils allèguent. N'envisageant que les mots, ou bien ils en altèrent la signification, ou bien ils ignorent quel est le sens légitime, ou bien ils enlèvent à l'autorité qu'ils mettent en avant son intention primitive. Mais la vérité ne se trouve pas dans l'altération du sens attaché aux mots, sans quoi la doctrine véritable croulerait promptement. La vérité se rencontre dans le sérieux examen de ce qui est parfaitement en harmonie avec le Seigneur et le Dieu tout-puissant ; l'explication doit toujours demeurer digne ; il faut de plus appuyer de textes semblables chacun des passages que l'on démontre par les Écritures. Les sectaires ne veulent donc pas se convertir à la vérité parce qu'ils rougissent de renoncer aux caresses de l'amour-propre. D'autre part, contraints de faire violence à l'Écriture, ils ne savent comment asseoir leurs opinions. Aussi quand ils se répandent dans la multitude pour y semer le poison de leurs nouveautés, sentant bien qu'ils sont en contradiction flagrante avec toutes les Écritures, toujours réfutés d'ailleurs par les raisonnements que nous leur opposons, ils continuent jusque nous sous nos yeux, ici, de rejeter une partie des livres saints, là, de nous calomnier sans pudeur. Écoutez-les ! Ils prennent en pitié l'infériorité de notre nature : nous sommes incapables de comprendre des doctrines qui appartiennent à des esprits si relevés. Les avez-vous convaincus de mensonge, il leur arrive sonvent encore de nier les dogmes qu'ils professent, rougissant ainsi de proclamer au grand jour les maximes qu'ils se vantent d'enseigner dans les ténèbres. Ainsi font toutes les hérésies chaque fois que l'on combat la perversité de leurs inventions. En effet, dès que nous avons confondu les novateurs en leur prouvant qu'ils se mettent en opposition avec les Écritures, ils ne manquent jamais de se jeter dans l'une de ces deux extrémités ; ou bien ils repoussent la conséquence de leurs dogmes, ou bien ils foulent aux pieds la prophétie, disonsmieux, leur propre espérance. La prétendue évidence qui sourit à leur raison individuelle, ils la préfèrent constamment aux oracles du Seigneur parlant par la bouche des prophètes, aux vérités de l'Évangile, et au témoignage par lequel les apôtres ont confirmé ces dernières. Menacés, non pas seulement dans l'existence d'un de leurs dogmes, mais dans le salut et le maintien de leur hérésie, chercheront-ils la vérité? Ne le croyez pas. Ils méprisent comme basse et rampante une doctrine facile et professée par tous, qu'ils ont lue dans le sein de l'Église; et, à force de viser à des conceptions moins vulgaires dans le domaine de la foi, ils se jettent hors du chemin de la vérité. Comme ils n'ont ni étudié les mystères de la connaissance dont l'Église a le dépôt, ni compris l'excellence de la vérité, parce que leur incurie, contente de lire à la surface, a négligé de pénétrer jusque dans le fond des choses, ils ont dit adieu aux Écritures. Les voilà donc enflés de la vaine opinion de leur sagesse, livrés à d'interminables débats et prouvant avec la dernière évidence qu'ils courent bien plus après les apparences de la philosophie qu'après la philosophie réelle. Plus de principes nécessaires sur lesquels ils veuillent s'appuyer; pour fondement unique, des opinions humaines ; désir d'ailleurs effréné de parvenir à leur fin. Conséquemment plus ils se voient convaincus, plus ils redoublent de fureur contre ceux qui les combattent avec la philosophie réelle. lls se jetteront dans tous les excès, ils remueront ciel et terre, comme dit le proverbe et ne craindront pas de nier les Écritures, par une scandaleuse impiété, plutôt que de renoncer à la réputation dont ils jouissent dans leur secte, plutôt que de renoncer à ce siège d'honneur, si vanté dans leurs conciliabules et en vertu duquel ils vont occuper la première place à ces repas qu'ils décorent faussement du titre d'agapes. Tel n'est pas le Christianisme. Chez nous l'admission de la vérité part d'un principe certain, afin d'amener la foi à croire ce qu'elle ne croit pas encore. C'est là, pour ainsi dire, l'essence de la démonstration. Mais les oreilles de l'hérésie, fermées, dès l'origine, à tout ce qui est utile, ce me semble, ne s'ouvrent qu'aux paroles agréables et flatteuses. Sans quoi le sectaire reviendrait de son égarement, s'il voulait simplement obéir à la vérité. Or, l'amour propre, comme en général toute passion, se guérit par trois moyens : d'abord connaitre le principe mauvais ; secondement savoir par quel remède il faut le combattre ; en troisième lieu, exercer son âme et s'accoutumer à suivre les jugements de la saine raison. Pareille à l'œil malade dont le regard s'altère, l'âme, que troublent toutes ces opinions opposées à la nature, ne peut plus distinguer dans leur plénitude les rayons de la vérité. Les objets les plus voisins de ses yeux se confondent. Voilà pourquoi le pêcheur lui aussi commence par troubler l'eau, afin de mieux prendre les anguilles après leur avoir dérobé la vue. De même que des disciples pervers chassent le maitre, les sectaires éloignent de leurs Églises les prophéties, toujours suspectes à leurs yeux, parce qu'ils en craignent les réprimandes et les avertissements. Aussi que de laborieux commentaires, que de mensonges ajustés les uns aux autres pour justifier l'exclusion qu'ils donnent aux Écritures! Vous êtes des impies, pouvons-nous leur dire, puisque vous n'obtempérez pas aux préceptes divins, c'est-à-dire, au Saint-Esprit. On appelle vides, non pas seulement les amandes qui ne renferment pas de fruits, mais encore celles qui ne renferment qu'une pulpe inutile. Par une dénomination semblable, nous disons qu'ils sont vides de la volonté de Dieu, vides des traditions du Christ, les hérétiques qui, non moins amers que l'amande sauvage, se constituent les chefs de leurs propres dogmes, à moins que, grâce à l'évidence de la vérité, ils n'aient été contraints d'en garder quelques-uns qu'ils n'ont pu ni déposer ni soustraire. Sur un champ de bataille, le soldat ne peut abandonner, sans crime, le poste que lui assigna son général : soldats du Christ, nous devons garder non moins fidèlement le poste où nous plaça le Verbe que nous avons reçu pour chef de la connaissance et de la vie.Mais le vulgaire marche à l'aventure sans même se demander s'il est besoin d'un chef, quel il doit étre, comment il faut suivre ses drapeaux, il convient, en effet, au fidèle de modeler sa vie sur le Verbe, afin de pouvoir suivre le Dieu qui, dès l'origine, conduit toutes choses avec sagesse. Mais, après avoir prévariqué contre le Verbe, et par là contre Dieu, quelque infortuné vient-il à s'affaiblir par l'apparition soudaine de quelque opinion chimérique, qu'il travaille a placer sous sa main les arguments de la raison et de la vérité. Et, déjà vaincu pur une habitude qui a prévalu, il est devenu, selon le langage de l'Écriture, un homme de la multitude, il faut qu'il veille à détruire en lui le germe funeste, et qu'il exerce son âme à résister aux entraînements de l'habitude. Que s'il semble absorber quelques dogmes ennemis et qui se combattent à lui de les écarter soigneusement, et de recourir à ceux qui, habiles à pacifier les dogmes tumultueux, et à enchanter, par les divines Écritures, les natures sauvages et grossières, rendent la vérité sensible par l'accord des deux Testaments. Mais telle est la nature de l'homme. Il incline plus volontiers l'oreille aux choses de l'opinion, quelque contradictoires qu'elles puissent être, qu'à la vérité elle-même, parce que la vérité est grave et austère. Trois affections diverses se disputent notre âme : l'ignorance, l'opinion, la science. L'ignorance est le partage des nations ; la science appartient à l'Église ; l'opinion, aux disciples de l'hérésie. Ces hommes qui prennent l'opinion pour guide, n'affirment aucune de leurs inventions avec plus d'évidence que ne le font les hommes de la science, puisqu ils se contentent d'affirmer sans produire de démonstration. Avec quel mépris ils affichent les uns pour les autres ! comme ils se poursuivent de leurs railleries mutuelles ! comme le sentiment, admiré par celui-ci, est tenu par celui-là pour la plus insigne de extravagances ! Nous savons, pour l'avoir appris, qu'autre est le plaisir qu'il faut attribuer aux nations infidèles, autre l'esprit de rivalité qui déchire le sein de l'hérésie, autre la joie qui est le caractère spécial de l'Église, autre enfin l'allégresse, apanage exclusif du véritable Gnostique. Confiez-vous aux mains d'un maitre : Ischomaque fera de vous un laboureur, Lampis, un nautonnier ; Charidème, un général ; Simon, un cavalier ; Perdix, un cabaretier; Crobyle, un cuisinier; Archélaüs, un danseur ; Homère, un poète ; Pyrrhon, un sophiste ; Chrysippe, un dialecticien ; Aristote, un observateur de la nature ; Platon enfin, un philosophe. Ainsi l'homme qui obéit au Seigneur et se montre docile à la prophétie émanée du Seigneur, se moule exactement sur l'image de son maitre. C'est un Dieu dans une chair mortelle. Mais ils se précipitent de ces hauteurs, ceux qui refusent de suivre Dieu partout où il les conduit : or, Dieu conduit l'homme par les Écritures, qui sont divinement inspirées. Quoique les fautes dans lesquelles nous tombons soient sans nombre, elles dérivent toutes de deux principes, l'ignorance et la fragilité ; l'une et l'autre sont laissées à notre disposition, quand nous ne voulons ni apprendre, ni nous contenir. Par l'une, nous sommes hors d'état de juger sainement ; par l'autre, nous ne pouvons mener à terme les sages décisions. Je vous le demande, avec des opinions erronées, pourrez-vous accomplir le bien, même en vous supposant assez d'énergie pour exécuter te dessein que vous avez conçu ? D'autre part, que la sagacité de votre esprit discerne le devoir, vivrez-vous exempt de tout reproche, si l'indolence de votre caractère ne sait pas mettre la main à l'œuvre ? Double infirmité de l'âme, qui se guérit conséquemment par deux enseignements divers ! L'ignorance est combattue par la Gnose et par l'évidente démonstration qui repose sur le témoignage des Écritures. La fragilité a pour remède cette lutte généreuse, avouée par le Verbe, et qui s'enseigne à l'école de la crainte et de la foi. L'une et l'autre le consomment par des accroissements successifs dans la perfection de la charité. Une double fin, si je ne me trompe, est ici proposée au Gnostique : dans quelques points il contemple d'après l'intuition de la science; dans d'autres, sa vie est toute d'action. Puissent, nous le souhaitons, les hérétiques nommés ci-dessus, revenir de leurs égarements à la lecture de nos commentaires, et se convertir au Dieu tout-puissant ! Mais si, pareils à des serpents sans oreilles, expression qui, pour être nouvelle, n'en est pas moins trèsancienne, ils n'ecoutent pas le cantique du salut, ils seront infailliblement châtiés par Dieu, et subiront ces admonitions paternelles qui précèdent le jugement, jusqu'à ce qu'ils rougissent de leurs prévarications, et les pleurent dans les larmes du repentir. Mais, de grâce, qu'ils ne se jettent point, par une monstrueuse indocilité, dans les conséquences et la consommation du jugement ! Il est certaines disciplines partielles auxquelles nous donnons le nom de régime correctif. Telles sont les épreuves que subissent quelques-uns de nos frères quand ils sont tombés dans la prévarication, membres déchus de la nation chère au Seigneur. Mais la Providence nous châtie comme un maître ou comme un père châtie des enfants. Dieu ne punit pas : la punition, c'est la représaille de l'injure : il châtie en général comme en particalier, pour l'utilité de ceux qu'il éprouve. Ces réflexions m'ont été suggérées en partie afin d'empêcher ceux qui ont du goût pour l'instruction de se jeter par orgueil dans l'hérésie ; en partie afin de porter remède à une ignorance qui n'est qu'à la surface, soit extravagance, soit mauvaise disposition, soit tout autre affection de même nature; en partie aussi afin de ramener de l'erreur à la vérité ceux dont la guérison n'est pas absolument sans espoir. Il est des malades opiniâtres qui n'essaient pas même de prêter l'oreille aux exhortations de la vérité. Ils font plus, ils s'arment de frivolités et d'impudence ; blasphémateurs hardis de la vérité, les voilà qui s'attribuent la connaissance des dogmes les plus relevés, et cela, sans avoir rien appris, sans examen, sans effort préalable, sans avoir découvert la moindre conséquence. Lamentable perversité, qui mérite mille fois plus de pitié que de haine ! Mais s'il est un malade susceptible encore de guérison et capable d'endurer la sainte franchise de la liberté qui, pareille à la flamme ou à l'acier, tranche et brûle les fausses opinions, je l'en conjure, qu'il ouvre les oreilles de l'âme. Cela ne manquera point d'arriver, si on ne prend pas conseil de la mollesse et de l'indolence pour refouler la vérité, ou si un vain désir de gloire ne jette pas dans la violence et l'innovation. Je dis qu'il y a mollesse et indolence chez les hommes, lorsque, pouvant puiser dans les Écritures elles-mêmes des démonstrations en harmonie avec les Écritures, ils négligent absolument ce devoir, et embrassent les opinions qui flattent leurs désirs. Les autres sont maîtrisés par un vain amour de gloire, lorsqu'éludant volontairement les doctrines conformes aux Écritures divinement inspirées, telles que les bienheureux apôtres et nos maîtres nous les ont transmises, ils opposent par des raisonnements étrangers les pensées de l'homme aux traditions de Dieu pour constituer l'hérésie. Parmi ces grands hommes dont l'autorité fut si décisive dans la science dont l'Église a le dépôt, quelle découverte restait-il à faire, à un Marcion par exemple, à un Prodicus, et à leurs pareils qui n'ont pas marché dans la voie droite ? Assurément ils n'ont pu surpasser en sagesse leurs devanciers, ni inventer une vérité nouvelle qu'il faille ajouter aux précédentes. Apprendre tout ce qui avait été transmis jusqu'à eux était une gloire dont ils devaient déjà se contenter. Le Gnostiquc est donc le seul qui, ayant vieilli sur les Ecritures et gardant l'inviolable pureté des dogmes qui lui viennent des apôtres et de l'Eglise, vive d'une vie bien réglée selon l'Evangile et trouve des démonstrations telles qu'il les cherche. Faut-il s'en étonner ? Il s'inspire du Seigneur, de la loi et des prophètes. La vie du Gnostique, en effet, ne me semble qu'un enchainement d'actions et de paroles conformes aux traditions du Seigneur. Mais tous ne sont pas éclairés. Car, dit l'apôtre, vous ne « devez pas ignorer, mes frères, que nos pères ont tous été sous la nuée, qu'ils ont tons mangé la même viande mystérieuse, et qu'ils ont bu le même breuvage mystérieux, » confirmant ainsi manifestement que tous ceux qui entendent la parole du Verbe n'ont pas compris, soit en actions, soit en paroles, la grandeur de la connaissance. Aussi l'apôtre ajoute-t-il : « Cependant la plupart d'entre eux ne furent point agréables." A qui ne furent ils point agréables ? A celui-là même qui a prononcé ces mots : « Pourquoi m'appelez-vous, Seigneur, et ne faites-vous pas la volonté de mon père, » c'est-à-dire, pourquoi n'observez-vous pas la doctrine du Sauveur, aliment spirituel, breuvage mystérieux qui ne connait pas la soif, fontaine d'où jaillit l'eau de la vie gnostique? — Mais la Science enfle le cœur, m'objecte-t-on. » — Sans doute, la connaissance qui n'existe que dans les dehors enfle, s'il faut entendre par ce mot les fumées de l'orgueil ; si au contraire, et ce sens nous parait préférable, l'erpression de l'apôtre équivaut à comprendre dans toute la magnificence et la plénitude de la vérité, la question litigieuse a trouvé par là même sa solution. Suivant pas à pas les Écritures, confirmons cette interprétation par un témoignage analogue. "La sagesse, dit Salomon, a enflé le cœur de ses enfants." Assurément le Seigneur n'a pas déposé l'insolence et l'orgueil au fond de quelques parcelles de doctrine ; mais son prophète a voulu dire que se confier à la vérité, et nourrir des idées magnifiques dans la connaissance que transmettent les Écritures, sont deux choses par lesquelles nous apprenons à mépriser tous les entrainements au péché. L'expression enflé n'a pas ici d'autre sens. Elle nous manifeste la magnificence de la sagesse dans ceux qui sont les fils de Dieu par la doctrine. Plus loin l'apôtre nous dit encore : « Alors je connaitrai non les paroles de ceux qui sont enflés, mais leurs actes; » c'est-à-dire, s'ils comprennent les Écritures dans toute leur magnificence, ou dans la plénitude de la vérité, car qu'y a-t-il de plus magnifique que la vérité ? Là, en effet, réside la vertu des fils que la sagesse a enflés. Comme si l'apôtre disait : Je saurai si vous avez raison de penser magnifiquement de votre connaissance. « Dieu est connu dans Juda, » s'écrie David; qu'est-ce à dire? Dieu est connu de ceux qui sont Israélites par la connaissance ; car Judée signifie confession. Quelle sagesse donc dans ces prescriptions de l'apôtre : « Vous ne commettrez point d'adultère ; vous ne tuerez point, vous ne déroberez point; vous ne désirerez rien des biens de votre prochain, et s'il est quelque autre commandement, ils sont tous compris dans cette parole : Vous aimerez votre prochain comme vous-même ! » En effet, il ne faut jamais, à l'exemple des hérétiques, adultérer la vérité, ni dérober la règle de l'Église pour satisfaire un vain désir de gloire personnelle au détriment du prochain, auquel nous devons apprendre à chérir et à embrasser la vérité. Aussi nous a-t-il été formellement dit : « Annoncez parmi les peuples les œuvres de Dieu, afin que ceux qui les auront entendues, au lieu d'être jugés, se convertissent. Mais tous ceux qui cachent l'artifice dans leurs paroles sont châtiés par des peines dont la sentence est déjà portée. [7,17] CHAPITRE XVII. Le second moyen pour découvrir la vérité consiste à examiner laquelle des deux traditions possède l'antériorité, celle de l'Église ou celle de l'hérésie. Que font donc les téméraires qui abordent les discours impies et les transmettent à leurs adhérents? Ils corrompent les divines Écritures dont ils abusent ; ils se ferment à eux-mêmes l'entrée du ciel ; et ils égarent, loin de la vérité, les victimes qu'ils ont trompées. N'ayant pas la clé qui ouvre la porte d'entrée, pour s'introduire, comme nous le faisons, en tirant le voile et par la tradition du Seigneur, à la clé véritable ils substituent la fausse clé, la clé de derière, pour parler la langue proverbiale ; ils abattent la porte, ils perçent ténébreusement le mur de l'Église, et, sacrilèges violateurs de la vérité, ils se proclament les initiateurs des mystères impies de l'âme. En effet, que leurs conciliabules sans autre autorité que celle de l'bomme, soient postérieurs à l'Église catholique, il ne faut pas de longs arguments pour décider la question. La prédication du Seigneur, manifestée par son Incarnation, commence à Auguste et finit à peu près vers le milieu du règne de Tibère. La prédication de ses apôtres, y compris le ministère de Paul, s'achève sous Néron. Ce ne fut que plus tard, vers l'époque de l'empereur Adrien environ, que parurent les chefs de l'hérésie. Ils se propagèrent jusqu'au règne du premier Anlonin, tel que Basilide, par exemple, quoi qu'il se donne pour disciple de Glaucias, qui lui-même, s'il en faut croire les Novateurs, fut l'interprète de Pierre. On dit aussi que Valentin eut pour maitre Theudas, disciple de Paul. Quant à Marcion, qui naquit à peu près en même temps que ces derniers, sa vieillesse s'éteignit dans des sectes plus jeunes que la sienne. Avant lui, Simon put entendre un moment les prédications de Pierre. Si ce calcul est juste, la priorité et la légitimité de l'Église attestent manifestement que les sectes qui naquirent après elle et celles qui touchent à notre époque, filles du temps, sont marquées du sceau honteux de l'adultère. Il sort de ce qui précède qu'il n'y a qu'une seule Église véritable, l'Église, à laquelle appartient à juste titre l'antériorité, et dans le catalogue de laquelle sont inscrits ceux qui sont justes avec la ferme volonté de l'être. Il n'y a qu'un Dieu, qu'un seul Seigneur. Conséquemment la chose éminemment digne de notre vénération ici-bas, se distingue aussi par son unité, reflet du principe unique. L'Église qui est une et que les Novateurs essaient de diviser violemment en une infinité d'Églises, s'unit donc inséparablement dans l'individualité d'une seule et même nature. Essence, dogme, principe, excellence, nous proclamons une sur chacun de ces points l'Église ancienne, l'Église catholique, dont tous les membres conspirent vers l'unité d'une même foi et qui s'appuie sur les Testaments particuliers, je me trompe, sur le Testament qui conserva son inviolable unité aux diverses époques, où, d'après la volonté d'un seul Dieu et par un seul Seigneur, il convoque sous ses lois les élus et les prédestinés de Dieu, parce que Dieu connaissait, par sa prescience, même avant le berceau du monde, que ces élus et ces prédestinés pratiqueraient la justice. Au reste, la dignité de l'Église, non moins que son principe constitutif, repose sur l'unité ; supérieure à tout ce qui existe, elle ne connait rien sur la terre qui lui ressemble ou qui l'égale. Mais nous nous réservons de traiter ensuite cette matière. Parmi les hérésies, les unes portent le nom de leur chef, comme celles des Valentiniens, des Marcionites, des Basilidiens, quoiqu'ils se vantent de suivre les sentiments de Mathias. Mensonge grossier ! la doctrine de tous les apôtres est une aussi bien que la tradition. Les autres portent le nom du lien qui les vit naître ; les Pératiques, par exemple. Celles-ci reçoivent leur dénomination de la contrée à laquelle elles appartiennent, tels que les Phrygiens ; celles-là des pratiques auxquelles ils se livrent, tels que les Encratites ou Continents ; quelquesunes sont caractérisées par les dogmes qu'elles professent, les Dokètes et les Hématites par exemple ; quelques antres par leurs rêveries et les simulacres objets de leur adoration; de ce nombre sont les Cainites et les Ophites; d'autres enfin doivent leur désignation à leurs déportements et à leur audace, comme les disciples de Simon dont le nom s'est converti en Eutychites. [7,18] CHAPITRE XVIII. Le sens mystique de la loi, quand elle classe les animaux en purs et en impurs, peut encore aider et distinguer de l'Eglise les Juifs et les hérétiques. Pour nous, aussitôt que nous aurons ouvert aux regards avides une sorte de fenêtre par où ils pourront contempler l'intérieur de l'Église, content d'avoir indiqué comment les prescriptions de la loi, en classant les victimes pures et impures, désignaient dans un sens mystique les Juifs, les hérétiques et les infidèles qu'elles séparaient ainsi de l'Église, nous arrêterons à ce point la marche de notre discours. Les animaux qui ont la corne du pied fendue et qui ruminent, victimes pures et agréables à Dieu, suivant l'Écriture, sont l'emblème des justes qui marchent par la foi vers le Père et le Fils. La stabilité est le partage de ceux qui ont la corne du pied fendue et qui ruminent le jour comme la nuit l'aliment de la sainte doctrine dans le réceptacle de l'âme. Quand la loi mosaïque nous parle de victime pure qui rumine, elle a donc voulu nous désigner allégoriquement l'exercice de la gnose. Mais les animaux qui n'ont pas les deux ou au moins l'une des deux propriétés légales, elle les répudie comme immondes. Ceux qui ruminent, sans avoir la corne du pied fendue, représentent symboliquement le vulgaire des Juifs qui, tout en ayant à la bouche la parole du Seigneur, n'ont cependant ni la foi, ni la base qui repose sur la vérité, et conduit au Père par la médiation du Fils. De là vient que cette espèce d'animaux trébuche facilement, faute d'avoir les pieds fendus et de s'appuyer sur le double support de la foi. « Car nul ne connait le Père, si ce n'est le Fils, et celui auquel le Fils l'a révélé. » D'autre part, les animaux sont encore immondes, lorsqu'avec la corne du pied fendue ils n'ont pas cependant la faculté de ruminer. Cette catégorie représente les hérétiques qui marchent au nom du Père et du Fils, mais qui, impuissants à triturer l'interprétation des saintes paroles, et à réduire la doctrine en subtiles molécules, n'exécutent que grossièrement, sans soin ni exactitude, les œuvres de la justice, si tant est qu'ils les exécutent. C'est à eux et à leurs pareils que le Seigneur adresse ces mots : « Pourquoi me dites-vous Seigneur ! Seigneur ! et ne faites-vous pas ce que je vous ordonne ? » Quant à ceux qui n'ont pas la corne du pied fendue, et qui de plus ne ruminent pas, la loi les déclare entièrement immondes. « Pour vous, habitants de Mégare, s'écrie Théognis, vous n'occupez ni le troisième, ni le quatrième, ni le douzième rang, soit en raison, soit en nombre. » — Qu'êtes-vons donc ? « Une paille légère que le vent emporte de la surface du sol ; une goutte d'eau dans un vase d'airain. » Nous avons comme préludé par ces matières. Maintenant que, fidèle à notre engagement, nous avons discuté rapidement et a diverses reprises le point de morale ; maintenant que les dogmes auxquels s'allume le flambeau de la connaissance véritable ont été disséminés par nous, ça et là, dans le but de dérober les saintes traditions à ceux qui ne sont pas initiés aux mystères, mettons la main à la discussion que nous avons promise. Nos livres des Stromates, sont loin de ressembler à ces jardins soigneusement entretenus où les arbres et les plantes sont alignés dans un ordre symétrique pour le plaisir des yeux. Je les comparerais plus volontiers à un côteau chargé d'ombres et de fraîcheur, où croissent le cyprès, le platane, le laurier, le lierre, le pommier, l'olivier et le figuier, de sorte que la plante stérile s'élève a côté de l'arbre fécond. Pourquoi ce désordre apparent ? Parce que l'Écriture veut demeurer secrète et mystérieuse, afin d'échapper aux mains rapaces qui dérobent et emportent les plus beaux fruits. Mais dites au laboureur d'aller dans cette pépinière enlever les arbres avec leurs racines vivantes et de les transplanter dans un autre terrain. Il en formera un jardin plein d'agrément et un délicieux bosquet. Nos Stromates n'ont visé ni à la méthode, ni à l'élégance. Les Grecs eux-mêmes suppriment à dessein les ornements du langage, et enveloppent leurs dogmes d'expressions obscures qui ne rendent pas la vérité telle qu'elle est, afin de tenir en haleine l'application et l'intelligence des lecteurs. En effet, il y a des amorces nombreuses et diverses appropriées à la différence des poissons. Après notre septième livre des Stromales, nous prendrons un autre principe pour point de départ dans les matières qui suivent.