[0] CLEMENT D'ALEXANDRIE - DISCOURS AUX GENTILS. [1] On dit d'Amphion de Thèbes et d'Arion de Metymne qu'ils étaient si habiles dans la musique que, par la seul puissance de leurs accords, celui-ci attirait les poissons; l'autre élevait les murs de Thèbes. Ces fables sont encore dans la bouche des Grecs et répétées en chœur dans leurs fêtes. On raconte du chantre de la Thrace qu'aux accents de sa voix les bêtes farouches déposaient leur férocité, et les arbres des forêts marchaient à sa suite. Je pourrais vous entretenir d'autres fables et vous parler d'autres musiciens, je veux dire d'Eunode de Locres et de la cigale de Pitho. Toute la Grèce était rassemblée pour célébrer à Pitho la défaite du fameux serpent chantée par Eunone : avait-il composé une ode ou une élégie sur ce sujet? je n'en sais rien. Le combat venait de commencer. C'était dans la saison de l'été, quand les cigales, excitées par la chaleur du soleil, chantent sous les feuilles dans les bois et sur les montagnes; leurs chants affranchis de mesure célébraient, non le serpent terrassé, mais le Dieu son vainqueur, et surpassaient les accords d'Eunone. Une de ses cordes vint à se rompre : à l'instant une cigale saute sur sa lyre, s'y pose comme sur une branche d'arbre, et continue de chanter. Le musicien se met en harmonie avec elle, et répare ainsi la corde qu'il a perdue. Ainsi donc, d'après la fable, des sons mélodieux charmèrent une cigale. Une statue d'airain représentait Eunone avec une lyre et la cigale son émule; on la voit accourir, on croit l'entendre. Et les Grecs n'ont pas fait difficulté de la croire capable de cette imitation musicale. [2] Vous avez ajouté foi à ces fables; l'on a pu vous persuader que des bêtes se laissaient à ce point charmer par la musique ; c'est la vérité seule, malgré sa vive clarté, qui passe pour mensonge et qui rencontre chez vous des incrédules. Et l'Hélicon, et le Cithéron, et les montagnes de l'Otryse, et les initiations des Thraces, tous ces mystères de réception ont reçu un culte divin, ont eu des hymnes en leur honneur. Je vous l'avoue, les malheurs que chantent nos poètes tragiques remuent toute la sensibilité de mon âme, bien qu'ils ne soient que des fables; ils mettent en scène tous les maux de l'humanité. Mais voulez-vous m'en croire ? et ces fables, et ces poètes ceints du lierre de Bacchus, sans frein dans leur ivresse et dans leur délire, au milieu des orgies, et la troupe des satyres, et la multitude des bacchantes furibondes ; enfin tous ce ramas de dieux surannés, enfermons-les dans l'Hélicon, dans le Parnasse, vieillis eux-mêmes et aujourd'hui sans honneur. A leur place faisons descendre du ciel sur la montagne du vrai Dieu, au milieu du chœur sacré des prophètes, la vérité ou la raison aux clartés si vives. Qu'elle inonde les hommes de sa lumière, et dissipe les ténèbres où ils sont ensevelis. Qu'elle leur tende une main amie, c'est-à-dire qu'elle leur rende l'intelligence pour les tirer de l'erreur et les remettre dans la voie du salut. Qu'ils lèvent les yeux vers le ciel, qu'ils se dégagent des ombres de la mort, qu'ils désertent l'Hélicon et le Parnasse, et n'habitent plus désormais que les hauteurs de Sion. C'est de Sion que viendra la loi, c'est de Jérusalem que sortira la parole du Seigneur. La parole de Dieu c'est le Verbe descendu du ciel, et couronné comme un athlète sur la scène du monde. Mon Eunone à moi ne fait entendre ni les accents de Terpandre ou de Capiton, ni les accords de la Phrygie ou de la Lydie, ou de la Doride; mais un chant d'une suavité nouvelle, une mélodie toute céleste, une harmonie immortelle et divine; c'est le cantique nouveau de la tribu de Lévi. « Il dissipe la tristesse, désarme la colère, fait oublier tous le maux. » Je ne sais quoi de doux, de persuasif, se mêle à ce saint cantique, et pénètre au fond des cœurs ; c'est un baume qui vient eu guérir toutes les plaies. [3] A mes yeux votre Orphée de Thrace, votre Amphion de Thèbes, votre Arion de Métymne, n'étaient pas des hommes, ils n'en méritaient pas le nom; mais des imposteurs qui se servirent des charmes puissants de la musique pour dégrader la nature humaine et de la séduction des prestiges dus aux démons pour corrompre les mœurs. Ils ont, les premiers, amené l'homme aux pieds des statues; ils ont érigé en divinités les crimes et les maux, et leur ont dressé des autels. C'est sur la pierre et sur le bois, dont vous faites des idoles, qu'ils ont élevé le triste édifice de la corruption générale et, cette noble indépendance de l'homme qui se promenait librement sous la voûte des cieux, ils l'ont enchaînée par la perfide mélodie de leurs accords, et placée sous le joug de la plus honteuse servitude. Qu'il est différent le chantre merveilleux dont je parle ! Il est venu, et à l'instant il a brisé nos chaînes, détruit la cruelle tyrannie du démon ; il nous a fait passer sous un autre joug, le plus doux, le plus facile à porter, celui de la piété. Il a relevé vers le ciel le front des hommes tristement courbé vers la terre; [4] lui seul a pu attendrir la barbarie, apprivoiser l'homme, de tous les animaux le plus féroce. Le oiseaux sont légers, les serpents trompeurs, les lions furieux les pourceaux impurs, les loups rapaces ; le bois et la pierre sont insensibles : l'homme plongé dans l'ignorance est plus stupide encore. J'en atteste cette parole prophétique d'accord avec la vérité, déplorant le malheur de l'homme, usé par la rouille de l'ignorance et de l'insensibilité : Dieu peut des pierres mêmes susciter des enfants à Abraham. La vérité ne parlait plus au cœur des hommes ; ils lui opposaient toute la dureté du marbre depuis qu'ils portaient à la pierre le tribut de leur foi et de leurs hommages. C'est alors que ce Dieu, touché d'une misère si profonde, fit sortir de la pierre, c'est-à-dire du cœur des Gentils, un germe de piété, le sentiment de la vertu. Les imposteurs, les hypocrites, habiles à se déguiser, toujours en embuscade pour surprendre la justice, il les appelle race de vipères. Mais que le repentir touche leur cœur, qu'ils suivent le Verbe, de serpents qu'ils étaient, ils seront des hommes divins. Il en appelle d'autres loups couverts de peaux de brebis, désignant par là les hommes rapaces et avides. Eh bien ! toutes ces natures si féroces, toutes ces pierres si dures se sont amollies, sont devenues les hommes les plus doux. Et voilà l'œuvre de notre chantre céleste et de ses divins accords. Et nous aussi, pour me servir du langage de l'Écriture, nous étions autrefois insensés, incrédules, égarés, asservis à nos passions et à nos plaisirs, pleins de malice et d'envie, dignes de haine, et nous haïssant les uns les autres. Mais, depuis que la clémence du Dieu Sauveur a paru sur la terre, nous avons été sauvés, non par nos œuvres de justice, mais par sa miséricorde. Admirez donc la puissance de ces nouveaux accords, ils transforment en homme la brute sauvage, la pierre insensible. Ceux qui étaient comme morts, ils n'avaient plus part à la véritable vie, n'eurent pas plutôt entendu ce chant céleste, qu'ils se sentirent renaître, et sortirent de leur tombeau. [5] N'est-ce pas le Verbe, ce chantre des cieux, qui a mis ce bel ordre, ce bel ensemble dans l'univers, qui a enseigné aux éléments en désaccord à former un concert admirable, de sorte que ce monde est tout harmonie ? Il a déchaîné les flots de l'océan et leur a défendu d'envahir la terre. Celle-ci flottait au hasard comme un navire, il l'a fixée au milieu des eaux, jetées autour d'elle comme un rempart. Ainsi que le musicien qui sait adoucir les modes doriens par ceux de la Lydie, il a tempéré la violence du feu par le contact de l'air, et l'âpre rigueur du froid par l'étroite alliance du feu ; il a lié, il a tempéré les unes par les autres toutes les parties du monde, comme en musique, les derniers tons se fondent avec les premiers, par une gradation merveilleuse. Vous retrouvez dans l'univers le parfait ensemble de ce chant immortel qu'a fait entendre le Verbe, de ce concert divin où tout se tient, s'harmonise, se répond, la fin avec le milieu, le milieu avec le commencement. Ce ne sont plus les accords du chantre de Thrace, semblables à ceux dont Ioubal fut l'inventeur, mais les accents qu'imitait David, et qu'inspirait le Dieu qui fit le monde. Le Verbe de Dieu, né de David, bien qu'il fût avant lui, a rejeté la harpe, la lyre tous les instruments inanimés. Mais accordant avec l'Esprit saint et le monde, et l'homme qui est à lui seul un monde mettant en harmonie son corps et son âme avec ce même esprit, il a fait une lyre vivante, un instrument à plusieurs voix pour célébrer le Dieu créateur ; il chante, et l'homme principale voix du concert, lui répond. Car c'est de lui qu'est dit : « Vous êtes tout à la fois ma lyre, ma flûte, mon temple ; » lyre, par l'harmonie des accords ; flûte, par souffle de l'Esprit saint ; temple, par la présence du Verbe. Celle-ci résonne, celle-là soupire, dans l'autre habite le Seigneur. Aussi David, dont les mains royales touchaient la lyre, exhortait l'homme à la vérité, et le détournait du culte des démons. Il ne les chantait pas dans ces sublimes cantiques, lui qui les chassait par les sons d'une lyre qui ne savait pas tromper, lui qui n'avait besoin que de faire retentir ses cordes harmonieuses pour délivrer Saül de l'esprit malin qui le torturait, et rendre la paix à son cœur. L'homme, fait à l'image de Dieu, n'est pas le seul instrument animé, merveilleux : il en est un autre plus saint, plus complet, sans la moindre discordance; c'est la sagesse souveraine, c'est le Verbe de Dieu descendu du ciel. [6] Que veut cette lyre, le Verbe divin, notre souverain maître? Quel est le but de ces accords nouveaux? Rendre la vue aux aveugles, l'ouïe aux sourds, redresser les boiteux, ramener dans les voies de la justice ceux qui s'égarent, révéler Dieu à ceux qui l'ignorent, détruire la corruption, dompter la mort, réconcilier avec leur père des enfants rebelles. Cette lyre divine est tout amour pour l'homme : le Verbe a pitié de lui, il l'exhorte, il le presse, il l'aiguillonne; il l'avertit de ses écarts, il le protège contre ses ennemis, il le couvre de sa miséricorde; elle déborde sur lui comme d'un vase; c'est peu de l'instruire, elle lui montre le ciel comme récompense ; la sienne à lui c'est le bonheur de nous sauver, l'esprit de mensonge se nourrit de nos larmes, se repaît de notre mort ; mais la vérité comme l'innocente abeille, qui jamais ne flétrit la fleur sur laquelle elle repose, se réjouit de notre salut. Vous voyez l'étendue de ses promesses, vous connaissez la tendresse de son amour; venez donc à ce Dieu, prenez part à ses faveurs, emparez-vous de la grâce. Mais ce cantique, ce concert dont je vous parle, ne les croyez pas nouveaux a la manière d'un vase qu'on façonne, d'un édifice qu'on élève. Car ils étaient avant l'astre du jour. Au commencement était le Verbe, il était en Dieu, et le Verbe était Dieu. C'est l'erreur qui est ancienne, dites-vous, la vérité est nouvelle. Que des chèvres prophétiques fassent des Phrygiens un peuple très ancien ; que les poètes donnent aux Arcadiens une existence antérieure à la lune ; que les Égyptiens, à leur tour, nous racontent leurs rêves et prétendent que leur terre a vu naître les hommes et les dieux : toutefois aucun de ces peuples ne peut se vanter d'être avant ce monde. Eh bien ! nous étions avant qu'il fût fait, notre future existence était déjà déterminée; nous vivions dans la pensée de Dieu. Nous sommes les êtres raisonnables sortis du Verbe divin, l'éternelle raison ; nous tirons de lui notre origine. Par lui, nous sommes donc les premiers de tous; car le Verbe était au commencement. Il existait avant que les bases du monde fussent posées, dès lors il a toujours été ce qu'il est, le principe fécond, la pensée divine de toutes choses. Mais, comme il a voulu paraître sur la terre dans ces derniers temps, sous le nom de Christ, ce nom si saint, si auguste qu'il avait reçu dès les premiers jours, voilà pourquoi nous l'appelons le cantique nouveau, la doctrine nouvelle. [7] Ainsi donc le Verbe, c'est-à-dire le Christ, ne nous a pas seulement donné la vie, car il était en Dieu; mais il nous l'a donnée heureuse. Il a paru sur la terre, ce Verbe, seul tout à la fois, Dieu et homme, pour nous apporter tous les biens. A son école, les mœurs s'épurent, l'homme se sanctifie et passe à une vie éternelle, selon ces divines paroles d'un de ses apôtres : « La grâce du Sauveur s'est révélée à tous pour nous apprendre à renoncer à l'impiété et aux désirs du siècle, et à vivre dans le siècle avec tempérance, avec justice, avec piété, attendant toujours l'heureux objet de notre espérance, et l'avènement glorieux du grand Dieu, notre Sauveur Jésus-Christ. » Le voilà donc ce cantique nouveau chanté par le Verbe, qui n'était pas seulement au commencement, mais avant le commencement de toutes choses ; sa lumière a brillé sur nous : il vient d'apparaître, ce Dieu sauveur qui existait dès longtemps ; il s'est manifesté, celui qui est l'être renfermé dans l'être. Le Verbe qui était dans Dieu, le Verbe par qui tout a été fait, a paru sur la terre, il est devenu le précepteur des hommes. Comme créateur, il nous a donné la vie ; comme docteur, il nous apprend à bien vivre; comme Dieu, il nous ouvre l'éternité. Ce n'est point d'aujourd'hui qu'il s'est attendri sur nos maux, il les a pris en pitié dès les premiers jours du monde. S'il a paru dans les derniers temps, c'est que nous nous enfoncions dans la mort, nous allions périr. Car, jusqu'à ce jour, le perfide serpent n'a cessé, par ses funestes enchantements, de séduire les hommes et de les retenir dans la plus honteuse et la plus déplorable servitude. Sa cruauté ressemble à celle de ces rois barbares qui enchaînaient leurs captifs à des cadavres, les laissant pourrir ensemble dans cet affreux embrassement de la vie et de la mort. S'emparer de l'homme dès son berceau, comme fait le démon, ce cruel tyran, le prosterner au pied de vaines statues, de ridicules idoles, l'attacher par le lien honteux de la superstition à la pierre ou au bois, n'est-ce pas accoupler les vivants avec les morts et les jeter dans un commun tombeau pour s'y corrompre et pourrir ensemble ? Le séducteur n'a pas changé : vous le trouvez le même à toutes les époques ; comme il a entraîné autrefois Ève dans la mort, il y précipite encore aujourd'hui ses enfants ; mais le Verbe est toujours notre appui et notre vengeur. Le salut qu'il nous annonçait dès le commencement, d'une manière symbolique, mais aujourd'hui sans figure, et dans les termes les plus clairs, il nous presse de nous en emparer. [8] Fuyons, nous dit-il par un apôtre, fuyons le prince des puissances de l'air, fuyons l'esprit qui agit maintenant sur les enfants d'incrédulité; mais fuyons entre les bras du Dieu sauveur qui nous appelle au salut par tant de prodiges opérés dans la terre d'Égypte et dans le désert, tel que le buisson ardent, telle que la nuée lumineuse, esclave obéissante, qu'une grâce toute divine attachait aux pas des Hébreux. Les rebelles au cœur dur, il les presse par la crainte. Ceux qui savent écouter, il les amène par la raison à la raison même qui est le Verbe : il leur parle tantôt par Moïse, ce maître plein de sagesse, tantôt par Isaïe, cet ami de la vérité, enfin, par le chœur harmonieux de tous les prophètes. Là il emploie le reproche, ici la menace; il donne des larmes à ceux-ci, il charme ceux-là par ses chants. Médecin habile, il guérit les malades, les uns par une boisson amère, les autres par un doux breuvage. Il soulage la douleur, tantôt par un baume qui l'adoucit, tantôt par le fer qui ouvre la veine. Ailleurs il taille la plaie, ici il la brûle. Que ne fait-il pas pour guérir le membre qui souffre. Ce Dieu sauveur emploie tous les langages, essaye de tous les moyens pour amener l'homme au salut. Il avertit par ses menaces, il réveille par ses reproches ; il attire par ses chants, il s'attendrit et pleure lui-même. Il fait entendre sa voix du milieu d'un buisson, quand il faut le langage des prodiges ; il épouvante par le son de la colonne suspendue dans les airs ; il en fait jaillir la flamme, signe tout à la fois de colère et de clémence; flambeau qui éclaire l'homme docile, foudre qui écrase le rebelle. Mais, comme la bouche humaine est un interprète du ciel plus noble qu'un buisson ou une colonne, il a fait entendre la voix des prophètes, ou plutôt il parlait lui-même par Isaïe, par Élie, par d'autres hommes qu'il inspirait, et qui lui prêtaient leur voix. Si vous refusez d'ajouter foi aux prophètes, si vous placez et les hommes et le feu de la colonne ou du buisson au rang des fables, il parlera lui-même, ce Verbe qui, possédant la nature divine, n'a pas cru que c'était usurpation de sa part de s'égaler à Dieu, et qui s'est anéanti, Dieu de miséricorde, pour sauver l'homme. Homme, le Verbe lui-même te parle à haute voix, pour te faire rougir de ton incrédulité. Dieu fait homme, il t'apprend comment l'homme peut devenir Dieu. [9] Quelle conduite plus étrange que la nôtre ! Un Dieu nous exhorte sans cesse à la vertu, et nous repoussons le salut qu'il nous offre ; nous foulons aux pieds ses bienfaits. Jean ne nous presse-t-il pas d'accourir à ce Dieu ? A-t-il été autre chose qu'une voix qui ne savait que presser, exhorter les hommes? Demandez-lui, en effet, ce qu'il est ? d'où il vient? Il dit qu'il n'est pas Élie. Il déclare qu'il n'est pas le Christ, mais une voix qui crie dans le désert. Qu'est-ce donc que Jean? Nous pouvons le dire maintenant, c'est une voix, la voix du Verbe, qui exhorte sans cesse et crie dans le désert. Que proclamez-vous, ô voix! Parlez-nous aussi. Rendez droits les sentiers du Seigneur, nous dit-elle. Jean est donc le précurseur; c'est la voix qui précède le Verbe, c'est la voix d'exhortation qui ouvre le chemin du salut, c'est la voix qui appelle a l'héritage céleste. Par elle, la créature stérile et abandonnée est devenue féconde. Fécondité prédite par la voix de l'ange, qui fut un autre précurseur, annonçant la bonne nouvelle à la femme stérile, comme Jean l'annonçait au désert. Grâce à cette voix de salut, la femme stérile devient mère, et la terre qui ne donnait que des ronces produit des fruits. Ces deux voix qui précèdent le Seigneur, l'une de l'ange et l'autre de Jean, ne désignent-elles pas le salut tenu en réserve, et la vie éternelle, ce fruit de notre fécondité qui nous reste à cueillir, depuis que le Verbe a paru sur la terre ?L'Écriture réunit ces deux voix et nous explique tout le mystère par ces paroles : « Réjouis-toi, stérile qui n'enfantes pas ; Pousse des cris de joie, toi qui n'avais pas d'enfants; l'épouse abandonnée est devenue plus féconde que celle qui était mariée. » L'ange nous annonce un époux ; Jean nous montre tout à la fois un cultivateur et un époux ; car c'est le même qui épouse la femme stérile et qui cultive la terre abandonnée, fécondant et le désert et la stérilité par une vertu toute divine. La femme libre, je veux dire l'épouse, se glorifiait de ses nombreux enfants, mais son infidélité lui a ravi sa florissante postérité. Une autre épouse restait stérile, une terre restait sans culture, celle-ci reçut un cultivateur, celle-là un époux. L'une donne du fruit, l'autre des fidèles ; toutes deux fécondées par la vertu du Verbe. La stérilité et le désert sont encore le partage de ceux qui restent dans leur incrédulité. [10] C'est pourquoi Jean, le héraut du Verbe, nous annonce son avènement et veut que nous soyons prêts. Voilà ce que signifiait le silence de Zacharie, il attendait ce fruit précurseur du Christ. Le Verbe, cette lumière de vérité, devait, par l'Évangile, rompre le silence des obscurités prophétiques. Désirez-vous le voir, ce Dieu de vérité? Purifiez-vous comme il le demande. Il ne faut ici ni couronne de laurier, ni bandelettes de pourpre ou de laine. Que la justice, unie à la tempérance, soit votre parure ; que votre âme resplendisse de l'éclat de la vertu, et vous trouverez Jésus-Christ. Je suis la porte, dit-il, voilà ce qu'il faut apprendre à ceux qui veulent parvenir à la vérité, et par elle, voir s'ouvrir devant eux toutes les avenues du ciel. Les portes du Verbe ou de la raison sont intelligentes, et la clé qui les ouvre, c'est la foi. Nul ne connaît le Père, si ce n'est le Fils, et celui à qui le Fils aura bien voulu le révéler. Nul doute que celui qui nous a ouvert la porte auparavant fermée ne fasse briller à nos yeux les merveilles cachées au fond du sanctuaire; ceux que le Christ y conduit peuvent seuls les connaître. Lui seul nous découvre les mystères de Dieu. [11] CAP. II. (11) Ne vous occupez plus dès lors de ces repaires impies, de ces profondes cavernes habitées par le mensonge, ni de la chaudière de Thesprostis, ni du trépied de Cirra, ni de l'airain retentissant de Dodone. Laissez dans ces déserts de sable ce fameux chêne autrefois si vénéré, son oracle consulté de toutes parts et aujourd'hui dans l'oubli, avec l'arbre imposteur et tous ces contes d'une vieillesse en délire. Elle ne parle plus maintenant, votre fontaine de Castalie, elle se tait aussi, celle de Colophon ; toutes ces ondes prophétiques sont muettes, elles ont été, mais trop tard, publiquement dépouillées de leur faste orgueilleux, elles se sont écoulées, et avec elles toutes leurs fables. Vantez-nous encore, je vous le permets, vos autres oracles divins, ou plutôt délirants, tels que ceux de Python, de Didyme, d'Amphiaraüs, d'Apollon, d'Amphiloque; faites, si vous voulez, des êtres sacrés de tous ces imposteurs qui expliquent les prodiges, qui consultent le vol des oiseaux, qui interprètent les songes; amenez-moi devant votre Apollon ceux qui devinent les événements à l'inspection de l'orge et de la farine, vos ventriloques encore aujourd'hui si révérés; mais non, que les sanctuaires de l'Égypte, que les magiciens de l'Étrurie, qui évoquent les mânes, restent à jamais ensevelis dans leurs ténèbres. Quelle folie, quelle duperie, chez vous autres infidèles ! On fait servir à ce commerce d'imposture et de mensonge jusqu'aux chèvres, jusqu'aux corbeaux. On dresse les unes à deviner, les autres à répondre. [12] Et que sera-ce, si je mets aussi vos mystères au grand jour? Je ne les profanerai pas, je l'espère, comme on en fit autrefois le reproche au jeune Alcibiade. Je veux, par le Verbe de la vérité, dévoiler tout ce qui s'y cache d'imposture. Ceux qu'on appelle vos dieux et que vous honorez par ces mystères, je vais les mettre en scène et les livrer aux regards du spectateur qui verra la vérité. Voici d'abord des furieux qui, dans un pieux délire, au milieu des orgies de Bacchus, célèbrent un Dionysus Ménole, et dévorent en son honneur les chairs crues des victimes qu'ils viennent d'immoler et dont ils se partagent les lambeaux ; couronnés de serpents, ils hurlent d'une manière horrible le nom d'Ève. Serait-ce cette Ève par qui le mensonge est entré dans le monde ? Comme l'emblème des orgies bachiques est un serpent mystérieusement consacré, si vous faites bien attention au sens du terme hébreu, vous verrez que le mot Ève, fortement accentué, signifie serpent femelle. Cérés et Proserpine sont représentées dans une espèce de drame religieux. La ville d'Éleusis éclaire, la nuit durant, par des flambeaux leurs courses vagabondes, leur enlèvement, leur désespoir. [13] Je crois nécessaire de donner ici l'étymologie des mots orgies et mystères : orgie vient d'orgé, mot grec qui signifie colère et rappelle la fureur de Cérès contre Jupiter; mystère vient d'un autre mot grec qui veut dire exécration et rappelle la haine vouée à Bacchus : si vous aimez mieux qu'il dérive du nom d'un Athénien appelé Myon et tué à la chasse, selon le témoignage d'Apollodore, je ne vous envie plus des mystères dont l'origine et la gloire viennent d'un tombeau; libre à vous de faire venir le mot mystère de mutéria, qui signifie récit de chasse; il suffit de changer deux lettres. Aussi bien, ces récits et d'autres semblables sont des filets où viennent se prendre comme à la chasse ceux qui se distinguent, en Thrace par leur férocité, en Phrygie par leur démence, en Grèce par leur superstition. Qu'il périsse à jamais l'auteur de ce délire si funeste au genre humain; n'importe que ce soit ou Dardanus qui enseigna les mystères de la mère des dieux, ou Ection qui introduisit en Thrace les orgies avec leurs rites mystérieux, ou Midas de Phrygie qui répandit dans tous ses états les fables mensongères qu'il tenait d'un certain Odryse. Il ne me séduira pas, ce Cyniras de Chypre, qui, voulant à toute force faire une déesse de la plus fameuse courtisane de la contrée, n'eut pas honte de tirer des ténèbres et de produire au grand jour les voluptueuses orgies de Vénus. Quelques auteurs prétendent que c'est un certain Mélampe, fils d'Amythaon, qui apporta de l'Égypte dans la Grèce le culte de Cérès, dont le deuil est célébré par des hymnes et des élégies. Je regarde avec raison comme les fléaux du monde les inventeurs de toutes ces fables impies, de toutes ces funestes superstitions, ils ont jeté, par là, dans la vie humaine, les germes du crime et de la mort. [14] Mais le temps est venu de démasquer le mensonge et l'imposture. Si vous étiez du nombre des initiés, vous ririez, vous vous moqueriez plus que personne de tant d'absurdités si vénérées par le vulgaire. Oui, je mettrai au grand jour, sous les yeux de tous, ces mystères d'iniquité qui se cachent et s'enveloppent de ténèbres. Peut-on rougir de révéler ce que vous ne rougissez pas d'adorer? Cette fille de l'écume de la mer, née près de Chypre et les délices de Cyniras, je veux dire votre Vénus, surnommée Philomédée, parce qu'elle est née du phallus arraché à Uranus, et qui demeura tellement désordonné, tout séparé qu'il était du corps de ce dieu, qu'il fit violence à l'onde de la mer, ne redevient-elle pas, dans la célébration de ses mystères, la digne production de l'organe de la honteuse volupté ? Aussi présente-t-on, à ceux que l'on initie dans l'art de se prostituer, un peu de sel et un phallus comme symbole des voluptés de la mer et de sa noble progéniture ; les initiés, de leur côté, donnent à Vénus une pièce de monnaie, comme on donne à une courtisane le prix du crime. [15] Et les mystères de Cérès, que présentent-ils autre chose que l'incestueux commerce de Jupiter avec Cérès, dirai-je maintenant sa mère ou sa femme ? De là, dit-on, lui est venu le surnom de Brimo, qui veut dire furieuse. Que voyez-vous encore dans ces mystères? un Jupiter qui supplie, du fiel qu'on avale, un cœur qu'on arrache, et des turpitudes qu'on ne peut exprimer. Les Phrygiens célèbrent de semblables mystères en l'honneur d'Atys, de Cybèle et des Corybantes. On raconte que Jupiter arracha les testicules d'un bélier et les jeta dans le sein de Cérès, lui laissant croire qu'il s'était mutilé volontairement, pour expier sur lui-même l'outrage et la violence dont il s'était rendu coupable à son égard. Les glorieux symboles de cette initiation, qu'on étale si volontiers, nous feraient rire, malgré notre envie de pleurer, à la vue de vos mystères dévoilés. « J'ai mangé du tambour, répète-t-on, j'ai bu de la cymbale, j'ai porté la coupe, je suis entré secrètement dans le lit nuptial. » Les nobles symboles! les augustes mystères ! [16] Et le reste, vous le dirai-je ? Cérès conçoit de Jupiter et met au monde une fille qu'on appela Coré ou Proserpine; et voilà que ce Jupiter, après avoir corrompu la mère, corrompt la fille ; c'est ainsi qu'il répare son premier crime. Il est tout à la fois le père et le corrupteur de Coré; pour arriver à ses fins, il s'était caché sous la forme d'un serpent, de manière cependant qu'on put encore le reconnaître. Quel est, en effet, le symbole offert aux initiés dans les mystères bachiques ? Un dieu qui se glisse furtivement dans leur sein, et ce Dieu, c'est un reptile qu'on retire du sein des adeptes. Preuve incontestable de la lubricité de Jupiter; Proserpine accouche et met au monde un taureau, comme le chante un poète, fervent adorateur des idoles : « Le taureau est père du dragon et le dragon père du taureau : le pâtre cache son aiguillon dans la montagne. » Que veut-il faire entendre par cet aiguillon ? N'est-ce pas l'élégante férule que les prêtres du dieu entourent de feuillage ? [17] Vous rappellerai-je Proserpine cueillant des fleurs, sa corbeille, son enlèvement par Pluton, sa disparition dans un trou, les truies du pauvre Eubulus englouties sous la terre avec les deux déesses? Voilà pourquoi, dans les Thesmophores, on chasse des porcs à la manière des Mégariens. Les femmes, dans toutes les villes, célèbrent cette fable par différentes fêtes connues sous les noms de Thesmophories, de Scirrophories. Elles chantent l'enlèvement de Proserpine sur des tons divers et d'une manière tragique. Les mystères de Bacchus sont atroces; on raconte que les Corètes, dansant armés autour du jeune Bacchus, des Titans, qui s'étaient glissés dans l'assemblée, attirèrent l'enfant par l'appât de quelques petits présents, le saisirent et le mirent en pièces, comme nous l'apprenons du poète Orphée. Ils lui donnèrent, nous dit-il, un sabot, un disque, d'autres objets d'amusement qui exercent le corps, des pommes d'or cueillies dans le jardin des Hespérides. [18] Mettre sous les yeux les futiles symboles de ces mystères, n'est-ce pas les frapper du ridicule qu'ils méritent ? Eh bien ! boules, disque, sabot, pommes, miroir, toison, voilà ce que j'ai à vous offrir. Minerve, qui détacha furtivement le cœur de Bacchus et l'enleva, fut surnommée Pallas, du mot grec Pallein, qui veut dire remuer, agiter, parce que le cœur vibre et palpite. Les Titans, qui avaient mis en pièces le jeune dieu, jetèrent ses membres dans une chaudière placée sur un trépied, les firent bouillir, les passèrent à une broche, et les soumirent à l'action de Vulcain. Jupiter survint tout à coup, car, en sa qualité de dieu, il avait senti cette fumée de chairs rôties que vos dieux hument avec bonheur et dont ils s'honorent, ainsi qu'ils l'avouent eux-mêmes. Dans sa colère, Jupiter foudroya les Titans, et chargea Apollon d'ensevelir son père. Apollon obéit sur-le-champ. Il transporta les membres déchirés sur le mont Parnasse, où il leur donna la sépulture. [19] Voulez-vous vous arrêter un moment aux orgies des Corybantes ? Ils tuèrent leur troisième frère, enveloppèrent sa tête d'un lambeau de pourpre, et le portèrent ainsi couronné, sur un bouclier d'airain, au pied du mont Olympe, où ils l'ensevelirent. Voilà donc vos mystères, des meurtres, des funérailles! Les prêtres, appelés Anactolètes ou rois des sacrifices, par les hommes intéressés à leur donner ce nom, ajoutent des prodiges qui augmentent encore l'effroi. Ils défendent, par exemple, de servir sur la table du persil avec sa racine entière, parce que cette plante est sortie, disent-ils, du Corybante assassiné. Même superstition de la part des femmes qui célèbrent les Thesmophories; elles évitent, avec un soin extrême, de manger les pépins d'une grenade; elles croient que la grenade est née du sang de Bacchus. On appelle aussi les Corybantes, Cobires, du nom de ce frère qu'ils ont égorgé. Les deux fratricides, fuyant leur patrie, emportèrent avec eux la boite qui renfermait le phallus de Bacchus et s'établirent en Étrurie, colporteurs de cette précieuse marchandise; là, ils donnèrent de hautes leçons de vertu en exposant à la vénération publique la boite et ce qu'elle contenait. Quelques-uns croient, et leur opinion n'est pas dénuée de fondement, que Bacchus fut appelé Atys pour avoir été ainsi mutilé. [20] Faut-il s'étonner que les Étrusques, ces peuples barbares, se soient fait initier à ces honteux mystères, quand nous voyons Athènes et toute la Grèce, je rougis de le dire, adopter l'indigne et dégoûtante fable de Cérès. Elle avait longtemps erré, cherchant sa fille Proserpine; excédée de fatigue, abattue par la douleur, elle se reposa sur le bord d'un puits, près d'Éleusis, bourg de l'Attique. Tout ce que fit Cérés dans sa douleur est interdit aux initiés; on ne veut pas qu'ils se lamentent avec elle pendant les sacrifices. Éleusis était alors habitée par des indigènes dont voici les noms : Baubon, Dysaules, Triptolème, Eumolpus et Eubuleus. Triptolème était pâtre; Eumolpus, berger; Eubuleus, gardeur de pourceaux. D'EumoIpus sont descendus les Eumolpides et cette noble race d'interprètes sacrés qui florissaient à Athènes. Baubon (puisque j'ai commencé il faut continuer), Baubon reçut chez elle Cérès et lui présenta à boire un breuvage qu'elle venait de préparer. Cérès, dans sa douleur, refusa le breuvage et la coupe; Baubon ne peut supporter ce refus, elle se croit méprisée, et, soulevant sa robe, elle se montre avec impudeur aux yeux de la déesse : celle-ci s'épanouit à cette vue, et, dans sa joie, elle prend la coupe et la vide. [21] Voilà les mystères secrets de nos illustres Athéniens. C'est Orphée lui-même qui les décrit. Je citerai ses paroles, afin que les initiés connaissent l'Infamie de ces mystères par l'initiateur lui-même : « Elle dit, puis, écartant sa robe, elle découvre à Cérès ce qui ne se montre jamais ; le jeune Inachus était là; Cérès, mise en belle humeur, le jette entre les bras de Baubon ; lui souriant alors, et oubliant ses chagrins, elle accepte la coupe et boit le breuvage préparé. » Voici l'espèce de mot d'ordre des mystères d'Éleusis : j'ai jeûné, j'ai bu le breuvage, j'ai pris du panier, j'ai remis la coupe dans la corbeille et de la corbeille dans le panier. [22] Magnifique spectacle, digne d'une déesse, digne assurément de la nuit et du feu, bien digne de la race des Erechthides, si magnanime ou plutôt si vaniteuse, et je puis ajouter digne des autres Grecs, qui trouveront après le trépas un sort auquel ils sont loin de s'attendre ; du reste, Héraclite d'Éphèse annonce à ces coureurs de nuit, à ces magiciens, à ces bacchantes, à ces fanatiques, tout ce qui leur doit arriver; et, ce qu'il leur annonce, c'est le feu pour supplice. Les initiations à ces mystères sont des impiétés; rien de plus ridicule que les lois et l'opinion qui les consacrent; ces mystères du serpent ne sont qu'une erreur superstitieuse qui se déguise sous un vain masque de religion et couvre des rites affreux d'un extérieur de piété trompeur et adultère. Que recèlent ces corbeilles mystérieuses? Il est temps de dévoiler leurs sublimes secrets; vous y trouvez du sésame, des pyramides, des pelotes de laine, des gâteaux portant l'empreinte de plusieurs sortes de boucliers, des grumeaux de sel, ce n'est pas tout : vous y voyez encore le serpent, symbole de Bacchus bassarien, des grenades, de la moelle d'arbre, des férules avec du lierre, de la farine, enfin des pavots. Voilà ce que vous appelez de saints mystères. Ceux de Thémis ne sont pas moins vénérables dans leurs symboles : c'est de l'origan, c'est une lampe, c'est une épée, c'est un peigne, emblème honnête et mystérieux de ce qu'on ne saurait nommer ? honte ! ô impudeur qui ne sait pas rougir ! Autrefois la nuit prêtait ses voiles à la volupté; c'est elle maintenant qui révèle aux initiés les secrets de la débauche, le feu de mille flambeaux accuse toutes ces infamies. Éteins ces feux que tu portes à la main, misérable sycophante ! respecte ces flambeaux, cette lumière que tu portes à la main, elle trahit ton Inachus ; souffre qu'une nuit épaisse couvre sa turpitude, honore les orgies du voile des ténèbres; le feu ne sait pas feindre : il accuse, il punit, il exécute l'ordre qu'il a reçu. [23] Voilà les mystères des athées. C'est à bon droit que j'appelle de ce nom des hommes qui vivent dans l'ignorance du vrai Dieu, et vont porter leurs adorations, le dirai-je ? à un enfant mis en lambeau, à une femme qui se lamente, aux parties du corps pour lesquelles la pudeur n'a pas de nom. Ils sont coupables d'une double impiété; d'abord ils ne connaissent pas Dieu, puisqu'ils ignorent quel est le véritable, et, par une suite de cette erreur, ils supposent l'existence à ce qui ne l'a pas. Ils se font des dieux de je ne sais quels êtres chimériques, qui ne sont qu'un vain nom; aussi l'apôtre nous disait, pour humilier notre orgueil : « Vous étiez étrangers à l'alliance divine, sans espérance, sans dieu dans ce monde. » [24] Gloire et honneur au roi des Scythes ; il s'appelait, je crois, Anacharsis, mais n'importe le nom; ce roi perça de ses flèches un de ses sujets qui, pour introduire dans la Scythie les mystères de la bonne déesse en honneur à Cyzique, battait du tambour, et faisait retentir la sonnette pendue à son cou, imitant le prêtre qui fait la quête du mois. Corrompu par les arts de la Grèce, il voulait communiquer à ses compatriotes les mœurs efféminées qui l'avaient amolli. Il faut que je dise ici toute ma pensée ; je ne puis voir sans étonnement qu'on nous donne pour des athées certains philosophes, tels qu'Evemère d'Agrigente, Nicanor de Chypre, Mélius d'Hippone, Diagoras, Théodore de Cyrène, plus rapproché de notre époque, et beaucoup d'autres d'une vie sage et réglée, dont l'œil pénétrant démêlait mieux que le reste des hommes tout le faux de l'idolâtrie; s'ils n'ont point découvert la vérité, du moins ils ont signalé l'erreur. Germe précieux, ou plutôt aurore naissante de la grande lumière qui devait se lever sur ces intelligences ! Un de ces philosophes disait aux Égyptiens : « Si de votre Apis vous faites un dieu, ne le pleurez pas; si vous le pleurez, n'en faites pas un dieu. » Un autre, qui faisait cuire quelque légume à son foyer, prit un Hercule de bois et lui dit : « Allons, Hercule, un peu de complaisance, soutiens pour moi un treizième combat, tu en as bien soutenu douze pour Eurysthée ; sers à préparer le dîner de Diagoras, » et aussitôt il le jette au feu comme un bois inutile. [25] Les deux extrêmes de l'ignorance sont l'impiété et la superstition, c'est à les éviter que doivent tendre nos efforts; aussi Moïse, cet interprète sacré de la vérité, veut qu'on tienne à distance de l'assemblée du peuple de Dieu l'eunuque de naissance, l'homme mutilé et le fils de la courtisane ; par les deux premiers il entend l'athée, l'homme sans Dieu et dès lors sans principe de vie; par le dernier, il désigne l'idolâtre qui se crée une multitude de dieux à la place du seul vrai Dieu, à peu près comme le bâtard adopte plusieurs pères faute de connaître son véritable père. Il existait autrefois entre le ciel et l'homme une société toute naturelle qui fut longtemps comme violée et interrompue par l'ignorance, mais qui tout à coup s'est dégagée des ténèbres et a brillé d'un nouvel éclat. Cette alliance du ciel et de la terre est ainsi exprimée par un poète : « Le voyez-vous ce ciel immense, qui de ses bras humides embrasse la terre? » Parlant du Dieu du ciel, il s'écrie: « Ô vous qui avez la terre pour char, et votre trône au-dessus de la terre, qui que vous soyez, l'homme ne peut vous voir. » Mais pourquoi d'autres maximes aussi fausses que pernicieuses sont-elles venues détourner d'une vie céleste l'homme, enfant des cieux, en égarant, vers des objets terrestres, son cœur et sa pensée? [26] Les uns, ne prenant conseil que de leurs yeux, et trompés par l'aspect du ciel et le mouvement des astres, les déifièrent dans les premiers transports de leur admiration. Croyant qu'ils marchaient, ils les appelèrent des dieux; de là les honneurs divins que l'Inde rendit au soleil, et la Phrygie à la lune. D'autres, plus charmés des productions de la terre qui nous servent de nourriture, ont adoré le blé, sous le nom de Cérès, la vigne, sous le nom de Bacchus, l'une eut des autels dans Athènes, l'autre dans Thèbes. Ceux-là, frappés des maux qui marchent à la suite du crime, ont déifié le malheur et le châtiment. Les poètes tragiques imaginèrent des Furies, des Euménides, des Mânes, des dieux infernaux et vengeurs du crime. Plusieurs philosophes ont imité les poètes, en faisant des divinités de certaines affections de l'âme, telles que l'amour, la crainte, la joie, l'espérance; comme Épimenide l'ancien, qui dressa dans Athènes des autels à l'outrage et à l'impudeur. L'imagination, selon les circonstances, a personnifié d'autres êtres moraux et en a fait des dieux, comme les Furies, Clotho, Lachésis, Atropos, Auxo, Thallo, ces divinités d'Athènes. Une sixième cause introduisit de nouveaux dieux; on en compte douze qui lui doivent leur origine, sans comprendre les divinités qui appartiennent à la théogonie d'Hésiode et celles qui composent la théologie d'Homère. Reste une septième et dernière source, je veux parler de la reconnaissance pour des bienfaits signalés, rendus à l'humanité. Les hommes, dans leur ignorance du Dieu dispensateur de tous biens, admirent des Dioscorides sauveurs, un Hercule, fléau des monstres, un Esculape, médecin. [27] Voilà par quelles voies glissantes et périlleuses l'homme, s'écartant de la vérité, tomba du ciel dans un abîme. Je veux maintenant vous placer en face de vos dieux pour que vous les connaissiez à fond et que, sortant des voies de l'erreur, vous repreniez le chemin du ciel : « Nous aussi nous étions des enfants de colère, dit l'apôtre; mais Dieu, riche en miséricordes, dans l'excès de son amour pour nous, nous a vivifiés par le Christ lorsque nous étions morts par le péché. » Car le Verbe vivant et enseveli avec le Christ est aujourd'hui élevé en gloire avec Dieu. Ceux qui restent incrédules sont appelés enfants de colère, parce que la colère du ciel est leur partage, dès lors qu'ils repoussent le bienfait de la grâce; nous ne sommes plus enfants de colère parce que brisant les liens de l'erreur nous nous sommes jetés avec transport entre les bras de la vérité, autrefois enfants d'iniquité, aujourd'hui vrais fils de Dieu, grâce à la clémence du Verbe. « Prenez donc pour vous seuls les paroles du poète d'Agrigente, lorsqu'il s'écrie : « Infortunés que tourmente sans cesse l'aiguillon des remords, où trouverez-vous un baume salutaire à d'amères douleurs? » Presque tout ce qu'on rapporte de vos dieux est fiction et mensonge, ce qui passe pour vrai appartient à des hommes dégradés qui vécurent dans le crime. « Néants superbes, en quittant le chemin de la vérité vous n'avez plus de route certaine, vous fuyez à travers des ronces et des épines. Pourquoi donc errer à l'aventure? renoncez à toute étude vaine, laissez la nuit, saisissez la lumière. » Voilà ce que vous dit la Sibylle poète et prêtresse tout à la fois. Voilà ce que vous répète la vérité elle-même qui vient aujourd'hui faire tomber ces masques horribles et effrayants, sous lesquels se cachent vos dieux sans nombre, et qui réfute tant d'erreurs que des ressemblances de noms avaient introduites. [28] Vous avez des auteurs qui parlent de trois Jupiters, l'un né de l'air, en Arcadie; les deux autres de Saturne : l'un de ceux-ci naquit en Arcadie comme le premier, l'autre en Crète. Quelques-uns comptent jusqu'à cinq Minerves ; la première était d'Athènes et fille de Vulcain ; la deuxième, d'Égypte et fille de Nilus; la troisième, fille de Saturne, passe pour avoir inventé l'art de la guerre ; la quatrième naquit de Jupiter, les Messéniens la nomment Coryphasie, du nom de sa mère; la dernière reçut le jour de Pallas et de Titanis, fille de l'Océan : celle-ci, monstre d'impiété, égorgea son père et se fit de sa peau, comme d'une toison, une horrible parure. Aristote reconnaît un premier Apollon, fils de Vulcain et de Minerve, ainsi Minerve n'est plus vierge; un deuxième, né en Crète et fils de Corybas; un troisième, fils de Jupiter ; un quatrième, Arcadien et fils de Silène, les Arcadiens l'appellent Nomius; il parle après ceux-ci d'un Apollon Libyen, fils d'Ammon. Le grammairien Didyme en ajoute un sixième, fils de Magnès; et combien d'autres Apollons ne compterons-nous pas aujourd'hui ! Elle est innombrable la multitude de ces mortels bienfaiteurs de leurs semblables et appelés du même nom que ceux qui précèdent. [29] Faut-il énumérer tous les Esculapes, tous les Mercures, tous les Vulcains dont parlent vos fables? Ce serait me rendre fastidieux et fatiguer vainement vos oreilles d'une foule de noms. Suivez de près vos dieux : patrie, profession, vie, tombeau, tout vous convaincra que c'étaient des hommes. Ce Mars, si célèbre chez vos poètes, ce dieu sanguinaire, destructeur des villes, fléau de l'humanité, transfuge de tous les partis, ennemi juré de la paix, était de Sparte; selon le témoignage d'Épicharme, Sophocle veut qu'il soit né en Thrace, d'autres en Arcadie; si on en croit Homère, il fut enchaîné pendant treize mois. « Mars, dit-il, essuya cet affront. Oetus et le brave Ephiastes, fils d'Aloës, le lièrent avec une forte chaîne : il resta treize mois garrotté dans une prison d'airain. » Honneur aux habitants de la Carie, qui lui sacrifient des chiens ! Pour vous Scythes, continuez d'immoler des ânes à ce dieu. Apollodore et Callimaque nous apprennent que Phœbus voit à son lever les contrées hyperboréennes offrir des ânes au dieu Mars. Phœbus, disent-ils ailleurs, se réjouit de ces gras et succulents sacrifices. Vulcain, que Jupiter précipita de l'Olympe, tomba du séjour de la lumière dans l'île de Lemnos, où il se fit forgeron, ne pouvant plus marcher ; ses jambes brisées fléchissaient sous lui, dit un poète, [30] vous n'avez pas seulement un forgeron parmi vos dieux, vous avez aussi un médecin, mais un médecin qui aime l'argent. Il s'appelle Esculape; j'emprunte ici les paroles du poète de la Béotie, je veux dire Pindare. Ce dieu se laissa séduire par l'éclat de l'or qu'on fit briller à ses yeux et qui lui fut promis s'il voulait rappeler un mort à la vie; mais à l'instant même le fils de Saturne foudroya le dieu avare et le mort ressuscité : la foudre embrasée les étouffa tous deux. Écoutez les plaintes d'un personnage d'Euripide : « Oui, Jupiter a fait mourir son fils Esculape, il l'a écrasé de son tonnerre, le corps sillonné de la foudre est enterré dans les plaines de Cynosyris. » On lit dans Psilochore que Neptune est révéré à Ténédos, comme médecin, que Saturne fut transporté en Sicile, où il reçut les honneurs de la sépulture. Patrocle de Thurium et Sophocle-le-jeune, racontent dans trois tragédies l'histoire des Dioscorides. C'étaient des hommes mortels comme nous, s'il en faut croire Homère ; la terre de Lacédémone, nous dit-il, les enferme dans son sein; cette patrie leur fut toujours chère. Selon l'auteur d'un poème sur l'île de Chypre, Castor était mortel, le destin l'avait dévoué à la mort comme le reste des hommes ; mais Pollux, en qualité de fils de Mars, reçut le privilège de l'immortalité. Je ne vois ici qu'une fiction poétique ; ce que dit Homère des dieux fils de Léda me parait plus digne de foi. Ce même poète fait d'Hercule une simple idole: « Hercule, dit-il, ce héros fameux par tant d'exploits. » D'après ces paroles, nul doute qu'aux yeux d'Homère, Hercule ne fût qu'un homme. Le philosophe Jérôme, qui a tracé son portrait, remarque qu'il était d'une petite taille et d'une grande force, et qu'il avait les cheveux crépus. Selon Dicœarque, il était svelte, nerveux, noir; il avait le nez aquilin, les yeux bleus, les cheveux épais; il vécut cinquante-deux ans, et finit sa vie par les honneurs du bûcher sur le mont Oeta où se firent ses funérailles. [31] Voulez-vous savoir ce qu'étaient les Muses, ces filles de Jupiter et de Mnémosyne, selon Alexandre, révérées comme déesses par les poètes et les autres écrivains, invoquées par toutes les villes qui leur élevèrent des temples? C'étaient des esclaves qui furent achetées par Mégaclo, fille de Macar, roi des Lesbiens, toujours en querelle avec sa femme. Mégaclo était malheureuse du sort cruel de sa mère ; que ne devait-elle pas souffrir en effet? Il lui vint a la pensée d'acheter ces esclaves au nombre de neuf. Elle les appelle Muses, d'un mot grec emprunté au dialecte éolien, et leur apprit à chanter les exploits des anciens héros et à s'accompagner de la guitare ; la douceur de leurs voix et la mélodie de leurs accords charmaient Macar et calmaient sa colère. Mégaclo, reconnaissante pour sa mère, qui n'avait plus à souffrir de son mari, leur éleva des statues de bronze et leur fit rendre des honneurs divins dans tous les temples. Voilà ce qu'étaient les Muses. C'est Myrsille de Lesbos qui nous apprend leur histoire. [32] Connaissez maintenant les amours de vos dieux, leur incroyable intempérance selon la fable; sachez leurs blessures, leurs chaînes, leurs joies, leurs combats, que dirai-je encore? servitude, festins, embrassements, larmes, passions, grossières voluptés; sachez tout. Appelez ici Neptune et tout le chœur des Néréides qu'il a déshonorées, Amphitrite, Amymôme, Alope, Mélanippe, Alcyon, Hyppothoé, Chione et tant d'autres dont la multitude innombrable ne suffisait pas à sa lubricité. Appelez Apollon, je veux parler de Phœbus, ce chantre si pur, ce conseiller si sage ; mais ce n'est pas ce que vous diront Stérope, Aréthuse, Arsinoé, Zeuxippe, Prothoé, Marpisse, Hypsipyle, car Daphné seule put échapper au devin et à l'outrage. Qu'il vienne après tous les autres ce grand Jupiter, que votre suffrage honore du titre de père des dieux et des hommes ; il était si voluptueux qu'il se jetait sur toutes les femmes et assouvissait sur toutes sa lubricité ; il n'était rien moins pour elles que le bouc à l'égard des chèvres du pays des Thmuites. [33] Divin Homère, vos poèmes me transportent. Selon vous, « le fils de Saturne, aux yeux d'azur, fait un signe de tête, il agite sa chevelure d'ambroisie sur son front Immortel, et l'Olympe tremble dans sa vaste étendue. » Homère, vous faites Jupiter bien grand, vous lui supposez un mouvement de tête d'une majesté imposante. Mais, mon cher Homère présentez-lui la moindre occasion, et le voilà aussitôt qui se dément, et voilà sa belle chevelure couverte d'ignominie ! A quels excès ne se porta point ce Jupiter, qui passa tant de nuits voluptueuses avec Alcmène? et qu'était-ce que neuf nuits pour son incontinence ! il eût trouvé trop courte une vie tout entière passée dans les voluptés qui nous ont donné le dieu destructeur des monstres. Or, ce fils, ce vrai fils de Jupiter, conçu dans cette longue nuit, cet Hercule qui n'acheva ses douze travaux qu'après un long temps, n'eut besoin que d'une seule nuit pour déshonorer les cinquante filles de Testius. C'est ainsi qu'il fut tout à la fois le corrupteur et le mari de tant de jeunes vierges : aussi les poètes l'appellent avec raison un infâme, un misérable. Je ne rappellerai ni ses adultères, ni ses turpitudes avec de jeunes enfants : l'énumération nous mènerait trop loin. Vous saurez que la lubricité de vos dieux n'a pas même épargné l'enfance : l'un aima Hylas, l'autre Hyacinthe, celui-ci Pélops, celui-là Chrysippe, cet autre Ganymède. Femmes, adorez ces dieux, demandez des maris aussi chastes dans leurs mœurs; jeunes enfants croissez dans la piété envers ces mêmes dieux, devenez hommes à leur sainte école, qui place sous vos yeux l'image de tous les crimes. Oui, je l'accorde, me dira-t-on, les dieux mâles donnent dans tous les excès de l'incontinence; mais Homère nous assure que les déesses retirées dans leurs palais sont des modèles de pudeur, qu'elles rougissent jusqu'au fond de l'âme du scandale donné par Vénus surprise en adultère. Eh bien ! ces déesses mènent une vie plus dissolue ; elles vivent elles-mêmes en adultère, l'Aurore avec Tithon, La Lune avec Endymion, Néris avec Aeacus, Thétis avec Pelée, Cérès avec Jason, Proserpine avec Adonis. Vénus, après le déshonneur imprimé sur son front par sa conduite avec Mars, ne garde plus de mesure : elle passe entre les bras de Cinyras, elle épouse Anchise, elle attire Phaëton dans ses pièges; elle aime Adonis. Elle fut aussi la rivale de Junon. Ces deux déesses, pour avoir la pomme d'or, ne rougissent pas de se livrer toutes nues aux regards du berger qui devait juger quelle était la plus belle. [34] Disons un mot de vos combats, de vos réunions solennelles près des tombeaux. Je veux parler des jeux isthméens, néméens, pythiens, olympiques. A Pytho on adore le serpent pythien; il a donné son nom au concours qu'il attire. Près de l'isthme, la mer avait rejeté un cadavre informe et défiguré ; c'était celui de Mélicerte. Aussi pleure-t-on Mélicerte dans les jeux isthméens. A Némé, on avait rendu les derniers devoirs au jeune Arquémore, et on appela néméens les combats livrés près de sa tombe. Et votre fameuse ville de Pise ! ô Grecs! est-elle autre chose que le tombeau d'un cocher de la Phrygie? N'est-ce pas le Jupiter de Phidias qui donne aux jeux olympiques toute leur importance, grâce encore à on tombeau, à celui de Pélops? On peut croire que vos mystères, aussi bien que vos oracles, étaient des combats institués pour honorer les morts. Ils eurent ensuite, les uns et les autres, une grande duplicité. Les mystères qui se célèbrent à Sagra et dans Alimonte, bourg de l'Attique, n'ont point d'influence hors d'Athènes. Mais les jeux et les phallus consacrés à Bacchus ont corrompu le mœurs publiques et sont l'opprobre du monde entier. Bacchus désirait descendre aux enfers; mais comment y descendre? il n'en sait pas le chemin. Un certain Prosymnus s'offrit de l'indiquer, moyennant une récompense, honteuse en elle-même, mais belle aux yeux de Bacchus. C'est une turpitude infâme qu'il lui demandait. Le dieu ne rejette pas la proposition : il s'engage par serment à accomplir les conditions voulues, s'il échappe aux dangers du voyage. Instruit du chemin, il part et revient ; mais il ne retrouve plus Prosymnus, il était mort. Bacchus, pour s'acquitter envers lui, se rend à son tombeau, taille un rameau de figuier en forme de phallus, et remplit sa promesse par une obscénité qu'on n'ose nommer. Les phallus, érigés en l'honneur de Bacchus dans toutes les villes, sont un monument mystérieux de cette infamie. « Ceux qui ne fêtent point ce dieu et ne chantent point d'hymnes en son honneur, dit Héraclite, sont outragés dans leurs parties secrètes avec la dernière indécence. » Voilà ce Cladon, voilà ce Bacchus qu'on honore par des transports de fureur et de délire, moins, je crois, pour le plaisir de l'ivresse que pour se conformer à l'usage de ces honteuses cérémonies, qui dans le principe furent établies en mémoire de certains mystères de débauche. [35] Ainsi donc, vous vous faites des dieux d'hommes esclaves de leurs passions; mais plusieurs furent, à la lettre, de vrais esclaves, comme les Ilotes chez les Lacédémoniens. Est-ce qu'Apollon ne fut pas esclave d'Admète à Phères; Hercule d'Omphale à Sardes? Est-ce que Neptune n'était pas aux gages d'un Laomédon de Phrygie, aussi bien qu'Apollon, qui fut traité en esclave inepte et ne put obtenir d'un premier maître d'être mis en liberté? Par ces dieux esclaves furent relevés les murs de Troie. Homère n'a pas craint de dire que Minerve, un flambeau d'or à la main, marchait devant Ulysse pour l'éclairer. Nous lisons que Vénus remplissait près d'Hélène le rôle d'une servante déhontée; qu'elle approcha d'elle un siège en face de son amant adultère pour l'inviter au crime. Panyasis parle de plusieurs autres dieux qui furent, comme ceux-ci, les très humbles valets des hommes. Voici ses paroles : « Cérés essuya cet affront aussi bien que le célèbre Vulcain, aussi bien que Neptune, et Apollon à l'arc d'argent. Ils furent contraints de servir pendant un an de faibles mortels. Le fier Mars lui-même ne put s'affranchir de cette loi imposée par son père. » [36] Il raconte d'autres faits qui suivent ceux-ci. Il faut aussi vous faire voir ces mêmes dieux, languissant d'amour, en proie à de violentes passions et à tous les maux qu'éprouvent les hommes, ils avaient un corps mortel : c'est Homère qui nous l'apprend, et il le prouve quand il introduit sur la scène Vénus blessée et poussant d'horribles cris ; quand il nous montre Mars lui-même percé au ventre par Diomède. Ornyte, selon Polémon, ensanglanta Minerve. Pluton lui même fut atteint d'une flèche lancée par Hercule, ainsi que nous l'apprenons encore d'Homère. Panyasis raconte un semblable exploit d'Augéas d'Élée. Il dit aussi que le même Hercule fit couler dans les sables d'Ilos le sang de Junon, qu préside aux mariages ; mais il était juste que cet Hercule eût son tour : aussi Sosibius nous le montre blessé à la maison par les enfants d'Hippocoon. S'il y a des blessures, il y a du sang. Et quel sang ! c'est le jus noir de tous; ce sang que les poètes appellent ichor est un sang corrompu. D'après cela il faut des soins, des aliments, mille autre choses indispensables : aussi je vois qu'il est question de festins, qu'on parle d'ivresse, de joie, de voluptés. Et pourquoi de ces voluptés d'hommes, pourquoi des enfants, pourquoi du sommeil, s'ils ne connaissent ni mort, ni besoin, ni vieillesse? Jupiter, en Éthiopie, partagea la table d'un mortel, table barbare, impie : il avait été reçu par l'Arcadien Lycaon, et là il se rassasia de chair humaine. Il faut tout dire, c'était contre son gré : ce dieu ne savait pas que cet hôte lui avait servi son propre fils, qu'il venait d'égorger : Nyctime était son nom. [37] L'admirable personnage, que ce Jupiter, savant dans l'avenir, hospitalier, favorable aux suppliants, plein de clémence, adoré des mortels, vengeur des crimes ! Disons plutôt injuste, sans frein, sans pitié, sans loi, violent, atroce, impudique, corrupteur, adultère. Et pouvait-il être autre chose, puisqu'il était homme ? Il me semble que toutes vos fables ont bien vieilli : Jupiter n'est plus ni dragon, ni cygne, ni aigle. Ce n'est plus un homme livré à l'amour, ni un dieu qui vole sous la forme d'on oiseau. Il ne cherche plus de jeunes enfants, il n'est plus prodigue de tendresse, il n'use plus de violence, bien qu'il existe grand nombre de femmes plus gracieuses que Léda, plus belles que Sémélé; une multitude de jeunes adolescents mieux faits et mieux élevés que le pâtre de Phrygie. Où est maintenant l'aigle, où est le cygne, où est Jupiter lui-même? Il a vieilli avec ses ailes d'emprunt. Ce n'est pas qu'il se repente de ses amours, ni qu'il ait appris la tempérance ; mais toute l'imposture vous est aujourd'hui dévoilée. Léda est morte, l'aigle est mort, le cygne est mort. Cherchez votre Jupiter, mais pour cela ne montez pas au ciel : fouillez la terre. Callimaque de Crète vous dira, dans ses hymnes, où il est enterré. «Grand roi, s'écrie-t-il, les Crétois vous ont élevé un tombeau. » Car il est mort comme Léda, comme le cygne, comme l'aigle, comme le serpent; il est mort comme meurt l'homme, et l'homme voluptueux. [38] Si je ne me trompe, les esprits nourris de tant d'absurdités sont amenés aujourd'hui, en dépit de leurs passions, à reconnaître combien grandes étaient leur erreurs sur leurs dieux, témoin ce vers d'Homère: «Vous n'êtes sorti ni d'un chêne antique, ni d'un rocher, mais de la race des hommes. » Cependant vous les verrez dans l'exacte vérité, chêne et pierre. Staphyle dit qu'on adore à Sparte un certain Agamemnon sous le nom de Jupiter. Phanocle, dans son livre intitulé Des Amours ou des Beautés, rapporte qu'Agamemnon, roi des Grecs, fit élever le temple de Jupiter Argyne en l'honneur d'un jeune homme de ce nom qu'il aimait éperdument. « Les Arcadiens, dit Callimaque dans son Livre des Causes, adorent une Diane qu'on surnomme l'étouffée. Une autre Diane est honorée à Methymne sous le nom de Condylite. » Sossibius nous apprend qu'un temple est élevé, dans la Laconie, à Diane la goutteuse. Polémon parle d'un Apollon béant, d'un Apollon buveur, dont la statue se voit en Élide. Les Éléens sacrifient aussi à un Jupiter chasse-mouche. Les Romains donnaient ce surnom à Hercule, et lui sacrifiaient, ainsi qu'à la Peur et à la Fièvre, qu'ils mettaient au nombre de ses compagnons. Je ne parle pas des Argiens, adorateurs, comme les habitants de la Laconie, d'une Vénus qui pille les tombeaux; ni des Spartiates, qui se prosternent devant une Diane appelée la tousseuse. [39] D'où pensez-vous que nous tirons ces faits ? nous les empruntons aux ouvrages que vous lisez tous les jours. Refuserez-vous de reconnaître vos écrivains parce qu'ils s'élèvent ici comme des témoins qui déposent contre votre incrédulité? Infortunés qui livrez à ces futilités impies votre vie tout entière, dès lors elle n'est plus la vie! N'a-t-on pas adoré dans Argos un Jupiter chauve, et dans Chypre un Jupiter vengeur? Les Argiens ne sacrifient-ils pas à Vénus la rôdeuse ; les Athéniens, à Vénus la courtisane; les Syracusains, à Vénus Calllpyge? Le poète Nicandre se sert d'un mot qu'on ne peut répéter. Je passe sous aliénée un Bacchus choiropsale : Sycone l'adore comme le président des parties secrètes de la femme, comme l'inspecteur des turpitudes, comme le protecteur de toutes les saletés de la débauche. Voilà, d'un côté, vos dieux; voilà, de l'autre les hommes qui se jouent de la Divinité, ou plutôt qui s'abusent eux-mêmes et se couvrent d'infamies. J'aime mieux l'Égypte avec ses grossiers animaux qu'elle adore dans les villes et dans les campagnes, que la Grèce avec les dieux que je viens de vous montrer. Ceux de l'Égypte ne sont que des bêtes brutes, et non des adultères, des monstres d'impureté. Aucun des dieux égyptiens ne confiait ces honteuses voluptés qui font rougir la nature. Je n'ajoute plus rien à ce que j'ai dit des dieux de la Grèce; vous les connaissez suffisamment. Je parle maintenant des dieux de l'Égypte. On compte dans cette contrée une multitude de cultes et de religions. Sienne adore le poisson Pogra; Eléphantine, le poisson Méote; Oxyrine, le poisson dont elle a pris le nom; Héracléopolis, l'ichneumon; Sais, un mouton; Lycopolis, un loup ; Cynopolis, un chien ; Memphis le bœuf Apis; Mendès, un bouc. Vous autres Grecs, bien supérieurs aux Égyptiens (pour moi, je n'ose pourtant pas dire que je vous mets fort au-dessous d'eux), vous qui les plaisantez tous les jours, qu'êtes-vous donc? ne rendez-vous aucun culte aux animaux ? Mais la Thessalie adore les cigognes : c'est un culte reçu des ancêtres. Mais les Thébains adorent les belettes; ils croient qu'une belette aida Hercule à venir au monde. Que dirai-je ! est-ce que les Thessaliens n'adorent pas aussi les fourmis? La fable leur a fait croire que Jupiter avait pris la forme de cet insecte pour s'approcher d'Euryméduse, cette fille de Clitor dont il eut Myrmidon. Poléraon raconte que les habitants de la Troade révèrent les souris de leurs contrées appelées smynthes; et la raison de ce culte, c'est que les souris rongèrent les cordes des arcs de leurs ennemis : de là le surnom de Smynthe donné à l'Apollon troyen. Héraclide, dans son livre sur la construction du temple de l'Arcanie, où se trouve le promontoire d'Actium et le temple d'Apollon Actius, rapporte qu'on immolait un bœuf aux mouches, et que ce sacrifice précédait tous les autres. Je ne tairai pas les Sauriens, qui, selon Euphorion, adorent une brebis; ni les habitants de la Phœnosyrie, dont les uns adorent des colombes et les autres des poissons. Ces derniers déploient dans leur culte autant de pompe que les Éléens dans celui de Jupiter. [40] Je vous ai assez fait voir que ce ne sont point des dieux que vous adorez. Mais il importe d'examiner si ce ne seraient pas des démons que vous regardez comme dieux secondaires. Si les démons sont des esprits impurs, d'insatiables gloutons, dans chaque ville vous avez de ces démons indigènes qui se font rendre des honneurs divins : ainsi Edemus chez les Cythiens, Cailistagoras à Ténos, Anius en Élide, Strablacos en Laconie. A Phalères, on adore un héros représenté sur la poupe d'un navire. A l'époque où l'on se battait avec tant d'acharnement contre les Mèdes, la Pythie ordonna aux Platéens de sacrifier à Androcrate, à Démocrate, à Cycles, à Leucon. Si vous voulez y faire attention, vous trouverez bien d'autres démons semblables. «La terre, dit Hésiode, compte jusqu'à trois fois dix mille esprits immortels qui veillent à la garde de l'homme. » Ces gardiens que sont-ils ? Veuilles nous l'apprendre, grand poète de la Béotie ! Il est clair que ce sont les démons dont je viens de vous parler. Apollon, Diane, Latone, Cérès, Proserpine, Pluton, Hercule, Jupiter, qui reçoivent de plus grands honneurs, sont des démons d'un ordre plus relevé ? vieillard d'Ascra ! Ils nous gardent, et pourquoi? Est-ce de peur que nous ne nous sauvions, ou plutôt, exempts de crimes, ne veulent-ils pas nous conserver purs? Alors on pourrait dire comme le proverbe : le père incorrigible veut corriger son fils. [41] Ah ! s'ils nous protègent, assurément ce n'est point parce qu'ils nous aiment ; ce sont de vrais flatteurs qui veulent notre perte et s'attachent à nous, attirés par l'odeur des sacrifices. Sachez leur gourmandise, ils ne s'en cachent point : la vapeur des libations et des victimes, s'écrient-ils, est un tribut d'honneur qui nous appartient. Et si les dieux de l'Égypte (je veux dire les chats et les belettes) pouvaient parler, ne tiendraient-ils pas le langage d'Homère, ce langage si poétique, tout parfumé de l'odeur des viandes et plein d'amour pour l'art qui les apprête ? Voilà vos génies, vos dieux, ceux que vous nommez demi-dieux, comme on appelle mulets les demi-ânes; car vous ne manquez pas de termes pour exprimer ces alliances impies. [42] CAP. III. (42) Ajoutons que vos dieux sont des génies cruels, ennemis des hommes : non contents de les aveugler et de les corrompre, ils se font du carnage et du meurtre une sorte de volupté. Les combats sanglants du cirque, les innombrables batailles où des nations s'entretuent pour le fantôme de la gloire, font les délices de ces dieux, qui se repaissent à loisir de sang et de carnage. Lorsqu'ils tombent sur des peuples ou sur des villes comme des fléaux dévastateurs, ils en exigent des libations de sang humain. Le Messénien Aristomène immole à Jupiter Ithomète trois cents hommes, et se croit fort agréable au ciel par cette hécatombe, qui comptait une noble et illustre victime, Théopompe, roi de Lacédémone. Les habitants de la Chersonèse taurique sacrifient à l'Artémise de la contrée tous les étrangers qu'ils peuvent saisir quand la mer les jette sur leurs parages. Euripide, votre poète tragique, a mis en scène l'inhumanité de ces sacrifices. Monime, dans son livre des Merveilles, rapporte qu'à Pella, ville de la Thessalie, on immole un Achéen à Pelée et à Chiron. Nous savons d'Anticlide, dans son livre intitulé des Retours, que les Lyciens, peuple de la Crète, sacrifient des hommes à Jupiter. Dosidas nous apprend qu'on offrait à Bacchus de semblables victimes. N'oublions pas les Phocéens. Pythocle, dans son troisième livre de la Concorde, nous dit qu'ils brûlaient un homme sur l'autel de la Diane taurique. Rappellerai-je l'Athénien Érechthée et le Romain Marius, qui sacrifièrent leurs filles, l'un à Proserpine, comme le rapporte Démocrate dans son troisième livre des Aventures tragiques, et l'autre aux dieux averronces, selon Dorothée, dans son quatrième livre de l'Histoire d'Italie? Connaissez à ces traits l'amour que vous portent les démons. Comment leurs adorateurs ne seraient-ils pas des hommes saints et purs? Les uns bénissent ces démons comme des libérateurs, les autres leur demandent le salut, ils ne voient pas que leurs hommages s'adressent à ceux qui les perdent. Ils ne voient pas qu'ils commettent un meurtre quand ils leur offrent des sacrifices. Le lieu ne change pas la nature de l'action. Que vous sacrifiiez un homme à Diane, à Jupiter, dans un lieu saint, ou que vous l'immoliez à la vengeance, à l'avarice, aux démons, sur un autel ou sur un grand chemin, n'appelez pas l'homme assassiné une victime sacrée ? Votre action n'est pas un sacrifice, c'est un meurtre, un homicide. [43] Ô hommes les plus sages des hommes, vous fuiriez à l'aspect d'une bête féroce, à la rencontre d'un ours ou d'un lion; comme le voyageur qui, « pressant du pied, dit le poète latin, un serpent qu'il n'a pas vu d'abord sous les ronces, recule tout à coup saisi d'effroi. » Et quand vous voyez, quand vous comprenez ce que sont les démons, des génies funestes, perfides, les plus cruels ennemis de l'homme, vous ne reculez point, vous ne fuyez pas ! Quel bien peuvent vous faire des êtres malfaisants? Mais je puis vous montrer des hommes meilleurs que vos dieux, c'est-à-dire vos démons. Est-ce que Solon, Cyrus, ne valent pas mieux que le divin Apollon ? Votre Phœbus aimait les offrandes et non les hommes; il trahit Crésus son ami, il en oublia les présents ; et, jugez s'il tenait beaucoup à la gloire, il mena lui-même Crésus au bûcher par le fleuve Alys. C'est ainsi que les démons conduisent au feu leurs amis, leurs adorateurs. ? hommes plus vrais, plus amis des hommes que le divin Apollon, ayez compassion de cet infortuné prince attaché sur le bûcher. Solon, dites hardiment la vérité. Pour vous, Cyrus, faites éteindre le feu; mais vous, Crésus, devenez sage à l'école du malheur. Quel être ingrat vous adorez ! il prend votre or et s'en va. Oui, Solon, en toutes choses, voyons la fin; prince, ce n'est pas un démon, mais un homme qui vous donne ce conseil. Les oracles de Selon ne sont pas obscurs; il vous sera facile maintenant de le comprendre ; instruit sur un bûcher par les leçons de l'expérience, vous aurez reconnu que lui seul vous portait la vérité. [44] Je me demande avec étonnement dans quelle intention les auteurs de ces extravagances ont répandu ces funestes superstitions et autorisé par des lois le culte de ces mauvais génies. Que ce soit Phoronée, ou Mérops, ou tout autre qui leur ait élevé des temples, des autels, et offert les premiers des sacrifices, il est certain que, depuis leur époque, les hommes se sont fait des dieux pour les adorer. On place l'amour parmi les plus anciens ; toutefois personne n'avait songé à lui rendre des honneurs divins avant Charmus, qui dressa un autel dans l'académie au jeune adolescent qu'il aimait et qu'il souilla après s'en être rendu possesseur. C'est ainsi que la plus honteuse passion fut appelée amour et placée au rang des dieux. Les Athéniens ignoraient ce qu'était Pan avant de l'avoir appris de Philippide. Est-il étonnant que la superstition, une fois établie, soit devenue un foyer de corruption, que, négligée dans le principe, elle ait pris tous les jours de nouveaux accroissements ; elle a grossi comme un torrent qui a tout emporté, elle a enfanté une foule de démons, elle a immolé des hécatombes, elle a réuni des multitudes d'hommes, élevé des statues, bâti des temples. Mais je ne tairai pas ce qu'étaient ces édifices parés du beau nom de temples; c'était des tombeaux; oui, des tombeaux ont été appelés temples. Foulez donc aux pieds ces superstitions : quoi ! vous ne rougiriez pas d'adorer des tombeaux. [45] Le tombeau d'Acrisius est à Larisse, dans le temple de Minerve, au sommet de la citadelle; celui de Cécrops est dans la citadelle d'Athènes, comme nous l'apprend Antiochus, au neuvième livre de son histoire. Ericthone n'a-t-il pas reçu la sépulture dans le temple de Pallas; Immer, fils d'Eumolpe et de Daïra, sous la citadelle d'Éleusis, dans l'enceinte du temple de Gérés, aussi bien que les filles de Gelée ? Parlerai-je des femmes hyperboréennes? Deux d'entre elles, appelées l'une Hyperroque et l'autre Laodice, sont ensevelies dans une chapelle de Diane, qui fait partie du temple d'Apollon, à Délos. Cléarque, selon Léandre, a un tombeau dans un temple d'Apollon Didyme, qui se voit encore à Milet. Passerai-je sous silence le sépulcre de Leucephryné qui, selon le témoignage de Zénon Myndien, est enterrée à Magnésie, dans le temple de Diane? Oublierai-je l'autel d'Apollon qu'on voit à Thelmesse, et qui s'élève sur le tombeau du divin Thelmissis? Ptolémée, fils d'Agésarque, raconte, dans le premier livre de l'Histoire de Ptolémée Philopator, que Cyniras et ses descendants ont leur tombeau à Paphos, dans le temple de Vénus. L'énumération de tous les tombeaux révérés comme des temples serait infinie. Si le délire d'un pareil culte ne vous fait pas rougir, vous êtes de vrais morts, dès lors que vous adorez des morts, et partout vous portez vos funérailles. Ô infortunés ! peut-on vous dire avec un de vos poètes, quel est votre aveuglement? Vous marchez la tête enveloppée des ombres du tombeau. [46] CAP. IV. (46) Si vous considérez les statues en elles-mêmes, vous comprendrez s'il est rien de plus extravagant que la coutume qui vous prosterne devant ces êtres insensibles, vains ouvrages de l'homme. Autrefois les Scythes adoraient une épée ; les Arabes, une pierre, les Perses, un fleuve. Antérieurement à ces peuples, dans d'autres contrées, on élevait des pièces de bois d'une grande hauteur et des colonnes de pierres appelées Zoana, qui veut dire polies avec soin. L'image de la Diane d'Icare ne présentait qu'un morceau de bois brut ; à Thespis, celle de Junon Cythéronienne n'était qu'un tronc informe ; une autre de Junon, à Samos, ne fut dans le principe, selon Aëthlius, qu'une solive dont on a fait depuis une statue sous le préteur Proclée. Quand les statues commencèrent à prendre une forme humaine, on les appela Brété, du mot brotos, qui veut dire homme. Nous apprenons de Varron qu'à Borne la première statue de Mars fut une lance ; c'était bien avant que la sculpture eut atteint la perfection merveilleuse mais funeste qu'elle eut depuis. Il est à remarquer qu'à mesure que cet art s'est développé, l'erreur a fait des progrès : [47] avec le bois, la pierre et toute autre matière, on a fait des statues à figure humaine, on s'est prosterné devant elles ; le mensonge a voilé la vérité. Vous ne pouvez en douter après tout ce que nous avons dit; s'il fallait de nouvelles preuves, ne les refusons pas. On sait que le Jupiter Olympien et la Minerve d'Athènes, ouvrage de Phidias, sont faits d'or et d'ivoire. Olympique rapporte, dans son livre des antiquités de Samos, que la statue de Junon est sortie du ciseau d'Euclide. Nul doute que Scopas n'ait fait d'une pierre, appelée Lucneus, deux des statues que les Athéniens appellent vénérables, et que Calos ne soit l'auteur de la statue du milieu. Nous l'apprenons de Polémon dans son quatrième livre à Timée; le même écrivain a prouvé que les statues de Jupiter et d'Apollon qu'on voit à Patare, en Lycie, sont de Phidias, aussi bien que les lions qui les entourent. Voulez-vous que ce soit plutôt de Bryxis, je vous l'accorde, n'en parlons plus. Il était aussi sculpteur, dites-vous ; eh bien ! mettez au bas le nom de celui des deux que vous voudrez. Selon le témoignage de Philocore, les statues de Neptune et d'Amphitrite, hautes de neuf pieds et adorées dans l'île de Ténos, sont les ouvrages de l'athénien Télésius. Démétrius, dans le second livre de son histoire de Delphes, dit que la statue de Junon, qu'on trouve à Tirynthe, a été faite avec le bois d'un poirier, par un sculpteur nommé Argus. On va s'étonner d'apprendre que le Palladium ou effigie de Pallas que l'on appelle Diopète, qui veut dire "descendue du ciel" et qui passe pour avoir été enlevée de Troie par Diomède et par Ulysse, et cachée chez Démophon, ait été faite des os de Pélops, comme le Jupiter Olympien des os d'un animal de l'Inde. Je citerai mon auteur, c'est Denys ; voyez ce qu'il raconte dans la cinquième partie de son ouvrage intitulé le Cycle. Apelles, dans son histoire de Delphes, dit qu'il existait deux images de Pallas, faites de main d'homme. J'ajouterai, pour qu'on ne croie pas que l'omission vient de l'ignorance, que la statue de Bacchus le morique ou l'insensé fut tirée d'une pierre appelée Philète, par le ciseau de Simon, surnommé Eupalame, comme nous l'apprenons d'une lettre de Polémon. On parle encore de deux autres sculpteurs originaires de Crète, si toutefois ma mémoire me sert bien. L'un se nommait Scyle et l'autre Dipéne : ils ont fait les statues des Dioscorides qui sont à Argos, la statue d'Hercule que possède Tirynthe, et celle de Diane la munichiène, que révère Sicyone. [48] Mais pourquoi m'arrêter à ces petits détails, quand je puis vous dire ce qu'était le grand dieu de l'Égypte, ou plutôt le principal des démons, supérieur à tous, et pour cette raison l'objet d'un culte universel, ainsi que nous le savons? Je veux parler ici du dieu Sérapis; on a osé dire qu'au moins celui-ci n'était pas de main d'homme. Des auteurs assurent que c'était une statue de Pluton, dont les habitants de Sinope avaient fait présent à Ptolémée Philadelphe, en reconnaissance du blé qu'il leur avait envoyé dans un temps de famine ; que Ptolémée l'accepta et la fit placer sur le promontoire appelé maintenant Racotis, où est le temple de Sérapis. Tout près de là est un champ. La fameuse courtisane Blitichis étant morte à Canope, Ptolémée fit transporter et ensevelir son corps dans le temple dont je viens de parler. D'autres croient que ce Sérapis est une statue qui fut transportée du royaume du Pont à Alexandrie, avec une pompe extraordinaire. Isidore est le seul qui raconte qu'elle fut envoyée à Ptolémée par les habitants de Séleucie, voisine d'Antioche, parce qu'il les avait aussi nourris dans un temps de disette. Il arriva, je ne sais comment, qu'Athénodore, fils de Sandon, qui voulait donner à cette statue la plus haute antiquité, fut amené à reconnaître qu'après tout elle était, comme les autres, l'ouvrage de l'homme. Il rapporte que Sésostris, après avoir subjugué grand nombre de villes grecques, rentra dans ses états, amenant avec lui une multitude d'habiles ouvriers ; qu'il leur fit faire une statue magnifique d'Osiris, son aïeul, que l'ouvrage fut particulièrement recommandé aux soins d'un certain Briaxis, différent de l'Athénien de ce nom ; que son art sut mettre en œuvre les matières les plus variées et les plus diverses. On lui avait fourni de l'or, de l'argent, du cuivre, du fer, du plomb, de l'étain ; on avait également mis à sa disposition toutes les pierres précieuses que produit l'Égypte, telles que le saphir, l'aimalite, l'émeraude, la topaze. Il broya, mêla, fondit ensemble toutes les matières et les peignit en bleu ; voilà pourquoi la statue parait un peu noire; il joignit à ce mélange ce qui restait des parfums employés à la sépulture d'Osiris et d'Apis; il en fit le dieu Sérapis, dont le nom annonce assez cette communauté de tombeau. L'ouvrage, ainsi composé d'Osiris et d'Apis, prit ce nom d'Osirapis. [49] L'Égypte et la Grèce s'enrichirent d'une nouvelle divinité, grâce aux soins d'un empereur romain qui agrégea à leur foule déjà si nombreuse l'objet de ses amours et ses plus chères délices, son Antinoüs qui devait figurer parmi les plus beau d'entre les dieux, et qu'il consacra avec la même piété que Jupiter avait consacré Ganymède. Comment réprimer une passion qu'aucune crainte, aucun frein n'arrête? Elles reçoivent aujourd'hui dans Rome les honneurs d'un culte tout divin, ces nuits sacrées d'Antinoüs, dont l'infamie était bien connue du prince qui les avait passées sans dormir près du jeune enfant. Pourquoi placer au rang des dieux celui qui n'a d'autre titre à cet honneur que la prostitution qu'il a subie? Pourquoi cet ordre de le pleurer comme s'il était son fils? Que signifient ces éloges donnés à sa beauté. Rien n'est plus vil qu'une beauté flétrie par le crime. Ô homme ! garde-toi d'exercer sur ce don du ciel un odieux empire; épargne la jeunesse dans sa fleur; si tu la veux toujours belle, conserve-la toujours pure. Sois le roi de la beauté plutôt que son tyran. Qu'elle demeure libre, et je reconnais la beauté en toi-même dans ton respect inviolable pour son image sacrée, et j'adore la beauté souveraine dont toutes les autres ne sont qu'un reflet. Le tombeau de celui que tu aimais est devenu un temple et une ville. On dit maintenant la ville et le temple d'Antinoüs. Chez vous, les tombeaux et les temples sont également admirés. Pyramides, mausolées, labyrinthes, qu'est-ce autre chose que les temples des morts, que les tombeaux des dieux? [50] Je veux faire parler ici l'autorité prophétique de la Sibylle. Les oracles ne viennent pas d'Apollon, que les nations abusées ont faussement appelé dieu ou prophète, mais du grand Dieu que la main de l'homme ne saurait représenter avec la pierre ni par aucune image. La Sibylle avait annoncé la ruine des temples, car elle dit en propres termes que celui de Diane, à Éphèse, sera renversé par un tremblement de terre: « Éphèse éplorée fera retentir ses rivages de ses gémissements, elle pleurera son temple et ses yeux le chercheront en vain. - Elle dit de celui d'Isis et de Sérapis qu'il n'en restera pas pierre sur pierre, qu'ils seront dévorés par le feu : « Isis, déesse infortunée, je te vois sur les bords de ton fleuve solitaire, silencieuse, éperdue sur les sables de l'Achéron. » Ensuite elle ajoute: « Et toi Sérapis, assis sur la pierre, quelle sera ta douleur? Il ne restera de toi que de vastes ruines au sein de la malheureuse Égypte. » Si vous attachez peu d'importance aux oracles de la Sibylle, écoutez au moins un de vos philosophes, Héraclite d'Éphèse, reprochant aux statues leur insensibilité : « Quand vous les priez, dit-il, c'est comme si vous vous adressiez à les murailles. » N''est-ce pas, en effet, une absurdité monstrueuse d'adorer des pierres, de les placer à la porte des maisons, comme si elles étaient douées de la vie et de quelque pouvoir? On révère Mercure comme un dieu, on lui donne l'intendance des chemins, on en fait un portier ; si vous leur faites cette injure parce qu'elles sont insensibles, pourquoi les adorer comme des dieux? Si vous les croyez insensibles, pourquoi les mettre devant les portes pour leur faire garder vos maisons? [51] Les Romains, qui attribuent à la fortune le succès de leurs plus grandes entreprises, et qui la vénèrent comme la plus puissante déesse, l'ont placée au milieu des immondices; ils lui ont consacré un cloaque, sans doute, comme le temple le plus digne d'une semblable divinité. La pierre, le bois, l'or, se soucient peu de l'odeur des victimes ou de leur fumée, on ne fait que les salir quand on les enfume ainsi par honneur. Au fond, Il n'y a là ni honneur, ni ouvrage. Les statues insensibles sont au-dessous des plus vils animaux. Comme elles sont privées de sentiment, je n'ai jamais pu comprendre comment est venu dans l'esprit de quelqu'un de les adorer, et j'ai plaint la folie de ceux qui étaient tombés les premiers dans cette inconcevable erreur; je les ai jugés les plus malheureux des hommes. On sait que certains animaux n'ont pas l'usage de tous leurs sens, comme les vers et les chenilles ; il en est dont l'organisation est fort incomplète, comme la taupe et l'araignée, qui naît sourde et muette, selon Oricande. Toutefois ils l'emportent de beaucoup sur vos idoles et vos statues, qui sont entièrement stupides ; car ces animaux sont au moins doués d'un sens, tel que l'ouïe, ou le tact, ou le goût, ou l'odorat; mais vos statues ne sont douées d'aucun sens. Plusieurs animaux sont privés de la vue, de l'ouïe, et de la voix, comme les huîtres ; mais ils vivent, mais ils croissent, ils éprouvent même les influences de la lune. Vos idoles ne peuvent ni agir, ni se remuer, ni sentir. On les lie, on les cloue, on les perce, on les fond, on les lime, on les coupe, on les taille, on les polit. Les statuaires font violence à la terre, quand leur art l'oblige de sortir de sa nature et lui concilie des honneurs divins. Ceux qui font des dieux n'adorent, à mon avis, ni les dieux, ni les démons ; leur culte s'adresse à la terre dont se fait la statue, et à l'habileté qui la façonne. Une statue, qu'est-ce autre chose qu'une terre inanimée qui reçoit sa forme des mains d'un ouvrier? Chez nous, on n'adore pas d'image corporelle faite d'une matière vile et grossière, mais Dieu qui n'est vu que par l'Esprit; et voilà le seul vrai Dieu. [52] Les insensés ! ils adorent des pierres, et quand ils ont reconnu par l'expérience, dans l'infortune et le malheur, combien cette matière brute est indigne des honneurs divins, ils n'en vont pas moins à leur perte, poussés par la nécessité ou par une crainte superstitieuse. Tandis qu'ils méprisent ces idoles sans vouloir paraître les mépriser, ils sont convaincus de leur impuissance par les dieux mêmes auxquels on les dédie et qui ne les défendent pas. Voyez Denys-le-jeune, ce tyran de la Sicile. Il enleva à Jupiter son manteau d'or et lui en fit donner un de laine, disant d'un air moqueur que le dieu s'en trouverait mieux, parce que ce manteau serait plus léger pour l'été et plus chaud pour l'hiver. Antigone de Cyzique, manquant d'argent, fit fondre une statue de Jupiter d'or massif, et haute de cinq coudées, qu'il remplaça par une autre d'une matière moins précieuse et seulement dorée. Les hirondelles et les autres oiseaux viennent en foule se percher sur vos idoles et les salissent de leurs ordures, sans respect, ni pour Jupiter Olympien, ni pour Esculape d*Épidaure, ni pour la Minerve d'Athènes, ni pour le grand Sérapis d'Égypte. Quoi ! vous n'avez pas encore appris des oiseaux jusqu'à quel point vos idoles sont insensibles ! Les voleurs, les ennemis font des irruptions, et poussés par l'amour de l'or, ils brûlent les temples, pillent les offrandes, fondent les dieux. Si un Cambyse ou un Darius, ou quelque autre fou se porte à ces attentats et tue l'Apis de l'Égypte, je ris qu'on ai tué le dieu du pays, mais je m'indigne, si on l'a fait par le vil motif de l'intérêt. [53] Oublierai-je le crime ou commanderai-je l'avarice de l'homme, sans parler de l'impuissance du dieu? Le feu, les tremblements de terre, ne craignent et ne respectent pas plus les démons et leurs statues que les cailloux dont les flots se jouent sur le rivage. Le feu est ici un bon argument, il guérit à merveille de la superstition. Voulez-vous sortir de l'état de démence, le feu vous ramènera à la raison ; il a brûlé le temple d'Argos avec la prêtresse Chrysis, et celui de Diane à Éphèse, qui déjà l'avait été par les Amazones. Souvent il a dévoré le fameux Capitole de Rome; dans Alexandrie, il n'a pas plus respecté le temple de Sérapis; dans Athènes, il n'a rien laissé de celui de Bacchus; à Delphes, une tempête dévasta le temple d'Apollon, et plus tard un feu intelligent le consuma. Que devez-vous voir dans ces événements? un présage de ce que le feu vous promet. Est-ce que les ouvriers qui fabriquent les statues ne vous apprennent pas assez, pour peu que vous ayez de bon sens, à mépriser une matière inerte et stupide? Phidias d'Athènes grava ces mots sur le doigt de Jupiter Olympien : "Le beau secourable à tous". Et l'éloge s'adressait, non à Jupiter, mais au jeune enfant objet de sa passion. Praxitèle, si on en croit Possidius, auteur d'un ouvrage sur la ville de Cnide, fit la Vénus qu'on voit dans cette ville, sur le modèle d'une certaine Créatine qu'il aimait, pour que les malheureux habitants adorassent la maîtresse de Praxitèle. Quand Phryné, cette fameuse courtisane de Thespie, était dans la fleur de sa beauté, tous les peintres donnaient les traits de son visage aux statues de Vénus, comme les statuaires d'Athènes empruntaient ceux d'Alcibiade pour représenter Mercure. Voyez maintenant si vous voulez adorer des courtisanes. [54] Si je ne me trompe, c'est pour ces raisons que d'anciens rois, méprisant toutes ces fables, profitèrent du moment où ils n'avaient rien à craindre de leurs sujets pour se proclamer dieux. Ils faisaient comprendre par là que leur gloire leur avait acquis l'immortalité. C'est ainsi que Céyx fut nommé Jupiter par Alcyone sa femme, et qu'à son tour, Alcyone fut nommée Junon par Céyx, son mari ; on donnait à Ptolémée IV et à Mithridate roi de Pont le nom de Bacchus. Alexandre voulait passer pour le fils d'Ammon et exigeait qu'on le représentât avec des cornes, ne craignant pas de déshonorer par ce signe honteux la majesté de la figure humaine. Non seulement des rois, mais de simples particuliers ont pris le titre de dieux; témoin le médecin Chénécrate, qui se fit surnommer Jupiter. Qu'est-il besoin de parler d'Alexarque, ce professeur de grammaire, au rapport d'Arite de Salamine, qui se fit peindre sous les traits du soleil? Vous parierai-je de Nicagoras; il était né à Zélée, et vivait du temps d'Alexandre. Nicagoras était appelé Mercure, il portait les insignes de ce dieu, il s'en glorifie lui-même. Des villes, des nations entières ont fait livrer au ridicule tout ce qui se dit des dieux, lorsque de basses flatteries divinisèrent certains hommes, et que ceux-ci, dans leur orgueil, se firent rendre des honneurs divins. Il fut décrété à Cynosargis que le Macédonien de la ville de Pella, Philippe, fils d'Amyntas, serait adoré, bien qu'il eût le cou rompu, une cuisse cassée et un œil crevé. Démétrius fut proclamé dieu, et à l'endroit où il descendit de cheval, en entrant dans Athènes, on lui bâtit un temple sous le nom de Démétrius Catabate, c'est-à-dire qui descend. Il eut partout des autels, ou se disposait même à le marier avec Minerve, mais il refusa la main d'une statue, et méprisant la déesse, il monta à la citadelle avec la courtisane Lamia, et, dans le lit de Minerve, il insulta à la vierge surannée, et lui montra la jeune courtisane dans toute son impudeur. [55] Il ne faut point en vouloir à Hippon s'il eut la prétention d'immortaliser sa mort; il avait ordonné de graver sur son tombeau ce vers élégiaque : « Ci-gît Hippon, que les Parques, en le faisant mourir, ont rendu l'égal des dieux immortels. » Hippon, vous nous montrez très bien l'erreur des hommes. S'ils n'ont pas voulu vous croire quand vous leur parliez, maintenant que vous n'êtes plus, qu'ils deviennent vos disciples. Vous avez entendu l'oracle prononcé par Hippon, il en faut peser tous les mots. Comme ceux que vous adorez étaient des hommes, ils ont subi les lois de la mort, le temps et la fable les ont comblés d'honneurs. On se blase, je ne sais comment, sur les biens qu'on possède ; la jouissance en amène le dégoût. Ceux qu'on laisse derrière soi reprennent faveur, grâce à l'imagination; parce que, dans l'obscurité où on les voit, à la distance où ils se trouvent, on aperçoit moins leurs défauts. Alors on est désenchanté des uns et dans l'admiration des autres; ainsi donc les anciens morts, fiers de l'autorité que le temps concilie à l'erreur, sont devenus dieux chez leurs descendants. Vos mystères, vos grandes assemblées, et les chaînes, et les blessures, et les pleurs de vos dieux sont des preuves de ce que j'avance. Infortuné que je suis ! s'écrie Jupiter, il ne m'est donc pas donné d'arrêter l'ordre du destin, ni d'empêcher que celui des hommes qui m'est le plus cher ne soit vaincu par ce Patrocle, fils de Ménœtius. Vous le voyez, la volonté de Jupiter est sans force, vaincu, il pleure à cause de Sarpédon. C'est avec raison que vous appelez vos dieux des idoles et des démons. N'est-ce pas le nom que leur donne votre Homère, qui accorda tant d'injustes honneurs à Minerve et à vos autres divinités? "Elle remonta, dit-il, dans l'Olympe vers Jupiter et les autres démons". Comment pouvez-vous encore les regarder comme des dieux, ces démons impurs, horribles, que tous reconnaissent pour des êtres terrestres, fangeux, enfoncés par leur propre poids dans la matière, et sans cesse errants autour des tombeaux? Là, ils apparaissent comme des spectres dans les ténèbres, de vains simulacres, des ombres creuses, d'affreux fantômes; voilà vos dieux. [56] Parlerai-je des idoles au pied boiteux, au visage ridé, au regard louche et de travers, qu'on prendrait plus volontiers pour les filles de Thersite que pour celles de Jupiter. Aussi je trouve fort piquant ce mot de Bion : « Pourquoi, dit-il, demander à Jupiter de beaux enfants, puisqu'il ne peut s'en donner à lui-même? » Monstrueuse impiété ! l'essence incorruptible, vous l'avilissez autant qu'il est en vous! la sainteté par excellence, vous lui réservez l'infection du tombeau ! vous dépouillez Dieu même de sa propre nature ! Pourquoi ces honneurs divins à des êtres qui ne sont rien moins que des dieux ? Pourquoi ce mépris du ciel et cette vénération pour la terre? Qu'est-ce autre chose que l'or, l'argent, le diamant, le fer, le cuivre, l'ivoire, les pierreries? Tout cela n'est-il pas de la terre, ou né de la terre ? Est-ce que tous ces objets qu'embrassent vos regards ne sont pas sortis du même sein, n'ont pas une mère commune, qui est la terre? Pourquoi donc, ô insensés ! car j'ai besoin de le redire sans cesse, pourquoi adresser l'outrage au ciel, et attacher le respect et la piété à la terre? Pourquoi vous faire des dieux terrestres, leur donner place dans vos hommages bien avant le Dieu incréé, et vous plonger dans de si profondes ténèbres? Le marbre de Paros est beau, mais ce marbre n'est pas Neptune. L'ivoire a de l'éclat, mais ce n'est pas encore Jupiter. La matière réclame le secours de l'art ; est-ce que Dieu en a besoin? L'art vient et donne la forme : la matière a, par elle-même, un certain prix, une certaine valeur ; la forme seule lui concilie la vénération. Ainsi la statue que vous adorez est de l'or, du bois ou de la pierre, et si vous remontez jusqu'à son origine, elle est de la terre qui a reçu sa figure des mains d'un ouvrier. Pour moi, j'ai appris à fouler aux pieds la terre et non pas à l'adorer. Car il ne m'est pas permis d'attacher l'espérance de mon âme à ce qui n'a point d'âme. [57] Approchez-vous d'une idole ; il vous suffira d'un regard pour sortir de l'erreur qui vous abuse. On reconnaît vos dieux à l'opprobre de leur figure. Ainsi, on reconnaît Bacchus à sa peau de tigre, Vulcain à son marteau, Cérés à sa tristesse, Ino à sa vigne, Neptune à son trident, Jupiter à son oiseau, Hercule à son bûcher. Voyez-vous une statue dans une honteuse nudité ? vous êtes sûr que c'est une Vénus. Pygmalion de Chypre se prit d'amour pour une statue d'ivoire; elle représentait Vénus et elle était nue, sa beauté l'enflamma; il eut commerce avec elle. Nous l'apprenons de Philostephane. Il y avait à Chypre une autre Vénus ; celle-ci était de pierre; elle était aussi fort belle; elle eut un amant qui l'épousa. Notre auteur est ici Possidius. Le premier a écrit sur l'île de Chypre, le second sur la ville de Cnide. Vous trouverez dans leurs ouvrages les faits que nous venons de rapporter; ils nous montrent quelle est la puissance de l'art pour séduire, pour enflammer d'amour et entraîner dans l'abîme ceux qu'il a séduits. Oui, l'art a un pouvoir magique, mais si grand qu'il soit, il ne trompera pas ceux qui ont du bon sens et qui prennent la raison pour guide. L'art a si bien parfois reproduit la nature, qu'on a vu des pigeons voler vers d'autres pigeons dont une toile fidèle représentait l'image; des chevaux hennir à l'aspect d'autres chevaux qui n'étaient qu'en peinture. On dit qu'une fille se passionna pour un portrait, qu'un jeune homme se prit aussi d'amour pour une statue de la ville de Cnide. L'art avait donc trompé l'oeil des spectateurs. Jamais une personne de bon sens n'aurait eu commerce avec une statue ; jamais elle ne se serait ensevelie dans un tombeau avec un cadavre ; jamais elle n'aurait aimé un démon ou une pierre. Mais l'art vous trompe par d'autres prestiges, il vous porte non pas à aimer des images, des statues, mais à les adorer; il en est des portraits comme des statues. Qu'on admire l'art qui les a produits, rien de mieux; mais qu'il ne trompe pas l'homme au point de s'offrir comme la vérité. Un cheval s'est arrêté sans broncher, une colombe a suspendu son vol, elle est restée sans mouvement. La vache de Dédale, faite de bois, enflamme un taureau sauvage, et l'art qui avait trompé cet animal le jette après sur une femme pour en assouvir la passion. [58] C'est à ces excès de fureur que le mauvais usage de l'art a porté des fous, des insensés. Ceux qui nourrissent des singes et qui les instruisent s'étonnent qu'on ne puisse les tromper avec des statues de terre ou de cire, revêtues d'ornements de jeunes filles. Vous avez donc moins d'esprit que les singes, vous qui vous laissez tromper par des figures de pierre, de bois, d'or et d'ivoire. Les ouvriers qui fabriquent ces jouets si dangereux, je veux dire les sculpteurs, les statuaires, les peintres, les orfèvres, les poètes, en produisent des quantités incroyables; ils remplissent les champs de statues, les forêts de nymphes, Oréades, et Hamadryades, les fontaines et les fleuves de Naïades, la mer de Néréides. Les magiciens se vantent d'avoir les démons aux ordres de leur impiété, au point d'en faire des valets, et de savoir, par la vertu de certaines paroles, les contraindre à obéir. Les noces de vos divinités, leurs accouchements, leurs adultères, chantés par vos poètes; leurs festins, racontés par vos auteurs comiques, leurs ris immodérés dans la joie du vin, me forcent à m'écrier, quand je voudrais me taire : impiété ! vous avez fait du ciel une scène de théâtre. Dieu est devenu par vous un drame, vos personnages ont été les démons; dans cette comédie, vous avez joué ce qu'il y a de plus saint. L'impudeur de vos superstitions a livré aux sarcasmes les plus mordants le culte de la Divinité. [59] Le premier de vos poètes, prenant sa lyre, ouvre merveilleusement bien la scène. Homère, chante-nous, tu sais, l'hymne admirable dont je veux parler, les amours furtifs de Mars et de Vénus, lorsqu'ils s'unirent dans le palais de Vulcain, et qu'ils souillèrent la couche de ce dieu par tant de secrètes voluptés. Ou plutôt, Homère, cesse de pareils chants, ils ne sont pas honnêtes, ils enseignent l'adultère. Pour nous autres, nous ne voulons pas même que ce nom souille nos oreilles. Connaissez les Chrétiens ; nous portons partout dans nos cœurs, comme dans un temple vivant et animé, l'image de Dieu qui nous parle, qui nous conseille, qui nous accompagne, qui se mêle à toute notre vie, qui partage toutes nos douleurs, qui console toutes nos misères. " Nous avons été offerts et consacrés à Dieu par Jésus-Christ ; nous sommes une race choisie, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple d'acquisition ; car nous n'étions pas autrefois le peuple de Dieu. » Nous le sommes aujourd'hui, et, comme le dit saint Jean, notre origine est céleste. Nous avons tout appris de celui qui est venu d'en haut. Nous connaissons l'économie des desseins de Dieu sur l'homme, le grand mystère du Dieu qui a revêtu notre nature, et nous nous exerçons à marcher dans une vie nouvelle. [60] Mais chez vous, avec vos dieux, quelles mœurs ! Vous foulez aux pieds toute pudeur ; les lubricités des esprits infernaux respirent sur tous les murs; vous vous livrez à la volupté avec tant de fureur, que ses plus honteuses images décorent vos appartements, et que vous faites de l'impudicité même un acte religieux. Mollement étendus sur une couche voluptueuse, vous vous plaisez à repaître vos regards de la nudité de Vénus, surprise au milieu de ses embrassements adultères. Vous gravez sur des anneaux l'oiseau lascif qui voltigeait autour de Léda. Vous imprimez l'impudicité avec les sceaux dont vous faites usage; ils reproduisent les turpitudes de Jupiter. Les tableaux n'ont de prix à vos yeux que par les obscénités qu'ils retracent Voilà une légère esquisse de votre vie moite et corrompue. [61] Voilà votre théologie toute d'impureté; voilà la doctrine d'infamie et de débauche que vous enseignent les dieux, et qu'ils mettent en pratique avec vous. On croit facilement ce qu'on aime, a dit un orateur athénien. Ne parlons point de ces autres images multipliées autour de vous, de ces petits dieux Pans, de ces jeunes filles sans voile, de ces satyres ivres et chancelants, de ces objets dont l'impudeur même rougirait. Ces honteuses peintures se retrouvent partout, et partout vous y attachez sans honte vos impudiques regards ; une sorte de respect religieux les conserve avec un soin extrême suspendues aux murailles. Ne dirait-on pas, qu'au sein de la famille vous avez consacré les images des dieux comme des trophées d'impureté ? Vous y faites peindre les postures obscènes d'une Philénis avec le même soin que les combats d'Hercule. Renoncez à ces mœurs. Faites mieux : oubliez ce que vous avez vu, ce que vous avez entendu. Vos oreilles se sont prostituées; vos yeux ont fait le crime: chose inouïe, le regard avant le corps est souillé d'adultère. Vous faites violence à la nature de l'homme; vous livrez à l'opprobre ce qu'il a de divin ; vous restez incrédules pour vous abandonner sans frein aux voluptés; vous croyez aux idoles par amour de leurs dissolutions ; vous résistez à notre Dieu parce que votre corruption s'effraie de l'innocence qu'il exige. Ce qui élève l'âme, vous l'avez en haine; ce qui la dégrade obtient vos respects. Vous êtes d'oisifs contemplateurs de la vertu et d'intrépides athlètes du vice. [62] Ainsi donc, pour me servir des paroles de la Sibylle, les seuls heureux au jugement de tous, ce sont les hommes qui savent aussitôt détourner leurs regards de ces temples, de ses autels, vains monuments de pierres brutes; de ces dieux de marbre, ouvrages des hommes, souillés du sang de toutes sortes d'animaux égorgés en leur honneur. Pour nous, il nous est clairement défendu d'exercer un art qui pourrait tromper les hommes. Vous ne ferez, dit un prophète, aucune image, soit des choses qui sont au ciel, soit des choses qui sont sur la terre. C'est qu'en effet nous pourrions nous exposer à prendre pour dieux la Cérès de Praxitèle, et Proserpine, et le mystérieux Inachos, ou plutôt à déifier l'art de Locippe et le talent d'Apelles, qui revêtirent la matière de si belles formes et lui concilièrent des honneurs divins. Vous vous appliquez avec un soin extrême à donner à la statue toute la perfection possible, et vous ne faites rien pour éviter d'êtres stupides à la manière de l'idole. Le prophète confond cette inconcevable insouciance par ces mots aussi clairs que précis, lorsqu'il dit que tous les dieux des nations sont les images des démons; mais c'est Dieu qui a fait les deux et tout ce qui est au ciel. [63] Après des paroles aussi formelles, concevez-vous que les hommes aient pu se tromper au point d'adorer l'œuvre du Créateur au lieu du Créateur lui-même, et de prendre pour des dieux, au mépris de toute raison, de simples créatures qui ne servent qu'à marquer le cours des temps et des saisons. L'art humain élève des édifices, construit des navires, bâtit des maisons, anime la toile sous ses pinceaux. Mais comment raconter les œuvres de Dieu? Voyez le monde entier : la voûte céleste, le soleil, c'est Dieu qui les a faits. Les anges et les hommes sont les ouvrages de ses mains. Quelle est sa puissance ! il a voulu, et le monde a été fait. Lui seul l'a créé parce qu'il est le seul vrai Dieu, et pour le créer il lui suffit de vouloir, parce qu'en lui la volonté est toujours suivie de l'effet, et par là sont confondus tous les philosophes, qui ont parfaitement compris que l'homme était fait pour contempler le ciel, mais qui se sont égarés au point d'adorer les astres du ciel qui frappèrent leur vue. S'ils ne sont pas les ouvrages de l'homme, ils sont faits pour l'homme. Au lieu d'adorer le soleil, cherchez l'auteur du soleil; au lieu de faire un Dieu de l'univers et de lui rendre des honneurs divins, élevez-vous jusqu'au Dieu qui a fait le monde. Pour arriver au salut, il ne reste plus à l'homme d'autre refuge que la sagesse divine; une fois qu'il est parvenu là, il est comme dans un sanctuaire où il n'a plus rien à craindre de la fureur des démons. Qu'il fasse donc tous ses efforts pour y parvenir. [64] CAP. V. (64) Parcourons, si vous le voulez, les opinions que les philosophes débitent sur le compte des dieux. Voyons s'il ne nous arrivera pas de reconnaître que la philosophie elle-même, par une vaine confiance en ses forces, a déifié la matière ; et si nous ne pourrons pas établir, en passant, que lorsqu'elle a rendu des honneurs divins aux démons, elle avait entrevu la vérité comme on peut voir les objets dans un songe. Ces philosophes nous ont laissé leurs systèmes sur les principes générateurs des choses ; l'un admet l'eau, c'est Thalès de Milet; l'autre admet l'air, c'est Anaximène de la même ville. Il fut suivi par Diogène d'Apollonie. Parménide d'Élée inscrivit le feu et la terre parmi les dieux. Hyppase de Métaponte et Héraclite d'Éphèse exclurent la terre et ne reconnurent que le feu. Empédocle d'Agrigente introduisit une multitude de dieux, et outre les quatre éléments il compta la Haine et l'Amitié. Tous ces philosophes sont des athées dont la folle sagesse portait ses adorations à la matière. Ils n'ont peut-être pas révéré la pierre et le bois, mais ils n'ont peut-être pas fait d'image de Neptune, mais ils ont adoré l'eau ; et qu'est-ce que Neptune, sinon une substance liquide que l'on boit ? C'est de là que vient le nom de Neptune, comme celui de Mars dérive d'un mot grec qui signifie l'action de s'élever contre un ennemi et de le tuer. Peut-être est-ce de là qu'est venue la coutume qu'ont certains peuples de représenter Mars sous l'emblème d'une épée qu'ils enfoncent dans la terre, et à laquelle ils offrent des sacrifices. On trouve cette coutume établie chez les Scythes, selon le témoignage d'Eudoxe, dans le second livre du Tour de la terre ; des Scythes elle passa chez les Sarmates, qui adorèrent une épée, comme Icésius le rapporte dans son livre des Mystères. Héraclite et ses sectateurs adorèrent le feu comme le principe générateur de toutes choses. Quelques-uns l'appelèrent Vulcain ; [65] les Mages des Perses et plusieurs autres habitants de l'Asie en firent l'objet de leur culte. Les Macédoniens l'adorèrent aussi, comme Diogène l'assure dans le premier livre de l'Histoire des Perses. A quoi bon parler des Sarmates qui, au rapport de Symphodore, dans le livre des Mœurs étrangères, rendent au feu des honneurs divins? Est-il nécessaire de rappeler les Perses, les Mèdes, les Mages? Dinon assure qu'ils sacrifient dans un lieu découvert, parce qu'ils ne reconnaissent point d'autres figures ni d'autres images des dieux que le feu et l'eau. Je ne tairai point leur ignorance qui, en pensant éviter une erreur, tombe dans une autre. Ils ne croient point, comme les Grecs, à la divinité de la pierre ou du bois ; ils ne croient pas non plus, comme les Égyptiens, à celle des rats et des Ibis ; mais ils pensent avec les philosophes que l'eau et le feu sont les images de la Divinité. Bérose fait voir néanmoins très clairement dans le second livre de l'Histoire des Chaldéens, qu'après une longue suite d'années ils finirent par adorer des simulacres humains, et que ce fut Artaxerxés, fils de Darius et petit-fils d'Ochus, qui introduisit cet usage; après avoir élevé dans Babylone une image de Vénus Tanaïde, il l'exposa aux adorations des habitants de Suse, d'Ecbatane, de Damase, de Sardes, de la Perse et de la Bactriane. Que les philosophes avouent donc qu'ils sont les disciples des Perses, des Sarmates, des Mages ; que c'est à leur école qu'ils ont puisé leur impiété avec le culte de leurs principes générateurs. Ignorant le véritable auteur de toutes choses et de ces principes eux-mêmes, ils ont, dans leur ignorance, porté leurs hommages à ces éléments faibles et indignes, comme les appelle l'apôtre, et créés uniquement pour servir à l'usage des hommes. [66] Parmi les philosophes qui ont négligé ces éléments pour s'élever à de plus hautes contemplations, il en est qui ont admis l'infini comme principe. De ce nombre était Anaximène de Milet, Anaxagore de Clazomènes, et Archelaüs d'Athènes. Mais ils ont cru qu'il y avait une intelligence au-dessus de l'infini. Leucippe de Milet et Métrodore de Chio semblent avoir reconnu deux principes, le plein et le vide. Démocrite l'Abdéritain adopte ces deux principes et en ajoute un troisième, les images des choses. Alcméon de Crotone a cru que les astres étaient animés et qu'ils étaient des dieux. Je dévoilerai leur extravagance, et particulièrement celle de Xénocrate de Chalcédoine, qui fit entendre que les sept planètes étaient des dieux, et que le monde, composé de tout cela, était un huitième dieu. Passerai-je sous silence les Stoïciens, qui ont déshonoré leur philosophie en prétendant que la Divinité se mêle à toute la matière, si abjecte qu'elle puisse être? Puisque nous avons abordé la question, il sera peut-être utile de dire un mot des Péripatéticiens. Le père de cette école, ignorant quel est le Père de toutes choses, appelle âme de l'univers celui que l'on nomme le Dieu suprême. Il ne s'aperçoit pas qu'en attribuant à l'univers la Divinité, il s'établit en contradiction flagrante avec ses principes. En effet, borner d'une part les soins de la Providence au globe lunaire, et de l'autre ériger le monde en Dieu, par conséquent regarder comme dieux des éléments où la Divinité n'est pas, quel témoignage plus manifeste d'erreur et de mensonge! Un disciple d'Aristote, Théophraste d'Erésus nomme Dieu tantôt le ciel, tantôt l'Esprit. Je laisse avec plaisir Épicure de côté, puisque ce philosophe, ne reconnaissant qu'un Dieu sans intervention dans les choses humaines, se montre impie sur tous les points. Pourquoi rappeler ici Héraclide le Pontique? Il est emporté constamment dans les images de Démocrite. [67] CAP. VI. (67) Ici se présente à mes yeux une multitude incommensurable de faux sages qui introduisent sur la scène des milliers de démons, comme autant d'épouvantails, vaines fictions imaginées par les auteurs des fables, ridicules inepties faites pour amuser la crédulité des vieilles femmes. Loin de nous la pensée de livrer de pareils discours à l'oreille des hommes, nous qui ne permettons pas même que l'on berce avec des fables l'enfant qui vagit, ainsi que s'exprime le langage ordinaire, de peur de développer en même temps que lui l'impiété professée par des hommes qui, plus inhabiles et plus novices que l'enfant au berceau, ne laissent pas néanmoins d'applaudir à leur propre sagesse. En effet, je te le demande au nom de la vérité, ceux qui ont cru en toi pourquoi les soumets-tu à la corruption et à une mort non moins funeste que déshonorante pour eux? Pourquoi peuples-tu la vie humaine de simulacres idolâtriques en attribuant une divinité menteuse aux vents, à l'air, au feu, à la terre, à la pierre, au bois, au fer, et jusqu'à ce monde lui-même? Pourquoi, élevant tes yeux au ciel avec le secours non de l'astronomie, mais de cette astrologie dont le vulgaire fait tant de bruit, courbes-tu les hommes que tu égares devant les corps célestes que tu leur donnes faussement pour des dieux ? Pour moi, il me faut un Dieu qui règne en souverain sur les intelligences, qui gouverne la famine, qui ait créé le monde, et qui ait allumé le flambeau du soleil. Que dirai-je enfin? je cherche l'ouvrier et non pas ses œuvres. [68] Qui de vous prendrai-je pour auxiliaire dans cette discussion ? Eh bien ! soit, j'accepte Platon. Dis-nous donc, ô Platon, par quelle méthode il faut aller à Dieu. « Découvrir le Père et le créateur de l'univers, est chose difficile; et après qu'on l'a trouvé, il est impossible à la parole humaine de proférer son nom. » Pourquoi cela, ô Platon, je te le demande à toi-même? « C'est qu'on ne peut le définir. » Très bien, ô grand homme ! tu as mis le doigt sur la vérité; mais ne te rebute pas, je t'en conjure, et marche avec moi à la découverte du bien. Le genre humain, et principalement ceux qui se sont exercés à l'étude des lettres, entendent une voix d'en haut qui les contraint de confesser, même contre leur volonté, qu'il existe un Dieu unique, qui n'a jamais eu de commencement et n'aura point de fin; qui réside au-dessus de nous, dans quelque région de la plaine céleste, comme dans un centre d'observation d'où il règle l'univers. « Parle ! quelle idée dois-je me former du Dieu, qui voit tout l'univers, mais inaccessible lui-même à l'œil d'aucun mortel? » a dit Euripide. Par conséquent Ménandre est tombé dans une grave erreur lorsqu'il s'est écrié : « Soleil, il convient de t'honorer comme le premier des dieux, puisque c'est par toi que nous voyons tous les autres dieux. Ce n'est pas le soleil qui m'apprendra le vrai Dieu; c'est le Verbe de la vie, c'est le soleil de l'âme, à qui seul il est donné d'éclairer mon intelligence et de dissiper les ténèbres de mon entendement. Aussi Démocrite a-t-il eu raison de dire: « Parmi les hommes dont l'esprit est cultivé, il s'en trouve peu qui lèvent encore aujourd'hui leurs mains vers celui que nous autres Grecs nous appelons l'Air. La nature tout entière proclame l'existence de Jupiter. C'est Jupiter qui connaît tout, qui donne et enlève tout; c'est lui qui est le monarque universel. » Platon est du même avis. Il s'exprime ainsi quelque part sur la Divinité : « Tout est soumis à la puissance du roi universel, il est le principe de tous les biens.» [69] Quel est donc le roi universel ? Dieu, qui est la mesure de la vérité pour tous les êtres. De même que la mesure comprend les objets qui se mesurent sur elle, ainsi l'homme qui a conçu Dieu dans son cœur mesure et comprend la vérité elle-même. Voilà pourquoi Moïse, cet homme d'une sainteté si éminente, a dit: « Vous n'aurez point en réserve plusieurs poids, l'un plus grand et l'autre moindre. Vous aurez un poids juste, véritable. » Il savait que Dieu est la balance, la mesure et le nombre de toutes choses. En effet, les simulacres de l'injustice et de l'iniquité sont cachés dans un lieu secret de la maison, et pour ainsi dire, dans les immondices de l'âme. Mais le Dieu unique, le Dieu véritable que le législateur hébreu désigne par cette juste et unique mesure, toujours égal à lui-même dans son impassible immutabilité, mesure et pèse toutes choses au poids de sa justice, en maintenant dans l'équilibre les différentes parties de la nature. « Dieu, suivant une ancienne tradition est le commencement, le milieu et la fin de tous les êtres; il marche toujours en ligne droite, conformément à sa nature, en même temps qu'il embrasse le monde. La justice le suit constamment, vengeresse des infractions faites à la loi divine. [70] Où donc, ô Platon, as-tu appris cette importante vérité? A quelle source as-tu puisé les magnifiques paroles dont tu te sers pour exposer quel est le culte que nous devons A Dieu? Je t'entends. » Les nations barbares en savent plus que les Grecs sur la religion. » Tu as beau cacher le nom de tes maîtres, nous savons quels furent tes instituteurs. Tu as appris la géométrie de la bouche de l'Égypte, tu as demandé à Babylone les secrets de l'astronomie ; la Thrace t'a livré ses magiques évocations; l'Assyrie t'a enseigné beaucoup d'autres connaissances. Mais ta science des lois, dans ce qu'elle a de conforme à la raison, tes sentiments sur la Divinité, tu les dois au peuple hébreu. On ne l'a jamais vu, séduit par de vaines illusions, adorer avec le reste des hommes, troupe frivole et inconstante, des simulacres d'or, d'airain, d'argent, d'ivoire, de bois, ou de pierre, ni courber le genou devant des hommes transformés en dieux. Loin de lui cette prostitution ! Les Hébreux lèvent vers le ciel des mains pures aussitôt qu'ils ont quitté la couche de leur repos, et qu'ils ont lavé leur corps dans une eau virginale. Un Dieu immortel et qui gouverne l'univers, voilà celui qu'ils adorent. [71] Mais, sans te borner aux témoignages de Platon, convoque au milieu de nous, ô Philosophie, la multitude des autres philosophes qui ne proclament comme Dieu que le Dieu unique et véritable, réellement inspirés par son esprit quand ils se sont élevés jusqu'à la vérité. Le dogme qui suit appartient-il à Antisthène le Cynique? Non, il sort de la bouche de l'Antisthène élevé à l'école de Socrate. « Dieu ne ressemble à qui que ce soit, dit-il : impossible par conséquent qu'une image le fasse connaître à personne. » Mais voilà que l'Athénien Xénophon proclame, en termes assez intelligibles, une partie de la vérité, tout prêt à lui rendre le même témoignage que Socrate, si la ciguë de Socrate n'était là pour l'arrêter. Il ne laisse pas néanmoins d'écrire ces mots : « La grandeur et la puissance appartiennent incontestablement à l'être qui ébranle la nature ou la pacifie à son gré. Quelle est sa forme? elle échappe à nos regards. Le soleil épanche ça et là ses rayons; cependant il ne se laisse pas contempler impunément. Le mortel qui fixe sur lui un œil présomptueux est ébloui par ses splendeurs. » Où le fils de Gryllus a-t-il puisé tant de sagesse ? Les accents de la prophétesse des Hébreux sont-ils parvenus jusqu'à son oreille? « Quel œil de chair pourra contempler le Dieu immortel et véritable, qui réside dans les hauteurs des cieux? Demandez à l'homme, frêle créature, s'il peut regarder en face la lumière du soleil et en soutenir la majesté? » [72] Écoutons Cléanthe de Pisade, philosophe stoïcien, qui en nous exposant non pas une théogonie poétique, mais une théologie véritable, ne nous a point dissimulé ses sentiments sur la Divinité : Quel est le bien suprême, dis-tu ? Apprends-le de ma bouche. C'est ce qui est réglé, juste, saint, pieux, maître de soi, utile, beau, convenable, austère, rigide, toujours avantageux, supérieur à la crainte, exempt de douleurs, étranger à la souffrance, salutaire, agréable, d'accord avec soi-même, illustre, vigilant, doux, permanent, inimitable, irrépréhensible, éternel. Esclave grossier, tout homme qui s'attache à l'opinion et qui espère en tirer quelque profit ! » Ces paroles montrent bien, si je ne me trompe, quel est Dieu. Elles ne manifestent pas moins que le torrent de la coutume et de l'opinion conduit à une honteuse servitude les infortunés qui aiment mieux s'abandonner au cours des idées vulgaires que de suivre Dieu. Mais gardons-nous de passer sous silence les témoignages de Pythagore. « Il n'y a qu'un Dieu. Il ne réside pas, comme quelques-uns le soutiennent, en dehors du mouvement de la nature ; il est tout entier dans l'économie générale du monde, tout entier dans tout l'univers, surveillant de tout ce qui naît, union de tous les êtres, éternellement subsistant, créateur de ses œuvres et de toutes les puissances qui relèvent de lui, flambeau du ciel, père de toutes choses, esprit et vie de tout ce qui est, mouvement universel. » Ces témoignages que les philosophes ont écrits sous l'inspiration de Dieu, et que nous avons choisis à dessein, suffiront pour élèvera la connaissance de Dieu quiconque n'a pas entièrement fermé les yeux à la vérité. [73] CAP. VII. (73) Mais c'est trop peu que les dispositions favorables de la philosophie. Appelons à notre aide la poésie elle-même, qui, livrée aux frivolités et aux mensonges, ne rendra que difficilement témoignage à la vérité, disons mieux, confessera aux pieds de la Divinité ses aventureux écarts dans le domaine de la fable. Prenons le premier venu d'entre les poètes. C'est Aratus, qui déclare que la puissance de Dieu pénètre partout : « A lui s'adressent nos premiers et nos derniers hommages pour le maintien de l'harmonie universelle. Salut à toi, père des humains, être merveilleux dans ta grandeur et source de tous les biens ! » Le vieillard d'Ascra désigne ainsi Dieu : « Il est le chef et le monarque universel : nul autre immortel ne possède ce glorieux privilège. [74] Mais la scène tragique elle-même nous dévoile la vérité: « Si vos regards s'élèvent vers l'éther et vers le ciel, croyez que vous avez vu Dieu, » dit Euripide. Le fils de Sophille, Sophocle, parle ainsi : « Dans la vérité, il n'y a qu'un Dieu, oui, il n'y a qu'un Dieu, qui a fait le ciel et la terre, et la mer azurée, et les vents impétueux. Mais, dans l'égarement de notre cœur, vains mortels que nous sommes, nous avons dressé aux dieux des statues, comme pour trouver dans ces images de bois, d'airain, d'or, d'ivoire, une consolation à nos maux. Nous leur offrons des sacrifices ; nous leur consacrons des fêtes pompeuses ; et après cela, nous nous applaudissons de notre piété. » C'est ainsi que Sophocle proclamait la vérité sur la scène, en face des spectateurs, dont il pouvait redouter la colère. Le fils d'OEagre, Orphée-le-Thrace, tout à la fois poète et interprète des dieux, après avoir exposé le mystère des fêtes de Bacchus, et tout le culte idolâtrique, change brusquement de langage au profit de la vérité, et entonne, quoique tardivement, l'hymne sacré : « Je déchirerai les voiles pour ceux qui ont la permission de voir : profanes, qui que vous soyez, fermez les portes du sanctuaire ! O toi, Musée, fils de la brillante Sélène, prête une oreille attentive à mes accents ; je vais te révéler des secrets sublimes. Que les préjugés vains et les affections de ton cœur ne te détournent point de la vie heureuse. Fixe tes regards sur le Verbe divin, ouvre ton âme à l'intelligence, et marchant dans la voie droite, contemple le roi du monde unique, immortel. » Puis, le poète poursuit en termes plus manifestes encore: « Il est un ; il est de lui-même ; de lui seul tous les êtres sont nés; il est en eux et au-dessus d'eux : invisible à tous les mortels, il a les yeux ouverts sur tous les mortels. » Ainsi chante Orphée : il reconnaît enfin l'égarement de ses pensées: « Mais toi, ô homme, si fécond en expédients, ne tarde pas davantage. Reviens sur tes pas, et désarme la colère de la Divinité. » En effet, si les Grecs sur lesquels est tombée quelque étincelle du Verbe divin, ont promulgué une faible partie de la vérité, ils attestent par là même qu'elle renferme une puissance qu'il est impossible de comprimer ; mais ils accusent en même temps leur propre faiblesse, puisqu'ils ont manqué le but. [75] Qui ne voit par conséquent que vouloir agir et parler sans l'intervention du Verbe, c'est ressembler au malade qui essaie de marcher avec des jambes percluses? Ah ! du moins, puisse le ridicule dont vos poètes, entraînés par la force de la vérité, couvrent vos dieux jusque sur la scène comique, vous déterminer à embrasser le salut ! Le poète Ménandre nous dit, dans la pièce intitulée le Cocher : « Fi d'un Dieu qui court les rues dans la compagnie d'une vieille femme; fi de cet homme qui se glisse dans les maisons, ses tablettes de mendiant à la main ! » L'allusion tombe ici sur les prêtres qui allaient quêter de porte en porte pour Cybèle. De là, l'ingénieuse réponse d'Antisthène : « Je ne me pique pas de nourrir la mère des dieux quand les dieux refusent de la nourrir. » Le même poète comique s'indigne contre une coutume de son temps, et poursuit dans le Prêtre, avec non moins de finesse que de vérité, l'aveuglement de ses contemporains : « Si l'homme peut, avec le bruit de ses cymbales et de ses tambours, conduire le Dieu partout où bon lui semble, quiconque est armé de ce pouvoir est supérieur au Dieu lui- même. Rêves d'une folle confiance ! Pures imaginations de l'homme ! [76] Mais que dis-je? Ménandre n'est pas le seul qui tienne ce langage. Homère, Euripide, beaucoup d'autres poètes, convainquent de néant tous vos dieux, et ne leur épargnent jamais l'ironie, dès que l'occasion s'en présente. Écoutez-les! Ici Minerve a le regard effronté d'un chien; là, Vulcain boite des deux jambes. Ailleurs, Hélène poursuit Vénus de cette imprécation : « Puisses-tu ne jamais remettre les pieds dans l'Olympe! Homère insulte ainsi ouvertement au dieu des vendanges: « Pendant que Bacchus est en proie à ses fureurs, l'étranger souleva contre le fils de Jupiter ses nourrices égarées. Toutes jetèrent le thyrse, à l'instigation du cruel Lycurgue. Euripide ne se montre-t-il pas le digne élève de Socrate, lorsque, les yeux uniquement fixés sur la vérité, il brave ainsi l'opinion des spectateurs? Tantôt il s'attaque « à cet Apollon qui, placé au point central de la terre, rend aux hommes des oracles infaillibles. » « Poussé par ses conseils, s'écrie-t-il, j'ai immolé ma mère. C'est un infâme ; traînez-le au supplice, et qu'il soit mis à mort. Le crime appartient à lui seul. Pour moi, je suis innocent ; j'ignorais où étaient la justice et la vertu. Tantôt il nous montre sur la scène un Hercule furieux ; ailleurs il en fait un débauché, plein de vin, et que nul aliment ne peut rassasier. Faut-il s'en étonner, quand on le mit, déjà gorgé de viandes, « manger des figues vertes, et pousser des cris extravagants qui excitaient la pitié même d'un Barbare ! » Dans Ion, il livre à la publicité du théâtre l'infamie des dieux. « N'est-ce pas une révoltante injustice, que les législateurs de la terre vivent eux-mêmes sans aucune loi ? Si, par impossible, qu'importe cependant? je dirai la vérité, si, par impossible, les hommes vous châtiaient de vos adultères, toi, Neptune et toi, roi suprême de l'Olympe, il y a longtemps que les temples seraient vides sur la terre. » [77] CAP. VIII. (77) Maintenant que nous avons parcouru successivement les matières qui précèdent, il est temps d'arriver aux écrits des prophètes. C'est qu'en effet la vérité a pour fondement leurs oracles, où se manifeste le culte que nous devons rendre à Dieu. Les divines Écritures et les sages institutions conduisent au salut par des routes abrégées. Simples et sans fard, dégagées de tout ornement ambitieux, ignorant l'art des vaines flatteries, elles rappellent de son tombeau l'homme étouffé par les vices, en lui apprenant à mépriser les vicissitudes et les tribulations de la vie, en guérissant d'une seule et même parole ses maladies diverses, en le tenant en garde contre les pièges ennemis, et en le poussant, comme par la main, au salut qui est placé sous nos yeux au terme de la carrière. Que la Sibylle, à la tête de tous, vienne donc chanter en ce moment le cantique du salut. "Il s'est levé sur l'univers immobile dans les hauteurs des cieux. Accourez, ô mortels ! cessez de poursuivre l'ombre et les ténèbres. Voici la douce lumière du jour ; voici le tombeau qui brille sans nuage. Debout donc ! que la sagesse illumine vos intelligences. Il n'y a qu'un Dieu. De sa puissante main partent les ondées, les vents, les tremblement: de terre, la foudre, les pestes, les famines, les maux de toute nature, les neiges et les frimais. Mais à quoi bon tout ces détails? Monarque du ciel, Seigneur de la terre, il es véritablement celui qui est. » Vous le voyez, le mal a été assimilé aux ténèbres, et la connaissance de Dieu à la lumière du soleil. Comparaison inspirée par Dieu, et qui nous apprend lequel des deux nous devons choisir ! Le mensonge, en effet, ne s'évanouit point devant la simple apparition de la vérité qu'on lui oppose il n'est repoussé et mis en fuite que par l'exercice de la vérité. [78] Au reste, la haute sagesse du prophète Jérémie, disons mieux, l'Esprit saint qui parlait par sa bouche, nous fait connaître Dieu en ces termes : « Penses-tu que je sois Dieu de près, et que je ne sois plus Dieu de loin ? Si un homme se cache dans les ténèbres, ne le verrai-je pas? Est-ce que je ne remplis pas le ciel et la terre, dit le Seigneur ? » Écoutons maintenant Isaïe : - Qui a mesuré le ciel dans le creux : sa main ? qui a soutenu de trois doigts la masse de la terre ? Considère, ô homme, la grandeur de Dieu, et sois frappé d'admiration ! Adorons celui auquel le prophète a dit: « A ton aspect, les montagnes s'écrouleront ; elles seront consumées comme tout ce que le feu dévore. » « Voilà, poursuit le prophète, le Dieu qui a le ciel pour trône, la terre pour marche pied. Qu'il ouvre la profondeur des cieux, l'épouvante te saisira. » Voulez-vous entendre quel sort un autre prophète prédit aux idoles ? « En ce temps, leurs simulacres seront traînés à la face du soleil; ils seront la pâture des oiseaux du ciel et des bêtes de la terre; les objets qu'ils ont aimés et servis seront putréfiés par le soleil et la lune, leur ville sera livrée à l'incendie. » « Le monde, ajoute-t-il, et tous les éléments seront enveloppés dans la même ruine ! La terre vieillira, le ciel passera ; mais la parole de Dieu demeure éternellement. » [79] Dieu veut-il se manifester par la voix de Moïse ? « Voyez, voyez que je suis seul et qu'il n'y a pas d'autre Dieu que moi. C'est moi qui tue, et moi qui fais vivre; moi qui frappe et moi qui guéris, nul ne peut s'arracher de ma main. » Vous plait-il d'entendre un autre organe de la Divinité? tout le chœur des prophètes se lève pour chanter sur le même ton que Moïse. Je ne crains pas de vous citer les paroles que l'Esprit saint place sur les lèvres d'Osée (4) : « Voici celui qui forme les montagnes et qui déchaîne les tempêtes; ses mains ont créé la milice du ciel. » Ailleurs, Isaïe fait entendre ces accents ; car je ne veux pas oublier ce témoignage : « Je suis le Seigneur de justice et d'équité. Rassemblez-vous; venez et approchez, vous les élus d'entre les nations. Soyez témoins de l'ignorance de ces hommes, qui élèvent un bois taillé de leurs mains, et qui adorent un Dieu impuissant à les sauver. » Puis, un peu plus bas : «N'est-ce pas moi le Seigneur ! Hors de moi, il n'y a pas de Dieu. Est-il un autre juste, un autre sauveur que moi? Tournez vos cœurs vers moi, et vous serez sauvés, vous qui habitez les extrémités de la terre. Je suis le Dieu fort; il n'y en a point d'autre. J'ai juré par moi-même. » Mais voilà qu'il s'irrite contre les adorateurs des idoles: « A qui comparez-vous votre Dieu, s'écrie-t-il. Quels traits formeront son image ? Le fondeur ne fait-il pas vos dieux ? L'orfèvre ne les couvre-t-il pas d'or, ou ne les orne-t-il pas de ciselures, etc. ? » Cessez donc de vous prosterner devant de muets simulacres, et prévenez dès ce moment l'effet de ces menaces : « Les idoles et tous les dieux forgés par la main des hommes pousseront des cris de détresse, » ou, pour mieux dire, les insensés qui ont placé leur confiance dans la matière, puisque la matière est incapable de sentiment. Le Seigneur fera plus. « Il ébranlera les villes qui sont habitées, et il rassemblera dans sa main toutes les contrées de la terre comme un faible nid d'oiseaux. » [80] Voulez-vous que je vous révèle les mystères et les oracles énoncés par le plus sage d'entre les Hébreux : « Le Seigneur m'a possédée (la sagesse) au commencement de ses voies. — Le Seigneur donne la sagesse ; de sa bouche se répandent et la prudence et le savoir. — Paresseux, jusques à quand seras-tu couché? Quand te réveilleras-tu de ton sommeil ? — Si tu es actif et laborieux, la moisson coulera pour toi comme une source. » Le Verbe paternel est le flambeau du bien, le Seigneur qui distribue à tous la lumière, la foi et le salut. « Car celui qui a fait la terre par sa puissance, dit Jérémie, a relevé par sa sagesse l'univers qui était tombé. » La sagesse, en effet, ou le Verbe de Bien nous trouvant prosternés devant les idoles, nous replaça debout pour nous appeler à la connaissance de la vérité. C'est par là qu'elle a commencé à nous relever après notre chute. De là vient que Moïse, afin de nous détourner de la servitude idolâtrique, nous crie avec sagesse : Écoute, Israël, Seigneur notre Dieu est le seul Seigneur. Tu adoreras le Seigneur ton Dieu, et tu le serviras lui seul. » Comprenez donc enfin, ô hommes, et cédez aux avertissements que le bienheureux David vous donne dans ses Psaumes : « Embrasse la loi sainte, de peur que le Seigneur ne s'irrite et que vous ne périssiez dans votre voie, quand sa colère s'allumera soudain. Heureux tous ceux qui ont mis leur confiance dans Seigneur ! » [81] Mais, qu'ai-je entendu ? Le Seigneur, dont la miséricorde pour nous est immense, fait retentir à nos oreilles les accents du salut. On dirait le chant martial qui réveille le courage de l'armée avant le combat. Enfants des hommes, jusques à quand resterez-vous plongés dans la torpeur? Pourquoi poursuivez-vous les vanités et embrassez-vous le mensonge ? Quelles sont ces vanités ? quel est ce mensonge ? Le saint apôtre du Seigneur va nous répondre dans ce passage, où il condamne les Gentils : « Ils sont inexcusables, dit-il, parce qu'ayant connu Dieu, ils ne l'ont point glorifié comme Dieu et ne lui ont point rendu grâces ; mais ils se sont égarés dans leurs vains raisonnements. Ils ont transporté à l'image d'un homme corruptible l'honneur qui n'est dû qu'au Dieu immortel, et ils ont adoré la créature au lieu du Créateur. » Par conséquent, puisque ce Dieu est le même qui a créé dès le commencement le ciel et la terre, vous qui, ne connaissant pas Dieu, rendez au ciel les honneurs divins, ne méritez-vous pas le titre d'impies ? Prêtez encore l'oreille aux oracles prophétiques: « Le soleil s'éteindra; les cieux s'obscurciront; mais l'Éternel brillera dans toute l'étendue des siècles. Les vertus des cieux seront ébranlées ; les cieux eux-mêmes seront roulés comme une tente que l'on déploie et que l'on replie (ainsi s'exprime la bouche inspirée), et la terre fuira d'épouvante devant la face du Seigneur. » [82] CAP. IX. (82) Il me serait facile de produire ici des passages presque innombrables empruntés aux Écritures, dont pas un seul point ne passera sans avoir son accomplissement, puisqu'elles émanent de l'Esprit saint, qui est comme la bouche du Seigneur. « Mon fils, ne négligez pas plus longtemps la correction du Seigneur, et ne vous laissez point abattre lorsqu'il vous reprend. » Ô bonté ineffable de Dieu envers les hommes ! il nous parle non comme un maître à ses disciples, non comme un Seigneur à des esclaves, non comme un Dieu à des hommes, mais comme un père tendre à ses enfants. Eh quoi ! Moïse lui-même avoue qu'il fut épouvanté et demeura tout tremblant « quand il entendit parler du Verbe ! Et vous qui entendez le Verbe en personne, vous ne tremblez pas ? vous n'êtes aucunement ébranlé? Ne vous déterminerez-vous pas enfin à l'adorer et à recueillir les enseignements de sa bonté; qu'est-ce à dire? ne vous hâterez-vous pas de marcher à la conquête du salut, en redoutant sa colère, en affection devant sa grâce, en suivant les espérances qu'il place devant vous, afin que vous évitiez le jugement? Approchez, approchez, mes fils; car « à moins de devenir comme de petits enfants et d'être renouvelés, » ainsi que parle l'Écriture, vous ne pourrez ni retrouver votre père véritable, « ni entrer dans le royaume des dieux. » A quel titre, en effet, l'étranger pourrait-il être admis? Mais qu'il soit inscrit sur les rôles de la cité, qu'il reçoive le droit de bourgeoisie, qu'il retrouve son père, aussitôt, si je ne me trompe, il demeure dans la maison paternelle, il est institué héritier, et l'enfant de l'adoption partage le royaume de son père avec le fils légitime et bien-aimé. La voilà, « cette assemblée des premiers-nés » qui se compose de nombreux enfants soumis. Les voilà, « ces premiers-nés qui sont inscrits dans le ciel, et qui célèbrent avec des myriades d'anges les solennités du Très-Haut. » Oui, nous sommes ses premiers-nés, et ses amis véritables, nous Chrétiens qui avons été ses premiers disciples, nous qui les premiers avons connu le Seigneur, qui les premiers avons brisé le joug du péché et rompu le pacte par lequel nous étions enchaînés au démon. [83] Mais, hélas! il en est un grand nombre qui affichent d'autant plus d'impiété que Dieu se montre plus compatissant et plus généreux. Eh quoi ! d'esclaves que nous étions, Dieu nous a faits ses enfants, et les ingrats dédaignent d'entrer dans sa famille! Ô incroyable démence! Rougissez-vous donc du Seigneur? Il vous offre l'émancipation, et vous vous précipitez dans l'esclavage. Il vous présente le salut, et vous, vous courez tête baissée à la mort. Tenez, s'écrie-t-il, la vie éternelle est à vous, et vous : Nous aimons mieux attendre des supplices éternels, répondez-vous; et vous embrassez pour dernière espérance le feu que « le Seigneur a préparé pour Satan et ses anges. » Aussi le bienheureux apôtre nous presse-t-il en ces termes : « Je vous en conjure par Notre Seigneur, ne vivez plus comme les Gentils qui marchent dans la vanité de leurs pensées, qui ont l'esprit plein de ténèbres, qui sont entièrement éloignés de la vie de Dieu à cause de l'ignorance où ils sont et de l'aveuglement de leur cœur. N'ayant aucune espérance, ils s'abandonnent à la dissolution, pour se plonger avec une ardeur insatiable dans toute sorte d'impuretés et d'avarice. » [84] Je le demande, quand un témoin si vénérable a convaincu par l'invocation du nom sacré l'extravagance des hommes, quelle autre espérance peut-il rester aux incrédules, sinon le jugement et la condamnation ? Toutefois le Seigneur ne les abandonne point à leur malice. Exhortations, prières, menaces, encouragements, admonitions, il n'épargne rien pour les arracher à leurs ténèbres et à leur sommeil. Sa voix leur crie : « Éveillez-vous; sortez de votre assoupissement ; levez-vous du milieu de ces morts où vous dormez, et le Christ vous éclairera de sa lumière ; » le Christ, soleil de la résurrection, « qui a été engendré avant l'étoile du matin, » et nous a départi la vie réelle par la splendeur de son flambeau. Gardez-vous donc de mépriser le Verbe, de peur que, l'avoir méprisé, ce ne soit vous être méprisés vous-mêmes sans le savoir. Car l'Écriture dit quelque part : « Si vous entendez aujourd'hui sa voix, n'endurcissez pas vos cœurs, comme à Mériba, au jour de la tentation dans le désert, alors que vos pères m'ont tenté et ont mis ma puissance à l'épreuve. » Sa puissance à l'épreuve, dit-il, comment cela? L'Esprit va l'expliquer: « Pendant quarante ans ils ont vu mes œuvres ; c'est pourquoi j'ai supporté avec dégoût cette génération et j'ai dit : C'est un peuple dont le cœur est égaré ; ils ne connaissent pas mes voies. C'en est fait, je l'ai juré dans ma colère; jamais ils n'entreront dans mon repos! » Eh bien! les voilà, les menaces! les voilà, les exhortations ! les voila, les châtiments ! Pourquoi convertissons-nous de la miséricorde en colère ? Pourquoi n'ouvrons-nous pas les oreilles aux enseignements du Verbe? Pourquoi ne cherchons-nous pas à recevoir Dieu dans le sanctuaire d'une âme sans tache? Sa promesse deviendra pour vous un immense bienfait, si aujourd'hui vous entendez sa voix. Au reste, cet aujourd'hui s'étend à chaque jour que le Seigneur nous fait, aussi longtemps qu'il est possible de nommer aujourd'hui. Le jour actuel et le temps d'apprendre subsistent jusqu'à la dernière consommation de toutes choses. Par conséquent, le véritable aujourd'hui, c'est-à-dire le jour indéfectible de Dieu, se prolonge jusque dans la longueur de l'éternité. Obéissons donc constamment à la voix du Verbe divin, puisque aujourd'hui signifie l'éternité. Qui dit jour dit lumière ; or, la lumière des hommes, c'est le Verbe aux rayons duquel nous voyons Dieu. [85] C'est à bon droit que la grâce sera répandue avec abondance sur ceux qui ont eu la foi et qui ont bien réglé leurs mœurs. Mais les incrédules « qui s'égarent dans la rébellion de leur cœur, et qui n'ont pas connu les voies » que le divin précurseur les avertit de rendre droites, Dieu s'irrite contre leur résistance et n'a pour eux que des menaces. Quel en sera l'accomplissement? Les Hébreux errants dans le désert sont le symbole du sort qui les attend. L'Écriture nous dit «qu'ils n'entrèrent pas dans leur repos à cause de leur incrédulité, » avant que, dociles au successeur de Moise, ils n'eussent appris à la fin, par une tardive expérience, qu'ils ne pouvaient être sauvés qu'en croyant à Jésus. Mais le Seigneur, dont la tendresse pour le genre humain est immense, envoie le Paraclet pour exhorter tous les hommes à la connaissance de la vérité. Cette connaissance, quelle est-elle? La piété envers Dieu, « Mais la piété, nous dit Paul, est utile à tous ; c'est elle qui a la promesse de la vie présente et de la vie future. » Si la vie éternelle était mise en vente, ô hommes, à quel prix l'achèteriez-vous ? Sachez-le cependant! quand même vous donneriez le Pactole tout entier qui charrie des flots d'or, d'après vos traditions fabuleuses, vous n'auriez pas payé le salut à sa juste valeur. [86] Toutefois, que le découragement ne vous abatte point. Vous pouvez, si bon vous semble, acheter ce trésor inestimable par des richesses qui vous soient personnelles, je veux dire l'ardeur de la charité et de la foi, dignes de contrebalancer les dons du Seigneur. Oui, Dieu reçoit avec plaisir cet échange. « Car nous espérons au Dieu vivant, qui est le Sauveur de tous les hommes et principalement des fidèles. » Mais la foule des mortels, attachée au rocher du monde comme l'algue des mers à recueil qui domine les flots, dédaigne l'immortalité. Je crois voir ce vieillard d'Ithaque qui, au lieu de soupirer après la patrie céleste et véritable, après les rayons de la lumière réelle, poursuivait de ses vœux une vaine fumée. La piété, pour assimiler l'homme à Dieu, du moins dans la mesure de sa faiblesse, lui assigne pour maître convenable Dieu, qui seul peut dignement élever l'homme jusqu'à lui. [87] Il connaissait bien la divinité de cette doctrine, l'apôtre qui écrivait ainsi à Timothée : « Pour vous, vous avez été instruit dès votre enfance dans les lettres saintes, qui peuvent vous éclairer pour le salut par la foi qui est en Jésus-Christ. » Comment serait-il possible, en effet, que ces lettres ne fussent pas saintes, quand elles font des saints et presque des dieux? De là vient que l'apôtre déclare divinement inspirées ces Écritures, ou ces volumes formés par la réunion des lettres et des syllabes sacrées. Laissons-le parler lui-même : « Toute Écriture inspirée de Dieu est utile pour enseigner, pour reprendre, pour corriger, et pour conduire à la piété et à la justice, afin que l'homme de Dieu soit parfait et disposé à toutes les œuvres. » Assurément, quelles que soient les exhortations des autres saints, jamais elles ne produiront sur nous la même impression que le Seigneur lui-même, qui a tant aimé le genre humain. Il ne se propose d'autre but que le salut des hommes. Il les presse, il les pousse dans ces voies. « Le royaume des cieux est proche, » leur crie-t-il incessamment. Il réveille par ces mots l'attention des hommes qui n'ont pas fermé leur cœur à la crainte. L'apôtre du Seigneur, voulant exhorter les Macédoniens dans une circonstance semblable, interprète ainsi ce passage : « Le Seigneur s'avance, prenez garde d'être surpris les mains vides. » Et vous, êtes-vous donc tellement étrangers à la crainte, je me trompe, tellement enracinés dans l'incrédulité, que, refusant toute foi au Seigneur, et encore plus à Paul, même quand il conjure au nom de Jésus-Christ, [88] vous ne vouliez ni voir, ni goûter que le Christ est Dieu ? La foi vous servira d'introducteur, l'expérience de guide, l'Écriture de maître. « Venez, mes enfants, vous dira-t-elle, écoutez-moi; je vous apprendrai la crainte du Seigneur. » Puis, elle ajoute brièvement, pour ceux qui sont déjà imprégnés de la foi : « Quel est l'homme qui veut la vie, qui soupire après les jours de bonheur? » — Seigneur, nous répondons à votre appel, nous écrierons-nous ! nous adorons le bien; nous voulons imiter ceux qui l'honorent. Écoutez donc, vous qui êtes éloignés ; écoutez, vous qui êtes proches. Le Verbe n'a jamais été caché pour qui que ce soit. Flambeau universel, il luit indistinctement « pour tous les hommes, » et devant ses rayons indéfectibles, il n'y a pas de Cimmérien. Hâtons-nous de conquérir le salut par la régénération ! Prenant pour modèle l'unité de l'essence divine, hâtons nous de nous confondre, nombreux fidèles, dans l'unité d'un seul et même amour, et, désireux de contempler l'essence souverainement bonne à la bonté de laquelle nous participons, marchons également dans l'unité. En effet, le concours de voix nombreuses formant, après la dissonance et la variété, une harmonie divine, monte au ciel comme un concert unique à la suite du Verbe, maître et chef du chœur, et se repose dans la même vérité, en disant : « Mon Père ! mon Père ! » Tel est le premier cri légitime qui, poussé par les enfants de Dieu, est accueilli là-haut par la faveur de Dieu. [89] CAP. X. (89) Mais je vous entends. Il vous en coûte de renverser les coutumes qui vous ont été transmises par vos ancêtres; c'est un sacrifice qui répugne à la raison. Eh bien ! à ce prix, pourquoi votre jeunesse ne s'alimente-t-elle plus du lait qu'une nourrice offrit aux lèvres de votre enfance? Pourquoi augmenter ou diminuer l'héritage de vos pères, au lieu de le garder scrupuleusement tel qu'ils ont pu vous le léguer? Pourquoi ne vous vois-je plus jouer sur le sein paternel, ou vous livrer à ces jeux puérils qui appelaient sur vous le rire des spectateurs quand vous étiez dans les bras de vos mères ? Pourquoi enfin dépouiller de vous-mêmes, et sans le secours d'aucun maître, les langes ainsi que les habitudes du premier âge ? Si les transports des passions, toujours dangereux, souvent mortels, nous font éprouver quelque plaisir cependant, pourquoi, quand il s'agit de la vie, ne renoncez vous pas à ces mœurs désordonnées, impies, pleines d'angoisses, pour entrer dans les voies de la vérité, dussent vos pères en frémir de douleur? Pourquoi enfin, répudiant la coutume comme on chasse hors de sa poitrine un poison homicide, ne cherchez-vous pas votre père véritable? La mission la plus belle à nos yeux, c'est de vous prouver que cette extravagante et misérable coutume est la plus cruelle ennemie de la piété. En effet, que n'a-t-il pas fallu pour vous amener à prendre en horreur et à repousser la plus excellente des grâces que le Seigneur ait pu apporter à l'humanité tout entière ? Emportés par le tourbillon de la coutume, et mettant une garde à vos oreilles, chevaux indociles à la rêne et mordant le frein, vous avez refusé d'écouter la voix de la raison, impatients de renverser du haut du char les Chrétiens vos maîtres et vos guides. Ce n'est pas tout. Poussés par votre extravagance jusqu'aux abîmes de la mort, vous avez crié : Malédiction au Verbe sacré de Dieu ! Aussi, qu'est-il arrivé? Vous avez reçu le juste salaire du choix que vous avez fait. [90] Sophocle vous apprend quelle en est la nature : « Un esprit sans consistance, des oreilles inutiles, de vaines pensées. » Vous ignorez une vérité supérieure à toutes les autres. La voici. Les hommes de bien et fidèles à honorer le Seigneur, recevront, en échange du culte qu'ils ont rendu à la bonté souveraine, des récompenses pleines de douceur. Les méchants, au contraire, ne peuvent attendre que des châtiments en retour de leur méchanceté. Il y a mieux. Des supplices terribles sont réservés au prince du mal, suivant la menace de Zacharie : « Il te réprimera, le Jéhovah qui a choisi Jérusalem. Tu n'es qu'un tison arraché du feu. » Quelle étrange maladie pousse donc ainsi les hommes à une mort volontaire? Pourquoi se précipiter tumultueusement autour de ce tison fatal, avec lequel ils seront infailliblement brûlés, quand ils avaient la faculté de vivre suivant les préceptes divins, au lieu de suivre le torrent de l'opinion publique? Car, avec Dieu, l'on trouve la vie ; mais que leur reviendra-t-il de s'être égarés avec la démence de la coutume ? Un tardif repentir au milieu d'inexprimables supplices par-delà le tombeau. Au reste, que la superstition engendre la mort et que la piété conduise au salut, l'insensé lui-même ne l'ignore pas. [91] Regardez les idolâtres. Quelques-uns paraissent en public avec une chevelure négligée ; leurs vêtements en lambeaux sont couverts d'une immonde poussière. Ils renoncent à l'usage des bains; ils laissent croître démesurément leurs ongles, et affectent des manières sauvages. Plusieurs vont même jusqu'à mutiler leur chair : ridicules personnages dont les actions manifestent à elles seules que les temples des idoles ont été primitivement des prisons ou des tombeaux. A les voir se livrer ainsi bien moins à des œuvres de piété qu'à des tortures dignes de compassion, ne semble-t-il pas qu'ils portent le deuil de leurs dieux plutôt qu'ils ne leur rendent hommage ! Pour vous, l'aspect de ces misères ne vous ouvrira-t-il pas les yeux ? Ne lèverez-vous pas enfin vos regards vers celui qui est le Seigneur et le maître universel ? N'êtes-vous pas résolus à vous échapper de ces tombeaux, pour vous réfugier dans les bras de la miséricorde qui est descendue des hauteurs du ciel ? Dieu, en effet, pareil à l'oiseau qui accourt avec empressement autour de sa jeune couvée quand elle tombe du nid, soutient par sa miséricordieuse bonté le vol de sa créature. Qu'un serpent funeste vienne à dévorer les petits de l'oiseau, la mère voltige çà et là, pleurant les gages de sa tendresse. Dieu fait plus. Il va chercher le remède; il l'applique sur les blessures du malade ; il chasse la bête féroce, et recouvrant le fils de sa tendresse, il l'aide doucement à rentrer dans son nid. [92] Voyez encore les chiens. Quand ils s'aperçoivent qu'ils sont égarés, ils interrogent, avec la sagacité de leurs narines, les traces de leur maître. Les chevaux eux-mêmes qui ont renversé leur cavalier obéissent et reviennent au premier appel de sa voix. « Le taureau connaît son maître ; l'âne, son étable ; Israël m'a méconnu : mon peuple est sans intelligence. » Mais le Seigneur?... Le Seigneur ! il oublie la grandeur de l'outrage; il vous offre encore sa miséricorde; il ne demande que votre repentir. Mais, répondez : vous êtes l'ouvrage de Dieu; c'est à lui que vous devez votre âme ; rien chez vous qui n'appartienne au Très-Haut. Connaissez-vous après cela une absurdité plus révoltante que de porter vos hommages à un autre maître, que d'honorer un tyran à la place d'un monarque, le mal à la place du bien? Au nom de la vérité, qui jamais a pu, sans avoir perdu le sens, abandonner le bien pour s'attacher au mal? Qui fuira la compagnie de Dieu pour vivre dans celle des démons ? Quel est celui qui, pouvant s'inscrire parmi les enfants de Dieu, préfère la honte de l'esclavage ? Qui enfin marche tête baissée vers les abîmes de la perdition, lorsqu'il peut être citoyen du ciel, habiter le paradis, parcourir librement les régions célestes, et participer à la fontaine intarissable d'où jaillit la vie éternelle, emporté parmi les airs sur une nuée brillante, et contemplant, comme autrefois Élie, la pluie du salut ? Mais la foule des hommes, se roulant à la manière des reptiles dans la fange et les marais, s'y repaît d'extravagantes et honteuses voluptés. Vils mortels, qui méritent moins le nom d'hommes que celui de pourceaux ! L'animal immonde, dit-on, préfère le bourbier à l'eau la plus limpide, et, dans la démence de ses appétits, il convoite, selon l'expression de Démocrite, les hideux mélanges. Gardons-nous donc de nous précipiter dans les chaînes de la servitude, ou de nous abaisser jusqu'à l'ignominie du pourceau. Loin de là! légitimes enfants de la lumière, levons les yeux vers la lumière; regardons-la face à face, de peur que le Seigneur, ainsi que le soleil accuse la dégénération de l'aigle, ne surprenne en nous les traces de la bâtardise. [93] Pleurons donc nos fautes ; passons des ténèbres de l'ignorance au grand jour de la connaissance, de l'égarement à la raison, de l'intempérance à la tempérance, de l'injustice à la justice, de l'impiété à l'adoration du vrai Dieu. C'est une belle expérience à tenter que de passer au service du vrai Dieu. Sans doute, des biens nombreux sont proposés comme récompense à ceux qui pratiquent la justice et poursuivent de leurs efforts la vie éternelle; mais les biens les plus éminents sont ceux que le Seigneur a désignés lui-même par la bouche du prophète Isaïe : « L'héritage des enfants est le partage de ceux qui s'attachent au Seigneur. » Aimable et magnifique héritage ! Il n'est ni l'or, ni l'argent, ni la pourpre que le ver dévore, ni aucune des richesses terrestres que le voleur dérobe dans son admiration insensée pour une vile matière. Quel est donc cet héritage? C'est le trésor du salut, vers la conquête duquel il nous faut marcher, une fois devenus les amis du Verbe. De là descendent jusqu'à nous les bonnes actions, pour s'envoler avec nous sur les ailes de la vérité. [94] Cet héritage, qui n'est pas autre que le don de la vie éternelle, l'éternelle alliance de Dieu nous le met entre les mains. Ce Dieu, qui est notre véritable père, car il nous chérit de l'amour le plus tendre, ne cesse pas un seul moment de nous exhorter, de nous avertir, de nous reprendre, de nous aimer. Qui s'en étonnerait? Il veille incessamment à notre conservation ; il nous fait entendre les plus salutaires conseils. « Donnez vos cœurs à la justice, dit le Seigneur. Vous tous qui avez soif, venez vers les eaux ; vous tous qui êtes dans l'indigence, hâtez-vous; achetez et nourrissez-vous; venez, vous recevrez sans échange le lait et le vin. » Purification, saint, illumination de l'âme, il réveille nos langueurs sur chacun de ces points. Je crois l'entendre nous crier : « O mon fils, je te donne la terre, la mer et le ciel ; tous les animaux qu'elle renferme sont à toi. Toi seulement, ô mon fils, aie soif de ton père. Dieu se révélera gratuitement à tes yeux ; car la vérité ne s'achète point à prix d'argent. » Vous l'entendez ! les oiseaux qui peuplent l'air, les poissons qui nagent dans les eaux, les animaux qui habitent la terre, Dieu vous les donne. Ils ont été créés par le Père céleste, pour que vous en usiez avec actions de grâces et reconnaissance. Que l'enfant illégitime, que le fils de perdition, dont le cœur est résolu d'adorer Mammon, achète ces biens à prix d'argent, à la bonne heure! mais vous, vous êtes l'enfant légitime ; ils vous sont remis comme un héritage qui est à vous. N'aimez-vous pas le Père dont la grâce opère encore? N'est-ce pas à vous qu'a été faite cette promesse : « La terre demeurera à perpétuité, » parce qu'elle n'est pas exposée à la corruption ? « Toute la terre est à moi ; » mais elle vous appartiendra, si vous recevez votre Dieu. Aussi l'Écriture annonce-t-elle cette heureuse nouvelle à ceux qui croient : « Les saints du Seigneur hériteront de la gloire de Dieu et de sa puissance. » Élève la voix, ô bienheureux Paul, et dis-nous quelle est cette gloire? « Une gloire que l'œil n'a jamais vue, que l'oreille n'a jamais entendue; telle, enfin, qu'il n'en est jamais monté de semblable dans le cœur de l'homme. Ils tressailliront d'allégresse dans le royaume du Seigneur pendant toute l'éternité. Ainsi soit-il. » [95] Maintenant, ô hommes, vous avez entendu, d'une part, quelle est la grandeur des promesses divines; de l'autre, quelle est la grandeur des supplices. Grâces et supplices, tels sont les moyens par lesquels le Seigneur forme l'homme et le conduit au salut. Que tardons-nous encore? Pourquoi ne nous mettons-nous pas à l'abri du châtiment? Pourquoi n'ouvrons-nous pas la main au don sacré? Pourquoi ne choisissons-nous pas ce qui vaut mieux, c'est-à-dire le Seigneur, préférablement au mal, et la sagesse préférablement à l'idolâtrie? Pourquoi n'échangeons-nous pas la vie contre la mort? « Voilà que j'ai placé sous vos yeux la mort et la vie. » Le Seigneur vous met a l'épreuve afin que vous choisissiez la vie. Père tendre, il nous presse d'obéir à Dieu. « Ô Sion! si tu veux, si tu écoutes ma voix, tu jouiras des fruits de la terre. » Telle est la récompense qu'il attache à la soumission. « Mais si, indocile et rebelle, tu irrites ma colère, le glaive te dévorera. » Telle est la sentence qu'il prononce contre l'opiniâtreté qui refuse d'obéir. Ainsi a parlé la bouche du Seigneur, c'est- à-dire la loi de la vérité, le Verbe de Dieu. Voulez-vous que je vous donne un sage et utile conseil? Accordez-moi votre attention. Je m'expliquerai avec toute la clarté dont je suis capable. Vous auriez dû, ô hommes, quand vous réfléchissiez sur le bien, invoquer les dispositions d'un témoin incorruptible et inné, de la foi, qui choisit par une spontanéité rapide et naturelle ce qui vaut le mieux, et non pas chercher avec tant de labeur s'il faut suivre ses inspirations. Qui de vous, par exemple, met en doute s'il faut s'enivrer? cependant vous vous plongez instinctivement dans l'ivresse avant que la réflexion vous vienne. Doit-on faire tort à autrui ? que vous importe ? vous commettez la violence et l'outrage le plus promptement qu'il vous est possible. Mais faut-il honorer Dieu ? faut-il obéir à ce Dieu sage et au Christ? Il n'y a donc que ces questions sur lesquelles vous hésitiez. Voilà où vous croyez que la délibération est à propos, sans penser aucunement à ce qui convient à Dieu ni à la vérité. [96] Ah! pour devenir sobres, croyez du moins à nos paroles comme vous croyez à l'ivresse; pour acquérir la vie, croyez à nos paroles comme vous croyez à la colère et à l'injustice. Que si, dociles à la foi qui parle au fond de toutes les vertus, vous vous déterminez enfin à obéir, je produirai devant vous une foule surabondante de témoignages, fournis par le Verbe, pour solliciter votre acquiescement. Vous donc, car telle est la préoccupation de vos mœurs nationales, qu'elles vous ont éloignés complètement jusqu'ici de l'étude de la vérité, prêtez une oreille attentive à ce qui va suivre. La foi, à ce mot, ne vous laissez pas surprendre par une mauvaise honte, qui ne peut qu'être funeste à l'homme et le détourner du salut. Dépouillons donc nos vêtements sans rougir, et combattons avec des armes légitimes dans l'arène de la vérité, ayant pour juge le Verbe saint et pour ordonnateur des jeux l'éternel modérateur de l'univers. L'immortalité, en effet, quelle récompense plus auguste brille placée au bout de la carrière ! On parlera de nous avec mépris, me répondrez-vous peut-être ! Et que vous importent les clameurs de quelques misérables, tirés de la lie du peuple, qui conduisent les chœurs impies de la superstition et dans leur extravagance courent tête baissée vers l'abîme, insensés fabricateurs d'idoles, stupides adorateurs de la pierre? Voilà les hommes qui osèrent transformer les mortels en dieux! Ce sont eux qui inscrivent comme treizième divinité ce conquérant macédonien dont Babylone montre encore le tombeau. [97] Aussi ne puis-je refuser mon admiration au sophiste divin qui portait le nom de Théocrite. Paraissant sur la place publique après la mort d'Alexandre, il dit à ses concitoyens, pour les faire rougir des vaines opinions qu'ils se formaient sur le compte des dieux : « Rassurez-vous, ô hommes, aussi longtemps que vous verrez les dieux mourir avant vous. » Il n'en faut point douter; ceux qui se forgent des divinités corporelles et palpables, en mêlant à leurs adorations la matière et tout ce qui est créé, sont beaucoup plus malheureux que les démons ; car Dieu n'est pas injuste comme ces derniers. Il est la justice infinie; et l'être qui lui ressemble le plus, c'est le mortel le plus juste. « Accourez donc, mercenaires de toute espèce, qui, dans votre aveugle admiration pour la fille de Jupiter, déesse au visage terrible et protectrice du travail, l'adorez en déposant à ses pieds des cribles ; » insensés qui rendez les honneurs divins à des pierres taillées par votre ciseau. [98] Approchez, vous aussi, Phidias, Polyclète, Praxitèle, Appelle, vous tous qui exercez des arts mécaniques, terrestres artisans de la terre ; car une prophétie l'annonce : « Les choses iront mal ici-bas, lorsque les peuples mettront leur foi dans les statues ; » approchez donc, je ne cesserai de vous renouveler cette invitation; approchez, vils artisans. En est-il un seul parmi vous qui ait jamais façonné une image vivante et animée, ou qui, avec l'argile, ait assoupli une chair délicate et flexible? Qui de vous a liquéfié la moelle des os? qui de vous en a consolidé la charpente? qui de vous a étendu les nerfs? qui de vous a enflé les veines? qui de vous les a remplies de sang? qui de vous a recouvert de peau le corps tout entier ? qui de vous a jamais placé le regard dans ces yeux formés par vos mains? qui de vous a soufflé une âme dans la muette effigie ? qui de vous l'a imprégnée des sentiments de la justice ? qui de vous enfin lui a dit : tu seras immortelle ? C'est le noble artisan de l'univers; c'est le Père, auteur de toutes choses, qui seul a créé l'homme, statue vivante et animée. Mais pour votre dieu olympien, image de cette image et bien différent de la vérité, il n'est que le stupide ouvrage des mains uniques. En effet, l'image de Dieu, c'est son Verbe, fils véritable de la suprême intelligence, Verbe divin, lumière archétype de la lumière. L'homme, à son tour, est l'image du Verbe. Pourquoi cela? Parce qu'il y a dans l'homme une intelligence véritable, ce qui a fait dire qu'il est formé à l'image et à la ressemblance de Dieu, puisqu'il est réellement assimilé au Verbe par son cœur et son intelligence, et conséquemment doué de raison. Il est donc manifeste que les images de l'homme visible et terrestre, c'est-à-dire les statues qui essaient de reproduire la figure humaine, ne sont que de vaines et fragiles représentations auxquelles manquent la vie et la vérité. [99] Aussi je ne puis trop déplorer l'extravagance de la vie humaine quand je la vois se ruer avec une ardeur si aveugle sur la matière. Oui, la coutume qui vous courbe sous le joug de la servitude et vous enchaîne à des soins aussi stériles que dépourvus de raison, trouve son aliment dans la crédulité publique. O ignorance cachée au fond de ces rites impies et de ces imitations mensongères, c'est toi qui poussas le genre humain à se forger des idoles, toi qui attiras sur lui de terribles fléaux en peuplant la terre de mille formes fantastiques et de démons si divers, toi qui attachas au front de leurs adorateurs le signe de la mort éternelle ! Recevez donc l'eau sainte du Verbe; venez vous purifier, vous qui êtes couverts de souillures; lavez-vous des taches de la coutume dans la rosée véritable ; car tous ceux qui montent au ciel doivent être purs. Hommes, cherchez par la plus commune des investigations celui qui vous a faits. Enfants, reconnaissez votre père ! Quoi de plus légitime! Mais vous, dont le cœur se fond dans de honteux plaisirs, persistez-vous dans vos péchés ? A qui le Seigneur dira-t-il : « Le royaume des cieux est à vous? » Il est à vous, si vous le voulez, dès que vous aurez pris la résolution d'obéir à Dieu. Oui, il est à vous, pourvu que vous consentiez à croire, et à suivre la voie abrégée de la prédication. Les habitants de Ninive ouvrirent autrefois leur cœur à la sainte parole. Les pleurs de leur repentir firent succéder à la raine qu'ils attendaient les merveilles de leur salut. [100] — Mais par quel moyen, me dites-vous, le ciel s'ouvrira-t-il devant moi? — Le Seigneur est la voie; voie étroite, il est vrai, mais qui part du ciel; voie étroite, il est vrai, mais qui remonte au ciel ; voie étroite, que la terre méprise et dédaigne, mais qui ne laisse pas d'être large et adorée dans les cieux. Sans doute, à qui n'a jamais entendu nommer le Verbe, il sera pardonné en faveur de son ignorance. Mais celui qui en connaît les oracles et qui s'opiniâtre dans une incrédulité volontaire, plus son intelligence est riche de lumières, plus ses connaissances lui seront fatales, puisqu'il sera condamné au tribunal de sa propre science pour avoir refusé de choisir ce qu'il y avait de meilleur. La nature de l'homme d'ailleurs l'enchaîne à Dieu par des relations particulières. Nous ne contraignons point le taureau à chasser, ni le chien à labourer. Nous disposons de ces animaux dans la mesure de l'instinct que Dieu leur a départi. Ainsi, recueillant dans l'homme, qui est fait pour contempler le ciel, dans l'homme, plante née là-haut dans les régions de l'éternité, les privilèges inhérents à sa nature et par lesquels il règne sur le reste des animaux, nous l'exhortons à servir Dieu et à faire ici-bas des provisions qui l'accompagnent dans toute l'éternité. Laboure la terre, lui disons-nous, si telle est ta profession; mais pendant que tu remues la terre, travaille à connaître celui qui l'a créée. Nautonier, va fendre les flots de la mer; mais avant de prendre en main le gouvernail, invoque le pilote de la terre et des cieux. Faut-il marcher sous l'aigle des Césars? écoute avant tout le monarque dont la voix ne commande rien que de juste. [101] Revenez donc enfin à vous-mêmes, comme l'on revient de l'engourdissement de l'ivresse et du sommeil. Si peu que vous ouvriez les yeux, reconnaissez quel fruit il vous revient de ces pierres devant lesquelles vous vous courbez, et des dépenses que vous consacrez stérilement au culte de la matière. Vous jetez à pleines mains vos richesses dans le gouffre de l'ignorance, de même que vous précipitez votre vie dans la mort, dernier abîme où s'engloutit votre chimérique espoir. Mais hélas ! telle est la force de l'habitude qui vous tyrannise, que vous ne savez ni prendre pitié de vous-mêmes, ni vous rendre aux conseils de ceux que vos erreurs touchent de compassion. Entraînés par la coutume, vous courez à une ruine volontaire jusqu'à votre dernier moment. Pourquoi cette opiniâtreté? « C'est que la lumière est venue dans le monde; mais les hommes ont mieux aimé les ténèbres que la lumière; » quand, pour les purifier de l'orgueil, des richesses et de la crainte, il ne fallait que cette exclamation du poète: « Où porté-je tous ces trésors ? où m'égaré-je moi-même ? » Si donc après avoir répudié les fictions extravagantes, vous avez fermement résolu de vous affranchir aussi du joug de l'habitude, dites à la vaine opinion : « Songes et fantômes, adieu! vous n'étiez que des chimères ! » [102] En effet, ô hommes ! pourquoi vous imaginer que Typhon est Mercure, Andocide et Amyet? N'est-il pas visible aux yeux de tous que ce sont autant de pierres comme Mercure lui-même? Si l'arc-en-ciel et le cercle qui environne la lune ne sont plus des dieux, mais de simples phénomènes produits par l'air ou par les nuages ; si vous effacez aussi de ce nombre le jour, le mois, l'année, le temps qui se forme de ces diverses périodes, il s'ensuivra que le soleil et la lune, dont le cours mesure les intervalles mentionnés tout à l'heure, ne sont pas davantage des dieux. Quel homme, s'il n'a l'esprit aliéné, inscrira parmi les dieux le jugement, le supplice, la vengeance? Plus de Furies! plus de Parques ! plus de Destin, puisque la république, la gloire et Plutus, que les peintres représentent aveugle, descendent de l'Olympe. La Honte, l'Amour, et Vénus des dieux ! Mais à ce titre il faut aussi que la turpitude, l'amour, la beauté, le commerce de la chair, montent au même rang. Vous ne prostituerez plus maintenant le nom de Dieu au sommeil et à la mort, ces deux frères jumeaux, dans le langage de vos poètes, puisqu'ils ne sont que des accidents naturels à tous les animaux. Laissez là votre Fortune, votre Sort, vos Parques! Si la Dispute et le Combat ne sont plus des dieux, il faut également refuser ce titre à Mars et à Enyo. Si les éclairs, les foudres, et les nuages ont perdu la qualification divine, pourquoi la conserver au feu, à l'eau, aux étoiles errantes ou comètes qui sont engendrées par une certaine disposition de l'air ? que celui qui fait de la fortune une déesse, en fasse une aussi de l'action ! [103] Par conséquent, si aucune de ces appellations mensongères, si nul de ces simulacres dressés par la main des hommes et dépourvus de sentiment, n'est le Dieu véritable, s'il existe en nous-mêmes, le fait est constant, je ne sais quel invincible préjugé de la puissance divine, il ne nous reste plus qu'à confesser que le Dieu unique et véritable est le seul qui soit et qui ait été. Fermer les yeux à cette vérité, c'est ressembler à ceux qui ont bu de la mandragore ou quelque poison semblable. Mais à vous, que Dieu vous accorde de revenir de votre sommeil et de connaître le Dieu véritable. Ne prenez plus pour la Divinité l'or, la pierre, le bois, l'action, la maladie, la passion et la crainte. Car la terre est couverte de milliers de démons, qui ne sont ni immortels, ni mortels, puisqu'ils ne participent pas plus à la vie qu'à la mort. Simulacres de bois ou de pierre, que les hommes vénèrent comme leurs maîtres légitimes, ils déshonorent et souillent la vie de leurs adorateurs par une coutume extravagante. « Mais la terre et tout ce qu'elle renferme, nous dit l'Écriture, appartient au Seigneur. » Pourquoi donc, en jouissant des bienfaits sacrés, avez-vous le courage d'ignorer qu'elle est la main qui vous les envoie? Renonce à cette terre qui est la mienne, vous criera le Seigneur. Interdis-toi cette eau que ma bonté fait jaillir! Ne touche point à ces moissons que je cultive. ? homme, restitue à Dieu les aliments qui te nourrissent, reconnais ton Seigneur. Tu es l'œuvre particulière de ses mains. A quel titre une créature sur laquelle il a des droits de propriété lui deviendrait-elle étrangère? Le domaine aliéné, en perdant la propriété, perd en même temps sa vérité. A vous voir ainsi privés de tout sentiment, ne dirait-on pas que vous avez éprouvé le sort de la fabuleuse Niobé, ou, pour vous parler un langage plus mystique, que vous ressemblez à celle que les anciens appelaient l'épouse de Loth? Femme infortunée ! Les Écritures nous apprennent qu'éprise d'amour pour Sodome, elle fut changée en bloc de pierre. Mais qu'était-ce que les habitants de cette ville? des impies qui ne connaissaient pas Dieu, des hommes durs de cœur, et pleins de stupidité. [104] Imaginez-vous que Dieu vous adresse ces paroles : Ne regardez pas la pierre, le bois, les oiseaux, les serpents, comme des objets plus sacrés que les hommes. Loin de là, tenez les hommes pour véritablement sacrés ; n'estimez les bêtes que ce qu'elles sont. Les hommes, en effet, dans le lâche aveuglement de leurs pensées, croient que Dieu promulgue ses oracles par la voix d'un corbeau ou d'un geai, mais qu'il garde le silence par la bouche de l'homme. Dès lors ils rendent les honneurs divins à un misérable oiseau qu'ils transforment en interprète et en messager de Dieu ; mais l'homme, créature de Dieu, l'homme qui, bien qu'il ne glousse ni ne croasse, fait au moins entendre le langage de la raison; l'homme, qui les instruit avec miséricorde, et les pousse à la pratique de là justice, ils le poursuivent en barbares; ils s'efforcent de l'immoler, sans être retenus ni par l'espérance des bienfaits célestes, ni par la crainte des châtiments. Pourquoi tant d'humanité ? Ils n'ont pas foi en Dieu, pas plus qu'ils ne comprennent sa puissance. Quelle est la grandeur de l'amour de Dieu pour les hommes ? quelle est l'intensité de sa haine pour le crime? les paroles humaines ne sauraient l'exprimer. De même que la colère alimente le supplice du pécheur, la miséricorde comble de bienfaits ceux qui font pénitence. Mais être abandonné de l'assistance de Dieu, c'est de tous les malheurs le malheur le plus terrible. De là vient que parmi les envahissements de l'esprit malin, il n'en est pas de plus formidable pour nous que la cécité, qui ferme nos yeux à la contemplation du ciel, et la surdité, qui nous rend complètement inhabiles à entendre les divins enseignements. [105] Aussi, vous qui êtes comme mutilés pour la vérité, aveugles d'esprit, et sourds d'intelligence, vous restez plongés dans l'apathie, sans douleur, sans indignation, sans nul désir de voir le ciel et l'architecte du ciel, sans chercher à entendre, ni à connaître le père et le créateur de toutes choses, sans appliquer enfin votre cœur à la conquête du salut. Quiconque est en marche vers la connaissance de Dieu, ne se laisse retarder par aucun obstacle, ni par la perte de ses enfants, ni par la détresse de l'indigence, ni par l'obscurité du nom, car le possesseur de la véritable sagesse n'aspire point à s'en délivrer « par le tranchant du fer ou de l'airain. » Il la préfère à tout ce que renferme le monde. Le Christ est partout salutaire. Le zélateur du juste, étant l'ami de celui auquel rien ne manque, ne manque de rien lui-même, attendu que le trésor de sa félicité il l'a placé dans lui-même et dans Dieu, là où il n'y a ni ver, ni voleur, ni pirate, mais l'éternel distributeur des biens. C'est donc à bon droit que l'Écriture vous compare à ces serpents qui ferment les oreilles à la séduction des enchantements. « Ils ressemblent au serpent et à l'aspic qui ferment l'oreille pour ne point entendre la voix de l'enchanteur dont la parole peut les adoucir. » [106] Mais vous, laissez-vous prendre aux charmes de la sainteté ; recevez la douceur de notre Verbe; rejetez le poison homicide, afin qu'il vous soit donné de vous dépouiller de la mort comme à ces reptiles de renouveler leur jeunesse. Écoutez mes accents ; ne fermez point vos oreilles, ne murez point votre intelligence; mais gravez au fond de vos cœurs les paroles qui sortent de notre bouche. L'immortalité est un merveilleux remède. Ah ! de grâce ne rampez plus à la manière des serpents, « car les ennemis du Seigneur baiseront la poussière de ses pieds » dit l'Écriture. Détachez vos yeux de la terre; regardez le ciel, admirez les merveilles divines, cessez de dresser des pièges sous les pas du juste et d'entraver la route de la vérité. Soyez prudents et sans malice; peut-être que le ciel vous donnera les ailes de la simplicité, car il donne des ailes aux enfants de la terre, afin de vous aider à sortir de ces retraites pour aller habiter au ciel. Seulement repentez-vous de tout votre cœur, afin que tout votre cœur s'ouvre à la réception du Seigneur. « Peuples, espérez en lui dans tous ses temps, répandez devant lui votre âme, » dit-il à ceux qui sont revenus récemment de leur impiété; il est plein de miséricorde, et il fait abonder la justice. Ô homme, crois à l'Homme-Dieu ! ô homme, crois au Dieu vivant, qui a souffert et qui est adoré ! Esclaves, croyez à celui qui est mort. Hommes, qui que vous soyez, croyez à celui qui seul est le Dieu de tous les hommes. Croyez, et vous recevrez le salut pour récompense de votre foi. « Cherchez Dieu, et votre âme vivra, » Quiconque cherche Dieu, s'occupe de son salut. Avez-vous trouvé Dieu? vous possédez la vie. [107] Cherchons-le donc pour vivre réellement. Le prix de cette découverte, c'est la vie dans le sein de Dieu. « Qu'ils se réjouissent, qu'ils tressaillent d'allégresse en vous, tous ceux qui vous cherchent ; » qu'ils redisent éternellement : Gloire à Dieu ! Quel hymne magnifique en l'honneur de Dieu, que l'immortalité de l'âme chrétienne, qui est munie des enseignements de la justice, et porte gravés au fond d'elle-même les augustes caractères de la vérité! Je le demande, où faut-il graver la justice ailleurs que dans l'âme du sage ? Quel autre sanctuaire ouvrirez-vous à la pudeur, à la charité, à la mansuétude ? Vous tous qui êtes marqués de ces empreintes divines, ne l'oubliez pas, vous êtes placés aux plus propices barrières de la sagesse, pour vous élancer de là dans l'arène de la vie et des tribulations. La sagesse ! elle est le port du salut à l'abri de la tempête. La sagesse ! elle donne aux enfants de bons pères, quand ils se sont jetés dans le sein du Père ; aux pères, de bons .fils, quand ils ont connu le Fils; aux épouses, de bons époux, quand elles ont tourné leurs regards vers l'époux ; aux esclaves, enfin, de bons maîtres, quand ils ont brisé la chaîne du plus honteux esclavage ! [108] Ô combien la bête est plus heureuse que l'homme égaré par l'erreur ! L'animal est plongé dans la même ignorance que vous; oui, sans doute; mais l'animal ne trahit pas la vérité. Je ne vois point parmi les bêtes un peuple d'adulateurs; connaissez-vous des poissons qui adorent les faux dieux ? où sont les oiseaux qui vénèrent des idoles ? Ne pouvant s'élever à la connaissance de Dieu, puisque l'intelligence leur manque, ils n'admirent du moins que la beauté d'un ciel unique. Eh quoi ! ne rougirez-vous pas, enfin, de vous être ravalés au-dessous de l'animal dépourvu de raison, vous qui avez consumé tant de siècles dans l'impiété ? Vois avez passé par le berceau, par l'adolescence, par la jeunesse; la maturité a disparu. Vertueux, vous ne l'avez pas encore été. Parvenus au déclin de votre carrière, honorez du moins votre vieillesse. À ce moment solennel où la vie échappe, embrassez du moins la sagesse, reconnaissez Dieu, afin que le dernier terme de votre existence s'empare du commencement du salut. Vous avez vieilli dans le culte de vos fausses divinités ; venez vous rajeunir dans le culte du vrai Dieu. Le vrai Dieu vous inscrit au nombre des enfants qui ont gardé leur innocence. Que l'Athénien suive les lois de Solon ! que l'habitant d'Argos obéisse à Phoronée, et le Spartiate à Lycurgue. Vous, si vous êtes Chrétiens, vous avez le ciel pour patrie, et Dieu pour législateur. Mais quelles sont nos lois? « Vous ne tuerez point. — Vous ne commettrez point l'adultère. — Vous ne déroberez point. — Vous ne porterez point faux témoignage. — Vous aimerez le Seigneur votre Dieu. » Puis viennent, pour compléter ces oracles, d'autres lois conformes à la raison, et de saintes paroles qui sont gravées dans le cœur de tous les hommes. Ainsi, par exemple : « Vous aimerez le prochain comme vous-même. — Si quelqu'un vous frappe sur la joue, présentez-lui l'autre. — Vous ne convoiterez pas ; car quiconque a regardé une femme pour la convoiter, a déjà commis l'adultère. » [109] Répondez ? Ne vaut-il pas mieux que l'homme s'interdise dès l'origine la convoitise des objets défendus, plutôt que de posséder l'objet de ses convoitises. Mais vous, l'austérité du salut épouvante votre pusillanimité. Les mets délicats flattent notre palais ; nous les préférons à cause de l'attrait naturel que le plaisir a pour nous, tandis que les aliments amers, quoiqu'ils révoltent les sens, entretiennent ou rétablissent la santé. Il y a mieux ; l'âpreté des remèdes fortifie souvent un estomac débile. Il en va de même de la coutume. Elle caresse et chatouille par une douceur apparente; mais elle conduit à l'abîme; la vérité, au contraire, nous emporte vers les cieux. Raide et austère au début, elle n'en est pas moins la meilleure nourrice de la jeunesse; tantôt gynécée recommandable par la gravité des mœurs ; tantôt sénat consacré par la sagesse et la prudence. Qu'il soit difficile de l'aborder, ou quelle réside hors de la portée des hommes, ne le croyez pas ; elle est près de nous ; elle habite dans nos maisons, et, comme l'insinue Moïse, l'homme orné de la sagesse est tout entier dans ces trois organes, la main, la bouche, le cœur. Tel est le véritable symbole de la vérité. Pour l'embrasser complètement, il faut le concours de ces trois choses: prudence, action, parole. Mais la foule des plaisirs, en voltigeant autour de mon imagination, m'écartera de la sagesse, dites-vous. Ne craignez rien. Vous passerez sans qu'il vous en coûte, et avec le regard du dédain, à côté des frivolités de la coutume, à peu près comme le jeune homme brise les hochets qui ont diverti son enfance. [110] Au reste, la puissance divine, en brillant sur l'univers avec une incroyable rapidité et une bienveillance qui ouvre à tous un libre accès, a rempli le monde de la semence du salut. Non, ce n'est pas sans le concours d'une éternelle Providence qu'a été accomplie par le Seigneur, dans un si court intervalle de temps, une si prodigieuse révolution ; par le Seigneur, méprisé en apparence, mais adoré de fait, expiateur, sauveur, miséricordieux, Verbe divin, Dieu véritable sans aucun doute, égal au maître de l'univers, parce qu'il était son fils et que « le Verbe était en Dieu. » La prédication proclame-t-elle sa doctrine, la foi l'accueille; s'incarne-t-il pour revêtir la forme de la créature et jouer sur la scène de notre monde le rôle de l'humanité, la foi reconnaît encore à travers ces voiles obscurs l'athlète qui combat légitimement, et qui aide sa créature dans ce duel terrible. Né de la volonté elle-même du Père, et descendu parmi tous les hommes avec une diffusion plus rapide que celle des rayons solaires, il fit aisément resplendir sur le monde le flambeau de la connaissance divine. D'où venait-il? qui était-il? Il le manifesta par sa doctrine et par ses miracles. Il est le médiateur entre Dieu et l'homme, le pacificateur universel, le Sauveur du genre humain, le Verbe sacré, la fontaine d'où jaillissent la vie et la paix, la source qui s'épanche sur toute la terre, et, pour le dire en un mot, la source par laquelle a été produite l'universalité des êtres, vaste océan de biens. [111] Maintenant, si vous le permettez, contemplons à son origine elle-même la grandeur du bienfait divin. Habitant du paradis, le premier homme se jouait autrefois dans la liberté de son innocence, parce qu'il était l'enfant chéri de Dieu. Mais une fois qu'il se fut soumis à la volupté, car le serpent désigne la volupté, vice aux inclinations terrestres, qui rampe sur le ventre, et doit alimenter la flamme; séduit par les plaisirs corrupteurs, l'enfant grandit en rébellion, se souleva contre son père, et fit rougir Dieu de son ouvrage. Quel fut le pouvoir de la volupté ? L'homme, qui avait été créé libre à cause de sa pureté originelle, se trouva enchaîné dans les liens du péché. Mais le Seigneur veut briser ses chaînes ? profondeur du mystère ! il revêt un corps tel que le nôtre, triomphe du serpent, réduit en servitude la mort qui régnait en souveraine, et, par une merveille où se perd l'imagination, montre libre et affranchi ce même homme qui avait été séduit par la volupté et garrotté par la corruption. Les chaînes sont tombées de ses mains. Prodige ineffable ! Dieu succombe et l'homme se relève. L'hôte déchu du paradis reçoit une récompense plus belle: le ciel s'ouvre à lui pour salaire de son obéissance. [112] Puisque le Verbe en personne est descendu parmi nous, qu'avons nous besoin désormais de fréquenter les écoles des philosophes? Pourquoi visiter encore Athènes, la Grèce et l'Ionie, pour interroger laborieusement leur science? Si nous voulons prendre pour maître celui qui a rempli l'univers par les merveilles de la puissance, de la création, du salut, de la grâce, de la législation, de la prophétie et de la doctrine, nous reconnaîtrons qu'il n'est pas une seule doctrine qu'il ne communique, et le Verbe a fait de l'univers un sanctuaire qui parle aussi éloquemment qu'Athènes et les écoles les plus vantées de la Grèce. Pour vous qui, ajoutant foi aux mensonges de la fable, vous persuadez que le Crétois Minos s'entretint familièrement avec Jupiter, vous sera-t-il si difficile de croire que les Chrétiens, en devenant les disciples de Dieu, sont les dépositaires de la véritable sagesse, de celle que les philosophes les plus illustres n'ont fait que bégayer en termes obscurs, tandis que les disciples du Christ l'ont recueillie et prêchée à la terre? Dans le Christ d'ailleurs, point de division ni de partage, si je puis ainsi parler. Il n'est ni Barbare, « ni juif, ni grec, ni homme, ni femme. » Il est l'homme nouveau, transformé par le saint esprit de Dieu. [113] De plus, les autres conseils ou préceptes manquent de portée et ne traitent que des questions particulières. Faut-il s'engager dans les liens du mariage? Doit-on se mêler d'administration publique ? Est-il bon d'engendrer des enfants ? Tels sont les points qu'ils débattent. Il n'en est pas de même de la doctrine qui conseille la piété. Seule universelle, elle seule embrasse l'ensemble et le plan de la vie qu'elle dirige en toute circonstance jusqu'à son dernier moment. Si nous la prenons pour guide, la vie éternelle ne nous fera pas défaut: « La philosophie, selon le langage des anciens, est une admonition permanente qui concilie l'éternel amour de la sagesse ; mais le précepte du Seigneur illumine les yeux de l'homme. » Recevez donc le Christ, recevez le Sens de la vue : recevez la lumière, « Afin de connaître complètement Dieu et l'homme. » « Le Verbe qui nous éclaire est plus doux que l'or, plus précieux que les pierreries, plus désirable que le miel le plus délicieux. » Et comment ne serait-il pas désirable, celui qui a produit au grand jour l'intelligence humaine ensevelie jusque-là dans les ténèbres, et qui a aiguisé le regard de l'âme, où se reflètent ses rayons? De même que si le soleil voilait sa lumière, tous les autres astres disparaîtraient dans une nuit éternelle, de même, sans le bienfait de la révélation et de la lumière du Verbe, qui est venue nous inonder, il n'y aurait aucune différence entre nous et les animaux, victimes engraissées dans les ténèbres, pour être bientôt la pâture de la mort. Recevons donc la lumière afin de recevoir Dieu en même temps. Recevons la lumière, et devenons les disciples du Seigneur. N'a-t-il pas fait cette promesse à son père : « Je raconterai votre nom à mes frères, je publierai vos louanges au milieu de leur assemblée ? » Verbe éternel, racontez-moi, je vous en conjure, le nom de Dieu, votre père; publiez ses louanges. Vos enseignements communiquent le salut ; votre cantique m'apprendra qu'en cherchant Dieu je me suis égaré jusqu'ici. Mais, ô Seigneur, quand vous me prenez par la main pour me conduire à la lumière, lorsque je trouve Dieu par votre assistance et que je reçois de vous la connaissance du Père, je deviens votre cohéritier, puisque vous n'avez pas rougi de m'avoir pour frère. [114] Secouons donc, il en est temps, cette apathique léthargie; écartons les ténèbres qui, placées devant nos yeux comme un nuage, nous interceptent les splendeurs de la vérité ; contemplons le Dieu véritable, mais auparavant adressons-lui cette respectueuse acclamation : « Salut, ô lumière descendue des hauteurs du ciel pour briller aux yeux des hommes plongés dans les ténèbres et enfermés dans les ombres de la mort, lumière plus pure que celle du soleil, plus agréable que toutes les douceurs de la vie présente ! » Cette lumière n'est rien moins que la vie éternelle, et quiconque y participe possède la vie. La nuit fuit la clarté des cieux, et, se cachant de frayeur devant le jour du Seigneur, elle cède l'empire. Partout est répandue la lumière indéfectible, et l'Occident croit enfin à l'Orient. Voilà le prodige que signifiait la création nouvelle. En effet, le soleil de justice dont le char parcourt l'univers visite également tout le genre humain, à l'exemple de son Père, « qui fait lever son soleil sur tous les hommes indistinctement, » et répand sur chacun d'eux la rosée de la vérité. Le Verbe a transporté l'Occident au Levant ; en clouant la mort à sa propre croix, il l'a montrée transformée en la vie ; divin agriculteur, il a suspendu au firmament l'homme arraché par lui au trépas ; il échangé la corruption en incorruptibilité, et, sous sa main, la terre est devenue le ciel. Comment a-t-il accompli cette rénovation ? « En annonçant la félicité ; en excitant les peuples à l'œuvre par excellence; en rappelant à leur mémoire quelle est la vie véritable; » en nous investissant du magnifique et divin héritage que nulle violence ne peut enlever ; en élevant l'homme jusqu'à Dieu par la céleste doctrine; «en donnant à l'intelligence humaine des lois qu'il a gravées dans notre cœur. » De quelles lois l'apôtre entend-il parler ? Les voici: « Tous connaîtront Dieu, depuis le plus petit jusqu'au plus grand. Je serai un Dieu propice, dit le Seigneur, et je ne me souviendrai plus de leurs péchés. » [115] - Adoptons les lois qui portent la vie en elles; Dieu nous presse, obéissons; connaissons-le, afin qu'il nous soit propice. Rendons-lui, quoiqu'il n'ait pas besoin de notre salaire, une âme bien purifiée, je veux dire un culte de piété, qui soit comme le loyer que lui offre notre reconnaissance pour le domicile de la terre. « Renvoyons-lui de l'or pour de l'airain, de riches hécatombes pour quelques victimes. » Regardez ! pouvait-il vous livrer la terre à un prix moins élevé? Il vous accorde, en outre, l'eau pour vous servir de boisson, la mer et les fleuves pour naviguer, l'air pour respirer, le feu pour aider l'industrie humaine, le monde pour être votre habitation. Est-ce tout? Il vous permet d'envoyer de la terre des colonies dans le ciel. Encore un coup, pour des bienfaits si multipliés et des créations si diverses, quel modique retour il vous demande ! Les malades qui croient à la puissance de la magie reçoivent avec respect des amulettes qu'ils attachent à leur cou, et des enchantements qu'ils estiment salutaires. Pour vous, vous dédaignez même de suspendre à vos poitrines le Verbe céleste, notre Sauveur ; et, incrédules aux enchantements divins, vous ne voulez pas vous affranchir des passions, qui sont les maladies de l'âme, ni du péché, qui est la mort éternelle. Hommes, chez lesquels le sentiment et la vue sont émoussés, vous vivez dans les ténèbres, pareils à ces animaux qui se creusent des demeures souterraines, sans autre souci que votre nourriture, et environnés de corruption. Mais il y a une vérité qui vous crie : « La lumière sortira des ténèbres. » Que la lumière resplendisse donc enfin dans la partie secrète de l'homme, je veux dire dans son cœur ; oui, que les rayons de la science se lèvent et illuminent de tout leur éclat l'homme intérieur, le disciple de la lumière, l'ami du Christ, et son cohéritier, surtout quand le nom auguste et vénérable d'un père compatissant, qui n'impose à ses enfants que des obligations douces et salutaires, sera parvenu à la connaissance d'un fils bon et religieux. Qui se laisse diriger par lui excelle en toutes choses; il marche à la suite du Très-Haut, il obéit au Père, il reconnaît son égarement, il aime Dieu, il chérit le prochain, il accomplit le précepte, il a droit à la récompense, il la revendique hautement. [116] Le dessein éternel de Dieu, c'est de sauver le genre humain : voilà pourquoi le Dieu de la miséricorde lui a envoyé le bon pasteur. Le Verbe, ayant dévoilé la vérité, manifesta aux hommes les mystères du salut, afin qu'ils se sauvassent par le repentir, on qu'ils fussent condamnés par le jugement, s'ils refusaient de se soumettre. La voilà, cette prédication de la justice, bonne nouvelle pour les cœurs dociles, sentence de mort pour les rebelles. Et quoi ! la trompette des combats rassemblera ses légions et proclamera la guerre; et le Christ, qui entonne jusqu'aux dernières limites du monde le cantique de la paix, n'aura pas le droit de rassembler sa pacifique milice ? Il n'en est rien, ô homme ! Il a convoqué sous ses drapeaux, par la voix de son sang et de sa doctrine, les paisibles combattants auxquels il a ouvert le royaume des cieux. La trompette de Jésus-Christ, c'est son évangile. La trompette sacrée a retenti, nos oreilles se sont ouvertes à ses accents. Revêtons donc les armes de la paix : « Prenons la cuirasse de la justice, le bouclier de la foi, le casque du salut, et l'épée spirituelle, qui est le glaive de Dieu. » C'est ainsi que l'apôtre nous prépare à de généreux combats. Telles sont nos armes, impénétrables à tous les coups. Protégés par elles, marchons intrépidement contre l'ennemi, éteignant les traits enflammés de l'esprit malin par les flèches que le Verbe a trempées dans l'eau réparatrice, répondant aux bienfaits sacrés par le cantique de la reconnaissance, et honorant le maître de l'univers par son Verbe divin. Il vous a promis soa assistance. « Vous achèverez à peine de m'invoquer, dit-il lui-même, que je vous crierai : Me voici ! » [117] Ô sainte et bienheureuse puissance par laquelle Dieu habite avec les hommes. Il faut donc tout à la fois imiter et adorer la meilleure comme la plus noble des natures. Or, on ne peut imiter Dieu qu'en l'honorant par la sainteté ; on ne peut l'honorer qu'en l'imitant. Par conséquent, le céleste et divin amour ne s'attache véritablement aux hommes que quand la beauté réelle, excitée par le Verbe divin, a resplendi dans une âme. Mais voilà le point capital. Le salut marche du même pas que la volonté sincère; la vie éternelle et la libre détermination s'enchaînent, pour ainsi parler, dans des nœuds indissolubles. Point d'autre exhortation à la vérité que celle qui, semblable à l'ami le plus tendre, veille à nos côtés jusqu'à notre dernier soupir, et qui, compagne toujours fidèle, escorte l'âme alors qu'elle remonte pure et entière vers la céleste patrie. Dans quel but vous exhorte-je, sinon pour que vous obteniez le salut? Le Christ n'a pas d'autre vœu. Pour tout dire, en un mot, il vous accorde la vie. Mais quel est ce Christ? Je vous l'apprendrai en peu de mots; il est le Verbe de la vérité, le Verbe de l'incorruplibilité; il régénère l'homme en le ramenant à la vérité, il est l'aiguillon du salut; c'est lui qui chasse la corruption, c'est lui qui bannit la mort, c'est lui qui a bâti dans l'homme un sanctuaire vivant pour y ériger Dieu. Purifiez ce temple de tout votre pouvoir ; abandonnez au vent et à la flamme les plaisirs et la mollesse, comme des fleurs périssables. Cultivez prudemment, au contraire, les fruits de la tempérance ; consacrez-vous vous-même à Dieu comme les prémices de la moisson, afin que tout soit à lui, le bienfait et la reconnaissance du bienfait. Il convient au disciple du Christ de paraître digne du trône et d'en avoir été jugé digne en effet. [118] Fuyons la coutume, fuyons-la comme le nautonier évite un promontoire fécond en naufrages, comme il se dérobe aux menaces de Charybde, ou bien aux séductions des mensongères sirènes. La coutume ! elle étouffe l'homme dans ses bras; elle le détourne de la vérité; elle le pousse hors des, chemins de la vie. De quel nom appeler ce fléau? filet captieux, crible de la perdition, fosse où tombe l'imprudent, gouffre où tout va s'engloutir. « Poussez votre navire loin de cette fumée et par-delà ces vagues mugissantes. » Compagnons, qui sillonnez les mêmes flots, ah! fuyons cette mer où bouillonnent des volcans. L'île est pleine de périls. Voyez-vous les débris et les cadavres qui couvrent ses bords. La volupté seule, riante courtisane, attire les passagers par les sons enivrants d'une musique populaire et commune : « Viens, ô noble Ulysse, gloire et orgueil des Grecs! aborde vers ce rivage, afin d'y entendre une harmonie divine. » Vous l'entendez, ô nautonier ! elle vous flatte, elle vante votre célébrité; mais la femme impudique essaie d'enchaîner à son char l'orgueil et la gloire de la Grèce. Laissez-la se repaître de cadavres : l'Esprit saint nous vient en aide par son assistance. Passez dédaigneusement auprès de la volupté, sans vous laisser prendre à ses caresses. « Que la femme qui se glisse sous votre toit ne vous séduise pas par la douceur de son langage et la beauté de ses formes. » Passez outre, en fermant l'oreille à ses chants : ils donnent la mort. Dites un mot, et vous êtes sauvés. Attachez-vous au bois du salut, et vous serez affranchis de toute corruption. Le Verbe du Seigneur sera votre pilote, et l'Esprit saint vous dirigera vers le port de la céleste félicité. C'est alors que vous contemplerez mon Dieu ; alors que vous serez initiés aux sublimes mystères et à ces délices dont le ciel a le secret et qui me sont réservés, « délices telles que l'oreille n'en a point entendu de semblables, et qui jamais ne sont montées dans l'intelligence de l'homme. » « Je crois voir briller dans les cieux deux soleils ; une double Thèbes se montre à mes regards, » s'écriait un ancien, agité par des transports idolâtriques et enivré d'une pure chimère. J'ai pitié de ce furieux, et je me garderais bien d'exhorter au salut qui demande le calme de la raison un esprit ainsi aliéné. « Le Seigneur veut la conversion du pécheur et non sa mort » [119] Viens donc, ô insensé ! non plus le thyrse à la main, ni la couronne de lierre sur la tête. Jette le turban de ton Dieu ; dépouille les ornements de ses fêtes; reprends ta raison. Je te dévoilerai le Verbe et les mystères du Verbe, en adoptant tes images et tes symboles. Voici la montagne sainte et chérie de Dieu, qui n'a point, comme votre Cithéron, fourni matière aux mensonges de la fable, mais qui est consacrée par les prodiges de la vérité. Montagne sanctifiée par la sagesse ! chastes ombrages habités par la pudeur ! Là ne s'égarent point, dans les aveugles transports de Bacchus, les sœurs de Sémélé frappées par la foudre, ces Ménades initiées par l'impure dilacération des victimes. À leur place, tu trouveras les filles de Dieu, vierges éclatantes d'innocence, qui célèbrent les vénérables mystères du Verbe, en formant des chœurs d'une pudique sobriété. Les justes chantent alternativement un hymne en l'honneur du maître de l'univers. Les jeunes filles font résonner le luth sacré ; les anges célèbrent Dieu ; les prophètes proclament leurs oracles; d'harmonieux concerts retentissent; on poursuit le thyase d'une course rapide ; les élus volent, saintement désireux de retrouver promptement leur père. Approche, ma main te présente le bois sur lequel tu peux appuyer tes pas chancelants. Hâte-toi donc, ô Tirésias, commence à croire, tes jeux se rouvriront à la lumière. Le Christ, qui rend la vue aux aveugles, brille plus éclatant que le soleil. Avec la foi, la nuit fuira de ta paupière ; la flamme infernale s'éteindra ; la mort se retirera vaincue. Infortuné vieillard, toi qui ne peux contempler ta patrie terrestre, tu contempleras la magnificence des cieux. [120] O mystères véritablement saints ! Ô clartés pures et sans mélange ! Aux rayons de ces torches nouvelles, j'envisage la beauté du ciel et les grandeurs de Dieu. En recevant l'initiation, je reçois la sainteté. C'est le Seigneur qui est ici l'hiérophante ; il marque du sceau de sa lumière le prêtre qu'il illumine, et il remet entre les mains de son Père l'adepte qui a cru, pour que son père le conserve dans toute la longueur des siècles. Voilà quelle est la célébration de nos mystères. Viens donc, si bon te semble, recevoir l'initiation chrétienne. Alors, de concert avec les anges, et pendant que Dieu le Verbe mêlera ses chants aux nôtres, vous formerez des chœurs de danses joyeuses autour de celui qui n'a jamais commencé et qui ne finira jamais, autour du Dieu unique et véritable. Ce Jésus éternel, unique grand pontife du Dieu unique, c'est-à-dire du Père, intercède au ciel pour tous les hommes, et sur la terre ne cesse de les exhorter. « Prêtez l'oreille, ô nations ! » ou plutôt, hommes, qui que vous soyez, qui avez reçu la raison en partage, Grecs et Barbares, écoutez-moi ! Je convoque le genre humain tout entier, dont je suis le créateur par la volonté de mon Père. Venez vous ranger sous les lois d'un seul Dieu et d'un seul Verbe. Qu'il ne vous suffise pas de vous élever au-dessus de l'animal stupide, puisque, de tous les êtres condamnés à mourir, vous êtes les seuls que ma magnificence gratifie de l'immortalité. Je veux en effet, oui je veux vous honorer de ce privilège en vous arrachant, par une faveur complète, à l'ignominie de la corruption. Mais je vous communique en même temps le Verbe, c'est-à-dire la connaissance de Dieu. Je me donne à vous sans réserve. Dessein de Dieu, pensée et harmonie du Père, Fils, Christ, Verbe éternel, voilà ce que je suis, le bras du Seigneur, la puissance universelle et suprême, la volonté du Père ! Le passé m'a entrevu déjà plus d'une fois, mais sous des images affaiblies et dégénérées. Je viens donc, ô hommes! vous réformer d'après ce modèle primitif, afin que vous deveniez semblables, à moi. Approchez ! ma main bienfaisante épanchera sur vos membres le parfum de la foi pour qu'ils répudient la corruption et la mort ; je vous montrerai, sans voile et dans sa rigide beauté, la justice par laquelle vous vous élèverez jusqu'à Dieu. « Vous tous qui êtes fatigués et qui ployez sous le faix, venez à moi, je vous soulagerai. Prenez mon joug sur vos épaules, et apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur. Vous trouverez le repos de vos peines ; car mon joug est plein de douceur et mon fardeau est léger.» [121] Hâtons-nous ! marchons à grands pas, ô hommes, simulacres amis de Dieu, effigies formées à la ressemblance du Verbe! Hâtons-nous! marchons à grands pas, adoptons le guide bienfaisant, qui nous montre l'incorruptibilité au bout de la carrière, et commençons de chérir le Christ. Il attela jadis au même joug l'âne et le fils de l'âne. Aujourd'hui, courbant sous le joug de Dieu l'humanité tout entière, cocher divin, il pousse notre char vers l'immortalité, se hâtant ainsi d'accomplir les symboliques promesses du passé. Jadis: il entrait triomphalement dans Jérusalem ; aujourd'hui le conquérant remonte vers les cieux. Ah ! quel sublime spectacle pour les regards de Dieu le Père, que son fils éternel rapportent à ses pieds les trophées de sa victoire ! Réveillons donc a nous l'ambition du bien; sachons aimer Dieu, et assurons-nous à jamais la possession des trésors impérissables, qu'est-ce à dire? de Dieu et de l'éternité. Nous avons le Verbe pour auxiliaire ; mettons notre confiance dans le Verbe. Que nous importent les richesses et la gloire de la terre? Ne connaissons d'autre passion que la vérité du Verbe. Dieu pourrait-il nous voir avec plaisir, d'une part, n'attacher aucun prix aux trésors les plus estimables, et de l'autre, esclaves volontaires de la démence, prostituer notre admiration au délire, à l'ignorance, à l'aveuglement, à l'idolâtrie et à la plus hideuse impiété ? [122] Car j'applaudis aux enfants des philosophes, quand je les entends proclamer que le sacrilège et l'impiété se trouvent au fond de toutes les œuvres produites par la démence. Il y a mieux. Compter l'ignorance parmi les différentes espèces de folie, n'est-ce pas confesser que le genre humain est une vaste multitude d'insensés? Il ne faut donc pas mettre en question, vous dira le Verbe, lequel vaut mieux de persister dans sa folie ou de revenir à la sagesse. Loin de là ! zélateurs de la sagesse, et invinciblement attachés à la vérité, une fois connue, marchons de toutes nos forces à la suite de Dieu, bien persuadés que l'universalité des êtres lui appartient, comme ils lui appartiennent en effet. De plus, comme la plus noble de toutes les propriétés divines, c'est l'homme sans contredit, jetons-nous dans ses bras, aimons le Seigneur, et n'oublions pas que telle doit être l'occupation de notre vie tout entière. S'il est vrai qu'entre les amis tout soit commun, et que l'homme soit l'ami de Dieu, glorieux privilège que lui a conquis la méditation du Verbe, ce qui appartient à Dieu est devenu la propriété de l'homme, puisque dans la merveilleuse amitié de Dieu et de l'homme tout est devenu commun. Maintenant à qui donner le nom d'opulent, de sage, d'illustre ? Au Chrétien seul, qui sert pieusement son maître. Lui seul est l'image de Dieu ; lui seul a été formé à sa ressemblance, puisque l'intervention du Christ l'a élevé à la justice, à la sagesse, à la sainteté, et par conséquent à la ressemblance avec Dieu. Bienfait insigne que le prophète exprimait par ces paroles: « Je le déclare, vous êtes tous des dieux et les fils du Très-Haut ! » L'adoption, en effet, est pour les Chrétiens, mais pour les Chrétiens seuls. Dieu, qui est le père de ceux qui l'écoutent, repousse les rebelles qui l'outragent. Voulez-vous donc savoir comment se gouvernent les disciples du Christ? Leurs discours ressemblent à leurs pensées, leurs actions à leur discours, et leur vie à leurs actions. Les jours de ceux qui connaissent Jésus-Christ s'écoulent dans une succession de biens non interrompue. [123] Mais nous en avons dit assez, j'imagine. Peut-être même qu'épanchant les inspirations que Dieu nous suggérait, nous nous sommes laissés trop emporter à notre amour pour les hommes et au désir de les exhorter au salut, qui est le premier de tous les biens. Peut-on achever sans regret les discours où se révèlent les mystères de la vie qui n'aura jamais de fin? Il ne vous reste donc plus qu'à choisir entre le jugement et la réconciliation. Lequel vaut le mieux? Je ne crois pas qu'il soit possible de délibérer longtemps entre ces deux extrémités : la mort peut-elle entrer en comparaison avec la vie?