[16,0] LETTRES A ATTICUS - LIVRE XVI. [16,1] A ATTICUS. Pouzzol. Je suis arrivé à Pouzzol le jour des nones de juillet (quintilis). Le lendemain, je vous ai écrit, en partant pour visiter Brutus à Nésis. Le jour de mon arrivée, Éros m'apporta votre lettre, comme je soupais ... Mais quoi ! est-il possible? Les nones juliennes ! Que les Dieux les confondent ! Criez du matin au soir, mes bons amis, criez, il y a de quoi! Brutus, dater des nones juliennes! Ô opprobre! Le même mot me revient toujours : nous lasserons-nous enfin ? non, jamais rien de pareil ne s'est vu. Mais, qu'est-ce, je vous prie? On me dit que les Buthrotiens ont tué les preneurs de leurs champs. En effet, pourquoi cette précipitation de Plancus? Il va, dit-on, jour et nuit; qu'en est-il, je vous prie? Je suis charmé qu'on approuve mon départ. Mais voilà, et je ne m'en étonne pas, les Dyméens, chassés de leurs terres, qui se font pirates. Ainsi peut-être vais-je être obligé de rester, et, dans ce cas, il faut que l'opinion m'approuve encore. En faisant la traversée avec Brutus, je serais moins exposé; mais je crois qu'il n'a que de petits vaisseaux. Je vais le savoir, et vous le dirai demain. L'affaire de Ventidius me semble une panique. Quant à Sextus, on regarde comme certain qu'il ne fera pas de levée de boucliers. Cela étant, la servitude nous sera venue sans guerre civile. Comment donc! n'y a-t-il rien à attendre de Pansa aux kalendes de janvier? Chimère de gens qui ne sont bons qu'à boire et à dormir. Deux cent mille sesterces feront très-bien l'affaire de Cicéron. Ovius arrive; il me dit beaucoup de choses qui me plaisent, notamment que les mandats envoyés suffisent; que c'est assez de soixante-douze mille sesterces; que c'est tout à fait bien; mais que Xénon ne donne l'argent que peu a peu et sou à sou. Ce que vous lui avez fait passer en sus du loyer de mes îlots servira pour la première année, qui est grevée des frais de voyage. La seconde année, qui commence aux kalendes d'avril, sera réglée sur quatre-vingt mille sesterces. Le produit des îlots s'élève maintenant à ce chiffre. Nous verrons ce qu'il y aura à faire, quand il sera à Rome. Il n'y a pas d'apparence que je m'accommode de cette belle-mère. J'avais refusé Pindare pour ma maison de Cumes. Sachez maintenant pourquoi je vous envoie un exprès. Quintus fils m'a promis d'être un Caton. Le père et le fils veulent que je me porte fort pour lui près de vous. N'en croyez que ce que vous en verrez par vous-même. Je leur donnerai la lettre qu'ils demandent. Mais ne vous y laissez pas prendre, et n'allez pas me croire moi-même converti. Je ne vous écris presque que pour vous le dire. Fassent pourtant les Dieux qu'il tienne ce qu'il promet! Quelle joie pour nous tous alors ! Mais moi... chut! Il doit partir d'ici le 7 des ides. Il a, dit-il, pour les ides une échéance, et on le presse vivement. Vous réglerez, d'après ma lettre, votre langage. Je vous écrirai plus longuement quand je verrai Brutus, et quand je vous renverrai Éros. Je reçois l'excuse de ma chère Attica, que j'aime tendrement. Faites-lui mille compliments, ainsi qu'à Pilia. [16,2] A ATTICUS. Pouzzol, juillet. J'ai reçu deux de vos lettres le 6 des ides : la première par mon messager, la seconde par celui de Brutus. On nous avait donné ici sur les Buthrotiens des nouvelles bien différentes. C'est un nouveau mécompte à joindre, à tant d'autres. J'ai renvoyé Éros plus vite que je ne comptais. Sa présence est indispensable à cause d'Hortensius, et de plus parce qu'il a pris jour pour les ides avec les chevaliers. Il faut qu'Hortensius ait bien du front : il ne lui sera rien dû qu'au troisième terme, c'est-à-dire aux kalendes d'août, et encore a-t-il reçu partie de la somme avant l'échéance. Éros verra cela aux ides. Quant à Publilius, il ne faudra pas lui faire attendre ses rescriptions. Mais vous savez combien je me suis relâché de mon droit, puisque sur les quatre cent mille sesterces que je restais lui devoir, j'en ai payé comptant deux cents, et que j'ai donné des délégations fixes pour le reste. Vous verrez s'il y a lieu de lui faire entendre qu'il doit à son tour me donner du temps, à moi qui lui ai fait une si large concession. Mais, je vous en conjure, mon bon et cher Atticus, (voyez comme je suis doucereux!) oui, je vous en conjure, tant que vous serez à Rome, réglez , tranchez, décidez tout pour moi et ne me consultez sur rien. Je laisse de quoi faire face à tout ce que je dois ; mais, comme il arrive souvent, ceux qui me doivent peuvent ne pas être exacts; et dans ce cas, que la considération de mon honneur l'emporte sur toute autre. Empruntez pour moi, et même vendez, s'il le faut. Brutus vous sait gré de votre lettre : j'arrivais chez lui à Nésis pour y passer quelques heures, comme il venait de la recevoir. Il m'a paru enchanté de Térée , mais il en a plus d'obligation à Accius qu'à Antoine. Pour moi, plus ces détails me semblent réjouissants, plus j'éprouve de mauvaise humeur et de peine en songeant que le peuple romain n'a pas de bras pour défendre la république, et qu'il n'en a que pour applaudir au théâtre. La rage de ces misérables fera qu'ils se démasqueront, c'est probable ; mais enfin, " pourvu qu'il soit mortifié, peu m'importe comment. » Je ne suis pas fâché d'apprendre que l'opinion se prononce de plus en plus pour le parti que j'ai pris. J'attendais avec impatience ce que vous m'en diriez; car on m'en a parlé à moi fort diversement. C'est même là ce qui m'a fait traîner en longueur, afin de rester le plus longtemps possible maître de ma volonté; mais puisqu'on pousse doucement à la roue pour me mettre dehors, je vais me diriger vers Brindes. Je pourrai plus facilement et plus sûrement éviter la rencontre des légions que celle des pirates, qui commencent, dit-on, à reparaître. — On attend Sextius le 6 des ides; mais il n'est pas encore venu, que je sache. Cassius , au contraire, est arrivé avec sa petite flotte: je le verrai demain 5; puis je partirai pour Pompéi et Erculanum. Vous savez le reste. J'avais prévu ce qui arrive à Tutia. Je ne crois pas un mot de ce qu'on dit d'Ebutius, et je ne m'en soucie d'ailleurs pas plus que vous. J'ai écrit, selon votre désir, à Plancus et à Oppius. Mais ne remettez pas les lettres, si ce n'est pas indispensable. Ils feront l'un et l'autre, à votre seule considération, ce que vous désirez, et mon intervention paraîtrait bien superflue à Oppius surtout, qui vous est si dévoué. Faites, au surplus, comme vous l'entendrez. Si vous avez l'intention de passer l'hiver en Épire, soyez assez aimable pour y venir avant l'époque ou vous voulez que je sois de retour en Italie. Écrivez-moi le plus souvent possible: pour les choses de médiocre intérêt, par la première occasion venue; pour les choses importantes, par des exprès à nous. Si j'arrive sain et sauf à Brindes, je me mettrai sur-le-champ à mon œuvre héraclidienne. Je vous ai envoyé mon Traité de la gloire. Qu'il suit pour vous seul, selon l'usage : cependant marquez les bons endroits, et Salvius les pourra lire à table devant des convives amis. Je suis fort content de cet ouvrage, mais j'aimerais mieux qu'il eût votre suffrage que le mien. Adieu, encore une fois adieu ! [16,3] A ATTICUS. Pompéi, juillet. Vous avez eu raison, car je réponds enfin à la lettre que vous m'avez écrite, après votre entrevue avec Antoine, à Tibur. Oui, vous avez eu raison de lui donner la main et d'aller même jusqu'à des remercîments. Il n'est que trop vrai , nous perdrons la liberté, avant de perdre notre fortune. Vous me dites qu'en lisant : mon cher Titus ; si jamais, etc. (Ce sont les premiers mots du Traité de la Vieillesse), vous y trouvez un charme toujours nouveau. Eh bien! voilà qui me met tout à fait en verve. Vous soupçonnez Éros d'être porteur de quelque petit présent pour vous. Vous avez rencontré juste, et je m'en réjouis. Mais l'ouvrage que je vous envoie est celui que vous connaissez déjà; mais il a été revu, et c'est le brouillon même criblé d'additions et de changements. Vous le ferez mettre au net et le lirez en secret à vos convives; mais, je vous en conjure, à des convives en belle humeur et faisant bonne chère : autrement je craindrais que leur dépit contre le maître du festin n'allât retomber sur l'auteur. — Puisse tout ce qu'on me mande de Cicéron se trouver vrai! J'interrogerai Xénon ; je verrai bien s'il y a eu négligence ou indélicatesse. Je ne le crois pas. Je suivrai votre conseil pour Hérode, et je saurai tout par Sauféius et Xénon. Je suis charmé que la lettre que je vous ai envoyée par un expiés sur le fils de Quintus vous soit parvenue avant celle dont je l'ai rendu lui-même porteur. Sans doute vous ne vous y seriez pas laissé prendre. Qui sait pourtant? Mais que vous aura-t-il dit? qu'auriez-vous fait à votre tour? C'est ce que je suis impatient d'apprendre. Vous aurez été chacun dans votre rôle, je n'en doute pas. Curius, j'espère, m'en apportera des nouvelles, Curius qui mérite qu'on l'aime pour lui-même et que je chéris, mais que je ne chéris tant que pour vous plaire. — Voila une réponse assez détaillée, je crois. A vous maintenant de me prêter l'oreille. Je ferais mieux de me taire, je le sens : souffrez pourtant que je m'explique. Il y a dans mon voyage beaucoup de choses qui me déplaisent : la première de toutes, c'est de m'éloigner de vous; ensuite , la fatigue de la traversée. Cela va si mal à mon âge, si mal à mon caractère ! Puis le moment est si mal choisi ! car enfin je laisse la paix et je retrouverai la guerre; car enfin j'ai des terres, des habitations, des campagnes charmantes où je pourrais passer doucement mes heures, et je m'en vais courir les monts et les mers. Je n'ai qu'une consolation : je serai utile à Cicéron; du moins , je saurai ce qu'on peut faire de lui. J'ajoute que j'espère vous voir et que vous me l'avez promis. Que j'aie ce bonheur, et tout à mes yeux change de face. Je ne vous dissimule pas aussi que ma liquidation est pour moi une cruelle épine. Je laisse de quoi pourvoir à tout ; mais Dolabella est un de mes débiteurs. Je ne connais pas ceux sur qui il m'a fait des délégations, et je m'en inquiète. C'est la ce qui me tourmente le plus. Aussi je ne crois pas avoir mal fait de confier ma situation à Fabius, en le priant de venir à mon aide, si les rentrées ne coïncidaient pas exactement avec les échéances. Je lui ai mandé que, dans ce cas, vous iriez le voir. N'hésitez pas à le faire si vous en reconnaissez le besoin, et surtout si vous partez pour l'Epire. C'est au moment de quitter Pompéi et de m'embarquer sur l'un de mes trois petits navires à dix rames, que je vous écris. A l'heure qu'il est, Brutus est encore à Nésis, et Cassius à Naples. Comment donc, je vous prie, vous aimez Déjotarus, et vous n'aimez pas Hiéras, qui, averti par Blésamius, après la visite de celui-ci chez moi, de ne rien faire sans l'aveu de notre Sextus, n'a jamais parlé de rien ni à lui, ni a aucun de nous ! Que je voudrais tenir les petites joues d'Attica et les baiser ! Les compliments dont elle nous a chargé pour moi me sont si doux ! Faites-lui de ma part mille et mille amitiés bien tendres : autant à Pilia, je vous prie. [16,4] A ATTICUS. Pouzzol. juillet. Oui, comme je vous l'écrivais hier et comme vous l'avez probablement appris aujourd'hui, car Quintus ne doit être que deux jours en route, j'ai été le 8 des ides à Nesis. J'y ai vu Brutus. Oh! que les nones juliennes lui font mal ! Il en est dans un trouble incroyable. Il allait écrire pour que, dans l'annonce de la chasse aux bêtes qui doit avoir lieu le lendemain des jeux Apollinaires, on mît le 3 des ides quintiliennes. Libon est venu pendant ma visite. Philon, dit-il, affranchi de Pompée, et Hilarus, son propre affranchi, apportent des lettres de Sextus (fils de Pompée) pour les consuls, ou du moins pour ceux qu'on appelle consuls. Il nous les a lues, pour en savoir notre avis. Quelques expressions impropres, d'ailleurs de la dignité, pas de fiel. Nous avons voulu seulement que dans la suscription, qui ne portait que les consuls, on ajoutât aux préteurs, aux tribuns du peuple et au sénat, de peur que les consuls, ne voyant que leur adresse , ne les gardassent pour eux seuls. Suivant ces nouvelles, Sextus n'avait qu'une légion avec lui à Carthagène. Il apprit la mort de César au moment où il allait s'emparer de Boréa. Après la prise de la ville, une grande joie éclata et un changement se fit dans les esprits. On accourait de toutes parts. Sextus crut devoir aller en personne rejoindre les six légions qu'il avait laissées dans l'Espagne ultérieure. Il a écrit à Libon en particulier qu'il n'entendrait à rien, si avant tout ou ne lui rendait ses dieux lares. Il veut, en résumé, que toutes les armées, en quelque lieu qu'elles se trouvent, soient dissoutes. Telle est la substance des nouvelles de Sextus. — Je me suis mis de tous côtés en quête sur l'affaire de Buthrote, mais je n'ai pu rien apprendre. Les uns veulent qu'on ait massacré les soldats qui venaient se mettre en possession de leurs terres; les autres, que Plancus, gagné par de l'argent, ait abandonné ses soldats et disparu, Je ne saurai rien, je le vois, que par vos lettres. La route de Brindes, à laquelle je songeais, n'est plus à ma disposition ; les légions sont en marche, dit-on. Il se pourrait bien aussi qu'il y eût quelque danger dans ses eaux. Eh bien! je m'embarquerai en même, temps que Brutus. J'ai trouvé sa flotte mieux équipée qu'on ne me l'avait dit. Domitius a de très-bons vaisseaux. Il y a en outre les excellents bâtiments de Sextius, de Bucilianus et des autres. Quant à la flotte de Cassius, qui est fort belle, je n'en parle point, parce qu'elle ne passe pas le détroit. Ce qui me contrarie le plus, c'est que Brutus ne parait pas pressé. D'abord il veut savoir comment ses jeux se termineront; puis, autant que je puis le voir, il marchera lentement, touchant terre en beaucoup d'endroits. Mieux vaut, encore aller lentement que de ne pas aller du tout. Une fois en mer, tout cela s'éclaircira. Nous aurons les vents étésiens. [16,5] A ATTICUS. Pouzzol, juillet. Brutus attend toujours de vos nouvelles. Il n'en était pas à apprendre le succès du Térée d'Accius, seulement il croyait que c'était le Brutus qu'on avait représenté. Il a su, je ne sais comment, par la renommée, qu'il y avait eu peu de monde aux jeux grecs; je l'avais prévu. Vous connaissez mon opinion sur ces jeux. Parlons maintenant d'une affaire qui nous intéresse plus que toute chose. Quintus (le neveu de Cicéron) a passé plusieurs jours chez moi; il y serait resté plus longtemps, si je l'avais souhaité. Depuis son arrivée jusqu'à son départ, il m'a tellement satisfait, principalement sur ce qui m'affligeait le plus en lui, que j'en suis émerveillé. C'est un changement complet; quelques-uns de mes écrits que je retouchais alors, d'assidus entretiens, de sérieuses réflexions, ont fait ce prodige, et il sera désormais pour la république tout ce que nous désirons : je l'ai bien observé, il est sincère. Aussi veut-il que je vous donne ma garantie, en vous le présentant comme un homme aujourd'hui digne de vous et de moi. Il ne demande pas que vous l'en croyiez sur parole; il veut seulement qu'après avoir vu, vous lui rendiez votre amitié. Je vais vous dire ce que j'ai fait, et ce que je n'aurais certes pas fait si je n'avais pas eu confiance en ses promesses, et si je ne l'avais pas jugé ferme dans son retour. Je l'ai conduit moi-même à Brutus. Brutus a été persuadé comme moi, et ne m'a pas demandé de garantie. Il le félicitait en lui parlant de vous avec une vive tendresse. Il ne l'a pas laissé partir sans le presser contre son cœur et l'embrasser. Je devrais, ce me semble, vous féliciter et en rester là. Je veux pourtant vous faire une prière: ne voyez dans sa conduite antérieure que la légèreté de l'âge, et soyez sûr que c'est un homme nouveau; je vous donne ma parole que votre ascendant pourra beaucoup, pourra tout désormais sur lui. — Dans ma conversation avec Brutus, j'ai plus d'une fois mis en avant l'idée que nous pourrions nous embarquer ensemble : il n'a pas paru la saisir avec l'empressement que j'aurais espéré. Il semblait préoccupé, et sans doute il attend des nouvelles, notamment de ses jeux. En retournant chez moi, Cn. Luccéius, qui ne le quitte point, m'a dit que si Brutus tardait tant, ce n'était point par hésitation , mais dans l'espoir d'un incident favorable. Je ne sais si je ne ferai pas bien d'aller à Vénouse, et là d'attendre des nouvelles des légions. Si elles n'arrivent point comme on s'en flatte, j'irai à Hydrunte; s'il n'y a de sûreté mille part, je reviendrai ici. — Vous croyez que je plaisante. Que je meure si un autre que vous me retient ! Regardez autour de vous : mais je rougis de vous dire cela en face. ? les heureux auspices que ceux de Lépide! et que les jours y sont bien marqués pour mon retour! Votre lettre m'a fait désirer de partir. Si nous pouvions nous rencontrer! Mais vos convenances avant tout. — J'attends une lettre de Népos (Cornélius Népos l'historien). Lui, avide de mes écrits! lui! mais il dédaigne le genre dont je fais ma gloire. Vous le placez après celui qui est sans défaut (Cicéron) ; c'est vous qui êtes sans défaut. Le fait est que c'est un homme divin. Non, il n'y a pas de recueil de mes lettres. Tiron peut en avoir 70. Il y en a chez vous qu'on y joindrait. Mais il faut que je les revoie, que je les corrige, et c'est après cela seulement qu'elles paraîtront. [16,6] A ATTICUS. Vibone, août. Je suis à Vibone, chez Sica. Ma traversée a été bonne plutôt que rapide; presque toujours à rames; pas le moindre vent précaniculaire. Il ne faut pas s'en plaindre. Nous avions à doubler Pestum et Vibone, et je l'ai fait vent arrière. Bref, je suis arrivé chez Sica le huitième jour, après mon départ de Pompéi. Je m'étais arrêté à Vélie chez notre ami Thalna, ou j'ai été bien aise de passer une journée. En l'absence du maître, il était impossible de mieux me recevoir. Je ne suis arrivé chez Sica que le 9 des kalendes : je m'y trouve vraiment comme chez moi. Aussi veux-je y passer deux jours quand j'aurai touche Rhégium, qui sera le nouveau point de départ de ma longue navigation. J'aurai à examiner si je dois m'embarquer à bord d'un vaisseau de charge, en me dirigeant sur Patras, ou sur un de mes petits bâtiments qui me mènerait à Leucopétrae, port des Tarentins, et de là à Corcyre : et, en cas que je me décide pour un vaisseau de charge, il me faudra voir encore si je dois traverser la mer, sans m'arrêter ou relâcher à Syracuse. Je vous écrirai de Rhégium le parti que j'aurai pris. — Mon cher Atticus, que de fois je me dis : A quoi bon ce voyage? Pourquoi me séparer de vous? Pourquoi quitter ces demeures aimées, mes joyaux d'Italie ? Mais un seul mot dit tout. Je suis séparé de vous! Pourquoi fuir? où est le danger? A moins que je ne me trompe, il n'y en a pas a présent. Au contraire, il y en aura au moment où vous me dites d'être de retour; car si on porte aux nues ce voyage, comme vous le dites, c'est à condition que je serai revenu pour les kalendes de janvier. Et il ne dépendra pas de moi que j'y manque, je vous le jure. J'aime bien mieux Rome avec ses alarmes que votre Athènes avec sa tranquillité. Tâchez un peu toutefois de voir de loin la tournure que prendront les affaires. Ecrivez-le-moi, ou, ce que j'aimerais mieux, venez vous-même me le dire. — Maintenant, ne trouvez pas mauvais, je vous prie, que je vous parle encore de ce qui vous occupe, je le sais, plus que moi-même. Débarrassez-moi de mes dettes, au nom des Dieux! Payez, payez! J'ai laissé de belles ressources. Il faut seulement user de diligence, afin de se trouver en fonds aux kalendes d'août pour le solde de la terre de Cluvius aux cohéritiers. Vous verrez ce qu'il y a a attendre de Publilius. Il ne devrait pas me presser, puisque je n'ai moi-même usé d'aucune rigueur avec lui. Je veux cependant qu'il ait de moi toute satisfaction. Quant à Térentia, que vous dirai-je? n'attendez pas même l'échéance, s'il est possible. Je vous prie encore, en cas que vous partiez bientôt pour l'Épire, comme je l'espère, de penser auparavant à ma responsabilité pour le transport que j'ai fait, de vous en occuper à fond et de m'en décharger complètement. En voilà assez, même beaucoup trop , direz-vous peut-être; j'en tremble. — Connaissez maintenant mon étourderie. Vous avez reçu mon traité de la Gloire, mais avec le même préambule qu'à mon troisième livre Académique. Cela vient de ce que j'ai une collection de préambules tout faits. J'en prends un pour chaque ouvrage. J'étais à Tusculum, et je ne me rappelais pas avoir déjà placé celui dont il s'agit. Je l'ai pris et vous l'ai envoyé. C'est en relisant, en mer, mes Académiques, que je me suis aperçu de mon erreur. J'ai fait à l'instant un nouveau préambule que je vous envoie. Vous détacherez l'autre, et collerez celui-là à la place. Mille compliments à Pilia, ainsi qu'à mes délices, à mes amours, ma chère Attica. [16,7] A ATTICUS. En mer, et en vue de Pompéi, 19 août. Je venais de quitter Leucopétra le 8 des ides d'août, et j'étais déjà à trois cents stades environ du port, lorsqu'un vent violent du midi m'y a soudain rejeté. J'attendais le retour du beau temps à la villa de Valérius, où je m'étais fort commodément établi : arrivent de Rhégium plusieurs personnes distinguées, habitants de cette ville, et qui venaient de Rome ; entre autres un hôte de Brutus qui l'avait laissé à Naples. Ils avaient l'édit de Brutus et de Cassius. Ils dirent que le sénat serait fort nombreux aux kalendes; que Brutus et Cassius avaient écrit aux consulaires et aux prétoriens, pour les engager à s'y trouver. Personne ne doute, ajoutèrent-ils, qu'Antoine ne fasse des concessions, qu'on ne se mette d'accord et que nos amis ne rentrent dans Rome. Enfin ils me confièrent qu'on regrettait et que même on accusait tout bas mon absence. A l'instant mon parti fut pris. Je renonçai à poursuivre ce voyage qui, certes, ne m'a jamais plu. Bientôt je reçus votre lettre, et ma surprise fut extrême de vous voir si brusquement changer. Il faut que vous ayez vos raisons; car enfin, si vous ne m'avez pas engagé et poussé, au départ, vous y avez a coup sûr donné les mains, pourvu, disiez-vous, que je fusse de retour aux kalendes de janvier. Les choses s'arrangeaient de telle façon que je m'en allais quand il n'y avait pas de danger, et que je revenais pour trouver le feu partout. Cela n'était pas très-bien combiné sans doute ; mais je ne vous en veux pas: d'abord, parce que la résolution venait de moi; et puis m'eût-elle été suggérée par vous, qui donne conseil ne répond que de ses bonnes intentions. Ce que je ne puis comprendre, je l'avoue, ce sont ces expressions de votre lettre : « Venez donc, vous qui cherchez une belle mort! venez ! abandonnez-vous la patrie? » Abandonner la patrie! quoi! c'était à vos yeux un abandon! Pourtant vous ne vous opposiez pas à mon départ; vous me le conseilliez, au contraire. Mais voici qui est plus fort : « Adressez-moi, dites-vous, une note qui explique bien clairement vos motifs. » Comment, mon cher Atticus, une explication pour vous qui m'approuviez si chaudement ! Si jamais je publie une apologie, ce sera pour ceux qui me blâmaient et me dissuadaient de partir. Mais maintenant à quoi bon? si j'eusse persisté, à la bonne heure. En cela, dit-on peut-être, il y a un peu de décousu dans ma conduite : de tous les bons auteurs que j'ai lus, (et l'on a beaucoup écrit sur ce sujet), aucun ne dit qu'on soit inconséquent pour changer de résolution. Vous ajoutez : « S'il s'agissait de notre ami Phèdre, il serait facile de le justifier. Mais pour vous, que répondre? » Ainsi, auprès de Caton, ma conduite ne serait pas justifiable! ce serait une lâcheté, une infamie. Que n'en avez-vous jugé ainsi tout d'abord! Nous auriez été pour moi un Caton comme à l'ordinaire. Vous finissez par ces mots, qui me blessent plus que tout le reste : « Brutus se tait ! » c'est-à-dire sans doute qu'il n'ose donner des leçons à un homme de mon âge. C'est le seul sens que je puisse trouver à vos paroles, et certes elles n'en ont pas d'autre. En effet, j'arrivais à Vélie le 16 des kalendes. Brutus l'apprit : il était avec ses vaisseaux, à trois milles environ en deçà de Vélie, vers l'embouchure du fleuve Hélès. A l'instant, il vient me trouver par terre. Grands Dieux! quelle fut sa joie en voyant que j'allais revenir ou plutôt rebrousser chemin ! Son cœur s'épancha alors, et je me rappelai votre mot : « Brutus se tait. » Il déplorait surtout mon absence du sénat le jour des kalendes d'août. Il porte Pison aux nues, mais il est ravi de ce que j'échappe à une double et pesante accusation : la première, de désespérer de la république et de l'abandonner, J'ai bien vu sur la route que je ne pouvais pas me soustraire à ce reproche. Tout le monde m'abordait les larmes aux yeux, et personne ne voulait croire que je dusse revenir bientôt. La seconde, d'aller aux jeux olympiques. Brutus et les personnes qui étaient avec lui, et elles étaient nombreuses, témoignaient beaucoup de joie de me voir à l'abri d'une pareille imputation. Aux jeux olympiques ! certes ce serait peu digne en toute circonstance, mais ce serait inexcusable aujourd'hui. En vérité, j'ai de merveilleuses grâces à rendre au vent du midi pour m'avoir épargné tant de honte! Voilà les raisons ostensibles de mon retour. Elles sont justes et fortes; mais il en est une plus déterminante encore. Vous l'avez signalée dans une lettre antérieure où vous me dites : « Si vous devez quelque argent, avisez à vous faire payer de qui vous est dû pour faire balance, car les bruits de guerre vont faire disparaître l'argent. » J'étais au milieu du détroit, lorsque je lus ce passage. Je cherchai et ne vis d'autre parti que d'aller en personne veiller à mes intérêts. Je n'en dis pas davantage. Nous parlerons du reste. — Brutus m'a fait lire l'édit d'Antoine et leur réponse. Elle est fort bien, mais que signifient tous ces édits? quel en est le but? je ne saurais le comprendre. Aussi je ne viens pas pour prendre part aux affaires publiques, comme Brutus le croyait. Qu'y pourrais-je faire ? A-t-on seulement soutenu Pison? Et lui-même le lendemain a-t-il reparu au sénat? mais on prétend qu'à mon âge on est déjà si près du tombeau ! — Qu'ai-je entendu dire à Brutus, je vous en conjure? Pilia serait menacée de paralysie ! vous le lui avez écrit ; j'en suis consterné. Vous ajoutez, il est vrai, qu'il va de l'espoir; puisse-t-il en être ainsi ! Faites-lui mes compliments, je vous prie, ainsi qu'à la charmante Attica. [16,8] A ATTICUS. Pouzzol, novembre. Aussitôt que je saurai moi-même le jour de mon arrivée, je vous en ferai part. Je suis obligé d'attendre mes équipages qui viennent d'Anagni; de plus mes gens sont malades. J'ai reçu une lettre d'Octavianus, le soir des kalendes. Il médite de grands projets. Il a su amener à lui tout ce qu'il y a de vétérans à Casilinum et à Calatia; ce n'est pas étonnant. Il leur donne à chacun cinq cents deniers; il se prépare à une tournée dans les autres colonies. Son but est d'obtenir le commandement dans la guerre contre Antoine. Ainsi, avant peu de jours, nous serons au milieu de combattants. De quel côté nous mettrons-nous? Songez au nom! Songez à l'âge! Il me demande a avoir en secret un entretien avec moi à Capoue ou dans le voisinage. C'est un enfantillage de croire que notre entrevue puisse demeurer secrète. Je lui ai expliqué par écrit qu'elle ne me paraissait ni nécessaire ni possible. Il m'a envoyé un homme à lui, un certain Cecina de Volterre, pour me dire qu'Antoine se dirige sur Rome avec la légion des Alaudes, levant des impôts sur les villes municipales et marchant avec enseignes. Il demande s'il doit partir pour Rome avec ses trois mille vétérans, ou rester en position à Capoue pour barrer le chemin à Antoine, ou aller au-devant des trois légions de Macédoine qui sont en route le long de la mer Supérieure, et sur lesquelles il compte. Ces légions, suivant Cécina, n'auraient pas voulu des gratifications d'Antoine; elles l'auraient injurié et laissé là au milieu de sa harangue. Que vous dire? Il se proclame général, et ne suppose pas que nous puissions lui manquer. Je lui ai conseillé de marcher droit sur Rome : mon opinion est qu'il aura en effet pour lui le petit peuple de la ville et même les honnêtes gens, pour peu qu'il sache leur inspirer de confiance. Brutus, où êtes-vous? quelle occasion vous allez perdre! Je n'ai pas précisément, je l'avoue, deviné ce qui arrive, mais j'avais le pressentiment de quelque chose de semblable. Maintenant soyez mon guide : faut-il que j'aille à Rome, que je reste ici, que je me retire à Arpinum où je serai en lieu sûr? A Rome, sans doute, pour qu'on n'ait pas à regretter mon absence, en cas d'événement. Décidez : je n'ai jamais été dans une perplexité plus grande. [16,9] A ATTICUS. Pouzzol, novembre. Deux lettres d'Octave, pour moi le même jour! Il me demande à présent de venir sur-le-champ à Rome. Il veut agir par l'autorité du sénat. Je lui réponds, comme je le crois en effet, que le sénat ne peut pas se réunir avant les kalendes de janvier. Il ajoute : et par vos conseils. En un mot, il est pressant, mais j'hésite. Son âge m'est suspect; je ne connais pas le fond de sa pensée. Je ne veux agir que d'accord avec votre ami Pansa. Mais Antoine peut l'emporter, et c'est ce que je redoute. Je répugne à m'éloigner de la mer, et cependant si quelque grand coup se frappait en mon absence... Varron se délie des vues de ce jeune homme; moi, non. Il a des troupes fidèles; il peut avoir Brutus, et il y va franchement, formant ses cadres à Capone, passant des revues. Je vois la guerre venue. Répondez-moi sur tout ceci. Mon messager est parti de Rome le jour des kalendes. Point de lettre de vous, je m'en étonne. [16,10] A ATTICUS. Sinuesse, novembre. Je suis arrivé à Sinuesse le 7 des ides. On assurait qu'Antoine devait envoyer le même jour à Casilinum. J'ai donc dû changer mon itinéraire. Je comptais aller droit à Rome par la voie Appia. Il aurait pu m'atteindre, car il marche, dit-on, à la César. J'ai donc pris, à Minturnes, la direction d'Aquinum. Mon intention est de séjourner a Arpinum ou à Arcanium le 5 des ides. Maintenant, mon cher Atticus, réfléchissez bien, je vous prie ; la chose est grave : il y a trois partis à prendre : resterai-je à Arpinum? me rapprocherai-je encore, ou irai-je a Rome? Je ferai ce que vous me conseillerez; mais vite une réponse ; je l'attends avec impatience. [16,11] A ATTICUS. Pouzzol, novembre. J'ai reçu deux de vos lettres le jour des nones , l'une datée des kalendes, l'autre de la veille ; c'est à celle-ci que je répondrai d'abord. Je suis dans la joie des éloges que vous donnez à mon ouvrage (La seconde Philippique, qui ne fut pas prononcée.) : vous m'en signalez vous-même les beautés, que votre goût me fera trouver plus belles encore. Que je craignais ces petites marques à la cire! L'observation sur Sica est juste. Que voulez-vous? je n'y ai pas tenu, mais je retoucherai délicatement le passage, et il n'y restera rien de blessant pour Sica ni pour Septimia. Soyons plus circonspect que Lucilius. Que l'on sache seulement de père en fils qu'il a eu des enfants de la fille de C. Fadius, Puis, d'ailleurs vienne le jour où cette harangue pourra circuler partout, dût-elle arriver jusqu'à Sica. Que n'en est-il aujourd'hui comme du temps des ces triumvirs! Oh! le bon mot! Lisez donc mon discours à Sextus, dites-moi tout ce qu'il en pensera; pour moi son suffrage en vaut dix mille; mais gare aux visites de Calénus et Calvéna. Vous craignez, dites-vous, de devenir trop bavard. Vous, bavard avec moi? qui le fut jamais moins? Je pense de vos lettres ce qu'Aristophane (grammairien latin) dit des ïambes d'Archiloque : les plus longs sont les meilleurs. Vous me donnez des avis, grands Dieux! vos avis seraient des reproches que je les recevrais encore avec déférence, je dis plus, avec joie. Tant d'aménité unie à tant de raison ! J'adopte de grand cœur toutes vos corrections; je mettrai "eodem iure quo Rubriana" au lieu de "quo Scipionis". Je rabattrai un peu des éloges que je donne à Dolabella. C'était, cependant, ce me semble, un trait assez piquant de le louer pour s'être trouvé à trois batailles contre ses concitoyens. J'aime mieux aussi : "indignissimum est hunc uiuere que quid indignius". — Je ne vois pas sans plaisir que vous êtes content de la Péplographie de Varron, de ce Varron à qui je n'ai pu encore arracher cette œuvre héraclidienne. Vous m'exhortez au travail. Je reconnais là le vœu d'un ami; mais je ne fais rien autre. Vos douleurs de tête m'ennuient : je vous en prie, mettez-vous à votre régime et suivez-le exactement. Je suis charmé que, O mon cher Titus (Ce sont les premiers mots du Traité de la Vieillesse) vous soit une ressource. Les gens d'Anagnie, c'est Mustella, le chef de file, et Lacon, le déterminé buveur. Je reverrai avec soin l'ouvrage que vous désirez et je vous le ferai parvenir. Je vais répondre maintenant à votre seconde lettre. Tout ce que Panétius a écrit sur les devoirs, je l'ai renfermé en deux livres; son ouvrage en a trois. Voici, dès le début, la division qu'il indique. Toute question de devoir est triple. D'abord l'acte est-il en soi honnête ou condamnable? En second lieu, est-il utile ou nuisible? Enfin quelle règle suivre, si l'on ne petit accorder l'honnête avec l'utile? C'est le cas de Régulus ; l'honneur veut qu'il retourne à Carthage, l'intérêt qu'il reste à Rome. Panétius a traité les deux premiers points d'une manière brillante; mais il annonce le troisième et s'arrête là. Posidonius a rempli la lacune. Je fais demander son livre ; en même temps je prie Athénodore Calvus de m'envoyer le sommaire des chapitres. Je l'attends. Priez-le de se hâter : qu'il ne perde pas un moment, je vous en supplie. Il a consacré un chapitre aux devoirs relatifs et de position. Quant au titre de mon ouvrage, point de doute que le mot officiant (devoir) ne réponde parfaitement au g-kathehkon des Grecs. Avez-vous quelque chose de mieux à me proposer? Je mettrai seulement des Devoirs, ce qui comporte une idée plus étendue. Je dédierai le livre à mon fils. Ce sera, il me semble, d'assez bon goût. —L'affaire de Myrtilus est claire comme le jour. Ah ! que vous connaissez bien ces gens-là! Quoi ! ils s'en prenaient à Décimus Brutus! que les Dieux les confondent ! — Je n'ai pas été m'enfermer à Pompéi, comme je vous l'avais écrit. Le temps m'en a d'abord empêché. Je n'ai jamais vu de plus épouvantables orages. Puis Octavianus m'écrit lettres sur lettres. Il me presse de me mettre à la tête du mouvement, de venir à Capoue et de sauver une seconde fois la république. Il marcherait droit à Rome. Je n'ose refuser et crains de consentir. Il a certainement montré de la vigueur. Il en montre encore. Il a des forces considérables; mais, après tout, ce n'est qu'un enfant. Il croit que le sénat peut se réunir. Mais qui viendrait? et quand on y viendrait, qui, dans une telle incertitude, oserait se prononcer contre Antoine? Peut-être, aux kalendes de janvier, Octavianus sera-t-il un appui ; peut-être même alors la guerre aura-t-elle tranché la question. Les villes municipales sont singulièrement favorables à ce jeune homme. En allant à Samnium, il passa à Calés et coucha à Téanum. Et chacun d'accourir, de l'exciter, de le presser. L'auriez-vous cru? Voila qui me fera aller plus tôt à Rome. Quand je serai décidé, je vous l'écrirai. — Quoique je n'aie pas encore lu les articles (Éros n'est pas arrivé), veuillez, je vous prie, tout terminer pour la veille des Ides. Je puis bien écrire à Catane, à Tauroménium et à Syracuse; mais il faut que l'interprète Valérius m'envoie le nom des hommes influents, car ils changent sans cesse, et presque tous mes amis sont morts. J'ai fait des lettres collectives et officielles aux villes. Valérius verra s'il veut s'en servir. S'il en veut d'autres, qu'il m'envoie des noms. — Balbus m'écrit que, suivant les fériés marquées aux livres de Lépide, j'ai jusqu'au 3 des kalendes. J'attends une lettre de vous, et vous devez, je le suppose, être au fait de la petite affaire de Torquatus. Je vous envoie une lettre de Quintus : vous verrez combien il aime aujourd'hui celui qu'il regrette d'avoir aimé si peu. Votre chère petite Attica est donc bien gaie : c'est le meilleur signe chez les enfants. En ce cas, donnez-lui un baiser pour moi, et portez-vous bien. [16,12] A ATTICUS. Novembre. Je vous envoie copie de la lettre d'Oppius, pour que vous voyiez vous-même son extrême bonté. Pendant que vous ruminez sur l'affaire d'Ocella, ne me répondant point, je prends mon parti à part moi. Je compte être a Rome la veille des ides. Il vaut mieux , je crois, m'y trouver sans nécessité, qu'y manquer au besoin. Les chemins d'ailleurs peuvent cesser d'être libres, et Antoine arriver d'un moment a l'autre. Il court une foule de bruits dont je voudrais que beaucoup fussent vrais. Mais rien de certain. A tout hasard j'aime mieux être avec vous qu'absent, et toujours en peine et de vous et de moi. Que vous dirai-je? Ayons courage. Que de sel dans vos remarques sur l'ouvrage de Varron! Je n'ai rien lu de plus piquant. Mais nous en parlerons, ainsi que de choses plus importantes. [16,13] A ATTICUS. Aquinum, pays d'Arpinum, novembre. 1ere partie. L'heureuse rencontre! J'étais parti le 6 des ides, avant le jour, de Sinuesse, et j'arrivais au point du jour au pont Tirénus, à Minturnes, là où la route tourne vers Arpinum, lorsque j'aperçois tout à coup devant moi votre messager. J'étais « tout pensif, cherchant où diriger mes pas. » Eh bien ! lui dis-je vivement, m'apportez-vous quelque chose d'Atticus? On ne pouvait pas lire; je venais de faire éteindre les lumières, et le jour n'était pas encore assez fort. Dès qu'il fit clair, je me fis lire la première en date de vos deux lettres. Elle est charmante : que je meure, si je ne dis ce que je pense ! Non, je n'ai jamais rien lu de plus aimable. J'irai, certes, là où votre voix m'appelle; mais vous serez mon second. Rien ne me semblait d'abord plus hors de propos qu'une telle réponse aux conseils que je vous demandais. Mais j'ai lu ensuite la seconde lettre, où vous me conseillez d'aller par de là le mont Mimas aux vents orageux, vers l'île de Psyria, sur la voie Appia, toujours à gauche (Paroles de Nestor dans l'Odyssée. Par le mont Mimas, Atticus désignait l'Apennin, et par l'île Psyria la maison de Cicéron, au confluent du Léris et du Fibrène). J'ai couché aujourd'hui à Aquinum ; la distance était assez honnête, et de plus, la route n'est pas en état. C'est le lendemain de mon arrivée, le matin, au moment de partir, que je vous écris. A ATTICUS. Aquinum, pays d'Arpinum, novembre. 2e partie. C'est bien contre mon gré, je vous assure, que je l'ai laissé partir. Une lettre d'Eros en est cause. Tiron vous contera cela. Vous verrez de votre côté ce qu'il convient de faire. Mais, dites-moi, croyez-vous que je puisse me rapprocher davantage? J'aimerais mieux être à Tusculum ou quelque part ailleurs, dans les environs de la ville : ou bien êtes-vous d'avis que je m'éloigne encore? Écrivez-moi souvent. Vous trouverez à chaque instant des occasions. Quant aux conseils que vous me demandez sur ce que vous devez faire vous-même, de loin il m'est bien difficile de vous en donner. Cependant, tant que la balance restera indécise entre les deux partis, on peut se tenir en repos. Mais plus tard la tempête éclatera, et, après nous avoir atteints les premiers, elle ravagera tout. [16,14] A ATTICUS. Pays d'Arpinum, novembre. Je n'ai absolument rien à vous dire. Quand j'étais à Pouzzol, j'avais tous les jours des nouvelles d'Octavianus, et il courait une foule de faux bruits sur Antoine. Mais , pour répondre à vos lettres, car j'en ai reçu trois à la fois le troisième jour des ides, je pense tout à fait comme vous que plus Octavianus aura de puissance, plus il consolidera les actes du tyran ; ce sera bien autre chose que ce que nous avons fait nous-mêmes au temple de Tellus; et tout tournera contre Brutus. Si, au contraire, il est vaincu, vous verrez jusqu'où ira l'insolence d'Antoine. C'est à ne savoir que souhaiter entre les deux. Ô le vilain homme que ce messager de Sextius! il m'avait promis à Pouzzol d'être le lendemain à Rome. Vous me conseillez d'aller doucement; je le ferai, quoique ce ne fût pas mon intention. L'exemple de Philippe et celui de Marcellus me touchent peu. La position n'est pas ou du moins ne me semble pas la même. Quant a ce jeune homme, il ne manque point de cœur; mais il a peu de consistance personnelle. Voyez si je ne ferai pas bien de rester à Tusculum. Je m'y plairai, et je serai au courant de tout. Mais peut-être faut-il attendre l'arrivée d'Antoine. — Pour parler d'autres choses, pas le moindre doute, dans mon opinion, que notre officium ne réponde au g-kathehkon des Grecs. Comment pouvez-vous hésiter à croire que ce mot s'applique parfaitement aux choses politiques? Ne disons-nous pas les devoirs des consuls, les devoirs du sénat, les devoirs du général? Ce mot ne va-t-il pas à merveille? Trouvez mieux. Quoi! le fils de Népos! quelle triste nouvelle me donnez-vous là? J'en suis tout bouleversé. Je ne me doutais nullement qu'il eût ce fils. J'ai perdu Caninius; il avait toujours été, du moins pour moi, fidèle à la reconnaissance. II n'est pas besoin de presser Athénodore. Il m'a envoyé un morceau assez remarquable. Ne négligez rien pour votre santé, je vous en conjure. L'arrière-neveu de votre aïeul (Quintus fils) écrit au petit-fils de mon père que le jour des nones, jour où j'ai accompli de grandes choses, il fera des interpellations devant le peuple au sujet des trésors du temple d'Ops. Vous y serez. Veuillez m'en écrire. J'attends toujours le jugement de Sextus (Péducéus). [16,15] A ATTICUS. Arpinum, novembre. Ne m'imputez point à paresse de ne pas vous écrire de ma main; et pourtant, si ce n'est paresse, quelle excuse vous donnerais-je? je n'en ai point d'autre. Mais n'ai-je pas moi-même aussi reconnu dans vos lettres la main d'Alexis? Passons donc, et au fait. Si la conduite de Dolabella n'avait pas été déloyale avec moi, peut-être douterais-je encore si je dois garder quelque ménagement avec lui, ou le poursuivre avec rigueur. Mais à présent je me réjouis d'avoir occasion de lui faire sentir et de montrer à tout le monde qu'il n'y a plus rien de commun entre lui et moi. On saura que je le hais, et pour mon compte et pour la république, depuis que l'ai vu non-seulement déserter pour de l'argent sa défense, à laquelle il s'était d'abord associé par mes conseils, mais encore faire rage pour la détruire. Vous me demandez des instructions pour le moment de l'échéance. Premièrement, je voudrais que les choses s'arrangeassent de façon que je pusse être à Rome sans inconvénient. Là-dessus pourtant, comme sur tout, je ne ferai que ce que vous me conseillerez. Du reste, j'entends que l'affaire soit poussée avec la plus grande vigueur. Je sais bien qu'il faut encore y regarder à deux fois avant d'assigner des cautions (On ne pouvait rien faire de plus injurieux pour un débiteur.). Aussi vous prierai-je de bien examiner ce point-là. On peut, afin de n'avoir pas à les actionner, introduire l'instance contre les gens d'affaires. Ceux-ci, il est vrai, déclineront peut-être le procès, et je n'ignore point que, dans ce cas, les cautions sont libérées. Mais il serait déshonoré, si ses gens d'affaires n'acquittaient point ce qu'il doit et ce qu'il a garanti; et je ne dérogerai pas à mon caractère en soutenant mes droits, sans lui avoir fait le dernier affront. Soyez assez bon pour me dire votre détermination sur tout cela. Je ne doute pas que vous ne conduisiez les choses avec tous les ménagements convenables. — Parlons maintenant des affaires publiques. J'ai bien souvent admiré votre sagacité politique. Mais elle n'a jamais plus éclaté que dans votre dernière lettre. « On ne peut nier qu'aujourd'hui, dites-vous, ce jeune enfant ne rembarre assez vertement Antoine. » Toutefois il faut attendre la fin. Mais quel discours! On me l'a envoyé. Puissé-je ainsi, s'écrie-t-il, parvenir aux honneurs paternels! voilà son serment, et en même temps il étend la main vers la statue. Nous préserve le ciel d'un tel libérateur ! Au surplus, ainsi que vous le remarquez fort bien, l'entrée en charge de Casca, comme tribun, sera une épreuve infaillible; je l'ai dit moi-même à Oppius, lorsqu'il me pressait de me déclarer pour ce jeune homme et ses vétérans. Je ne ferai rien, lui répondis-je, sans avoir la garantie que non-seulement il ne se montrera pas l'ennemi de nos tyrannicides, mais qu'il sera leur ami. — N'en doutez point, ! reprit-il. — Eh bien! pourquoi se hâter? il n'a pas besoin de ma coopération avant les kalendes ; de janvier, et nous, avant les ides de décembre, nous connaîtrons ses véritables dispositions par sa conduite avec Casca. — Oppius a été entièrement de cet avis. Ainsi attendons jusque-là. Du reste, les messagers ne vous feront pas faute chaque jour, et chaque jour vous ne manquerez pas non plus, je pense, de nouvelles à me donner. Je vous envoie une lettre de Lepta : je crois voir que le grand général (Antoine) est tout décontenancé; vous en jugerez en la lisant. — Ma lettre à peine fermée, j'en reçois une de vous et une de Sextus. Rien de plus charmant, de plus aimable que la lettre de Sextus. Pour la vôtre, elle est trop courte : la précédente était très-remplie. Je reconnais votre prudence et votre amitié quand vous me voulez persuader de rester ou je suis, jusqu'au dénouement de la crise actuelle. Malheureusement, mon cher Atticus, ce qui m'inquiète maintenant, ce n'est pas la république, qui pourtant m'est et me doit être plus chère que tout le reste. Mais Hippocrate ne veut pas qu'on traite les malades désespérés. Ainsi donc qu'on s'en tire comme on pourra. Ce sont mes intérêts personnels qui me tourmentent; mes intérêts, que dis-je? ma réputation; car enfin, avec tout ce qui me reste de ressources, on n'a pas même pu réaliser encore de quoi satisfaire Térentia. Et ce n'est rien que Térentia ; car vous savez que je me suis engagé, il y a quelque temps, à payer vingt-cinq mille sesterces pour Montanus. Cicéron me l'avait demandé en grâce, comme si son honneur y était attaché. Je lui avais avec empressement donné une promesse. C'était aussi votre avis, et j'en avais informé Éros, pour qu'il tint la somme en réserve. Eh bien! il n'en a rien fait, et pour payer, Aurélius a dû emprunter à un taux horriblement usuraire. Quant à Térentia, suivant ce que Tiron me mande, vous auriez l'espoir de faire les fonds avec les rentrées qu'on attend de Dolabella. Si jamais il a mal entendu, c'est à coup sûr dans ce cas; ou plutôt il a tout confondu; car vous m'avez communiqué la réponse de Casceius, et Eros m'a à peu près écrit dans les mêmes termes. Il me faut donc aller à Rome, quoique tout y soit en feu. Aussi bien il y aurait plus de honte à tomber seul qu'il se trouver enseveli dans un désastre commun. Quant aux autres choses dont vous me parlez avec tant de bienveillance et de grâce, je ne saurais, dans le trouble ou je suis, y répondre comme je le fais d'habitude. Souffrez que je songe d'abord à me tirer de mes embarras. Plusieurs moyens s'offrent à mon esprit, mais je suis hors d'état de rien arrêter avant de vous avoir parlé. Pourquoi, au fait, ne serais-je pas aussi bien là-bas que Marcellus? Mais ce n'est là ni ce dont il s'agit, ni ce qui me préoccupe : vous voyez ce qui m'inquiète. Je vais vous rejoindre. [16,16] A ATTICUS. Tusculum, juin. J'ai lu tout ce que vous me dites d'aimable. Je viens d'écrire à Plancus; voici la copie de ma lettre. Je saurai de Tiron ce qu'il lui aura dit. Vous pourriez vous occuper davantage de votre sœur si vous étiez délivré de cette vilaine affaire. M. CICERON A CN. PLANCUS, PRETEUR DESIGNE. « Vous êtes, je le sais, très désireux de plaire à Atticus, et si passionné pour ce qui me touche moi-même, que je crois avoir rarement trouvé ailleurs une bienveillance et une affection comparables aux vôtres. Comment en serait-il autrement, quand à la longue et fidèle amitié dont nos pères nous ont transmis l'héritage, viennent se joindre entre nous des sentiments personnels d'une vivacité si grande et d'une réciprocité si parfaite? Vous connaissez l'affaire de Buthrote. Nous en avons souvent parlé. Je vous en ai expliqué les détails. Voici comment les choses se sont passées. Aussitôt que nous sûmes que les terres des Buthrotiens étaient comprises dans le partage, Atticus alarmé rédigea une note, et me la donna pour la présenter à César, chez qui je soupais le jour même. Je remis la note ; César trouva la réclamation fondée ; il répondit à Atticus que ce qu'il demandait était juste. Il l'avertit toutefois qu'il fallait qu'à l'époque marquée, les Buthrotiens payassent la solde de leurs contributions. Atticus, qui voulait sauver la ville, avança la somme de ses deniers. Cela fait, nous allâmes trouver César; nous lui parlâmes avec chaleur des Buthrotiens, et nous enlevâmes un décret tout en leur faveur; des personnages considérables y apposèrent leur sceau. Les choses étant ainsi, j'eus lieu d'être surpris que César eût laissé s'assembler ceux qui avaient convoité les terres des Buthrotiens, et surtout qu'il vous eût chargé de l'opération. Je lui en parlai, et je revins même assez souvent à la charge, jusque-là qu'il se plaignit de ce que je ne me fiais pas à sa parole. Il recommanda à M. Messalla et à Atticus lui-même d'être sans aucune inquiétude. Il leur confia sans déguisement qu'il était gêné par la présence de ses soldats, qu'il ne voulait pas mécontenter (vous savez combien il tenait à sa popularité); mais qu'aussitôt après leur embarquement, il leur ferait assigner d'autres terres. Nous en étions là quand César vivait. Lors de sa mort, les consuls furent autorisés par sénatus-consulte à connaître de toutes les affaires pendantes. Il leur en fut référé. Pas la moindre hésitation. La réclamation fut à l'instant admise, et ils promirent qu'une lettre allait vous être expédiée. Je ne doute pas, mon cher Plancus, que le sénatus-consulte, la loi, le décret des consuls et la lettre qui vous a été écrite ne vous paraissent décisifs; et dès qu'il s'agit d'Atticus, je suis sûr de vos bonnes intentions. Eh bien! je m'autorise de notre liaison et de votre bonté ordinaire pour vous demander une chose que la rare bienveillance et l'heureux penchant de votre caractère vous inspireraient naturellement : c'est de faire avec grâce, vite et bien, à ma considération, ce que vous feriez de vous-même, j'en suis convaincu. Je n'ai pas d'ami qui me soit plus cher qu'Atticus, et dont l'amitié me soit plus douce et plus précieuse. Ce n'était dans le principe qu'une affaire d'argent, de beaucoup d'argent, il est vrai. C'est maintenant une question personnelle. Il s'agit pour lui de savoir s'il réussira, vous aidant, à obtenir définitivement aujourd'hui ce qu'il a obtenu déjà, après tant de démarches et de prières, du vivant et après la mort de César. Ce service, s'il vous le doit, sera interprété par moi comme l'une des plus grandes marques de bonté que j'aie pu recevoir de vous. Veuillez en être persuadé. De mon côté, vous me trouverez soigneux et empressé d'aller au-devant de tout ce qui pourrait vous intéresser ou vous plaire. Ne négligez pas votre santé. » A CAPITON. Tusculum. Je ne croyais pas avoir jamais à prendre avec vous le rôle de suppliant. Ce n'est assurément point que je regrette une occasion de mettre votre amitié à l'épreuve. Vous savez à quel point je chéris Atticus. Au nom de notre affection, accordez-moi une grâce. Oubliez qu'il prit un jour contre vous la défense d'un de ses amis dont il avait l'honneur à sauver. La droiture de votre caractère vous commande le pardon : car c'est un devoir pour chacun de défendre les siens. Mais, en second lieu, mettez de côté Atticus, je vous prie, et ne songez qu'à Cicéron. Si vous m'aimez comme vous l'avez hautement professé et comme je l'ai toujours cru, aujourd'hui il faut me le prouver. — César a libéré le territoire des Buthrotiens par un décret auquel j'ai mis mon nom, ainsi que beaucoup d'autres personnages considérables. Son intention était d'attendre que les vétérans eussent passé la mer, et d'envoyer aussitôt des ordres pour leur faire assigner d'autres terres. Par malheur, César est mort tout à coup. Par un autre malheur, ainsi que vous le savez, puisque vous étiez présent au sénatus-consulte qui a attribué aux consuls la connaissance de tous les actes de César, on n'avait rien fait encore aux kalendes de juin. Le 4 des nones, le sénatus-consulte a été enfin corroboré par une loi qui porte que les consuls connaîtront de tout ce que César a arrêté, décrété, prescrit. Rapport immédiat aux consuls de l'affaire des Buthrotiens : on produit le décret de César. On y joint une foule d'autres notes de lui. Décision des consuls donnant gain de cause aux Buthrotiens. C'est à Plancus que l'exécution est renvoyée. Maintenant, mon cher Capiton, moi qui connais l'influence que vous avez naturellement sur ceux qui vous approchent, et qui sais tout ce que vous pouvez, surtout sur un homme aussi parfaitement bon et obligeant que Plancus, je vous demande d'employer tous vos soins, vos efforts et vos douces persuasions pour que Plancus, que je crois bien disposé déjà, nous devienne par vous plus favorable encore. L'affaire se présente de telle façon que, sans recommandation aucune, le bon esprit et la sagesse de Plancus doivent assurer le sort d'un décret délibéré et rendu en vertu d'une loi et d'un sénatus-consulte, surtout quand un pareil acte, restant sans effet, remettrait en question tout ce qu'a fait César, et qu'il y a unanimité pour n'y pas donner atteinte, soit de la part de ceux qui y ont des intérêts engagés, soit de la part de ceux qui, sans approuver ce qui s'est fait, en désirent le maintien par amour de la paix. Nous tenons beaucoup à ce que Plancus mette de la bonne grâce et de la facilité à terminer notre affaire. Et il le fera, pour peu que vous employiez avec lui et cette fermeté insistante que je vous connais si bien, et cette manière engageante que personne ne sait prendre comme vous. Je vous en prie instamment. A PLANCUS. Pouzzol. Je vous ai déjà écrit au sujet des Buthrotiens. Leur affaire a été décidée par les consuls, que la loi et un sénatus-consulte autorisaient à connaître, trancher et décider de tous les actes de César. Je vous ai prié de nous être favorable, et de mettre un terme aux tribulations d'Atticus que vous aimez, ainsi qu'aux miennes, qui ne sont pas moindres. Après beaucoup de soins, d'efforts et de travaux, nous en sommes arrivés à ce point que notre sort ne dépend plus que d'un mot de vous. Votre sagesse comprendra quelle perturbation ce serait, si les décrets des consuls intervenus sur les actes de César pouvaient ne pas être exécutés. Je sais très-bien qu'au milieu du mouvement qui l'entraînait, César a pu faire beaucoup de choses qui ne sont pas à approuver. Cependant je me fais le champion de tout, par amour de la paix et de la tranquillité. Il me semble que cette ligne de conduite est bien plus encore dans votre position. Mais je ne parle pas en homme qui conseille, je parle en homme qui supplie. Accordez-moi une grâce dont la valeur est pour moi au delà de toute expression: c'est de vous occuper de nous et de tout terminer, c'est de nous montrer enfin que vous adhérez sans regret et avec joie à ce que l'extrême bonté et la parfaite justice de notre cause nous a fait obtenir d'emblée des consuls. Vous avez souvent témoigné vos bonnes dispositions pour Atticus à Atticus lui-même, en ma présence, et plus souvent à moi en particulier. Faites cela, mon cher Plancus, et vous aurez rendu le plus signalé de tous les services à un ami, à un ami de votre père, à un homme que vous avez toujours considéré à ce double titre; je vous en prie encore une fois, avec les plus vives et les plus pressantes instances. A CUPIENNIUS. Tusculum. J'honorais votre père, il était si bon pour moi et si aimable! Je n'ai jamais douté non plus de votre amitié, et c'est du fond du cœur ; que je vous ai toujours aimé moi-même. Je n'hésite donc pas à vous demander de venir en aide à la ville de Buthrote. Elle a un décret des consuls en sa faveur. Les consuls ont agi en vertu des pouvoirs qu'ils tiennent d'un sénatus-consulte et d'une loi. Obtenez de mon ami Plancus qu'il en confirme et sanctionne les dispositions. Je vous en fais, mon cher Capiennius, la prière, la plus vive. A PLANCUS. Il faut que vous me pardonniez si, après vous avoir écrit avec tant de détails sur l'affaire de Buthrote, je reviens encore et si souvent à la charge. Ce n'est certes pas, mon cher Plancus, faute de confiance dans votre droiture et dans votre amitié ; mais l'affaire est de la plus haute importance pour Atticus : il y va même aujourd'hui de son honneur d'obtenir ce que César lui a accordé en notre présence par des ordres revêtus de nos signatures, à la suite de décrets et de décisions auxquels j'assistais. Il y va de son honneur, surtout quand la fin ne dépend plus que de vous. Non, vous ne vous bornerez point a sanctionner purement et simplement l'arrêté des consuls conforme aux décrets de César et à ses promesses : vous voudrez y mettre la bonne grâce et l'empressement de l'amitié. Jamais vous ne ferez rien qui puisse me toucher davantage. Je me flatte qu'au moment où vous recevrez cette lettre, vous aurez déjà satisfait à mon vœu ; mais je ne cesserai de vous écrire, tant que je n'aurai point une communication officielle. Je l'attends avec impatience ; car j'ai hâte de faire changer de ton à ma correspondance, et de n'avoir plus à vous adresser que des expressions de gratitude. Ce sont les intérêts d'Atticus qui sont enjeu; mais tenez pour certain que s'il obtient ce qu'il désire, il ne vous sera pas plus obligé que moi-même, dont l'amitié s'associe à tous ses tourments. A CAPITON. Vous serez surpris et peut-être fâché, je m'y attends, en me voyant revenir si souvent à la charge : mais l'affaire est de la plus haute importance pour l'homme que j'aime le plus au monde et à qui je suis attaché par le plus de liens, pour Atticus. Je sais depuis longtemps ce que vous êtes pour vos amis et ce que vos amis sont pour vous. Vous pouvez beaucoup près de Plancus; vous êtes bon, et l'on aime toujours à vous plaire. Personne ne peut donc nous servir autant que vous. L'affaire se présente d'ailleurs si bien! Il y a décision des consuls, décision prise en vertu d'une loi et d'un sénatus-consulte. Cependant nous regardons que tout dépend de votre ami Plancus. Sans doute vos bons offices et l'intérêt public le détermineront à faire exécuter le décret des consuls; sans doute il voudra montrer quelque empressement pour nous. Mais soyez-nous en aide, mon cher Capiton ; je vous le demande de nouveau avec la plus vive instance.