[2,31] LETTRE XXXI. {sans traduction française} [2,32] LETTRE XXXII. LE ROI THÉODORIC AU SÉNAT DE ROME. {Assèchement des marais Pontins}. 1. Nous nous réjouissons du dévouement au service public, Pères conscrits, puisque, tout en prouvant l'esprit louable des citoyens, nous trouvons là une occasion de conférer des faveurs bien méritées. Car qui ressemble plus à un sénateur que celui qui consacre son zèle au service public, afin d’avantager le pays où il est né? 2. Maintenant, Decius Magnifique et Patrice, poussé par son attachement à la république, dans un but admirable, a librement demandé ce que notre pouvoir et notre politique ne pouvaient guère lui imposer. Il a donc promis, en ouvrant des canaux, de drainer le marais du Decemnovium qui ravage le quartier comme un ennemi. Il s'agit d'une désolation notoire de cette époque, qui, suite à une longue négligence, a laissé se former une sorte de mer marécageuse, qui, se propageant par des eaux diluviennes hostiles sur un terrain cultivé, a détruit uniformément la généreuse terre arable avec des bois broussailleux. Depuis qu'il a commencé à être exposé aux marais, le sol a été dépouillé de ses cultures, et ne nourrit rien d'utile sous l'eau. 3. Et donc nous admirons cet homme: son ancienne confiance en soi est telle que l'initiative privée va entreprendre ce que le pouvoir de l'Etat a longtemps évité. Il a donc promis de s’attaquer intégralement à cette tâche audacieuse et digne d’éloge, afin d’éliminer le flot destructeur pour que le terrain perdu ne dépérisse plus jamais. Par conséquent, il a requis, dans cette affaire, les ordres de Notre Sérénité de façon à pouvoir, muni de l'autorité publique, se charger d’un travail remarquable, qui profitera à tous les voyageurs. 4. Mais Nous, Pères conscrits, qui devons aider une heureuse initiative par des ordonnances utiles, nous avons consenti, par le présent décret, à ce que chacun d’entre vous envoie deux hommes de sa maisonnée à cet endroit du Decemnovium. Sur leur avis, tout l'espace que la boue des marais occupait en eaux stagnantes entrantes, sera marqué par des bornes fixes. Ainsi, lorsque le travail promis parviendra à sa fin, le terrain remis en état, profitera à son libérateur, et nul n'osera revendiquer ce qu'il a si longtemps été incapable de défendre des eaux envahissantes. [2,33] LETTRE XXXIII. LE ROI THÉODORIC A L'ILLUSTRE PATRICE DECIUS. {Traduction de V. Fauvinet-Ranson} 1. C'est tenir compte de la justice que de seconder une aspiration estimable par des commandements bienfaisants et de parfaire par des encouragements royaux ce qui est entrepris avec bonne volonté. C'est pourquoi, à vous qui présentez de justes aspirations, nous concédons par la présente décision la possession sans impôt des terres ramenées à l’état de sol ferme après assèchement des étangs et marais de Decemnovium. Ne crains pas d'y effectuer des cultures, une fois libérés les biens que nous avons exonérés au su de tous. 2. Ensuite, nous avons également transmis l'ordre au Sénat très magnifique que, maintenant que la superficie a été déterminée, tu deviennes bel et bien maître de ce que tu as soustrait aux abîmes hideux. L'équité veut en effet qu'à chacun profite son labeur et que celui qui a connu des préjudices en déboursant retire un bénéfice, une fois les travaux terminés. Nous qui veillons en permanence et avec ardeur sur l'Etat, nous avons considéré que, si quelqu'un choisit de se charger de ce labeur en se joignant et en s'associant à toi, il possède en propriétaire, après évaluation de son ouvrage, une superficie proportionnelle à ce qu'il entreprend. Ainsi, tu ne seras pas accablé, seul, par l'énormité du fardeau et ce qui est entrepris à l'aide d'une collaboration sera mené à bien avec plus d'énergie. Il en résultera que tu seras également à l'abri de l'envie déplaisante, qui est familière des plus grandes réalisations. 3. Dans ces conditions, tiens-toi fermement à tes glorieuses aspirations de peur que le fait de faiblir dans l’effort engagé ne soit fâcheux pour la réputation. Considère que les conversations el les regards de tous se sont en effet tournés vers toi. Songe que le jugement de Notre Sérénité est suspendu au résultat de l'œuvre commencée. Hâte-toi avec autant d'énergie que possible, afin que, toi qui es dès à présent l'objet de l'admiration de tous, tu sois jugé t'être sorti comme il convient d'une si grande entreprise. [2,34] LETTRE XXXIV. A ARTÉMIDORE, PRÉFET DE LA VILLE, LE ROI THÉODORIC. {Traduction (partim) : François Martroye, L'Occident à l'époque byzantine: Goths et Vandales, 1904} Nous nous réjouissons par ton biais de voir fleurir nos sentences ; nous sommes heureux qu’en responsable méritant tu te sois élevé au-dessus des collines de Rome, toi dont l’âme généreuse n’a pu dissimuler un secret allant de pair avec des fraudes afin de ne pas, soit vous rendre complices de délits, soit être incités par la tranquillité à en commettre de plus graves. Voilà pourquoi tout l’argent consacré aux bâtiments de Rome, et qui maintenant, à l’examen de Ta Magnitude, a été défini comme détourné, qui n’est ni rentré en son temps, ni utilisé à la dépense, devra être saisi sans autre délai afin d’être encore et encore, selon tes ordres, employé pour les murs de Rome. En effet, il est déplorable que passe à d’autres usages ce dont Rome se plaint d’être délesté sans l’avoir démérité. Et donc nous devrions punir impitoyablement les coupables qui, dans un tel cas, ont abusé de Notre Munificence. Mais la clémence modère toujours en nous les exigences de la justice. Il nous suffit que leur cupidité n'arrive pas à ses fins. On ne peut mieux les punir qu'en leur faisant perdre ce qu'ils avaient pensé s'approprier honteusement. [2,35] LETTRE XXXV. AU SÉNATEUR TANCILA, LE ROI THÉODORIC. {Traduction : Paul Deltuf, Théodoric, roi des ostrogoths et d'Italie, 1869} Il est vraiment trop pénible de voir disparaître les créations de l'art antique, alors même que nous nous efforçons d'orner, et d'embellir les villes de notre royaume. Nous t'ordonnons donc de faire rechercher par tous les moyens possibles cette statue d'airain qui faisait l'ornement de la ville de Côme et qui a disparu. Je t'autorise à promettre cent écus d'or à celui qui révélera l'auteur de cet acte sacrilège, puisse cette promesse de notre Sérénité inviter à parler ceux qui n'osent le faire ! Tu feras donc publier l'édit que nous t'envoyons. Si néanmoins l'auteur du vol reste inconnu, rassemble les ouvriers de la ville et des lieux circonvoisins, et tâche d'obtenir d'eux une révélation par la terreur que tu sauras leur inspirer. Ce ne sont pas les premiers venus qui ont pu renverser cette statue et l'emporter, il a fallu des hommes accoutumés à ces sortes d'opérations. [2,36] LETTRE XXXVI. ÉDIT DU ROI THÉODORIC. {Récompense et immunité promises au voleur d’une statue} Quoiqu’une peine trop légère suffise à la révélation d’un forfait, et que d’écarter la peur du châtiment ne soit pas une moindre faveur, nous y ajoutons cependant une gratification attribuée de coutume à l’innocence; ce n’est pas parce que les délits nous sont agréables, mais parce qu’il nous plait d’être généreux dans l’amour de la punition. C’est pourquoi, par ordre du présent édit, chacun doit savoir qu’il méritera cent pièces d’or de notre largesse, s’il dénonce celui qui a dérobé la statue de la cité de Côme ; et cet acte fera l’objet de notre indulgence (ce qu’un délinquant recherche le plus possible). Nous donnons une récompense en or pour un gain en bronze ; et nous sommes prodigue de métaux plus précieux que ceux que nous pouvons récupérer ; nous rachetons ce bien par cette libéralité, pour qu’il ne circule pas partout, ce qui est de fait interdit. Qui donc sera frappé d’une telle folie aveugle, pour hésiter à se précipiter, alors qu’il peut et se procurer la sécurité et acquérir la rémunération de son aveu ? Si d’aventure il croit aussi devoir se cacher, et si Notre Sérénité devient informée de la vérité par un quelconque renseignement, qu’il sache qu’il sera traité avec la plus extrême sévérité. En effet, il est indigne que ceux qui refusent notre indulgence, après avoir été démasqués, soient favorisés par notre bienveillance. [2,37] LETTRE XXXVII. AU PRÉFET DU PRÉTOIRE FAUSTUS, LE ROI THÉODORIC. {Théodoric concède aux citoyens de Spolète, pour l’entretien des thermes, un millena supplémentaire extraordinaire.} La bienveillance doit tendre à égaler le progrès de notre royaume, afin que notre bonté puisse dégager autant de dons que l'Etat a connu de croissance. De fait, nous ne pouvons adopter une autre conduite estimée si nous devons, en examinant nos affaires, démarrer des projets. En effet, parmi toutes ces réussites quotidiennes, Dieu nous étant propice, ce serait le défaut de l’avarice de se satisfaire d’une largesse mesquine. Et c’est pourquoi, Ton Illustre Magnificence doit savoir, par la présente décision, qu’il convient d’attribuer aux citoyens de Spolète un autre millena de plus que d’habitude, pour l’entretien de leurs thermes. Nous souhaitons en effet avec plaisir contribuer à quoi que ce soit qui aboutisse à la santé de nos citoyens car le souhait de notre époque est de faire se répandre la liesse populaire. [2,38] LETTRE XXXVIII. LE ROI THÉODORIC AU PRÉFET DU PRÉTOIRE FAUSTUS. {Exonération de coemptio pendant deux ans.} 1. Nous ne prenons aucun plaisir aux gains acquis sur nos sujets misérables, nous espérons que notre richesse augmentera dans le trésor de pitié. Un prélèvement qui fait pleurer endommage notre clémence, car un impôt payé avec consentement est attribué au bon vouloir de son receveur. 2. Maintenant, les commerçants de la ville de Sipontum prétendent avoir été ruinés par un raid hostile, et, puisque nous estimons que notre puissance consiste vraiment à soulager les nécessiteux, Ton illustre magnificence va rappeler à l’ordre ceux qui n’ont été nommés pour aucun prélèvement par expropriation {coemptio} pendant une période continue de deux ans. 3. Mais puisqu'il ne sert à rien de relever ceux qui sont tombés pour leur imposer une autre charge, Ta Grandeur devra veiller à ce que les créanciers des commerçants précités, ne puissent exiger aucune dette durant cette période de deux ans. Donc, à l'aide de ce moratoire, ils peuvent être en mesure de récupérer l'argent donné, tandis que les biens de leurs débiteurs ont un temps de répit. Quel profit pourrait faire un créancier pressé, quand il lutte en vain pour récupérer l'argent d’hommes ruinés? Nous voyons plus loin pour eux, si, par ajournement, on leur permet de supporter leurs emprunts. [2,39] LETTRE XXXIX. A L’ARCHITECTE ALOISIUS, LE ROI THÉODORIC. {Traductions (partim) : V. Fauvinet-Ranson, Decor civitatis, decor Italiae, 2006 ; Ennodius, Oeuvres complètes (éd. S. Léglise), 1906 ; F. Milizia, The lives of celebrated architects, ancient amd modern..., t. 1, 1826.} 1. Si, pour qu'on loue notre bienveillance, nous voulons conserver les merveilles des Anciens dont nous entendons parler — puisque la gloire du roi grandit quand, sous son règne, aucune d'entre elles ne se détériore — avec quelle ardeur convient-il de réparer ce qui, à l’évidence, s’offre, de plus, fréquemment à nos yeux ? Il me plaît, en effet de rappeler les pouvoirs de la salvatrice Apone, pour que tu te rendes compte de la force du désir qui nous pousse à rétablir ce qui ne saurait sortir de notre mémoire. 2. Nous avons vu une ardente fontaine d'azur sortir de gouffres arrondis en forme de jarre et des fournaises d'eau fumante couronnées, par une louable disposition de la nature, d'un rebord circulaire bien poli. Et quoique ces eaux habituellement chaudes exhalent des nuages de vapeur, elles découvrent cependant aux regards humains leur agréable limpidité, de sorte que n'importe qui désirerait toucher leur beauté, même en sachant qu'elle brûle. Ces eaux gonflent comme un ballon, en faisant le gros dos par dessus les bords de leur bouche trop pleine et de là s'échappe, de la court un flot si tranquille, presque si régulier qu'on aurait peine a penser qu'il grossit si l'on ne s'apercevait, à un murmure assourdi, que quelque chose sort de là. 3. Puis les eaux ainsi embrasées et bouillantes circulent par des canaux froids pour que, après avoir suivi des détours allongés artificiellement, elles rendent le plus de chaleur possible. Quelle ingéniosité à jamais admirable du maître qui a été capable de calmer, dans l'intérêt du corps humain, le feu de la nature déchaînée. Ainsi, ce qui pouvait à l'origine donner la mort procure, modéré très savamment, plaisir et santé ! Il est plaisant de voir ce mystère : des flots exhaler des vapeurs enflammées, le feu se marier aux ondes de manière durable et la chaleur venir du cours d'un ruisseau, qui aurait plutôt coutume de l'éteindre. Les philosophes ont raison de dire que les éléments — qui, comme on le remarque, s'opposent les uns aux autres et se contrarient par leur diversité — sont liés entre eux par des attaches réciproques et unis par une étonnante alliance. 4. Voici, on le constate, qu'une substance humide des vapeurs enflammées ; et l'onde, bientôt parvenue aux superbes édifices thermaux et descendant en cascade sur des rochers, embrase l'air par ses propriétés et se prête au toucher, une fois recueillie dans les bassins. Par là, non seulement elle procure une délicieuse volupté, mais elle apporte une attrayante médication : cure sans douleur, remède sans répulsion, santé sans préjudice, ces bains nous ont évidemment été donnés en partage contre différentes souffrances physiques. C'est pourquoi les Anciens ont été bien inspirés de les nommer « Apone », d'un mot grec, afin que les malades sussent la cause d'un si grand remède, sans qu'il y eût de doute possible avec un tel nom. 5. Mais parmi les autres bienfaits de ce lieu, nous avons également appris le fait étonnant qu’une même source d'eau paraît propre à des usages tout divers. A peine tombée dans le bassin de marbre, elle exhale dans la première cellule une vapeur éminemment sudorifique ; puis à mesure qu'elle descend sur le sol sa chaleur se mitige, cesse d'être dangereuse et s'abaisse à une douce température; bientôt conduite en un bassin voisin, elle s'attiédit encore et devient plus agréable ; enfin amenée dans la piscine de Néron, elle perd même sa tiédeur et devient aussi froide qu'elle avait été chaude. 5. Mais parmi les autres bienfaits de ce lieu, nous avons également appris le fait étonnant ce liquide d'une nature unique semble convenir à différentes fonctions : car, en tombant sur la pierre qui le recueille, il répand aussitôt dans la première salle ses propriétés sudorifiques ; puis il descend, tempéré, dans une baignoire et il s'adoucit, après avoir déposé son feu dangereux, jusqu'à une agréable température ; amené ensuite plus près, il devient, parce qu'il a stagné quelque temps, d'une tiédeur bien plus caressante. Enfin, après avoir perdu même cette tiédeur, il se fait, en arrivant à la piscine de Néron, aussi froid au toucher qu'il a été bouillant auparavant. 6. C'est à juste titre que, partageant le nom de son auteur, cette piscine est associée à la couleur verte des gemmes, car, transparente aussi et de la même nuance que l'élément vitreux, elle agite, au repos, comme une onde frémissante. Mais pour que ce bassin regagne également plus de propreté, il y règne une sorte de retenue étonnante : si une femme descend dans l'onde qui revigore les hommes, elle s'ébouillante. C'est la raison pour laquelle on a également édifié à côté d'autres installations superbes pour elles, évidemment pour qu'elles ne se crussent pas privées d'un lieu si fécond, d'où coulent ces eaux brûlantes, qui leur prodigueraient maints bienfaits, si les deux sexes pouvaient user en commun du même don. 7. Cet écoulement intarissable des eaux nous fournit une raison de penser que c'est après avoir coulé à travers les entrailles enflammées de la terre par des canaux dérobés que la fontaine, aux flots épurés par le feu, jaillit des profondeurs a l'air libre : car si l’ébullition était inhérente a sa nature, elle ne se perdrait pas sans destruction de la substance. Mais l'eau, matière sensible, a aussi facilement retrouvé sa fraîcheur naturelle qu'elle avait contracté un échauffement passager. 8. Quant à sa vertu médicinale, elle procure aussi des secours d'un autre genre ; car près de la source de la fontaine scintillante, la nature, dans sa sagesse, s'est créé une sorte de canal. Un siège disposé au-dessus et percé, pour les besoins humains, d'un trou en forme de demi-cercle accueille ceux qui souffrent d'un écoulement d'humeurs internes ; et quand ces derniers se sont assis là, épuisés par trop de langueur, ils sont revigorés par cette vapeur plaisante, ils rétablissent leurs viscères affaiblis et ils resserrent, sous l'effet d'un dessèchement revivifiant, leurs humeurs dilatées par un flux nocif. Et l'on peut aussitôt les trouver en meilleure santé, comme s'ils s’étaient rétablis pur une nourriture appétissante. Ainsi cette substance médicinale tire du soufre sa chaleur et du sel non action desséchante. 9. Ne pas transmettre de si précieux trésors à la postérité c'est gravement se rendre coupable; en conséquence nous ordonnons que les édifices soient rétablis dans leur état primitif de solidité et que sous votre direction toute réparation à faire dans les thermes ou dans les conduits souterrains soit immédiatement entreprise. On arrachera les arbustes nuisibles qui croissent le long des bâtiments, de crainte que quelques filaments de racines ne s'introduisent dans les murs et ne les fassent éclater. 10. Consolidez par une restauration exacte le vieux palais que les ans ont ébranlé. L'espace qui s'étend de l'édifice public à la source brûlante n'aura plus l'aspect d'une forêt sauvage. On y verra fleurir une riante prairie, et les mêmes eaux qui donnent le sel stérile, y porteront la fécondité. 11. Mais la fécondité de la terre d'Anténor ne se limite pas à ces seuls bienfaits : elle en offre d'autres aussi qui sont bien plus surprenants. Ce cœur, si je puis dire, de la montagne tranche les affaires litigieuses comme le ferait un tribunal ; car il arrive que si, suivant l'usage de dépouiller du bétail de sa toison naturelle, quelqu'un ose le faire avec des bâtes volées, il lui faut les plonger à plusieurs reprises dans l'onde ardente, si bien qu'il les cuit avant de pouvoir les nettoyer. Qu'il est juste vraiment de vénérer ce tribunal ! Il ya en effet visiblement dans ces eaux non seulement du bon sens, mais même une véritable aptitude à juger : il a été donné à l'équité d'une fontaine de mettre fin à ce qui ne peut être résolu par un procès humain. Là-bas, la nature muette parle par le jugement, et elle prononce, d'une certaine manière, une sentence qui exclut les dénégations de la mauvaise foi. 12. Mais qui, même avili par une extrême parcimonie, pourrait négliger de sauvegarder ces merveilles ? Ce qui a acquis une extraordinaire renommée dans le monde entier orne à coup sûr un règne. Et c'est pourquoi, si, avec l'argent qui t'a été donné, l'ouvrage entrepris n'a pu être accompli, tu nous indiqueras par des registres, que tu nous enverras, combien il faut encore dépenser selon toi : car il ne nous pèse pas de dépenser pour apparaître comme le conservateur de monuments champêtres si extraordinaires. [2,40] LETTRE XL. LE ROI THÉODORIC AU PATRICE BOÈCE. {Traductions (partim) : Joseph Épiphane Darras, Jean François Bareille, Histoire générale de l'Église depuis la Création jusqu'à nos jours, 1867 ; Buchon, Choix d’ouvrages mystiques, 1835 ; Paul Deltuf, Théodoric…, 1869 ; La Chronique musicale, Volumes 9 à 11, 1875.} 1. Le roi des Francs a entendu vanter la musique de nos festins. Il me demande instamment un joueur de harpe. Je lui ai promis de satisfaire à sa demande, uniquement parce que je connais toute ton habileté en musique, et que j'ai compté sur toi, qui es parvenu par tes études aux sommets les plus ardus de cette science, pour me désigner l'homme le plus habile en ce genre. 2. Qu'y a-t-il de supérieur à cet art divin, qui, par sa douce harmonie, embrasse tous les corps célestes, et, par une puissance pleine de charmes, réunit les éléments de la Nature partout épars et isolés. Toutes les conceptions qui modifient l'être humain supposent une constante harmonie. C'est elle qui met la convenance dans nos pensées, la beauté dans nos discours, la régularité dans nos mouvements, quand elle arrive dans nos oreilles, coordonnée par de savantes lois; elle commande et inspire nos chants et change nos esprits et nos cœurs. L'artiste change le cœur des hommes à mesure qu'ils écoutent. 3. La musique doit à un secret de la nature d'être la reine de nos sens ; dès qu'elle s'avance parée de toutes ses grâces, toute autre pensée disparaît, elle subjugue tout autour d'elle, on ne songe plus qu'à écouter. Elle charme la tristesse, hélas ! si funeste ; elle apaise les emportements furieux ; elle change en douceur la cruauté la plus féroce ; elle ranime les cœurs lâches et les esprits indolents ; elle procure le sommeil salutaire à celui que de tristes veilles tourmentaient; elle rappelle aux saintes lois de la chasteté l'homme flétri par un amour impur; elle dissipe l'ennui, toujours si contraire aux bonnes pensées; elle change les haines funestes en secours bienfaisants; et, par le plus heureux mode de guérison, elle bannit de l'âme les passions par l'attrait même du plaisir. 4. Par des moyens matériels l’artiste adoucit l'âme sans le corps, et il la conduit où il le désire uniquement par l’ouïe, bien qu’incapable de la contrôler par la parole. La musique parle sans langue et en se faisant obéir des choses insensibles; elle exerce sur les sens un souverain empire. Toute cette harmonie se fait ici bas au moyen de cinq tons, dont chacun porte le nom de la province où il a été trouvé. Le dorien est le ton de la pudeur et de la chasteté. Le phrygien nous invite aux combats et nous enflamme d'une ardeur belliqueuse. L'éolien calme les tempêtes de l’âme et procure le sommeil à notre esprit apaisé. Le jastien {ou Toscan} ouvre les esprits obtus aux pensées élevées et dispose ceux qui ne savent pas se détacher de la terre à reporter leurs yeux vers les régions célestes. Le lydien, inventé pour bannir de l'âme les soucis et les chagrins, la soulage et la fortifie par ses accords mélodieux. 5. C’est un âge corrompu perverti par le plaisir, fabriquant une invention immorale à partir d’un remède décent. Ces cinq tons se divisent chacun en trois parties, car tous ont un dessus, un medium et une basse; et comme toutes ces inflexions de la voix, harmonisées par des sons alternatifs, ne peuvent exister l'un sans l'autre, on a sagement inventé les quinze modes musicaux qui embrassent tous les chants assortis à nos divers organes. 6. A tout cela, l'ingéniosité humaine ajouta quelque chose de plus: par la recherche expérimentale, elle formula un certain intervalle concordant appelé diapason, parce qu'il a été conçu à partir de chaque pays, si bien que cette admirable synthèse peut contenir toutes les vertus que la musique dans son ensemble pourrait posséder. Par ce moyen, Orphée régnait efficacement sur les bêtes stupides, et invitait les troupeaux errants à mépriser leurs pâturages, et de se réjouir à la place en l'écoutant. Par son chant, les tritons tombèrent amoureux de la terre ferme; la nymphe marine Galatée joua sur la terre ferme; les ours quittèrent leurs forêts bien-aimées; les lions abandonnèrent leurs demeures dans les roselières; la proie se réjouissait à côté du prédateur. Des buts opposés réunissaient une seule assemblée, et, comme la lyre tint sa promesse, toutes les bêtes faisaient confiance à leurs ennemis. 7. Amphion aussi, fils de Dircé, construisit, dit-on, les murs de Thèbes avec son chant et sa lyre, de sorte que, quand il amena des hommes usés par le labeur au zèle de la perfection, on crut que les roches elles-mêmes quittaient leurs parois et venaient à lui. Musée, également, fils d'Orphée par nature et par art, fut salué par la langue excessivement riche de Maro, qui raconte comment il fut placé au sommet de la béatitude parmi les ombres, car il ravissait les âmes heureuses dans les champs Elysées avec les notes de ses sept cordes. La morale de ceci est que celui qui fête les saveurs de cet art peut jouir de la plus haute récompense. 8. Mais tout cela fut évidemment accompli par l'art humain avec la musique manuelle. Pourtant, comme nous le savons, la voix vivante a un rythme naturel: elle conserve une mélodie exquise si elle se tait au bon moment, parle convenablement, et progresse par une élocution soignée, aux pieds de la musique, sur le chemin de l'intonation. Les discours doux et énergiques des orateurs ont également été inventés pour remuer les âmes des hommes, afin que les juges puissent plaindre les égarés, et être en colère contre le criminel. Quoi qu’un homme éloquent puisse atteindre, appartient clairement à la gloire de cette discipline. 9. Aux poètes aussi, comme en témoigne Terentianus, on attribue deux mètres principaux: l'héroïque et le iambique, l’un destiné à soulever, et l'autre à calmer les hommes. De ceux-ci, diverses façons d’enchanter les âmes d'une audience sont nées, et, comme avec les tons d'un instrument, aussi dans la voix humaine, les mètres riches ont fait naître différentes passions de l'âme. 10. Les recherches des anciens ont révélé la chose extraordinaire qu’était le chant des Sirènes, car, quoique les vagues amenassent les marins, le vent gonflant leurs voiles, dans une tromperie agréable, ils préféraient se jeter sur les rochers, plutôt que de renoncer à une telle douceur. Seul l'homme d'Ithaque {Ulysse} put leur échapper, il ne tarda pas à empêcher son équipage d’écouter cette séduction. Contre la douceur vénéneuse, le plus rusé des hommes pensa à créer une heureuse surdité: ce qu'ils ne pouvaient pas surmonter par leur jugement, ils le remplaceraient par l'insensibilité. Lui, cependant, s’attacha au mât principal avec noeuds serrés, afin de pouvoir écouter ces chants célèbres les oreilles débouchées, et il échappa, grâce à ses liens, au péril des douces consonances vocales, comme les eaux l’emportaient. 11. Mais, pour imiter le sage roi d'Ithaque et fermer nos oreilles à ces fables, nous aimons à parler du divin Psalterium véritablement tombé du ciel, dont les chants répétés dans tout l'univers furent composés pour le salut des âmes, pour calmer les fureurs d'un roi insensé et pour célébrer les louanges du Dieu très-haut. Voilà le véritable prodige que le monde admire et croit, c'est que la harpe de David mettait en fuite le démon et commandait aux puissances du mal. Trois fois, au son de cette harpe, le roi Saül recouvra la plénitude de son esprit honteusement obsédé par l'ennemi intérieur. 12. Car, bien que de nombreux instruments de ce plaisir aient été découverts, on n'a rien trouvé de plus efficace pour aller au fond de l'âme que la douce résonance de la cithare creuse. Par conséquent, nous supposons que les cordes de l'instrument ont été appelées accords parce qu'ils déplacent facilement les esprits cordiaux. L’harmonie des notes diverses assemblées là est si grande qu’une corde, une fois pincée, fait automatiquement vibrer sa voisine, bien qu’inerte. Car telle est la puissance de l'harmonie qu’elle met automatiquement en mouvement un objet inanimé, quand il se trouve que son voisin l’est. 13. De là surgissent différentes notes sans langue ; de là quelque doux chœur se constitue à partir d'une variété de sons: l'un est élevé par une grande tension, un autre bas grâce à un certain relâchement de la corde, un troisième mezzo, en caressant doucement l'instrument. Les êtres humains ne peuvent pas atteindre l'unisson identique à la concorde sociale atteinte par les objets dépourvus de raison. Car là, toutes les notes mélodieuses ou plates, dures ou plus claires, et ainsi de suite, sont rassemblées, pour ainsi dire, comme dans une parure, et, tout comme un diadème réjouit l’oeil par la lumière de ses diverses pierres précieuses, la cithare ravit l’oreille par sa diversité de sons. 14. C’est le métier de parler des Muses, à parler de trames et à chanter des fils, sur lesquelles le plectre rend harmonieusement de doux sons. Maintenant on dit que c’est Mercure qui découvrit cet instrument, en prenant modèle sur la tortue mouchetée. Ayant reçu un tel avantage, les astronomes ont cru qu'on devrait la rechercher parmi les étoiles, insistant sur le fait que la musique était un don du ciel puisqu’ils pouvaient détecter la forme d'une Lyre parmi les constellations. 15. Pourtant, l'harmonie du ciel ne peut pas être convenablement décrite par la parole, car la nature ne l'a pas révélée à l'oreille humaine, mais l'âme la connaît par la raison seule. Car on dit que nous devons croire que la béatitude du ciel réjouit ces plaisirs sans fin, et qui ne sont flétris par aucune interruption. On maintient, en effet, que les choses ci-dessus sont absorbées par cette même perception, que les êtres célestes jouissent de ces mêmes plaisirs, et que ceux qui se sont occupés de ces contemplations sont constamment enveloppés dans des plaisirs bénis. 16. Heureux s'ils eussent reporté la cause de la béatitude céleste non à des sons impuissants, mais au Créateur lui-même, dans le sein de Dieu, là où règne la joie sans fin, l'éternité sans monotonie, la vision divine source intarissable d'un bonheur toujours nouveau! C'est en Dieu seul qu'est la véritable immortalité, la seule joie parfaite; de même que sans lui nulle créature ne subsiste, aucune ne saurait être heureuse sans lui. 17. Mais c'est trop m'écarter de mon sujet. Quel que soit le plaisir que j'éprouve à m'entretenir de ces graves pensées avec un homme si compétent, je termine ma digression et recommande de nouveau à ta sagesse le choix d'un joueur de harpe. Il aura chez les Francs une mission qui ne manque pas d'analogie avec celle d'Orphée, s'il peut adoucir par ses chants le cœur farouche d'une nation païenne. Autant seront vifs les remerciements qu'on nous adressera, autant, par une équitable compensation, je saurai en faire retomber sur toi, pour avoir su à la fois et obéir à mes ordres et te distinguer toi-même. [2,41] LETTRE XLI. A LUDUIN, ROI DES FRANCS, LE ROI THÉODORIC. {Paul Deltuf, Théodoric, roi des ostrogoths et d'Italie: épisode de l'histoire du Bas-Empire, 1869, p. 144 : Victoires de Clovis sur les Alamans.} Nous nous félicitons de notre parenté avec un prince de votre mérite : ne venez-vous pas de tirer les Francs de leur trop longue oisiveté pour les mener à de nouveaux combats et de vaincre les Allemands? Mais, comme il faut toujours s'abstenir d'une sévérité excessive envers ses ennemis une fois que les chefs ont été punis, modérez voire conduite envers les restes misérables d'une nation vaincue. Ceux-là méritent votre clémence, qui se sont réfugiés auprès de vos parents. Soyez doux envers ceux que la terreur a poussés vers nos frontières où ils se cachent. C'est un mémorable triomphe d'avoir mis ces braves Allemands au point de vous demander grâce de la vie. Il suffit qu'avec leur roi soit humilié l'orgueil de la nation, dont la moitié est tombée sous le fer et dont l'autre est dans l'esclavage. Vainquissiez-vous encore le reste, vous ne croiriez pas néanmoins en avoir fini avec eux. Croyez-en mon expérience, ces guerres-là seules m'ont réussi, que j'ai terminées par la modération. La victoire n'est fidèle qu'à quiconque en use avec réserve; la prospérité est le partage de ceux qui savent se défendre de trop de rigueur. Cédez à notre conseil ; il y a longtemps que j'ai appris à me conduire comme il faut en ces occasions. Si vous m'en croyez, soyez sans inquiétude en ce qui vous regarde. C'est pourquoi nous avons adressé à Votre Excellence ces deux envoyés chargés de la saluer conformément à notre affection accoutumée. Nous espérons avoir par eux des nouvelles de votre santé et remplir le vœu que nous avons exprimé. Nous vous envoyons un joueur de harpe des plus habiles, qui, en mêlant sa voix aux sons de l'instrument, chantera de la bouche et des mains la gloire de votre puissance…