[79,0] Sermon LXXIX. Sur les augures. [79,1] Vous vous souvenez bien, mes très chers frères, que je vous ai souvent prié et que, pressé par une affection sincère que je ressens pour vous, je vous ai souvent avertis avec empressement et conjuré en toute instance de n'observer aucunes des superstitions sacrilèges du paganisme mais, selon qu'il me revient par beaucoup de personnes, de bien du monde, il y en a encore sur qui mes avis ont fait peu d'impression. Je suis donc obligé de vous en parler de nouveau de crainte qu'on ne m'en fasse rendre compte, à ma perte et à la vôtre, au jugement de dieu et d'y être condamné avec vous à des supplices éternels. C'est pour me décharger devant dieu que je vous avertis encore une fois, que je vous prie et vous conjure en toute instance tous tant que vous êtes, de n'avoir aucun recours aux devins, aux sorciers ni aux magiciens et de ne les consulter ni sur vos maladies, ni sur quelque sujet que ce puisse être: que personne n'emploie les enchanteurs ; quiconque y aurait recours perdrait le sacrement de son baptême et deviendrait aussitôt sacrilège et païen et périrait éternellement, à moins qu'il ne fasse de grandes aumônes et une pénitence bien longue et bien humiliante. N'observez pas non plus les augures, c'est-à-dire, lorsque vous êtes en voyage, ne faites point attention aux cris ou au chant de certains oiseaux et ne soyez pas si téméraires que d'annoncer, sur ce chant, des événements futurs à la manière des démons. C'est encore une autre superstition à éviter que d'observer le jour que l'on part de chez soi et le jour qu'on y revient. Dieu n'a-t-il pas fait tous les jours, comme l'écriture le rapporte ? N'est-il pas marqué expressément que le premier jour fut fait, le second, le troisième et de même le quatrième, le cinquième, le sixième et le sabat et qu'enfin "dieu vit toutes les choses qu'il avait faites" et (qu'il les approuva parce qu') "elles étaient très bonnes"? Enfin, n'observez pas, ne faites seulement pas attention à certaines manières d'éternuer aussi ridicules que sacrilèges : mais lorsque vos affaires demandent que vous alliez quelque part que ce soit faites sur vous le signe de la croix au nom de Jésus-Christ, récitez avec foi l'oraison dominicale ou le symbole et, vous reposant sur le secours de dieu, faites votre voyage tranquillement. [79,2] Je sais que le démon s'apercevant que par la grâce de dieu vous commencez à mépriser les observations superstitieuses, dont je viens de vous parler et à vous en abstenir, le trouvera mauvais, sentant bien que vous vous éloignez de sa société et que vous ne faites plus cas de ces pratiques sacrilèges, qui lui sont si chères et dont il se servait pour vous faire illusion; je sais, dis-je, qu'il exercera contre vous, pour se venger, quelques méchancetés, soit en vous envoyant quelque maladie, soit en vous faisant perdre quelques-uns de vos bestiaux, par maladie, par étourdissement ou autrement; dieu le permettant ainsi pour vous éprouver et rendre sensible la sincérité de votre retour à lui, et si c'est bien de tout votre coeur que vous abandonnez les sacrifices du démon, en un mot si sa crainte a plus d'ascendant sur vous que la perte de quelque animal que ce soit. Or, si vous êtes bien déterminés en vous-mêmes et bien fidèles à mépriser ces maléfices du démon, une première et une seconde fois, dieu aura la bonté de le chasser si loin de vous; dieu viendra si puissamment à votre secours contre ses prestiges et ses mauvais desseins qu'il ne pourra jamais réussir dans la suite à vous faire illusion par ses ruses les plus artificieuses. Mais voici ce qui arrive : des hommes mous, indolents, incapables d'une résolution soutenue, n'ayant qu'une foi languissante et des désirs à demi formés, commencent à se soustraire à ces vaines et superstitieuses pratiques, dont je vous ai parlé, mais ne persévérant pas dans l'oeuvre de dieu; à la première méchanceté que le diable leur fait éprouver, ils se répentent aussitôt d'avoir abandonné ses prestiges pour revenir au seigneur et, semblables au chien qui retourne à ce qu'il a vomi, ils retournent aussi eux aux vaines et superstitieuses observations des augures. Pour vous, mes frères, à qui dieu a donné la véritable foi et un bon discernement, abandonnez promptement et de tout votre coeur ces illusions artificieuses du démon, revenez à dieu si pleinement et si sincèrement et souffrez avec tant de patience et de courage les maléfices que le diable vous ferait éprouver que vous puissiez dire avec le saint homme Job "Le seigneur m'avait (tout) donné, le seigneur m'a (tout) ôté, il n'est arrivé que ce qu'il lui a plu" et avec autant de fermeté et de plénitude de coeur que l'apôtre "Qui nous séparera de l'amour de Jésus-Christ, sera-ce l'affliction ou la persécution ou les angoisses ou la faim ou la nudité ou le glaive ou le danger"? Les tourments ne sont pas capables de séparer les bons chrétiens de Jésus-Christ, tandis que des propos ridicules et des contes pleins de vanité en séparent les lâches et les indifférents, car à la plus petite perte ils s'indisposent et se scandalisent, ils osent murmurer contre dieu et retournent à leurs sacrilèges et détestables augures. [79,3] Mais comment donc faire, direz-vous, car nous éprouvons que les augures, les magiciens et les devins nous disent vrai assez souvent ? L'écriture ne va pas à l'encontre mais elle nous défend de les croire, quand même ils nous diraient vrai : "Le seigneur votre dieu" (en permettant que leurs prédictions arrivent, n'approuve pas ce qu'ils disent, mais il) "vous éprouve afin que" (il paraisse si) "vous le craignez, ou si vous ne le craignez pas". Mais pourtant, en ne consultant pas les enchanteurs, dites-vous encore, on est quelquefois en risque de sa vie, par la morsure des serpents ou par quelque maladie ? D'accord, mes très chers frères, parce que dieu le permet ainsi quelquefois au diable pour éprouver un chrétien. Car s'il vient à recevoir quelque soulagement dans ses maladies par ces détestables superstitions ou qu'il reconnaisse quelque chose de vrai dans ce qu'on lui aurait annoncé, il ajoute bien aisément foi au démon mais celui, qui ne pense qu'à conserver la religion catholique dans toute sa plénitude, rassemble toute sa force pour rejeter et mépriser toutes ces sortes d'observations et de pratiques, se rappelant avec frayeur ce terrible reproche que l'apôtre fait aux Galates : "Vous observez les jours et les mois et les saisons et les années, j'appréhende pour vous que je n'aie peut-être travaillé en vain parmi vous". Vous l'entendez, mes frères, que l'apôtre dit que ce serait en vain qu'on aurait reçu sa doctrine et ses enseignements, si on observait les augures, fuyez donc de tout votre pouvoir ces illusions trompeuses et diaboliques. [79,4] Souvenez-vous toujours et à tout événement, mes frères, que le démon ne peut nuire ni causer aucun préjudice, ni à vous, ni à ceux qui vous appartiennent, ni même à vos bestiaux, en un mot à rien de vos biens, pas même dans les plus petites choses, qu'autant qu'il en aurait reçu la permission de dieu; comme il n'a osé renverser les possessions du saint homme Job qu'après que dieu le lui eût permis. Nous le voyons de même dans l'évangile, lorsque les démons que Jésus- Christ allait chasser d'un homme, lui demandèrent la permission d'entrer dans des pourceaux. Or, si les démons n'ont pas même osé entrer dans des pourceaux, sans en avoir reçu la permission de dieu, serait-ce avoir encore de la foi que de croire qu'ils peuvent faire du mal aux vrais chrétiens, à moins que dieu ne le leur permette par une dispensation particulière de sa providence ? Et dieu peut le leur permettre pour l'une ou l'autre de ces deux raisons, ou pour nous éprouver, si nous sommes bons, ou pour nous corriger, si nous sommes pécheurs : aussi celui qui souffrirait en patience ce qui lui arriverait par cet ordre et cette dispensation du seigneur, celui qui, en perdant quelque chose, serait fidèle à dire: "Le seigneur me l'avait donné, il n'est arrivé que ce qu'il lui a plu, que le nom du seigneur soit béni", ce chrétien, dis-je, ne manquerait pas de recevoir de dieu ou la gloire de la récompense, s'il était juste, ou le pardon de ses péchés, s'il était pécheur. Ne passez pas légèrement sur les expressions du saint homme Job, mes frères, le diable fait périr tous ses biens; ce saint homme ne dit pas, le seigneur me les avait donnés, le diable me les a ôtés, mais "le seigneur m'avait (tout) donné, le seigneur m'a (tout) ôté". Vous devez y remarquer que ce saint homme n'a pas voulu donner au démon la gloire d'avoir pu lui enlever quelque chose, si le seigneur ne le lui eût permis. Le démon n'a donc pu faire de mal aux enfants, ni aux domestiques, ni aux chameaux, ni aux ânes de Job, qu'après que le seigneur le lui eût permis; et des chrétiens croiraient encore qu'il peut contre eux quelque chose de plus que ce que dieu tout puissant, par un jugement aussi adorable qu'impénétrable, lui aurait permis. [79,5] Tenons-nous donc bien assurés, comme il est certain, en effet, que nous ne pouvons rien perdre qu'autant que dieu permettrait qu'il nous fût enlevé, et, plains de confiance dans le puissant secours de dieu, abandonnons absolument, renonçons sincèrement à ces pratiques sacrilèges et recourons de toute la plénitude de notre coeur à a miséricorde de notre dieu. Car avoir confiance à ces sortes de maléfices, aux magiciens, aux devins, aux aruspices ou aux charmes et caractères ou à quelque espèce d'augure que ce soit, il ne servirait de rien alors de jeûner, de prier, de se trouver continuellement à l'église, de faire même d'abondantes aumônes ni de pratiquer toutes sortes de mortifications corporelles tant qu'on n'abandonnerait pas, qu'on ne renoncerait pas à ces pratiques superstitieuses, impies, sacrilèges, elles détruiraient toujours, elles renverseraient toutes les autres bonnes oeuvres. Non, je le répète, il ne servirait absolument de rien à qui que ce soit de faire quelques bonnes oeuvres tandis qu'il serait adonné à ces maléfices car c'est une vérité dont l'apôtre nous instruit, quand il dit : "qu'un peu de levain aigrit toute la pâte" et encore : "vous ne pouvez pas boire la coupe du seigneur et la coupe des démons; vous ne pouvez pas participer à la table du seigneur et à la table des démons". Et le seigneur lui-même dans l'évangile : "personne ne peut servir deux maîtres". Par conséquent, des chrétiens, qui par la grâce de dieu ne veulent pas se rendre dignes des supplices éternels, ne doivent ni prier auprès des fontaines ni adresser des voeux aux arbres. Ce serait même, sans contredit, participer à ces sacrilèges si, ayant dans son champ, dans son bien de campagne ou près de sa maison quelques-uns de ces arbres ou de ces autels ou quelque espèce que ce soit de ces objets d'observations superstitieuses, où des hommes misérablement aveuglés vont faire et acquitter des voeux, si, dis-je, on les laissait subsister, si on ne les coupait et ne les détruisait pas. Mais quel nom donner à cette autre superstition extravagante, selon laquelle, lorsque ces sortes d'arbres viennent à tomber, personne n'oserait en mettre le bois dans son feu ? Jusqu'où va l'aveuglement et la stupidité des hommes ! Ils respectent un arbre mort et ils méprisent les commandements du dieu vivant; ils n'osent mettre au feu les branches de cet arbre et ils se précipitent eux-mêmes en enfer ! O ! vous donc qui n'avez jamais jusqu'ici pratiqué ces maléfices, tressaillez de joie, rendez en grâces à votre dieu et soyez fidèles à faire tous vos efforts pour persévérer dans les bonnes oeuvres; si quelqu'un, au contraire, s'était jusqu'à présent asservi au démon par ces observations diaboliques, qu'il en fasse pénitence de tout son coeur, qu'il n'ait plus que du mépris et de l'horreur pour ces superstitions sacrilèges, afin que dieu daigne lui pardonner ces péchés et, à cause de la gloire de son nom, le faire parvenir au bonheur éternel. [79,6] Il m'est encore revenu que quelques-uns, par simplicité ou par ignorance ou peut-être même, et plus vraisemblablement, poussés par la gourmandise, n'appréhendaient pas et n'avaient pas honte de manger des viandes souillées, qui s'offrent encore, selon l'usage des païens, en sacrifices ou plutôt en sacrilèges. Je vous avertis aujourd'hui et je vous conjure, en la présence de dieu et devant ses saints anges, de ne point assister à ces festins diaboliques, qui se font à un autel ou auprès des fontaines ou de quelque arbre que ce soit. Si même on vous envoyait quelque chose de ces festins, ne le recevez pas, rejetez-le avec indignation, témoignez-en autant d'horreur que si vous voyiez le diable lui-même et ne souffrez pas qu'il en entre dans votre maison ni qu'on en serve rien à votre table parce que l'apôtre, comme je l'ai déjà dit, proteste que "vous ne pouvez pas boire la coupe du seigneur et la coupe des démons et que vous ne pouvez pas participer à la table du seigneur et à la table des démons." Qu'on ne dise pas, comme font quelques-uns, je fais sur moi le signe de la croix et ensuite je mange de ces mets. Quelle témérité ! Faire le signe de la croix et manger ensuite de ces mets sacrilèges c'est comme si quelqu'un faisait sur soi le signe de la croix et se plongeait ensuite le poignard dans son sein : ce poignard lui ôterait la vie du corps et ces mets profanes lui font perdre la vie de l'âme. J'ai néanmoins confiance en la miséricorde du seigneur et j'espère de sa bonté qu'il vous inspirera des pensées saintes et vous fera faire des actions conformes à ces pensées; qu'il ne permettra pas que l'artificieuse méchanceté du diable puisse jamais s'insinuer en vous ni vous persuader d'avoir recours aux augures, aux manières différentes de deviner, ni à aucune de ces pratiques superstitieuses et sacrilèges, dont je viens de vous parler, et qu'y renonçant pour toujours et bien sérieusement, vous mettrez toute votre confiance dans le seigneur, par la grâce de notre seigneur Jésus-Christ, à qui appartient tout honneur, empire et puissance dans les siècles des siècles. Amen.