[1,5] SONGE. (1) Moi, sous la pression du sommeil, Je me livrai au doux repos Et mon âme recrue de douleur Fut envahie d'une profonde torpeur. (5) Alors Louise se porta A ma rencontre, et de sa main Me prit la main droite, Tandis qu'elle m'entraînait au loin Dans les vagues retraites des bois. (10) Ce lieu, les âmes bienheureuses Et pures de crime et de fange L'occupent, et l'Amour chaste Y volette de-ci, de-ci et de-là. De tendres jeunes filles cueillent (15) Roses, herbes et violettes. A disposer les fleurs parfumées Celle-là s'applique, et celle-ci, les couronnes. Là, au milieu d'une prairie, Louise m'ordonne de m'asseoir, (20) Et chantant d'une voix limpide Un hymne au tendre Amour, Elle fait résonner tout le bois Des harmonieuses mélodies Des oiseaux ; l'air reluit ; (25) Les violettes et les roses sourient ; L'eau bruit, toute en murmures, Et les doux rythmes et mesures Qu'accompagne Cythérée Sont chantés en retour par l'écho. (30) Je m'imaginais être le seul A être heureux parmi les autres Hommes bien plus heureux, Doucement blotti contre le sein De ma maîtresse, et je n'enviais (35) Ni Jupiter lui-même, ni les dieux d'en Haut, Lorsque soudain des moustiques Pénibles par leur vacarme et le trait Acéré de leur dard, me piquèrent Et chassèrent le paisible sommeil (40) Loin de mes yeux et de mon âme. Tout aussitôt s'enfuit Louise, Fuient les roses et les couronnes Et les violettes, et de nouveau Je me retrouve en proie à des soucis (45) Multiples, dont tu es, Louise Pour moi la seule cause et source. A nouveau mon âme craint Tes refus, et un feu au plus profond De mes moelles fait rage, (50) Et de nouveau mon visage est gonflé De larmes, et mon cœur de gémissements. Que les Dieux et Déesses fassent périr Les moustiques, eux qui m'ont Arraché à ma rêverie ! (55) Car ce ne fut ni l'ours en furie Ni le lion ni le loup qui me Ménagea un triste destin ! Mais au seigneur de Clyte cette loi Fut imposée, je crois, par le destin : (60) Que la trompeuse apparence du rêve Ne puisse pas soulager son âme Ecrasée sous une douleur réelle. Pourtant, o blonde Louise, Tu es mon seul espoir, mon seul amour, (65) Ta flamme fut pour nous la première Et elle sera aussi la dernière, En moi aucun autre feu Que celui de Louise ne brûlera. [1,8] A LOUISE. (1) Voilà les Amours : je me consume, malheureux, dans les flammes, Et le premier flambeau m'est venu de tes yeux. Et déjà j'aurais pu périr sous la violence du feu allumé, Mais cette peine te sembla trop clémente. (5) Tu provoques mes larmes : si tu veux, cruelle, me tuer, Il ne fallait prévoir qu'une seule cause à ma mort; L'eau qui vient de mes yeux quand ruissellent mes larmes Ne permet pas à mon cœur de mourir calciné, Cependant que, plus modérée que les flammes, elle se contente (10) De ne pas me noyer, malheureux, dans sa pluie torrentielle. Je vis donc, je respire, mais ma vie est cause d'un prochain Trépas, et la mort en retour est cause de ma vie. Si tu veux, cruelle, me voir réduit en cendres, (Plus qu'à toi, c'est à moi que cette vie est odieuse !) (15) Cesse de porter secours au mourant, et une fois pour toutes, (Que je ne meure pas si souvent !), achève-moi, je t'en prie. Qui accuser pourtant ? Moi-même ? Qui n'ai pas pu, par le fer, Déchirer ma poitrine, et voudrais dicter ma loi à la mort ? Incriminerais-je plutôt l'Amour qui m'embrase, (20) Qui t'offrit un royaume dans mon cœur encore vide ? Puisque toi, la grâce de ton divin visage te protège, Et tes lèvres t'absolvent, rivales des roses elles-mêmes. Pourtant je m'étonne, que moi, malheureux, je puisse vivre, Quand pour me faire périr deux causes se dévoilent. [1,12] A LOUISE. (1) Pourquoi, de tant de cruelles façons, tourmentes-tu Louise, un innocent, et le ballottes-tu, inquiet, Entre crainte vaine et vain espoir, Comme cendre dans la brise effrontée ? (5) Tu promets et renies ces mêmes promesses, Et tu jettes ta parole aux Eurus et aux Notus Ignorant en quelle fureur véritable Peut se changer soudain une patience bafouée. Il n'est pas seul à rager, l'ours qui grince des dents, (10) Ni le taureau ! Non, manifestement, la fureur agite aussi L'hôte pitoyable dans le nid de l'aigle Aguerri de Jupiter, et les colombes ! Car les lions ne sont pas seuls à aiguiser de lourdes Colères contre l'ennemi, et souvent même, quand on l'a trop (15) Malmenée, la brebis attaque, et moi aussi Ta parole rompue tant de fois me fera réagir. Cependant je n'oserais pas frapper, ni sévir De la main, ni appliquer à ta personne les violences Que je subis, ni déranger de son ordre (20) Admirable ta belle chevelure. Ces bagarres de paysans ne me plaisent pas ; Je prépare une vengeance autrement plus cruelle : Tes lointains descendants connaîtront L'inconstance de ta nature et de ta parole, (25) Et tes mœurs mal accordées à tes belles joues, Et ils sauront en vérité que cette bouche de rose Te fut donnée par les Dieux pour couvrir Tes fourberies, tes embûches et tes ruses. Ta cruauté, quel siècle pourra donc (30) La taire, une fois instruit par mes chants Que répand, accablé de douleur, Un talent stérile et sans inspiration Non pas certes pour me procurer de la gloire (Je ne m'en inquiète pas !) mais plutôt pour t'imprimer (35) Un déshonneur et une marque honteuse Qu'aucune durée ne pourra effacer ! [1,17] QUAND LOUISE REGARDE SON MIROIR. (1) Je me désole quand Louise regarde son miroir, Car si elle vient à savoir le pouvoir de ses charmes Qu'elle réchauffe de ses lèvres de rose, Le pouvoir de son visage, de son air, de ses grâces, (5) Alors, plus cruelle de jour en jour, Elle méprisera, hautaine, les prières et les larmes, Et aux mortels elle n'accordera ni ses charmes, Ni son visage ni son air ni ses grâces, Vouée seulement aux dieux d'en haut. (10) Je me réjouis quand Louise regarde son miroir, Puisque si elle considère ses charmes Qu'elle réchauffe de ses lèvres de rose, Si elle considère son visage et son air et ses grâces, Alors, dégagée de la dureté et de la rigueur sauvage (15) De son cœur cruel, elle méprisera celles-ci, Afin que son âme et son visage, par leur douceur, S'accordent l'un à l'autre, et qu'on les dise égaux. Ainsi, trop malheureux et trop heureux à la fois, Je me désole quand Louise regarde son miroir, (20) Je me réjouis quand Louise regarde son miroir. [2,4] A HENRI MEUCHENIUS. (1) Ainsi donc, Henri, Apollon te dévoilerait volontiers Quelle herbe est nocive, quelle herbe guérit, Et le dieu d'Epidaure t'exposerait les arts paternels, Et la fièvre aiguë ne gâterait pas ton estomac ? (5) Quel genre de maladie est l'Amour ? Par quelles herbes le chasser, Lui qui me consume le foie dans un feu si tenace ? Malheureux est l'amour, malheureux et plus proche de la fureur ! Viens à mon secours : un si long délai ne le détruit pas. Déjà deux années ont passé, déjà la troisième approche, (10) Et sur une si grande durée mon mal ne s'éloigne pas. Bien au contraire il croît et puise des forces dans ce temps Qui s'écoule, et il n'est pas rebuté par un long délai. Plus il est étouffé, et plus la force qui bouillonne au-dedans Est violente, et le cœur brûle dans un feu aveugle. (15) Le commerce des Muses, qui nous fut jadis très cher, A présent (le croirais-tu ?) ne me plaît qu'à peine, Et me dégoûterait même, s'il n'alimentait pas Mon erreur - ou dois-je dire plutôt : ma fureur. Si j'agis pour soustraire mon cœur à la passion tenace, (20) Aussitôt l'ardent Amour en reçoit de la force. La présence de son visage Divin me touche à ce point Que son absence me brûle plus sévèrement que le feu ; L'inquiétude de la voir absente me cheville à ce point Que nous ne ressentons pas les bienfaits de sa présence. (25) Maintenant, allons : ce que je peux faire, par quel médicament Chasser la maladie, dis-le moi en vertu de ton art ! Moi-même j'ai tenté de fléchir l'âme de ma maîtresse, Par la soumission, les services, l'intégrité, les serments, Mais je n'obtiens rien par mes services, prières ou serments, (30) Et je n'émeus ma belle ni par des mots ni par la soumission. Maintenant toi, si tu as, pour nos douleurs, quelque remède A ta disposition, viens ici et aide-moi ! Ou si tu sais un moyen par lequel, d'aventure, tu pourrais Me concilier la faveur et l'ardeur de ma maîtresse, (35) Viens ici et secours de bon gré un vieux camarade ! Qu'ainsi t'épargne l'Amour qui me consume, Et que la Postérité qui chantera nos amours Apprenne que je l'ai emporté grâce à ton talent. Moi certes, les bienfaits dont je me verrai gratifié, (40) Je ne voudrais assurément pas les cacher au public ! [2,8] L'ETRANGER ET CHLOE. (1) L'étranger : Quel motif remplit donc De larmes tes joues fleuries, et provoque De si tristes lamentations ? Ton bétail a-t-il subi un vol ou la dent du loup ? (5) De sorte que ta sévère mère A accablé de coups ton tendre flanc, Ce qu'à présent tu déplores, pendant que Tes chèvres s'accrochent à ce rocher ? Pourquoi gémis-tu ? Pourquoi tires-tu du fond (10) De ta poitrine de lents soupirs, seule sous cette yeuse ? Chloé : Non, ma mère sévère ne m'a pas Battue, et le chiffre de mon troupeau N'a pas pâti d'un vol ou de la dent du loup. Mais mon âme est ébranlée par un motif bien plus grave (15) Qui, faisant rage sous ma poitrine, Me force à pleurer la nuit, à pleurer le jour. Ce que mes joues arrosées De larmes continuelles (bien que je me taise) Divulguent assez, toi non plus (20) N'espère pas le connaître davantage, mon mal caché. L'étranger : Désormais, bien que tu te taises, le motif De ton mal, jeune fille, devient assez clair par lui-même. En effet (si je ne m'abuse), L'amour qui me tourmente te mine toi aussi. (25) Tu pourras en confier La cruauté connue et les ruses familières Sans crainte à mes oreilles, et presque Comme à un sourd. Car une fureur pareille torture Mon âme depuis presque déjà (30) Le troisième été, et me vole à moi-même. Chloé : Puisqu'une flamme identique brûle Ton âme, et que l'Amour pour toi n'est pas chose nouvelle, Lui qui, s'insinuant jusqu'à la moelle Dans les os vaincus, fait violence à la souveraineté (35) De la raison, s'emparant du pouvoir, O étranger, apprends donc le fondement de mon mal : Mon amour pour Philomusus me ronge, Lui que j'oserais arracher, si les destins me l'accordaient, A l'Orcus; pourtant il ne se soucie pas (40) De moi, et ne se laisse pas guider par la volonté de Vénus. L'étranger : O cruel esprit de l'homme ! Quelle terre barbare a donc nourri celui qui peut Voir Chloé, et ne pas aussitôt Accueillir en son cœur la torche de la déesse de Chypre ? (45) Sans doute Vénus prend plaisir A lier par l'amour des âmes mal assorties ! Ainsi moi aussi, ainsi me néglige La vie de ma vie, la blonde Louise, qui ne peut Etre fléchie ni par mes prières, (50) Ni par mon gémissement saccadé, ni par mes larmes. Chloé : Ainsi moi-même (malheureuse !) il me tient Tout entière, et il n'est pas plus doux que la mer Ou que ces rochers, mais plus dur Que cette yeuse sous laquelle nous nous tenons; (55) Il me fuit davantage qu'un serpent, Et ne peut être fléchi ni par les larmes ni par le gémissement De Chloé, ni par sa soumission consentie. Et (mal qui me torture davantage), j'ignore quelle femme, Favorisée par une étoile prospère, (60) Retient loin de moi, non pas lui, mais plutôt moi-même. L'étranger : Qui donc retiendrait loin de toi Ton ami ou, si tu veux, toi-même, quelle femme plus belle ? Quand tu possèdes une beauté Contre laquelle le rayonnant Jupiter n'hésiterait pas (65) A échanger soit sa Danaé, Soit celle qu'il dupa sous la forme d'un cygne neigeux ? Tant resplendissent tes joues de rose, Et tes yeux ardents semblables à des étoiles, Et tes cheveux blonds, par lesquels (70) L'âme enchaînée, comme dans une entrave, se languit. Chloé : Je ne me complais pas dans ces Vaines louanges, ni ne voudrais par ces attraits Tenir enchaînée l'âme De mon ingrat Philomusus; seule ma fidélité (75) Inébranlable méritera Qu'enfin son foie à lui bouillonne sous des feux Semblables. Bien que (A dire la vérité) peu d'espoir me soit Laissé par son comportement (80) Cruel et son cher, ah, trop cher orgueil. L'étranger : Quoique, en gardienne de ton Troupeau, tu dissimules et ton origine et ta demeure Sous ce vêtement négligé, cependant Les circonstances, belle Chloé, parlent d'elles-mêmes : (85) Toi, demi-Déesse, ou Nymphe de ces monts, ou Divinité de ce bosquet, Sous le nom inventé De Chloé, tu camoufles ta nature sacrée. Les mots en effet te coulent si aisément, (90) Lorsque tu parles des tendres amours ! Chloé : Je ne suis pas une Nymphe, et n'ai pas - Que cette erreur inutile ne t'abuse pas - Une origine plus haute qu'humaine. Mais si je parle avec éloquence des tendres (95) Amours (comme tu le dis, ô étranger), C'est que l'Amour avec éloquence me dicte mes vers. Ainsi souvent ces rochers, ce bosquet Résonnent de nos chants ou de nos gémissements, Soit que j'entonne un hymne à Vénus, (100) Soit que je chante l'âme cruelle de Philomusus. L'étranger : Maintenant (ô belle Chloé) je voudrais, Puisque ni de moi ma blonde Louise, ni de toi Ton effronté ne se soucie, Qu'inversant totalement nos sentiments, (105) Nous brûlions d'une flamme mutuelle, De sorte que la belle Chloé me regarde, et moi Chloé. Pourquoi plairait-il encore, en effet, De conserver à des cœurs à ce point ingrats une fidélité Stable et constante ? (110) Ce n'est pas agréable à Vénus, et ne plaît pas aux Dieux. Chloé : Bien que, née dans une humble chaumière, (O étranger) je paisse des brebis et élève un troupeau, N'espère pas cependant détourner Notre âme de son but, ni la fléchir par d'enjôleuses (115) Paroles. De plus près les dieux, Demain - si ce n'est aujourd'hui - viendront peut-être soutenir Mes ardeurs, et enfin Ils chasseront de mon Philomusus cette indigne Cruauté. Les prières, (120) Avec les larmes, ont peut-être leur poids ! L'étranger : Quelle belle constance, indubitablement ! Et quel cœur tendre fermement attaché à son but ! Je conserverai donc ma foi à ma belle, Quoique, cruelle, elle livre mes prières et larmes aux Notus (125) Pour les disperser de par les mers. Il n'est rien que n'obtiennent effort et longueur de temps, Et un cœur armé de patience; Si je n'obtiens rien par ces moyens, il n'est toutefois pas Déshonorant pour moi de mourir (130) Dans ma jeunesse, le cœur fidèle à mes amours. Chloé : Voici que le jour se précipite vers sa fin, Et du haut des monts abrupts, plus longues tombent Les ombres; le brillant Hespérus Nous sépare déjà, et nous invite à rentrer chez nous. (135) Mais avant cela je te salue, Et, si un jour les Dieux favorables te donnent de vivre Le terme souhaité de tes épreuves, Alors, te souvenant de Philomusus et de Chloé, Dis : comme maintenant ma belle me tient, (140) Qu'ainsi, ô Dieux, la fidèle Chloé puisse tenir son amant. [3,6] A LOUISE. (1) Mais que t'apporterai-je, ô Louise, quoi donc, Pour qu'en retour tu me portes dans ton âme, dans tes yeux, Et que tu m'aimes ? Que te donnerai-je, o Louise, Toi notre secours et notre gloire ? (5) Un cœur fidèle aux amours durables Et une âme soumise à nul autre flambeau Que celui qui vient de tes yeux Et me brûle profondément le cœur, Et un poème par le don duquel la Postérité (10) Célébrera nos amours. Le pesant Oubli s'abat sur les Poètes Qui ont ignoré les rythmes sacrés. La vieillesse s'avance, jalouse de la gloire, Elle efface les triomphes, renverse les marbres : (15) Du grand Philippe ne restera Nul prestige posthume, en-dehors des poètes. Qu'on me dise heureux trois, quatre fois et davantage Si ce que je proclame à tes oreilles en vers latins Se répand, destiné à plaire, (20) O Louise ma Lumière ! Qu'on te dise heureuse trois, quatre fois et davantage, Toi dont les grâces, dans mes vers latins, Et la beauté et la valeur, largement Sont proclamées à la Postérité amie ! (25) L'un et l'autre nous vivrons et éviterons, Audacieux, les dards du temps jaloux Dont seules ma lyre et ta valeur Ne craindront pas l'aiguillon. [3,11] A LOUISE MALADE. (1) Pourquoi, cruelle Louise, méprises-tu mon amour, Et ris-tu, les joues sèches, face à mes larmes ? Némésis a réclamé un châtiment que je ne souhaite pas, Et par la fièvre elle t'a enlevé ta beauté. (5) Ainsi moi, qui méditais en mon cœur de joyeux Hyménées, J'ai presque écrit une épitaphe au lieu d'un épithalame. [4,1] LE POETE SOUFFRE DE L'ABSENCE DE SON AMIE. (1) Allez-vous en, légères élégies, jadis objet de mon soin, adieu ! Moi désormais je ne vous utiliserai plus comme avant. Allez-vous en, délaissées, et cherchez, après cela, un autre poète : Une vaine déclamation ne convient pas à mes larmes, (5) Et je n'ai pas le loisir de conduire aux sources les tendres Muses, Depuis que ma vie se perd dans l'anxiété. Ma belle a emporté mon esprit avec elle, et seule est laissée Une ombre au logis, la meilleure part de moi est loin de la ville. Mon corps reste en ville, mon âme erre dans les champs paisibles, (10) Et apprête des couronnes florales pour ma Maîtresse qui vient. Ma Maîtresse aime les couronnes imitant ses couleurs vives, Les lys d'un blanc éclatant mêlés aux roses rouges. Les fleurs pourpres sont, des lèvres de ma Maîtresse, les images Rivales - ces lèvres qui si bien aux miennes se pressent. (15) Mais vous aussi, ô lys, celui qui vous a créés si blancs, Celui-là aura pris exemple sur ma Maîtresse. Il avait vu, certainement, plus blancs que la neige fraîche, Ou ton cou ou tes doigts, ô blonde Louise. Douce est l'odeur de la rose, mais la plus douce de toutes, (20) C'est pour nous, belle Louise, le parfum de ta bouche. Comme elles siéront bien à ma Maîtresse, les belles couronnes Et les roses qu'elle posera de la main sur sa tête charmante ! Mais à quoi bon déraisonner ? Nous sommes trop loin d'elle, Et c'est une image qui, de diverses façons, dupe notre esprit. (25) O Dieux (si les vœux et prières vous touchent en quelque manière), Je vous en prie, qu'enfin un terme soit mis à mes larmes ! Ou s'il n'est pas de terme aux larmes, et que vous ne laissez pas Ma plainte vous fléchir, mettez, je vous prie, un terme à ma vie ! Car pour moi, vivre sans ma Maîtresse, ce n'est pas vivre. (30) Elle est, à mon avis, l'unique cause de ma vie. Qu'elle soit présente, et les destins ne pourront rien contre moi; Absente, et Jupiter lui-même ne me viendrait pas en aide. J'en fis assez l'expérience récemment, quand par son retour Elle m'a rendu mes forces et ma vigueur d'esprit. (35) La Mort avait presque plongé ma tête dans le sombre Orcus, Et la préparation de mon tombeau était déjà quasi finie; La cause du mal, la maladie des maladies, n'était que la longue Absence de ma Maîtresse, tant elle a de poids pour moi. J'avais indiqué par écrit mes volontés, et mes suprêmes paroles, (40) Je les avais couchées sur papier, destinées à durer. Arrive celle qui fut la cause de mon mal et de tant de douleur, Dans le passé - et la vie et le salut me sont accordés. En effet, à peine m'est-elle apparue et a-t-elle, de mes yeux, Ecarté les ténèbres et la ruine qui les enveloppaient, (45) Qu'aussitôt, comme si je fusse rappelé des ondes infernales, J'ai dévié les traits, déjà tout proches, de la mort. Et " Tu es venue enfin, ma chérie, mon unique plaisir ?", Ai-je dit, " Tu es désormais la seconde cause de ma vie." Et sans délai la force s'ajouta à mes membres et à mon âme le courage (50) Qui à présent, vois ! est presque noyé dans de nouveaux maux. Mais vous, ô Dieux d'en haut, si ces heures ne sont point Les dernières de ma vie, je vous en prie, rendez-moi à ma vie ! Si par contre le jour fixé par le destin vient de briller pour nous, Et que je dois, triste, être englouti dans les eaux infernales, (55) Qu'elle, je vous en prie, vive heureuse, sans perdre jamais le souvenir De nous, et qu'elle sache combien je lui fus fidèle en tout lieu. Et lorsque mon âme sera partie, et ce corps placé dans un tombeau, Que ces deux vers soient gravés en grands caractères : Ci-gît un homme mort dans la fleur de sa première jeunesse : (60) Il n'a pas supporté la longue absence de sa Maîtresse. [4,9] EPITHALAME. (1) Enfin je jouis sans retenue des heureux baisers, Enfin je noue, en des étreintes désirées, Mes bras autour de la tête de Louise, Autour de ses épaules et de son cou chéri. (5) Le vieux chêne n'est pas serré plus tenacement Par le lierre qui l'enlace, et la vigne Flexible, sur l'orme verdoyant, Ne repose pas si bien ses bras las, Qu'étroitement, à notre tour, nous lions (10) Nos bras mélangés en étreintes mêlées, Loin de toute inquiétude, que le Prince Soit vaincu sur les rivages frisons, Ou qu'il s'empare dans tout le Brabant de villes Opprimées par une tyrannie immodérée, (15) Heureux de notre amour, n'aspirant A rien de plus qu'à notre sort. Tel homme bâtit des maisons qui défient le ciel, Et tire, du marbre imitant la vie, des portraits Qui portent inscrits sur leur front (20) La noblesse et les titres de ses ancêtres. Entraîné par des ambitions profanes, Tel autre, par ses largesses, achète les suffrages, Et poursuit la faveur de la foule Et la passion de la brise populaire. (25) Un autre, voué au belliqueux Mars, inutile En temps de paix, exalté par le son des trompettes, Respire, plein de superbe, les carnages, Les ruines et la fureur indomptée. Il y a celui qui, plein de folie, dissipe les biens (30) Paternels; celui qui vit dans la misère et n'ose dépenser Son argent; l'un comme l'autre, vraiment, Ne sont pas sans vice, et n'ont que du labeur. Ainsi, ces gens font effort pour des passions diverses, Par un chemin peu praticable et raboteux, (35) Ne s'accordant pas sur le but, mais tous Errent loin du terme qu'ils se sont fixé. Le grand bâtisseur est surpris par la mort qui l'accable, Et la guerre vraiment est une œuvre pleine de hasards Périlleux; l'homme avide n'est pas (40) Heureux, non plus que le miséreux. Moi, cependant, rien de tout cela ne me trouble, Et à l'abri, je regarde de haut honneurs et richesses, En disciple des Muses, élevant le trophée De ma victoire sur la jeune fille rebelle. (45) Elle qui, d'un esprit obstiné, a résisté pendant Trois années de suite, par quels moyens a-t-elle Eprouvé la fidélité de Gislain Et son âme qui supporte l'échec ? Tantôt elle prétend ne pas pouvoir, privée (50) De ses parents, décider librement de son sort, Avouant cependant qu'en elle-même Elle ne bout d'aucun feu plus languissant; Tantôt elle craint ses oncles aux ordres fluctuants, (Comme en ont coutume les jeunes filles), nullement (55) Emue par notre effort constant Ni par nos larmes et nos prières. Cette alternance d'espoirs et de craintes resta Inchangée, et les ruses de Louise ne faisaient pas de doute, Jusqu'à ce qu'enfin, par la faveur des Dieux, (60) Un jour plus lumineux brillât pour moi. Cette lumière, par son éclat, a dissipé l'amoncellement De maux si nombreux, et a mis en fuite devant l'Espoir Des craintes si variées, et des ténèbres A libéré pour moi la cœur de la jeune femme, (65) De sorte que, certaine désormais de ma sollicitude, Elle m'a donné sa parole inébranlable; Grâce au soutien de ma mère, Elle ne se soucia plus de ses oncles. Alors, méprisant les menaces des rivaux, (70) A qui déplaisait cet amour réciproque, Elle me pria, honteuse, de délaisser Les vaines craintes et l'espoir sans fondement. Sa main droite se glissa enfin dans ma main droite, Et nous échangeâmes un gage d'amour, et par un saint (75) Sacrement fut enfin reconnue, selon Le rite, notre promesse à tous deux. Quelles joies ne réunis-je pas alors dans mon âme ? Par quelles louanges n'exaltai-je pas Louise ? Elle qui a appris à nourrir sans crainte (80) Mes flammes égales par une égale étincelle ! Maintenant nous sont chers enfin, chers les dangers, Chers les efforts et les larmes, desquelles Mes joues ont si souvent ruisselé, Je m'en souviens - et ce souvenir est doux. (85) Maintenant, maintenant il me plaît, en de chastes poèmes, De dérouler en moi-même la liste de mes efforts Si bien récompensés, et de passer en revue Les soucis rongeurs et les plaintes variées. Quel bien, où que ce soit, nous est laissé par les Dieux (90) Sans effort ? Que pouvons-nous espérer sans avoir D'abord sué ? Les travaux D'Hercule lui ont valu le ciel. Ils brillent par leur valeur, ceux que chantent les Muses Des Anciens, et leur honneur et leur gloire posthume (95) Et leur labeur se répandent peu à peu, Et bientôt à chaque pas est joint le souvenir. A moi, mes efforts et mon zèle et mes pesants Soucis m'ont donné de jouir enfin des heureuses Flammes et de l'amour convoité (100) De la rebelle dame de Cortewille. Comment expliquer que les efforts et les dangers Assaisonnent généralement les joies d'un apprêt A la saveur agréable ? Et qu'est plus obscur Le titre obtenu par un combat facile ? (105) Que signifie le fait que l'assiduité de ma seule Mais active personne ait remporté ces batailles ? Sans avoir reçu, en un péril si pressant, Ni commandant ni compagnon ? A la valeur du soldat ne revient souvent (110) Qu'une part du triomphe dans les douteux aléas De la Guerre, mais dans mon triomphe Toute la Gloire m'est laissée. Faisant office à moi seul de commandant d'armée, A moi seul, de tribun et de soldat, nous avons vaincu, (115) Et à nul autre ne sont dues la louange Ou la gloire d'avoir conquis la jeune fille. Viens, Junon protectrice des noces, viens, Vénus, Et couvrez d'heureux auspices notre chaste Couche, et chassez de notre lit, (120) Bien loin, la désunion et les peines. Vois quelles couleurs variées éclaboussent Les joues de Louise ! Tantôt d'ivoire et de neige, Tantôt de pourpre et de roses, Indice infaillible d'une chaste pudeur ! (125) Cesse de craindre, cesse donc, ô Vierge, Qu'un âge assez mûr t'unisse à un homme, Et ne tourne pas vers ma mère, Comme une enfant, des yeux emplis de larmes. La foule des invités m'encourage de ses félicitations, (130) Et la plus grande partie de la nuit est déjà écoulée; Fatigués, les jeunes gens, délaissant Les demoiselles, dissolvent les farandoles. Quant à ceux qu'un âge déjà avancé exclut De la danse, leur troupe arrosée de vin tend (135) A rentrer au foyer, et il me semble Qu'ils veulent nous laisser seuls. Quel est celui-là, qui par les liens du sang te touche De très près ? Celui-là, ici, que précède un enfant Portant des flambeaux ardents, et dont la fluide (140) Chevelure est ceinte d'une couronne de roses ? Déjà je reconnais la manière de ton oncle, il vient Vers toi à pas rapides, pour te livrer à moi comme un trésor Dont je puis jouir, mais auparavant Il mènera avec art l'ultime danse. (145) Entends-tu rire les jeunes filles dans l'angle le plus reculé De la pièce ? Comme elles voudraient connaître Un pareil destin ! Toi, pourtant, Epargne tes larmes, Louise, je t'en prie. Plus dense déjà est la foule qui s'en va et regarde (150) Vers les portes; aux autres la nuit réserve le repos, A moi et à toi, elle réserve mille rires, Mille jeux et tendres ébats. Quelles guerres ou quels combats allons-nous engager ? Mais chut ! La nuit voilera de ses ténèbres complices (155) Ce que refuse de révéler la pudeur De Louise, qui colore de minium son visage. Pourquoi rougis-tu, ô beauté virginale, pourquoi Trembles-tu ? Si tu acceptes, avec ta robe, De te défaire de ta pudeur innée, (160) Demain, avec ta robe, tu la recouvreras. O les doux travaux ! Quel fluide circulera Dans nos membres déliés, tandis que, de diverses façons, Nous luttons et renouvelons le doux Combat de la Vénus conjugale ! (165) Penses-tu que les coquillages aux liens jamais Relâchés nouent plus étroitement leurs baisers ? Penses-tu que les douces colombes puissent Les varier de tant de merveilleuses façons ? O quels élixirs buvons-nous à la bouche (170) De Louise ? O quel nectar nage et ruisselle Sur ses lèvres de rose, Mêlé à la suave ambroisie ? Moins bon est le miel recueilli, au début du printemps, Par les diligentes abeilles qui volent de tous côtés, (175) Sur les fleurs que vient humecter L'ondée céleste de la fraîche rosée. Avec quelle douceur, après ces combats, surviendra Le sommeil, fermant nos yeux languissants, pour porter Un terme aux jeux et aux rires, (180) Et comme il te sera facile et agréable ! Alors, me reposant sur le sein de ma maîtresse, J'ordonnerai aux tristes soucis, poids inutile Et pénible, de partir en exil Loin de mon cœur et de celui de ma Louise. (185) Ils s'éloigneront, et dans une autre direction, aussitôt, Se tourneront : ils s'empareront, comme refuges, De la maison du Prince, et du cœur Ou de l'âme du Roi Philippe. Mais quelle est cette foule bruyante qui frappe aux portes ? (190) Et interrompt pour nous les plaisirs du premier sommeil, Et les guerres factices que la nuit Suave se plaît à nous représenter ? Vois-tu comme ils se précipitent par les portes brisées ? Et, en foule, se rassemblent autour de notre lit ? (195) Et boivent du nectar à notre santé, doux Rafraîchissement après l'effort accompli ? Mais toi, ô Louise, pourquoi couvres-tu ton visage De ta main ? Tes couleurs ne sont pas perdues, Mais accentuées, et tu es plus belle (200) Femme que tu ne l'étais naguère jeune fille. Bientôt, quand l'illustre sœur de Phoebus aura Renouvelé pour la neuvième fois, lumineuse, son éclat, Tu seras mère, et tu produiras au jour Le gage de ta pudeur virginale. (205) Si l'enfant a le sexe de son père, l'instruisant Aussitôt, dès ses premières années, je le dédierai Aux Muses sacrées, et ne le laisserai Ignorer ni le luth ni la cithare. Mais si les Dieux te donnent une petite fille, (210) Tu veilleras à ce qu'elle rappelle sa mère par sa conduite, Sa sainte retenue, et la noble dignité De son front et de sa discrétion. [4,10] A HENRI MEUCHENIUS. (1) Ceins ton Poète, Henri, du laurier victorieux : Voici que la blonde Louise repose sur notre poitrine. Cette Louise que trois ans d'efforts ne purent ébranler Voilà qu'elle me jette d'elle-même ses mains avides autour du cou. (5) Et celle qui jadis eut coutume de mépriser mon amour, Dédaignant souvent - la méchante !- nos prières, Est enfin suspendue, docile, aux lèvres de son mari, Touchée par la droiture de mon esprit, Et autant, auparavant, elle me tourmentait de dures épreuves, (10) Autant aujourd'hui elle me gratifie d'avantages faciles. Ceins ton Poète, Henri, du laurier victorieux : Voici que la blonde Louise repose sur notre poitrine. Tout cède aux mortels qui font preuve d'un zèle continu, Et si nous faisons effort, Dieu lui-même nous vient en aide. (15) Quand pour la première fois je vis Louise, mon cher souci, Avec ses beaux yeux, ses larges épaules, sa gracieuse chevelure, L'unique enfant de sa mère et son unique souci, Mon esprit, je m'en souviens, fut jeté tout entier dans le doute : Oserais-je, avec la faveur de Cupidon, nouer un amour, (20) Marcher sous l'étendard et le serment de l'incertaine Vénus ? Vénus elle-même m'ordonna d'essayer, et Cupidon lui-même, Lui qui souvent unit des divinités à des lits humains. Jupiter se penche vers Danaé, vers Daphné le bel Apollon, L'un et l'autre dieu ayant mis de côté leur nature divine. (25) Ceins ton Poète, Henri, du laurier victorieux : Voici que la blonde Louise repose sur notre poitrine. Elle me plut d'abord par sa candeur facile, Me promettant du regard toutes sortes de plaisirs. C'est ainsi à peu près qu'un poisson est berné par le traître hameçon (30) Et qu'il dévore d'une gueule avide la nourriture fatale. Ainsi moi-même j'étais d'abord mené par un vain espoir, et j'allais Captif de ma Maîtresse, comme sa proie ou son jouet, Jusqu'à ce qu'enfin, vaincue par la constance de son soupirant, Notre Louise ait changé d'opinion. (35) Ceins ton Poète, Henri, du laurier victorieux : Voici que la blonde Louise repose sur notre poitrine. Elle a pensé que la cruauté lui correspondait mal, Et l'a jugée indigne du reste de ses manières. Dès que j'ai perçu cela en moi-même : "Noble Jupiter", ai-je dit, (40) "Et Vénus, et Cupidon fils de Vénus, favorisez-moi, Vous savez en effet que c'est d'une âme pure, d'un esprit chaste, Que j'ai entouré d'honneurs les mérites de ma Maîtresse, Que je n'ai pas tant été pris de l'amour d'une beauté juvénile (Bien que cette beauté eût été digne de fléchir les dieux), (45) Que je n'ai pas tant brûlé pour ses yeux d'où émane une flamme Vive (et cette flamme aurait pu brûler Hippolyte), Que je n'ai pas tant été vaincu par ses cheveux et sa blonde toison (Et ces liens auraient pu emprisonner Jupiter lui-même), Que par son esprit honnête, ses manières divines (50) Et par cette candeur, cette vivacité de son esprit. Moi je ne considérerais comme une dot ni l'or ni les richesses, Ni ces choses auxquelles le peuple a coutume d'accorder du prix, Mais bien plutôt un esprit noble et une vie pure, Et surtout une ferme loyauté unie à l'honnêteté. (55) Il me semble qu'avec Louise, ma Maîtresse, je puis Obtenir cela et jouir de biens et d'une paix éternelle. Favorisez-moi donc enfin, noble Jupiter, et toi, Ô Vénus, et toi enfant de Vénus, Cupidon sacré." Je venais de finir, lorsqu'autour de mes oreilles une brise légère (60) Me sembla cautionner mes prières d'un heureux présage. Et le désespoir, qui m'avait tenu longtemps, s'en alla Au loin, et dans mon âme arriva l'Espoir, Divinité sûre : Ceins ton Poète, Henri, du laurier victorieux : Voici que la blonde Louise repose sur notre poitrine. (65) Ayant relâché peu à peu la sauvagerie de son esprit rebelle, Elle s'inclina devant tes traits, divin Cupidon. D'une voix douce elle m'appela son homme, elle s'appela ma femme, Et une même flamme consuma nos entrailles. Bien plus, nous sommes attachés l'un à l'autre par les liens sacrés (70) Du mariage, et nous échangeons nos promesses selon le rite. Prépare ta plume, Henri, et célébrant notre triomphe, Proclame : " Viens ô Hyménée, Viens ô Hyménée, viens ô Junon protectrice des mariages, Et Venus avec ses Jeux, et avec Vénus, la Foi nourricière." (75) Ceins ton Poète, Henri, du laurier victorieux : Voici que la blonde Louise repose sur notre poitrine. [6,13] A L'AURORE. (1) Aurore aimée des Muses et aimée d'Apollon, Viens, toute fraîche, près de Louise, et disperse Ses vêtements et ses cheveux flottants. Portée sur les épaules du doux Zéphyr, (5) Où que tu ailles, Déesse, tu sèmes des roses Et fais jaillir sur les branches de lourds bourgeons. La Nature s'émerveille des beaux Produits de la terre, et des tendres fleurs, Lorsque vers la droite du ciel, Déesse, tu continues (10) De rougir et de lever ta tête annonciatrice Du Soleil qui déjà surgit à ta suite Avec ses rayons ardents. Si Louise, Par hasard, en face de toi, libère alors aux vents Ses cheveux légers, tandis que d'un peigne d'ivoire (15) Elle divise sa superbe toison Dorée, et si elle lève Ses yeux d'azur plus purs que les astres, Je me demande de quel côté enfin le Soleil dressera Sa tête brillante, tellement l'aurore (20) Me semble identique des deux côtés. Qui ne jurerait que les yeux semblables aux astres De Louise l'emportent sur le charme de l'Aurore ? Il n'y a pas lieu pourtant qu'à la modeste Louise tu veuilles du mal, Déesse. (25) Riche d'une puissante beauté et resplendissante De ses cheveux dorés, elle ne se targue pourtant de rien. Mais qu'elle plaît par le charme de son visage Et l'espace charnu de sa poitrine ! Et qu'elle a de belles épaules, auxquelles le céderaient (30) Les membres de Diane, ses épaules et son flanc ! Pourtant elle n'est pas fière, pourtant modestes Sont ses manières et simple son genre de vie : Ô Déesse, si sur ton char quelque compagne a le droit De monter, celle-là est digne d'être portée par les roues (35) Sacrées, tandis que, du Favonius, soufflera La brise tiède sur ses cheveux et ses vêtements. [7,18] A JAN DE HALEWIJN. (1) Quand le triste Notus Ravage les frênes de son souffle lourd, que pourrais-je Faire, Halewijn ? Les neiges Amoncelées brisent les branches des chênes; (5) A grand renfort d'Aquilons, L'âpre hiver fait rage dans le froid et les pluies; Aux toits, les stalactites hérissés Pendent. En ce jour de pluie, que pourrais-je Faire, Halewijn ? Dans le foyer, (10) Jette du bois, mon enfant, en quantité, et de la jarre Tire le vin, de la vieille jarre Que Canarie nous envoya depuis ces îles Que la Fortune favorise et bénit, Et sans tarder détache du foyer le jambon fumé : (15) C'est dans les froids que prend sa saveur Le jambon et que plaisent les mâles vins. Et les lourds Soucis ou l'âme anxieuse, Rien ne pourrait mieux les relâcher qu'un vieux vin. Mais bien que j'aime les vins (20) De choix, je ne souhaiterais pas de mets Rares, le jambon me suffit, Et si l'on veut lui ajouter des saucisses, Je ne demanderai rien de plus. Que j'aie seulement mes amis, ceux à qui le vieux peuple (25) Des Louvanistes me lia, Hazius, Snecus, Ulaminius, ou bien ceux que m'adjoignirent Les sources sacrées des Muses, Cordus, Meierus, Meuchenius, Canis Ou l'infatigable Lernutius, (30) Ou tous ceux qui, quand ils ont des soucis, Osent, après boire, Les écarter par une lyre légère et par des chants sacrés; Ceux à qui commandent sans inquiétude Les rois, ceux qu'agitent les obscures trompettes. (35) Ceux-là ne trembleraient pas que la mer Engloutisse en ses flots les marchandises de Chypre; Et quand bien même rugirait l'Africus, Ils ne se réfugieront pas, craintifs, dans de honteuses prières : Si quelque souci brûle leur âme, (40) Ce sera celui qu'engendre la rigueur d'une femme. Celle-là, puisque ni les tigresses Ne l'ont nourrie de leur lait sauvage, ni non plus les ourses Dans les rudes montagnes, n'y a-t-il pas espoir Qu'elle puisse être fléchie par de fréquentes prières ? (45) S'il en est une plus rude pourtant, Qui ni par les poèmes ni par les prières ne puisse être Fléchie, la force puissante Du vin aura bientôt dissipé ce souci dans leur poitrine. Mais mon épouse à moi me tient (50) Accoutumé à vivre sous un mince joug, Elle qui commande avec tant de douceur Que, bien plus que la liberté, être son esclave Me plaît, et que je ne voudrais pas Echanger contre le gouvernement de la riche Ibérie (55) Mon joug familier. Ainsi me sont douces les pluies, ainsi me plaisent les hivers. Si elle sourit ou acquiesce, Les roses pousseront au beau milieu des neiges, Et lorsque, sous le petit foyer, (60) Croisant mon regard de ses yeux aux doux feux, Elle égaye notre maison champêtre, Je ne voudrais pas d'autres soleils, pas d'autres Fleurs, car dans ses lèvres Vénus a semé de pourpres violettes. [7,28] A LOUISE, MON EPOUSE. (1) Que tu ries, ma chérie, ou qu'inquiète tu gémisses, Que tu couves en ton âme d'anxieux tourments Ou que tu te réjouisses, Louise, La fleur de l'âge s'envole, fugace, (5) Et une fois que le jour, écoulé, s'en est allé, Que tu l'aies arrosé de vin généreux Ou au contraire de tristes larmes, L'ombre et la nuit pesante le recouvrent. Si tu mènes ta vie avec pureté, (10) Tu en seras récompensée. Entre-temps, rien n'empêche De passer agréablement ses jours Entre de doux amis. Que soient surtout bannis les excès et L'écumante ivresse, de tous les crimes la principale (15) Cause et source : que les repas soient Assaisonnés de plaisanteries et de jeux, Mais innocents; que l'impudence honteuse de Vénus Soit bannie, mais que l'évocation du Seigneur Soit présente, et qu'au début (20) Du repas résonne sa louange, Et à la fin, celle du Christ. Je souhaiterais que la soif Convie surtout aux douces boissons, et la faim aux plats, Mais j'engagerais les soucis A rester au loin, (25) Et je voudrais que les actes des absents soient tenus Sous silence, ou ne soient ramenés au jour qu'avec louange : Un esprit serein et la tranquillité Sont pour moi nourritures inépuisables.