[16] Explication qu'il applique d'abord à la terre, qui est le principe de la nature inférieure, et il fait voir pourquoi la terre n'a pas été depuis longtemps et ne sera même jamais absorbée par le soleil. La première cause en est, dit-il, parce qu'elle est à une distance immense des étoiles fixes et même à une distance assez grande du soleil. La seconde cause qu'il assigne dans cette explication, c'est l'obliquité des rayons solaires par rapport aux différentes parties de la terre; car, dans la plupart des régions du globe terrestre, le soleil n'est jamais au zénith, et ses rayons ne frappent jamais perpendiculairement la surface du sol, en sorte que sa chaleur n'agit jamais sur la totalité du globe avec une très grande force. La troisième cause est l'obliquité du mouvement du soleil dans sa révolution annuelle suivant le zodiaque (l'écliptique), eu égard aussi aux mêmes parties de la terre; d'où il arrive que la chaleur du soleil, quelle que soit son intensité absolue, ne croit pas perpétuellement, mais seulement par intervalles (dans certains temps). La quatrième cause est la vitesse du mouvement diurne du soleil, qui fait une si grande révolution en si peu de temps; en sorte que la chaleur de cet astre n'agit pas longtemps sur les mêmes points et n'y est pas deux instants de suite au même degré. La cinquième est la matière qui se trouve sans interruption entre le soleil et la terre; car l'espace que traversent les rayons solaires n'est rien moins que vide, mais rempli d'une infinité de corps qui résistent à leur action. Comme ils sont obligés de lutter contre ces corps et de vaincre leur résistance, ils en éprouvent un grand affaiblissement, affaiblissement d'autant plus grand que, plus ils se portent en avant et s'affaiblissent d'autant, plus aussi les corps qui se trouvent à leur rencontre leur opposent de résistance, surtout lorsqu'ils sont arrivés à la surface de la terre, où ils éprouvent non seulement de la résistance, mais même une sorte de répulsion. [17] Quant à la manière dont se fait cette transformation, voici à peu près quelle idée l'on peut s'en faire. Il règne entre ces deux natures une guerre éternelle et pour ainsi dire acharnée; elles n'ont entre elles aucune analogie qui puisse leur servir de lien commun, et, à l'exception du mouvement d'Hylès, il n'est point non plus de tierce nature (de nature intermédiaire) par le moyen de laquelle elles puissent s'unir. En conséquence, chacune de ces deux natures tend, par un effort perpétuel, à détruire l'autre, à s'introduire dans toute la masse de la matière et à y régner seule. Le soleil, par exemple (comme l'auteur dont nous parlons le dit souvent en propres termes), tend à convertir la terre en soleil, et réciproquement la terre tend à convertir le soleil en terre ; ce qui n'empêche pas que tout ne marche suivant un ordre constant, dans des temps déterminés, avec des mesures précises et convenables ; en sorte que chaque action est préparée, qu'elle commence, continue, croit, décroit et cesse conformément aux lois auxquelles tous les êtres sont soumis; tous effets qui ne sont pas produits par les lois résultantes de l'analogie ou de l'accord de ces deux natures (substances), mais par une sorte d'impuissance (par l'impuissance actuelle de l'une des deux) ; car l'augmentation ou la diminution de toute force ou action de ce genre ne vient pas simplement d'une cause capable d'en augmenter ou d'en diminuer l'intensité, mais du choc (de l'action) de la nature ou force opposée, qui lui fait obstacle et qui lui sert comme de frein. La diversité, la multiplicité et même la complication de toute opération de ce genre a nécessairement pour cause une de ces trois choses : la force de la chaleur, la disposition de la matière, et la manière dont cette chaleur a agi précédemment ou agit actuellement sur cette matière. Cependant ces trois choses sont unies par des relations très étroites, et sont réciproquement causes et effets l'une de l'autre. La chaleur envisagée seule, peut différer d'elle-même par sa force spécifique, par sa quantité (son intensité, et la quantité de matière essentiellement ou accidentellement chaude), par sa durée, par le milieu à travers lequel elle agit, enfin par le mode de sa succession ; elle est susceptible de plusieurs genres de variations par rapport à sa succession même, telles que le rapprochement ou l'éloignement du corps chaud, l'augmentation ou la diminution, soit graduelles, soit soudaines, de cette chaleur, ses retours ou ses réitérations, par intervalles de temps plus ou moins grands, et beaucoup d'autres semblables. On peut distinguer des chaleurs d'une infinité d'espèces qui diffèrent les unes des autres par leur force et leur nature, selon que leur degré de pureté est plus ou moins inférieur à celui de la chaleur du soleil, qui est la première source de toutes. Il ne faut pas croire non plus que toutes les chaleurs sans distinction puissent se fomenter mutuellement ; mais lorsque leurs degrés diffèrent notablement, elles peuvent s'affaiblir ou se détruire réciproquement, comme le font des degrés de froid très différents; en sorte que suivant l'expression de Telesio, les chaleurs très faibles sont, par rapport aux chaleurs très fortes, des espèces de traitres et de transfuges qui conspirent avec le froid. [18] Aussi voit-on que la chaleur vive qui réside dans le feu et qui semble darder son action, étouffe et tue, en quelque manière, la chaleur plus faible qui serpente pour ainsi dire dans l'eau, et de même on sait qu'une chaleur non naturelle, excitée dans le corps humain par des humeurs putrides, éteint et suffoque la chaleur naturelle. Que la chaleur soit susceptible de très grandes différences par rapport à sa quantité, c'est une vérité trop connue et trop évidente pour avoir besoin de preuves; on sait assez qu'un ou deux charbons n'échauffent pas autant qu'un plus grand nombre. On peut juger des effets de l'augmentation de la quantité de chaleur par ceux de la multiplication et de la concentration des rayons solaires par voie de réflexion ; car une seule réflexion double le nombre de ces rayons (qui agissent) et plusieurs réflexions réunies en augmentent le nombre dans une plus grande proportion (c'est-à-dire en proportion que ces réflexions se multiplient). On doit rapporter aussi et joindre aux effets de la quantité primitive et originelle de la chaleur ceux de sa réunion (de la réunion ou du rapprochement des corps chauds). C'est ce dont on peut juger également et par la même raison, en comparant les effets de l'obliquité des rayons solaires avec ceux de leur perpendicularité; car plus l'angle que le rayon réfléchi fait avec le rayon direct (incident) est aigu, et en conséquence plus ces deux rayons se rapprochent l'un de l'autre, plus la chaleur qu'ils produisent est forte et sensible. Le soleil même, lorsqu'il répond à certaines étoiles de la première ou de la seconde grandeur, et à celles qui jettent le plus d'éclat, telles que Sirius, Régulus ou l'Épi de la vierge excite de très grandes chaleurs. [19] Il est également certain que les effets de la chaleur dépendent beaucoup de sa durée, les effets de toute espèce de force ou d'agent naturel étant, comme l'on sait, proportionnels à la durée de son action ; car d'abord cette action a besoin d'un certain temps pour produire son effet, et il en faut beaucoup pour augmenter sensiblement cet effet. En conséquence, l'effet de la durée de la chaleur est de convertir une chaleur égale et uniforme en une chaleur progressive et par conséquent inégale, comme on en voit des exemples et des preuves dans les chaleurs si fortes qui se font sentir quelque temps après le solstice d'été et quelques heures après midi; car quoique dans ces deux temps la chaleur produite par l'action actuelle du soleil, qui est alors moins élevé sur l'horizon, soit moins grande, cependant, comme les degrés de chaleur qu'il produit actuellement se joignent à ceux qu'il a produits antérieurement, l'effet total, qui est proportionnel à la somme de ces degrés, est alors plus grand à cause de leur accumulation, et même dans les régions les plus septentrionales et les plus froides, où les rayons solaires qui sont très obliques même durant l'été agissent avec peu de force, l'effet de cette obliquité est quelquefois (durant cette saison) compensé par la longue durée des jours et de l'action de cet astre. Le milieu qui transmet la chaleur et qui en est comme le véhicule est aussi une cause qui peut augmenter ses effets ; c'est ce que prouvent assez les variations dans la température et les changements de temps qu'on observe dans une même saison ; par exemple, il règne quelquefois un froid assez sensible durant l'été et une température assez douce durant l'hiver. De même un vent de midi et un temps pluvieux ou nébuleux ont une influence très sensible sur les vignes, les blés et les autres productions de la terre, quoique le soleil décrive son orbite comme à l'ordinaire et qu'on n'y observe aucun changement à cet égard. Les différentes dispositions et constitutions de la température répondant aux différentes révolutions des saisons et des années, constitutions qui sont tantôt pestilentielles et morbifiques, tantôt salutaires et bienfaisantes, dérivent de la source même que je viens d'indiquer, je veux dire des différentes constitutions de l'air qui est le milieu commun. Ces dispositions dépendent elles-mêmes des vicissitudes et des altérations de la température dans les temps précédents, la température de chaque année et de chaque saison influant de proche en.proche sur celle des saisons ou des années suivantes, et beaucoup plus longtemps peut-être qu'on ne le pense. Or, comme la succession, ou si l'on veut, l'ordre dans lequel se succèdent les différents degrés de chaleur, influe sur cette chaleur même de plusieurs manières, cette influence en est d'autant plus grande, et le soleil ne pourrait être une cause si puissante et une source si féconde de générations de toute espèce, si la situation même de cet astre qui est le grand mobile (moteur) du tout ne variait d'une infinité de manières par rapport à la terre et à ses différentes parties ; car le soleil décrit une orbite circulaire; son mouvement est rapide, son cours est oblique (il décrit l'écliptique qui est oblique par rapport à l'équateur) et il revient sur ses pas (il va et revient sans cesse d'un tropique à l'autre) ; mouvement d'où résulte nécessairement la succession alternative de sa présence et de son absence, de son éloignement et de son rapprochement, de l'obliquité et de la perpendicularité de ses rayons, de ses retours plus prompts ou plus tardifs; en sorte que, dans aucun temps ni dans aucun lieu, la chaleur émanée du soleil n'est uniforme ou ne revient aussitôt au même degré , si ce n'est peut-être sous les tropiques, et que ces grandes variations dans le corps (l'astre) engendrant, correspondent parfaitement à des variations non moins grandes dans les corps engendrés; à quoi l'on peut ajouter les variétés et les variations innombrables dans la nature et la constitution du milieu, ou du véhicule. Or, tout ce que nous venons de dire sur les effets des différents degrés d'une chaleu d'une seule et même espèce, peut être appliqué aux effets des vicissitudes et des différents modes de successions des chaleurs de différente espèce. [20] Ainsi, c'est avec fondement qu'Aristote a prétendu qu'on devait attribuer les générations et les corruptions des composés à la route oblique que le soleil suit en décrivant le zodiaque (l'écliptique). On doit observer toutefois que sa manie de prononcer magistralement sur tout, de se porter en quelque manière pour arbitre de la nature, de faire à son gré des distinctions et des combinaisons, a dénaturé cette grande idée et lui en a ôté presque tout le mérite. Son erreur consiste en ce que, au lieu d'attribuer la génération et la corruption (qui, pour le dire en passant, n'est jamais purement privative, mais grosse d'une autre génération) à l'inégalité de la chaleur du soleil, prise en totalité, je veux dire à l'éloignement et au rapprochement de cet astre pris ensemble, il a attribué spécialement et distinctement la génération au rapprochement du soleil et la corruption à son éloignement ; explication peu judicieuse et trop semblable à celles du vulgaire. Que si quelqu'un, voyant attribuer au soleil toutes les générations, étonné d'une telle explication, nous objectait que le soleil est avec raison regardé comme un feu et que l'effet propre du feu est plutôt de détruire que d'engendrer, nous lui répondrons que cette objection est frivole, et n'a d'autre fondement que l'opinion fantastique qui suppose que les effets du soleil et ceux du feu artificiel sont essentiellement différents. L'expérience et l'observation prouvent qu'ils ont une infinité d'effets communs; par exemple, ils ont l'un et l'autre la propriété de mûrir les fruits, de conserver dans les pays froids les plantes délicates des pays chauds, de faire éclore les oeufs, de clarifier les urines troubles (car nous rapportons à la même classe la chaleur des rayons solaires et celle des animaux), de ranimer et de ressusciter, en quelque manière, les animaux engourdis par le froid, d'exciter des vapeurs et des exhalaisons, etc. Cependant il faut convenir que l'action de notre feu n'imite que très imparfaitement celle du soleil et que ses effets n'en approchent pas; car la chaleur du soleil a trois caractères distinctifs qu'il serait difficile de donner tous au feu artificiel.