[11] Le sentiment de ceux qui n'admettaient qu'un seul principe et qui étaient moins jaloux de l'emporter dans la dispute que d'observer la nature telle qu'elle était, nous paraît autant ou plus fondé que les précédents; ils méritent surtout des éloges pour n'avoir attribué à Cupidon qu'une seule espèce de vêtement, qui, comme nous l'avons dit, est plutôt une sorte de voile léger qu'une toile forte et épaisse. Nous appelons vêtement de Cupidon une forme quelconque attribuée à la matière première, en supposant de plus qu'elle a quelque analogie de substance avec la forme de tel être du second ordre. Les hypothèses de ceux qui regardent l'air, l'eau ou le feu comme le premier principe de toutes choses, sont appuyées sur des fondements si faibles, qu'elles ne seraient pas difficiles à réfuter; mais, au lieu de les discuter une à une, nous nous contenterons de les réfuter en masse. [12] Ainsi, en premier lieu, nous observerons que ces anciens philosophes paraissent avoir suivi, dans la recherche des premiers principes, une méthode peu judicieuse, se contentant de chercher parmi les corps apparents et sensibles celui qui leur paraissait l'emporter sur tous les autres par ses qualités, et l'avoir regardé comme principe de tout, mais seulement d'après les idées de perfection qu'ils s'étaient faites à cet égard, et non d'après l'observation et la mûre considération de la réalité des choses, supposant très gratuitement que cette nature, qu'ils croyaient si parfaite, était la seule dont on pût dire avec fondement qu'elle était réellement ce qu'elle paraissait être; que toutes les autres n'étaient au fond que cette même nature, quoiqu'elles parussent en différer: en sorte qu'ils semblent n'avoir voulu parler qu'au figuré, ou s'être laissé séduire par ces idées de perfection qu'ils attachaient à certains corps, l'impression la plus forte ayant donné sa teinte à tout le reste. Cependant tout philosophe qui veut connaître la nature telle qu'elle est ne doit point avoir de telles prédilections et ne doit regarder comme vrai principe de toutes choses que ee qui convient non seulement aux corps les plus volumineux, les plus nombreux et les plus actifs, mais aussi aux plus petits, aux plus rares et aux plus inertes. Ce que les hommes admirent le plus, c'est ce qu'ils rencontrent le plus (c'est ce qui les frappe le plus) ; mais la nature, qui n'est point sujette à de telles préventions, ouvre son vaste sein à tons les êtres également. Que si ces philosophes dont nous parlons, au lieu d'adopter ce principe unique, d'après les idées de perfection qu'ils attachent à certains corps, le font purement et simplement (indépendamment d'un tel motif), alors leur métaphore devient encore plus choquante; ils tombent dans une équivoque manifeste, et ce n'est plus ni au feu, ni à l'eau, ni à l'air réel de la nature, mais à je ne sais quelle substance fantastique et purement idéale qu'ils laissent ce nom de feu, d'air, etc., et en y attachant des idées très différentes des idées communes. De plus, ils paraissent tomber dans le même inconvénient que ceux qui regardent une matière abstraite comme premier principe. Car, de même que ceux-ci supposent une matière potentielle dans son tout, ceux-là en supposent une qui l'est du moins en partie. Ils admettent aussi une matière revêtue d'une forme ( actuellement existante et douée de telles qualités), du moins à certains égards, savoir, par rapport à leur principe même, mais purement potentielle à tout autre égard; et ils ne gagnent pas plus en supposant l'existence d'un principe de cette nature que les autres en regardant comme telle une matière abstraite. Cependant ils présentent à l'entendement humain un objet qui lui donne un peu plus de prise, qui fixe davantage ses idées, sur lequel il croit pouvoir se reposer, et à l'aide duquel il croit avoir une notion un peu plus étendue et plus complète de ce principe; mais, dans le siècle où ils vivaient, les prédicaments n'étaient pas encore assez en vogue pour que ce principe d'une matière abstraite pût se cacher sous la foi et la tutelle de quelque prédicament de la substance. Aussi aucun d'entre eux n'a-t-il osé imaginer une matière purement fantastique; mais ils ont regardé comme principe une des substances qui tombent sous les sens, en un mot un être réel. Quant à la manière dont il varie, se modifie et se distribue, ils ont pris plus de liberté à cet égard, et celle qu'ils ont supposée est tout-à-fait chimérique, car ils n'ont pas su découvrir par quel appétit ou stimulus (force, tendance ou effort ), par quel moyen, quelle voie, quelle marche et quelle gradation un premier principe dégénère et revient ensuite à son premier état. De plus, on observe dans l'univers une infinité de choses contraires et d'oppositions; par exemple, les corps sont denses ou rares, chauds ou froids, lumineux ou opaques, animés ou inanimés, toutes choses qui, luttant les unes contre les autres, s'affaiblissent ou se détruisent réciproquement. Vouloir faire dériver tous ces contraires d'un seul principe matériel comme d'une seule source, sans donner la plus légère idée de la manière dont cette,cause unique peut produire tous ces effets opposés, est une marche propre à des philosophes qui, effrayés de la difficulté de cette recherche, prennent le parti de l'abandonner. Car, à la vérité, si le fait même était suffisamment constaté par le témoignage des sens, il faudrait bien l'admettre tel qu'il serait, quoique son mode et ses causes demeurassent inconnues; et même si l'on pouvait, par la seule force du raisonnement, découvrir quelque mode vraisemblable et capable de produire tous ces effets, il faudrait peut-être alors s'élever au-dessus des apparences. Mais. il serait injuste d'exiger que nous accordassions notre suffrage à des philosophes qui supposent des êtres dont l'existence n'est pas constatée par le témoignage des sens, et qui ne prennent pas même la peine de nous montrer par des raisons satisfaisantes la possibilité de leur existence. De plus, s'il n'y avait qu'un seul principe de toutes choses, on devrait en trouver des traces et des indices dans tous les corps; il devrait y jouer le principal rôle et y prédominer plus ou moins; enfin, rien de contraire à ce principe ne devrait jamais y prédominer. De plus, il faudrait qu'il fût placé au milieu (au centre), afin que tout le reste pût l'approcher et qu'il pût se répandre aisément dans tous les points de sa sphère d'activité. Or, dans le système dont nous parlons, il n'est pas question de tout cela; car la terre, à laquelle on refuse les honneurs et la fonction de principe, contracte et conserve des qualités diamétralement opposées à celles des trois substances, dont telle ou telle autre est regardée comme principe; par exemple elle oppose son inertie et son opacité à la mobilité et à la nature lucide (à la lucidité) du feu; sa densité et sa solidité à la ténuité et à la mollesse (fluidité de l'air) ; sa sécheresse et sa raideur à l'humidité et à la souplesse de l'eau, sans compter que la terre elle-même, occupant le milieu (le centre), en exclut toutes les autres substances. De plus, s'il n'existait qu'un seul principe, il devrait être de nature à se prêter également et indifféremment à la génération et à la dissolution; car c'est aussi le propre d'un principe que toutes choses s'y résolvent comme elles en dérivent; or, c'est ce qu'on ne peut dire d'aucun des principes supposés, l'air et le feu n'étant nullement propres à fournir une matière à la génération, au lieu que les autres corps peuvent se résoudre à ces deux substances. Au contraire l'eau, dont l'action est douce et bénigne, est par cela même propre à la génération, et les autres substances ne s'y résolvent que difficilement; c'est ce qu'on verrait aisément si les pluies venaient à cesser pendant quelque temps. De plus, la putréfaction même ne ramène nullement les substances à l'état aqueux, je veux dire qu'elle ne les réduit point en une eau pure et crue. Mais l'erreur de ces philosophes consiste principalement en ce qu'ils ont qualifié de principe une substance corruptible et mortelle; car c'est ce qu'ils font lorsqu'ils admettent un principe qui peut dégénérer dans les composés et y perdre sa nature propre et spécifique, comme le dit certain poète : "La transformation de tout corps qui sort de ses limites est la mort de ce qui existait auparavant" {Lucrèce, De la nature des choses, III, 519-520}; observation d'autant plus nécessaire ici que, suivant l'ordre naturel de notre exposé,. nous devons parler actuellement de cette troisième secte de philosophes qui soutenaient l'hypothèse de la pluralité de principes; secte qui, à la première vue, paraît appuyer ses assertions sur de plus solides fondements que toutes les autres, mais qui ne laisse pas d'avoir plus de préjugés et de hasarder un plus grand nombre de suppositions. Ainsi, après avoir examiné ces hypothèses prises en général, nous allons les discuter une à une. [13] Nous avons dit qu'une partie de ces systématiques, qui admettaient plusieurs principes, prétendait que leur nombre était infini. Cependant nous n'examinerons point ici ce sentiment, les considérations sur l'infini se rapportant à la fable du ciel. Mais quelques-uns des anciens philosophes, entre autres Parménide, supposent l'existence de deux principes seulement, savoir: le feu et la terre, ou le ciel et la terre. Car, selon lui, le soleil et les autres astres sont de véritables feux, des feux, dis je, purs et limpides (clairs, transparents) et très différents du nôtre qui, ayant été par hasard précipité sur la terre (comme Vulcain), est demeuré faible et boiteux ; système renouvelé dans ces derniers temps par Telesio, savant distingué qui s'était instruit à fond de la doctrine des péripatéticiens (si toutefois celle qu'ils enseignaient méritait ce nom), et qui a su tourner contre eux leurs propres arguments, mais qui n'avait pas le même talent pour établir des opinions positives et savait mieux détruire que construire (démolir que rebàtir). Quant au système proprement dit de Parménide, il nous reste très peu de chose sur ce sujet. Cependant les fondements d'une hypothèse fort semblable ont été jetés dans le traité succinct que Plutarque a composé sur le premier froid; opuscule dont le fond paraît avoir été tiré de quelque autre traité plus ancien qui existait encore de son temps, mais qui n'est point parvenu jusqu'à nous ; car on y trouve plus de profondeur et de force de raisonnement qu'on n'en voit ordinairement dans les écrits de l'auteur qui a publié ce système. Il paraît que Telesio a profité des vues qu'il y a trouvées et qu'elles l'ont excité à défendre avec beaucoup de chaleur dans ses traités de physique l'hypothèse de Parménide. Les opinions de cette secte se réduisent à ce qui suit : les formes, les êtres actifs, et par conséquent les substances primaires (du premier ordre) sont le chaud et te froid. Cependant ces deux substances sont incorporelles. Mais il existe une matière passive et potentielle qui leur fournit une masse corporelle sur laquelle l'une et l'autre peuvent exercer leur action ; matière qui est susceptible de ces deux natures (de ces deux genres d'impressions opposées), mais qui par elle-même est inerte et destituée de toute activité. La lumière n'est qu'une dérivation de la chaleur, mais d'une chaleur raréfiée et atténuée qui, en se concentrant, devient plus forte et plus sensible. Par la raison des contraires, l'opacité est l'effet de la privation ou de l'affaiblissement de la nature lumineuse, deux effets produits par le froid. La rarité et la densité sont deux espèces de textures ou de toiles ourdies (de constitutions des corps produites) par le chaud et le froid, qui sont alors à leur égard comme les agents et les ouvriers. L'effet du froid est de contracter et de condenser les corps, au heu que celui de la chaleur est de les étendre et de les dilater. L'effet de la dernière de ces deux textures est aussi de rendre les corps plus mobiles et plus actifs; celui de la première est de diminuer leur aptitude au mouvement et d'augmenter leur inertie. Ainsi c'est par le moyen de la rarité et de la ténuité que la chaleur excite ou entretient le mouvement, et c'est par le moyen de la densité que le froid le ralentit ou le détruit. D'où il suit qu'il y a et qu'on peut supposer quatre natures (qualités) corrélatives et co-essentielles, qui répondent (deux à deux) au chaud et au froid, dont elles ne sont que des dérivations ou des émanations, mais qui en sont inséparables. Ces quatre qualités sont, d'une part, la chaleur, la lumière (la lucidité), la rarité et la mobilité. A ces quatre qualités répondent, de l'autre part, ces quatre autres qui leur sont diamétralement opposées: le froid, l'opacité, la densité et l'immobilité. Le siége des quatre qualités de la première conjugaison (combinaison) et des textures qui en sont les effets est le ciel (et les astres), principalement le soleil ; celui de la combinaison des quatre qualités opposées est la terre, car le ciel, en vertu d'une chaleur complète (portée au plus haut degré) et d'une matière extrêmement dilatée, est très chaud, très lumineux, très ténu et très mobile. La terre au contraire, en vertu d'un froid extrême que rien n'affaiblit et d'une matière extrêmement contractée, est très froide, très opaque, très dense et tout-à-fait immobile, ayant même une sorte d'aversion et d'horreur pour le mouvement. La partie la plus élevée des cieux conserve entièrement sa nature et sans aucune diminution, n'étant susceptible que de quelques différences par rapport au degré ou du plus au moins, et étant trop éloignée pour être exposée aux assauts et à l'action violente de son contraire. Il en est de même de l'intérieur de la terre par rapport à sa nature respective qui s'y trouve egalement permanente. [14] Dans les extrémités (dans les limites des deux régions) où les deux contraires sont plus voisins et plus en prise l'un à l'autre, ils agissent réciproquement l'un sur l'autre et se livrent un éternel combat. En conséquence, le ciel, dans la totalité de sa masse et de sa substance, est exclu de chaleur et destitué de toute nature ou action contraire; chaleur toutefois qui n'y est pas distribuée uniformément, certaines parties étant plus chaudes que les autres; car la chaleur du corps, et comme de la substance même de chaque étoile, a beaucoup d'intensité, et celle qui règne dans les espaces que les étoiles laissent entre elles en a beaucoup moins. Cette chaleur n'est pas non plus la même dans toutes les étoiles ; quelques-unes paraissent être plus ardentes que les autres, leur lumière étant plus vive et plus scintillante , de manière toutefois que la nature contraire, supposée même au plus faible degré, ne peut pénétrer jusqu'à cette région qui, à la vérité, est susceptible de plus et de moins par rapport à sa nature propre et spécifique, sans l'être d'aucun degré de la nature contraire. Mais on ne doit pas juger du feu céleste ni de sa chaleur par le feu commun (ou terrestre), le premier ayant toute sa pureté et toute sa force originelle, ce qu'on ne peut dire du dernier. Car notre feu, se trouvant hors du lieu qui lui est propre et tout environné de contraires, est comme tremblotant ; il est dans une sorte d'indigence, ayant besoin d'un aliment pour se nourrir et se conserver; enfin il est perpétuellement disposé à fuir cette région étrangère et à s'élever vers la région céleste, au lieu que dans les cieux il est dans sa véritable place ; il n'y est exposé à l'action violente et aux assauts d'aucune substance contraire; il y est dans un état permanent, il y subsiste et s'y conserve par lui-même ou tout au plus par le moyen de ses analogues ; il y exerce librement et sans obstacle toutes les espèces d'actions qui lui sont propres. De même le ciel est lumineux dans toutes ses parties, mais il ne l'est pas dans toutes également. En effet, parmi les étoiles observées et nombrées, il en est qui ne sont visibles que par un temps très serein , et la voix lactée n'est qu'un assemblage de très petites étoiles qui ne produisent qu'une blancheur et non une lumière proprement dite et suffisante pour les laisser voir toutes distinctement. Il n'est pas douteux qu'il n'y ait une infinité d'étoiles invisibles pour nous, et en conséquence que le corps même du ciel ne soit lumineux dans toute son étendue; mais cette lumière n'est ni assez vive, ni assez forte, ni assez concentrée pour pouvoir franchir ces espaces immenses et parvenir jusqu'à nos yeux. On conçoit aussi que le ciel, pris en totalité, est composé d'une substance rare et ténue; qu'aucune condensation ou contraction violente n'a rendu telle de ses parties plus dense et plus compacte que les autres, quoique sa matière soit plus rare et plus ténue dans certaines parties que dans d'autres. Enfin le mouvement du ciel est tel que doit être celui d'un corps très mobile ; je veux dire que c'est un mouvement circulaire, c'est-à-dire un mouvement sans terme, et tel que le corps circulant n'a en quelque manière d'autre terme que lui-même, au lieu que tout corps qui dans son mouvement suit une ligne droite se porte vers un terme comme pour s'y reposer. Ainsi le ciel pris en totalité se meut circulairement, et il n'est aucune de ses parties qui n'ait un tel mouvement. Cependant le ciel est susceptible de quelques inégalités relativement à sa chaleur, à sa lumière et à sa ténuité ; il l'est également de quelques différences par rapport à son mouvement, différences d'autant plus sensibles et d'autant plus faciles à déterminer, à constater, qu'un tel mode (le mouvement circulaire) excite davantage l'attention de l'observateur, donne plus de prise à l'observation et peut plus aisément être soumis au calcul. Ce mouvement circulaire peut, en différentes parties du ciel, différer quant à sa vitesse ou à la courbe décrite. En effet, 1° il peut être ou plus rapide ou plus lent ; 2° le corps circulant peut décrire ou un cercle parfait ou une courbe qui tienne de la spirale, dont les spires soient plus ou moins éoartées les unes des autres, et en conséquence, après avoir fait sa révolution entière, ne pas revenir précisément au point d'où il est parti ; car la ligne spirale tient tout à la fois du cercle et de la ligne droite. Or, c'est ce qu'on observe dans le ciel même ; je veux dire que ses différentes parties ne se meuvent point avec des vitesses égales et ne reviennent pas chaque jour exactement aux points où elles étaient la veille (dans les instants corresponpondants) ; en un mot elles décrivent des spirales. Par exemple, les étoiles errantes et les planètes et les comètes) ont des vitesses inégales; et ces planètes s'éloignent visiblement de l'équateur en allant et revenant d'un tropique à l'autre. Plus les astres sont élevés et éloignés de nous, plus leur mouvement circulaire est rapide, et plus aussi les spires de la courbe qu'ils décrivent sont rapprochées les unes des autres ; car pour peu qu'envisageant sans prévention tous ces phénomènes et en les prenant tels que les donne l'observation on suppose un seul mouvement diurne naturel et simple dans les corps célestes, en rejetant l'hypothèse spécieuse, mais purement mathématique, dont le but est de ramener tous les mouvements célestes à des cercles parfaits; pour peu encore qu'on regarde comme réelles les lignes spirales que les planètes paraissent décrire, et qu'au lieu de s'en laisser imposer par l'apparence des deux mouvements en sens contraire, savoir, celui d'orient en occident (attribué au premier mobile) et celui d'occident en orient (qualifié de mouvement propre des planètes) ; pour peu, dis je, qu'on les réduise à un seul et qu'on explique les différences observées (par rapport au temps) dans le retour des planètes aux mêmes points, en supposant qu'elles devancent le premier mobile ou le laissent en arrière, et en employant la supposition même des lignes spirales pour rendre raison de la différence observée entre les pôles de la sphère et ceux du zodiaque ; pour peu, en un mot, qu'on se permette ces suppositions si simples et naturelles, on sera bientôt convaincu de ce que j'ai avancé. Par exemple, on voit que la lune, qui de toutes les planètes est la plus basse et la plus voisine de nous, a un mouvement plus lent, et décrit une courbe dont les spires sont plus écartées les unes des autres, et qu'elle a par sa nature quelque affinité ou analogie avec cette portion de la région céleste qui, à cause du grand éloignement où elle est de la nature contraire, est dans un état permanent. Mais Telesio a-t-il laissé subsister ou changé les anciennes limites des deux natures? Pensait-il, dis-je, que la nature de la lune était toute semblable à celle de la région plus élevée, ou croyait-il que l'action de la nature contraire à la nature céleste s'étendait au-dessus (se portait même au-delà) de cette planète? C'est un point sur lequel ce philosophe ne s'est pas assez nettement expliqué. Or, la plus grande portion de la terre, qui est l'assemblage, la masse et comme le siége des substances de nature opposée, est aussi dans un état permanent , et l'influence des corps célestes ne peut pénétrer jusque-là. Mais quelle est l'étendue de cette portion? c'est une question dont la solution serait assez inutile; il suffit de savoir qu'elle est douée de ces quatre qualités : le froid, l'opacité, la densité et le repos ou l'immobilité; qu'elle les possède au degré le plus éminent, sans qu'aucune cause puisse les diminuer. [15] Ce même philosophe pense que la région où s'opèrent toutes les générations est cette partie de la terre qui se trouve vers la surface du globe, et qu'il regarde comme une espèce d'écorce ou de croûte ; que tous les êtres, et en général tous les composés que nous pouvons observer, et sur lesquels nous avons des connaissances plus ou moins exactes, même les plus pesants, les plus durs, et ceux qui se trouvent à une grande profondeur (telles que les métaux, les pierres), enfin la mer même, sont composés d'une terre travaillée et en partie transformée par la chaleur des corps célestes; terre qui a contracté par ce moyen un certain degré de chaleur, de radiation (de lucidité), de ténuité et de mobilité, et qui est d'une nature moyenne entre celle du soleil et celle de la terre (proprement dite). D'où il suit évidemment que cette terre pure dont nous parlions plus haut se trouve fort au-dessous de la mer, des minéraux et de toute espèce de composé qui peut être le produit d'une génération; enfin, que tout l'espace compris entre cette terre pure et la lune, ou une région plus élevée, est occupé par une sorte de nature moyenne, qui est le produit des actions et réactions du ciel et de la terre, tempérées les unes par les autres. Car c'est dans l'espace compris entre les parties les plus élevées des cieux et les parties les plus intérieures de la terre que se trouvent les plus violentes agitations, les combats et les luttes de toute espèce, à peu près comme dans les empires les frontières sont les plus exposées aux incursions et aux invasions, tandis que les provinces du centre jouissent d'une paix profonde; en sorte que chacune de ces deux natures contraires a perpétuellement la faculté ainsi que le désir de se multiplier continuellement elle-même et d'engendrer quelque chose de semblable à soi, de se répandre en tous sens, d'occuper la masse entière et immense de la matière, de combattre et de surmonter son opposée, de la débusquer et de se mettre en sa place; qu'elle a de plus la faculté de percevoir les forces et les actions de sa contraire en percevant aussi ses propres forces et ses propres actions, perception qui la mettent en état de se mouvoir et d'occuper la place qui lui convient relativement à l'autre; enfin que de ce perpétuel combat résultent toutes les différentes espèces d'êtres, d'actions, de forces, de qualités , etc. Cependant le philosophe dont nous exposons le système paraît attribuer dans quelques endroits de ses écrits certaines qualités ou conditions à la matière passive, ce qu'il ne fait toutefois qu'en hésitant et en très peu de mots : 1° il dit que la quantité de cette matière n'est jamais augmentée ni diminuée par les formes et les êtres actifs, mais que la somme des particules matérielles est toujours la même dans l'univers; 2° il lui attribue le mouvement de pesanteur et de chute. Enfin il hasarde même quelques conjectures sur les éléments et la composition de cette matière ; mais il s'explique avec plus de clarté lorsqu'il dit que le chaud et le froid (leurs forces et leurs quantités étant supposées égales) agissent avec moins de force dans une matière rare et développée que dans une matière très dense et très compacte, cette action dépendant moins de leur propre mesure que de celle de cette matière. Il a aussi tenté d'expliquer comment de cette lutte et de ce combat des deux contraires peuvent résulter tant de générations ainsi que l'admirable fécondité de la nature.