[6] VI. De l'immobilité apparente dans les corps solides et liquides. Certains corps semblent être dans un repos complet et privés de mouvement. Cette apparence est vraie quant à leur masse tout entière, mais elle trompe l'esprit quant à leurs parties. Le repos simple et absolu, en parties et en tout, n'existe pas; et ce que nous regardons comme tel est produit par les obstacles, les empêchements et les équilibres des mouvements. Par exemple, dans des vases percés dans le fond, qui servent à arroser les jardins, l'eau ne s'écoule pas par les trous quand le haut en est fermé hermétiquement. Il est évident que ce fait s'opère par un mouvement de rétraction et non par une propriété de repos. L'eau, en effet, ne tend pas moins à descendre que si elle était libre de ses mouvements ; mais comme dans le haut du vase il ne se trouve pas de corps pour la remplacer, il en résulte que l'eau du bas est retenue par celle du haut et qu'elle est assujettie à une force irrésistible; car si dans une lutte un homme en tient un autre plus faible de manière à l'empêcher de remuer, malgré tous les efforts de celui-ci, il n'en est pas moins vrai qu'il y a mouvement de résistance, bien qu'il soit impuissant et qu'il soit soumis à un mouvement de force supérieure. Ce que nous disons de la fausse immobilité de certains corps est utile à connaître dans une foule de faits, et jette quelque lumière sur les recherches de la nature du solide et du liquide, c'est-à-dire de la consistance et de la fluidité. Les corps solides semblent, en effet, ne point s'écarter ni bouger de leur position, et les liquides se mouvoir et se confondre; car on ne peut élever une colonne d'eau, ou toute autre forme, comme on peut le faire avec du bois et de la pierre. On serait donc porté à croire que les parties supérieures de l'eau, par le mouvement qu'on nomme naturel, tendent à s'écouler, et que ces parties dans le bois n'ont pas la même tendance. Il n'en est pourtant pas ainsi, puisqu'on remarque dans les parties du bois qui se trouvent placées dans le haut le même mouvement que dans celles de l'eau. Toutes deux tendent à aller en bas, et ce mouvement s'opèrerait s'il n'était arrêté et retenu par un mouvement plus puissant. Nous voulons parler de la propriété de continuité, ou éloignement de séparation, qui appartient également à l'eau et au bois; mais dans l'un, le mouvement de gravité est plus fort, et dans l'autre plus faible. Il est, en effet, facile de s'apercevoir que les corps liquides sont aussi assujettis à ce mouvement. Nous voyons dans les bulles d'eau que, pour éviter la séparation, l'eau se met en pellicules d'une forme hémisphérique. Nous voyons aussi dans les gouttières que l'eau, pour qu'il n'y ait pas cessation de continuité, s'avance et s'allonge en un mince filet d'eau jusqu'à ce qu'il en arrive une quantité suffisante ; et si l'eau manque pour qu'il y ait continuité, elle se forme alors en petites gouttes rondes dont le diamètre est bien plus grand que n'était celui du filet. Nous voyons enfin que l'eau ne peut guère être soumise à une moindre diminution quand elle s'écoule par son poids naturel sans concussion à travers des ouvertures et des fentes, quelque petites qu'elles soient. Il est donc démontré que la propriété de continuité appartient aussi aux corps liquides, quoiqu'à un faible degré. Elle est très puissante, au contraire, dans les corps solides, et l'emporte sur le mouvement naturel oo mouvement de gravité ; car si l'on pense que dans une colonne de bois ou de pierre les parties supérieures ne tendent pas à s'échapper, mais à se soutenir dans la même position, on reviendra facilement de cette erreur en considérant que la colonne, ou tout autre objet semblable, ne peut demeurer debout, penche et est entrainée par son poids si la hauteur n'en est pas proportionnée à la largeur de la base, en sorte que dans les constructions élevées on est obligé de leur donner la forme pyramidale et de les rendre plus étroites vers le sommet. Ce serait une difficile investigation que celle de la nature qui augmente ou diminue cette propriété de continuité. Peut-être supposerait-on que les parties des corps sont plus denses et plus compactes, et que celles des corps liquides sont plus rares et plus déliées, ou bien que les corps liquides ont un gaz qui est le principe de leur fluidité et qui manque aux corps solides, et autres données semblables. Mais ni l'une ni l'autre de celles-ci ne sont conformes à la vérité. Il est évident que la neige et la cire, qui sont susceptibles d'être desséchées, façonnées et soumises aux impressions, sont beaucoup plus rares que le vif argent et le plomb fondu. La différence de leur poids le prouve. Si l'on nous objecte ensuite qu'il peut se faire que la neige, ou la cire, tout en étant dans son tout plus rare que le vif argent, peut cependant avoir des parties plus closes et plus compactes; mais qu'étant un corps spongieux et admettant beaucoup de cavités et d'air, elle peut par conséquent être rendue plus légère en somme, comme on le voit dans la pierre de ponce, ou bien que celle-ci, sous le rapport du volume, soit peut-être plus légère que le bois, si cependant on les réduit tous deux en poudre, il en arrive que la poussière de pierre de ponce est plus pesante que celle de bois, parce que ses cavités n'existeront plus, nous savons que ces faits ont été observés et opposés. Mais que dira-t-on de la neige ou de la cire fondue où les cavités ont été remplies? Que répondra-t-on sur les corps de la gomme, du mastic et de beaucoup d'autres chez lesquels on ne voit pas ces cavités et qui cependant sont plus légers qu'un grand nombre de liquides? Quant à ce qu'on avance sur le gaz, qui donne aux choses la vertu et la force de la fluidité, cette opinion parait juste au premier coup d'oeil et elle s'accorde même avec les notions vulgaires; elle est pourtant fausse et ignorante, puisqu'elle ne repose pas sur la vérité et qu'elle est presque en opposition avec elle. Car le gaz dont on parle (on aura peine à le croire) produit réellement la solidité et non la fluidité. On peut s'en convaincre par l'exemple de la neige; bien que ce soit un corps composé d'air et d'eau, et que l'air et l'eau se répandent séparément, elle acquiert cependant de la consistance dans le mélange. Si l'on nous répond que cela peut venir de la condensation de l'air, on cessera de le penser pour peu qu'on remarque que l'écume est un corps tout-à-fait semblable à la neige que le froid ne pourrait nullement condenser. Si enfin on uous objecte que dans l'écume aussi la condensation ne vient pas du froid, mais bien de l'agitation et de la percussion, nous renverrons aux enfants qui, avec un peu d'air soufflé par un tuyau ou une plume, et un peu d'eau rendue gluante par le mélange d'une petite quantité de savon, élèvent une série immense et variée de bulles. Telle est la loi de ce phénomène : les corps à l'attouchement d'un corps sympathique ou semblable se rompent et s'étendent; à l'attouchement d'un corps dissemblable, au contraire, s'endurcissent et se resserrent. Par conséquent, l'opposition d'un corps étranger est la cause de la consistance. Ainsi nous voyons que l'huile mêlée avec de l'eau, comme il arrive dans les onguents, perd jusqu'à un certain point la liquidité, qui se trouvait auparavant dans l'eau et dans l'huile. Nous voyons, au contraire, que le papier imbibé d'eau se détend et perd de la consistance qu'il possédait auparavant à cause de l'air qui se trouvait dans ses pores. Si d'un autre côté on l'imbibe d'huile, il se détend moins, parce que l'huile sympathise moins avec le papier. Nous observons la même chose dans le sucre et autres substances semblables qui se fondent quand elles sont mises dans de l'eau ou du vin, non seulement lorsqu'elles sont au-dessous de ces liquides, mais encore qui les absorbent et les attirent lorsqu'elles sont au-dessus.