[4] IV. De la division commune du mouvement, de son inutilité et de son peu de portée. La division du mouvement admise en philosophie nous semble étroite et sans fondement, parce qu'elle divise la chose seulement par ses effets; et une telle donnée ne peut nullement instruire sur les causes ; car la génération, la corruption, l'augmentation, la diminution, l'altération et la translation ne sont autre chose que les oeuvres et les effets du mouvement. Quand ces phénomènes sont parvenus à une mutation évidente, soumise aux sens vulgaires, on les décore alors de ces noms, fruit d'une bien médiocre contemplation. Car nous ne doutons pas que cette philosophie les explique ainsi : quand des corps se sont avancés par le mouvement, quelle qu'en soit l'espèce, en recevant une nouvelle forme ou en quittant l'ancienne (ce qui ressemble à une période et au terme d'un espace exact), on appelle cela mouvement de- génération et de corruption ; s'ils conservent au contraire leur forme et admettent seulement une nouvelle quantité et un nouveau volume, on nomme cela mouvement d'augmentation et de diminution; mais s'ils conservent leur volume et leur enceinte ou leurs limites, tout en changeant cependant de propriétés, d'actions et d'affections, on donne à ce mouvement le nom d'altération ; si enfin ils ne changent pas de forme, de volume ni de quantité, et ne font que changer de lieu, on donne à ce fait ta dénomination de mouvement de translation. Mais pour peu que l'on considère cette division avec soin et attention, on verra qu'elle présente la mesure et les périodes du mouvement, c'est-à-dire le cours et les faits du mouvement, sans parler de ses véritables différences, puisqu'elle dit ce qui s'opère sans donner à peine la raison du phénomène. De semblables expressions sont donc nécessaires pour enseigner, et elles conviennent à la dialectique, mais elles sont dépourvues de science naturelle. Tous ces mouvements sont composés et décomposés, et composés à l'infini pour l'observateur consciencieux qui veut pénétrer jusqu'aux points les plus simples. Car les principes, les sources, les causes et les formes du mouvement, c'est-à-dire les affections et les propriétés de toute espèce de matière, ont besoin d'être connues de la philosophie ainsi que les impressions et les impulsions du mouvement, le frein et la résistance, les passages et les obstacles, la succession et le mélange, les détours et les enchaînements, en un mot toute l'histoire du mouvement. Et certes, ce ne sont pas des discussions amères, des discours passables, ni de vagues contemplations, ni enfin de fausses doctrines qui peuvent avancer la marche de la science. Mais on doit faire en sorte de pouvoir, par des moyens véritables et par l'interprétation rigoureuse de la nature, exciter, empêcher, retenir, lâcher, multiplier, assoupir et arrêter tout mouvement dans les corps qui en sont susceptibles, et de parvenir ainsi à opérer la conservation, la mutation et la transformation des substances. On doit surtout faire des recherches sur les mouvements simples, primitifs et fondamentaux d'où partent tous les autres; car il est bien démontré que plus l'on trouvera de mouvements simples, plus la puissance humaine s'agrandira, se débarrassera des matières spéciales et préparées, et s'enrichira d'oeuvres nouvelles. Et de même que les mots ou les expressions de toutes les langues, dont la variété est si grande et si étendue, se composent d'un petit nombre de simples lettres, de même tous les actes et toutes les propriétés des choses se composent de quelques natures et de quelques principes de simples mouvements. Il serait honteux d'ailleurs pour l'homme d'avoir étudié avec tant de soin les modulations de sa voix, et d'ignorer totalement la voix de la nature, imitant en cela les hommes des premiers siècles; avant que les lettres ne fussent en usage, ils s'appliquaient uniquement à l'étude des sons composés et de la voix, et laissaient de côté celle des éléments et des lettres.