[1,3] TROISIÈME DEGRÉ. Considération de la terre. APRÈS avoir considéré le monde corporel en général, nous allons examiner en particulier chacune de ses principales parties, pour nous lever, par ce moyen, autant que possible, à. a contemplation du suprême Architecte. La terre s'offre la première à nos méditations. Quoiqu'elle occupe le dernier rang, et qu'elle paraisse inférieure aux autres éléments, cependant elle n'est pas moindre que l'eau, et elle surpasse en dignité tous les autres éléments. Ainsi lisons-nous fréquemment dans l'Écriture que Dieu a fait le ciel et la terre comme les principales parties du monde auxquelles toutes les autres doivent être assujetties : car il a créé le ciel pour être le palais de Dieu et des anges; la terre pour être celui des hommes. "Caelum caeli Domino, terram autem dedit filiis hominum". C'est pour cette raison que le ciel est parsemé d'étoiles brillantes, et que la terre abonde en richesses de toute espèce, par ses métaux, ses pierres précieuses, ses plantes, ses arbres, ses animaux si variés, tandis que l'eau n'a guère que ses poissons, et que l'air et le feu ne possèdent rien pour ainsi dire. Mais sans insister sur ces détails, nous allons considérer trois propriétés de la terre bien propres à nous élever à Dieu. 1° La terre est le solide fondement sans lequel l'homme ne pourrait ni marcher, ni se reposer, ni travailler, ni vivre en aucune façon. Dieu, dit le Prophète, a affermi la terre, et elle ne sera point ébranlée. Vous avez fondé la terre, continue-t-il, sur sa propre solidité; elle ne sera jamais ébranlée. Ensuite la terre, comme une bonne nourrice, produit abondamment pour l'homme et pour tous les animaux, des herbes, du grain, des fruits, des graines et une infinité d'autres choses. Car Dieu s'exprime ainsi (Gen. I, 29) en parlant à nos premiers pères : Je vous ai donné toutes les herbes qui portent leur graine sur la terre, et tous les arbres qui renferment en eux-mêmes leur semence chacun selon son espèce, afin qu'ils vous servent de nourriture a vous et à tous les animaux de la terre. Troisièmement, la terre produit les pierres et le bois pour les constructions ; l'airain et le fer pour différents usages; l'or et l'argent pont fabriquer les monnaies si utiles au commerce de la société. Revenant à cette première propriété de la terre, qui est de fournir l'appui et le repos à nos corps, ce que ne peuvent faire l'eau, ni l'air, ni le feu, elle nous représente le Créateur, en qui seul l'âme peut trouver son repos. Vous nous avez faits pour vous, disait St. Augustin, et notre docteur est dans l'agitation en attendant qu'il se repose en vous (Conf. I, 1). Le roi Salomon chercha son repos dans la puissance, dans les richesses et dans les plaisirs; il se vit à la tête du plus vaste et du plus paisible royaume, en sorte que l'Écriture dit que sa domination s'étendait à tous les royaumes depuis le fleuve d'Euphrate jusqu'au pays des Philistins et jusqu'à la frontière d'Égypte. Ils lui offraient tous des présents et lui demeuraient assujettis tous les jours de sa vie (3 Reg. 4, 21). Outre cela, il eut des richesses immenses, en sorte qu'il avait quarante mille chevaux dans ses écuries pour les chariots, et douze mille chevaux de selle; et comme nous lisons dans le même livre (Ch. IX, 20), la flotte de Salomon apportait d'Ophir tant d'or et de pierres précieuses, que l'on ne faisait aucun compte de l'argent, qu'on regardait dans Jérusalem comme des pierres. Il est incroyable combien il se procurait de plaisirs ; il eut sept cents femmes qui portèrent le nom de reines, et trois cents concubines ; mais écoutons-le, parlant de lui-même : J'ai fait des ouvrages magnifiques, dit-il, j'ai bâti des maisons, j'ai planté. des vignes ; j'ai fait des jardins et des clos où j'ai mis toute sorte d'arbres ; j'ai fait des réservoirs d'eaux pour arroser les plantes des jeunes arbres que je faisais cultiver; j'ai eu des serviteurs et un grand nombre d'esclaves nés dans ma maison, un grand nombre de boeufs et de troupeaux de brebis, plus que n'en ont jamais eu ceux qui ont été avant moi dans Jérusalem ; j'ai amassé une grande quantité d'or et d'argent; j'ai possédé les richesses des rois que mon père avait vaincus, et j'ai reçu le tribut des provinces qu'il avait soumises à son empire ; j'ai établi dans, mon palais des musiciens et des musiciennes, et je me suis accordé tout ce qui fait les délices des enfants des hommes; j'ai eu des coupes d'or et des vases précieux pour servir le vin à ma table, et j'ai surpassé en richesses tous ceux qui ont été avant moi dans Jérusalem; et la sagesse nécessaire pour concevoir de grands desseins et pour les exécuter, a toujours été avec moi, et m'a conduit dans toutes mes entreprises. Enfin, je n'ai rien refusé à mes yeux de tout ce qu'ils ont désiré; j'ai permis à mon cœur de jouir de toutes sortes de plaisirs, et de prendre ses délices dans tout ce que j'avais préparé ; et j'ai cru que mon partage le plus avantageux était de jouir ainsi de mes travaux (Eccles. 2). Voilà, s'il en fut, un homme qui dut jouir du plus grand repos, si le repos peut se trouver dans les choses créées; car rien ne lui manqua, ni la puissance, ni les richesses, ni les plaisirs, ni la sagesse qu'il eut au plus haut point, ni la paix et la tranquillité pour jouir, et posséder pendant longtemps des biens immenses. Demandons-lui maintenant si tant de jouissances lui ont procuré le repos, et satisfait les désirs de son âme, il nous répondra que : Tournant ensuite les yeux vers tous les ouvrages que ses mains avaient faits, et considérant tous les travaux auxquels il avait pris une peine si inutile, il a reconnu qu'il n'y avait que vanité et affliction d'esprit dans toutes ces choses, et, que rien n'est stable sous le soleil, ni capable de contenter le coeur de l'homme (Eccles. 2). Salomon ne trouva donc pas le repos dans ces grandes richesses, ces délices, ces honneurs, cette sagesse ; et il ne l'aurait pas trouvé quand il aurait obtenu des biens beaucoup plus grands, parce que notre âme est immortelle, et ces biens ne le sont pas. Ils ne peuvent subsister longtemps, ni, pour cette raison, rassasier un cœur capable d'un bien infini : car de même que notre corps ne peut reposer dans l'air malgré son étendue, ni dans l'eau malgré sa profondeur, parce que ce n'est ni l'air, ni l'eau, mais la terre qui est son centre ; de même notre âme ne repose jamais parfaitement ni dans les dignités aussi inconstantes que l'air, ni dans des richesses de boue, ni dans des voluptés sordides qui s'écoulent comme l'eau, ni dans le faux éclat des sciences humaines, mais dans Dieu seul qui est le centre de notre esprit, et le seul vrai terme de notre repos. O combien le Roi-Prophète avait raison de dire : Que désiré je dans le ciel, et que veux-je sur la terre, sinon vous seul qui êtes le Dieu de mon cœur et mon partage pour jamais ! C'est comme s'il eût dit : Je ne trouve rien ni dans le ciel, ni sur la terre, ni dans aucune créature terrestre qui puisse me procurer un vrai repos. Vous seul êtes le Dieu de mon coeur, c'est-à-dire la pierre solide sur laquelle il se reposera, vous seul êtes ma portion, mon héritage, tout mon bien ; le reste ne m'est rien et ne peut remplir mon coeur; ce n'est ni pour un jour, ni pour une année, mais pour une éternité que vous suffirez à mes désirs. Reconnaissez encore, ô mon âme, que Dieu seul est la pierre fondamentale de votre repos, le reste n'est que vanité et affliction d'esprit; ce sont des biens sans réalité, qui affligent au lieu de consoler. On les acquiert avec peine, on les conserve avec crainte, et on les perd avec douleur. Méprisez donc, si vous êtes sage, tout ce qui passe, de peur qu'il ne vous entraîne avec soi, et attachez-vous uniquement à la charité qui dure éternellement : élevez votre coeur vers le ciel, de peur qu'il ne se corrompe sur la terre. Apprenez la vraie sagesse par l'exemple funeste de ceux que désigne l'Écriture dans le livre de la Sagesse (ch. 5). Ils diront un jour en voyant l'heureux partage des élus: Nous nous sommes donc égarés de la voie de la vérité; la lumière de la justice n'a point lui pour nous, et le soleil de l'intelligence ne s'est point levé sur nous. Nous nous sommes lassés dans la voie de l'iniquité et de la perdition : nous avons marché dans des chemins âpres et nous avons ignoré la voie du Seigneur. De quoi nous a servi notre orgueil ? Qu'avons-nous tiré de la vaine ostentation de nos richesses ? Toutes ces choses sont passées comme l'ombre qui se dissipe, et comme un courrier qui court... Et nous avons été consume par notre propre malice. 2° La pierre ferme est encore, sous un autre rapport, le symbole de notre Dieu. Nous lisons dans St. Matthieu (ch. 7), qu'une maison bâtie sur la pierre est solide : la pluie est tombée, les fleures se sont débordés, les vents ont soufflé et sont venus fondre sur cette maison ; mais elle n'a point été renversée, parce qu'elle était fondée sur la pierre; tandis que la maison fondée sur le sable ne peut résister à aucune de ces choses, et qu'elle croule à la première irruption de la pluie, du vent ou de l'inondation. O mon âme, dont les puissances et les propriétés peuvent être comparées aux parties d'un édifice, si vous établissez en Dieu, comme sur la pierre inébranlable, votre demeure spirituelle, c'est-à-dire, si vous croyez fermement en Dieu, et que vous placiez en lui toute votre confiance; si vous êtes fondée, enracinée en Dieu par la charité, au point de pouvoir dire avec l’Apôtre : Qui nous séparera de l'amour de Jésus-Christ ? rassurez-vous, parce qu'alors ni les mauvais esprits qui sont au-dessus, ni la concupiscence charnelle qui est au-dessous, ni nos ennemis domestiques qui sont autour de nous, je veux dire nos parents, nos amis, ne pourront jamais, avec toute leur malice, rien faire contre vous. Ce sont, il est vrai, des forces redoutables, la ruse des puissances infernales est grande ; mais la puissance et la sagesse de l'Esprit-Saint qui préside à un édifice dont Dieu est le fondement, sont plus grandes encore. La chair aura beau combattre avec acharnement contre l'esprit, et la concupiscence charnelle aura beau se vanter de triompher fréquemment des plus forts, l'amour de Dieu surmontera aisément l'amour charnel, et la crainte de Dieu détruira sans peine la crainte du monde. Enfin, ceux qui nous approchent de plus près sont nos plus dangereux ennemis, et leurs perfides conseils nous associent souvent aux pécheurs mais l'âme qui espère avec une humble confiance d'avoir Dieu pour père,pour frère et pour époux dans le ciel, se résigne aisément non seulement à mépriser, mais encore à haïr ces parents et ces amis charnels. Elle dit avec l'Apôtre : Je suis assuré que ni la mort, ni la vie, ni les anges, ni les principautés, ni les puissances ni les choses présentes, ni les futures...., ni aucune autre créature ne me pourra jamais séparer de l'amour de Dieu qui est en Jésus-Christ notre Seigneur (Rom. VIII, 38). Mais malheureuse est l'âme dont la demeure est construite sur le sable ; elle ne pourra durer longtemps, et elle est menacée d'une ruine désastreuse; elle s'est confiée au mensonge, elle s'est appuyée sur un roseau, elle a fait son Dieu de son ventre, de ses richesses et des hommes mondains, et voilà que tous ces objets disparaissent et s'évanouissent comme un songe, et la précipitent dans un malheur éternel. 3° Une autre propriété de la terre consiste en ce que, comme une bonne nourrice, elle fournit abondamment les plantes, les fruits et les autres choses nécessaires à la nourriture de l'homme et de tous les animaux ; or c'est cette propriété qui nous élève à notre Créateur comme au vrai nourricier ; car ce n'est pas la terre par elle-même, mais c'est Dieu qui se sert de la terre pour produire tous les biens d'en bas. Car voici comme parle l'Esprit-Saint par la bouche de David : C'est Dieu qui produit le foin sur les montagnes, et l'herbe pour le service de l'homme... Oui, Seigneur, toutes les créatures attendent de vous que vous leur donniez leur nourriture en leur temps ; vous la leur donnez et elles la recueillent; vous ouvrez votre main, et elles sont rassasiées de vos biens... Considérez, dit Jésus-Christ, les oiseaux du ciel; ils ne sèment point, ils ne moissonnent point et ils n'amassent rien dans des greniers ; mais votre père céleste les nourrit... Il n'a jamais cessé, dit St. Paul, de rendre témoignage de ce qu'il est, en faisant du bien aux hommes, en dispensant les pluies du ciel et les saisons favorables pour les fruits de la terre, en nous donnant la nourriture avec abondance (Act. XIV, 16), accomplissant la promesse qu'il fit au temps de la création lorsqu'il ordonna à ta terre de produire de l'herbe verte qui porte de la graine, et des arbres fruitiers qui portent du fruit chacun selon son espèce; car la terre produit vraiment toutes ces choses, mais c'est par la vertu que Dieu lui a donnée: en sorte que c'est Dieu lui-même qui, par le moyen de la terre, produit, conserve et donne l'accroissement. C'est pourquoi David invitant toutes les créatures à louer Dieu, n'oublie pas de faire mention des arbres fruitiers et des cèdres du Liban : "ligna fructifera et omnes cedros". Et les trois enfants dont parle Daniel exhortent toutes les productions de la terre à se réunir aux autres créatures pour bénir le Seigneur, le louer et l'exalter dans tous les siècles (Dan. 3). Et puisque toutes les créatures louent Dieu en leur manière, avec quelle affection devons-nous, ô mon âme, le bénir, le louer pour tous les bienfaits dont vous jouissez continuellement ; reconnaissant dans ces bienfaits la main cachée du Tout-Puissant qui nous donne tous ces biens, et l'amour visible, paternel et désintéressé de votre Dieu qui ne cesse un seul instant de vous faire du bien et de pourvoir à tous vos besoins. Mais tout cela est peu de chose aux yeux de votre Dieu, car c'est lui qui fait germer dans vous, comme dans son champ spirituel, la plus noble charité; cette charité qui ne vient pas du monde, mais de Dieu, comme l'enseigne le disciple bien-aimé ; de cette charité d'où procèdent, comme d'un arbre divin et céleste, les fleurs éclatantes et odoriférantes des saintes pensées, les feuilles verdoyantes des paroles utiles au salut des nations, et les fruits des bonnes oeuvres par lesquelles Dieu est glorifié, le prochain secouru, les mérites accumulés et conservés pour la vie éternelle.. Mais malheur à ceux qui, semblables aux animaux sans raison, désirent se rassasier des fruits de la terre, les ramassent et entassent avec cupidité, sans penser au Créateur et sans l'en remercier ; leur âme est semblable à une terre maudite du Seigneur, qui ne produit plus que des épines et des ronces. Que peuvent en effet ceux en qui Dieu n'a pas semé de chastes conseils ? Leur esprit n'est occupé que de fornications, d'adultères, d'homicides, de sacrilèges, de vols, de trahisons et de toutes sortes de crimes... Et quels sont leurs discours, sinon des blasphèmes, des parjures, des malédictions, des erreurs, des insultes, des outrages, de faux témoignages, des mensonges, et d'autres abominations que leur a enseignées le démon qui est leur père ? Enfin quels fruits peuvent-ils produire, si ce n'est des fruits empoisonnés, procédant de leurs mauvaises pensées et de leurs mauvais discours, et que l'Apôtre appelle les oeuvres de la chair ? Ce sont là vraiment des épines qui poignent d'abord l'âme de ceux qui les produisent, par la piqûre amère de la crainte et de la sollicitude; elles font ensuite à la réputation, au corps et à l'âme du prochain, des blessures graves, souvent irréparables, d'où proviennent enfin, pour le prochain, les plus grands et les plus terribles dommages. Mais, abandonnant ces tristes détails, si vous êtes, ô mon âme, ce jardin du céleste cultivateur, prenez garde d'y faire germer jamais les ronces et les épines, mais produisez avec le plus grand soin l'arbre de la charité, le lis de la pureté et le nard de l'humilité. Gardez-vous cependant de vous attribuer ces précieux germes des vertus célestes. Elles viennent de Dieu, qui est le Seigneur des vertus et l'ardeur des chastes conseils ; ne vous attribuez pas non plus la conservation, l'accroissement et la maturité des fruits de vos bonnes oeuvres ; mais rendez-en gloire à Dieu et que toute votre force repose en lui. 4° Il nous reste à parler d'une dernière propriété de la terre, qui consiste à produire dans son sein l'or, l'argent et les pierres précieuses. Mais assurément ce n'est pas par sa propre vertu que la terre nous donne tant de choses rares, mais par la vertu de celui qui dit dans Aggée que l'argent et l'or lui appartiennent: "Meum est argentum, et meum est aurum" (Ag. IX, 22) O bienfaiteur des hommes ! votre bonté ne s'est pas bornée à leur donner la pierre, le bois, le fer, l'airain et les autres choses nécessaires pour se construire des habitations, des vaisseaux, et pour fabriquer divers instruments nécessaires, mais vous leur avez encore prodigué l'or, l'argent et les pierres précieuses pour leur servir d'ornement et de décoration. Et si vous accordez tout cela dans une terre d'exil, non-seulement à vos fidèles serviteurs, mais encore à vos ennemis, à ceux qui blasphèment votre saint nom, que n'accorderez-vous point dans le ciel à vos amis lorsqu'ils vous béniront et régneront avec vous ! Ce ne sera plus un peu d'or ou d'argent, ce ne seront plus quelques pierreries que vous leur donnerez, mais vous les admettrez dans cette cité décrite par saint Jean, dont les murailles sont bâties de jaspe, cette ville d'un or pur, semblable à du verre très clair, dont les fondements sont ornés de toutes sortes de pierres précieuses, et dont les douze portes sont douze perles (Apoc. XXI). N'allez pas croire cependant que la Jérusalem céleste soit ornée de cet or, de ces pierres précieuses, et de ces perles que nous connaissons ici-bas, car nous savons que l'Esprit-Saint se sert de ce expressions, pour se faire entendre à nous qui ne connaissons rien de plus précieux. Mais nul doute que cette cité, qui sera la patrie des élus, ne l'emporte sur toutes les cités terrestres, autant qu'une ville toute d'or et de pierres précieuses l'emporte sur des cabanes construites de boue et couvertes de chaume. Élevez donc, ô mon âme, vos yeux au ciel, et considérez combien il faut estimer les biens qui s'y trouvent réunis, puisque l'or, l'argent et les pierres précieuses qu'on recherche tant ici-bas, sont, moins que de la boue et de la paille comparées à ces biens célestes ! Ajoutez encore que l'or, l’argent et les pierres précieuses dont les hommes font tant de cas, sont sujettes à la corruption, tandis que ce qui brille dans le ciel est éternel et incorruptible. Mais si vous voulez transmettre dans le ciel cet or et cet argent corruptibles que vous possédez par l’entremise des pauvres, ce que vous ferez si vous êtes sage, alors vous le rendrez incorruptible et vous le posséderez éternellement ; car la souveraine Vérité ne saurait mentir, et elle vous dit : Vendez ce que vous avez et le donnez aux pauvres, et vous aurez un trésor dans le ciel ... Vendez ce que vous possédez, et donnez l'aumône ; faites-vous des bourses qui ne s'usent point par le temps, et amassez ainsi dans le ciel un trésor qui ne s'épuise jamais, d'où les voleurs n'osent approcher et que les vers ne puissent corrompre (Luc XII, 33). O incrédulité des enfants des hommes! L'homme, menteur par un désordre de sa nature corrompue, promet de payer dix pour cent d'intérêt, et de plus de rendre le capital; on se fie à sa parole : Dieu, qui ne ment jamais, promet à celui qui donne l'aumône, un trésor dans le ciel; bien plus, il promet cent pour un et par-dessus encore la vie éternelle, et cependant l’homme avare balance, on ne peut lui inspirer la confiance, et il aime mieux cacher un trésor que la rouille consume, que les voleurs déterrent et emportent souvent, que de le placer dans le ciel d'où les voleurs ne sauraient approcher, ni la rouille l’y consumer. Mais quand même vos trésors seraient à l’abri des voleurs et des autres accidents, je vous demande, malheureux ! à qui seront un jour ces trésors dont l'acquisition et la conservation vous ont coûté tant de peines ? Ils ne seront plus certainement à vous, tandis qu'ils auraient continué de l'être, si vous eussiez chargé les pauvres de les porter dans le ciel. Il arrive communément que ce que les avares ont ramassé passe à des héritiers prodigues qui mettent moins de temps à le dissiper qu'ils n'en avaient mis eux-mêmes à le ramasser. Cependant le péché de l'avare demeurera et subsistera éternellement ; le ver de la conscience ne meurt point et le feu de l’enfer ne s'éteindra jamais. Instruisez-vous donc, ô mon âme, par les folies d'autrui ; croyez le Seigneur votre maître qui vous dit d'éviter toute espèce d'avarice : car en quelque abondance qu'un homme soit, la conservation de sa vie ne dépend point des grands biens qu'il possède (Luc XII, 15) L'avare ramasse et conserve pour avoir de quoi vivre longtemps, mais il arrive tout le contraire ; car au moment où il y pense le moins, la mort le surprend, et tous les biens qu'il a ramassés et conservés si avaricieusement engendrent ce ver qui ne meurt point, et allument ce feu qui ne s'éteindra jamais. O avare infortuné! était-ce pour allumer le feu inextinguible de l'enfer, que tu as ramassé des trésors avec tant de sollicitude? Écoute l'apôtre saint Jacques qui dit à toi et à tous ceux qui te ressemblent : Riches, qui ne pensez qu'a augmenter votre trésor, pleurez, poussez des cris, et. comme des hurlements dans la vue des misères qui doivent fondre sur vous pour vous punir de votre avarice; la pourriture consume les richesses que vous gardez ; les vers mangent les vêtements que vous avez en réserve ; la rouille gâte l'or et l'argent que vous cachez, et cette rouille portera témoignage contre vous au jugement de Dieu, et dévorera votre chair comme un feu (V,1). Vous vous estimez heureux, observe Saint Jacques, parce que vous vous croyez riches et vous le dites ; mais il est vrai que vous êtes misérables et les plus misérables de tous, et que vous avez grand sujet de pleurer et de pousser des hurlements à cause de la grande misère dont vous êtes menacés. Car ces richesses surabondantes que vous avez conservées, et que vous saviez devoir se perdre, tandis que vous auriez pu les donner aux pauvres ; ces habits superflus que vous avez mieux aimé laisser gâter par les teignes que d'en revêtir ceux qui étaient nus ; cet or et cet argent que vous avez laissé endommager par la rouille, plutôt que d'en faire l'aumône et d'en acheter de quoi nourrir les indigents ; tous ces objets de votre avarice déposeront contre vous au jour du jugement : la teigne et la rouille de vos richesses se convertiront en un feu brûlant qui dévorera éternellement vos chairs sans les consumer, afin que le feu ne s'éteigne point et que la douleur ne finisse jamais. Concluons donc avec le prophète, que si les insensés appellent bienheureux ceux qui possèdent les biens terrestres, les richesses superflues, ceux qui sont vraiment sages attribuent ce bonheur au peuple qui a pris Dieu pour son partage : "Beatus populus cuius Dominus Deus eius" (Ps. 143),