[26] Mais, ne nous appuyant que sur l'évidence des choses, nous sommes décidés à repousser toute occasion d'imposture, quelque faciles et ingénieux que soient les moyens de la soutenir. C'est pourquoi nous ne donnons pas ici notre jugement sur l'observation suivante : Bien que les récits des poètes soient d'une matière flexible, nous n'aurions pas hésité cependant à reconnaitre qu'il n'y a guère dans de semblables histoires rien de secret et de mystérieux, si elles avaient été controuvées par ceux qui les rapportent. Nous croyons qu'il n'en est pas ainsi ; car la plupart nous sont transmises comme choses généralement admises et connues, et non comme nouvelles et présentées pour la première fois. De là vient que nous y avons attaché un certain respect, comme si c'étaient des restes sacrés d'un âge meilleur. Mais, quoi qu'il en soit, nous pensons qu'il n'importe pas plus pour notre sujet de savoir si l'état des sciences que nous avons supposé, ou peut-être un autre supérieur, existait chez les anciens, qu'on ne doit s'occuper à découvrir si le Nouveau-Monde n'était pas l'île Atlantide connue des anciens ou s'il n'a été trouvé que récemment. L'invention des choses doit venir de la lumière de la nature, et on ne doit pas l'attendre de la nuit des temps reculés. [27] Nous croyons devoir vous donner maintenant, bien que peut-être vous ne nous la demandiez pas, notre opinion sur l'espoir que vous fondez sur la philosophie des chimistes. En effet, votre philosophie, si féconde en discussions, si stérile en résultats, a excité en quelques-uns une haute idée de la chimie. Certes, quant à ce qui concerne la pratique des chimistes, il nous semble qu'on peut la comparer à la fable du vieillard qui légua à ses fils de l'or enfoui dans une vigne sans pouvoir se rappeler précisément le lieu où il se trouvait. Il arriva qu'ils se mirent aussitôt à bêcher la vigne et qu'ils n'y trouvèrent point de trésor, mais que par ce travail ils rendirent la vendange beaucoup plus abondante. De même aussi les fils de la chimie, en s'efforçant d'arracher l'or (soit qu'ils s'y prennent bien ou mal) que la nature a caché et en quelque sorte enfoui dans son sein, en faisant des recherches et des tentatives nombreuses, ont procuré aux hommes de grandes richesses et ont doté la famille et la science humaine de plusieurs découvertes qui ne sont pas à dédaigner. [28] Mais nous pensons que leur science spéculative est légère et peu sage. Semblables au jeune enfant qui, ayant trouvé un éclat de bois, voulut en faire un vaisseau, eux aussi, trop confiants en leurs talents, ont voulu fonder la philosophie sur quelques expériences du laboratoire. Cc genre de théories est plus souvent et plus ouvertement taxé de vanité que l'autre, qui certainement est moins superficiel et plus prudent; car la philosophie vulgaire, en examinant tout et pour ainsi dire en goûtant à chaque chose, s'est fait des partisans chez la plupart des hommes. Mais de quelques points particuliers qu'on a approfondis vouloir juger de tous les autres, c'est se résoudre à se tromper et renoncer à la confiance des autres, et c'est dans cette dernière classe que nous rangeons la philosophie chimique. [29] Prenons dans ce système le principe qui est la base de la philosophie des chimistes. D'après eux, il y a quatre matrices ou éléments des choses dans lesquelles les semences ou espèces des choses forment leurs foetus. Ces espèces se produisent sous quatre formes, savoir selon la différence de chaque élément, de manière que dans le ciel, l'air, l'eau et la terre, on ne trouve aucune espèce qui n'ait quelque liaison et pour ainsi dire quelque parallèle avec les trois derniers éléments. Ainsi, sous le titre gracieux de microcosme, on a fait de l'homme un pantomime soufflé par chacun d'eux. Une telle idée, selon nous, n'a pu séduire un homme raisonnable; nous disons plus : un observateur intelligent de la nature, fût-ce même dans ses rêveries, ne pourrait concevoir une phalange si bizarre des choses naturelles. [30] Mais on doit bénir ces divagations en ce qu'elles peuvent éclairer notre prudence, et en ce que cette philosophie, comme nous l'avons déjà dit, par son côté faux peut servir d'antistrophe à la philosophie vulgaire ; car de même que cette dernière, d'un grand nombre de faits ne tire que peu de fruits pour le domaine de l'invention, de même l'autre d'un petit nombre de faits procure beaucoup de fruits. Quant à nous, mes fils, souhaitons-nous un Paracelse, homme, comme on peut le désirer, d'une voix assez forte pour qu'il célèbre et proclame la lumière de la nature qu'il présente si souvent.