[2,34] Parmi les faits privilégiés, nous mettrons en douzième lieu ces faits adjonctifs, dont nous avons parlé dans l'aphorisme précédent, et que nous nommons aussi faits extrêmes ou de limite, car les faits de cette sorte ne sont pas seulement utiles, lorsqu'on en fait un appendice aux propositions fixes ; ils le sont encore en eux-mêmes et par leur propre vertu ; car ils indiquent clairement les vraies divisions de la nature, les limites des choses, ils montrent jusqu'à quel point la nature peut aller et recevoir des modifications, et enfin quelles sont les transitions d'une nature à une autre. Exemples : L'or, pour la pesanteur ; le fer, pour la dureté; la baleine, pour la masse des corps vivants; le chien, pour l'odorat; l'inflammation de la poudre à canon; pour la promptitude de l'expansion; et autres de même caractère. Voilà pour les extrèmes au degré supérieur; on ne doit pas recueillir avec moins de soin ce qui est extrème au degré inférieur ; par exemple, l'esprit-de-vin pour le poids; la soie, pour la douceur; certains insectes, pour l'exiguïté du corps; et autres analogues. [2,35] Parmii les faits privilégiés, nous placerons en treizième lieu les faits d'alliance ou d'union. Ce sont ceux qui présentent, confondues et réunies, les natures qui passent pour hétérogènes, et sont notées et signalées comme telles dans les divisions reçues. Mais ces faits d'alliance montrent que certaines opérations et certains effets que l'on croit appartenir en propre à quelqu'une de ces natures hétérogènes, appartiennent aussi à d'autres parmi elles; et convainquent ainsi l'esprit que cette prétendue hétérogénéité n'existe pas ou n'est pas essentielle, et que ce n'est autre chose qu'une modification particulière d'une nature commune. C'est pourquoi, ils sont d'un excellent usage pour conduire et élever l'esprit des différenees aux genres, et pour dissiper les vains fantômes des choses qui se présentent sous le masque trompeur de substances concrètes. Exemple : Supposons pour sujet de recherches la chaleur. Suivant une division consacrée et qui fait loi, il y a trois espèces de chaleur, à savoir : celle des corps célestes, celle des animaux et celle du feu. Il est admis également que ces espèces de chaleur (une des trois surtout, comparée aux deux autres) sont, quant à leur essence ou à leur nature spécifique, différentes et complètement hétérogènes: en effet; la chaleur des corps célestes et celle des animaux engendre, est salutaire, tandis que celle du feu dissout et détruit. En conséquence, c'est un fait d'alliance qui s'offre à nous dans cette expérience bien connue d'un rameau de vigne, végétant à l'intérieur d'une maison, où l'on entretient constamment un foyer, et dont les grappes mûrissent un mois plus tôt qu'elles n'eussent fait au dehors: Voilà donc un fruit attaché a l'arbre, que le feu parvient promptement à mourir, tandis qu il semble que le soleil ait seul cette propriété. Une telle expérience donne l'éveil à l'esprit, qui rejette la théorie de l'hétérogénéité essentielle, et recherche dès lors quelles sont, entre la chaleur du soleil et celle du feu, les différences principales, d'où résulte la diversité étonnante de leurs opérations, bien qu'au fond leur nature soit commune. Ces différences sont au nombre de quatre : 1° Là chaleur du soleil, relativement à celle du feu, est de beaucoup plus modérée et plus douce. 2° La chaleur du soleil, par la raison surtout qu'elle traverse l'atmosphère, est beaucoup plus humide. 3° C'est ici le point capital : la chaleur du soleil est extrêmement inégale; elle s'approche et s'accroît, puis, elle s'affaiblit et se retire, ce qui est d'une singulière efficacité pour la génération des corps. Aristote soutient, en effet, et très justement, que la principale cause des générations et des corruptions que l'on observe à la surface de la terre, c'est la route oblique du soleil dans le zodiaque : obliquité alternative des jours et des nuits, vicissitudes des saisons, tout détermine cette prodigieuse diversité dans la puissance des rayons solaires. Mais notre philosophe s'empresse de fausser et de corrompre le principe juste qu'il avait rencontré, se constituant en arbitre `souverain de la nature, selon son habitude, du haut de sa théorie il assigne la cause de la génération à l'approche du soleil, celle de la corruption à son éloignement, tandis que les deux mouvements, l'approche et l'éloignement, sans avoi`r ch acun une propriété exclusive, produisentindifféremment et la génération et la corruption ; car l'inégalité de la chaleur donne lieu à la génération et à la corruption ; l'égalité, au contraire, a pour effet la conservation. 4° Il existe entre la chaleur du soleil et celle du feu une quatrième différence, qui est aussi d'une grande importance : le soleil ne produit ses effets qu'à la longue; le feu au contraire, sous l'aiguillon de l'impatience humaine, produit les siens en très peu de temps. Employez une autre méthode : faites agir un foyer dont la chaleur soit adoucie, tempérée, comme nous pouvons l'obtenir par vingt procédés différents ; mêlez à cette douce chaleur quelque humidité; ayez soin surtout de donner à l'action de votre foyer la variété et les vicissitudes d'influence du soleil ; enfin, prenez le temps, et sans y mettre la même lenteur que le soleil, ne précipitez pas vos opérations, comme on a coutume de le faire; vous donnerez le coup de grâce à la théorie des chaleurs hétérogènes, et avec le feu vous imiterez, vous égalerez, quelquefois même vous surpasserez le soleil. Un autre fait d'alliance, c'est la résurrection des papillons, engourdis et comme anéantis par le froid, au moyen d'une chaleur douce : preuve que le feu n'a pas moins la propriété de vivifier les animaux que de mûrir les fruits. Joignez-y la célèbre invention de Fracastor; c'est lui qui nous apprit à sauver les apoplectiques désespérés, en leur enveloppant la tête de matières brûlantes, qui dégagent les esprits animaux, pressés et comme étouffés par les humeurs du cerveau, excitent et animent les esprits, comme on voit l'air et l'eau agités par le feu ; et finalement le malade retrouve la vie qui l'abandonnait. On fait aussi quelquefois éclore des oeufs à la chaleur du feu ; qui se montre, dans cette opération, manifestement semblable à la chaleur animale; enfin nous pourrions citer bien d'autres expériences de même genre, qui toutes démontreraient ce principe : la chaleur du feu peut être réglée et employée en beaucoup de cas, de manière à produire les effets de la chaleur solaire ou de la chaleur animale. Soient encore donnés comme sujets de recherches le mouvement et le repos. Suivant une division consacrée et tirée des profondeurs mêmes de la philosophie, les corps sont en mouvement ou en repos; ils se meuvent ou circulairement ou en ligne droite ; car, dit-on, il faut de trois choses l'une : qu'il y ait ou un mouvement sans terme, ou le repos dans un terme, ou le transport vers le terme. Le mouvement perpétuel de rotation appartient aux corps célestes ; le repos, au globe de la terre ; les autres corps (que l'on nomme graves ou légers), placés hors des lieux assignés à leur nature, sont transportés en ligne droite vers les masses ou agglomérations de leurs semblables, les corps légers en s'élevant vers les régions célestes, les graves en tombant vers la terre. Voilà certes une théorie qui fait bon effet dans les livres. Un fait d'alliance se voit dans une comète fort basse qui, placée bien au-dessous du ciel, a cependant un mouvement circulaire. Quant à cette invention gratuite d'Aristote, que la comète est attachée à quelque corps céleste et forcée à le suivre, on en a fait justice depuis longtemps, non seulement parce qu'elle n'est fondée sur aucune raison plausible, mais parce que l'observation a démontré l'irrégularité du mouvement des comètes, qui ne décrivent aucune ligne fixe dans l'espace. Un autre fait d'alliance sur le même sujet, c'est le mouvement de l'air qui, entre les tropiques (où les cercles sont plus grands), parait avoir un mouvement de rotation d'orient en occident. Un autre fait d'alliance se reconnaîtrait dans le flux et le reflux de la mer, si l'observation démontrait que la masse des eaux est sujette à un mouvement de rotation (faible sans doute et presque insensible) d'orient en occident; mais sous cette loi, d'être entraînée deux fois par jour en sens rétrograde. Si les deux faits que nous venons de citer sont vérifiés, il est manifeste que le mouvement de rotation n'appartient pas seulement aux corps célestes, et qu'il se communique à l'air et à l'eau. Pour cette autre partie de la théorie, à savoir que les corps légers s'élèvent vers le ciel, elle ne semble pas non plus très solide. A cet égard, on peut citer comme fait d'alliance l'expérience de la bulle d'eau. Tant que l'air est sous l'eau, il s'élève rapidement à la surface du liquide, en vertu de ce mouvement (que Démocrite nomme mouvement de percussion), par lequel l'eau qui se porte vers le bas frappe l'air et le chasse en sens inverse, et non pas en vertu de l'effort prétendu de l'air lui-même pour s'élever. Mais aussitôt que l'air arrive à la surface, son mouvement d'ascension est interrompu; il suffit pour le retenir de la résistance légère que lui oppose l'eau dont la nappe ne se laisse pas dévier au premier abord. Ainsi donc la tendance de l'air à s'élever vers le ciel, si elle existe, doit être estimée très faible. Soit encore donné comme sujet de recherches le poids. Suivant une division consacrée, les corps denses et solides sont entraînés vers le centre de la terre ; les corps rares et légers s'élèvent vers le ciel, les uns et les autres tendant aux lieux qui leur sont propres. Quant à l'action des lieux, bien que de telles chimères aient cours dans les écoles, il faut reconnaître que c'est une conception puérile, inepte, d'attribuer un pouvoir quelconque à l'espace, ou à ses régions. Quand les philosophes nous disent que si la terre était creusée de part en part les corps graves s'arrêteraient dès qu'ils auraient atteint le centre, en vérité l'on doit croire qu'ils plaisantent. C'est attribuer une étrange vertu et une singulière efficacité à un pur néant, à un point mathématique : en réalité le corps seul agit sur le corps. Quant à cette tendance des corps à s'élever ou à descendre, elle dépend ou de leur composition ; ou de leurs relations et de leur sympathie avec d'autres corps. Que si l'on rencontre un corps dense et 'solide, qui, néanmoins, ne se porte pas vers le centre de la terre, la fameuse division de l'école succombe. Or, si nous en croyons Gilbert; la vertu magnétique de la terre, principe de l'attraction des graves; n'a d'efficacité que dans une certaine spère (les puissances d'ailleurs n'opèrent que jusqu'à une distance fixe, jamais au delà) ; que l'on vérifié cette théorie par une observation, et ce sera là pour notre sujet un fait d'alliance. En attendant, nous n'avons jusqu'ici à produire aucun fait constâté et certain. Ce que nous pourrions mentionner; mais avec réserve; ce sont les trombes dont parlent les navigateurs qui ont exploré les mers des deux Indes. Telles sont la quantité et la violence des eaux que ces trombes versent tout d'un coup, qu'il semble bien qu'un pareil amas s'était formé depuis un certain temps, et avait séjourné dans les hautes régions, d'où il fût précipité par quelque impulsion naturelle de la pesanteur. On peut en inférer qu'une masse corporelle, dense et compacte, placée à une grande distance de la terre, s'y tiendrait en équilibre comme la terre elle-même, et qu'elle ne tomberait point, à moins qu'une impulsion de dehors ne vint à la précipiter. Mais nous avouons à cet égard ne rien connaître de certain. Toutefois, sur cette matière et sur beaucoup d'autres; on voit bientôt combien notre physique est pauvre, puiqu'au lieu d'expériences certaines, nous nous sommes réduits à des suppositions et à des théories creuses. Soient encore données comme sujet de recherches les opérations de I'esprit. La division plausible ici est celle des actes de la raison humaine et des opérations instinctives de la brute. Cependant il y a certaines actions des bêtes qui semblent manifester en elles la faculté de raisonner ; par exemple, ce que l'on rapporte d'un corbeau qui, par une grande sécheresse, étant presque mort de soif, aperçut de l'eau dans le creux d'un tronc d'arbre; ne pouvant y atteindre parce que l'ouvèrture était trop étroite, il se mit à y lancer des petits cailloux jusqu'à ce que l'eau montât et vînt à sa convenance : ce fait a depuis passé en proverbe. Soit encore donnée comme sujet de recherches la propriété d'étre visible. Il semble bien que l'on fasse une division excellente en mettant d'un côté la lumière, visible d'elle-même originellement, et qui rend tout le reste visible ; et de l'autre côté, la couleur, visible subsidiairement; invisible sans la lumière, et qui parait, en conséquence, n'être autre chose qu'un aspect, une modification de la lumière. Cependant, d'un côté comme de l'autre, sé présentent ici des faits d'alliance, 1° dans la neige vue en grande masse ; 2°dans la flammé de soufre : là on observe une couleur tirant déjà sur la lumière; ici, une lumière tirant sur la couleur. [2,36] Parmi les faits privilégiés, nous placerons en quatorzième lieu les faits de la croix, en empruntant cette expression aux croix qui, placées à l'embranchement des routes, indiquent les divers chemins. Noous les nommons aussi faits decisifs et juridiques, `et, dans certains cas, arrêts et oracles. Voici en quoi ils ' consistent. Lorsque; dans l'étude d'une certaine nature, l'esprit se trouve partagé et incertain de savoir à laquelle de deux ou de plusieurs natures on doit attribuer la cause du sujet étudié; en raison du concours ordinaire de ces di`verses nàtures, les faits de la croix montrent que la compagnie de l'uune de ces natures, en ce qui torche le sujet étudié; est fidèle et indissoluble ; tandis que celle de l'autre est variable et mobile, ce qui résout la question, et fait récevoir cette première nature pour cause, à l'exclusion de l'autre, que l'on met de côté. C'est pourquoi des faits de ce genre apportent une très grande lumière et sont d'une grande autorité, à tel point que le travail de l'interprétation se complète ét s'achève quelquefois avec eux. De temps à autre, ces fàits de la croix se rencontrent parmi ceux que nous avons déjà signalés, mais le plus souvent ils sont nouveaux, il faut de l'habileté pour les découvrir et les tirer de leurs sujets complexes; ét ce n'est qu'à force de soins, de précautions et de patience qu'on peut les mettre au jour. Prénons pour exemple l'étude du flux et du reflux de la mer; double phénomène qui se renouvelle deux fois chaque jour, et dont chaque phase, dure six heures environ, àvec de légères différences, qui dépendent du mouvement de la lune. Pour la théorie de ces phénomènes se présente l'embranchement que voici. Ce double mouvement a nécessairement pour cause ou le balancement des eaux (comme il arrive dans un bassin où l'eau agitée baigne et abandonne alternativement chacun des côtés) ; ou le soulèvement des eaux qui tour à tour s'élèvent au-dessus du niveau ordinaire, et retombent au-dessous (comme il arrive à l'eau bouillante). Mais à laquelle de ces deux causes faut-il attribuer le flux et le reflux? Voilà le point en question. Si c'est à la première, il faut qu'au moment même où l'on observe le flux d'un côté de la mer, le reflux ait lieu du côté opposé. Qu'il en soit ainsi, le problème est résolu. Or, suivant les observations d'Acosta, et de plusieurs autres, observations faites avec grand soin, le flux a lieu aux mêmes heures sur les côtes de la Floride, et sur celles d'Espagne et d'Afrique, opposées aux premières; il en est de même du reflux. Donc, quand le flux a lieu d'un côté, on n'observe pas le reflux au côté opposé. Cependant, si l'on veut y bien réfléchir, ces observations ne décident pas encore le problème contre la première théorie, à l'avantage de la seconde. Il pourrait se faire que le mouvement des eaux fût progressif, et que néanmoins le flux couvrît en même temps les rivages opposés d'un même bassin. C'est ce qui arriverait si les eaux venaient d'ailleurs, chassées d'un autre bassin : ainsi l'on voit le flux et le reflux se produire en même temps sur les rives d'un fleuve, le mouvement des eaux étant alors très manifestement progressif, puisque c'est la mer qui fait irruption dans le lit du fleuve, à son embouchure. On pourrait supposer qu'il en est ainsi de la mer; que de l'océan Indien les eaux soient poussées dans l'Atlantique, et qu'elles recouvrent, en conséquence, les deux rivages opposés. Nouvelle question à résoudre: peut-on constater par l'observation qu'au moment du-flux dans l'Atlantique, le reflux ait lieu dans un autre bassin? Aussitôt se présente à notre esprit le bassin de la mer Australe, qui ne le cède en rien à l'Atlantique, qui a même beaucoup plus de largeur et d'étendue, et où peut se faire l'observation décisive que nous indiquons. Nous voici enfin parvenus à un fait de la croix sur ce sujet. Si l'on parvient à constater qu'au moment où le flux a lieu sur les côtes opposées de la Floride et de l'Espagne dans la mer Atlantique, il y a flux aussi sur les côtes du Pérou et sur celles de la Chine dans la mer Australe, la question est vidée, et ce fait décisif condamne la théorie qui attribue le flux et le reflux au mouvement progressif des eaux, car nous n'apercevons plus de nouveau bassin où puisse s'opérer le reflux pendant que l'eau s'élève dans les autres. Quant à la question posée, rien de plus facile à résoudre; que l'on s'informe des habitants de Panama et de ceux de Lima (dans cette partie de l'Amérique où les deux océans ne sont séparés que par un isthme fort étroit), si le flux et le reflux ont lieu en même temps aux deux côtés de l'isthme, ou si c'est le contraire. Cependant ce fait décisif ne serait concluant qu'en supposant la terre immobile. Que si le globe a un mouvement de rotation, il peut se faire que le mouvement emporte la masse de la terre avec plus ou moins de rapidité que celle des eaux; qu'en conséquence les eaux s'amassent, de là le flux; et que parvenues au point où une plus forte accumulation est impossible, elles retombent: de là le reflux. Mais ce point mérite une étude toute spéciale. Toutefois, en admettant cette dernière hypothèse, il faudrait toujours qu'il y eût en certains lieux de la terre un reflux au moment où le flux se produit en d'autres lieux. Examinons maintenant l'autre théorie, celle qui attribue le flux et le reflux à des mouvements alternatifs d'ascension et de dépression de toute la masse des eaux ; théorie qui mériterait toute considération, dès lors qu'on aurait, après examen, rejeté la première. Ici nous voyons mieux qu'une bifurcation; au lieu de deux voies à essayer, il s'en présente trois. Un tel mouvement alternatif d'élévation et de dépression, sans que les eaux soulevées soient accrues de quelque courant d'eaux nouvelles, peut s'expliquer, en effet, par une de ces trois causes : ou la masse des eaux sort des profondeurs de la terre, pour s'y replonger ensuite; ou la quantité d'eau contenue dans le bassin étant invariable, la masse liquide se dilate et se contracte tour à tour; ou enfin, sans aucune variation ni de quantité ni de densité, les eaux sont soulevées par quelque puissance magnétique, et quand l'effet s'est produit, elles retombent. Écartons pour un moment les deux premières hypothèses; examinons la troisième, celle d'une action magnétique ou d'une attraction semblable. Dès l'abord, il est manifeste que la masse des eaux, déposée comme elle l'est dans le bassin des mers, ne peut s'élever toute d'ensemble, parce qu'il n'existe rien pour combler la lacune produite au fond du bassin; admettant que les eaux aient une tendance à se soulever, cette tendance, serait combattue et vaincue par la loi de la continuité physique, ou, comme on dit vulgairement, par l'horreur du vide. Reste la supposition que les eaux, s'élevant d'un côté, s'abaissent de l'autre. De plus, il est clair que la vertu magnétique; ne pouvant agir à, la fois sur toutes les parties, exercera sa principale influence sur le milieu, et par conséquent soulèvera les eaux vers le milieu du bassin; ainsi soulevées, les eaux se retireront simultanément des deux rivages opposés. Nous voici enfin parvenus au fait de la croix sur ce sujet. Si l'observation démontre que pendant le reflux la surface des eaux, en pleine mer, se courbe et se gonfle, la masse se soulevant au milieu du bassin, et abandonnant les cotés qui sont les rivages; tandis que pendant le flux, la surface en pleine mer est comparativement plane et égàle, les eaux revenant a leur position première; alors, éclairés par ce fait décisif, nous pourrons admettre l'hypothèse de l'attraction magnétique ; hypothèse qu'il faudrait rejeter, si les phénomènes se produisaient tout autrement. Or, c'est ce dont il est facile de s'assurer, dans les détroits, au moyen del la sonde, qui nous apprendra, si, au temps du reflux, la mer a plus de profondeur au milieu des eaux qu'elle n'en a pendant le flux. Notons que si cette théorie est la vraie, il s'ensuit, contrairement aux idées vulgaires, que l'abaissement des eaux produisant le flux, c'est en vertu de leur dépression qu'elles couvrent et inondent-les rivages. Nouvel exemple : théorie du mouivement spontané de rotation; et dans cette théorie, question spéciale : le mouvement diurne d'où résultent le lever et le coucher apparent du soleil et des étoiles par rapport à nous, est-il un mouvement réel des corps célestes ou bien un mouvèmènt apparent des corps célestes, et un mouvement réel du globe terrestre? Voici quel sera sur ce sujet le fait de la croix. Si l'on observe dans l'Océan un mouvement d'orient en occident, bien que très lent et très faible ; si l'on voit que ce mouvement soit un peu plus rapide dans l'air, surtout entre les tropiques, où il doit être plus sensible, à cause de la grandeur dés cercles; si ce même mouvement se découvre plus prompt et plus fort dans les comètes les plus basses, si, dans les planètes on l'observe encore, et tellement réparti qu'il soit plus faible à une moindre distance de la terre, plus rapide à une distance plus grande ; ét qu'enfin il atteigne le maximum de vitesse dans là voûte étoilée; alors certainement, il faut tenir pour réel le mouvement diurne des corps célestes, et nier celui de la terre. Il sera démontré par ces observations que le mouvement d'orient en occident ést un mouvement cosmique, inhérent à l'univers entier; très rapide aux extrémités du monde, s'affaiblissant par degrés, et s'évanouissant au centre, c'est-à-dire au globe terrestre. Nouvel exemple : étude de cet autre mouvement de rotation, qui a si fort occupé les astronomes, et qui est contraire au mouvement diurne. Ce second mouvement, dirigé d'occident en orient, est attribué par les anciens astronomes aux planètes, et même à la voûte étoilée; par Copernic et sespàrtisans, à la terre aussi. Demandons-nous s'il existe dans la réalité un mouvement de cette sorte, ou plutot si ce n'est pas la une pure invention, pour la facilite des calculs, et pour la préservation de ce beau principe, que les corps célestes dans leurs mouvements décrivent toujours des cercles parfaits. On ne prouve point la réalité d'un tel mouvement, en alléguant le retard des planètes, qui à l'expiration du jour ne répondent pas exactement au même point du ciel que la veille; ou en représentant que les pôles du zodiaque diffèrent des pôles du monde; deux observations qui ont fait naître cette chimère astronomique. Le premier fait s'expliquerait fort bien par l'inégale rapidité de la voûte céleste et des planètes moins vivement emportées ; le second, par l'irrégularité des orbites; la vraie théorie, réduisant les diversités de temps, et la déclinaison vers les tropiques, à de simples modifications du mouvement diurne, universel et unique, sans qu'il soit besoin d'inventer des mouvements contraires ou de nouveaux pôles. Il est incontestable que si l'on veut, pour un moment, en revenir à la logique du sens commun (en tournant le dos aux astronomes et aux écoles, qui ont coutume de faire violence a l'expérience, et de n'aimer rien tant que l'obscurité), on conviendra que pour celui qui a des yeux, et s'en sert, le mouvement est tel que nous l'indiquons ; nous fîmes construire; à une certaine époque; un appareil en fil de fer, qui représentait exactement ce système du monde. Voici en quoi consisterait, sur ce sujet, un fait de la croix. Découvrez dans quelque histoire digne de foi qu'un jour l'on vit une comète (haute ou basse, il n'importe), emportée d'un mouvement contraire au mouvement diurne du ciel; alors on vous accordera que la nature peut admettre un mouvement de Ce'genre, mais si l'histoire ne nous apprend rien de pareil, il faut tenir cette invention pour suspecte et recourir aux autres faits de la croix concernant ce sujet. Autre 'exemple : théorie de la pesanteur. Deux voies à tenter. Les corps graves tendent vers le centre de la terre : ou par un effet de leur nature, en conséquence de leur constitution; ou parce que la masse du globe terrestre les attire, et qu'ils tendent à s'y réunir, en vertu de la loi d'agglomératin des semblables. Si cette dernière hypothèse est la vraie, il s'ensuit que, plus les graves sont proches de la terre, plus le mouvement qui les entraîne vers elle doit être impétueux ; que plus ils en sont éloignés, plus l'effet de l'attraction s'affaiblit, comme on le voit, pour l'influence de l'aimant; enfin que l'attraction, à une certaine distance, devient nulle, et que, soustraits par l'éloignement à l'action du globe terrestre, les corps pesants doivent demeurer en équilibre dans l'espace, sans faire de chute, comme demeure la terre elle-même. Pour ce sujet, voici quel serait un fait de la croix. Prenez deux horloges, l'une qui soit mue par des poids de plomb, l'autre par un ressort; comparez-les, assurez-vous que leur marche est parfaitement égale; portez ensuite au sommet de quelque édifice, le plus haut possible, l'horloge mue par le plomb, en laissant l'autre au pied du monument; observez soigneusement si le mouvement de l'horloge transportée à cette hauteur est ou n'est pas ralenti, à cause évidemment de la diminution de la pesanteur. Faites ensuite l'expérience inverse; que l'horloge soit descendue au plus profond des mines et qu'alors vous sachiez si le mouvement est accéléré par l'accroissement de la pesanteur. L'observation prouve-t-elle que la pesanteur est moindre sur les hauteurs, plus forte dans les profondeurs, alors on peut tenir pour certain que la cause de la pesanteur est l'attraction exercée par la masse du globe terrestre. Autre exemple; sujet de recherches : la polarité de l'aiguille de fer aimantée. Ici, deux explications possibles; de deux choses l'une : ou l'aimant communique au fer la polarité magnétique; ou l'aimant prépare seulement le fer à recevoir cette polarité de l'action magnétique de la terre. Gilbert soutient cette seconde opinion, et il fait les plus grands efforts pour l'établir. C'est à cette démonstration que concourent tant d'expériences ingénieuses, qui lui font un véritable honneur; celle-ci, par exemple : une barre de fer qui demeure longtemps dans la direction du nord au sud, contracte à la longue une véritable polarité, sans avoir été touchée par l'aimant; comme si le noyau de la terre, dont l'action est faible à cause de la distance (car la surface du globe ou la croûte terrestre, suivant Gilbert, est dépourvue de la vertu magnétique), par la continuité de son influence, parvenait enfin à produire les effets de l'aimant, préparant d'abord le fer, le disposant ensuite et le polarisant. Autre expérience : une barre de fer chauffée au rouge et placée, pendant son refroidissement, dans la direction du nord au sud, se polarise aussi , sans être touchée par l'aimant, comme si les molécules du fer, mises en mouvement par l'ignition, et reprenant ensuite leur situation première dans le refroidissement, étaient dans cette transition plus sensibles à l'action du magnétisme terrestre qu'en tout autre état, et offraient à cette action des prises exceptionnelles. Mais ces observations, quoique bien faites, ne démontrent pas sans réplique la thèse de Gilbert. Voici, pour ce sujet, un fait de la croix. Ayez un petit globe d'aimant imitant le globe de la terre; marquez-en les pôles; placez-en l'axe dans la direction de l'orient à l'occident, non pas dans celle du nord au sud, et que l'aimant demeure en cette situation ; posez ensuite sur ce petit globe une aiguille de fer non aimantée, et laissez les choses en cet état pendant six ou sept jours. Pendant ce temps l'aiguille, ce qui est indubitable, contracte une polarité toute conforme à celle de l'aimant ; elle se place d'elle-même dans la direction de l'orient à l'occident. Observez-vous ensuite que l'aiguille, séparée de l'aimant et mise sur un pivot, se tourne immédiatement dans la direction du nord au sud, ou que du moins elle tend à s'y rendre par un effort continu, alors vous pouvez tenir pour certain que la terre exerce une vertu magnétique; si, au contraire, l'aiguille tourne ses pôles vers l'orient et l'occident; ou encore, si elle perd sa polarité, il faut tenir pour suspecte l'hypothèse du magnétisme terrestre et procéder à de nouvelles recherches. Autre exemple, sujet d'études : la matière dont la lune est composée. Est-elle légère de la nature du feu ou de la nature de l'air, comme le pensaient ja plupart des anciens philosophes? Est-elle solide et dense, comme le croit Gilbert avec un grand nombre de modernes et quelques anciens? Cette dernière opinion est fondée sur ce que la lune réfléchit les rayons du soleil, et qu'il n'appartient qu'aux solides de réfléchir la lumière. Un fait de la croix sur cette question (si elle en comporte), serait l'expérience d'une réflexion lumineuse opérée par quelque substance d'une rare ténuité, comme la flamme; bien entendu que cette ténuité ne soit pas portée à l'extrême. La cause du crépuscule est certainement la réflexion dès rayons solaires par la partie supérieure de l'air. Nous voyons quelquefois, pendant la soirée, les rayons du soleil réfléchis par les bords des nuages épais; avec autant et plus d'éclat qu'ils le sont par le corps de la lune; et cependant il ne paraît pas que ces nuages aient la consistance, même de l'eau. Nôus voyons aussi, pendant la nuit, l'air obscur, au dehors de nos fenétres, réfléchir la lumière de nos bougies comme le ferait` un corps dense: Il faudrait aussi tenter l'expérience suivante : faire passer des rayons solaires à travers une mince ouverture, et les faire tomber sur quelque flamme jaunâtre ou bleuâtre. On sait que les rayons de pure lumière, tombant sur une flamme un peu sombre, semblent l'amortir, au point qu'elle parait alors, non plus une flamme, mais une espèce de fumée blanche. Voilà ce qui, pour le moment, s'offre à notre esprit, comme pouvant être estimé fait de la croix dans cette matière; peut-être en découvrirait-on d'autres, meilleurs que ceux-ci. Notons en terminant, que jamais une flamme ne réfléchira les rayons lumineux , si elle n'a une certaine épaisseur; une flamme mince est toujours diaphane: Tenons pour certain que les rayons lumineux tombant sur un corps dont la texture est parfaitement égale et unie, sont reçus et transmis, ou sont réfléchis. Autre exemple : soit donné comme objet d'étude le mouvement des projectiles dans l'air, comme les dards, les flèches, les balles, etc. L'école, suivant sa coutume, donne de ce genre de mouvement une théorie bien creuse; il lui suffit de le classer parmi les mouvements violents, le distinguant ainsi des mouvements naturels (pour parler son langage); et pour expliquer le phénomène de la première percussion ou de l'impulsion naissante, de rappeler l'axiome : "deux corps ne peuvent être ensemble dans un même lieu, car les corps sont naturellement impénétrables"; là s'arrête la théorie de nos philosophes. Comment se poursuit un tel mouvement dans l'air? ils n'en disent rien et ne s'en occupent pas. Pour nous, il nous semble que deux hypothèses méritent ici la discussion. Ou le mouvement des projectiles a pour cause l'impulsion de l'air qui les enveloppe et les chasse, comme l'eau d'un fleuve pousse les barques, comme le vent emporte les pailles; ou l'on doit admettre que les molécules du projectile, ne pouvant résister à la percussion violente qui les frappe, se poussent en avant pour diminuer graduellement les effets de cette percussion. La première explication est adoptée par Frascator, et par tous ceux, à peu d'exceptions près, qui ont essayé d'approfondir cette matière, et l'on ne peut contester que l'air joue ici, quelque rôle ; cependant la seconde explication est la vraie, comme l'établissent une infinité d'expériences.. Choisissons sur ce sujet un fait de la croix parmi vingt autres : prenez entre le pouce et l'index et courbez, soit une lame, soit un fil de fer un peu raide, soit même un tuyau de plume partagé en deux dans le sens de sa longueur ; séparez les doigts ensuite, vous verrez le fil ou le tuyau sauter à distance. Il est évidént qu'un tel fait ne peut être attribué à l'impulsion de l'air, puisque ; dans l'expérience, le foyer du mouvement est au milieu du mobile, et nonpas aux extrémités. Autre exemple; sujet d'étude : le mouvement rapide et violent d'expansion de la poudre à canon qui s'enflamme. On sait jusqu'où va la puissance de ce mouvement, quelles masses il renverse ou projette, comme le prouvent l'explosion des mines et le feu des mortiers. Deux théories se présentent: ces explosions ont pour cause, ou la seule tendance du corps à se dilater dès qu'il a pris feu, ou cette tendance jointe aux effets violents d'un esprit qui fuit le feu précipitamment et s'échappe à toute force de sa prison de flamme. L'école et l'esprit vulgaire tiennent en commun pour la première théorie. Il semble que ce soit assez bien raisonner en physique que de dire: "la flamme, par l'essence même d'un tel élément, a le privilège d'occuper, une plus grande place que le corps d'où elle procède quand il était à l'état de poudre, et de là vient l'explosion. Mais on ne s'aperçoit pas, en raisonnant ainsi, que l'on omet une difficulté capitale: Accordons que l'explication soit juste dès que la flamme existe; comment se fait-il que de si grandes-masses n'empêchent pas la flamme d'exister, ou du moins ne l'étouffent pas sur-le-champ? Si l'on se tait à cet égard, iI faut convenir que la théorie est fort insuffisante. La flamme une fois produite, tout s'ensuit assurément, et l'expansion et l'explosion, ou l'expulsion du corps qui fait obstacle; mais tous ces phénomènes sont impossibles, si l'obstacle énorme à déplacer supprime la flamme ou l'empêche même de se produire. Nous voyons que la flamme, à sa première apparition, est faible, douce; elle a besoin d'une cavité pour s'essayer et se jouer. Lui attribuer, dès sa naissance, un si grand pouvoir, c'est commettre une erreur grave: Voici le vrai sur cette matière : la production des flammes flatueuses de cette espèce, semblables à des vents ignés, a pour cause le conflit de deux substances dont les natures sont radicalement contraires; l'une extrêmement inflammable, c'est le soufre; l'autre qui altère la flamme, c'est le nitre. Une lutte terrible éclate entre les deux; le soufre s'enflamme autant que possible (quant au troisième corps, le charbon, il n'a ici d'autre rôle que d'unir étroitement les deux autres), l'esprit du nitre fait éruption autant que possible; il se dilate (comme se dilatent sous l'action de la chaleur l'air, l'eau, toutes les substances crues) ; et dans cette fuite et cette éruption , il souffle de toutes parts la flamme du soufre, comme le feraient des petits soufflets, cachés à profusion dans l'intérieur des appareils. On devrait distinguer les faits de la croix sur ce sujet en deux groupes : 1° Expériences des matières très inflammables, comme le soufre, le camphre, la naphte et autres semblables, et de leurs divers composés, qui prennent feu plus vite et plus facilement que la poudre à canon : d'où l'on conclut que la grande tendance à l'inflammation ne suffit pas pour produire les effets prodigieux de la poudre ; 2° Expériences des matières qui répugnent énergiquement à la flamme, comme sont tous les sels. Jetez un sel dans le feu ; l'esprit aqueux se dégage avec bruit, avant que l'inflammation se produise; vous observerez un phénomène semblable dans les feuilles qui ont une certaine consistance : la partie aqueuse se dégage avant que le résidu huileux s'enflamme. Mais la substance où ce phénomène est le plus remarquable, c'est, sans contredit, le vif-argent, que l'on a fort bien nommé eau minérale; sans inflammation, par la seule force de son expansion, il atteint presque à la puissance de la poudre à canon; on dit même que, mêlé à la poudre, il en multiplie la force. Ajoutons encore un exemple : soit proposé d'approfondir la propriété qu'ont les flammes d'être éminemment transitoires et de s'éteindre à tout moment. Il parait bien, en effet, qu'il n'appartient pas à la flamme de se fixer et de durer; mais qu'il est de sa nature de se produire incessamment, et de s'éteindre aussitôt produite. Il est manifeste, pour les flammes qui ont une certaine durée, que ce n'est pas la même flamme qui subsiste pendant tout le temps, mais que c'est une série de flammes successives, chacune disparaissant pour faire place à la suivante: En voulez-vous une preuve? Ôtez le foyer qui alimente la flamme, celle-ci s'éteint au moment même. Pour l'explication de ce phénomène, il est deux théories: la flamme s'éteint dès qu'elle est produite, ou parce que la cause d'où elle émane cesse d'agir, comme on le constate pour la lumière, les sens, les mouvements violents; ou parce que, capable de durée par sa nature, elle est combattue et détruite par les principes contraires qui l'environnent de toutes parts. Pour vous instruire à ce sujet, voici un premier fait de la croix. Dans les grands incendies, nous voyons combien les flammes montent haut; plus la base du foyer a d'ampleur, plus le sommet est élevé. Aussi, lorsque l'incendie s'éteint, c'est d'abord sur les côtés, aux points où la flamme est combattue par l'air ambiant, et où son essor est le plus comprimé; mais le milieu du foyer garde toute sa force, parce que l'air ne le touche pas, et qu'il est environné de feux de toutes parts; ici, pour que la flamme tombe, il faut que l'air, par la continuité de son progrès, soit parvenu jusqu'au centre. C'est pourquoi toute flamme a la forme d'une pyramide, large à la base où le foyer est situé, et terminée en pointe au sommet, rétrécie en s'élevant par les assauts de l'air et par l'éloignement du foyer. La fumée, au contraire, plus étroite à la base, s'élargit en montant et prend la forme d'une pyramide renversée; parce que l'air a de l'affinité pour la fumée, tandis qu'il est antagoniste de la flamme. Qu'on ne s'imagine donc pas que la flamme ne soit autre chose que de l'air allumé; ce sont deux substances complétement hétérogènes. On obtiendrait un fait de la croix, plus décisif encore pour la solution de ces problèmes, si l'on faisait les expériences avec des flammes de deux couleurs: Prenez un petit seau de métal; plantez-y une petite bougie allumée ; mettez ensuite le seau dans un grand vase, où vous verserez de l'esprit-de-vin en telle quantité que le liquide ne s'élève pas jusqu'aux bords du seau ; allumez l'esprit-de-vin : la flamme du liquide sera bleue, celle de la bougie sera jaune; observez alors si cette dernière flamme (qu'il est facile de reconnaître, à cause de la différence des couleurs et de la propriété qu'ont les flammes de ne pas se mêler, comme les liquides) garde la forme d'une pyramide, ou si elle ne tend pas plutôt à prendre la forme sphérique, n'ayant plus autour d'elle le principe antagoniste qui la comprimait et s'efforçait de la détruire; si la seconde, hypothèse se vérifie, concluez qu'il est de la nature de la flamme de subsister, aussi longtemps, qu'elle est enveloppée d'une autre flamme, et qu'elle n'est pas livrée aux assauts de l'air, son principe ennemi. `Nous avons parlé longuement des faits de la croix, car nous voulons que les hommes apprennent et s'habituent peu à peu à juger de la nature par de tels faits et par des expériences lumineuses, et non par des raisons probables.