[16,0] Différences caractéristiques entre la jeunesse et la vieillesse. [16,1] Article répondant aux questions de l'article 16. Degrés de l'échelle (de la vie) du corps humain : ou gradation qu'il suit dans sa formation, son accroissement, son déclin et sa destruction. Conception, vivification dans la matrice, naissance, allaitement, sevrage, premier essai des aliments solides et liquides, mais de nature convenable et proportionnée à la faible constitution de l'enfant; premières dents vers la seconde année; l'enfant commençant à marcher, puis à balbutier; apparition des secondes dents vers la septième année; puberté vers l'âge de douze ou treize ans, l'homme devenant habile à la génération (première apparition des règles dans l'autre sexe); époque où les jambes et les aisselles commencent à se couvrir de poils; époque où la barbe commence à croître; maximum de l'accroissement en hauteur, lequel a lieu à l'époque précédente, ou un peu plus tard ; maximum de force et d'agilité dans les différentes parties et dans le tout ; puis la tête grisonne, blanchit, et enfin devient chauve; l'écoulement périodique cessant dans l'un des deux sexes, et l'autre devenant inhabile à la génération; âge décrépit (l'homme devenant alors un animal à trois pieds); mort. L'âme a aussi ses périodes et sa double gradation ; par exemple, à certain âge, la mémoire commence à diminuer, etc. Mais, comme l'accroissement et le déclin de ses diverses facultés ne suivent point exactement l'accroissement et le déclin du corps, nous ne pouvons, dans notre exposé, rapporter l'une à l'autre, avec précision, ces deux gradations, ni faire correspondre leurs époques respectives. Au reste, ce même sujet sera traité ci-après. [16,2] Différences caractéristiques entre la jeunesse et la vieillesse. JEUNESSE / VIEILLESSE. Peau douce, unie, tendue et développée. / Peau sèche, rude, flasque et ridée, principalement sur le front et près des yeux. Chair tendre et souple. / Chair dure et compacte. Force et agilité. / Diminution des forces, mouvements plus difficiles et plus faibles. Digestion prompte, facile et complète. / Lente, difficile et imparfaite. Viscères souples et pleins de suc. / Viscères secs, salés et comme grillés. Attitude droite et assurée. / Corps penché et courbé vers lu terre. Sûreté et fermeté dans tous les membres. / Faiblesse et tremblement universel. Humeurs ayant un caractère bilieux; sang très chaud. / Humeurs en grande partie composées de phlegmes et d'une bile aduste; sang plus froid. Facilité, promptitude et sensation plus vive dans l'acte de la génération. / Difficulté, lenteur, faiblesse, et sensation plus obtuse dans cet acte. Substance du corps onctueuse et moelleuse. / Plus crue et plus aqueuse. Esprits abondants, et fréquemment dans la pléthore. / En plus petite quantité. Esprits plus denses et ayant plus de sève. / Plus raréfiés et plus âcres. Sensibilité fine et prompte; tous les sens dans leur intégrité. / Sens viciés, faibles ou nuls; sensibilité lente et obtuse. Dents fortes et entières. / Faibles, limées, rares et branlantes. Cheveux colorés et de telle couleur spécifique. / Gris ou blancs, quelle qu'ait pu être leur couleur auparavant. Chevelure longue et bien fournie. / Tête chauve. Pouls grand et accéléré. / Obscur et lent. Maladies aiguës et plus faciles à guérir. / Maladies chroniques et presque toujours incurables. Blessures plus faciles à réduire. / Plus difficiles à guérir. Joues colorées et fleuries. / Joues pâles ou d'un rouge obscur et diffus. Rhumes, fluxions et catarrhes moins fréquents et de plus courte durée. / Fréquents et plus dangereux. Nous ne savons trop en quoi le corps d'un vieillard est susceptible d'accroissement; il peut tout au plus engraisser; genre d'accroissement, dont la cause n'est pas difficile à découvrir. Car, dans le corps du vieillard, la transpiration n'est plus assez abondante, ni l'assimilation assez complète. Or, cette substance graisseuse dont nous parlons, n'a d'autre cause que l'excédant de la substance alimentaire, et ne se forme que de cette partie qui n'a pu être ni évacuée, ni parfaitement assimilée. On voit aussi des individus qui, en vieillissant, deviennent plus avides et même gourmands, quoique leurs digestions soient plus difficiles et moins parfaites, ce qu'on peut attribuer au caractère d'acidité que prennent leurs humeurs. Actuellement nos médecins ne manqueront pas d'expliquer toutes tes différences qui distinguent la vieillesse de la jeunesse, en supposant qu'elles ont pour cause la diminution graduelle de la chaleur innée et de l'humide radical; explication aussi hasardée qu'inutile dans la pratique. La vérité est que, dans le déclin de la vie, le desséchement précède le refroidissement; lorsque le corps est parvenu au maximum de chaleur, il tend naturellement à se dessécher; desséchement, dont le refroidissement est une conséquence nécessaire. [16,3] 3. Il y a aussi entre les deux âges extrêmes des différences marquées, relativement aux affections de l'âme, aux passions, en un mot, au caractère. Dans ma première jeunesse, et durant mon séjour à Poitiers, j'ai connu un Français, jeune homme très spirituel, mais un peu bavard, qui, depuis cette époque, est devenu un personnage distingué, et qui, n'aimant pas les vieillards, se plaisait à les tourner en ridicule; il prétendait que, si l'on pouvait voir l'âme d'un vieillard, comme on voit son corps, on ne découvrirait pas moins de difformités dans la première que dans le dernier; et se donnant carrière sur ce sujet, il soutenait même dans son style satyrique et mordicant, que les vices de l'âme, dans les vieillards, étaient tout semblables et comme parallèles à ceux du corps : la sécheresse de leur peau, disait-il, annonce leur effronterie ; et la dureté de leurs viscères, celle de leur coeur devenu insensible à la pitié. Leurs yeux chassieux représentent l'oeil malfaisant et meurtrier de l'envie qui les ronge. Leur taille voûtée et leurs yeux tournés vers la terre, décèlent leur athéisme, leurs regards ne s'élevant plus vers les cieux, comme durant leur jeunesse. Le tremblement de leurs membres, et leur démarche mal assurée, figurent leur irrésolution et leur instabilité. Leurs doigts crochus, qui semblent toujours prêts à prendre ou à retenir quelque chose, sont l'emblème de leur avarice sordide et de leur rapacité. Leur démarche chancelante indique leur timidité. Leurs rides désignent leur fourberie et leur dissimulation. Mais, pour traiter ce sujet un peu plus sérieusement, nous dirons que les différences morales dont nous parlons, peuvent se réduire aux suivantes : LES JEUNES GENS : Ont plus de pudeur et sont plus sensibles à la honte. Ont l'âme plus tendre et plus compatissante. Sont animés d'une louable émulation. Sont plus religieux et plus enclins à la dévotion, parce qu'ils sont plus ardents, et n'ont point l'expérience du mal. Sont excessifs dans leurs volontés et leurs résolutions. Sont légers et inconstants. Ont plus de libéralité, de bienfaisance, d'humanité. Ont plus de confiance en leurs propres forces, d'audace et d'espérance. Ont plus de douceur, de complaisance et de facilité. Sont sincères, francs et ouverts. Sont ambitieux, et aspirent à ce qu'il y a de plus élevé. Préfèrent le temps présent au temps passé, et aiment la nouveauté. Respectent et honorent leurs supérieurs. LES VIEILLARDS : Ont le front plus dur. Sont plus affectés de leurs propres maux, et moins sensibles aux maux d'autrui. Sont envieux et dépréciateurs. Ont une piété moins fervente; car leur charité est fort attiédie; ils croient plus difficilement, et sont plus familiarisés avec les maux de cette vie. Sont plus modérés dans les leurs. Ont plus d'à-plomb, de tenue et de constance. Sont plus avares, plus prudents et plus sages à leur profit. Sont plus timides et plus pusillanimes, se défiant de tous et de tout. Sont mécontents de tout, raides, difficiles, moroses. Sont plus circonspects, plus couverts et plus dissimulés. N'aspirent qu'au nécessaire et au repos. Vantent le passé, et tiennent à leurs habitudes. Censurent et dénigrent les leurs. A quoi l'on pourrait ajouter beaucoup d'autres différences caractéristiques, mais qui appartiennent plutôt à la morale qu'a la recherche dont nous sommes actuellement occupés. Cependant, comme les vieillards sont encore susceptibles de quelque accroissement, par rapport au physique, ils peuvent aussi faire quelques progrès relativement aux facultés de l'âme; par exemple, s'ils sont moins inventifs que les jeunes gens, en récompense ils ont plus de jugement, préférant, dans la théorie et la pratique, les choses sûres et solides, aux choses spécieuses et imposantes. Enfin, ils ne font que trop de progrès par rapport au babil et aux vanteries; car étant devenus moins effectifs, ils s'en dédommagent par le discours, et c'est une invention assez ingénieuse que celle des poètes, qui ont feint que le vieux Tithon avait été changé en cigale (Cfr. SERVIUS, Commentaire aux Géorgiques de Virgile, III, 328 : Tithon, à qui Zeus avait accordé l'immortalité, mais condamné à se dessécher sans fin, est finalement transformé en cigale).