[5,0] V. De la quantité déterminée de la matière et de ses mutations sans qu'elle puisse jamais se détruire. Il est évident pour tout le monde que tout change et que rien ne se détruit, et que le volume de la matière reste toujours le même. Et de même qu'il fallait la toute-puissance de Dieu pour créer quelque chose de rien, de même une toute-puissance égale est nécessaire pour que quelque chose se réduise à rien. Que ce fait s'opère par le défaut de propriété conservatrice ou par l'acte de dissolution, peu importe; il suffit que la volonté du Créateur s'y révèle. Pour que l'imagination ne s'écarte pas de cette hypothèse et qu'elle ne se forme pas l'idée de quelque fausse matière, nous disons que cette matière est produite par nous et qu'elle est revêtue d'une propriété telle qu'on peut avancer avec vérité, qu'il y a plus de matière dans un corps et moins dans un autre, bien qu'ils n'aient point tous deux le même volume. Par exemple, il y en a plus dans le plomb, moins dans l'eau, et beaucoup moins encore dans l'air; et ces différences s'étendent non seulement à l'infini et à un nombre incalculable, mais encore on peut les déterminer avec exactitude, à tel point qu'elles peuvent être soumises aux calculs, comme plus d'une fois, trois fois et ainsi de suite. Or, si l'on dit que l'air peut se faire avec de l'eau ou bien que l'eau peut se faire avec de l'air, je comprendrai parfaitement; mais si l'on dit qu'un même volume d'eau peut se changer en un même volume d'air, je ne comprendrai pas; car c'est comme si l'on eût dit que quelque chose peut se réduire à rien. De même, en renversant les termes, si l'on dit qu'une mesure donnée d'air (par exemple, une vessie remplie d'un certain volume d'air) peut se changer en un volume égal d'eau, c'est comme si l'on eût dit que quelque chose peut se faire de rien. De ces hypothèses il nous a donc semblé qu'on peut tirer trois préceptes ou avis utiles, qui permettront aux hommes d'étudier la nature avec plus de lumière, et par cela même avec plus de succès. Le premier est d'engager les hommes à forcer la nature à leur rendre ses comptes, c'est-à-dire que, quand ils verront un corps, qui d'abord était soumis à leurs sens, s'échapper et disparaître, ils ne doivent recevoir ni liquider aucun compte avant qu'il ne leur ait été prouvé où ce corps a passé et vers quelles substances il s'est retiré. De nos jours cette recherche se fait avec une extrême négligence, et la contemplation cesse ordinairement quand les yeux ne sont plus d'aucun secours; en sorte qu'on ne connaît pas la retraite de la flamme, phénomène des plus vulgaires, puisqu'il n'est nullement vrai qu'elle se change en une colonne d'air. Le second a pour but de faire voir aux hommes la loi invincible qui force la nature à se maintenir et à ne se dissoudre ni se réduire à rien; de les empêcher ensuite de négliger le travail et le mouvement de la matière, et de leur inspirer le désir de découvrir jusqu'à ses derniers effets et de pénétrer les causes de sa résistance. Ce conseil, nous le savons, pourra paraître peu ingénieux; il nous semble toutefois fort utile et d'une haute portée. Nous présenterons donc, si on veut le permettre, quelques observations sur ce sujet. Qu'on sache bien que le plus grand obstacle que l'opérateur ou le praticien rencontre est la difficulté de conserver, comprimer et pétrir une certaine masse de matière sans diminution ou augmentation; mais par la séparation on peut vaincre la dernière difficulté. Il y a deux sortes de séparation : ou quand une partie de la matière se volatilise, comme dans la décoction ; ou quand elle fait corps à part, comme dans la crème. C'est pourquoi, pour opérer une mutation profonde et intime des corps, il ne faut que travailler la matière par des moyens convenables, si toutefois ces deux espèces de séparations ne sont pas interdites; car la matière n'est véritablement comprimée que lorsque toute voie d'expansion est fermée. Le troisième tend à engager les hommes, quand ils voient s'opérer les altérations des corps dans une même masse de matière sans augmentation ni diminution, à renoncer à une erreur profondément enracinée qui les porte à croire que l'altération se fait seulement par la séparation; à les faire réfléchir ensuite avec plus de soin et d'exactitude sur les diverses formes d'altérations quand ils doivent les rapporter à la séparation, ou à la décomposition seulement et à la position différente des parties sans autre séparation, ou quand enfin ils doivent les attribuer à toutes les deux. Car je ne m'imagine pas, quand une poire, encore sure et verte, est fortement frottée ou pelée et pétrie, qu'elle en acquière de la douceur, non plus que quand l'ambre ou le diamant sont réduits à la poussière la plus fine, ils en perdent leur couleur. Une partie remarquable de la matière est perdue, mais les parties du corps ont seulement une nouvelle position. Il nous reste à arracher de l'esprit humain une erreur dont la portée, si on y ajoutait foi plus longtemps, ferait renoncer à la recherche des faits que nous avons présentés. On croit généralement que les gaz, quand ils sont parvenus à un degré élevé de raréfaction par le calorique, même dans les vases les plus solides, par exemple ceux d'argent ou de verre, se volatilisent par des pores et des passages qui s'y trouvent, principe tout-à-fait dénué de vérité. L'air, en effet, ou le gaz, bien que raréfié par une grande chaleur, ne se perd pas assez facilement pour pouvoir chercher et se frayer un passage par de semblables pores. Et de même que l'eau ne s'écoule pas par une fente très petite, de même l'air ne s'échappe pas par de tels pores; car de même que l'air est bien plus rare que l'eau, de même de tels pores sont bien plus subtils que des fentes visibles, et d'un autre côté il n'aurait pas besoin d'être étouffé sous un vase couvert si de tels passages lui étaient ouverts. L'exemple qu'on présente est malheureux ou plutôt misérable, comme le sont la plupart des contemplations de la philosophie vulgaire, toutes les fois qu'elles traite des faits particuliers. Voici ce qu'on dit : si l'on jette une feuille de papier allumé dans un verre et si l'on tourne sur-le-champ l'ouverture du verre sur un vase d'eau, l'eau monte. On en conclut qu'après que la flamme et l'air raréfié par la flamme, qui avaient occupé quelque espace, ont transpiré par les pores du vase, il faut qu'un corps quelconque les remplace. On cite aussi les ventouses, qui attirent les chairs. Quant à l'acte de l'eau et de la chair, ils ont parfaitement raison ; mais quant à la cause qui précède cet acte, ils sont dans une ignorance complète. Il n'y a pas, en effet, une émission de corps qui laisse un espace libre, il y a seulement contraction du corps. Le corps sur lequel la flamme tombe remplit un espace bien moindre que la flamme avant qu'elle ne fût éteinte. De là vient le vide qui demande un autre corps. Et cela se démontre d'une manière évidente par les ventouses ; car lorsqu'on veut les faire tirer avec plus de force, on les entoure d'éponges imbibées d'eau fraîche pour que l'air intérieur soit condensé par le froid et qu'il se comprime en un moindre espace. Qu'on cesse donc de se troubler et de se fatiguer le cerveau sur une aussi facile vaporisation des gaz; car les gaz d'odeurs, de goût et autres dont on est si avide, ne sortent pas toujours de leurs enclos, mais y restent confondus : c'est un fait démontré.