[2,0] lI. De l'égalité et de l'inégalité des atomes ou particules élémentaires. [2,1] Les découvertes et les préceptes de Pythagore furent tels en général, qu'ils étaient plus propres à fonder un ordre de religion qu'à ouvrir une école de philosophie, et c'est ce que l'expérience a démontré. Cette doctrine trouva plus de croyance et de développements dans l'hérésie des manichéens et la superstition de Mahomet que parmi les philosophes. Cependant son opinion, que le monde repose sur les nombres, peut être admise en ce sens qu'elle remonte aux principes de la nature. Il y a, et l'on peut réellement admettre deux hypothèses sur les atomes ou les éléments des choses; l'une, celle de Démocrite, attribue aux atomes l'inégalité et la forme, et par la forme la situation; l'autre, celle de Pythagore, affirme que toutes les molécules élémentaires sont égales et semblables. Car celui qui reconnaît l'égalité des atomes, pose nécessairement en principe que tout consiste dans les nombres; celui, au contraire, qui admet les autres attributs, considère en particulier la nature primitive des atomes outre les nombres ou moyens de contact. A cette question spéculative, nous répondrons par une question active, qui peut la déterminer; nous la tirons de Démocrite: "Tout peut-il se faire de tout?" L'ayant considérée comme contraire à la raison, il traita de la différence des atomes. Quant à nous, la question nous semble mal présentée, et n'infirmer en rien la première, si on le comprend sous le rapport de la transmutation immédiate des corps. Mais posons-la ainsi : tout ne passe-t-il pas par des détours déterminés et des mutations intermédiaires? Telle est la véritable question. Nul doute, en effet, que les éléments des choses, bien qu'ils soient semblables, quand ils se sont une fois réunis et enchaînés étroitement, admettent toutes les propriétés de corps dissemblables, jusqu'à ce qu'ils se soient délivrés de ces mêmes combinaisons et de cet enchaînement; d'où il résulte que la nature et les propriétés des corps composés ne présentent pas moins d'obstacle ni d'empêchement à leur transmutation immédiate que celles des corps simples. Mais Démocrite, qui se montre si habile dans ses investigations des principes des corps, est tout-à-fait au-dessous de lui-même et dans une erreur continuelle, dans son analyse des principes des mouvements ; et c'est un défaut où sont tombés tous les philosophes. Quant à l'utilité de la recherche dont nous parlons, sur le premier état des éléments ou des atomes, nous ne savons pas si ce n'est pas tout-à-fait la plus importante; car elle règle d'une manière parfaite l'acte et la puissance, et modère véritablement l'imagination et les oeuvres. Il en découle aussi une autre recherche, dont l'utilité a moins de portée, mais qui s'applique plus spécialement aux choses et aux faits. Nous voulons parler de celle qui a rapport à la séparation et à l'altération, c'est-à-dire à ce qui se fait par la séparation et par d'autres moyens. Il y a, en effet, une erreur assez commune parmi les hommes, qui s'est encore beaucoup accrue par le système des chimistes, savoir qu'il faut attribuer à la séparation tout ce qui tend à se désagréger. Par exemple, quand l'eau se vaporise, on croira volontiers que la partie rare s'échappe et que la partie dense subsiste ; on peut voir ce phénomène opérer dans le bois, où une partie s'envole en flamme et en fumée, et où une autre se réduit en cendres. On pourra penser que le même fait s'opère aussi dans l'eau, quoiqu'il ne se présente pas avec autant d'évidence; car bien que tout un volume d'eau semble parfois entrer en ébullition et se vaporiser, certaine lie, cependant, semblable à la cendre, peut rester adhérente au vase. Mais c'est une apparence qui trompe l'esprit. Il est, en effet, indubitable que tout un volume d'eau peut se changer en fluide aériforme; et si quelque particule reste adhérente au vase, ce n'est pas par différence de propriété et séparation de la partie dense qu'il en arrive ainsi, mais sans doute parce qu'une partie, bien que d'une substance entièrement semblable à celle qui se vaporise, s'est trouvée toucher le vase. L'expérience nous en fournit un exemple dans le vif argent, qui peut se voIatiliser tout entier et se condenser de nouveau, sans ta moindre diminution de volume. C'est ainsi que l'huile des lampes et le suif des chandelles, tout le corps gras se volatilise, sans qu'il en résuite aucune incinération; car la fumée se produit après la flamme et non avant la flamme; c'est le cadavre, en quelque sorte, de la flamme, et non le résidu du suif et de l'huile. Ces faits nous offrent un argument pour combattre l'opinion de Démocrite sur la différence des éléments ou des atomes; argument irrécusable quant au rapport physique; car, quant aux préjugés, il est beaucoup trop simple et trop faible, parce que la philosophie vulgaire applique sa matière mensongère d'une manière égale et commune à tous les corps.