[7,0] LIVRE SEPTIÈME. [7,1] I. De quelle manière Chrysippe réfutait ceux qui niaient l'existence de la Providence. Ceux qui nient que le monde ait été créé pour Dieu et pour les hommes, et que les choses d'ici-bas soient gouvernées par la Providence, croient mettre en avant un argument bien fort lors qu'ils disent : « S'il y avait une Providence, le mal n'existerait pas. Rien, en effet, ajoutent-ils, n'est moins en harmonie avec l'action d'une Providence que ce nombre infini de souffrances et de maux répandus dans ce monde, si, comme on le dit, il a été fait pour l'homme. » Chrysippe, en réfutant cette doctrine dans le quatrième livre de son traité sur la Providence, dit : « Rien n'est plus absurde que l'opinion de ces hommes qui croient que le bien peut exister sans le mal : car le bien étant le contraire du mal, il faut qu'ils existent ensemble, opposés l'un à l'autre, et appuyés, pour ainsi dire, sur leur mutuel contraste. Deux contraires, en effet, ne peuvent exister l'un sans l'autre, Ainsi, comment pourrions-nous avoir la notion de la justice, si l'injustice n'existait pas ? En d'autres termes : Qu'est-ce que la justice, en l'absence de l'injustice ? comment pourrions-nous comprendre le courage, si nous ne lui opposions la lâcheté ? la tempérance sans son contraire, l'intempérance ? la prudence, sans l'imprudence ? Pourquoi, ajoute Chrysippe, ces hommes insensés ne désirent-ils pas aussi que la vérité existe sans le mensonge ? Donc, ici-bas le bien et le mal, le bonheur et le malheur, la douleur et le plaisir sont inséparables l'un et l'autre, comme le dit Platon, sont liés étroitement par des extrémités contraires : on ne peut détruire l'un sans détruire en même temps l'autre » Dans le même livre, Chrysippe discute et examine cette question qui lui paraît digne d'attention : « Si les maladies qui attaquent l'homme sont inhérentes à sa nature, » c'est-à-dire si c'est la puissance appelée nature des choses ou Providence, puissance ordonnatrice de l'ensemble de l'univers et créatrice de l'homme, qui a produit les maladies, les infirmités, les souffrances dont l'homme est assiégé. Or, Chrysippe pense que le but principal de la nature n'a pas été d'assujettir l'homme à la maladie ; car un tel dessein ne pouvait convenir à la nature, auteur et mère de toutes bonnes choses. « Mais en créant, dit-il, en formant une abondance de chaos grandes, utiles, avantageuses, elle produisit, sans le vouloir, des maux inévitables inhérents aux avantages dont elle dotait l'espèce humaine ; maux qu'elle n'a point voulu créer, mais sont une conséquence nécessaire, un accompagnement fatal, ce que Chrysippe appelle g-kata g-parakolouthesin, selon la conséquence. » Ainsi, dit-il, lorsque la nature forma le corps humain, une raison supérieure, des vues bienfaisantes l'engagèrent à former notre tête avec des os très minces et très délicats. Mais elle ne put remplir la grandeur de ses desseins en faveur de l'homme sans qu'il s'ensuivit un danger à l'extérieur : la tête, préservée que par une faible cloison, peut être endommagée par un choc, par la moindre atteinte. Ainsi les maladies et les souffrances qui atteignant l'homme sont toujours le résultat des plus tendres précautions de la nature. De même, par Hercule, ajoute Chrysippe, tandis que la nature met dans l'homme l'amour de la vertu, les vices viennent germer à côté, par l'affinité des contraires. » [7,2] II. De quelle manière, tout en reconnaissant la puissance et la nécessité du destin, Chrysippe prouve la liberté de l'homme dans ses desseins et dans ses jugements. Le destin, que les Grecs appellent g-heimarmene est à peu près ainsi défini par Chrysippe, le prince de la philosophie stoïcienne : « Le destin, dit-il, est l'enchaînement éternel et inévitable des choses dont la chaîne immense se déroule d'elle-même à travers la série infinie des conséquences, qui sont les anneaux dont elle est formée. » J'ai cité ici, autant que me l'a permis ma mémoire les paroles même de Chrysippe, afin que si mon interprétation parait peu lucide, on puisse avoir recours au texte du philosophe. Dans le quatrième livre de son traité sur la Providence, il dit : « Le destin est l'enchaînement naturel de toutes choses dérivant éternellement les unes des autres, et se succédant d'après un ordre toujours invariable dans l'immensité du temps. » Mais les chefs des autres écoles reprennent cette définition : « Si Chrysippe, disent-ils, pense que tout est mû et régi par le destin, et qu'on ne peut se dérober à son action ni déranger son cours, on ne doit plus voir et punir avec indignation les fautes et les délits ; on ne peut plus rendre l'homme responsable de ses actes, qu'il faut dès lors attribuer à l'impulsion irrésistible, à la puissance du destin, qui devient ainsi l'arbitre et la cause de tous les événements. Les châtiments infligés par les lois aux coupables sont iniques, si les hommes ne commettent pas de fautes librement, s'ils sont poussés au crime par le destin. » Chrysippe répond à cette objection avec finesse et subtilité. Cependant tout ce qu'il a écrit sur cette matière peut se résumer ainsi : « Bien que, dit-il, toutes choses soient nécessairement soumises, subordonnées au destin par une loi souveraine, néanmoins l'esprit et le cœur de l'homme ne sont les esclaves de la fatalité que d'après la caractère et les qualités de chacun. En effet, si la nature, on les créant, a doué les hommes de qualités bonnes et utiles, toute cette puissance qui émane du destin deviendra douce et inoffensive, en passant par notre âme. Si les hommes, au contraire, sont sauvages, ignorants, grossiers, s'ils ne portent en eux le germe d'aucune bonne qualité pour lutter contre leurs mauvais instincts, vous les verrez succomber aux attaques du destin, qu'elles soient puissantes ou non, vous les verrez, obéissant à leur férocité, écoutant la voix de leurs passions, se précipiter dans de continuels désordres, et adopter toutes les erreurs. Cela même est amené par cet enchaînement naturel et nécessaire que l'en appelle destin. C'est même une fatalité attachée à la nature d'un mauvais cœur, de l'abandonner aux dérèglements et au mal. » Ensuite Chrysippe, pour confirmer son opinion, se sert d'une comparaison qui ne manque ni d'à-propos, ni d'esprit : « Si vous lancez, dit-il, une pierre de forme cylindrique sur un plan fortement incliné, vous communiquerez à la pierre son mouvement, son impulsion : bientôt cependant la pierre roule avec rapidité ; elle n'obéit plus à votre main, mais à sa forme et à sa volubilité. Ainsi l'ordre, et ici, la nécessité du destin mettent en mouvement les causes et les principes de toutes choses ; mais la volonté, les affections particulières de l'homme modèrent l'impétuosité de nos projets, de nos esprits, et président à nos actions. » Chrysippe ajoute en suite ces paroles qui viennent donner plus de force à son opinion : « C'est pourquoi les pythagoriciens ont adopté cette maxime : "Sachez que les hommes ne doivent s'en prendre qu'à eux-mêmes pour leurs maux". Ils pensaient, en effet, que chacun est l'auteur de ses maux, et que c'est par notre propre mouvement et par notre détermination que nous devenons le jouet de l'erreur, que nous tombons dans le vice et dans la misère, qui en sont la conséquence. « C'est pourquoi, reprend ce philosophe, n'écoutez pas ces hommes pervers, lâches et criminels, qui, convaincus de fautes et de crimes, se réfugient dans la fatalité comme dans un asile sacré et soutiennent qu'il faut attribuer leurs mauvaises actions, non à une erreur volontaire de leur part, mais au destin. Le plus ancien et le plus sage des poètes exprime le premier cette pensée dans les vers suivants : Eh quoi ! les mortels accusent les dieux ! c'est nous, disent-ils, qui leur envoyons les maux ! que ne s'accusent-ils eux-mêmes car ils sont les victimes de leur propre folie ? M. Cicéron, dans son traité du Destin, avoue que cette question lui paraissait très obscure et très embrouillée, et que le philosophe Chrysippe lui-même n'a pu s'en tirer, Voici le passage : « Chrysippe s'épuise, sue sang et eau pour nous faire comprendre que nous avons en nous le libre arbitre, quoique soumis au destin ; mais il ne fait que s'embarrasser dans ses raisonnements. » [7,3] III. Récit tiré des livres de Tubéron, sur un serpent d'une grandeur prodigieuse. Tubéron raconte dans ses histoires que, pendant la première guerre punique, le consul Attilius Régulus, campé en Afrique sur les bords du fleuve Bagrada, eut à soutenir un combat long et opiniâtre contre un serpent d'une grandeur prodigieuse, qui avait son repaire dans cet endroit. L'armée tout entière lutta contre le monstre, et on fut obligé d'avoir recours aux ballastes et aux catapultes. Enfin le serpent fut tué, et sa dépouille, qui avait cent vingt pieds de long, fut envoyée à Rome par Régulus. [7,4] IV. Fait curieux de la captivité d'Attilius Régulus à Carthage, raconté par le même Tubéron. Ce que dit Tuditanus du même Régulus. J'ai lu tout récemment, dans les ouvrages de Tuditanus, le fait suivant tiré de la vie d'Attilius Régulus, fait qui d'ailleurs est assez connu. Cet historien raconte que Régulus, après avoirs conseillé au sénat de refuser l'échange des prisonniers avec les Carthaginois, ajouta que les Carthaginois lui avaient fait prendre un poison lent, de telle sorte qu'il pût prolonger son existence jusqu'à ce que l'échange ait eu lieu, et qu'ensuite le progrès insensible du poison le fit mourir. Tubéron, dans l'histoire déjà citée plus haut, rapporte que Régulus, de retour à Carthage, souffrit des tortures inouïes : « Les Carthaginois, dit-il, l'enfermaient dans des cachots profonds et ténébreux ; puis, lorsque le soleil était le plus ardent, ils le faisaient sortir aussitôt, le plaçaient en face des rayons, et le forçaient à lever la tête pour regarder le ciel, et, pour l'empêcher de fermer les paupières, ils les cousaient en haut et en bas. Tuditanus rapporte qu'on l'empêchait de dormir, et que la fatigue de l'insomnie causa sa mort. Lorsque cette nouvelle fut connue à Rome, le sénat livra les plus illustres d'entre les prisonniers carthaginois aux enfants de Régulus, qui les enfermèrent dans une armoire garnie de pointes de fer, où le supplice de l'insomnie termina aussi leur existence. [7,5] V. Le jurisconsulte Alfénus commit une erreur dans l'interprétation de quelques mots anciens. Le jurisconsulte Alfénus, élève de Servius Sulpicius, s'adonnait avec ardeur à l'étude des monuments anciens. Nous lisons dans le trente-quatrième livre de son Digeste et dans le deuxième de ses Conjectures : « Dans le traité conclu entre le peuple romain et les Carthaginois, il se trouve une clause qui porte que les Carthaginois payeront aux Romains, tous les ans, une certaine quantité d'argent pur, "argenti puri puti". On me demanda un jour ce que signifiaient ces mots "purum putum". Je répondis que "purum putum" signifie très pur ; que c'est ainsi que nous disons "nouum nouicium", et "proprium propicium", pour donner un sens plus large et plus étendu aux mots "nouum" et "proprium". » Quand je lus ce passage, je m'étonnai qu'Alfénus établit le même rapport entre "purum" et "putum" qu'entre "nouum" et "nouicium" : car pour que ce rapport fût juste, il faudrait que l'on pût dire "propicium" pour "purum", comme, on dit "nouicium" pour "nouum". Il est étonnant aussi qu'Alfénus ait donné à "nouicium" un sens augmentatif ; car "nouicium" ne signifie pas ce qui est plus récent : c'est un dérivé de "nouus" qui a le même sens. Je partage donc l'avis de ceux qui pensent que "putum" dérive de "putare", et qui pour cette raison abrègent la première syllabe de ce mot, au lieu de la prononcer longue, comme le veut Alfénus, qui fait dériver "putum" de "purum". Or, "putare" chez les anciens, signifie ôter, couper, retrancher d'une chose ce qui est surabondant, nuisible ou étranger, et laisser ce qui est utile, ou qui ne peut causer aucun dommage. Par exemple, "putare arbores et uites", "putare rationes", tailler las arbres et les vignes, apurer les comptes : le verbe "putare", je pense, lui-même, dont nous nous servons lorsque nous émettons une opinion, ne signifie rien autre chose sinon que, dans une affaire douteuse et obscure après avoir écarté, éloigné les fausses idées, nous conservons ce qui nous paraît vrai, juste, raisonnable. Ainsi, dans le traité carthaginois, le mot "putum" qui accompagne "argentum" est employé dans le sens de "exputatum", c'est-à-dire un argent affiné sans alliage, qui n'est point altéré par une matière étrangère, un argent pur de tout défaut. Au reste, on trouve "purum putum", non seulement dans le texte du traité carthaginois, mais encore dans beaucoup de livres anciens, par exemple, dans une tragédie de Q. Ennius, qui a pour titre Alexandre, et dans une satire de M. Varron, intitulée les Vieillards deux fois enfants. [7,6] VI. Que Julius Hygin a commis une erreur grossière en reprochant à Virgile d'avoir appliqué aux ailes de Dédale l'épithète de "praepetes". Ce qu'on appelle "aues praepetes". Quels sont les oiseaux que Nigidus appelle "inferae". Dédale, si l'on en croit la renommée, fuyant, des lieux où régnait Minos, osa s'élever dans les airs, et, d'un vol heureux il dirigea sa course par des routes nouvelles vers l'Ourse glacée. Dans ces vers de Virgile, Hygin blâme l'emploi de "praepitibus pennis" comme une expression impropre et une marque d'ignorance. «En effet, dit-il, les augures désignent par "aues praepetes" les oiseaux qui traversent le ciel, devant eux, d'un vol favorable, et qui vont se poser dans les lieux d'un heureux présage. » Il conclut que Virgile a fort mal à propos employé un terme en usage dans la langue augurale, en parlant du vol de Dédale, qui n’a aucun rapport avec la science des augures. Mais Hygin s'est trompé grossièrement en croyant saisir le sens de "praepetes" mieux que Virgile, mieux que Cn. Matius, ce poète si érudit, qui, dans le second livre de son Iliade, donne à la Victoire l'épithète de "praepes". "Dum dat uincenti praepes Victoria palmam". Pourvu que la Victoire vienne, d'un vol favorable, lui décerner la palme. Pourquoi Hygin ne critique-t-il pas aussi Q. Ennius, qui, dans ses Annales, a employé "praepes", et non pas comme Virgile, en parlant du vol de Dédale, mais dans un cas bien différent; ... "Quid Brundusium pulchro praecinctum praepete portu"? Que dire de Brindes, entourée d'un port magnifique et assurée ! Si Hygin eût examiné la force et la valeur de ce mot, au lieu de s'en tenir d'une manière absolue au sens donné par les augures, il eût été plus indulgent pour les poètes qui ont pu à leur gré sans encourir aucun blâme, employer ce mot par comparaison et par métaphore. En effet, puisque l'on appelle "praepetes" non seulement les oiseaux dont le vol est favorable, mais encore les lieux où ils se posent, lieux d'heureux augure, Virgile a bien pu donner l'épithète de "praepetes" aux ailes de Dédale, dont l'essor l'avait porté d'un lieu où il avait à redouter des dangers, dans une contrée hospitalière et plus sûre. Les augures, du reste, emploient "praepes" en parlant des lieux. Dans le premier livre de ses Annales, Ennius a dit : "Praepetibus hilares sese pulchrisque locis dant". Joyeux, ils s'avancent dans cet heureux et aimable séjour. Dans le premier livre de son traité sur l'Augurat privé, Nigidius Figulus dit qu'on appelle "aues inferae" ceux qui volent en bas ; ils sont opposés aux "aues praepetes" : « L'oiseau qui vole à droite s'oppose à celui qui se montre à gauche ; l'oiseau appelé "praepes" s'oppose à l'oiseau désigné par l'épithète de "infera", qui rase la terre (et de mauvais augure), » D'où il est permis de conjecturer qu'on appelle "aues praepetes" ceux dont le vol est plus haut, puisque Nigidius les oppose aux oiseaux nommés "inferae". Lorsque, dans ma jeunesse, je fréquentais à Rome les écoles des grammairiens, j'entendis un jour Sulpicius Apollinaris, qui était celui dont les leçons avaient le plus d'attrait pour moi, répondre au préfet de Rome Érucius Clarus, pendant un entretien sur le droit augural, au sujet des "aues praepetes", que les oiseaux ainsi nommés paraissaient être ceux qui, chez Homère, sont désignés par l'épithète de g-panypterygas, aux ailes larges, parce que ces oiseaux qui attirent le plus l'attention des augures sont ceux qui ont les ailes larges, et qui occupent le plus d'espace en volant. En même temps Sulpicius nous cita ce passage d'Homère : Tu m'ordonnes de prendre pour guide les oiseaux qui déploient leurs ailes en traversant les airs. Que m'importe ! je me soucie peu de semblables présages. [7,7] VII. Sur Acca Larentia et Caïa Tarratia. De l'origine du sacerdoce des frères Arvales. Les noms d'Acca Larentia, de Caïa Tarratia ou Futétia, sont célèbres dans les anciennes annales. Ces deux femmes, la première après sa mort, la seconde de son vivant, reçurent du peuple les plus grands honneurs. Tarratia était consacrée au culte de Vesta, comme l'atteste la loi Horatia portée devant le peuple romain en sa faveur. Cette loi lui décerne les prérogatives les plus insignes, entre autres celle de témoigner ; d'être de toutes les femmes romaines, la seule qui fut "testabilis", qui eut droit de déposer en justice, comme le porte la loi Horatia. Ce mot est opposé à "intestabilis", qui ne peut être témoin, qui se trouve dans la loi des Douze Tables : "Improbus intestabilis esto", qu'il soit noté d'infamie, et ne puisse être témoin. En outre, à quarante ans elle voulait quitter le sacerdoce et se marier, on lui permettait de renoncer au culte de Vesta et de se choisir un mari pour la récompenser de ce qu'elle avait donné au peuple romain le champ du Tibre ou le champ de Mars. Quant à Acca Larentia, c'était une courtisane qui avait fait des gains immenses dans son commerce ; par testament, selon l'historien Antias, elle institua Romulus son héritier ; selon d'autres, le peuple romain. Pour montrer leur reconnaissance, les Romains décrétèrent qu'un sacrifice aux frais de l'Etat lui serait offert par le flamine Quirinal ; que dans les fastes un jour lui serait consacré. Mais Sabinus Massurius, dans le premier livre de ses Mémoires, adoptant l'opinion de quelques historiens, prétend qu'Acca Larentia fut la nourrice de Romulus : « Cette femme, dit Sabinus, mère de douze fils, en perdit un, dont Romulus prit la place, et fut nourri par Acca ; dans la suite, Romulus donna à ses frères le nom de frères Arvales, et prit ce nom lui-même. Telle est l'origine du collège des frères Arvales, composé de douze pontifes. Les insignes de ce sacerdoce sont une couronne d'épis et des bandelettes blanches. » [7,8] VIII. Faits curieux sur le roi Alexandre et sur P. Scipion. Le Grec Apion, surnommé Plistonicès avait un style vif et facile. Il dit, en faisant l'éloge d'Alexandre : « Ce prince défendit qu'on amenât en sa présence la femme de l'ennemi qu'il venait de vaincre, et cette femme était d'une beauté remarquable, pour éviter à sa pudeur même l'affront d'un regard » Il me semble à ce sujet, que ce serait une belle question à traiter, de savoir lequel des deux a été le plus chaste, de P. Scipion qui, après la prise de Carthagène, ville importante d'Espagne, rendit intacte et pure à son père une jeune fille nubile, d'une grande beauté et d'une illustre naissance, qui avait été conduite dans la tente du général ou du roi Alexandre, qui, après une grande victoire défendit qu'on lui présentât la sœur et l'épouse de Darius, tombée en son pouvoir, et dont il avait entendu vanter la beauté. C'est un petit sujet de déclamation sur Alexandre et sur Scipion que nous laissons à ceux qui ont assez d'esprit, de temps et de facilité de style pour le traiter convenablement. Nous nous contenterons de remarquer que, d'après les chroniqueurs de l'époque (à tort ou à raison, c'est ce que nous ignorons), Scipion dans sa jeunesse, ne jouissait pas d'une excellente réputation ; il est probable que ces vers du poète Cn. Naevius ont été écrits contre lui : "L'homme dont le bras a fait tant de grandes choses, dont les exploits vivent encore dans la mémoire des Romains, qui fixe les regards des nations, jadis fut ramenée par son père de la maison d'une courtisane, avec un manteau pour tout vêtement". Ce sont probablement ces vers qui ont porté Valerius Antias à contredire l'opinion de tous les autres écrivains sur les moeurs de Scipion, car il dit que la jeune captive dont nous venons de parler, loin d'avoir été rendue à son père, fut retenue par Scipion, et qu'il la fit servir à ses plaisirs et à ses amours. [7,9] IX. Piquante anecdote tirée des Annales de L. Pison. Dans le troisième livre de ses Annales L. Pison raconte, dans un style élégant et pur, une anecdote assez piquante sur Cn. Flavius , fils d'un affranchi, édile curule. Je reproduis en entier ce passage des Annales de Pison : « Cn. Flavius, fils d'un affranchi remplissait les fonctions de greffier; étant en cette qualité attaché à l'édile curule à l'époque où ces magistrats sont réélus. Il fut nommé lui-même à cette charge par la tribu appelée, la première à donner son suffrage. Mais l'édile qui présidait les comices refuse de le reconnaître, et déclare qu'il ne souffrira pas qu'un greffier parvienne à l'édilité curule. Alors Flavius, fils d'Annius, pose ses tablettes, renonce à sa charge de greffier, et se fait reconnaître comme édile. Le même Cn. Flavius, fils d'Annius, alla, dit-on, quelque temps après, visiter son collègue qui était malade. Etant entré dans sa chambre où se trouvaient placés plusieurs jeunes gens des premières familles de Rome, aucun de ces jeunes patriciens, par mépris pour lui, ne voulut se lever. L'édile Cn. Flavius, fils d'Annius, en rit. Il se fait apporter la chaise curule, la met sur le seuil de la porte, et se place en travers du passage pour qu'aucun d'eux ne puisse sortir, et que tous soient forcés de le voir assis sur son siège de magistrat. [7,10] X. Anecdote sur Euclide la Socratique, que Taurus citait a ses élèves pour les exciter à se livrer avec ardeur à l'étude de la philosophie. Le philosophe Taurus, illustre platonicien de nos jours citait à ses élèves, pour les exhorter à l'étude de la philosophie, un grand nombre d'exemples bons et salutaires pour enflammer leur ardeur, il aimait surtout à raconter ce trait d'Euclide, disciple de Socrate : « Les Athéniens, dit-il, avaient décrété que si un citoyen de Mégare mettait les pieds dans Athènes, il subirait la peine capitale ; tant était grande, ajoute-t-il, la haine des Athéniens contre leurs voisins les Mégariens ! Cependant Euclide, qui était de Mégare, et qui avant le décret avait coutume de séjourner à Athènes pour assister aux leçons de Socrate, ne se laissa pas effrayer par l'arrêté des Athéniens. Vers le soir, à l'entrée de la nuit, il prenait une tunique de femme, un manteau de différentes couleurs, et, la tête couverte d'un voile il se rendait de Mégare à Athènes pour pouvoir, pendant une partie de la nuit, écouter les leçons de Socrate et jouir de son entretien. Au point du jour, caché sous le même vêtement, il disparaissait et faisait plus de vingt mille pas pour retourner à Mégare, Mais aujourd'hui, continue-t-il, on voit les philosophes courir aux portes des fils de famille pour leur donner des leçons, et là rester assis, attendant jusqu'à midi, que leurs disciples aient cuvé le vin de la nuit. » [7,11] XI. Passage d'un discours de Q. Metellus Numidicus, que l'on cite à cause de la leçon de modération et de gravité qu'il contient. Ne cherchons point à faire assaut d'injures avec des adversaires méprisables, n'engageons jamais de lutte de sarcasmes et d'outrages avec des gens sans pudeur et sans moralité ; ce serait nous rabaisser, pour ainsi dire, à leur niveau en agissant et parlant comme eux. Nous trouvons cette règle de conduite enseignée non seulement dans un discours de Q. Metellus Numidicus homme d'une grande sagesse, mais encore dans les livres et dans les enseignements des philosophes. Voici les paroles de Métellus, elles sont tirées d'un discours qu'il prononça contre Cn. Manlius, tribun du peuple, qui, dans une assemblée du peuple, l'avait poursuivi de propos injurieux et grossiers: « Quant à ce qui concerne cet homme, Romains, il croit peut-être qu'il grandira on se déclarant mon ennemi ; mais je brave sa haine, comme je repousse son amitié. Voilà tout ce que j'ai à lui répondre ; à mon avis, il est aussi indigne de recevoir les éloges des hommes de bien, qu'il le serait d'essuyer leurs reproches. Parler d'un homme de cette espèce dans un temps où on ne peut le punir, c'est lui faire plus d'honneur que d'affront. » [7,12] XII. Que Servius Sulplcius et C. Trebatius se sont trompés en disant : le premier, que "testamentum", le second, que "sacellum", sont des mots composés. Que "testamentum" dérive de "testatio", que "sacellum" est un diminutif de "sacrum". Servius Sulplcius, le jurisconsulte le plus éclairé de son temps avance dans le second livre de son traité sur l'Abolition des sacrifices privés, en s'appuyant je ne sais sur quelle raison, que "testamentum", testament est un mot composé, et il le fait dériver de "mentis contestatio", témoignage de l'âme. Que seront alors los mots "calceamentum, paludamentum, pauimentum, uestimentum", chaussure, manteau des généraux, carrelage, vêtement, et tant d'autres substantifs dont la terminaison est semblablement allongée ? Dirons-nous qu'ils sont tous composés ? Cette opinion, qu'elle soit de Servius ou de tout autre, est erronée, toutefois, il faut avouer qu'elle est spécieuse et qu'elle offre quelque chose de satisfaisant à l'esprit. C. Trebatius a été trompé au sujet d'un autre mot par une régularité apparente du genre. Dans le livre second de son traité sur les Religions, il dit : « Ce qu'on appelle "sacellum" est une petite enceinte consacrée à un dieu et renfermant un autel. » Et il ajoute : « Je pense que "sacellum" est composé des deux mots "sacer", sacré et "cella", réduit ; ce qui équivaut à "sacra cella". » Telle est l'opinion de Trébatius. Mais qui ignore que "sacellum" est un mot simple, que loin d'être un composé de "sacer" et de "cella", il est tout simplement un diminutif de "sacer" ? [7,13] XIII. Des questions appelées Symposiaques, sur lesquelles on discutait à la table du philosophe Taurus. Les amis intimes du philosophe Taurus qui fréquentaient sa maison à Athènes, s'étaient, pour ainsi dire, imposé une loi qu'ils observaient rigoureusement. Lorsqu'il nous invitait à dîner chez lui, pour ne pas venir, comme on dit, les mains vides et sans avoir de quoi payer son écot, nous apportions chacun non des mets recherchés, mais quelques questions ingénieuses à discuter. Chacun de nous arrivait avec sa provision faite d'avance et vers la fin du repas, on commençait à discuter. Les sujets que l'on traitait n'étaient ni bien graves ni bien sérieux ; c'étaient des questions, g-enthymematia, fines et amusantes propres à stimuler les esprits déjà égayés par les vapeurs du vin. Voici, par exemple, en quoi consistaient assez ordinairement ces subtilités divertissantes. On demanda un jour : quand peut-on dire qu'un homme meurt : est-ce lorsqu'il a rendu le dernier soupir, où lorsqu'il vit encore ? Quand peut-on dire que quelqu'un se lève ? est-ce lorsqu'il est déjà levé, ou lorsqu'il est encore assis ? Quand peut-on dire qu'un homme qui apprend un état est ouvrier ? est-ce pendant ou après l'apprentissage ? De quelque manière que l'on réponde, la réponse est absurde et ridicule ; elle le sera bien davantage encore si l'on admet que la chose puisse se faire dans les deux cas, ou si l'on nie qu'elle ait lieu dans l'un ou dans l'autre. Quelques-uns de nous s'étant avisés de dire que c'étaient des subtilités futiles et inutiles, des pièges de sophistes : « Gardez-vous bien, répliqua Taurus, de dédaigner ces questions comme des puérilités sans but utile ; les philosophes les plus graves les ont traitées avec la plus grande attention : les uns ont pensé que le mot mourir doit s'appliquer au moment où l'homme respire encore ; d'autres, quand l'être a cessé de respirer, et que, déjà, il appartient tout entier à la mort. Il en est de même pour les autres questions du même genre. Il ont différé sur l'instant qu'il faut déterminer, et ont émis des opinions différentes. » Platon n'accorde ces derniers moments de l'être ni à la mort ni à la vie ; il répond de même à toutes les questions du même genre. Voyant que dans les deux cas on est en contradiction avec soi-même, et que de deux contraires l'un ne peut être admissible sans que l'autre cesse à l'instant d'exister ; que toute la différence résulte du rapprochement de deux mots qui se repoussent, la vie et la mort. Il regarde comme un état intermédiaire les derniers moments de l'homme : c'est cet état qu'il désigne si bien par ces mots g-ten g-exaiphnes g-physin, la nature instantanée. Vous trouverez cette opinion telle que je vous l'expose, dans son Parménide : « Ce que l'on appelle instantané, dit Platon, semble désigner le passage de l'une de ses manières d'être à une autre. » Tel était l'écot que chacun payait à la table de Taurus ; telles étaient, comme il avait coutume de dire lui-même, les friandises du dessert. [7,14] XIV. Que les philosophes distinguent trois manières de punir. Pourquoi Platon n'en admet que deux. On a pensé qu'il devait exister trois sortes de punitions pour les diverses fautes que commettent les hommes. La première, qu'on nomme g-kolasis, blâme, ou g-nouthesia, punition, ou g-paradeigma, leçon, s'emploie quand on corrige, qu'on châtie celui qui a failli par imprudence, pour le rendre soit à l'avenir plus attentif à son devoir et plus soigneux de le remplir. La seconde, nommée g-nouthesia, châtiment, par ceux qui se sont appliqués à faire cette distinction avec le plus de soin, a pour but de protéger la dignité et l'autorité de l'homme offensé, de peur que l'impunité n'expose au mépris le citoyen qui a reçu une injure et ne porte atteinte à son honneur. C'est pourquoi l'on pense que ce mot tire son origine de l'honneur g-timorian; qu'il maintient et conserve. La troisième, que les Grecs appellent g-paradeigma; exemple est celle que commande la nécessité de faire un exemple qui puisse empêcher par la crainte d'un châtiment connu le retour de fautes qu'il est de l'intérêt de la société de prévenir. C'est pourquoi nos ancêtres désignaient par "exempla", exemple, les châtiments les plus sévères et les plus rigoureux. Mais a-t-on l'espoir que le coupable se corrige sans être châtié, sans avoir besoin de punition ; craint-on, au contraire, qu'il ne puisse ni se corriger ni s'amender ; n'a-t-on rien à craindre pour l'honneur de celui qui a été offensé ; la faute n'est-elle pas de celles qui rendent nécessaire l'application d'un châtiment rigoureux : alors il n'y point de motif suffisant poux infliger une peine. Presque tous les philosophes, en plusieurs endroits de leurs écrits, et parmi eux, Taurus mon maître, dans le premier livre de ses commentaires sur le Gorgias de Platon, ont admis ces trois manières de punir. Mais Platon déclare ouvertement qu'il n'en admet que deux : la première, celle qu'on emploie pour corriger, et la troisième, celle qui a pour but d'intimider par l'exemple. Voici un passage du Gorgias où Platon fait cette distinction : « Or, ce qui convient à tout être soumis au châtiment par un juge qui sait l'appliquer avec justice, c'est de devenir meilleur et de retirer ainsi quelque utilité de sa peine, ou de servir au moins d'exemple aux autres, afin qu'étant témoins de ce qu'il souffre la crainte d'un sort pareil les rende plus sages. » Il est facile de voir que Platon ne prend pas ici sa dans le sens restreint que lui donnent quelques philosophes et que je viens de faire connaître, mais dans un sens général, celui de punition. A-t-il omis le second genre de peine, celui qui a pour but de mettre à couvert la dignité de l'offensé, parce qu'il le regardait comme de peu d'importance et ne méritant pas une discussion spéciale ; ou ne voyait-il pas la nécessité de s'en occuper dans un sujet où il ne s'agit pas des châtiments infligés ici-bas par les hommes à leurs semblables, mais des tourments d'une autre vie ? C'est un point que je ne cherche pas à éclaircir. [7,15] XV. Si la lettre "e" est longue ou brève dans "quiesco". Un de mes amis homme de beaucoup de goût, très versé dans la connaissance des belles-lettres se servant un jour, dans la conversation, du mot "quiescit", il se repose, prononça brève, comme on le fait d'ordinaire, la lettre "e". Mais un autre de mes amis, homme d'une prodigieuse érudition, et qui, dans son langage, ne pouvait supporter de s'asservir aux règles communes, déclara que cette prononciation était barbare, parce que l'e n'était pas bref mais long. Il dit qu'il fallait prononcer "quiescit", il se repose, comme "calescit, nitescit, stupescit", il s'échauffe, il devient brillant, il s'étonne, et autres mots semblables. Il ajouta que dans "quies", repos, l'e est long et non bref. L'autre, esprit sage et modéré en toutes choses, répondit que quand même les Elius, les Cincius, les Santra, auraient adopté cette prononciation, il n'en persisterait pas moins à obéir aux usages constants de la langue latine; qu'il ne poussait pas l'amour de l'originalité jusqu'à parler d'une manière ridicule et bizarre. Il s'est amusé dans ses studieux loisirs a écrire une lettre sur ce sujet. Il fait voir que "quiesco", je me repose, diffère des mots que j'ai cités, qu'il ne dérive pas de "quies", repos, mais qu'il en est plutôt la racine ; il montre que ce verbe tire son origine du mot grec {-} ou d'après le dialecte ionien, {-}, j'avais qui vient du verbe {-} ou {-}, j'ai, je possède ; et, par des raisons très plausibles, il prouve que dans "quiesco", je me repose, l'e ne doit pas se prononcer long. [7,16] XVI. Sur un mot fort connu, deprecor, employé par le poète Catulle dans un sens assez rare, mais conforme à la langue. Valeur de ce mot. Exemples tirés des écrivains anciens. Un de ces hommes qui, après une étude rapide et superficielle de la langue, se donnent le titre d'hommes éloquents, et qui, le plus souvent, ne connaissent pas le véritable sens des mots, nous amusa beaucoup un soir que nous nous promenions dans le Lycée. Notre homme nous citait des vers de Catulle, où ce poète emploie le mot "deprecor" en lui donnant une signification peut-être un peu trop savante. Ne comprenant pas la pensée du poète, il trouvait ces vers très froids, et cependant ce sont peut-être les plus beaux de l'auteur. Les voici : "Lesbia mi dicit semper male nec tacet umquam de me: Lesbia me dispeream nisi amat. quo signo ? quia sunt totidem mea : deprecor illam assidue, verum dispeream nisi amo". Lesbie ne fait que dire du mal de moi, et ne tarit pas sur mon compte. Que je meure, si Lesbie ne m'aime pas. Quelle preuve en ai-je ? C'est que moi-même je ne cesse de la maudire ; mais que je meure, si je ne l'aime ! Notre homme croyait bonnement que "deprecor" était pris dans le sens que lui donne le vulgaire ; qu'il était le synonyme de "precari, orare, supplicare", prier, précédé de la préposition de pour donner plus de force et d'énergie. S'il on était ainsi, ces vers seraient assurément très froids ; mais c'est tout le contraire : la préposition "de" prend avec ce verbe des significations diverses. Par exemple, dans ce passage de Catulle, "deprecari" signifie maudire, éloigner les imprécations de sa tête, les renvoyer d'où elles viennent ; mais ce même mot a une signification tout autre dans cette phrase du discours de Cicéron pour P. Sylla : "Quam multorum hic uitamst a Sulla deprecatus", de combien d'hommes n'a-t-il pas obtenu la grâce auprès de Sylla. De même dans la discussion de la loi agraire : "Si quid deliquero, nullae sunt imagines, quae me a uobis deprecentur", si je me rends coupable, je n'ai point d'ancêtres qui puissent me faire obtenir mon pardon. Mais Catulle n'est pas le seul qui ait donné ce sens au mot de "precor" ; on en pourrait tirer beaucoup d'exemples des auteurs anciens ; on voici quelques-uns que j'ai recueillis : Q. Ennius, dans son Érechthée, emploie "deprecor" à peu près dans le même sens que Catulle : "Quibus nunc aerumna mea libertatem paro, quibus seruitutem mea miseria deprecor" : Ceux qui doivent leur liberté à mes malheurs ; ceux de qui j'éloigne la servitude par mon infortune. Ici "deprecor" signifie j'éloigne, j'écarte, soit par des prières, soit, par tout autre moyen. Et Ennius dans son Cresphonte : "ego cum meae uitae parcam, letum inimico deprecor". Pour sauver mes jours, j'éloigne le trépas de mon ennemi. Cicéron, dans le sixième livre de la République : "Quod quidem eo fuit maius, quia, cum causa pari collegae essent, non modo inuidia pari non erant, sed etiam Claudi inuidiam Gracchi caritas deprecabatur", action d'autant plus honorable, que les deux collègues, dans une cause pareille, n'étaient point jugés de même par le peuple, et que Gracchus semblait faire à Claudius, moins envié que lui, un rempart de sa popularité. Ici "deprecabatur" n'a pas le sens de supplier ; Cicéron lui donne la signification de repousser, d'écarter la haine. C'est alors à peu près le sens que les Grecs donnent au mot g-paraiteisthai, j'écarte. Nous trouvons encore un exemple dans le plaidoyer de Cicéron pour A. Cecina : "Quid huic homini facias? nonne concedas interdum, ut excusatione summae stultitiae summae improbitatis odium deprecetur"?, que dire cet homme ? ne lui permettrons-nous pas de s'avouer le plus extravagant des hommes, pour se défendre d'en être le plus perfidie ? Le même écrivain a dit dans le premier livre de sa seconde action contre Verrès: "Nunc uero quid faciat Hortensius? auaritiaene crimina frugalitatis laudibus deprecetur? At hominem flagitiosissimum, libidinosissimum nequissimumque defendit", maintenant que fera Hortensius ? Encensera-t-il les excès de son avarice en faisant l'éloge de sa tempérance? Pourra-t-il défendre, par ce moyen, le plus infâme, le plus débauché, le plus pervers de tous les hommes ? Ainsi Catulle dit qu'il fait ce que fait Lesbie ; il la maudit, il la déteste, il lui renvoie à chaque instant les imprécations qu'elle fait contre lui, et cependant il l'aime éperdument ! [7,17] XVII. Quel fut celui qui lu premier établit une bibliothèque publique. Quel était le nombre de livres des bibliothèques publiques d'Athènes avant l'invasion des Perses. Le tyran Pisistrate fut le premier, dit-on, qui fonda à Athènes une bibliothèque publique, après avoir réuni un assez grand nombre d'ouvrages littéraires et scientifiques. Dans la suite, les Athéniens mirent tous leurs soins à augmenter cette bibliothèque mais Xerxès, après s'être emparé d'Athènes et avoir réduit en cendres toute la ville à l'exception de la citadelle, fit enlever tous les livres, qui furent, par son ordre, transportés en Perse. Longtemps après, les mêmes livres furent rapportés à Athènes par les soins du roi Séleucus, surnommé Nicanor. Dans la suite, les Ptolémées fondèrent en Égypte une riche bibliothèque de sept cent mille ouvrages environ rassemblés ou écrits par leurs ordres. Mais dans la première guerre d'Alexandrie, pendant qu'on livrait la ville au pillage, l'imprudence seule de quelques soldats auxiliaires causa la perte de ces richesses littéraires, qui devinrent la proie des flammes.